Citation
Le 12 juillet 1994, le Service avait déjà émis une hypothèse qui, deux mois plus tard, lui semble toujours plausible. Cette hypothèse, appuyée sur les témoignages d'une personnalité politique hutue modérée, tendrait à désigner les colonels Bagosora, ancien directeur de cabinet du ministre de la Défense, et Serubuga, ancien chef d'état-major des Forces armées rwandaises (FAR), comme les principaux commanditaires de l'attentat du 6 avril 1994.
Tous deux natifs de Karago à l'instar du défunt président Habyarimana, ils se sont longtemps considérés comme les héritiers légitimes du régime. Leur mise à la retraite, prononcée en 1992 par le président Habyarimana alors qu'ils espéraient obtenir le titre de général, avec les avantages afférents, a été à l'origine d'un lourd ressentiment et d'un rapprochement remarqué auprès de Mme Agathe Habyarimana, veuve du président et considérée comme l'un des principaux cerveaux de la tendance radicale de l'ancien régime (1).
I- ROLE DU COLONEL BAGOSORA AU MOMENT DE L'ATTENTAT
Selon un officier des anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR), une activité inhabituelle était perceptible, au début du mois d'avril 1994, peu avant l'attentat, dans les garnisons de la capitale. Par ailleurs, le colonel Bagosora, directeur de cabinet du ministre de la Défense, aurait, dès l'annonce du drame, tenté, mais en vain, de prendre les affaires en main.
Le 1er avril 1994, aurait été signée une note autorisant le transfert logistique de carburant, d'armes collectives et de munitions, en quantités bien supérieures à la moyenne, depuis le camp militaire de Kanombe vers le camp de Kimihurura occupé par la Garde Présidentielle (GP). Deux compagnies de parachutistes (environ 300 hommes) ont été, dans le même temps, transférées de Kanombe à Kimihurura. Les déplacements se sont déroulés en toute discrétion, afin d'éviter les contrôles de la Mission d'Assistance des Nations Unies au Rwanda (MINUAR). Selon cet officier, ce renforcement exceptionnel était destiné à permettre à la GP, désormais seule au camp de Kanombe, d'exécuter son oeuvre, le 6 avril, tout en laissant son camp de Kimihurura sous la protection des parachutistes. Le camp de Kimihurura était, en effet, situé à proximité immédiate du Conseil National de Développement (CND-Parlement), où se trouvaient les 600 hommes du bataillon de protection du Front Patriotique Rwandais (FPR).
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(1) Mme Habyarimana se distinguait essentiellement de son mari par une opposition viscérale à l'esprit des accords d'Arusha et à tout partage du pouvoir avec le Front Patriotique Rwandais (FPR)
Outre les réunions officielles de la hiérarchie des FAR, des réunions restreintes se sont déroulées, à Kanombe, peu après l'attentat. Le colonel Bagosora, absent à ce moment-là, aurait alors tenté de réclamer sa place au sein du ``comité de crise'', mis en place dès le 7 avril 1994. Assisté d'une dizaine de jeunes officiers récemment promus, le général Rusatira, commandant de l'Ecole Supérieure Militaire de Kigali, qui a ensuite pris ses distances avec l'ancien gouvernement, l'en aurait empêché. Le colonel Bagosora, à la suite de ce revers, aurait rappelé tous les officiers en retraite sous les drapeaux, afin d'obtenir leur soutien. Des membres de la délégation présidentielle, restés à Dar-es-Salam après l'annonce de l'attentat, ont également témoigné que le colonel Bagosora avait tenté de s'imposer comme le nouvel homme fort au Rwanda.
II - ELEMENTS SUR LE RESEAU ZERO
Constitué de radicaux hutu, originaires du nord, civils et militaires, proches de la famille présidentielle et opposés à toute évolution démocratique au Rwanda, le ``réseau Zéro'', ou ``Akazu'', est soupçonné d'être au centre du complot qui a abouti à l'attentat du 6 avril 1994 et d'être responsable de la planification systématique des exactions.
La plupart des témoignages permettant de révéler l'existence d'une telle organisation clandestine reposent sur les déclarations de l'ancien procureur de Kigali M. Alphonse Nkubito, devenu ministre de la Justice du nouveau régime. Ce dernier, par ses révélations à une délégation de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH), au début de l'année 1993, est le principal responsable de la mise à jour de cette structure parallèle, évoluant au plus haut niveau de l'Etat et bénéficiant autant de sa protection que de ses infrastructures. À la suite de ses dénonciations, M. Nkubito avait été désigné par M. Habyarimana comme l'un des principaux ennemis du régime. Sans que des preuves formelles aient jamais pu être apportées, d'autres personnalités dignes de foi ont fait état des implications du ``réseau Zéro''.
Ce dernier se serait constitué en 1991, lors d'une réunion à laquelle participaient des officiers et les membres du directoire du Mouvement Républicain National pour la Démocratie (MRND). Invités à se prononcer sur les conséquences de la démocratisation, les participants auraient conclu que si le président Habyarimana acceptait le partage du pouvoir, celui-ci reviendrait aux Hutu du sud. La possibilité d'un coup d'Etat visant à renverser M. Habyarimana, pour lui substituer un autre officier originaire de Gisenyi, aurait alors été évoquée.
Une liste recensant les noms des principaux commanditaires des exactions a circulé, durant ces derniers mois, au Rwanda. Elle aurait été élaborée, essentiellement, sur les indications de M. Alphonse Nkubito. Plusieurs officiers figurant sur cette liste bénéficieraient de la protection de Mme Agathe Habyarimana et de son frère, Protée Zigiranyirazo, alias ``monsieur Z'', tous deux désignés comme étant les véritables cerveaux de l'organisation. Ce groupe, surnommé les ``colonels de Madame'', est parfois désigné comme le principal commanditaire de l'attentat ayant coûté la vie au président Habyarimana le 6 avril 1994.
Cette opération aurait été préméditée de longue date par les extrémistes hutu. L'assassinat de ministres de l'opposition modérée et de Tutsi moins d'une demi-heure après l'explosion du Falcon présidentiel, confirmerait le haut degré de préparation de cette opération.
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(1) Il s'agit des colonels Bagosora, Serubuga, Nkundiye et Anatole Nsengiyumva.
L'assassinat, en 1991, du colonel Mayuya, communément présenté comme le dauphin de l'ex-président, lui serait également imputé. Mme Habyarimana détestait cet officier favorable à la démocratisation.
Dans les années qui ont précédé l'attentat contre le président Habyarimana, les opérations généralement menées par les ``escadrons de la mort'', véritable bras armé du ``réseau Zéro'', ont visé à déstabiliser les principaux partis d'opposition, à provoquer des désordres, voire même des affrontements sanglants, dans le but principal de saboter le processus de démocratisation et l'application des accords d'Arusha.
Outre la perturbation organisée de nombreuses réunions politiques de l'opposition, le ``réseau zéro'' est fortement suspecté d'avoir encouragé, à plusieurs reprises, le développement des haines interethniques, dans le seul but de suspendre toute évolution politique susceptible de retirer une partie du pouvoir des mains des Hutu du nord. Les exactions, perpétrées au mois de janvier 1993, dans l'est du pays, par les milices armées hutu du Mouvement Républicain National pour la Démocratie (MRND) et de la Coalition pour la Défense de la République (CDR), avec la complicité de certaines autorités locales, ont été, pour une grande part, à l'origine de la reprise des combats par le Front Patriotique Rwandais (FPR), au mois de février 1993.
Les personnes concernées par ces accusations (Cf. Annexe) ont toujours nié toute implication personnelle et dénoncé jusqu'à l'existence même des ``escadrons de la mort'' qui opèrent dans la clandestinité. Toutefois, un fort faisceau de présomptions et de faits troublants permet d'accorder un certain crédit à ces accusations. Par ailleurs, la prestation télévisée du colonel Bagosora, membre du réseau ``Zéro'', interrogé par les journalistes de l'émission ``La marche du siècle : Etats d'urgence'' (France 3, le 21 septembre 1994), devenu particulièrement menaçant à la suite de questions directes concernant sa responsabilité dans l'origine des massacres, en dit long sur le personnage et ses motivations.
ANNEXE
PRINCIPAUX MEMBRES DU ``RESEAU ZERO''
Selon divers témoignages recoupés, la liste (non exhaustive) de ses membres, arrêtée au début de l'année 1993, serait la suivante :
- M. Joseph Nzirorera, ancien ministre, ancien député de Ruhengeri ;
- M. Protée Zigiranyirazo, alias monsieur ``Z'', ancien préfet de Ruhengeri, beau-frère du président. Expulsé du Canada au mois de mars 1993, après avoir proféré des menaces de mort à l'encontre d'expatriés tutsi, M. Zigiranyirazo a également été mis en cause par le quotidien ``La libre Belgique'' pour avoir été l'instigateur d'un réseau de contrebande de gorilles. A ce titre, M. Nick Gordon, journaliste britannique, auteur de l'ouvrage ``Meurtres dans la brume'', n'avait pas hésité à soutenir et à démontrer que monsieur ``Z'' était à l'origine du meurtre mystérieux de Diane Fossey, reporter de la fondation National Geographic Society, dans les volcans du nord-ouest ;
- M. Séraphin Rwabukumba directeur de la société ``la Centrale'', beau-frère du
président ;
- Colonel Laurent Serubuga, ancien chef d'état-major adjoint des forces
gouvernementales ;
- Colonel Elie Sagatwa, chef de l'état-major particulier du président Habyarimana, beau-frère du président, décédé le 6 avril 1994, lors de l'accident du Falcon présidentiel ;
- Mme Chantal Rushingabigwi ;
- M. Alphonse Ntirivamunda, directeur des Ponts et Chaussées ;
- Capitaine Pascal Simbikangwa, fonctionnaire de la Présidence, beau-frère du
colonel Sagatwa, suspecté d'avoir torturé de nombreuses personnes ;
- Colonel Bagosora, directeur de cabinet au ministère de la Défense ;
- M. Boniface Rucagu, député de Ruhengeri ;
- Major Léonard Nkundiye, commandant de la Garde Présidentielle ;
- Colonel Anatole Nsengiyumva, chef des Renseignements militaires.