Résumé
Historian Raphaëlle Branche, President of the Association of Contemporary Historians of Higher Education and Research (ANCESR), Céline Guyon, President of the Association of French Archivists (AAF), and Pierre Mansat, President of the Association Josette and Maurice Audin (AJMA), warn about the consequences of the intelligence and internal security bill on the constitutional right of access to archives.
Citation
"Alors que le président de la République affirme que l'accès aux archives est un impératif démocratique, le projet de loi renseignement et sécurité intérieure organisera leur fermeture. Ce projet comporte une réforme radicale qui réservera à l'administration les règles d'accès aux archives en en dessaisissant le Parlement. Voter ce texte en l'état serait un recul historique sans précédent.
A l'opposé de l'ouverture annoncée des archives, la loi organisera leur fermeture
Les archives sont un gage de la bonne santé démocratique et non de vieux papiers n'intéressant que quelques érudits et historiens. En France, l'accès aux archives publiques est un droit constitutionnellement garanti depuis 1789 : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration." Or, depuis bientôt deux ans, l'application excessive d'un texte réglementaire entrave considérablement cet accès, justifiant deux recours devant le Conseil d'Etat. Plutôt que d'abroger cette réglementation, le président de la République a annoncé vouloir modifier la loi. Un texte sera présenté avant l'été au Parlement, dans le cadre du débat autour de la loi renseignement et sécurité intérieure. Le ton est donné d'emblée : à l'opposé de l'ouverture annoncée des archives, la loi organisera leur fermeture. Une fermeture inédite et massive!
Ici comme ailleurs, le diable est dans les détails. En apparence, rien ne change : tout document mettant en cause les intérêts fondamentaux de l'Etat dans la conduite de la politique extérieure, la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique restera incommunicable jusqu'à cinquante ans après sa production, comme le prévoit la loi actuelle. En réalité, c'est la manière de calculer ce délai que le gouvernement veut modifier. Le point de départ des cinquante ans ne sera plus la date du document (critère connu et explicite), mais la "fin d'utilisation" de certains locaux ou "capacités opérationnelles" à la libre appréciation de l'administration.
Contre le risque d'arbitraire, nous appelons à une définition transparente des règles d'accès aux archives
Les effets de ce changement seront-ils proportionnés au but recherché? Bombarder une cible depuis un aéronef, débarquer sur un littoral et larguer des parachutistes sont des "capacités opérationnelles" toujours employées par les armées. Attendre cinquante ans "à compter de la fin de leur utilisation" reviendra de facto à empêcher toute étude historique sur les bombardements aériens de la Première Guerre mondiale, les débarquements de la Seconde et le saut des parachutistes français sur Diên Biên Phu! Plus grave, l'administration définira seule et sans contrôle démocratique les délais après lesquels les documents deviendront accessibles aux citoyens. Tel plan de gare, tel journal d'unité mentionnant les armes utilisées en 1940 ou telle conversation diplomatique sur la protection de la RFA par la dissuasion française à la fin des années 1960 pourront par exemple être soustraits des ressources consultables. Rien n'empêchera une décision fondée sur des impératifs opportunistes à courte vue.
Nous en sommes convaincus : pour sa sécurité, la France doit pouvoir conserver des informations secrètes. Mais, comme dans toutes les grandes démocraties, elle doit aussi garantir les libertés publiques, dont le droit constitutionnel d'accéder aux archives. C'est pourquoi, contre le risque d'arbitraire, nous appelons à une définition transparente des règles d'accès aux archives : toute restriction doit être limitée dans le temps et définie par des critères clairs et sans ambiguïté."