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Le 23 mai 1994, un soldat du Front patriotique rwandais marche près des lieux du crash de l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, abattu le 6 avril 1994 à Kigali, au Rwanda. © Jean-Marc BouJu/AP/SIPA.
Plus d’un an et demi après la confirmation du non-lieu par la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation a rendu sa décision, le 15 février, et annoncé le rejet du pourvoi déposé par plusieurs parties civiles dans le dossier de l’attentat qui avait causé la mort du président rwandais, au soir du 6 avril 1994, et marqué le signal de départ du génocide des Tutsi.
Selon l’arrêt, que Jeune Afrique a pu consulter, la cour de cassation estime que la chambre de l’instruction « a exposé, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, que l’information était complète et qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis les crimes reprochés, ni toute autre infraction ». Dernier recours possible dans cette affaire, la Cour de cassation referme donc un dossier qui aura, pendant plus de vingt ans, perturbé les relations entre la France et le Rwanda.
Me Léon-Lef Forster et Me Bernard Maingain ont immédiatement salué, dans un communiqué, la décision des magistrats. Dénonçant une “procédure à relent politique manifeste”, les deux avocats de la défense se sont également réjouis de l’invalidation “des accusations indignes” qui pesaient contre leurs clients et critiqué au passage les enquêtes menées par le juge Bruguière. Contacté par Jeune Afrique, Me Philippe Meilhac, avocat d’Agathe Habyarimana, la veuve de l’ancien président, a pour sa part dit ne pas être surpris. Il précise « regretter la disculpation des personnes mises en cause » et dénonce le rôle joué par le ministère public dans ce dossier.
Mandats d’arrêt
Après la saisine de la justice française par la fille de l’une des victimes françaises du crash, une information judiciaire avait été ouverte en mars 1998 et confiée au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris. Le dossier connaîtra de nombreux rebondissements, compliquant à chaque fois les relations, par ailleurs difficiles, entre Kigali et Paris.
Le premier séisme diplomatique lié à ce dossier survient le 22 novembre 2006, lorsque le juge Jean-Louis Bruguière rend son ordonnance dans laquelle il accuse le Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion menée par Paul Kagame, d’être à l’origine de l’attentat. Le magistrat, dont l’instruction a été fortement critiquée pour s’être appuyée sur les témoignages de cadres du régime génocidaire et sur d’anciens militaires du FPR se présentant comme parties prenantes à l’attentat, émet alors neuf mandats d’arrêts à l’encontre de dignitaires rwandais. Sept d’entre eux ont été mis en examen, en 2008 et en 2010, et accusés d’association de malfaiteurs terroriste, d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste et de complicité. Le principal d’entre eux est James Kabarebe, ancien aide de camp de Paul Kagame, qu’il conseille aujourd’hui encore après avoir été son ministre de la Défense.
Après cet épisode, Kigali ne tarde pas à réagir. Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la France et publie deux ans plus tard un rapport qui met en cause plusieurs responsables français pour “complicité de génocide”. Parmi eux figure Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée au moment des faits. Le remplacement de Jean-Louis Bruguière par le duo Marc Trévidic-Nathalie Poux en 2007 et l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy la même année rendront ensuite possible un début de rapprochement.
Expertises balistiques
Trois ans après, Kigali connaît, avec la venue de Sarkozy, la première visite d’un chef d’État français depuis le génocide. Les deux nouveaux juges chargés du dossier effectuent pour leur part le premier déplacement au Rwanda depuis l’ouverture du dossier. Accompagnés par plusieurs experts en balistique, ils contredisent, dans leur rapport de 2012, les conclusions du juge Bruguière. La thèse d’une implication du FPR est reléguée au second plan ; celle d’un acte commis par les extrémistes hutu redevient le scénario numéro un, les missiles ayant été tirés, selon leur rapport, depuis le camp militaire de Kanombe, alors aux mains des Forces armées rwandaises.
Le dossier repart sur de nouvelles bases. Il connaîtra encore de nombreux rebondissements, avec notamment l’audition de Kayumba Nyamwasa, ancien général rwandais aujourd’hui à la tête du Rwanda National Congress et visé par plusieurs mandats d’arrêt émis par Kigali. Après vingt ans de procédure, de tâtonnements et de versions contradictoires livrées par des témoins dont certains sont entretemps décédés, les juges Jean-Marc Herbaut, qui a succédé à Marc Trévidic, et Nathalie Poux rendent une ordonnance de non-lieu en décembre 2018.
Estimant qu’en « l’absence d’éléments matériels indiscutables, les charges pesant sur les mis en examen reposent exclusivement sur des témoignages » et que ceux-ci « sont largement contradictoires et non vérifiables », les deux magistrats estiment qu’il n’existe pas de charges suffisantes pour donner suite à l’instruction. Une décision qui sera donc confirmée en appel en juillet 2020.
Entre-temps, Paris et Kigali ont définitivement scellé le rapprochement initié après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Suite à la visite de parlementaires français pour la 25e commémoration du génocide, en 2019, et à celle du président français en mai 2020, la France a nommé un ambassadeur à Kigali en juin 2020. Un poste resté vacant depuis 2015.