Fiche du document numéro 9799

Num
9799
Date
Vendredi 10 juin 1994
Amj
Taille
5073081
Titre
Un avion au bord de la piscine
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Un avion au bord de la piscine

L‘hebdomadaire « Jeune Afri-
que » était vraiment la bible
de la famille Habyarimana : à
tous les étages, on en trouve
des numéros. Il est vrai qu'un
exemplaire du « Soir » aussi traî-
ne dans la maison. La villa
présidentielle, tout au bout du
camp militaire de Kanombe, est
aujourd'hui gardée par un soldat
du FPR qui accompagne les
étrangers dans ce qui deviendra
peut-être un jour une visite gui-
dée. Quel luxe! S'exclame le
jeune homme, qui vient de pas-
ser trois ans dans la brousse.

C'est vrai et faux à la fois. Vrai,
car la maison est spacieuse, de
quoi héberger le couple prési-
dentiel et ses neuf enfants, elle
recèle de nombreux souvenirs
des 17 années de règne du chef
de l'Etat: des lances, des tro-
phées des défenses d'élé-
phants, des certificats du Word
Wildlife Fund pour la défense
des gorilles de montagne, des
souvenirs de visites officielles,
d'innombrables images pieuses,
ainsi que cette sentence, sur un
grand panneau accroché dans
l salle à manger « Christ est le
chef de cette maison. Hôte invi-
sible présent à chaque repas,
auditeur silencieux de toute con-
versation. »


Il y a des récepteurs de télé-
vision, des vidéos (l'un de nos
guides, subrepticement, en glis-
sera un dans son sac militaire.)
des CD de musique classique.
La villa cossue n'est cependant
pas un palais et à côté de Gba-
dolite ou de Yamoussoukro, elle
est plutôt modeste, familiale.
Tout en tout cas y atteste de la
précipitation du départ : des no-
manuscrites, des adresses,
se trouvent toujours à côté du
téléphone dans la chambre de
Jean-Pierre, le fils du président.
Des tiroirs vides montrent que
certains documents ont été em-
portés à la hâte, mais des feuil-
lets traînent encore. Dans les
salles de bains, des déshabillés
sont jetés sur le sol, les objets
de toilette sont encore familière-
ment posés sur les armoires,
des souliers sont plantés au mi-
lieu de la chambre à coucher
toute blanche, des boîtes de
parfum ont été vidées.

La garde présidentielle, qui se
trouvait près de la villa, a pillé
après le départ de la famille,

Percutant le mur, l'avion est tombé dans la propriété du président. Photo « Le Soir ».

explique le soldat du FPR. Ils ont
sali les lieux, fait—il observer,
choqué par les excréments qui
jonchent le seul du salon et la
cuisine, par le désordre généra-
lisé. Il relève même que cette
belle villa devrait être remise en
état, afin de servir de résidence
officielle aux visiteurs du Rwan-
da de demain. En attendant, les
eaux croupies de la piscine dé-
gagent une odeur nauséabon-
de, un superbe paon nous re-
garde d'un air dédaigneux et
surtout, à quelques mètres des
fauteuils de jardin, des para-
sols, le mur d'enceinte est en-
foncé. Pulvérisé par la carcasse
de l'avion du président. L'appa-
reil en flammes a survolé une
bananeraie au-delà de la pro-
priété, puis a enfoncé le mur.

Le Mystère Falcon offert par la
France est noirci par l'incendie,
les sièges des passagers ne
sont plus reconnaissables, mais
le livre de bord traîne encore
dans l'herbe, à moitié brûlé. Où
est la boîte noire, qui pourrait

aider les enquêteurs à détermi-
ner la nature et l'origine de la
roquette qui a descendu l'avion
alors que, sur l'aéroport tout
proche, les lumières de la piste
s'étaient brusquement étein-
tes ? Nous, en tout cas, on ne la
pas, assurent les hommes du
FPR qui, visiblement, s'en mo-
quent. Dans un premier temps,
on s'en souvient, la garde prési-
dentielle avait interdit à la Mi-
nuar d'approcher la carcasse de
l'avion. Et les Belges avaient été
accusés d'avoir dirigé le tir. En-
suite, il fut écrit et raconté que
la boîte noire, saisie par la Gar-
de présidentielle, avait pris le
chemin de Paris, où elle serait
classée « Secret Défense ». La
réalité est peut-être plus bana-
le : à Kigali, la radio des Mille
Collines — bien introduite, bien
informée — assure que la fa-
meuse boîte noire se trouve aux
mains du gouvernement intéri-
maire, qui l'aurait reçue des
mains des Français eux—mê-
mes, ou de la Garde présiden-

tielle. Des ministres de ce gou-
vernement auraient d'ailleurs
confirmé le fait, ajoutant que
leur équipe était trop occupée
pour avoir trouvé le temps de
faire analyser le document.

Pour le FPR, si une commission
d'enquête internationale (récla-
mée par la Belgique) veut s'inté-
resser à l'épave de l'appareil, il
n'y a aucune objection à sa visi-
te. Mais elle ne découvrira pro-
bablement pas grand-chose...

En réalité, huit semaines après
l'attentat, l'énigme demeure en-
tière. Une seule conviction sem-
ble partagée par tout le monde :
que la roquette ait été un Stin-
ger (les missiles sol-air améri-
cains que seul dans la région
possède Jonas Savimbi), un
Sam 7 de fabrication soviétique,
chacun assure que les militaires
rwandais étaient incapables
d'un tir aussi précis, d'un coup
aussi bien ajusté. L'exécuteur
serait donc un étranger. Mais
qui et au profit de qui? Mys-
tère.

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