Fiche du document numéro 34422

Num
34422
Date
Lundi 11 septembre 2023
Amj
Auteur
Taille
79154
Titre
Revenons à la Justice pénale internationale
Sous titre
Paris, 11 septembre 2023
Mot-clé
CPI
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Conférence
Langue
FR
Citation
Bruno Cotte
Juge international (h)

J’aurais aimé assister à vos travaux, prolongements de ceux que vous avez entrepris au mois de septembre 2022. J’ai pris connaissance des différentes communications qui ont alors été faites : elles sont passionnantes, saisissantes, terriblement émouvantes aussi et elles incitent, vous avez raison, à prolonger cette réflexion, cette indispensable mise au point, ce « travail de mémoire », car on n’a pas le droit de minimiser ce qui s’est produit, de l’oublier et on a encore moins le droit de cacher ou de travestir la vérité !

Et tout cela, vous avez encore raison, implique un constant travail de recherche et de coordination entre tous ceux qui veulent que l’on sache ce qui s’est passé avant, pendant et après le génocide.

Mais je n’ai pas assisté à vos échanges de ces jours derniers et le risque est grand pour moi de parler à tort et à travers et peut-être même d’être hors sujet …

J’en prends le risque en vous disant ce que, devant vos travaux, votre engagement, ressent l’homme âgé que je suis désormais, le vieux juge qui aimerait tellement que, face à des drames tels que ceux qui se sont produits, la justice, qu’elle soit internationale ou nationale, soit en mesure de répondre pleinement à ce que l’on attend d’elle et, au premier rang, à ce à quoi les victimes ont droit !

S’agissant du Rwanda, qui vous réunit, des réponses ont été apportées par le tribunal pénal international siégeant à Arusha et il a, je pense, rempli son office même si l’on peut toujours faire plus et même faire mieux !

La France, grâce aux travaux du « Pôle spécialisé » du parquet de Paris a pris sa part dans ce travail judiciaire et elle continue à agir puisque après un verdict rendu le 28 juin 2023 , un nouveau procès va s’ouvrir. Le 13 novembre prochain.
Procès difficiles mais qui sont instruits et conduits avec une rare conscience et le double désir de comprendre et de dire, de raconter judiciairement, ce qui s’est passé …

Mais revenons un instant à la Justice pénale internationale à laquelle je crois et en faveur de laquelle, avec tant d’autres, avec vous, je milite.

Après Nuremberg et Tokyo, on pouvait légitimement espérer que les crimes contre la paix, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ne pourraient plus jamais se reproduire tant l’horreur des actes commis les rendaient universellement odieux.

A cet égard, peu après, la Convention sur le génocide du 9 décembre 1948 a renforcé ce sentiment que l’on croyait partagé par tous et elle ca alors constitué un immense espoir … 150 Etats ne sont-ils pas parties à cette convention !

Qui pouvait penser que le début des années 1990 verrait se commettre et être jugés par le TPIY, le TPIR et les chambres mixtes extraordinaires du Cambodge des atrocités que l’on pensait révolues.

Les génocides, il s’en commet aux quatre coins du monde – est-il besoin d’évoquer, parmi d’autres, le Darfour, les Rohingyas et les Ouïghours ?

Et ce qui se déroule en Russie depuis le mois de février 2023, est désespérant … le génocide n’est en effet pas loin lorsque est proclamée l’intention de « dénazifier l’Ukraine en éliminant ses élites » , de purger villes et villages des néonazis ou lorsque l’on « déporte » en Russie des enfants ukrainiens pour les russifier …. ! et qui tient ces propos ? les représentants d’un Etat membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies !

Alors, la justice pénale internationale est-elle armée pour apporter des réponses effectives à de tels actes comme aux crimes de guerre et contre l’humanité qui se commettent actuellement en Ukraine et ailleurs ?

Elle a beaucoup de défauts car elle est jeune : nous la savons inéluctablement marquée par la politique, trop lente et dès lors peu efficace et insuffisamment dissuasive …

Pourtant il existe des raisons d’espérer lorsque l’on voit la rapidité avec laquelle des enquêtes ont été engagées dès les premiers jours de mars 2023 que ce soit par les autorités ukrainiennes, par le procureur de la CPI, par des juridictions nationales sur le fondement de la « compétence universelle ».

Encore faut-il coordonner toutes ces actions, ce qui semble en cours, et à recueillir des preuves permettant d’asseoir des condamnations rendues « au-delà de tout doute raisonnable ».

Mais ce n’est pas tout : ce que peuvent faire nombre de juridictions pénales nationale et, de manière balbutiante, certaines juridictions pénales internationales, la CPI ne le peut pas : elle ne peut juger in abstentia, par défaut ou par contumace !

Or il est indispensable que cette Cour dont on attend tant ne travaille pas pour rien et il devra en être de même du tribunal qui pourrait être créé pour juger le crime d’agression bel et bien commis par la Fédération de Russie sous le vocable de « opérations milliaires spéciales ».

Pourquoi ?
Disons les choses crument :
Parce qu’il ne sert à rien d’enquêter, de poursuivre, d’instruire si, au terme de mois voire d’années d’investigations, aucun procès ne peut se tenir car l’accusé ne se présente pas à ses juges ou n’a pu être arrêté …
Parce que l’impunité en ce domaine est insupportable !
Parce que, comme l’énonçait la Charte de Londres ayant créé le tribunal de Nuremberg en prévoyant une procédure de défaut, c’est « l’intérêt de la justice » qui est ici en cause.

Parce que les victimes ont droit à un procès public au cours duquel l’accusé, absent par sa faute, sera défendu bien sûr et au cours duquel pourront être entendus témoins et victimes, des débats permettant ensuite de faire, en termes juridiques, le récit de ce qu’elles ont vécues et souffert …

J’aurais tant à dire sur ce sujet mais il peut et doit alimenter vos réflexions.

Il me faut conclure :
D’abord « merci » à vous tous membres et intervenants de de colloque international : ce que vous faites est essentiel !
Ensuite, n’oublions pas qu’en matière de justice pénale internationale, il est des mots qu’il faut avoir constamment en tête , ce sont les mots de :
Patience,
Persévérance et opiniâtreté,
Partage et échanges : on ne fait rien seul !
Rigueur juridique
Attention constante au sort des victimes : elles sont notre boussole, la raison même de notre action, de votre action.

Je ne vous apprends rien,
Tout cela vous le savez bien sûr mais il faut sans cesse le rappeler pour ne pas perdre espoir !


©Bruno Cotte

[Notes :]

Philippe HATEGEKIMANA a été condamné le 28 juin 2023 par la cour d’assises de Paris à la peine de réclusion criminelle à perpétuité des chefs de GENOCIDE (et crimes contre l’humanité (auteur) auteur) et complicité de ce crimes contre l’humanité . Le procès avait débuté le 10 mai.
Sosthène MUNYEMANA sera jugé par la cour d’assises de Paris du 13 novembre au 22 décembre 2023 pour : génocide, crime contre l’humanité et Entente en vue de la préparation des crimes de génocide et autres crimes contre l'humanité.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024