Fiche du document numéro 30337

Num
30337
Date
Lundi 2 mai 1994
Amj
Taille
5469176
Titre
Fiche particulière n° 18591/N - Rwanda-Burundi : Éléments de situation
Nom cité
Lieu cité
Cote
18591/N
Source
Fonds d'archives
Type
Note
Langue
FR
Citation
Le 2 mai 1994
18591/N
FICHE PARTICULIERE
RWANDA - BURUNDI l
ELEMENTS DE SITUATION




I- APPRECIATION SUR L'EVOLUTION DE LA SITUATION AU RWANDA

Sur le plan militaire, la tendance est à l'enlisement. Après avoir déferlé sur la capitale sans rencontrer de résistance significative, les bataillons du Front Patriotique Rwandais (FPR) marquent le pas et stationnent sur les collines voisines de Kigali. Les affrontements se déroulent essentiellement à l'arme lourde. Après avoir, semble-t-il, pris la ville de Byumba, le FPR
a marqué une pause, peut-être dans l'attente de l'arrivée des bataillons du nord. nécessaires aux combats urbains qui s'annoncent. Pour l'heure les forces gouvernementales semblent manquer cruellement de munitions et des délégations ont entamé des démarches à l'étranger, dans le but de s'en procurer.

Il est difficile de se prononcer sur l'issue définitive des combats. En revanche, il est clair qu'avec à peine un peu plus de 10 000 hommes, le FPR est confronté à un indéniable problème
d'occupation des territoires conquis comme en témoigne l'enlisement de ses unités aux portes de Kigali, dont la population lui reste globalement hostile. Si l'offensive du FPR s'est pratiquement déroulée dans les mêmes conditions d'efficacité et de rapidité que celles de 1990 et 1993, il n'en
demeure pas moins que les avancées territoriales s'effectuent toujours sur un terrain à dominante hutu. À long terme, considérant l'armement des populations hutu, l'activisme des milices et la réduction numérique de la communauté tutsi, la situation militaire risque de devenir de plus en plus
intenable pour le FPR, à moins d'un engagement massif des forces armées ougandaises.

À l'intérieur du pays, les massacres se poursuivent sans répit bien que les bilans annoncés paraissent difficilement vérifiables. On avance parfois le chiffre de 150 000 morts. Après avoir systématiquement éliminé les représentants de l‘opposition, la Garde Présidentielle (GP) et les milices hutu proches de la Coalition pour la Défense de la République (CDR) s'en sont prises à tous les Tutsi du pays. Le FPR s'est également livré à des règlements de compte, mais dans une moindre mesure. De nombreux réfugiés affluent aux poste-frontières du Kivu, au Zaire, et à la frontière rwando-burundaise, au risque de déstabiliser des régions traditionnellement sensibles.

La nature réactionnaire du gouvernement intérimaire rwandais l'a immédiatement rendu illégitime aux yeux du FPR qui refuse de négocier avec ce qu'il considère comme “un rassemblement d'assassins". Ce gouvernement est effectivement confronté à un problème d'image qui le conduit à prendre de multiples contacts à l'étranger. Le ministre des Affaires étrangères, M. Bicamunpaka, a récemment effectué une visite officielle en France, afin de plaider sa cause et obtenir un éventuel soutien. D'autres délégations ministérielles effectuent le même genre de démarches en Afrique et au Proche-Orient.


Toute action spécifique au Rwanda est en fait confrontée à un véritable dilemme : comment aider le Rwanda - notamment sur le plan politique - alors que le seul interloculeur véritablement représentatif de l'ethnie majoritaire, le gouvernement intérimaire, a une responsabilité patente dans les massacres actuels ? Pour se révéler véritablement efficace, l'action de la France pourrait peut-être commencer par une condamnation sans appel des agissements de la GP et plus particulièrement du colonel Bagosora, directeur de cabinet du ministre de la Défense, considéré comme l'instigateur principal des assassinats - très "ciblés" - du début de la crise. Par ailleurs, afin de parvenir à un cessez-le-feu et de ne pas heurter définitivement le FPR et la communauté tutsi, déjà fortement aigrie par un sentiment anti-français, il serait judicieux de replacer les accords d'Arusha au centre des préoccupations, notamment en réattribuant à M. Twagiramungu (1), - personnage-clé des accords d'Arusha et rare représentant survivant de l'opposition modérée rwandaise - une place de premier rang.

II - APPRECIATION SUR L'EVOLUTION DE LA SITUATION AU BURUNDI

La situation au Burundi est devenue préoccupante et le fragile consensus observé au sommet de l'Etat risque, à tout moment, de voler en éclats.

La mort du président Ntaryamira n'a pas causé un émoi comparable à celui qui avait succédé à la disparition tragique du président Ndadaye, le 21 octobre 1993. En place depuis deux mois seulement, le président Ntaryamira décevait même les militants du Front pour la Démocratie au Burundi (FRODEBU) pour son manque de fermeté, remarqué notamment à l'égard des petits partis d'opposition tutsi. Aussi, sa mort, le 6 avril 1994, n'a-t-elle pas été à l'origine de nouveaux troubles dans le pays.

Le nouveau président intérimaire désigné par la Constitution burundaise, M. Ntibantunganya, d'origine hutu également, est une personnalité représentative du FRODEBU. Sa prestance et sa dimension politique sont des atouts importants au regard de la crise actuelle. Depuis le début des événements du Rwanda, M. Ntibantunganya s'est efforcé de concilier les extrêmes, notamment en parvenant, avec habileté, à associer l'état-major de l'armée à toutes les décisions majeures.

Mais ce consensus est fragile. La cohésion du parti au pouvoir, le FRODEBU, n'existe plus. La tendance modérée, emmenée par M. Ntibantunganya, s'éloigne de plus en plus d'une faction extrémiste mono-ethnique, dirigée par le ministre de l'Intérieur et de la Sécurité, M. Nyangoma. Ce dernier, véritable chef de file de la base militante du parti et des milices du FRODEBU, est officiellement en butte au pouvoir actuel qu'il accuse de lâcheté, voire de trahison, au profit de la minorité tutsi.

La polémique a débuté, il y a deux mois, avec le problème de la réforme de l'armée composée à 90% de Tutsi. Par ses prises de positions radicales, M. Nyangoma a fortement inquiété l'état-major qui, depuis, s'est efforcé de le marginaliser. L'état-major y est parvenu, au moins en partie, en donnant l'ordre aux ambassades burundaises de ne plus considérer M. Nyangoma comme un représentant officiel de l'Etat burundais.




1) M. Twagiramungu, Premier ministre pressenti pour la phase de transition, est parvenu à s'échapper de Kigali. Il séjourne actuellement au Kenya.


Sur le terrain, la situation se présente de la facon suivante :

A la tête de ses milices, M Nyangoma défie aujourd'hui ouvertement le pouvoir en place. Composée de membres de la Génération Démocratique du Burundi (GEDEBU-milices du FRODEBU), de militants du Parti de Libération du Peuple Hutu (PALIPEHUTU) et de représentants du Front de Libération nationale (FROLINA), les milices hutu sont retranchées dans le quartier de Kamenge au nord de la capitale, et se livrent à des opérations de harcèlement des forces de l'ordre. Leur importance s'est sensiblement accrue avec la fourniture d'armements en provenance du Rwanda et l'arrivée de nombreux réfugiés hutu rwandais.

Conjointement, les instances politique et militaire ont fixé un ultimatum aux milices, afin de procéder au désarmement du quartier de Kamenge. Après en avoir bouclé les principaux accès, les forces de sécurité burundaises ont commencé leur intervention, de façon méthodique. Les affrontements se poursuivent à l'heure actuelle.

Le risque est fort de voir une telle entreprise déclencher de nouveaux troubles dans les provinces : qu'un gouvernement à majorité FRODEBU donne l'assaut sur des militants de la base du mouvement pourrait effectivement provoquer quelques débordements, à moins que M. Ntibantunganya ne parvienne à conserver un contrôle étroit sur son administration provinciale.

III - CAPACITE DU FPR A CONTROLER LE POUVOIR EN CAS DE VICTOIRE

Sur le plan militaire, la victoire semble loin d'être acquise et ne sera probablement jamais totale.

Sur le plan politique, la réflexion part d'un simple constat. Aujourd'hui, alors que même l'Afrique du Sud vient de mettre fin à la domination d'une minorité, il n'est plus possible de voir à peine 14% de la population rwandaise dominer 85% de Hutu.

Placé dans une situation analogue, le Burundi du président tutsi Buyoya, avait, lui aussi, mis un terme à plusieurs décades de domination tutsi. Les élections du mois de juin 1993 ont ainsi vu l'accession, au suffrage universel, à la tête de l'Etat du premier président hufu de l'histoire burundaise, M. Melchior Ndadaye.

Ainsi une éventuelle victoire militaire du FPR risquerait-elle fort bien de devenir embarrassante sur le plan politique. Très certainement étranger à l'attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana (réduisant à néant les avantages conquis à Arusha), le FPR n'a eu d'autre choix que l'intervention armée. Les atermoiements observés aujourd'hui pourraient fort bien tirer leur origine d'une analyse de la nouvelle donne politique. Les instances politiques du FPR réclament toujours l'application des accords d'Arusha sur le fond, mais sont bien conscientes que le gouvernement rwandais, par sa composition actuelle, fera tout pour s'y opposer.

Pour l'heure, il est clair que le FPR, ne serait-ce que pour une question d'honneur, sera peu disposé à cesser la lutte, tant que le gouvernement ne sera pas remanié en profondeur et que les responsables des massacres n'auront pas été sanctionnés.


Dèclassifie par décision
du ministre de La Defense

N° 6201153 cu 12 hi 2021

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