Fiche du document numéro 24339

Num
24339
Date
Mardi 15 février 2022
Amj
Taille
324939
Sur titre
 
Titre
Point sur les procédures judiciaires engagées contre Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la société Editions Les Arènes par quatre militaires français concernant le livre Complices de l’Inavouable – La France au Rwanda
Sous titre
Suite aux plaintes en diffamation déposées notamment par quatre militaires français, Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la société Editions Les Arènes se voient frappés de deux condamnations mais obtiennent deux relaxes.
Tres
 
Page
 
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Cote
 
Résumé
 
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Note
Langue
FR
Citation
Point sur les procédures judiciaires engagées contre Laurent Beccaria, Patrick de
Saint-Exupéry et la société Editions Les Arènes par quatre militaires français
concernant le livre Complices de l’Inavouable – La France au Rwanda

Par Aymeric Givord, le 15 février 2022

Suite aux plaintes en diffamation déposées notamment par quatre militaires français, Laurent
Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la société Editions Les Arènes se voient frappés de deux
condamnations mais obtiennent deux relaxes.

*
NB. – Dans tout ce qui suit, l’identification du nom des parties en cause n’est qu’une supposition.

I. – CLASSEMENT DES ARRETS RENDUS PAR LA COUR DE CASSATION SELON LE MILITAIRE CONCERNE

A/ Procédures engagées par Jean-Claude Lafourcade
Cour de cassation, 13 mars 2012
Admission du pourvoi n° 11-85.580 de Jean-Claude Lafourcade et cassation de l’arrêt rendu par la Cour
d’appel de Paris le 29 juin 2011. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000257343
24&fastReqId=784061346&fastPos=10
Cour de cassation, 20 mai 2014
Admission du pourvoi n° 13-82.830 de Jean-Claude Lafourcade et cassation de l’arrêt rendu par la Cour
d’appel de Paris le 4 avril 2013. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Lyon.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000289765
47&fastReqId=633060840&fastPos=6
Cour de cassation, 7 février 2017
Rejet du pourvoi en cassation n° 15-84.281 formé par Jean-Claude Lafourcade contre l’arrêt rendu par la
Cour d’appel de Lyon le 27 mai 2015 (affaire terminée).
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000340390
25&fastReqId=1275585331&fastPos=3
Voir également infra, II.

B/ Procédures engagées par Eric de Stabenrath
Cour de cassation, 13 mars 2012
Admission du pourvoi n° 11-85.582 d’Eric de Stabenrath et cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de
Paris le 29 juin 2011. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000257343
45&fastReqId=469876371&fastPos=11
1/16

Cour de cassation, 20 mai 2014
Admission du pourvoi n° 13-82.831 d’Eric de Stabenrath et cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de
Paris le 4 avril 2013. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Lyon.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000289765
48&fastReqId=1999394476&fastPos=7
Cour de cassation, 11 juillet 2017
Rejet du pourvoi en cassation n° 16-80.935 formé par Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la
société Editions Les Arènes contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 27 mai 2015 (affaire
terminée).
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000351952
96&fastReqId=2028545880&fastPos=1
Voir également infra, II.

C/ Procédures engagées par Michel Robardey
Cour de cassation, 11 juin 2013
Admission du pourvoi n° 12-83.004 de Michel Robardey et cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de
Paris le 28 mars 2012. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000275508
32&fastReqId=1679492070&fastPos=9
Cour de cassation, 23 juin 2015
Admission du pourvoi n° 14-83.599 de Michel Robardey et cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de
Paris le 7 mai 2014. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Lyon.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000307901
26&fastReqId=36931480&fastPos=5
Cour de cassation, 25 avril 2017
Admission du pourvoi n° 16-82.610 de Michel Robardey et cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de
Lyon le 17 mars 2016. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Lyon, autrement composée.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000345492
75&fastReqId=921594429&fastPos=2
Cour de cassation, 16 octobre 2018
Recevabilité de l’opposition formée par Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la société Editions Les
Arènes contre l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 avril 2017 (affaire non terminée).
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000037536237&fastReqId=28443257
8&fastPos=4&oldAction=rechJuriJudi
Cour de cassation, 9 avril 2019
Admission du pourvoi n° 16-82.610 de Michel Robardey et cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de
Lyon le 17 mars 2016. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles, autrement composée.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000384270
38&fastReqId=1914995211&fastPos=1
Cour de cassation, 15 février 2022
Non-admission du pourvoi n° 21-81.775 de Michel Robardey formé contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel
de Versailles le 3 février 2021 (affaire terminée).
http://francegenocidetutsi.org/ArretDeNonAdmission15Fevrier2022.pdf

2/16

D/ Procédures engagées par Christian Quesnot
Cour de cassation, 14 janvier 2014
Admission du pourvoi n° 12-87.296 de Christian Quesnot et cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de
Paris le 18 octobre 2012. Renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000284824
83&fastReqId=947412496&fastPos=8
Cour de cassation, 10 mai 2016
Rejet du pourvoi en cassation n° 15-80.760 formé par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry contre
l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 18 décembre 2014 (affaire terminée).
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000325359
98&fastReqId=2029010749&fastPos=4
Voir également infra, II.

3/16

II. – TEXTE DES ARRETS DEFINITIFS RENDUS PAR LA COUR DE CASSATION (ET PUBLIES SUR LE SITE
LEGIFRANCE)

COUR DE CASSATION, 10 MAI 2016 : AFFAIRE CHRISTIAN [QUESNOT]
Rejet du pourvoi en cassation n° 15-80760 formé par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry contre
l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 18 décembre 2014 (affaire terminée)
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000325359
98&fastReqId=2029010749&fastPos=4

Références
Cour de cassation, chambre criminelle
Audience publique du 10 mai 2016
N° de pourvoi: 15-80760
Non publié au bulletin
Rejet
M. Guérin (président), président
Me Carbonnier, SCP Richard, avocat(s)

Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Laurent X... [Beccaria],
- M. Patrick Y... [de Saint-Exupéry],
contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 18 décembre 2014, qui, sur renvoi après
cassation (Crim., 14 janvier 2014, n° 12-87. 296), dans la procédure suivie contre eux des chefs de
diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 15 mars 2016 où étaient présents dans la
formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Finidori,
conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de Me CARBONNIER, de la société civile
professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général référendaire
CABY ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits
de l’homme, 29, 31 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a retenu le caractère diffamatoire à l’égard de M. Christian Z...
[Quesnot] de la présentation du livre de M. Y... [Patrick de Saint-Exupéry] édité par M. X... [Laurent
Beccaria], et condamné ces derniers à lui payer la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
« aux motifs que, sur la saisine de la cour, il sera rappelé que l’arrêt de la Cour de cassation à l’origine de la
présente instance a certes limité explicitement sa censure de l’arrêt qui lui était soumis à sa motivation
relative à la bonne foi, mais que l’arrêt en cause a, néanmoins, été cassé en toutes ses dispositions ; qu’en
conséquence, la cour de céans se trouve saisie, sans restriction, de l’appel du jugement du tribunal de Paris,
en date du 22 novembre 2011 ; qu’au demeurant, si la décision de la Cour de cassation excluait tout ou partie
du débat, le renvoi devant une cour d’appel serait dépourvu de sens ; que, de même, et à l’encontre de
chacune des parties, la référence à d’autres affaires intéressant les prévenus face à d’autres parties civiles
4/16

peut avoir une valeur d’information qui ne saurait, néanmoins, exclure le principe de l’autorité relative de la
chose jugée ; qu’il sera également rappelé que la cour n’est saisie que du seul appel de la partie civile ; qu’en
conséquence la relaxe des prévenus est définitive et que ne pourra qu’être apprécié l’aspect éventuellement
dommageable de leur comportement à l’égard de la partie civile ; que les spécificités de l’article 31, alinéa
1er, de la loi du 29 juillet 1881 sont désormais indifférentes à celui-ci ; que l’aspect ou non diffamatoire de la
présentation du livre en cause devra donc être en premier lieu apprécié ; qu’à ce titre la cour ne saurait
adhérer à l’analyse sémantique du premier juge quant au terme de “complices” qui, sans nuance est péjoratif
quand il est accolé à “l’inavouable” ; que, par ailleurs, il sera rappelé que l’appréciation d’une diffamation
publique ne relève pas d’un débat de spécialiste mais de sa perception par le lecteur moyen ; qu’ainsi, le titre
nouveau de l’ouvrage indique qu’il traite de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, soit la période du
génocide, en s’intéressant aux “complices de l’inavouable” et donc laisse entendre que les personnes citées
en première page de couverture sont bien ces complices et que le crime auquel ils sont associés est bien le
génocide des tutsis ; que la quatrième de couverture qui précise la dimension politique de l’ouvrage ne lève
nullement l’opprobre que la première page fait peser sur les personnes citées, bien au contraire ; que, de fait,
la nouvelle présentation d’un ouvrage qui se veut de réflexion apparaît destinée à attirer le lecteur par
l’implication de responsables politiques et militaires de premier plan ; qu’en conséquence, étant à nouveau
souligné que le contenu du livre est hors du débat, le lecteur qui voit celui-ci en vitrine ou le prend en main,
en retiendra que les personnes dont le nom et la qualité sont cités sur la couverture sont impliqués dans le
génocide rwandais ; que la présentation de l’ouvrage est donc de nature à porter atteinte à l’honneur et à la
considération de M. Z... [Christian Quesnot], général ; que, sur la bonne foi, le caractère de sujet d’intérêt
général de la question traitée ne saurait être discuté ; que l’animosité personnelle de l’auteur à l’égard de
l’appelant ne peut davantage être sérieusement soutenue en regard des références de l’ouvrage aux propos de
celui-ci et en l’absence de toute appréciation péjorative sur son action qui puisse dépasser les limites de la
liberté d’expression ; qu’en revanche, les références de l’auteur quant à l’audition de l’appelant devant la
commission parlementaire ou à ses rapports écrits au président de la République n’établissent en aucune
manière que soient justifiées les atteintes à son honneur et à sa considération ci-avant décrites ; que ces
documents illustrent au contraire son souci de mettre en garde le chef de l’Etat vis-à-vis de dérives et de
prises de positions erronées des autorités françaises lors de la guerre civile rwandaise ; qu’aussi la
présentation de l’ouvrage litigieux manque-t-elle manifestement à la prudence dans l’expression que requiert
encore l’excuse de bonne foi ; que la demande de mise hors de cause de M. Y... [Patrick de Saint-Exupéry]
en ce que la nouvelle présentation de son livre ne serait pas de son fait ne saurait prospérer dans la mesure où
il ne prouve pas que celle-ci lui aurait été imposée ou qu’il s’y serait opposé ; que, quant aux sanctions et
réparations sollicitées, la cour considérera que la demande d’interdiction de l’ouvrage est excessive en regard
de la nécessaire pondération du préjudice de la partie civile et de la liberté d’expression ; qu’il sera en
revanche fait droit à la demande indemnitaire de celle-ci ; que sa demande au titre de l’article 472 du code de
procédure pénale, qui n’a pas lieu de recevoir application en l’espèce, sera rejetée ; que la demande de
publication de la présente décision n’apparaît pas nécessaire en regard de l’ancienneté des faits et de la
modeste publication de l’ouvrage ; que la demande de la partie civile sera en conséquence rejetée ;
« 1°) alors qu’en matière de diffamation, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances
intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis que comporte l’écrit qui les renferme, et ce, sous le contrôle
de la Cour de cassation qui peut se reporter à l’écrit lui-même afin de vérifier s’il contient les éléments de
l’infraction ; que, pour retenir le caractère diffamatoire de la présentation du livre de M. Y... [Patrick de
Saint-Exupéry] édité par M. X... [Laurent Beccaria], l’arrêt attaqué retient que le titre de l’ouvrage réédité
“Complices de l’inavouable – La France au Rwanda” laisse entendre que les personnes citées en première
page de couverture, dont M. Z... [Christian Quesnot], étaient impliquées dans le génocide des tutsis au
Rwanda et que, le contenu du livre étant hors du débat, il est ainsi porté atteinte à l’honneur et à la
considération de ce dernier ; qu’en se déterminant ainsi, cependant qu’il lui appartenait d’apprécier le
caractère diffamatoire des propos poursuivis au regard de l’ensemble des circonstances intrinsèques ou
extrinsèques à ceux-ci, en particulier du contenu de l’ouvrage dont la présentation était qualifiée de
diffamatoire, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes visés au moyen ;
« 2°) alors que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci
constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme ; que, pour écarter le fait justificatif de la bonne foi, l’arrêt attaqué retient que, si
l’existence d’un débat d’intérêt général portant sur la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994
est caractérisée, les références documentaires citées dans le livre de M. Y... [Patrick de Saint-Exupéry] ne
justifient pas l’atteinte portée à l’honneur et à la considération de M. Z... [Christian Quesnot] ; qu’en statuant
ainsi, cependant que les éléments cités dans l’ouvrage réédité, essentiellement des rapports officiels et des
5/16

notes émanant des plus hautes autorités de l’Etat, étaient suffisamment nombreux et fiables pour autoriser
que des questions légitimes soient posées et fassent débat sur un sujet d’intérêt général relatif à l’histoire
récente de la France et du Rwanda, et au type de politique mené par les responsables politiques et militaires
français avant, pendant et après le génocide des tutsis perpétré en 1994, la cour d’appel a méconnu le sens et
la portée des textes visés au moyen ;
« 3°) alors que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci
constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme ; que, pour écarter le fait justificatif de la bonne foi, l’arrêt attaqué retient que, si
l’existence d’un débat d’intérêt général portant sur la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994
est caractérisée, la présentation du livre de M. Y... [Patrick de Saint-Exupéry] manque, toutefois, de
prudence dans l’expression ; qu’en se déterminant ainsi, cependant que la présentation de l’ouvrage réédité,
lequel s’inscrivait dans le contexte d’un débat d’intérêt général et reposait sur une base factuelle suffisante,
ne revêtait pas un caractère gratuitement offensant à l’égard de M. Z... [Christian Quesnot] et visait
seulement à interpeller le lecteur, dans les limites de l’exagération et de la provocation qui étaient
admissibles, pour favoriser l’émergence de questionnements sur le type de politique mené par la France
avant, pendant et après le génocide des tutsis au Rwanda, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des
textes susvisés ;
« 4°) alors que la proportionnalité de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression s’apprécie aussi à
l’aune du montant de la condamnation pécuniaire prononcée par le juge ; que moins de 2 000 exemplaires de
l’ouvrage de M. Y... [Patrick de Saint-Exupéry] édité par M. X... [Laurent Beccaria] ayant été vendus, leur
condamnation à payer à M. Z... [Christian Quesnot] la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts
constitue une ingérence manifestement disproportionnée dans leur droit à la liberté d’expression ; que, dès
lors, la cour d’appel a, à nouveau, méconnu le sens et la portée des textes susvisés » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’à la suite de la publication du livre
intitulé « Complices de l’inavouable-la France au Rwanda », qui comportait, en première page de couverture,
parmi une trentaine d’autres, la mention de son nom et de son grade, et, en quatrième page de couverture,
une présentation de l’ouvrage, qualifiant d’« erreur criminelle » la politique menée par la France au Rwanda,
M. Z... [Christian Quesnot], général, estimant que ce rapprochement lui imputait explicitement d’être l’un
des complices du génocide survenu dans ce pays en 1994, a déposé une plainte et s’est constitué partie civile,
du chef de diffamation envers un fonctionnaire public ; que M. X... [Laurent Beccaria], l’éditeur de
l’ouvrage, et M. Y... [Patrick de Saint-Exupéry], son auteur, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel
des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité de ce délit ; que les premiers
juges ont relaxé les prévenus, et débouté la partie civile de ses demandes ; que celle-ci a relevé appel de cette
décision ;
Attendu que, pour infirmer le jugement déféré, constater le caractère diffamatoire de la présentation
de l’ouvrage en cause, écarter le bénéfice de la bonne foi et condamner l’auteur et l’éditeur de
l’ouvrage à payer à la partie civile la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts, les juges
relèvent que le titre « Complices de l’inavouable » laisse entendre que les personnes citées en première
page de couverture, dont M. Z... [Christian Quesnot], sont impliquées, en cette qualité, dans le
génocide commis au Rwanda et que la quatrième page ne lève nullement cet opprobre ; que les juges
ajoutent que l’audition de la partie civile devant la commission parlementaire ou ses rapports écrits au
Président de la République auxquels l’auteur se réfère, ne justifient en aucune manière les atteintes
portées à l’honneur et à la considération du général Z... [Christian Quesnot], mais établissent, au
contraire, que celui-ci a attiré l’attention du chef de l’Etat sur les risques de prises de position
erronées, si bien que la présentation de l’ouvrage manque manifestement de prudence dans
l’expression ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a, sans méconnaître les dispositions
conventionnelles invoquées, exactement apprécié le sens et la portée des écrits incriminés, a, à bon
droit, refusé aux prévenus le bénéfice de la bonne foi et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la
partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme globale que MM. X... [Laurent Beccaria] et Y... [Patrick de Saint-Exupéry]
devront payer à M. Z... [Christian Quesnot] au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n’y avoir lieu à application dudit article au profit de MM. X... [Laurent Beccaria] et Y... [Patrick de
Saint-Exupéry] ;
6/16

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux
mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 18 décembre 2014.

Légende
Texte surligné en gris = rappel de la motivation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 18 décembre
2014.
Texte surligné en bleu = moyens de cassation invoqués par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry.
Texte surligné en vert = motifs et dispositif de la décision de la Cour de cassation du 10 mai 2016 (c’est nous
qui mettons en gras).

7/16

COUR DE CASSATION, 7 FEVRIER 2017 : AFFAIRE JEAN-CLAUDE [LAFOURCADE]
Rejet du pourvoi en cassation n° 15-84281 formé par Jean-Claude [Lafourcade] contre l’arrêt rendu par la
Cour d’appel de Lyon le 27 mai 2015 (affaire terminée)
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000340390
25&fastReqId=1275585331&fastPos=3

Références
Cour de cassation, chambre criminelle
Audience publique du 7 février 2017
N° de pourvoi: 15-84281
Non publié au bulletin
Rejet
M. Guérin (président), président
Me Carbonnier, SCP Richard, avocat(s)

Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Jean-Claude X... [Lafourcade], partie civile,
contre l’arrêt de la cour d’appel de LYON, 7e chambre, en date du 27 mai 2015, qui, sur renvoi après
cassation (Crim., 20 mai 2014, n° 13-82. 830), dans la procédure suivie contre MM. Laurent Y... [Beccaria],
Patrick Z... [de Saint-Exupéry], et la société Editions Les Arènes, du chef de diffamation publique envers un
dépositaire ou agent de l’autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 décembre 2016 où étaient présents dans la
formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme DurinKarsenty, conseiller rapporteur, M. Buisson, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile
professionnelle RICHARD, de Me CARBONNIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat
général CUNY ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention des droits de
l’homme, 23, 29, alinéa 1er, 30, 31, alinéa 1er, 42, 43 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure
pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a débouté M. Jean-Claude X... [Lafourcade] de ses demandes formées à l’encontre
de M. Laurent Y... [Beccaria], Patrick Z... [de Saint-Exupéry] et de la société Les éditions des arènes ;
« aux motifs que, sur l’exception de bonne foi, si les imputations diffamatoires sont réputées faites avec
intention de nuire, elles peuvent être justifiées lorsque l’auteur démontre sa bonne foi ; que celle-ci suppose
la poursuite d’un but légitime, une absence d’animosité personnelle, le sérieux de l’enquête et la prudence
dans l’expression ; que la poursuite d’un but légitime ne fait aucun doute, s’agissant d’informer le public sur
un épisode récent de l’histoire rwandaise, aux conséquences particulièrement dramatiques, et sur le rôle
politico-militaire de la France dans ces événements ; que l’association de l’intitulé susmentionné avec le nom
du général X... [Jean-Claude Lafourcade] n’apparaît pas relever d’une animosité personnelle, qui n’est
démontrée par aucun des éléments du dossier ; qu’il convient de noter que les conclusions de la partie civile
admettent que les deux premiers critères ci-dessus “n’appellent pas de développements particuliers” ; que la
partie civile indique dans ses conclusions ne pas contester que “le génocide en 1994 et la politique de la
France au Rwanda relèvent du débat d’intérêt général”, proposition tellement évidente en l’espèce qu’elle se
8/16

passe d’explicitation ; que restent critiqués, au vu des conclusions de la partie civile, l’absence d’éléments
factuels suffisants et l’absence de prudence dans le propos ; que sur l’exigence d’une enquête sérieuse,
l’accusation diffamatoire doit être appréciée non seulement au regard du libellé de l’imputation critiquée,
mais également de ses éléments extrinsèques ; qu’il convient de noter que la vérité sur les responsabilités en
matière de génocide ne se fait que sur la longue durée, les différentes parties intéressées usant de toute leurs
capacités de dissimulation, de manipulation ou d’influence pour échapper à ce verdict, les manipulations de
la vérité étant d’autant plus faciles en l’espèce que s’agissant des relations de la France et du Rwanda à
l’époque des faits, l’actualité récente a démontré que des documents étaient toujours classifiés, sans compter
bien évidemment ceux qui ont pu être détruits par les différents intervenants, dans un pays complètement
bouleversé par la guerre civile ; que l’exigence d’une information fiable et précise doit s’apprécier, sauf à
interdire ou restreindre de façon drastique tout débat sur des sujets d’importance cruciale sur le plan éthique
ou historique, dans ce contexte ; qu’en l’espèce, l’enquête sérieuse se déduit notamment des investigations
effectuées sur place par le journaliste, présent sur les lieux au début de l’opération Turquoise, de son
investissement dans le suivi du traitement judiciaire ou politique des suites du génocide, lecture du dossier
établi par le juge Bruguière sur l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais, suivi des travaux de la
commission parlementaire, d’audiences du tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, entretiens
avec des militaires, hommes politiques ou témoins de certains aspects de cette tragédie et de son traitement
subséquent sur le plan politique ou médiatique ; que le journaliste fait état au-delà des éléments relevés par
lui de ce qu’il estime être les ambiguïtés de l’opération Turquoise, et des positions différentes exprimées au
plus haut niveau politique, l’une s’en tenant à une limitation des opérations à une action humanitaire, et
l’autre visant à une assistance militaire des forces hutues, l’auteur indiquant : “l’opération Turquoise fut
formatée pour répondre à ces deux cas de figure : elle se fit offensive sous couvert d’humanitaire”, l’option
offensive ayant été abandonnée au profit de la création d’une zone humanitaire sûre, visant à sanctuariser la
zone encore tenue par les hutus ; qu’il s’agit, compte tenu de l’extrême difficulté d’établir en l’espèce une
vérité certaine, qui ne se fera jour qu’avec le temps, d’une prise de position argumentée et étayée, conforme
aux exigences de la liberté d’expression dans le cadre d’un débat d’intérêt général ; qu’il convient, d’ailleurs,
de noter que la partie civile ne met pas en cause le contenu de l’ouvrage (qui est pour l’essentiel la
reproduction de celui paru en 2004, qui n’avait pas suscité de procédure, notamment de diffamation), mais sa
seule première de couverture, à travers l’association entre son nom et la mention : complices de l’inavouable
la France au Rwanda ; que parmi les rectifications apportées à l’ouvrage initial dans l’introduction du
nouveau, l’une d’entre elles concerne le comportement de l’armée française, et notamment, l’inertie du
commandement de l’opération Turquoise lors des événements de Biserero, dont M. Z... [Patrick de SaintExupéry] fait une relation ; que le commentaire de M. Z... [Patrick de Saint-Exupéry] s’interrogeant sur ce
retard d’intervention mentionne “la réalité des faits... met directement en cause le commandement de
Turquoise et les ordres opérationnels reçus”, avant d’expliciter, notamment, à travers le témoignage d’un
militaire ayant décidé de désobéir aux ordres les conditions du sauvetage de 800 tutsis dans cette vallée de
Biserero où plusieurs milliers d’entre eux avaient déjà été massacrés, la fin de l’introduction indiquant que
“la tragédie de Biserero fait aujourd’hui, l’objet d’une instruction ouverte en novembre 2005 à la suite du
dépôt de plaintes contre X au tribunal des armées pour complicité de génocide ou crimes contre l’humanité”
et que divers acteurs ou témoins de cet épisode avaient été entendus par la police judiciaire sur demande du
juge d’instruction et concluant que la volonté d’occultation de cet épisode était indéniable, qu’il s’agit là
d’éléments factuels précis, mettant en cause M. X... [Jean-Claude Lafourcade] en tant que commandant en
chef de l’opération Turquoise ; que l’absence d’interrogation du général M. X... [Jean-Claude Lafourcade],
dont les positions étaient à l’avance connues en sa qualité de président de l’association France Turquoise (il
convient, d’ailleurs, de noter que les prévenus citent une déclaration de M. X... [Jean-Claude Lafourcade]
dans un entretien accordé au journal Paris Match, en date du 11 avril 2010, non démentie par l’intéressé,
dans lequel celui-ci indique : “on nous accuse d’avoir mis du temps pour sauver des Tutsis réfugiés dans la
région de Biserero. Je suis le premier à le regretter”), n’était pas de nature à apporter d’élément nouveau
quant à cette information ; que si la cour, à laquelle il n’appartient pas d’établir de responsabilités dans cette
affaire, est bien consciente des énormes difficultés d’interprétation des situations en cas d’intervention de
forces militaires dans un pays ravagé par la guerre civile et le génocide, et des prises de décisions
consécutives, il apparaît, s’agissant du général M. X... [Jean-Claude Lafourcade], dont les responsabilités de
commandant en chef de l’opération Turquoise et sa manière de les assumer, les prises de position dans le
cadre de l’association France Turquoise dont il est le président, doivent dans le cadre d’un débat d’intérêt
général pouvoir être questionnées plus librement dans un sens conforme aux exigences de la liberté
d’expression, que l’imputation litigieuse, dont la formulation, certes appuyée compte tenu de la situation en
cause mais néanmoins atténuée compte tenu de l’extrême gravité des faits, démontre une certaine prudence
9/16

dans l’expression, reposait, compte tenu des éléments ci-dessus relevés, sur une base factuelle suffisante, que
le bénéfice de la bonne foi doit être accordé aux prévenus ;
« 1°) alors que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, de sorte
qu’il appartient à l’auteur de telles imputations de rapporter la preuve de sa bonne foi ; qu’en se bornant,
pour retenir la bonne foi de M. Z... [Patrick de Saint-Exupéry], à énoncer qu’il avait mené une enquête
sérieuse sur le génocide du Rwanda, lequel présentait un évident caractère d’intérêt général, et que cette
enquête avait permis de mettre en cause le commandement de l’opération Turquoise et les ordres
opérationnels reçus, sans constater que la mise en cause de M. X... [Jean-Claude Lafourcade], auquel M. Z...
[Patrick de Saint-Exupéry] avait imputé des faits de complicité de génocide au Rwanda à titre personnel,
découlait elle-même des résultats spécifiques de l’enquête ainsi menée, ni indiquer sur quels éléments
l’auteur avait pu légitimement se fonder pour imputer ces faits à M. X... [Jean-Claude Lafourcade], la cour
d’appel, qui s’est prononcée par des motifs généraux impropres à caractériser la bonne foi de M. Z... [Patrick
de Saint-Exupéry] s’agissant des faits imputés à titre personnel à M. X... [Jean-Claude Lafourcade], n’a pas
légalement justifié sa décision ;
« 2°) alors que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, de sorte
qu’il appartient à l’auteur de telles imputations de rapporter la preuve de sa bonne foi ; que n’est pas de
bonne foi, l’auteur d’imputations diffamatoires, qui dispose de la faculté d’entendre préalablement celui visé
par lesdits propos, afin de recueillir sa version des faits, et qui s’en abstient délibérément ; que la cour
d’appel ne pouvait dès lors légalement décider que les propos litigieux avaient été tenus de bonne foi, au
motif inopérant que la position de M. X... [Jean-Claude Lafourcade] sur les faits étaient connus à l’avance,
après avoir constaté que M. Z... [Patrick de Saint-Exupéry] s’était sciemment abstenu de l’interroger
préalablement sur les faits » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’à la suite de la publication du livre
intitulé « Complices de l’inavouable-la France au Rwanda », comportant, en page de couverture, parmi une
trentaine de noms, le général X... [Jean-Claude Lafourcade], celui-ci, estimant que ce rapprochement dans
ladite page de couverture, lui imputait explicitement d’être l’un des complices du génocide survenu au
Rwanda, alors qu’il avait assuré le commandement de l’opération Turquoise, a fait citer devant le tribunal
correctionnel, du chef de diffamation publique envers un dépositaire ou agent de l’autorité publique, M. Y...
[Laurent Beccaria], éditeur de l’ouvrage, M. Z... [Patrick de Saint-Exupéry], son auteur, ainsi que la société
éditrice ; que les premiers juges ont renvoyé les prévenus des fins de la poursuite et débouté la partie civile
de ses demandes ; que cette dernière a seule relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, par substitution de motifs, en ses seules dispositions civiles, l’arrêt
attaqué énonce, sur le sens et la portée des propos incriminés, que la composition de la page de couverture,
qui agrège le nom et le grade de la partie civile au titre de l’ouvrage, insinue que cette dernière n’est pas mise
en cause comme complice du génocide survenu au Rwanda, mais comme « complice de l’inavouable », cette
expression étant entendue par l’auteur comme renvoyant à « une politique secrète qui fut menée par Paris au
Rwanda de 1990 à 1994... décidée par quelques-uns, qui agirent en dehors de toute règle, hors de tout débat
et au prix d’importantes entorses à la légalité républicaine », la suite du commentaire qualifiant cette
politique « d’erreur criminelle » mettant en cause une trentaine de responsables et qu’une telle allégation
constitue une diffamation ;
Que, sur l’exception de bonne foi, les juges exposent que, s’agissant d’informer le public sur un
épisode récent de l’histoire rwandaise aux conséquences dramatiques et sur le rôle de la France, le but
légitime de l’article et l’absence d’animosité personnelle de son auteur ne sont pas discutés par la
partie civile, qui invoque en revanche le défaut d’éléments factuels suffisants et de prudence dans les
propos ; qu’ils relèvent que l’enquête sérieuse menée par le journaliste, présent sur les lieux au début
de l’opération Turquoise, se déduit des investigations sur place, du suivi du traitement judiciaire ou
politique des suites du génocide et des travaux de la commission parlementaire, d’audiences du
tribunal pénal international, et d’entretiens avec des militaires, des hommes politiques et des témoins ;
qu’au-delà de ces éléments, l’auteur de l’ouvrage fait état d’une prise de position argumentée et étayée
sur le rôle de l’opération Turquoise ; que les juges retiennent que le journaliste mentionne l’inertie du
commandement de l’opération Turquoise lors des événements survenus à Biserero, qu’il s’interroge
sur son retard d’intervention avant d’expliciter, notamment à travers le témoignage d’un militaire
présent sur les lieux, ayant décidé de désobéir aux ordres, les conditions du sauvetage de huit cents
Tutsis après le massacre de plusieurs milliers d’entre eux, la fin de l’introduction de l’ouvrage
précisant que cet événement fait l’objet d’une information judiciaire en cours à la suite de dépôt de
plaintes pour complicité de génocide et crimes contre l’humanité et que divers acteurs et témoins
entendus ont conclu à une volonté d’occultation ; qu’ils ajoutent qu’un entretien avec la partie civile,
10/16

par ailleurs président de l’association France Turquoise, cependant que les prévenus ont cité un
extrait de ses déclarations au journal Paris Match, non démenties par l’intéressé, n’était pas de nature
à apporter d’élément nouveau ; qu’ils relèvent, s’agissant du général X... [Jean-Claude Lafourcade],
que ses responsabilités en tant que commandant en chef de l’opération Turquoise et sa manière de les
assumer, ses prises de position au sein de l’association France Turquoise dont il est le président,
doivent, dans le cadre d’un débat d’intérêt général, pouvoir être questionnées plus librement dans un
sens conforme aux exigences de la liberté d’expression ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui caractérisent une forme de prudence dans l’expression et
l’existence d’une base factuelle suffisante, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les
dispositions conventionnelles invoquées ;
D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept février
deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon, du 27 mai 2015.

Légende
Texte surligné en gris = rappel de la motivation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 27 mai 2015.
Texte surligné en bleu = moyens de cassation invoqués par Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la
société Editions Les Arènes.
Texte surligné en vert = motifs et dispositif de la décision de la Cour de cassation du 7 février 2017 (c’est
nous qui mettons en gras).

11/16

COUR DE CASSATION, 11 JUILLET 2017 : AFFAIRE ERIC [DE STABENRATH]
Rejet du pourvoi en cassation n° 16-80935 formé par Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la
société Editions Les Arènes contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 27 mai 2015
(affaire terminée)
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000351952
96&fastReqId=2028545880&fastPos=1

Références
Cour de cassation, chambre criminelle
Audience publique du 11 juillet 2017
N° de pourvoi: 16-80935
Non publié au bulletin
Rejet
M. Guérin (président), président
Me Carbonnier, SCP Richard, avocat(s)

Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Patrick X... [de Saint-Exupéry],
- M. Laurent Y... [Beccaria],
- La société les Editions des Arènes,
contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS [erreur il s’agit de LYON], chambre 2-7, en date du 27 mai 2015,
qui, sur renvoi après cassation (Crim., 20 mai 2014, n° 13-82. 831), dans la procédure suivie contre
M. Laurent Y... [Beccaria], M. Patrick X... [de Saint-Exupéry] et la société Editions des Arènes, du chef de
diffamation publique envers un dépositaire ou agent de l’autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 20 juin 2017 où étaient présents dans la formation
prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Straehli, conseiller
rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de Me CARBONNIER, de la société civile
professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAGAUCHE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire en demande, commun aux demandeurs, et le mémoire en défense produits ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’à la suite de la publication du livre
intitulé « Complices de l’inavouable-la France au Rwanda » qui comportait, en page de couverture, parmi
une trentaine d’autres, la mention de son nom, le général de Z... [Stabenrath], estimant que ce rapprochement
lui imputait explicitement d’être l’un des complices du génocide survenu au Rwanda en 1994, a fait citer
devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un dépositaire ou agent de l’autorité
publique, M. Y... [Laurent Beccaria], éditeur de l’ouvrage, M. X... [Patrick de Saint-Exupéry], son auteur,
ainsi que la société éditrice ; que les premiers juges ont renvoyé les prévenus des fins de la poursuite et
débouté la partie civile de ses demandes ; que cette dernière a seule relevé appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation :
Vu l’article 567-1-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que le moyen n’est pas de nature à être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des
12/16

droits de l’homme, 29, 30, 31, 65 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a rejeté le moyen de procédure tiré de
l’incompatibilité des dispositions de l’article 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la
presse et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
« aux motifs que, sur l’incompatibilité de la prévention avec l’article 10 de la Convention européenne des
droits de l’homme que la citation vise le délit de diffamation publique prévu et réprimé par les articles 29
alinéa 1, 30 (s’agissant de la peine) et 31 de la loi du 29 juillet 1881, en ce qu’il vise la partie civile en sa
qualité d’officier de l’armée française ayant servi au Rwanda en 1994 ; que si l’exercice de la liberté
d’expression est garanti par l’article 10. 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, “l’exercice
de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité nationale, … à la protection de la réputation ou des droits d’autrui” ; que
l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 n’apparaît pas apporter une atteinte disproportionnée à la liberté
d’expression compte tenu de la nécessité de protéger la réputation de personnels intervenant a priori du fait
de leur mission dans des conditions difficiles et de ce que, comme statué par le tribunal, au-delà de la
personne publique diffamée, elle atteint également la confiance que les citoyens doivent pouvoir placer dans
les institutions publiques elles-mêmes ;
« alors que l’article 31, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 punit d’une amende de 45 000 euros prévue à
l’article 30, la diffamation commise, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs
membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre chambre, un fonctionnaire public, un
dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’Etat, un citoyen
chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa
déposition, tandis que la diffamation commise envers les particuliers est punie d’une amende de 12 000 euros
par application des dispositions de l’article 32 de la même loi ; que ce régime de protection accrue réservée à
certaines personnes, qui ne répond à aucun “besoin social impérieux” susceptible de justifier cette
aggravation, est contraire aux exigences de la liberté d’expression et incompatible avec les dispositions de
l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’en rejetant le moyen tiré de
l’incompatibilité des dispositions de l’article 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la
presse et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour d’appel a méconnu le
sens et la portée des textes visés au moyen » ;
Attendu que pour rejeter le moyen pris de l’incompatibilité de l’article 31, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet
1881 avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’arrêt prononce par les motifs
repris au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors qu’a été retenue l’absence de la disproportion alléguée,
la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés au moyen ;
D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des
droits de l’homme, 29, 30, 31, 43 de la loi du 29 juillet 1881, 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de
procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a constaté le caractère diffamatoire à l’égard de M. Eric de Z...
[Stabenrath] de l’association de la mention “Complices de l’inavouable – La France au Rwanda” et du nom
de la partie civile sur la page de couverture de l’ouvrage du même nom, a condamné MM. X... [Patrick de
Saint-Exupéry], Y... [Laurent Beccaria] et les Editions des Arènes à payer à M. de Z... [Stabenrath] une
somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts et a ordonné la suppression de la mention “Colonel de
Z... [Stabenrath]” sur toute nouvelle impression du livre ;
« aux motifs qu’aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, constitue une diffamation “toute
allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du
corps auquel le fait est imputé” ; que la composition de la page de couverture agrège, parmi d’autres
responsables politiques et militaires, personnes morales et même journaliste, le nom de la partie civile à la
mention : “Complices de l’Inavouable La France au Rwanda” ; que la quatrième de couverture mentionne les
commentaires relevés dans l’exposé des faits, qui reprennent des passages de l’introduction rédigée par
M. X... [Patrick de Saint-Exupéry] ; que M. De Z... [Stabenrath], intervenu au Rwanda à l’occasion de
l’opération Turquoise, n’est pas mis en cause explicitement dans la couverture critiquée comme complice du
génocide rwandais, accusation niée par les deux prévenus à l’audience, comme il voudrait le faire accroire (la
partie civile demande à la cour dans ses conclusions de dire que le rapprochement de son nom et du titre de
l’ouvrage lui impute explicitement d’être l’un des complices du génocide survenu au Rwanda en 1994), mais
en tant que complice (parmi 35 noms de personnalités ou personnes morales intervenues avant, pendant et
13/16

après cette opération) de l’inavouable, défini dans les termes susmentionnés dans l’exposé des faits, qui sont
beaucoup moins explicites, recouvrant à la fois la politique de la France d’armement du régime rwandais, de
formation militaire de ses soldats, et globalement de soutien du régime hutu, et la politique alléguée de
dissimulation de certains hommes politiques, militaires, magistrat, journaliste cités, la participation de ces
deux derniers ne pouvant par exemple s’entendre qu’au titre de la prétendue politique de dissimulation ; que
le terme d’inavouable, sauf à aboutir dans des circonstances aussi graves que celles du Rwanda en 1994 à
une impossibilité “orwellienne” de nommer les situations, doit être cantonné à la description qui en est
donnée par son auteur et ne peut être considéré comme renvoyant par une prétendue métonymie, comme
allégué par la partie civile, au qualificatif de génocide ; que les commentaires de Mme Colette A..., M.
Jacques B... ou M. Eric C..., repris en quatrième de couverture, apparaissent mettre en cause le
comportement de “la France”, l’imputation de Mme A... elle même, ne visant que des responsables français
de haut niveau, ne pouvant être considérée comme mettant en cause précisément M. De Z... [Stabenrath] et
ne visant, comme relevé par le tribunal, qu’une potentialité envisagée de manière vague tant dans le temps
qu’au regard des personnes concernées ; que la composition de la page de couverture, qui agrège le nom et le
grade de la partie civile au titre, suggère au lecteur, par voie d’insinuation, que M. de Z... [Stabenrath] figure
parmi les “complices de l’Inavouable”, notion entendue par M. X... [Patrick de Saint-Exupéry] aux termes de
la quatrième de couverture comme “une politique secrète qui fut menée par Paris au Rwanda de 1990 à
1994.., décidée par quelques-uns, qui agirent hors de toute règle, hors de tout débat et au prix d’importantes
entorses à la légalité républicaine”, la suite de ce commentaire qualifiant cette politique d’erreur criminelle
“mise au jour après le dernier génocide du XXème siècle et mettant en cause une trentaine de responsables,
hommes politiques et militaires, avec leurs porte-voix, n’hésitant pas à multiplier déclarations outrancières,
procès d’intentions et écrans de fumée” ; que cette allégation, concernant des faits suffisamment précis et
déterminés pour faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, porte atteinte à l’honneur et à la
considération de la partie civile ; qu’elle est donc diffamatoire à son égard ; que l’exception de bonne foi que
si les imputations diffamatoires sont réputées faites avec intention de nuire, elles peuvent être justifiées
lorsque l’auteur démontre sa bonne foi ; que celle-ci suppose la poursuite d’un but légitime, une absence
d’animosité personnelle, le sérieux de l’enquête et la prudence dans l’expression ; que la poursuite d’un but
légitime ne fait aucun doute, s’agissant d’informer le public sur un épisode récent de l’histoire rwandaise,
aux conséquences particulièrement dramatiques, et sur le rôle politico-militaire de la France dans ces
événements ; que l’association de l’intitulé susmentionné avec le nom du colonel M. De Z... [Stabenrath]
n’apparaît pas relever d’une animosité personnelle, qui n’est démontrée par aucun des éléments du dossier ;
qu’il convient de noter que les conclusions de la partie civile admettent que les deux premiers critères cidessus “n’appellent pas de développements particuliers” ; que la partie civile indique dans ses conclusions ne
pas contester que “le génocide des tutsis du Rwanda en 1994 et la politique de la France au Rwanda relèvent
du débat d’intérêt général”, proposition tellement évidente en l’espèce qu’elle se passe d’explicitation ;
Restent critiqués au vu des conclusions de la partie civile :
- l’absence d’éléments factuels suffisants, l’absence de prudence dans le propos ; que l’exigence d’une
enquête sérieuse que l’accusation diffamatoire doit être appréciée non seulement au regard du libellé
de l’imputation critiquée, mais également de ses éléments extrinsèques ; qu’il convient de noter que la
vérité sur les responsabilités en matière de génocide ne se fait que sur la longue durée, les différentes
parties intéressées usant de toute leurs capacités de dissimulation, de manipulation ou d’influence
pour échapper à ce verdict, les manipulations de la vérité étant d’autant plus faciles en l’espèce que
s’agissant des relations de la France et du Rwanda à l’époque des faits, l’actualité récente a démontré
que des documents étaient toujours classifiés, sans compter bien évidement ceux qui ont pu être
détruits par les différents intervenants, dans un pays complètement bouleversé par la guerre civile ;
que l’exigence d’une information fiable et précise doit s’apprécier, sauf à interdire ou restreindre de
façon drastique tout débat sur des sujets d’importance cruciale sur le plan éthique ou historique, dans
ce contexte ; qu’en l’espèce, l’enquête sérieuse se déduit notamment des investigations effectuées sur
place par le journaliste, présent sur les lieux au début de l’opération Turquoise, de son investissement
dans le suivi du traitement judiciaire ou politique des suites du génocide, lecture du dossier établi par
le juge Bruguière sur l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais, suivi des travaux de la
commission parlementaire, d’audiences du tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha,
entretiens avec des militaires, hommes politiques ou témoins de certains aspects de cette tragédie et de
son traitement subséquent sur le plan politique ou médiatique ; que le journaliste fait état au-delà des
éléments relevés par lui de ce qu’il estime être les ambiguïtés de l’opération Turquoise, et des positions
différentes exprimées au plus haut niveau politique, l’une s’en tenant à une limitation des opérations à
une action humanitaire, et l’autre visant à une assistance militaire des forces hutues, l’auteur
14/16

indiquant : que “l’opération Turquoise fut formatée pour répondre à ces deux cas de figure : elle se fit
offensive sous couvert d’humanitaire”, l’option offensive ayant été abandonnée au profit de la création
d’une zone humanitaire sûre, visant à sanctuariser la zone encore tenue par les hutus ; qu’il s’agit
compte tenu de l’extrême difficulté d’établir en l’espèce une vérité certaine, qui ne se fera jour qu’avec
le temps, d’une prise de position argumentée et étayée, conforme aux exigences de la liberté
d’expression dans le cadre d’un débat d’intérêt général ; qu’il convient d’ailleurs de noter que les
parties civiles ne mettent pas en cause le contenu de l’ouvrage (qui est pour l’essentiel la reproduction
de celui paru en 2004, qui n’avait pas suscité de procédure, notamment de diffamation), mais sa seule
première de couverture, à travers l’association entre leurs noms et la mention : Complices de
l’inavouable-la France au Rwanda ; que cependant, la bonne foi doit s’apprécier au regard de la
personne visée par les propos diffamatoires ; que force est de constater que mise à part une citation en
page 21 de l’ouvrage, qui le mentionne comme un des militaires dont M. Pierre D... indique dans son
livre qu’ils seraient mis en cause par les propos de M. Bernard E... ayant fait état de faute politique ou
d’erreurs criminelles à propos de l’attitude de la France au Rwanda, et d’une note en bas de page 21
de l’ouvrage indiquant qu’il aurait participé en 2008 avec d’autres officiers supérieurs à deux
audiences à l’Elysée avec le conseiller diplomatique de la Présidence, le rôle de M. De Z... [Stabenrath]
n’est pas du tout explicité dans le livre, tant en ce qui concerne son action lors de l’opération
Turquoise que lors des débats ultérieurs ; que les éléments relevés dans le présent paragraphe sont
nettement insuffisants pour permettre la mise en cause sous la dénomination de complice de
l’inavouable telle que définie par le journaliste du colonel M. De Z... [Stabenrath] ; que le bénéfice de
la bonne foi ne peut être retenu au bénéfice des prévenus ; qu’il ne saurait être argué ce de que M. X...
[Patrick de Saint-Exupéry] n’aurait pas participé à la mise en page des deux pages de couverture qui
serait réservée par contrat à son éditeur, l’auteur ne pouvant s’exonérer de sa responsabilité en tant
que complice de diffamation qu’en démontrant qu’il n’a ni voulu, ni permis que les propos fussent
publiés sous son nom et sous sa signature ; que cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce ; que
M. X... [Patrick de Saint-Exupéry] et M. Y... [Laurent Beccaria] doivent être considérés comme ayant
commis une faute au préjudice de M. De Z... [Stabenrath] dans la limite des faits de diffamation
reprochés ; que sur le préjudice que M. De Z... [Stabenrath] est cité en petits caractères dans la page de
couverture de l’ouvrage, dont seule une lecture attentive et exhaustive peut attirer l’attention sur sa présence ;
que la défense a indiqué sans être démentie que l’ouvrage a été tiré à 3 000 exemplaires ; qu’il y a lieu
compte tenu de ces éléments d’évaluer le préjudice moral résultant de l’imputation litigieuse à la somme de
5 000 euros ; que les deux prévenus et la société Les Editions Des Arènes, civilement responsable, seront
condamnés solidairement à payer cette somme à la partie civile ;
« 1°) alors qu’est diffamatoire l’allégation ou l’imputation d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ; que ne saurait être jugé diffamatoire la
simple juxtaposition sur la couverture de l’ouvrage en cause d’un titre (« Complices de l’inavouable »), d’un
sous-titre en caractères plus petits (« La France au Rwanda ») et les noms d’une trentaine de personnes
physiques (ancien président de la République, ministres, militaires –dont M. de Z... [Stabenrath] –,
journaliste, magistrat, etc.) ou morales (BNP, Crédit lyonnais) ; que, contrairement à ce que soutenait M. de
Z... [Stabenrath], il ne saurait être déduit de ces seules mentions que son nom et sa qualité insinuent ou lui
attribuent une quelconque complicité dans le génocide survenu au Rwanda en 1994 ; qu’en considérant que
la page de couverture, qui agrège le nom et le grade de la partie civile au titre, portait atteinte à son honneur
et à sa considération, en se référant aux termes de la quatrième de couverture, alors que ces dernières
considérations, non visées par la plainte, étaient étrangères aux poursuites, la cour d’appel a méconnu le sens
et la portée des textes visés au moyen ;
« 2°) alors, que la complicité de diffamation suppose que soient relevés contre la personne poursuivie sous
cette qualification, des faits personnels, positifs et conscients de complicité ; qu’en se bornant à relever «
qu’il ne saurait être argué ce de que M. X... [Patrick de Saint-Exupéry] n’aurait pas participé à la mise en
page des deux pages de couverture qui serait réservée par contrat à son éditeur, l’auteur ne pouvant
s’exonérer de sa responsabilité en tant que complice de diffamation qu’en démontrant qu’il n’a ni voulu, ni
permis que les propos fussent publiés sous son nom et sous sa signature », sans relever des faits personnels,
positifs et conscients de complicité, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes visés au
moyen ;
« 3°) alors que la proportionnalité de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression s’apprécie aussi à
l’aune du montant de la condamnation pécuniaire prononcée par le juge ; que moins de 2 000 exemplaires de
l’ouvrage de M. X... [Patrick de Saint-Exupéry] édité par M. Y... [Laurent Beccaria] ayant été vendus, leur
condamnation à payer à M. de Z... [Stabenrath] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts
15/16

constitue une ingérence manifestement disproportionnée dans leur droit à la liberté d’expression ; que, dès
lors, la cour d’appel a, à nouveau, méconnu le sens et la portée des textes susvisés » ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu qu’est irrecevable le grief reprochant à la cour d’appel de renvoi d’avoir statué en conformité avec
l’arrêt de cassation qui l’a saisie ;
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Attendu que pour rejeter les conclusions de M. X... [Patrick de Saint-Exupéry] invoquant son exonération de
toute responsabilité pénale à défaut d’avoir caractérisé la complicité reprochée, l’arrêt prononce par les
motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que la personne mise en cause doit, pour être exonérée de la
complicité reprochée, démontrer que la publication incriminée n’a été ni voulue ni permise par elle, la cour
d’appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen ;
Qu’ainsi, le grief n’est pas fondé ;
Sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu qu’il se déduit des énonciations de l’arrêt que les juges ont apprécié le caractère proportionné des
dommages-intérêts alloués à la partie civile ;
D’où il suit qu’irrecevable en sa première branche, le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 000 euros la somme globale que MM. Laurent Y... [Beccaria], Patrick X... [de Saint-Exupéry] et
les Editions des Arènes devront payer à M. Eric de Z... [Stabenrath] au titre de l’article 618-1 du code de
procédure pénale ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale au profit de MM. Y...
[Laurent Beccaria], X... [Patrick de Saint-Exupéry] et les Editions des Arènes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juillet
deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon, du 27 mai 2015.

Légende
Texte surligné en gris = rappel de la motivation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 27 mai 2015
(c’est nous qui mettons en gras).
Texte surligné en bleu = moyens de cassation invoqués par Laurent Beccaria, Patrick de Saint-Exupéry et la
société Editions Les Arènes.
Texte surligné en vert = motifs et dispositif de la décision de la Cour de cassation du 11 juillet 2017.

16/16

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024