Citation
Ancien des forces spéciales, le général Didier Tauzin publie un livre : « Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats », aux
éditions Jacob-Duvernet. Il m'a demandé d'écrire la préface de son livre engagé, ce que j'ai accepté avec plaisir. La voici intégralement.
Voici l'ouvrage d'un homme blessé. Je me souviens encore de cette soirée d'été, lorsque Didier Tauzin, croisé par hasard place de la Concorde, me confia, avec son éternelle pipe au bec, son désarroi et sa colère contre nous, les journalistes. Quelques mois plus tôt, comme il le raconte ici, sa fille lui avait demandé s'il avait été un génocidaire, alors que les articles, citant son nom, se multipliaient dans la presse.
Comment pouvait-il se défendre, lui, simple colonel ? Il ne put le faire et pendant des années supporta, tant bien que mal, les accusations contre lui. Il lui a fallu plus de quinze ans pour oser dire tout haut ce qu'il avait sur le coeur : c'est ce livre. A la fois témoignage et coup de gueule, il faut le lire pour ce qu'il est.
Les spécialistes de l'histoire et de l'anthropologie du Rwanda trouveront sans doute à y redire, ici ou là. Qu'importe ! Didier Tauzin n'a pas écrit un livre savant, désincarné. C'est d'un homme dont il s'agit, pur produit de l'armée française telle qu'elle est, avec ses grandeurs et ses naïvetés.
Didier Tauzin, qui commandait le prestigieux 1er RPIMa se trouva plonger dans le drame rwandais, avec les ordres suivants : « Faire pour le mieux dans la situation du moment »!
Dit plus directement : démerdez-vous... On comprend que, quinze ans plus tard, la coupe déborda quand il eut, lui et ses camarades d'alors, le sentiment d'être lâché par les autorités françaises, lorsqu'un rapport commandité par le Rwanda le couvrit de « calomnies et d'injures »: « Nous sommes accusés d'avoir formé les assassins. Nous sommes accusés d'avoir participé aux massacres ! » Ce livre entend remettre les pendules à l'heure. Didier Tauzin raconte ce qu'il a fait au Rwanda ; c'est précieux. Il est rare qu'un officier des forces spéciales décrivent la réalité d'une opération sur le terrain, surtout lorsque cette opération n'était pas sensée exister !
D'opérations, il y en eut en réalité deux, en 1993 puis en 1994. Au total, à peine deux mois passés sur le terrain. La première opération, faussement baptisée « Chimère » par la presse – elle s'appelait en réalité « Birunga », ce qui est nettement moins romanesque – visait à sauver un régime ami de la France, celui du président hutu Habyarimana, menacé par les rebelles tutsi du futur président Kagamé.
Tauzin, avec quelques dizaines d'hommes, va encadrer et, de fait, prendre le commandement de l'armée rwandaise en pleine déroute. Il parvient à stopper l'offensive rebelle sur un front de 250 kilomètres, mais se voit interdire la contre-offensive par Paris. « Il a été écrit que mon détachement avait directement participé aux combats. C'est faux. Nous n'avons jamais fait usage de nos armes autrement que pour nous défendre. Nous sommes restés dans notre rôle de conseiller » assure-t-il. Le colonel Tauzin retourne au Rwanda, l'année suivante, dans le cadre de l'opération Turquoise. Le génocide est alors en cours et il commande un groupe de forces spéciales à l'avant-garde du dispositif français.
Quelques dizaines d'hommes isolés dans un pays en pleine folie ! Tous rentreront profondément marqués par ce qu'ils ont vu. Quant à ce qu'ils y ont fait, doivent-ils en avoir honte ? Comme beaucoup d'autres, Tauzin ne le pense pas, bien au contraire. Mais la vraie question, n'est-elle pas de s'interroger sur ce qu'ils n'ont pas fait, c'est-à-dire mettre fin aux massacres, parce que la communauté internationale ne leur en a jamais donner les moyens ? Témoignage précieux, mais aussi coup de gueule d'un homme meurtri. Avec tous les excès que la colère peut susciter, comme cette charge contre « le parti de l'étranger », ces militants - journalistes ou autres – qui instruisent à charge contre l'armée française et à décharge contre le régime actuel du Rwanda.
Passion contre passion ! Mais comme l'écrit très justement Didier Tauzin, « la vérité existe » mais « ses facettes sont multiples ».
Peu à peu, une image plus objective de la réalité se construit, grâce en particulier aux travaux de l'universitaire André Guichaoua ou du journaliste Pierre Péan, dont le dernier livre « Carnages » oblige à remettre en cause la grille de lecture commode qui organise le monde entre « victimes » et « méchants ». Le livre de Tauzin, après celui du général Lafourcade, y contribue. Qu'il soit enfin permis à l'auteur de cette préface de donner son sentiment personnel. La politique de la France au Rwanda fut-elle la bonne ? Il y a lieu d'en débattre et même d'en douter. Dans une démocratie, les citoyens ont non seulement le droit, mais le devoir, de s'interroger sur la politique extérieure de leur pays. Tout autre est la question posée par ce livre : des militaires français sont accusés de génocide et de crimes contre l'humanité, c'est-à-dire de s'être comporté comme des Waffen SS !
Ne pas réagir, lorsqu'on est responsable politique, journaliste ou simple citoyen, c'est donner crédit aux accusateurs. Ne craignons donc pas de l'affirmer : jusqu'à preuve du contraire, pas plus Didier Tauzin que les autres militaires français dépêchés dans l'enfer rwandais par les autorités élues de notre pays, n'ont manqué à l'honneur. Ils réclament aujourd'hui justice. Rendons-leur.
Samedi 2 Avril 2011
Jean-Dominique Merchet