par Marcel Kabanda, historien
Le 26 avril, Jean Glavany, président de l’Institut François-Mitterrand, estimait dans une tribune à Libération que la vérité sur le génocide au Rwanda viendrait de la confrontation dépassionnée des interprétations. Les historiens Jean-Pierre Chrétien, Vincent Duclert et Marcel Kabanda lui répondent.
Après la lecture de la tribune parue dans les colonnes de
Libération le 26 avril dernier et signée Jean Glavany, je voudrais, au nom des rescapés du génocide des Tutsis vivant en France, demander à l’auteur et à l’Institut François-Mitterrand qu’il préside, de bien vouloir faire la paix avec les êtres chers que nous avons perdus et auxquels nous tentons en ce moment, de rendre hommage pour la 30
e fois.
Pendant trente ans, vous n’avez pas eu un mot de soutien aux survivants de ce génocide, vous n’avez pas éprouvé le besoin de rendre hommage aux victimes, jugeant le mépris préférable à l’indignation de celles et ceux qui ont compris que même dans ce pays un génocide, c’est important, et qui ont éprouvé le besoin d’exprimer leur solidarité au million d’enfants, de femmes et d’hommes assassinés parce que la carte d’identité de leur père portait la mention qu’ils étaient tutsis.
Vous prenez publiquement la parole pour semer le doute dans l’opinion publique en laissant croire que la vérité sur le génocide des Tutsis pourrait faire l’objet d’un débat, oubliant la décision historique rendue le 16 juin 2006 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et selon laquelle ce génocide est un fait de notoriété publique qui n’est plus à démontrer. Sur la base de ce constat, des jugements rendus par cette juridiction onusienne et d’autres tribunaux nationaux, compte tenu de tous les rapports d’enquêtes et travaux de recherche sur ce sujet, il est consternant de lire aujourd’hui que la vérité sur le génocide au Rwanda viendra de la confrontation des interprétations.
Le fondateur du parti extrémiste reçu dans les cabinets ministériels à Paris
Lorsqu’il a rendu l’arrêt ci-dessus, le Tribunal pénal international pour le Rwanda venait de juger et de condamner pour crime de génocide, le dénommé Jean-Bosco Barayagwiza, fondateur du parti extrémiste qui s’était farouchement opposé aux accords de paix, la CDR et d’une radio, la RTLM, dont le rôle dans le déploiement des massacres, était déjà à l’époque de notoriété publique. On sait aussi, et ceci n’est pas une erreur d’interprétation des images de presse, que cet homme a été reçu dans les cabinets ministériels à Paris le 27 avril 1994, soit pendant que la campagne d’extermination des Tutsis battait son plein au Rwanda, alors que d’autres capitales européennes avaient refusé de l’accueillir.
Je ne peux terminer sans m’interroger sur vos sources d’information. Avez-vous eu la curiosité de lire les témoignages des rescapés ? Ils sont une mine d’informations. Par ailleurs, connaissant le nombre des publications et la qualité de la recherche françaises sur le sujet, je suis toujours étonné de la tendance d’aucuns à vouloir nous en écarter et à nous renvoyer, comme vous le faites, à ce qui se dit ou s’écrit en dehors de chez-nous. Ceci est d’autant plus dérangeant que nous sommes régulièrement renvoyés à des auteurs dont la connaissance du Rwanda est relative et qui brillent par le parti pris et/ou le déni.
Que l’on me comprenne bien. Je n’ai pas dit
«Ite missa est», signifiant littéralement
«allez, on vous renvoie». Le travail de recherche en vue du dévoilement complet du processus qui a conduit au pire, de l’évaluation des conséquences sur la santé des populations et sur la sécurité de la région, ainsi que l’enquête sur la chaîne et l’étendue des responsabilités, doivent se poursuivre. Nous le devons aux victimes, aux générations de demain et à l’esprit.
Merci de nous laisser finir en paix la 30
e commémoration.