Fiche du document numéro 29622

Num
29622
Date
Mardi 15 février 2022
Amj
Taille
70771
Sur titre
Rwanda
Titre
La justice clôt le dossier de l’attentat contre le président Habyarimana
Sous titre
Près de trois décennies de polémiques se terminent sur un non-lieu
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L’attentat contre le président Habyarimana marqua le début du génocide des Tutsis, qui fit un million de morts selon Kigali, 800.000 selon les Nations unies. AFP.

C’est la fin d’un suspense – judiciaire – qui aura duré 28 ans : à Paris, la Cour de cassation a définitivement validé le non-lieu prononcé en 2018 par des juges d’instruction parisiens, rejetant les pourvois déposés par les familles des victimes de l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana. En 2020 déjà, la cour d’appel de Paris avait confirmé l’abandon des poursuites contre plusieurs membres de l’entourage du président rwandais Paul Kagame et, cette fois, la décision de la Cour de cassation clôt définitivement le débat.

Cette saga judiciaire a empoisonné les relations entre la France et le Rwanda durant un quart de siècle, mais surtout elle a entretenu le doute et la suspicion à propos d’un événement considéré comme l’élément déclencheur du génocide des Tutsis, qui fit un million de morts selon Kigali, 800.000 selon les Nations unies.

C’est dans la soirée du 6 avril 1994 que la tragédie s’est nouée : lors d’une ultime réunion en Tanzanie, le président rwandais Juvenal Habyarimana avait fini par accepter d’appliquer les accords de paix conclus à Arusha l’été précédent. Ces accords prévoyaient, dans un cadre démocratique, le partage du pouvoir entre le pouvoir sortant dominé par les Hutus et les représentants du Front patriotique rwandais jusque-là qualifiés de « rebelles ». Ces derniers, depuis le début de la guerre déclenchée en octobre 1990, défendaient les droits au retour des Tutsis réfugiés dans les pays voisins et l’abolition des critères « ethniques » qui discriminaient les Tutsis du Rwanda.

Trois mois de tueries



Soumis à une forte pression internationale, le chef de l’Etat s’était incliné mais il était confronté à l’opposition des « durs » du régime, dont la famille présidentielle et les chefs de l’armée, dont le général Bagosora. Cette aile extrémiste était soutenue par l’Elysée qui craignait le basculement d’un Rwanda jusque-là francophone. Lorsque le 6 avril 1994, à 20 h 30, deux missiles tirés avec une grande précision abattirent l’avion présidentiel en phase d’atterrissage, ils emportèrent deux présidents africains, Juvénal Habyarimana et son collègue le président du Burundi. Mais surtout, cet attentat marqua le début des massacres : Kigali se couvrit de barrières, des Hutus galvanisés par la colère entreprirent de massacrer à la machette leurs voisins tutsis, dix Casques bleus belges furent tués sans pouvoir se défendre. Dans un Rwanda abandonné par les Casques bleus, les tueries allaient durer trois mois et se terminer en juillet 1994 par la victoire militaire du FPR. Kagame et les siens prirent le pouvoir dans un pays transformé en cimetière tandis que trois millions de réfugiés hutus, encadrés par l’armée vaincue, fuyaient vers les pays voisins dont le Zaïre de Mobutu. Si au Rwanda les armes avaient laissé place à la désolation, et si le FPR se retrouvait à la tête d’un pays jonché de cadavres jetés dans les fossés et les latrines, d’autres guerres se préparaient déjà : une revanche militaire au départ des camps de réfugiés, une guerre médiatique et politique orchestrée depuis Paris et visant à discréditer le nouveau pouvoir rwandais.

Bataille juridique



Dès 1994, le Front patriotique rwandais avait été accusé d’avoir commis l’attentat mais c’est en 1998 que se déclencha la véritable bataille juridique, lorsque les familles de l’équipage du Falcon présidentiel demandèrent à la justice d’enquêter sur l’attentat. Le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière fut saisi de l’affaire et, menant une enquête très politique, il se dispensa de mener des investigations sur le terrain. De nombreux témoins à charge lui furent cependant présentés, dont des déserteurs du FPR comme Abdul Ruzibiza, ou le professeur belge Filip Reyntjens ; il fut encensé par l’écrivain-enquêteur Pierre Péan qui, se nourrissant de documents fournis par l’Elysée, avait lui aussi jugé inutile de se rendre au Rwanda. Neuf membres de l’entourage du président Kagame, dont son chef d’état-major James Kabarebe, furent inculpés par le juge Bruguière et il fallut l’arrestation de la directrice de cabinet de Paul Kagame pour que la partie rwandaise puisse avoir accès au dossier.

Détricotage d’un mensonge d’Etat



Lorsque le juge Trévidic se rendit – enfin – au Rwanda, tout bascula : il établit de manière indiscutable que le tir de missiles ne pouvait avoir été opéré qu’au départ du camp de la garde présidentielle, où le FPR ne pouvait avoir accès. Le détricotage d’un mensonge d’Etat allait se poursuivre jusqu’en 2018, lorsque les juges d’instruction décidant d’abandonner les poursuites, relevèrent le « caractère délétère » d’une enquête émaillée d’assassinats, de disparitions de témoins et de manipulations. Le non-lieu conduisit à la procédure des pourvois qui vient de se terminer. L’avocat de la partie rwandaise, Me Maingain, se garde bien de tout triomphalisme : « Durant plus de vingt ans, mes clients qui ont mené une guerre de libération, qui ont vu leurs familles être décimées, qui ont tenté de relever un pays détruit, ont dû, en plus, défendre leur honneur. Si la vérité judiciaire est établie, la dimension politique et historique de la tragédie rwandaise dépasse largement le dossier qui vient d’être clôturé. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024