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Paul Rusesabagina a été condamné à une peine de vingt-cinq ans de prison, lundi 20 septembre, par le tribunal de Kigali. Jugé depuis février, l’ancien directeur de l’hôtel des Mille Collines, devenu un farouche opposant au président Paul Kagame, a été reconnu coupable d’avoir financé et soutenu un groupe terroriste. S’il a confirmé sa participation à la création des Forces de libération nationale (FLN), branche armée du Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), responsables d’attaques qui ont fait neuf morts en 2018 et 2019 dans le sud-ouest du Rwanda, Paul Rusesabagina a rejeté toute implication dans ces crimes.
Depuis mars, l’opposant de 67 ans, qui comparaissait avec 17 autres accusés, boycottait, avec ses avocats, les audiences du tribunal, dénonçant un procès « politique » rendu possible par son « enlèvement » organisé par les autorités rwandaises. Dans l’enquête, menée par le Rwanda en collaboration avec les autorités judiciaires belges, il apparaît comme « l’un des principaux financiers du FLN », qu’il reconnaît avoir « soutenu à hauteur de 20 000 euros ».
Paul Rusesabagina a été rendu célèbre par le film Hôtel Rwanda, sorti en 2004, qui raconte comment le directeur de l’hôtel des Mille Collines a sauvé plus de 1 200 Tutsi pendant le génocide qui a fait entre 800 000 et 1 million de morts d’avril à juillet 1994. A l’écran, le Hutu apparaît comme un « Juste » qui prend de nombreux risques pour sauver des vies, notamment en soudoyant des miliciens interahamwe – auteurs de nombreux massacres – afin qu’ils épargnent les réfugiés dans son hôtel. Mais cette version a, depuis, été contestée par de nombreux témoignages.
Après le Rwanda, qu’il a quitté en 1996, Paul Rusesabagina a vécu entre les Etats-Unis et la Belgique, pays dont il a acquis la nationalité. Proche des mouvements d’opposition en exil, il a fondé en 2017 le MRCD. « L’accord que nous avons signé pour former le MRCD comme une plateforme politique incluait la formation de ce bras armé [le FLN], a-t-il reconnu au début de son procès. Mais mon rôle était de travailler pour cette plateforme politique et j’étais chargé de la diplomatie. » Le FLN a déjà revendiqué plusieurs attaques dans la région de Nyungwe, frontalière du Burundi et de la République démocratique du Congo (RDC). Il a notamment fomenté un attentat contre des bus de passagers, faisant deux morts et huit blessés.
« Ruse policière »
L’arrestation de Paul Rusesabagina, en août 2020, s’était déroulée dans des conditions controversées. Le gouvernement rwandais a reconnu avoir « facilité » le voyage vers Kigali de l’opposant « en payant une personne qui travaille de longue date avec lui » afin qu’il embarque à Dubaï à bord d’un jet privé qui était censé l’amener au Burundi. Mais l’avion a finalement atterri à Kigali, où, quelques minutes après l’atterrissage, l’opposant a été arrêté par les autorités. Dans une motion adoptée en février, le Parlement européen a évoqué « un kidnapping » et réclamé une enquête internationale. « Ce n’est pas un kidnapping mais une ruse policière qui a permis l’interpellation de M. Rusesabagina, explique une source proche des autorités rwandaises. Ce sont aussi des ruses qui ont permis d’arrêter le terroriste Carlos, le leader kurde Abdullah Ocalan et des dizaines de narcotrafiquants. »
Le Rwanda est actuellement dans le collimateur de plusieurs ONG de défense des droits humains. « Plusieurs critiques de premier plan ont été arrêtés ou menacés et les autorités omettent régulièrement de mener des enquêtes crédibles sur les cas de disparitions forcées », indique Human Rights Watch dans son dernier rapport.
« Le verdict [du procès de mon père] a été décidé par Paul Kagame. Je ne suis pas surprise du tout, on s’attendait exactement à ça », a déploré Carine Kanimba, fille de Paul Rusesabagina. Selon une enquête menée par différents médias internationaux, dont Le Monde, en collaboration avec Forbidden Stories et Amnesty International, le téléphone de l’opposant aurait été infecté par le logiciel de cybersurveillance Pegasus.