Fiche du document numéro 34673

Num
34673
Date
Dimanche 10 novembre 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
558824
Pages
3
Urlorg
Titre
"J’ai vu ma mère se faire tuer", Annick Kayitesi-Jozan, survivante du génocide au Rwanda, est invitée aux Rencontres Michel Serres à Agen
Sous titre
Invitée de dernière minute aux Rencontres Michel Serres, Annick Kayitesi-Jozan témoignera ce lundi, à 11 h 30, au théâtre Ducourneau à Agen. Rescapée du génocide rwandais, l’écrivaine a traversé les ténèbres. Elle assure que la vie vaut d’être vécue.
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Jacques Attali absent, Annick Kayitesi-Jozan, accompagnée par David Djaïz, témoignera sur le génocide rwandais ce lundi au théâtre Ducourneau. Un moment fort des Rencontres Michel Serres DDM - MORAD CHERCHARI

Des barrières partout dans le pays, des frontières fermées, des tirs, des grenades, des machettes, des cris, du sang, des corps déchiquetés… Un million de morts en 100 jours. L’horreur. Le chaos. Du 7 avril au 17 juillet 1994, il y a 30 ans, le génocide des Tutsis au Rwanda a plongé le monde dans les ténèbres.

Annick Kayitesi-Jozan a 14 ans le 30 avril 1994. Ce jour-là, à Butare, son village, elle est cachée dans l’école où travaille Specioza, sa maman. Elle a déjà croisé le regard vide de « la Grande Faucheuse ». « Ma famille a connu des drames successifs », résume-t-elle en pesant chaque mot. Cinq ans plus tôt, Athanase, son père, médecin, et Apolline, sa petite sœur atteinte d’une maladie rare sont décédés dans le tragique incendie d’un hôtel en Belgique, la veille de leur retour au Rwanda.

« C’était un grand groupe d’hommes qui chantaient »



À Butare, en 1994, l’extermination a commencé le 19 avril par l’assassinat du préfet Tutsi et de ses proches par des extrémistes Hutus. Ce 30 avril, l’équivalent du CPE de l’école dévoile la cachette où se trouvent Annick, sa sœur aînée, son frère et sa mère. Au moment où ils sont découverts, elle repère le trousseau de clés de sa maman et s’en saisit. « Quand ils ont vu que je l’avais pris, ils m’ont capturé pour ouvrir les portes. Cela n’a pas de sens car ils auraient pu les ouvrir sans moi mais rien n’avait de sens à ce moment-là ». Elle assiste alors, impuissante, à la mort de sa mère, massacrée par les miliciens hutus.

« C’était un grand groupe d’hommes qui chantaient, qui étaient animés de cette idée qu’il fallait que nous disparaissions, soupire-t-elle entre deux inspirations désarmantes. Ce n’est pas quelque chose que je comprends. Ma mère n’était pas armée. Elle avait tout juste 40 ans. Elle avait tout entrepris pour nous sauver. Dans sa vie, elle ne faisait qu’essayer de nous faire grandir. Elle occupait un poste insignifiant de gestionnaire dans une petite école insignifiante pour jeunes filles ». Son frère Aimé est tué également sauvagement. Les meurtriers feront disparaître les cadavres. Comme elle, sa sœur Aline survivra.

« La télévision montrait des corps comme si c’était une forêt abattue »



Le CPE gardera Annick comme, dit-elle, « bonne à tout faire » avant qu’elle ne soit récupérée par une ONG et amenée en France. Elle étudiera les sciences politiques et la psychologie.

Annick Kayitesi-Jozan a beaucoup témoigné sur son histoire. Elle a écrit aussi deux livres. En 2004, dans Nous existons encore (Michel Lafon), elle a fait un rappel à l’humanité. « La télévision ne montrait que des corps comme si c’était une forêt abattue. Cela donnait l’impression que ces corps n’avaient jamais été vivants. Or nous étions des hommes, des femmes et des enfants, avec nos drames, nos os. Nous étions des êtres humains ». Le deuxième ouvrage Même Dieu ne veut pas s’en mêler, (Seuil) paraît en 2017.

Annick a deux enfants. À l’âge de 3 ans, sa fille lui a demandé où étaient ses parents, à elle. Elle lui a répondu qu’ils n’étaient plus là en trouvant les mots justes pour présenter les circonstances affreuses de leur départ. La petite a réagi : « Quand ils ont tué Specioza, est-ce qu’ils savaient qu’elle était ta mère ? ».

Annick raconte la suite : « Je n’ai pas menti. Elle m’a dit : c’est tellement triste. Elle a pleuré pendant des heures. Je n’étais plus l’enfant de mes parents mais le parent de mes enfants. J’ai réalisé que la situation où ma mère ne pouvait pas protéger ses enfants était abominable. Je ne peux pas imaginer ma fille vivre ce qu’on m’a fait vivre ».

« Un homme n’est pas un cafard »



Le contraste entre l’horreur qu’Annick Kayitesi-Jozan a vécue et son énergie positive est saisissant. Elle a longtemps espéré retrouver le corps des siens pour les enterrer. « C’est la seule chose qui m’habitait. J’étais resté pour accomplir ça et puis chemin faisant… ». Elle considère aujourd’hui « qu’une vie est faite pour être vécue et non pour être anéantie. C’est un droit qui est commun, donc c’est aussi le mien ».

Qu’est-ce qui la met en paix ? « J’aime l’idée que je suis en vie. Nous avons tous conscience que la vie est fragile. Sur une idée, on peut la perdre. Ce qui nous a tués au Rwanda, c’est l’idée que le Tutsi, que l’autre, était un étranger puis un cafard et les cafards, nous savons ce que nous faisons avec. Mais un homme ne peut pas devenir un cafard ». Elle se souvient d’une petite fille venue à l’école de Butare pour que la maman d’Annick la cache. « Mais ma mère avait été tuée. Ils ont vu la gamine et l’ont tué à son tour. Ils étaient quatre ». Annick affirme n’avoir jamais songé à la vengeance parce qu’elle n’est pas portée par l’idéologie de ces hommes, « pas habitée par quelque chose qui fait que ça – l’innommable –, ça devient juste ».
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024