Fiche du document numéro 34255

Num
34255
Date
Jeudi 14 septembre 2023
Amj
Taille
77520
Titre
Conclusion. La commémoration et l’avenir de la recherche
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Discours
Langue
FR
Citation
Dr Chantal Morelle
ÉRE. Professeure
honoraire en CPGE

La raison d’être de ce colloque en deux étapes a été de mettre en commun « les savoirs, les sources et les ressources » sur le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. Il s’agissait de savoir, de mémoire et de transmission. Un travail a été effectué d’abord individuellement, avant que Rwandais et Français, nous souhaitions un travail en commun. Même s’il n’est pas collectif car nous n’avons pas travaillé pas ensemble sur les mêmes fonds d’archives dans leur diversité, que nous avons pu puiser dans les rapports Muse et Duclert, lors du colloque de Huye et Kigali en 2022 et celui de cette année à Paris. La transmission qui nous préoccupe concerne le savoir et la mémoire, en dehors de toute histoire officielle et de toute instrumentalisation, pour lutter contre l’ignorance et le négationnisme. La commémoration menée par des acteurs divers, institutions politiques ou académiques, associations, individus a aussi sa place dans la transmission des savoirs.

La commémoration est une célébration très particulière, car ce n’est pas toujours une fête et en particulier pour ce qui nous occupe : le génocide perpétré contre les Tutsi. Elle est, dans ce cas, une violence car elle rappelle le deuil, elle apporte la parole des victimes, des rescapés. Elle n’est pas seulement un événement qui a lieu à un moment précis du calendrier. Bien sûr, la commémoration de ce génocide a lieu le 7 avril, pas le 6 ni le 8, mais elle doit être un travail de tous les jours, qui oblige à être en éveil, à l’écoute de ce qui se dit et ce qui se fait.

La connaissance est indispensable, même si elle ne suffit pas, pour agir avant de commémorer. À cet égard, le cas de Marguerite et Jean Carbonare donne l’exemple d’une vie et finalement d’une histoire totalement associées à la vie et à l’histoire des Tutsi qu’ils découvrent dès 1975 au Sénégal. Leur histoire ne s’est pas arrêtée le 4 juillet 1994, et la mémoire du génocide se poursuit grâce à eux, avec et en dehors d’eux, dans leur village de Dieulefit dans la Drôme. Le rôle d’éveilleur qu’a été Jean, aurait dû toucher un très large public lorsqu’il a dit, le 28 janvier 1993, sur France 2, une chaîne de télévision publique et à une heure de très grande écoute, l’horreur en train de se dérouler et dont il a été le témoin, avec des membres de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) . « On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crime contre l’humanité dans le pré-rapport » de la commission, mais il va plus loin en demandant aux auditeurs et à tous les Français d’agir : « nous sommes responsables », affirme-t-il, et insiste avec une grande émotion sur le fait que la France et chaque Français peuvent et doivent « faire quelque chose », un an avant la phase paroxysmique du génocide. En vain. Tout est présent dans cet entretien de Jean Carbonare, mais ce qui est dit ainsi que le rapport de la FIDH sont passés sous silence.

Jean Carbonare ne s’est pas arrêté à cet interview. Quelques jours plus tard, en février 1993, il fait une conférence à Dieulefit, organisée par une association dieulefitoise « Échanges et Rencontres » et dont le titre est un appel à la conscience : « Massacres au Rwanda, la main du président …et la nôtre ? ». Après la fin du génocide, sa conscience ne s’est pas reposée, satisfaite. Jean et Marguerite Carbonare sont allés souvent au Rwanda pour aider à la reconstruction du pays. Ils ne se sont jamais lassés de se souvenir, d’alerter, de faire que l’on se souvienne et que l’on commémore. Le président Paul Kagame n’a pas oublié non plus, il a fait en sorte que l’on se souvienne de Jean en lui décernant, à titre posthume en 2010, la médaille Umurinzi (Médaille nationale de la Lutte contre le génocide), pour dire sa reconnaissance et celle du pays. La photo de Jean Carbonare se trouve avec celle des « justes », au musée de la Campagne contre le génocide à Kigali.

Les Dieulefitois ne se sont pas arrêtés, non plus. Pour réparer, participer à la reconstruction, l’association « Intore za Dieulefit » dont il a été question dans le colloque, a joué un rôle inestimable dans la région de Bisesero aux côtés des Rwandais, mais aussi à Dieulefit . Au lendemain de ce colloque de septembre 2023, une autre rencontre est organisée dans cette petite ville des Justes, entre Rwandais et Français, historiens et diplomates, avec la population locale, toujours en éveil, toujours prête à maintenir les liens entre les deux pays, les deux histoires. Pour Dieulefit, la commémoration se vit quotidiennement.

À qui s’adresse le « devoir de mémoire », la commémoration ? Il faut savoir ce dont il s’agit pour se remémorer. La question de la transmission a occupé une grande partie de ce colloque : il a été question de témoignages, d’archives, d’enseignement notamment. L’importance de l’éducation, du savoir scolaire qui ne doit pas être purement livresque, utile seulement pour une épreuve d’examen a été souligné. L’éducation est un travail de tous les jours, fondé sur les archives, la collecte de témoignages, l’enseignement. Ainsi la commémoration peut passer par la médiatisation, mais elle ne peut être confisquée en vue d’une histoire officielle, elle doit appartenir à tous, collectivités et individus, à toutes les générations.

D’où l’importance du travail d’écriture, de conservation, importance de l’échange et de la confrontation des regards, des méthodes pour progresser sur le chemin de la connaissance et de la vérité.

@Chantal Morelle

[Notes :]

La FIDH composée d’une équipe de dix experts de huit nationalités différentes duré deux semaines, du 7 au 21 janvier 1993.

Voir ma communication, à la même session de Paris de ce colloque, relative à l’association Intore za Dieulefit.

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