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C'est l'histoire d'un ancien sergent qui disait détenir des informations
compromettantes pour Kagamé et qui a disparu, le 13 novembre. Enquête
sur un dossier plein de contradictions.
Il a disparu mystérieusement à Nairobi le 13 novembre dans la
soirée, contraint par deux inconnus de monter dans leur véhicule alors
qu'il rentrait chez lui. Ancien sergent de l'armée rwandaise, Émile
Gafirita, 40 ans, prétendait détenir des informations inédites sur la
préparation de l'attentat commis le 6 avril 1994 contre l'avion de
l'ancien président hutu Juvénal Habyarimana - lequel avait servi de
déclencheur au génocide des Tutsis. Le 8 décembre, il devait être
entendu par les magistrats parisiens Nathalie Poux et Marc Trévidic.
C'est en septembre dernier que ce témoin de la vingt-cinquième heure
s'était signalé à la justice, via l'avocat français François Cantier
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20141203173504/. Une
démarche tardive puisque les magistrats avaient annoncé aux parties deux
mois plus tôt leur décision de clore l'instruction, ouverte en 1998.
Dans un premier temps, son avocat avait demandé qu'il soit entendu sous
le couvert de l'anonymat. Mais le juge Trévidic n'envisageait pas de
rouvrir l'information judiciaire sans disposer d'éléments solides,
invoquant « le nombre considérable de manipulations » déjà constatées dans
ce dossier sensible. Émile Gafirita avait donc accepté de révéler son
identité. Curieusement, c'est le journaliste français Pierre Péan qui a
transmis à Me Cantier sa carte militaire ainsi qu'un témoignage en
anglais. Selon une source proche du dossier, « les magistrats ont accepté
de rouvrir l'instruction pour qu'on ne puisse pas dire qu'ils avaient
négligé cette piste ».
Les confidences de Gafirita comportent des zones d'ombre
Dans sa déclaration écrite, Émile Gafirita affirme avoir convoyé les
missiles sol-air qui auraient servi à abattre l'avion de Juvénal
Habyarimana. Début 1994, ceux-ci auraient été acheminés depuis le
quartier général du Front patriotique rwandais (FPR, rébellion
majoritairement tutsie), dans le nord du pays, jusqu'à Kigali, où
600 soldats de la rébellion étaient cantonnés dans l'enceinte du
Parlement au titre des accords de paix. Le témoin aurait lui-même
appartenu au détachement présent dans la capitale. Derrière cette
révélation susceptible d'accréditer l'implication du FPR dans
l'attentat, les confidences de Gafirita comportent néanmoins plusieurs
zones d'ombre.
La première porte sur les contradictions entre son récit et celui d'un
précédent transfuge issu comme lui du FPR. Entendu par la justice
française au début des années 2000, Abdul Ruzibiza (décédé en 2010),
dont le juge Jean-Louis Bruguière, initialement chargé de l'enquête,
avait fait son principal témoin à charge contre Paul Kagamé et ses
hommes, livrait une version détaillée de l'acheminement des missiles
vers Kigali. Mais Gafirita ne figurait pas parmi les six membres du
convoi nommés par Ruzibiza.
D'après un officiel rwandais qui a pu consulter son dossier
militaire, « Gafirita n'a jamais appartenu à la gendarmerie ».
Son patronyme n'apparaît pas davantage dans la liste officielle des
600 soldats du FPR présents à Kigali début 1994, que Jeune Afrique
s'est procurée. Une source sécuritaire rwandaise haut placée apporte par
ailleurs un démenti catégorique aux états de service revendiqués par
l'intéressé : « Début 1994, Émile Gafirita était un simple soldat affecté
à la sécurité du colonel Alexis Kanyarengwe [alors président du FPR]. Il
était basé entre Mulindi et Byumba, où résidait le ``Chairman'', mais il
n'a jamais été basé à Kigali. » Tout aussi curieux, « la signature qui
apparaît sur sa carte militaire de gendarme est différente de celle qui
figure sur son témoignage écrit », indique une source judiciaire. Et
d'après un officiel rwandais qui a pu consulter son dossier militaire,
"Gafirita n'a jamais appartenu à la gendarmerie".
Gafirita aurait appartenu au RNC
Pour certaines parties civiles, comme la famille Habyarimana, la
disparition de ce témoin profiterait au régime rwandais. L'hypothèse
d'un enlèvement par un commando venu de Kigali apparaît pourtant ténue,
dans la mesure où aucun élément du dossier ne permettait aux parties de
connaître le lieu de résidence de Gafirita ni le nom d'emprunt qu'il
avait adopté au Kenya. « J'ignorais moi-même dans quel pays il résidait »,
confie son avocat, qui ne communiquait avec lui que par e-mail.
François Cantier ne savait pas davantage que, plusieurs mois avant de
demander à être entendu, Émile Gafirita avait été nommément désigné
comme complice par l'un des organisateurs de l'attentat commis en
septembre 2013 sur un marché de Kigali (2 morts et 46 blessés). Selon
Joseph Nshimiyimana, dont le témoignage a été consigné sur
procès-verbal, Gafirita serait en effet l'un des deux hommes qui ont
lancé les grenades meurtrières. Condamné à perpétuité début octobre par
la Haute Cour militaire, Nshimiyimana affirmait par ailleurs que cet
attentat avait été organisé conjointement par les Forces démocratiques
de libération du Rwanda (FDLR) et le Congrès national du Rwanda (RNC),
deux mouvements d'opposition en exil. Selon lui, Gafirita appartenait
alors au RNC. Or depuis plusieurs années ce parti constitué d'anciens
hauts responsables du régime Kagamé s'est fait une spécialité d'accuser
l'actuel chef de l'État rwandais dans l'attentat de 1994, sans en avoir
jusque-là donné la preuve.
« Nous souhaitions qu'il soit entendu », indique Me Léon-Lef Forster,
avocat des sept Rwandais proches du régime de Kigali toujours mis en
examen dans cette procédure. « Sa disparition ne fait que retarder la
clôture du dossier et jeter la suspicion sur la décision de non-lieu que
nous attendons pour nos clients ».