Sous titre
Plusieurs mois avant le déferlement des tueurs rwandais sur tout le pays, déclenché le 6 avril dernier, Radio-Mille Collines et les milices gouvernementales appelaient à « couper les têtes des Tutsis ».
Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.
« LES masses populaires se soulèveront avec l'appui de l'armée, et il y aura beaucoup de sang qui sera versé. Que Roméo Dallaire (le général canadien commandant des forces de l'ONU présentes au Rwanda) et la MINUAR se le tiennent pour dit »…
Cette déclaration est extraite de la revue « Kangura », éditée par la Coalition de défense de la république (CDR), la composante la plus extrémiste du gang gouvernemental. Précision : il s'agit d'un article paru dans son numéro de janvier dernier, donc avant la mort, le 6 avril, du général Habyarimana, qui fournit le prétexte aux assassinats politiques et aux massacres perpétrés par la garde présidentielle, les milices gouvernementales et une partie des forces armées rwandaises. Le titre était sans ambiguïté : « Qui sera rescapé de la guerre de mars ? » La prophétie ne se trompait donc que de quelques jours. La tuerie a commencé à Kigali au cours de la nuit du 6 au 7 avril. Dès le jour suivant, elle se généralisait au pays dans son ensemble.
De telles annonces n'avaient cessé de se multiplier au cours de l'année 1993. Souvent même avant : « Il faut couper les têtes des Tutsis et que, par un court chemin qui est le Nil, ils retournent ainsi chez eux en Abyssinie », avait ainsi déclaré, fin 1992, Léon Mugesera, dirigeant du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND - l'organisation de Habyarimana), au cours d'un meeting public. Il annonçait ainsi les dizaines de milliers de cadavres charriés par la rivière Akagera jusqu'au lac Victoria, proche de Kampala, la capitale ougandaise.
Début 1994, Radio-Mille Collines, émettant depuis Kigali, diffusait de véritables appels au génocide à travers ses diverses émissions. Elle a continué depuis : le signal des massacres de Butare, ville préfecture située au sud de Kigali, a été très ouvertement donné sur les ondes de cette radio par un porte-parole du « gouvernement intérimaire » autoproclamé.
Parler de commission d'enquête sur les responsabilités des massacres, comme viennent de le faire l'ONU et certaines capitales européennes, est en soi une chose positive, encore convient-il de ne pas feindre une naïveté qui ne saurait être de mise. Le génocide n'est pas survenu comme un coup de tonnerre dans un ciel jusqu'alors serein : les chefs des assassins avaient balisé le terrain et abondamment prévenu de leurs intentions criminelles. A la seule exception, semble-t-il, des officiers commandant les casques bleus, tout le monde au Rwanda savait que le clan gouvernemental préparait un bain de sang pour contrecarrer les accords d'Arusha, conclus l'été 1993 et qui prévoyaient la transition vers un régime démocratique.
JEAN CHATAIN