Fiche du document numéro 9525

Num
9525
Date
Lundi 31 mars 2008
Amj
Taille
663172
Titre
Hubert Védrine, gardien de l'Inavouable
Nom cité
Type
Note
Langue
FR
Citation
Hubert Védrine, gardien de l’Inavouable
Jacques Morel, Georges Kapler
31 mars 2008, v1.7
Beaucoup des documents cités dans ce texte proviennent des archives personnelles de François Mitterrand déposées à l’Institut François Mitterrand dont Hubert Védrine est le président. 1 Récemment la
Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) a opposé à Mme la juge Michon 2
un avis défavorable à la déclassification de comptes-rendus de conseils restreints à l’Elysée de 1993 et de
1994 consacrés à la situation au Rwanda, dans un avis publié au Journal officiel (JO 14 décembre 2007).
Ces documents, qui font partie de ce fond d’archives, ont pourtant été mis à la disposition de Pierre
Péan par l’institut François Mitterrand et sans aucun doute à l’instigation d’Hubert Védrine pour rédiger
« Noires fureurs, blancs menteurs ». 3 Hubert Védrine serait donc coupable de divulgation de documents
« Secret Défense ».
Au-delà du ridicule de cette situation, les auteurs signalent à leurs concitoyens ce scandale que des
archives de l’exécutif français, relatives à des décisions extrêmement graves, ne soient pas mises dans le
domaine public mais considérées comme la propriété de certains individus qui en ouvrent l’accès selon
leurs besoins et de manière sélective. 4

Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée de 1991 à 1995, a été un pivot essentiel du soutien aux
auteurs rwandais et français d’une stratégie de guerre totale qui a mené au génocide des Tutsi. Cette
politique a été pensée depuis l’Élysée par François Mitterrand et ses conseillers. Parmi ceux-ci, Hubert
Védrine était l’un des plus proches de François Mitterrand, il en a été totalement solidaire et l’est resté.
En 1996 il écrit « Les mondes de François Mitterrand » (Fayard), une apologie de sa politique étrangère.
« Ma conclusion, et ma conviction, écrit-il encore en 2004, sont que l’action de la France, hélas seule, a
retardé le génocide jusqu’en 1994. » 5 Il a succédé à Roland Dumas en tant que président de l’Institut
François Mitterrand qui organise des manifestations célébrant l’épopée mitterrandienne. 6
1. Les archives personnelles du président de la République sont d’abord triées par les services avant d’êtres remise à la
famille.
2. La juge Florence Michon est chargée d’instruire les plaintes contre X (en réalité des militaires français) déposées le
16 février 2005 devant le Tribunal aux Armées de Paris par des Rwandais pour "complicité de crimes contre l’humanité" et
"complicité de génocide" lors de l’opération Turquoise.
3. Pierre Péan, “Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994. Enquête”, Mille et une nuits, 2005. Ce livre est un
brûlot, faisant l’objet d’une plainte pour racisme, qui, blanchissant les tueurs et leurs soutiens français, impute aux Tutsi,
dont Paul Kagame, la responsabilité de leur propre extermination. Dans l’interview de Laurent Arnauts, “Hubert Védrine,
ancien Ministre des Affaires étrangères français, « Les medias sont pour le repentir ... des autres »”Le Journal du Mardi
(Belgique), 6 décembre 2005, Hubert Védrine affirme qu’il partage la conclusion du livre de Pierre Péan.
4. Rappelons que cette pratique indigne d’un pays démocratique contrevient à l’article 15 de la Déclaration des Droits
de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui proclame que « la société a le droit de demander compte à tout agent public
de son administration.»
5. Hubert Védrine, "Rwanda : les faits", La lettre de l’Institut François Mitterrand, numéro 8, juin 2004
6. Voir par exemple son discours à Jarnac le 8 janvier 2006 http://www.mitterrand.org/spip.php?article272

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VÉDRINE-MITTERRAND : UNE AMITIÉ FIDÈLE NÉE SOUS VICHY

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Védrine-Mitterrand : une amitié fidèle née sous Vichy

Hubert Védrine est né le 31 juillet 1947 à Saint-Silvain-Bellegarde dans la Creuse. 7 Son père, Jean
Védrine, aurait été membre de la Cagoule. 8 Pétainiste, 9 il rencontre François Mitterrand au commissariat
de reclassement des prisonniers de guerres, à Vichy fin 1942. Jean Védrine devient, en janvier 1947,
directeur adjoint du cabinet de François Mitterrand, ministre des Anciens combattants. 10 Sorti de l’ENA,
Hubert Védrine est Chargé de mission au Ministère de la Culture de 1974 à 1979. Il entre à l’Élysée en
1981 comme conseiller diplomatique jusque 1986. Sous la première cohabitation il est nommé maître des
requêtes au Conseil d’État de 1986 à 1988. Il revient à l’Élysée comme porte-parole de 1988 à 1991. Il
devient secrétaire général de la présidence de la République de 1991 à 1995. 11 Il réapparaît en 1997 à
2002 comme Ministre des Affaires étrangères du Gouvernement Jospin de cohabitation. Depuis 2003, il
préside l’Institut François Mitterrand.
Un fils ne saurait être rendu responsable des actes de son père, mais il paraît incontestable qu’Hubert
Védrine a bénéficié, pour rentrer à l’Élysée en 1981, des relations de son père avec François Mitterrand,
nouées à Vichy et poursuivies sous la IVe République. Hubert Védrine aurait fréquenté les Mitterrand
dès le lycée. Tout ceci invite à penser qu’une parfaite entente régnait entre les deux hommes. Il faut
ici rappeler le passé vichyste de François Mitterrand qui sut sentir tourner le vent 12 et devint résistant
mais qui, nommé ministre sous la IVe République, fit beaucoup pour atténuer les condamnations des
cagoulards, pétainistes et antisémites qui sont restés ses amis. 13

2

Hubert Védrine joue un rôle central pendant le génocide

En tant que secrétaire général de l’Élysée, Hubert Védrine recevait toutes les informations destinées
au Président Mitterrand et veillait à l’exécution de toutes les décisions qu’il prenait. En fait le secrétaire
général est à la tête d’une sorte de cabinet parallèle au gouvernement où une trentaine de conseillers ou
chargés de mission suivent chacun les dossiers d’un ou plusieurs ministères ou traitent des questions du
domaine réservé du Président. Ces collaborateurs, y compris le chef d’état-major particulier, dépendent
du secrétaire général et n’ont habituellement pas un accès direct au chef de l’État. Toutes leurs notes
destinées au Président sont visées par le secrétaire général. Lors de la cohabitation à partir d’avril 1993
jusqu’en 1995, Hubert Védrine participait en plus au comité restreint à Matignon le mardi, présidé par le
Premier ministre. 14 Il jouait un rôle de pivot du pouvoir exécutif dans les domaines où l’Élysée gardait
ses prérogatives, c’est-à-dire, les affaires étrangères, l’ONU en particulier, l’armée et, bien sûr, le domaine
réservé, les pays africains. Toutes les notes de la cellule africaine transitaient par lui et il établissait l’ordre
du jour du conseil restreint 15 :
A partir de 1991, Secrétaire général de la présidence de la République, il avait été en possession d’informations plus nombreuses , surtout lorsque celles-ci circulaient, par écrit, comme dans les notes de la cellule
7. Sources : Audition d’Hubert Védrine le 5 mai 1998 par la Mission d’information parlementaire (MIP). Cf. Enquête
sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [21, Tome III, Auditions, Vol. 1, p. 197]. Page Hubert Védrine sur Wikipedia.
8. J.-P. Gouteux [9, p. 503]. Fiche Jean Védrine dans "PJ 52, CSAR", Archives de la Préfecture de police. La Cagoule
ou Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), organisation anticommuniste créée par Eugène Deloncle, commit des
assassinats et tenta des putschs comme celui du 16 novembre 1937. Le MSR de Deloncle fit sauter des synagogues sous
l’Occupation. Cf. A. Lacroix-Riz, “Le choix de la défaite”, p. 298-299 ; R. Paxton, “La France de Vichy” p. 243.
9. P. Péan, “Une jeunesse française” [18, p. 233]. François Mitterrand invita Pierre Péan à écrire ce livre et à le publier
en 1994 pour faire taire les polémiques soulevées par la francisque dont il a été décoré sous Vichy, les fleurs qu’il faisait
déposer sur la tombe du maréchal Pétain et son refus de reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la déportation des
Juifs. Le livre visait aussi à étouffer la parution d’un autre livre, “La main droite de Dieu” d’Emmanuel Faux, Thomas
Legrand, Gilles Perez (Le Seuil, Sept. 1994) sur le lancement de Le Pen par Mitterrand pour diviser la droite.
10. P. Péan, ibidem, p. 532.
11. Il succède à Jean-Louis Bianco en mai 1991.
12. François Mitterrand est passé à la clandestinité durant l’été 1943, après le débarquement allié en Afrique du nord de
novembre 1942, l’invasion de la zone libre par les Allemands et la défaite de Stalingrad le 2 février 1943. Au printemps 1943,
Mitterrand était décoré de la francisque par Pétain.
13. Citons Jean Bouvyier, François Métenier, Jacques Corrèze, François Moreau, Xavier Vallat, Gabriel Jeantet, Robert
Castille, Jacques-Laurent Cely, Yves Dautun, Jean Delage, Jean-Paul Martin, René Bousquet, Eugène Schueller... Cf. Pierre
Péan, “Une jeunesse française”, Fayard, 1994.
14. Audition du Général Quesnot Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [21, Tome III, Vol 1, p. 338].
15. Le conseil restreint ou conseil de défense est l’instance où se prennent les décisions concernant les questions militaires.
Le rôle de cette instance est plus important en période de cohabitation.

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IL PARTAGE L’OBSESSION RACIALE DES AUTEURS DU GÉNOCIDE

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africaine ou de l’état-major particulier du Président de la République, qui transitaient en principe toutes par le
Secrétaire général. Enfin, pendant la cohabitation, à partir d’avril 1993, les grands sujets diplomatico-militaires
étaient traités par le conseil restreint qui se réunissait après le Conseil des Ministres. Ce conseil restreint était
préparé le mardi après-midi chez le Premier Ministre. Son ordre du jour donnant lieu à concertation entre le
Directeur du cabinet du Premier Ministre et le Secrétaire général de la présidence de la République, il s’est
trouvé, en cette qualité, impliqué dans ces affaires plus directement qu’il n’était d’usage. 16

Hubert Védrine a participé à tous les conseils restreints où ont été décidées les interventions militaires
au Rwanda, même à celui du 4 octobre 1990 qui décide de l’opération Noroît, alors qu’il n’est à l’époque
que porte-parole de la Présidence de la République. Il semblait déjà clair que son rôle réel auprès de
François Mitterrand allait bien au-delà de cette fonction. En 1994, l’état de santé de François Mitterrand
se dégradant, 17 l’importance du rôle d’Hubert Védrine s’est encore accrue. 18

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Hubert Védrine partage l’obsession raciale des auteurs du génocide

La vision de Védrine sur le Rwanda est profondément biaisée par la pensée ethniste. 19 Selon lui, la
vie politique au Rwanda s’articule autour de l’opposition entre deux groupes ethniques hutu et tutsi, les
Hutu majoritaires s’étant affranchis du joux des aristocrates ou féodaux Tutsi. Ainsi il déclare lors de son
audition par la Mission d’information parlementaire :
Le fait que M. Habyarimana fut hutu n’était pas choquant en soi, les Hutus représentant 80% de la
population. Dans ces conditions, pour quels motifs et dans quel but la France aurait-elle contribué à son
remplacement ? 20

Il insinue que la nécessité de partage du pouvoir « avec une infime minorité » ne s’imposait pas dans la
mesure où le Président provenait de l’ethnie majoritaire :
M. Hubert Védrine a souligné que notre politique avait fait l’objet de critiques inverses de la part de ceux
qui se demandaient si la France s’appuyant sur la « philosophie de La Baule » avait été bien inspirée de
s’engager à ce point pour demander à un gouvernement hutu majoritaire de partager le pouvoir avec une
infime minorité tutsie, de surcroît armée et venant de l’étranger. 21

Il faudrait donc et il suffirait, selon Hubert Védrine, que le Président soit hutu pour justifier sa légitimité.
Quelle conception a-t-il de la démocratie et de la légalité ?
On pourrait juger là que Hubert Védrine en est resté au bon vieux temps des colonies où le Blanc
n’appréhendait les indigènes que sous l’aspect de races, de tribus, d’ethnies et jouait d’un groupe contre
l’autre pour perpétuer sa domination établie grâce à la supériorité de ses fusils à répétition sur les fusils
à pierre. C’est ainsi d’ailleurs que les colonisateurs belges et les missionnaires opérèrent au Rwanda
en persuadant leurs auxiliaires d’administration, choisis parmi les Tutsi, qu’ils constituaient une race
supérieure aux autres. Mais quand le vent des idées d’indépendance et de laïcité souffla sur l’élite dirigeante
du Rwanda, le colonisateur, aidé des missionnaires, se fit soudain l’allié de l’"ethnie" méprisée d’hier et se
targuant de l’esprit d’égalité et de justice sociale, persuada les Hutu qu’ils étaient exploités non pas par
les colonisateurs européens, mais par les Tutsi. Ils s’ensuivit une vague de massacres de 1959 à 1963 dont
16. Audition d’Hubert Védrine par la mission d’information parlementaire (MIP) [21, Tome III, Auditions, Vol 1, p. 197].
17. Souffrant d’un cancer de la prostate, information gardée secrète depuis la fin 1981, François Mitterrand est opéré une
nouvelle fois le 18 juillet 1994. Il semble que depuis avril 1994 jusqu’à cette date, le Président n’ait perdu aucun de ses
moyens. Il voyage, fin avril en Ouzbékistan, il préside les cérémonies du cinquantenaire du débarquement le 6 juin, le 25
juin il est au Conseil européen à Corfou, début juillet en Afrique du Sud, le 10 juillet au sommet du G8 à Naples. Selon son
médecin, le docteur Gubler, en novembre 1994, Mitterrand n’est plus capable d’assumer ses fonctions, ce qui ne l’empêche
pas de présider le Sommet franco-africain les 8 et 9 novembre à Biarritz. Selon ce même médecin, c’est Hubert Védrine qui
« faisait tourner la boutique » à cette époque.
18. Les notes des services secrets passaient-elles par lui ou par le chef de cabinet ? Nous l’ignorons. François de Grossouvre
qui était chargé de dossiers sensibles, n’aurait pas dépendu du secrétaire général. Cf. Rubrique Secrétaire général de la
présidence de la République française sur Wikipedia. Il est donc possible que certaines décisions concernant le Rwanda aient
été prises par François Mitterrand en dehors d’Hubert Védrine.
19. Hubert Védrine utilise le terme ethnie alors que les trois groupes Hutu, Tutsi, Twa, ne se distinguent pas par ce qui
constitue l’ethnie, c’est-à-dire la langue, la religion, les coutumes et d’autres critères d’ordre culturel. L’usage qu’il fait du
mot ethnie est en réalité une manière policée de parler de race. Le concept de l’existence de différentes races humaines, n’a
jamais été fondé scientifiquement mais il reste lourd de présupposés.
20. Audition d’Hubert Védrine par la MIP [21, Tome III, Auditions, Vol. I, p. 201].
21. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 201

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IL PARTAGE L’OBSESSION RACIALE DES AUTEURS DU GÉNOCIDE

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les Tutsi furent victimes et c’est sur la base de ces massacres des Tutsi « exploiteurs » et « aristocrates »
que s’est fondée la république hutu dont les Tutsi qui n’avaient pas fui le Rwanda étaient, sinon exclus,
confinés dans un rang subalterne. Hubert Védrine se réfère à cette révolution qui s’est dite « sociale »
mais qui a été une suite de massacres justifiés par cette idéologie raciale exportée par les Européens. Il
s’y réfère pour la considérer comme ayant fixé un ordre institutionnel normal et légal, la république hutu.
L’argument que les Hutu forment 80% de la population et l’expression « gouvernement hutu majoritaire » utilisée par Hubert Védrine font directement écho aux slogans de peuple majoritaire, Rubanda
nyamwinshi, diffusés par le journal Kangura et la radio des Mille Collines. Ces médias ont appelé « la
nation hutu à se regrouper autour de l’idéal de l’ancien Parmehutu, 22 avec pour principal objectif la
défense du peuple majoritaire contre l’ethnie qui a fourni l’ancienne classe féodale. » 23 Ces slogans ont
été ceux du génocide. Quatre ans après et même encore aujourd’hui, Hubert Védrine y adhère toujours,
c’est dire combien il est imprégné de l’idéologie des auteurs des massacres, combien lui, Mitterrand, ses
collaborateurs et d’autres dirigeants français furent proches d’eux, au point qu’on peut se demander qui
a influencé l’autre ...
Dans la même veine, questionné par Pierre Brana, M. Védrine ne se formalise pas de ce que l’armée
rwandaise soit une armée mono-ethnique :
Pierre Brana : J’ai été très attentif à votre argumentation sur une invasion venant de l’étranger et sur les
pressions exercées en faveur d’un partage du pouvoir. Reste que la France a formé des recrues rwandaises,
les a entraînées militairement pour être des combattants. Or, on savait que toutes les recrues étaient hutues.
Comme il existait déjà une menace de génocide, en formant toujours la même ethnie, on prenait position par
rapport au génocide. Cela me préoccupe.
Hubert Védrine : On a formé l’armée au Rwanda. Ce n’est pas à la France de dire, pas plus au Rwanda
qu’en Côte-d’Ivoire, qu’on va former ceux-ci et pas ceux-là. D’autant que les recrues hutues représentaient
80 % de la population. On a, ailleurs, formé des armées moins représentatives... Affirmer qu’en formant les
recrues, nous avons “pris position par rapport au génocide”, c’est faux et injuste, ce serait aussi injuste que
de dire que les États-Unis, qui ont formé des Ougandais qui eux-mêmes ont accompagné et encadré le FPR,
ont ainsi soutenu les massacres que le FPR a commis dans le Kivu. 24

Notons que Pierre Brana dit ici que les autorités française savaient qu’un génocide se préparait et
qu’Hubert Védrine ne dément pas. Le recrutement presque exclusivement hutu de l’armée rwandaise est
lié à son rôle qui n’a jamais été de défendre le territoire national contre une invasion étrangère mais
de réprimer toute velléité des Tutsi, de l’intérieur comme de l’extérieur, à contester le régime politique
qui depuis 1959 est fondé sur leur exclusion. Commentant ces propos d’Hubert Védrine, Gérard Prunier,
africaniste, membre du secrétariat international du Parti Socialiste et membre de la cellule de crise du
Ministère de la Défense pendant l’opération Turquoise, remarque que les dirigeants français partagent la
philosophie politique du régime qui a produit le génocide :
S’agissant de M. Védrine, il a estimé qu’il était encore plus étonnant dans son témoignage du 5 mai lorsqu’il
disait : « Habyarimana est Hutu, il représente donc au moins 80 % de la population » et qu’il ajoutait : « On se
demande bien pourquoi il devrait partager le pouvoir avec l’infime minorité tutsie ». Supposant qu’à cette aune,
n’importe quel président français représente 100 % de la population, puisqu’il est français, il a fait observer que
c’était là l’expression même de la pensée communautariste, c’est-à-dire de la philosophie politique qui soustendait le régime qui a produit le génocide. Il a ainsi conclu que lorsque les responsables français raisonnaient
ainsi à propos des Rwandais, lorsqu’ils se laissaient intoxiquer par leur philosophie politique, ils entraient en
fait dans la logique de leur esprit de discrimination interne et faisaient leur la pensée de type apartheid qui
présidait au fonctionnement du régime rwandais. Précisant qu’ils n’agissaient certainement pas ainsi de propos
délibéré, mais plutôt de façon involontaire, il a estimé que ce n’était pas pour autant plus excusable. 25

Est-ce involontairement que Hubert Védrine et les dirigeants français font leur l’esprit d’apartheid ? Nous
ne le pensons pas. Nous pensons même que les dirigeants français sont allés plus loin que les théoriciens
22. Grégoire Kayibanda, directement soutenu par l’évêque André Perraudin, est un des signataires en 1956 du Manifeste
des Bahutu inspiré par des missionnaires catholiques. Il crée le parti Parmehutu en 1959. Ce parti proclame que la masse
hutue est constituée des seuls « vrais Rwandais » et veut « restituer le pays à ses propriétaires, les Bahutu ».
23. Georges Martres, ambassadeur de France, TD Kigali 9, 11 mars 1992, Mission d’information parlementaire [21, Annexes
p. 166-168].
24. Audition de Hubert Védrine par la Mission d’information parlementaire, 5 mai 1998, transcription MSF. Dans la
transcription officielle, il est écrit : « Récusant l’hypothèse d’une formation sélective des forces armées rwandaises qui
aurait privilégié les seuls Hutus, M. Hubert Védrine a rappelé que la France avait participé à l’instruction de troupes issues
d’une armée régulière, représentant 80% de la population. ». Cf. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 208
25. Audition de Gérard Prunier, Mission d’information parlementaire (MIP) [21, Auditions Vol 2, p. 187].

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IL JUSTIFIE LE SOUTIEN MILITAIRE DE LA FRANCE

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de l’apartheid puisque ces derniers n’ont pas envisagé l’élimination d’une partie de la population noire
d’Afrique du Sud.
Habyarimana est pour Hubert Védrine un homme de paix :
La réputation de M. Habyarimana était bonne à l’époque, le Rwanda était surnommé la Suisse de l’Afrique
et son Président était considéré comme ayant réussi à apaiser les tensions, même si tout n’était pas réglé.[...]
Le Président Habyarimana apparaissait comme l’artisan d’un apaisement du conflit entre Hutus et Tutsis aux
yeux de la communauté internationale. 26

Il est vrai qu’Habyarimana, en prenant le pouvoir, a fait cesser les massacres de Tutsi organisés par
son prédécesseur en 1973. La Mission d’information parlementaire, au contraire de Védrine, souligne le
« caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais » :
M. Juvénal Habyarimana n’a rien d’un élu du peuple, puisqu’il prend le pouvoir par un coup d’Etat, en
juillet 1973.[...]
Tout d’abord sur un plan politique, le régime du Général Habyarimana n’a jamais été une démocratie. Le
Président dirige le pays sans partage. Le caractère peu ouvert et moralisateur du pouvoir rwandais a suscité
un mécontentement certain dans les villes. Chef du parti unique, Juvénal Habyarimana est aussi en même
temps Chef de l’Etat et du Gouvernement. 27

Hubert Védrine ne fait aucune allusion au régime d’exclusion qui règne sous Habyarimana, aux immatriculations ethniques sur les cartes d’identité, aux quotas ethniques restreignant l’accès des Tutsi à
l’enseignement, aux fonctions publiques et dans l’armée, aux liquidations de personnalités avant 1990,
à la dictature et à la corruption dont profite l’entourage présidentiel. Et bien sûr, il omet de parler des
massacres sur lesquels s’est fondée la république hutu, massacres qu’Habyarimana a repris lors de l’incursion armée des exilés à partir de novembre 1990, en exerçant une forme de chantage sur les membres
du FPR par le massacre de leurs familles restées à l’intérieur.
Suite au simulacre d’attaque de Kigali le 4 octobre 1990, dix mille personnes furent arrêtées parce que
tutsi dans tout le pays en présence de deux compagnies de l’armée française sans que le parti socialiste,
au pouvoir en France, ne s’en offusque. Il est vrai que le premier des socialistes à l’époque était fidèle en
amitié avec l’ancien secrétaire général de la police de Vichy, responsable des rafles et de la déportation
de quelques 60.000 Juifs. 28 Cette allusion n’est pas gratuite. La révolution sociale de 1959 au Rwanda,
les pogromes, les rafles, les mentions ethniques sur les papiers officiels, les interdictions professionnelles
ne sont pas sans rappeler la Révolution nationale que la France a connue sous Pétain.

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Hubert Védrine justifie le soutien militaire de la France à ce
régime raciste

Avant de parler de soutien militaire de la France, rappelons que Habyarimana a accédé au pouvoir au
Rwanda par un coup d’État en 1973. Il s’y est maintenu par le biais d’un parti unique (dont tout rwandais
hutu est membre dés la naissance) et par un quadrillage administratif très étroit de la population. Si les
massacres de Tutsi ont cessé, les emprisonnements et assassinats d’opposants politiques ou de rivaux ne
sont pas rares. L’ancien président Kayibanda et une cinquantaine de ses ministres et collaborateurs sont
emprisonnés puis assassinés ou meurent des suites de mauvais traitements. La coopération française avec
le Rwanda s’accroît avec l’arrivée d’Habyarimana essentiellement dans sa composante militaire, ceci dans
26. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, pp. 198, 201.
27. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [21, Tome I, Rapport, pp. 340-341].
28. René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, a été acquitté par la Haute cour de justice à la Libération.
Il est de nouveau l’objet de poursuites en 1986 mais il est protégé en sous-main par le président de la République François
Mitterrand. Il est inculpé pour crimes contre l’humanité en 1989 et l’instruction allait être terminée quand il a été assassiné
le 8 juin 1993. Le 14 avril 1994, en plein génocide au Rwanda, le journal Le Monde cite, à propos du procès du milicien Paul
Touvier, les arguments du chef de l’État pour défendre René Bousquet qu’Olivier Wieviorka publie dans son livre Nous
entrerons dans la carrière. François Mitterrand y estime que Paul Touvier et René Bousquet ne doivent pas être mis sur le
même plan. « Paul Touvier – dont je ne connais le cas que par la presse – me paraît avoir été un éminent collaborateur et,
le cas échéant, dénonciateur. Il appartient donc à une sorte de pègre politique. Bousquet est un haut fonctionnaire qui a été
pris dans un engrenage. Il n’a pas, individuellement, le caractère bas que je prête à Touvier – sous réserve naturellement
d’une étude plus approfondie. Bousquet constitue le prototype même de ces hauts fonctionnaires qui ont été compromis ou
se sont laissé compromettre. Jusqu’à quel degré ... Là il faut en juger. Ça a été jugé, d’ailleurs, après la guerre. Quarante
cinq ans après ce sont des vieillards. Il ne reste plus beaucoup de témoins et cela n’a plus guère de sens. »

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IL JUSTIFIE LE SOUTIEN MILITAIRE DE LA FRANCE

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le but de concurrencer l’influence belge. L’objet de cette concurrence ne se trouve peut-être pas tant au
Rwanda qu’au Zaïre, ce pays au sous-sol extrêmement riche, déchiré par des guerres depuis l’indépendance
en 1960.
Le rapprochement de deux phrases d’un texte d’Hubert Védrine résume d’une manière saisissante les
débuts de la coopération de la France avec le Rwanda :
À l’indépendance en 1962, les Hutus se révoltèrent et massacrèrent un grand nombre de Tutsis. Ils mirent
la main sur leurs richesses, leur bétail, et le pouvoir.[...] À l’indépendance, les Rwandais s’étaient tournés vers
la France. 29

On ne saurait mieux avouer les débuts d’une connivence criminelle, à ceci près qu’il ne semble pas que ce
soit le Rwanda du président Kayibanda qui ait contacté la France mais celle-ci qui a voulu damer le pion
aux Belges tant au Congo, en envoyant le colonel Trinquier au Katanga, 30 qu’au Rwanda et au Burundi.
Hubert Védrine adhère à la politique de François Mitterrand qui consiste à « offrir » aux pays africains
une garantie de sécurité qu’il y ait accord de défense ou non :
Le Président François Mitterrand estimait que la France devait assumer un engagement global de sécurité
à l’égard de ces pays, qu’il y ait accord de défense ou qu’il n’y en eu plus, comme au Tchad, d’une part parce
que cette politique permettait aux pays africains de se contenter de budgets militaires très faibles et donc de
consacrer plus de ressources à leur développement, d’autre part, parce que, dans ces régions toujours menacées
par l’instabilité, il considérait que laisser, où que ce soit, un seul des régimes légalement en place être renversé
par une faction, surtout si celle-ci était minoritaire et appuyée par l’armée d’un pays voisin, suffirait à créer
une réaction en chaîne qui compromettrait la sécurité de l’ensemble des pays liés à la France et décrédibiliserait
la garantie française. 31

On ne saurait mieux décrire la relation de vassalité des États africains francophones vis-à-vis de la
France qui perdure jusqu’aujourd’hui. Hubert Védrine omet juste de dire que cette généreuse protection
permet aussi au Président français de choisir les dirigeants de ces pays et de les maintenir au pouvoir, au
besoin par la force. L’affirmation que « cette politique permettait aux pays africains de se contenter de
budgets militaires très faibles » est complètement fausse pour le cas du Rwanda où le pourcentage des
dépenses militaires par rapport au montant total des recettes de l’État passa de 12% en 1987 à 49% en
1992, laissant, après le génocide, une dette insupportable pour l’État rwandais. 32
Le 4 octobre 1990, accompagnant François Mitterrand dans le Golfe, Hubert Védrine participe au
Conseil de défense restreint, à Ryad, qui décide l’intervention militaire française. 33 L’attaque du FPR
est considérée par Mitterrand et lui-même comme une agression extérieure vis-à-vis de laquelle la France
se doit de réagir :
[...] il a expliqué que le Président Mitterrand avait jugé qu’on ne pouvait laisser un tel gouvernement
être renversé par une action armée, venant d’un pays voisin qui avait sa propre stratégie diplomatique et
militaire, sans mettre en cause la stabilité de la région et réveiller les graves antagonismes qui avaient marqué
les indépendances. 34

La qualification de ce conflit en agression extérieure est discutable. Certes les insurgés viennent d’Ouganda
où ils ont leurs bases et leurs sources d’approvisionnement. Ils y bénéficient d’une certaine complaisance.
Mais le FPR est formé de Rwandais victimes des pogromes de 1959-1963 et de 1973 et d’opposants à
la dictature d’Habyarimana. Beaucoup, pour ne pas dire tous, ont de la famille au Rwanda, ce ne sont
aucunement des étrangers mais bien des réfugiés à qui le droit au retour est systématiquement refusé.
En réalité les dirigeants français ont délibérément choisi de présenter le conflit comme une agression
extérieure. Le 7 octobre 1990, l’ambassadeur Georges Martres décrit ainsi les deux options possibles et
leurs conséquences, la réalité et sa manipulation :
OBJET : SITUATION AU RWANDA
L’APPEL TÉLÉPHONIQUE QUE JE VIENS DE RECEVOIR QUI A FAIT L’OBJET DE MON TD
510 INDIQUE QUE LE PRESIDENT HABYARIMANA NE SE SENT PAS CAPABLE DE MAITRISER
29. Hubert Védrine, "Rwanda : les faits", La lettre de l’Institut François Mitterrand, numéro 8, juin 2004
30. Le colonel Roger Trinquier, l’inventeur du Dispositif de protection urbaine (DPU) durant la bataille d’Alger, est
envoyé en 1961 au Katanga pour soutenir la sécession de Moïse Tshombé en formant des « gendarmes katangais ».
31. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 198.
32. Comité de suivi du Plan d’ajustement structurel. Cf. P. Galand [7, §2.8].
33. Audition du Général Maurice Schmitt, Mission d’information parlementaire, Enquête sur la tragédie rwandaise 19901994 [21, Tome III, Auditions, Vol I, p. 187].
34. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 198.

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IL JUSTIFIE LE SOUTIEN MILITAIRE DE LA FRANCE

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SEUL LA SITUATION. L’AGRESSION A LAQUELLE IL EST CONFRONTE PEUT ETRE CONSIDEREE COMME ETRANGERE DANS LA MESURE OU ELLE PROVIENT D’UN PAYS VOISIN QUI LUI
FOURNIT LES EQUIPEMENTS MILITAIRES ET UNE PARTIE DES HOMMES.
D’UN AUTRE COTE, CETTE AGRESSION S’APPUIE SUR UN PROJET POLITIQUE D’UNITÉ NATIONALE DES TUTSI ET DES HUTUS QUI TOURNERAIT SANS DOUTE A UNE DOMINATION DES
TUTSIS MAIS QUI AU COURS DES DERNIERS MOIS A BENEFICIE DE TOUS LES MECONTENTEMENTS PROVOQUES AU RWANDA PAR CE QUI EST CONSIDERE PAR BEAUCOUP COMME UN
POUVOIR MONOPOLISTIQUE DES BASHIRU DE GISENYI (VOIR A CET EGARD MON TD NO 447
DU 5 SEPTEMBRE 1990). 35
LE CHOIX POLITIQUE EST CRUCIAL POUR LES PUISSANCES OCCIDENTALES QUI AIDENT
LE RWANDA ET NOTAMMENT LA BELGIQUE ET LA FRANCE.
OU BIEN ELLES CONSIDERENT AVANT TOUT L’ASPECT EXTERIEUR DE L’AGRESSION ET
UN ENGAGEMENT ACCRU DE LEUR PART EST NECESSAIRE SUR LE PLAN MILITAIRE POUR Y
FAIRE FACE.
OU BIEN ELLES PRENNENT EN COMPTE L’APPUI INTERIEUR DONT BENEFICIE CE MOUVEMENT, MEME S’IL N’A PU SE DEVELOPPER QU’AVEC LE CONCOURS DE L’OUGANDA, ET MEME
S’IL CONVIENT DE PREVOIR QU’APRES LA PHASE APPARENTE DE L’UNION NATIONALE, IL
ABOUTIRA VRAISEMBLABLEMENT A LA PRISE DU POUVOIR PAR LES TUTSIS OU TOUT AU
MOINS PAR LA CLASSE METISSE 36 A LAQUELLE JE FAISAIS ALLUSION DANS MON TD CITE
PLUS HAUT.
SI CE DEUXIEME CHOIX ETAIT RETENU, UNE NEGOCIATION DELICATE ASSORTIE DE PRESSIONS MILITAIRES S’IMPOSERAIT POUR GARANTIR LA SECURITE DE LA POPULATION EUROPEENNE, AVEC LA PERSPECTIVE DE SUBSTITUER AUX DIFFICULTES PROVENANT DES ASSAILLANTS CELLES QUI RESULTERAIENT ALORS D’UNE ARMEE NATIONALE RWANDAISE QUI
SE SENTIRAIT ABANDONNEE. 071600 37

La thèse de l’agression extérieure du Rwanda par l’Ouganda n’est pas retenue par la commission
d’experts de l’ONU 38 ni même par la Mission d’information parlementaire française. 39
Agression extérieure ou pas, qu’est-ce qui autorisait la France à intervenir dans ce conflit ? Rien,
absolument rien. L’accord de 1975 n’était pas un accord de défense mais un accord de coopération pour
la formation d’une gendarmerie. Nous verrons plus loin Hubert Védrine invoquer les accords de défense
entre la France et le Rwanda dans le film “Tuez les tous”. Il n’y avait aucun « engagement de sécurité » de
la France à l’égard du Rwanda, à tel point que c’est toujours l’argument de la protection des ressortissants
français qui est invoqué pour justifier l’intervention militaire française. 40 Le général Quesnot, chef d’étatmajor particulier, le rappelle à François Mitterrand : « Aucun accord de défense n’a été conclu entre nos
deux pays. » Il se réfère pour justifier l’intervention aux habitudes françaises dans le « pré carré » : « L’aide
militaire que nous avons fourni au Rwanda n’a ni plus ni moins de fondement juridique que celle que
nous avons apporté au Tchad depuis 1969 ou au Zaïre en 1978. » 41 Alors qu’il se réfère continuellement
35. Ce télégramme de Georges Martres du 5 septembre 1990 n’est pas connu de nous.
36. Ce terme de « classe métisse » révèle combien la pensée des diplomates français est imprégnée d’idées raciales.
37. 4.A.1 Télégramme Diplomatique de Georges Martres Kigali, 7 octobre 1990, Enquête sur la tragédie rwandaise 19901994 [21, Tome II, Annexes, p. 131].
38. « Le conflit armé entre le 6 avril et le 15 juillet 1994 est caractéristique d’un conflit armé non-international. L’utilisation de la force armée s’est faite à l’intérieur des limites territoriales du Rwanda et n’a pas impliqué la participation active
d’un autre Etat. L’intervention de pays tiers s’est faite dans le cadre du rétablissement de la paix et d’actions humanitaires
plutôt que comme belligérant. » Cf. ONU S/1994/1405 §108.
39. « En somme, si l’on doit admettre qu’en droit pur un réfugié qui prend les armes pour exercer son " droit absolu et
intangible au retour " se met lui-même en dehors de la convention de Genève sur les réfugiés et perd en conséquence son
statut de réfugié, cette question doit avant tout être considérée dans sa dimension politique. Dans cette optique, il apparaît
que le retour armé des réfugiés du 1er octobre [1990] relève bien d’un épisode de la guerre civile rwandaise plutôt que d’un
conflit entre deux Etats. » Cf. MIP [21, Tome I, Rapport, p. 121].
40. Un exemple est donné par la note du général Quesnot à Hubert Védrine du 20 février 1993 où, pour annoncer l’envoi
de deux compagnies afin d’empêcher le FPR de prendre Kigali, Quesnot écrit « Le Quai a été prévenu hier soir également
et va faire un communiqué ce jour en termes de "sécurité sur place de nos ressortissants et des expatriés" ». Cf. Note du
Général Quesnot à Hubert Védrine, 20 février 1993.
41. Général Quesnot, Note à l’attention de Monsieur le Président de la République, 24 Juin 1994, Objet : Rwanda :
assistance militaire française.

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à la légalité en parlant de « régimes légalement en place », Hubert Védrine s’abstient de remarquer que
l’intervention française n’était pas fondée en droit. C’était une intervention à caractère colonial.
Interviewé en 2006 il concède que « La question de la base juridique des interventions n’est pas très
claire. » Mais il poursuit : « Quelle est-elle ? Il n’y a pas d’obligation stricte. Nous sommes dans un
cadre bilatéral, où le président Habyarimana demande au président Mitterrand d’intervenir. Il décide du
principe de l’intervention, ça ne contredit aucune règle. » 42 Ainsi, pour M. Védrine, il n’y aurait aucune
règle de droit, aucune convention internationale interdisant de soutenir un régime dictatorial et raciste
qui va entreprendre d’exterminer une partie de sa population. 43 Hubert Védrine ignore les implications
de la Convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide, comme nous le
remarquons plus loin.
Hubert Védrine est clair sur un point, la solution militaire du problème primait sur la solution politique, elle vient d’abord, pour reprendre ses termes :
M. Hubert Védrine a décrit la politique menée à partir de 1990 comme un engagement à deux volets.
D’abord, la sécurisation et ce, malgré les demandes incessantes du Président Habyarimana, non pas par un
engagement direct mais par une politique de coopération et de formation militaires ; ensuite, une action
politique et diplomatique incessante pour amener le régime rwandais à se transformer, à régler définitivement
la question des réfugiés tutsis et notamment le problème des terres, à se libéraliser et à se démocratiser, dans
la continuité des principes définis au sommet de La Baule. 44

Nous savons qu’il y a eu engagement direct des militaires français notamment dans l’artillerie 45 et les
hélicoptères de combat. 46 Mais, fait beaucoup plus compromettant, l’armée rwandaise, « compte tenu de
l’état de déconfiture dans lequel se trouvait l’état-major rwandais, incapable de matérialiser sur une carte
la ligne de front et la position de ses troupes », 47 était dirigée par des officiers français. 48 Ainsi la France
a « de façon continue, participé à l’élaboration des plans de bataille, dispensé des conseils à l’état-major et
42. G. Périès, D. Servenay, Entretien par téléphone avec Hubert Védrine, 1er mars 2006 [20, p. 180].
43. Dès octobre 1990, les massacres prennent un caractère génocidaire et l’Élysée en est bien informé. L’amiral Lanxade
parle le 11 octobre de la pression de « forces tutsies ». L’attaché de défense le Colonel Galinié rapporte le 13 octobre que
« les paysans hutus organisés par le MRND ont intensifié la recherche des Tutsis suspects », il signale des massacres dans
la région de Kibilira. Le 15 octobre 1990 les Tutsi sont convaincus, selon l’ambassadeur Georges Martres, que le départ
des troupes françaises et belges provoquerait l’élimination totale des Tutsi, et que la victoire du FPR leur permettrait
d’échapper au génocide. Le 21 octobre Georges Martres écrit que les « envahisseurs tutsi » cherchent à « reprendre le
pouvoir perdu en 1959 » et que le rétablissement du régime honni [tutsi] avoué ou déguisé entraînerait « selon toute
vraisemblance l’élimination physique, à l’intérieur du pays, des Tutsi, 500.000 à 700.000 personnes par les Hutu 7.000.000
d’individus.» Cf. 4.A.2 Extrait du message de l’attaché de défense à Kigali, 12 octobre 1990, MIP [21, Tome II, Annexes,
p. 132] ; l’amiral [Lanxade], Chef de l’état-major particulier, Note à l’attention de Monsieur le Président de la République
(sous couvert de Monsieur le Secrétaire général), 11 octobre 1990, Objet : Rwanda - Situation ; Col. Galinié, Télégramme,
Confidentiel défense, Objet : Situation générale le 13 octobre 1990 à 12 heures locales, Télégramme diplomatique (TD)
KIGALI 542, Note manuscripte « Signalé à J.L. Bianco (voir au verso) » ; Ambassadeur Martres, TD 15 octobre 1990,
MIP [21, Vol. II, Annexes p. 133] ; Ambassadeur Martres, TD 21 octobre 1990 ibidem p. 134.
44. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 199
45. L’appui feu donné à l’armée gouvernementale par les soldats français est attesté, toutefois ceux-ci prétendent qu’ils
se sont limités à pointer les armes. Cf. Jacques Isnard, Une aide militaire intense et souvent clandestine, Le Monde, 23
juin 1994, p. 4 ; Audition de James Gasana, ministre rwandais de la Défense, MIP, Vol 2, pp. 40, 45 ; Interview d’un ancien
officier de la Légion par Stéphane Bradshaw, BBC Panorama, The bloody tricolor, 20 août 1995. Le détachement d’assistance
militaire à l’instruction (DAMI) donne une formation appui feu. Cf. Lieutenant-Colonel Nabias, MIP, Vol 1, Rapport, p.
144 ; colonel Joubert, B. Lugan [12, p. 95]. Le Général Quesnot recommande le 1er juillet 1992 à François Mitterrand qui
accepte d’accorder « une aide opérationnelle temporaire de quelques conseillers auprès des états-majors ainsi qu’auprès des
unités récemment dotées des nouveaux matériels. » Cf. Général Quesnot, Note à l’intention de Monsieur le Président de
la République, 1er juillet 1992 (sous couvert de Monsieur le Secrétaire Général), Objet : Rwanda. Situation militaire. Une
assistance opérationnelle, c’est à dire un engagement direct des militaires français dans les combats et de nouveau autorisé
lors de l’opération « Chimère » (22 février - 28 mars 1993). Cf. MIP [21, Rapport, p. 157] ; Note du général Quesnot et de
Dominique Pin à l’attention de Monsieur le Président de la République, S/c de Monsieur le Secrétaire général, 23 février
1993, Objet : Conseil restreint sur le Rwanda, 24 février 1993.
46. La France a fourni des hélicoptères Gazelle dotés de canons ainsi que des instructeurs et de mécaniciens. Le général
Varret admet que les « missions d’instruction se sont prolongées sur le terrain » c’est à dire au combat. Cf. MIP, [21, Tome
III, Auditions, Vol I, p. 223]. Un de ces hélicoptères a détruit au lance-roquettes une colonne du FPR le 3 octobre 1990 au
sud de Kagitumba. Cf. MIP [21, Tome I, Rapport, p. 121]. Des observateurs affirment qu’un officier membre de la DGSE ou
coopérant militaire était aux commandes de cet hélicoptère. Cf. Stephen Smith, Libération, 11 juin 1992 ; Michel Peyrard,
Paris Match, 30 juin 1994, p. 80.
47. MIP [21, Tome I, Rapport, p. 340].
48. En février 1992, le Lieutenant-Colonel Gilles Chollet est à la fois chef du DAMI Panda, conseiller du Président de
la République et conseiller du Chef d’Etat-major de l’Armée Rwandaise. Cette ingérence française étant dénoncée par
l’opposition, Chollet est remplacé à la tête du DAMI par le Lieutenant-Colonel Jean-Louis Nabias le 3 mars 1992 et, dans
son rôle de conseiller du Président et du chef d’état-major, en avril 1992 par le Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin

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IL JUSTIFIE LE SOUTIEN MILITAIRE DE LA FRANCE

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aux commandements de secteurs, proposant des restructurations et des nouvelles tactiques. Elle a envoyé
sur place des conseillers pour instruire les FAR 49 aux maniement d’armes perfectionnées. Elle a enseigné
les techniques de piégeage et de minage, suggérant pour cela les emplacements les plus appropriés. » 50
L’implication des militaires français va plus loin que ce qu’il sont censés faire, au point que Bernard
Cazeneuve, qui fut rapporteur de la Mission d’information parlementaire en 1998, observe en 2001 que
les militaires français agissaient au Rwanda sans qu’on puisse déterminer de quelle autorité politique ils
tenaient leurs ordres, suggérant par là que, parallèlement à des missions officielles et publiques, il y avait
des missions secrètes et qui devaient le demeurer :
Bref, l’affaire du Rwanda faisait apparaître la latitude voire l’autonomie considérable laissée par l’autorité
politique aux armées dans la définition de leurs tâches de coopération militaire. En l’occurrence, sous couvert
d’assistance au détachement Noroît, une centaine de militaires français menaient quasiment des actions de
guerre sans qu’on puisse clairement établir quelle autorité politique le leur avait précisément demandé. 51

Pour autant que nous en sachions, l’envoi ou le retrait de troupes au Rwanda est toujours soumis à
l’accord de l’Élysée. 52 Le remplacement en avril 1993 du général Varret par le général Huchon à la tête
de la Mission militaire de coopération, peut-être motivé par un conflit sur le rôle du DAMI, 53 a été fait
avec l’assentiment de l’Élysée et du gouvernement.
Quant à la démocratisation, il s’agit dans l’esprit d’Hubert Védrine de la démocratisation entre Hutu,
vu que les Tutsi sont exclus de la vie politique. 54 Sa conception de la démocratie est compatible avec les
mentions ethniques sur les cartes d’identité et les quotas ethniques, autant de dispositions réglementaires
institutionnalisées, de nature racistes, qu’il ne remet pas en cause. 55 L’adhésion des dirigeants français
au Credo raciste a été telle que la France par la bouche de Marcel Debarge est intervenue les 27 et 28
avec le titre plus discret d’adjoint opérationnel de l’attaché de défense. Celui-ci occupera ces fonctions jusqu’au 15 avril
1994. Cf. Fac simile de la lettre du ministère rwandais des Affaires étrangères à l’ambassade de France, 3 février 1992, MIP
[21, Annexes, p. 187] ; MIP, [21, Rapport p. 151].
49. FAR : Forces armées rwandaises. Il s’agit de l’armée gouvernementale.
50. MIP [21, Rapport, p. 163].
51. Bernard Cazeneuve, “Rapport sur la réforme de la coopération militaire”, Commission de la Défense Nationale et des
Forces Armées, 20 novembre 2001.
52. Par exemple, lors de l’offensive du FPR du 7 février 1993 consécutive aux massacres de Tutsi dans la région de
Gisenyi et de Kibuye au mois de janvier par des Hutu du MRND et de la CDR, François Mitterrand donne son accord
le 7 pour l’envoi d’une compagnie supplémentaire. Cf. Général Quesnot, Bruno Delaye, “Note à l’attention de Monsieur
le Président de la République (sous-couvert de Monsieur le Secrétaire général)”, Objet : Rwanda - Offensive militaire du
FPR, 8 février 1993, Note manuscrite : « D’accord - Urgent -FM ». Le 19 février il donne son accord pour l’envoi de deux
autres compagnies (solution 2). Cf. Dominique Pin, Général Quesnot, “Note à l’attention de Monsieur le Président de la
République (sous-couvert de Monsieur le Secrétaire général)”, Objet : Rwanda, 19 février 1993. Note manuscrite : Avis
favorable à la solution 2.
53. Le commandement du DAMI a été retiré au général Jean Varret en février-mars 1993 et donné au Colonel Delors,
chef de l’opération Noroît. Cela a permis sans doute d’assouplir les règles qui limitaient l’action des membres du DAMI et
de raccourcir la chaîne de commandement. Cf. Audition du général Varret, MIP, [21, Tome III, Auditions, Vol I, p. 223].
54. La démocratisation a consisté à instaurer le multipartisme. Il y a eu de 1992 à 1994 un partage du pouvoir avec
l’opposition. Mais celle-ci était constituée pour une grande part de Hutu partisans de l’ancien président Kayibanda, persuadés
après les attaques du FPR et l’assassinat du président du Burundi, Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993, de la nécessité
d’éliminer physiquement les Tutsi. Les personnalités politiques de l’opposition favorables à un partage du pouvoir avec le
FPR furent assassinées en 1994.
55. Mr Pelletier, ministre de la coopération, aurait demandé la suppression de ces mentions ethniques en novembre 1990.
Habyarimana promet cette suppression dans son discours du 13 novembre, mais cela suscite la protestation des milieux hutu.
L’ambassadeur Martres, lors de son audition en 1998, ne sait pas si la France avait promis de participer au changement
de cartes d’identité et affirme que cela n’aurait pas empêché le génocide. Le ministre de la coopération, Marcel Debarge,
ne connaissait pas, lors de son voyage au Rwanda le 28 février 1993, l’existence des cartes d’identité ethnique. Michel
Cuingnet, chef de la Mission de coopération jusqu’en 1994, déclare n’avoir pas eu à s’occuper du remplacement des cartes
d’identité. L’ambassadeur Marlaud déclare que cette suppression est prévue dans les accords d’Arusha et qu’il fallait trouver
pour ce changement un bailleur de fond qui aurait pu être la France. Il juge que ce changement ne sert à rien car « les
habitants des collines qui se connaissaient tous, savaient qui était Hutu et qui était Tutsi.» Donc quand le génocide éclate,
la France n’avait pas exigé cette suppression des mentions ethniques et l’information selon laquelle l’impression des cartes
en France était en cours semble fausse. Cf. Audition de Jacques Pelletier, MIP [21, Auditions, Vol 2, p. 99] ; G. Prunier
[17, p. 152] ; Audition de G. Martres, MIP, [21, Tome III, Auditions, Vol I p. 124] ; Audition de Michel Cuingnet, MIP [21,
Auditions, Vol I, pp. 173-174] ; Audition de J.M. Marlaud [21, Tome III, Auditions, Vol. 1, p. 302] ; article 16 du Protocole
d’Arusha concernant diverses questions et dispositions finales : « Effacement de la référence à l’appartenance ethnique
dans les documents officiels. Le Gouvernement de transition à base élargie devra dès sa mise en place faire disparaître de
tous les nouveaux documents officiels toute référence à l’ethnie d’origine. Les documents en cours ou non encore utilisés
devront être remplacés par d’autres ne comportant pas la référence à l’ethnie d’origine. », "The United Nations and Rwanda,
1993-1996" [15, p. 200].

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IL NIE LE SOUTIEN DE LA FRANCE AUX EXTRÉMISTES

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février 1993 en faveur d’un Front commun entre le Président et le gouvernement d’opposition 56 qui était
un front commun hutu contre le FPR, formule qui fut couronnée de succès et devint le Hutu power,
coorganisateur du génocide avec le MRND, 57 ex-parti unique et la CDR 58 . Les déclarations de Debarge
avaient été préparées à l’Elysée. 59
Hubert Védrine ne tient pas grief au régime rwandais pour toutes les exactions, tous les massacres que
celui-ci perpètre. Il veut faire croire que ces massacres ont pour cause les attaques du FPR. Il poursuit sa
défense de la politique française lors de son audition de 1998 en révélant sa conception toute particulière
de la démocratie :
L’idée directrice était que le Rwanda, bien que le régime en place y soit l’émanation d’une immense majorité,
ne pourrait échapper au cycle des massacres si n’intervenait pas un accord politique pour le partage du pouvoir
entre les partisans du Président, qui représentait d’abord les Hutus du nord, l’opposition, représentée par les
Hutus du sud, d’autres opposants internes, notamment les Tutsis de l’intérieur et même l’opposition armée des
Tutsis de l’extérieur organisée au sein du FPR. Sur ces bases, l’action de la diplomatie française a consisté à
mettre « les mains dans le cambouis », pour rester en contact permanent avec toutes les parties et les amener,
en dépit de leurs résistances initiales, à accepter la conclusion d’un accord politique. 60

La phrase « bien que le régime en place y soit l’émanation d’une immense majorité » laisse entendre
que ces négociations avec les opposants ne sont pas vraiment nécessaires. Le « bien que » et l’expression
« immense majorité » renvoient, encore une fois, aux slogans des extrémistes sur le peuple hutu majoritaire.
Pour lui les Tutsi de l’intérieur sont tous dans l’opposition au régime d’Habyarimana, parce qu’ils sont
tutsi. Reconnaît-il par là implicitement que le régime rwandais était fondé sur l’exclusion des Tutsi et
que ceux-ci ne peuvent qu’y être opposés ? Par quel miracle le soutien à un tel régime aboutirait-il à sa
démocratisation ?

5

Védrine nie le soutien de la France aux extrémistes de la CDR,
du MRND et du Hutu Power

Il reconnaît que, à la conférence de Dar-es-Salam le 6 avril 1994, Habyarimana avait accepté d’exclure
la CDR des institutions de transition : 61
[...] lors de l’attentat, le Président Habyarimana venait de faire une dernière concession en acceptant
d’écarter la CDR, c’est-à-dire les Hutus les plus extrémistes, du Gouvernement. 62

Il ne retient pourtant pas cette exclusion comme une cause possible de la mise à mort de Habyarimana. 63
Il qualifie la CDR d’extrémiste mais il n’explique pas pourquoi elle avait tant les faveurs des dirigeants
français. Il nie ce soutien en affirmant que « la politique française n’a donc pas eu pour objet caché, ou
même pour conséquence, de favoriser les extrémistes mais, bien au contraire, d’encourager le Président
Habyarimana à résister à leurs injonctions. » 64 Il prétend que la politique française exaspérait les extrémistes. C’est totalement faux, ils l’appréciaient au contraire, sinon pourquoi l’ambassadeur de France,
Georges Martres, affirme-t-il dans un télégramme du 11 mars 1993 qu’il « restera au CDR à se trouver
un autre chef qu’un président usé par vingt années de pouvoir» ? 65 Pourquoi les Nahimana, Mugenzi,
56. La France tente une médiation entre le président et l’opposition, (AFP), Le Monde, 2 mars 1993, p. 6.
57. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique créé par Habyarimana. Après
1991 il devient MRNDD, Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement. Nous gardons le sigle
MRND.
58. CDR : Coalition pour la Défense de la République (parti extrémiste hutu.
59. Dominique Pin, Note à l’attention de Monsieur le Président de la République (Sous couvert de Monsieur le Secrétaire
général). Objet : Mission de M. Debarge au Rwanda et en Ouganda - Eléments de langage, 26 février 1993.
60. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 199.
61. La CDR qui se voulait le parti des Hutu a refusé de signer le code d’éthique, partie des accords d’Arusha. Puis elle
a demandé à faire partie des institutions de transition prévues par ces accords, ceci pour retarder au maximum la mise en
application de ces accords.
62. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 200.
63. Hubert Védrine reconnaît cependant que parmi les auteurs possibles de l’attentat du 6 avril, la piste des extrémistes
hutu a été envisagée par l’amiral Lanxade et le général Quesnot. Cf. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p.
204. Dans l’état de nos informations, ces deux chefs d’état-major n’ont laisser planer aucun doute sur leur certitude quant
à la culpabilité du FPR dans cet attentat. Toutefois un compte-rendu du Conseil des ministres du 22 juin 1994 note que
François Mitterrand envisage la possibilité que l’attentat du 6 avril 1994 ait été « commandité par les extrémistes hutus.»
64. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 201.
65. TD Kigali, 11 mars 1993, MIP [21, Annexes, p. 217-218].

6

IL ÉTAIT BIEN INFORMÉ DE CE QUI SE TRAMAIT

11

Casimir Bizimungu et autres organisateurs des massacres se sont-ils retrouvés à l’ambassade de France
le 7 avril 1994 ? Pourquoi Jean-Bosco Barayagwiza, l’idéologue de la CDR, est-il invité à Paris le 27 avril
en plein génocide ? Védrine esquive la question de Paul Quilès 66 à propos de la lettre de remerciement
de Bruno Delaye à Jean-Bosco Barayagwiza, dirigeant de la CDR, pour l’envoi d’une pétition de soutien
à la politique de la France. 67

6

Hubert Védrine était bien informé de ce qui se tramait

Hubert Védrine était exceptionnellement informé de ce qui se tramait avant avril 1994. Il savait que
certains étaient prêts à tout pour s’opposer à la mise en oeuvre des accords de paix. C’est lui qui aurait
déclaré : « L’accord d’Arusha a mis le feu aux poudres ». 68 Mais la duplicité d’Hubert Védrine apparaît
quand, pour défendre Mitterrand d’avoir soutenu le régime Habyarimana jusqu’au bout, il confie en
2005 : « Avec le processus d’Arusha que nous avons imposé, le régime avait perdu une grande partie de
son pouvoir. » 69
Quelle a été la politique de François Mitterrand et du général Quesnot au Rwanda d’août 1993,
date de la signature des accords, à avril 1994 ? Des analystes disent qu’il y avait plusieurs politiques
contradictoires, à l’Élysée, à Matignon, au quai d’Orsay, rue Monsieur et rue St Dominique. Mais à
en croire l’ambassadeur Martres, la politique française au Rwanda se faisait à l’Élysée chez le général
Quesnot, chef d’état-major particulier. 70 Mettant bout à bout ces deux phrases d’Hubert Védrine cette
politique se résumerait à ceci : La France a imposé le processus d’Arusha qui a mis le feu aux poudres.
Serait-ce un commencement d’aveu qu’un plan de mise à feu avait été élaboré ? Visiblement Hubert
Védrine en sait plus qu’il n’en dit. La France aurait-elle donc pratiqué à ce moment-là la politique de
deux fers au feu ? Mais en soutenant mollement d’une part les accords de paix 71 et, d’autre part, en
continuant à fournir un entraînement, des armes et des munitions à l’armée rwandaise et en continuant
à appuyer les plus extrémistes, la France attisait le feu. Des signes montrent que la France était prête à
lâcher Habyarimana. 72
66. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, pp. 206-207.
67. Le 1er septembre 1992, Bruno Delaye conseiller pour l’Afrique du président Mitterrand, écrit à Jean-Bosco Barayagwiza
afin de lui transmettre les remerciements du Président de la République après l’envoi le 20 août précédent d’une lettre ouverte
signée par 700 citoyens rwandais remerciant « la France de son appui au processus démocratique et l’armée française pour
sa coopération avec l’armée rwandaise » au moment même où cette formation raciste déclenchait des massacres à Kibuye
pour torpiller l’accord politique qui venait d’être signé à Arusha. Cf. Gouteux [8, p. 56] ; Chrétien [3, p. 143] ; Braeckman
[1, p. 261].
68. Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : des silences d’Etat, Le Figaro, 14 janvier 1998, p. 4, colonne 1. Hubert
Védrine y est désigné comme « un haut responsable, exerçant à l’époque rive droite et aujourd’hui rive gauche », car il est
en 1998 ministre des affaires étrangères. Dans son livre “L’inavouable”, Patrick de Saint-Exupéry dit explicitement qu’il
s’agit d’Hubert Védrine [22, p. 167].
69. Laurent Arnauts, “Hubert Védrine, ancien Ministre des Affaires étrangères français, « Les medias sont pour le repentir
... des autres »”, Le Journal du Mardi (Belgique), 6 décembre 2005. Védrine disait également en 2004 : « La France parvint
quand même à faire signer par les uns et par les autres, le 4 août 1993, les accords d’Arusha au prix de très fortes pressions
sur les deux camps. » Cf. Hubert Védrine, "Rwanda : les faits", La lettre de l’Institut François Mitterrand, numéro 8, juin
2004. En réalité la France a été peu active dans les négociations d’Arusha dont le succès est principalement dû à la Tanzanie
et à la pression des pays « donateurs ».
70. Audition de Georges Martres, MIP [21, Tome III, Auditions, Vol. 1, p. 127].
71. La France s’est peu impliquée dans les négociations d’Arusha. Elle n’y envoie pas de diplomates d’envergure. Celui
qui suit les négociations est Jean-Christophe Belliard, Premier secrétaire de l’Ambassade de France en Tanzanie. Par contre
elle y envoie des militaires comme les colonels Delort et Robardey. James Gasana, à l’époque ministre MRND de la défense
du Rwanda note « une certaine inactivité, une certaine absence d’initiative chez le représentant français au cours des
négociations. [...] Il n’y avait aucun rapport entre le niveau de la présence française au Rwanda – qu’elle soit militaire ou
autre – et le niveau de la présence française à Arusha. ». Cf. MIP [21, Annexes p. 21] ; Audition de James Gasana, MIP
[21, Tome III, Auditions, Vol. 2, p. 53]
72. Voir le télégramme du 11 mars 1993 de l’ambassadeur Martres. La France ne pouvait admettre le contenu des accords
de paix, primo parce qu’ils prévoient l’entrée du FPR au gouvernement et Védrine fait bien sentir que ce n’est pas normal,
secundo parce qu’ils donnent « des avantages exorbitants au FPR, en particulier dans le domaine militaire. Ces avantages
étaient et sont inacceptables et injustes pour la majorité hutu. », comme l’écrit le général Quesnot. Cf. Note du général
Quesnot à l’attention de Monsieur le Président de la République. Objet : Votre entretien avec M. Léotard lundi 2 mai.
Situation. 2 mai 1994, p. 2 ; Bruno Delaye, Christian Quesnot, Entretien avec Françoise Carle, 29 avril 1994 Objet :
Situation au Rwanda, p. 2.

7

7

DÈS LE 8 AVRIL, IL SAVAIT QUE LE GÉNOCIDE ÉTAIT DÉCLENCHÉ

12

Dès le 8 avril, Hubert Védrine savait que le génocide des Tutsi
était déclenché

Dès l’annonce de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, Hubert Védrine savait que
des massacres allaient s’ensuivre. Il a rapporté à la mission d’information parlementaire le commentaire
du Président François Mitterrand lui disant le jour de l’attentat du 6 avril « cela va être terrible ». 73
En 2006, il précise à Gabriel Périès : « Il n’a rien ajouté d’autre. Mais je connaissais le raisonnement
derrière. Depuis 1990, Mitterrand était convaincu que ce serait un massacre général. Jamais les Hutu ne
laisseraient les Tutsi revenir au pouvoir comme ça. Attention, il ne faut pas refaire l’histoire à l’envers.
Personne n’avait anticipé le génocide, mais ... Mitterrand avait la hantise des massacres importants. » 74
Si telle était la hantise de Mitterrand, c’est qu’il était bien conscient du risque de génocide. 75 Il pense
même que les accords d’Arusha, qui accordent cinq portefeuilles ministériels au FPR, rendent ce génocide
inéluctable, puisqu’il dit ici selon Hubert Védrine : « Jamais les Hutu ne laisseraient les Tutsi revenir au
pouvoir comme ça. »
Pourquoi alors avoir armé les Hutu ? Pourquoi avoir continué à envoyer des armes après la signature
des accords de paix ? 76 Il n’y a qu’une explication possible, c’est qu’une « guerre totale » à un ennemi
défini comme étant les Tutsi et ceux qui les soutiennent avait été froidement mise en oeuvre à l’Élysée
tout en sachant les conséquences terrifiantes d’une telle politique. La perspective du génocide des Tutsi
aurait été froidement envisagée à l’Élysée. Matignon, quoique moins bien informé sur le Rwanda, en porte
aussi la responsabilité. Le soutien des accords d’Arusha n’aurait été qu’une attitude de façade.
A la première réunion de crise qui se tient le 7 avril au Quai d’Orsay, le général Huchon déclare
qu’il va y avoir de 50 000 à 100 000 morts. 77 Dès le 8 avril, les dirigeants français, dont Hubert Védrine,
savaient qu’un génocide était déclenché. En effet l’ordre d’opération Amaryllis, rédigé le 8 avril, reconnaît
implicitement que le génocide des Tutsi est déclenché :
OBJ/OPERATION AMARYLLIS
TXT
PRIMO : SITUATION :
POUR VENGER LA MORT DU PRESIDENT HABYARIMANA, DU CHEF ET DE L’ADJOINT DE
LA SECURITE PRESIDENTIELLE TUES DANS L’ECRASEMENT DE L’APPAREIL SURVENU LE 06
AVRIL AU SOIR, LES MEMBRES DE LA GARDE PRESIDENTIELLE ONT MENE DES LE 07 MATIN
DES ACTIONS DE REPRESAILLES DANS LA VILLE DE KIGALI :
- ATTAQUE DU BATAILLON FPR,
- ARRESTATION ET ELIMINATION DES OPPOSANTS ET DES TUTSI,
- ENCERCLEMENT DES EMPRISES DE LA MINUAR 78 ET LIMITATION DE SES DEPLACEMENTS 79
73. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, pp. 204.
74. G. Périès, D. Servenay, Entretien avec Hubert Védrine, jeudi 8 juin 2006 [20, p. 246].
75. Mitterrand ne pensait vraisemblablement pas en terme de génocide. Il pensait en terme de massacres. Mais comme il
s’agit de massacres de Tutsi en tant que tels, nous disons génocide. Cette remarque vaut pour ses collaborateurs proches et
pour l’état-major de l’armée française.
76. Ces livraisons violent l’accord de cessez-le-feu du 16 septembre 1991, intégré dans l’accord de paix d’Arusha du 4 août
1993 qui stipule : « §2. La suspension des fournitures d’armes et de munition dans la zone ; [...] § 7. L’interdiction des
infiltrations de troupes et des transports de troupes et matériels militaires dans la zone occupée par chaque partie. ». Cf.
United Nations “Blue Book” Series, Volume X, The United Nations and Rwanda, 1993-1996 [15, p. 173]. Elles violent en
plus l’accord sur la zone libre d’armes, établie dans la ville de Kigali et aux alentours, signé sous l’égide de l’ONU le 22
décembre 1993 (Kigali Weapons Secure Area (KWSA) agreement)
77. P. Péan [19, p. 289]. Notons qu’aucun télégramme entre Paris et Kigali pour la période du 6 au 15 avril n’a été publié,
nous n’en avons trouvé aucun. Y aurait-t-il trop de choses à cacher ?
78. MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda créée le 5 octobre 1993 par la Résolution 872 du
Conseil de sécurité.
79. MIP, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [21, Annexes, p. 344].

8

IL ÉLUDE LA RECONNAISSANCE DU GIR PAR LA FRANCE

13

Que signifie « Arrestation et élimination des Tutsi » sinon la mise à mort des Tutsi parce qu’ils sont tutsi.
C’est la définition du génocide. Ces quelques phrases témoignent aussi du rôle, dans le déclenchement
des massacres, de la garde présidentielle rwandaise, particulièrement favorisée par la coopération militaire
française. Elles prouvent que le bataillon du FPR a été attaqué par la Garde présidentielle et non l’inverse.
Hubert Védrine ose avancer que ces massacres ne seraient devenus un génocide que plus tard :
M. Hubert Védrine a alors constaté que l’attentat avait jeté à bas cette construction, émis l’idée que, quels
qu’en soient les auteurs, c’était sans doute son but, et qu’ensuite avaient commencé les massacres, de plus en
plus démesurés jusqu’à devenir un génocide. 80

M. Hubert Védrine semble ignorer ici ce qu’est un génocide. Selon la définition du génocide adoptée
par l’ONU en 1948 ce n’est pas la démesure des massacres qui en fait un génocide, mais l’intention de
détruire ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. 81
Il a été démontré par le Tribunal pénal international pour le Rwanda et par d’autres, comme la
Mission d’information parlementaire de 1998 en France, que cette intention de détruire n’a pas été le fait
de quelques tueurs mais qu’elle a été le projet politique planifié et préparé par l’État rwandais. Nous
savons que la France n’a pas cessé de coopérer avec cet État criminel.
Dire comme le fait Hubert Védrine « qu’ensuite avaient commencé les massacres, de plus en plus
démesurés jusqu’à devenir un génocide » c’est laisser croire que les massacres sont apparus comme par
génération spontanée. C’est affirmer que les massacres ont éclaté indépendamment de la volonté des
responsables politiques et militaires rwandais. C’est nier qu’il y a eu planification avant le 6 avril 1994 et
après, mobilisation de tout l’appareil d’État pour éliminer les Tutsi. C’est encore une fois nier les faits
réels et leur ordre de succession dans le temps.

8

Védrine élude la reconnaissance par la France du gouvernement qui exécute le génocide

A la question pourquoi la France a été la seule à reconnaître le gouvernement intérimaire rwandais,
Hubert Védrine répond lors de son audition :
Le vrai problème n’est pas la question de la légitimité ou de l’illégitimité, qui ressort d’un formalisme
démocratique non pertinent dans le contexte de l’époque. Il a rappelé que la France, alors isolée, tentait de
négocier un cessez-le-feu dans une situation où l’on assistait parallèlement à la campagne militaire du FPR
pour conquérir le pays et à la poursuite des massacres. 82

Le processus démocratique ne serait qu’un formalisme ? Il ne serait pas pertinent dans le contexte de
l’époque ? M. Védrine reconnaît donc qu’il y a eu un coup d’État. Quel était ce contexte ? Le président
a été tué dans un attentat le 6 avril 1994 au soir. Madame le Premier ministre a été assassinée le matin
suivant, le 7, par des militaires à 300 m de l’ambassade de France qui ne lui a pas proposé de protection
mais qui, par contre, va accueillir nombre de ministres de ce gouvernement issu du coup d’État. JeanMichel Marlaud, l’ambassadeur de France, voit de ses fenêtres les militaires rwandais équipés de blindés
français tirer sur les casques bleus. Il laisse faire. Vers seize heures avec l’attaché militaire adjoint il
rencontre le colonel Bagosora qui semble orchestrer les massacres. 83 Ils lui conseillent vraisemblablement
de masquer ce coup d’État militaire en formant très rapidement un gouvernement civil. Tout semble
montrer que les Français sont de mèche avec les putschistes et les assassins. C’est pourquoi M. Védrine
préfère passer à un autre sujet.
Le parallélisme qu’Hubert Védrine voit entre la campagne militaire du FPR et les massacres n’a pas
existé. Il voudrait faire ignorer la genèse des événements. Il y a eu en réalité et dans cet ordre, d’abord
des massacres ciblés perpétrés dès l’aube du 7 avril par trois unités où des coopérants militaires français
sont présents, la garde présidentielle, le bataillon para-commandos et le bataillon de reconnaissance, 84
80. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, pp. 200.
81. Voir l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
82. Audition d’Hubert Védrine par la MIP [21, Auditions, Vol 1, p. 210].
83. Audition de l’ambassadeur Marlaud, MIP [21, Tome III, Auditions, Vol. I, p. 296].
84. Le commandant de Saint Quentin est assistant technique au bataillon para-commandos, le commandant de Gouvello au
bataillon de reconnaissance et le chef d’escadron Denys Roux était conseiller au Groupement mobile de la garde présidentielle,
il a quitté Kigali deux semaine avant l’attentat. Cf. République Rwandaise, Ministère de la Défense nationale, Armée
rwandaise, Etat-major, G1, Kigali le 05 mars 1994, Objet : Situation officiers armée rwandaise arrêtée au 01 mars 1994 ;
Rémy Ourdan, Les yeux fermés, Le Monde, 1er avril 1998.

8

IL ÉLUDE LA RECONNAISSANCE DU GIR PAR LA FRANCE

14

puis la formation de ce gouvernement, à la suite de l’assassinat des personnalités politiques favorables
aux accords de paix. Ce qui s’appelle un coup d’État.
La France fait plus que reconnaître ce pseudo-gouvernement puisque son ambassadeur contribue à
sa formation. 85 La constitution de ce gouvernement est une violation des accords de paix. D’une part
le Premier ministre n’est pas celui prévu par les accords 86 et aucun portefeuille n’est attribué au FPR
qui n’a pas été invité aux discussions. 87 Il a été clair dès le début que ce gouvernement n’avait aucune
intention de faire cesser les massacres, bien au contraire.
Le bataillon du FPR stationné au CND en sort le 7 avril vers seize heures parce qu’il est attaqué 88 et
pour faire cesser les massacres qui se déroulent devant lui, massacres que la MINUAR est dans l’incapacité
d’arrêter. 89 Le FPR est le seul à affronter les tueurs dès le 7 avril à 16h. Le FPR est le seul à respecter
les obligations de la Convention de 1948 contre le génocide comme le reconnaît implicitement la Mission
d’information parlementaire française. 90 Le démarrage effectif de l’offensive du FPR n’intervient que le
10 avril dans l’après-midi et non pas le 6 avril au matin comme certains l’affirment. 91
A entendre Hubert Védrine, plus rien n’était pertinent à l’époque. Nous observons que, face au déclenchement du génocide, le FPR respecte les obligations de la Convention de l’ONU contre le génocide. La
force de l’ONU, elle, ne fait rien contre les massacres. La France, bien informée d’un plan de génocide, ne
fait pas intervenir ses soldats contre les tueurs. Au contraire elle va les aider, en particulier en intervenant
au niveau international pour un cessez-le-feu, c’est-à-dire pour arrêter l’action armée du FPR et non pour
arrêter les massacres organisés par le gouvernement intérimaire. Il nous semble que seule l’action du FPR
a été pertinente.
Interviewé dans le film “Tuez les tous” Hubert Védrine reconnaît que, après l’attentat du 6 avril, cela
paraît être une erreur de ne pas avoir pris en compte les massacres :
Donc il y a une situation dans laquelle on se dit, bon, il y a les massacres qui se sont développés à l’intérieur
dès l’assassinat des deux présidents dans l’avion. Mais par ailleurs le FPR et l’Ouganda essaient d’en profiter
pour envahir le pays. Donc il peut y avoir des responsables français notamment militaires à l’époque qui aient
vu le deuxième aspect. Je ne sais pas, avec le recul, ça paraît une erreur ça. Une erreur dans cette petite
période. 92

Interrogé en 2005, Hubert Védrine élude toujours les questions sur la reconnaissance par la France
d’un gouvernement dont la composition violait l’accord de paix d’Arusha :
Laurent Arnauts :
Ce qu’on reproche également à la France, c’est que le gouvernement intérimaire constitué après l’assassinat du président ne reflétait pas du tout la logique de partage du pouvoir d’Arusha. Vous y voyez une
responsabilité ?
85. L’ambassadeur Marlaud reconnaît lui-même avoir accueilli une réunion de plusieurs ministres à l’ambassade dans la
matinée du 8 avril pour former ce gouvernement. Cf. Audition de J.M. Marlaud, MIP [21, Tome III, Auditions, Vol I, page
296-297].
86. Le Premier ministre, Faustin Twagiramungu est pourchassé à ce moment-là par les militaires que la France avait
formés. L’ambassadeur Marlaud lui refuse la protection de l’ambassade de France et l’envoie au représentant de l’ONU
M. Booh Booh. Les ministres réunis à l’ambassade de France refusent la nomination de Twagiramungu comme Premier
ministre. Cf. Audition de J.M. Marlaud, ibidem.
87. Selon les accords de paix, le FPR devait avoir cinq portefeuilles ministériels, il n’en a aucun. De là son refus de
négocier avec ce gouvernement issu du coup d’État. Le général Quesnot et Dominique Pin prétendent que le FPR a refusé
de participé à ce gouvernement, mais il n’y a jamais été invité : « Sur le plan politique un gouvernement intérimaire a été
constitué par les différents partis politiques rwandais conformément aux dosages prévus par les accords d’Arusha. Seul le
FPR a refusé d’y participer, a rompu le cessez-le-feu et entrepris une offensive vers Kigali. » Cf. Dominique Pin, Général
Quesnot, Note à l’attention de Monsieur le Président de la République, 9 avril 1994, Objet : Rwanda - Situation, p. 1.
88. L’ordre d’opération Amaryllis cité plus haut atteste que la garde présidentielle a attaqué le bataillon du FPR.
89. Le général Dallaire fait état de la proposition de Paul Kagame dans la journée du 7 avril de former une force conjointe
avec les FAR et la MINUAR pour arrêter les massacres. Dallaire voulant préserver sa neutralité refuse. Cf. R. Dallaire [5,
pp. 317-323]. Voir également Castonguay [2, p. 146] ; OUA, Le génocide au Rwanda et ses conséquences [10, §14-13] ; Aucun
témoin ne doit survivre [6, p. 229] ; L. Melvern [14, p. 129].
90. « La première réaction des représentants du FPR, le 7 avril, fut d’aller demander au Général Romeo Dallaire de
quelles instructions il disposait pour intervenir, puis de constater que cette carence des Nations Unies l’autorisait à engager l’action militaire pour sauver les Tutsis des massacres en donnant à ses troupes basées à Mulindi l’ordre de faire
mouvement. », MIP [21, Tome I, Rapport, p. 265].
91. Ordre de conduite n˚ 2 de l’opération Amaryllis, MIP [21, Rapport, pp. 254, 257].
92. Raphaël Glucksmann, David Hazan et Pierre Mezerette, “Tuez les tous”, coproduction Dum Dum Films et La Classe
Américaine, diffusé sur FR3 le 27 novembre 2004.

9

LA FRANCE AURAIT FAIT APPEL À L’ONU DÈS LE DÉBUT DES MASSACRES

15

Hubert Védrine :
Il ne faut pas surinterpréter cet épisode, ces décisions ont été prises en quelques jours dans une situation
de panique. A l’époque la France et la Belgique, qui à ce moment-là ont retiré l’essentiel de leurs troupes, se
retrouvent en porte à faux. La Belgique retire d’ailleurs celles qui restaient après l’assassinat des dix casques
bleus belges. La France est à l’époque en pleine cohabitation [...] Elle commence très vite à demander à ses
partenaires du Conseil de sécurité de l’ONU l’envoi d’une force d’interposition dès que possible. Elle rencontre
le désintérêt le plus total ou le refus d’y aller. [...] 93

Hubert Védrine voudrait oublier et nous faire oublier cet épisode, ces journées du 7 au 9 avril où les
massacres commencent et où la machine du génocide se met en place avec la formation du gouvernement
intérimaire. C’est ce gouvernement, en effet, qui met en oeuvre le plan d’extermination d’au moins un
million de personnes. 94 Sur vingt et un ministres de ce gouvernement formé sous les auspices du Colonel
Bagosora et de l’ambassadeur de France, dix sept sont accusés de génocide par le TPIR. 95
Non seulement Hubert Védrine escamote le rôle de la France dans la formation de ce gouvernement
mais il cache que les 464 soldats français qui débarquent le 9 avril à Kigali, jour de la prestation de
serment du gouvernement intérimaire, ont ordre de ne pas arrêter les massacres et ne collaborent pas
pour cela avec les casques bleus. 96 De plus la France fait ce qu’il faut pour que l’effectif des troupes que
la Belgique envoie soit réduit au minimum pour ne pas déplaire aux autorités rwandaises. 97 Les troupes
belges arrivent le 10 avril mais sont bloquées à l’aéroport le 10 et le 11 avril. Les militaires français
d’Amaryllis partent le 13 avril avant les soldats belges, abandonnant les Tutsi aux tueurs. 98 Donc quand
le gouvernement intérimaire prête serment le 9 avril la France n’a pas retiré ses troupes comme veut le
faire croire Védrine. Au contraire elles arrivent.

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La France aurait fait appel à l’ONU dès le début des massacres
Hubert Védrine veut faire croire que la France a fait appel à l’ONU dès le début des massacres :
Le Ministre des Affaires étrangères a évoqué la réflexion engagée ces dernières années sur la notion du droit
ou du devoir d’ingérence. Il a souligné que les problèmes posés par une intervention extérieure ne sont pas
seulement juridiques mais pratiques. Ainsi, la France s’est-elle tournée, au début des massacres au Rwanda,
vers l’ONU car elle ne pouvait pas agir sans mandat or, les membres du Conseil de Sécurité n’ont pas répondu
à son appel, non par indifférence, mais chacun pour des raisons qui lui étaient particulières : géopolitiques,
politiques ou financières. 99

Il ne s’agit pas d’un lapsus ou d’une erreur de transcription car Hubert Védrine réitère la même affirmation
mensongère en 2004, qui plus est, en se défaussant sur un autre pays :
93. Laurent Arnauts, “Hubert Védrine, ancien Ministre des Affaires étrangères français, « Les medias sont pour le repentir
... des autres »”, Le Journal du Mardi (Belgique), 6 décembre 2005.
94. La Mission d’information parlementaire française de 1998 l’a reconnu dans son rapport : « Le génocide commence dans
la nuit du 6 avril 1994, dure quatre mois, fait un nombre de victimes de l’ordre de 800.000. Il est couvert ou organisé par des
membres du gouvernement intérimaire mis en place après la disparition d’Habyarimana, mais aussi par des responsables
militaires, ainsi que les membres de la CDR, du MRND et leurs milices. » Cf. L’État rwandais ordonnateur du génocide,
MIP [21, Tome I, Rapport, p. 335].
95. TPIR : Tribunal pénal international sur le Rwanda, chargé par l’ONU de juger les présumés coupables de génocide
en 1994 au Rwanda. A ce jour sur ces dix sept ministres accusés de génocide, deux d’entre eux ont été acquittés, quatre ont
été condamnés, trois sont en fuite, le reste est en cours de jugement.
96. Le colonel Poncet écrit dans son rapport que le COMOPS a aidé les journalistes « dans leurs déplacements mais avec
un souci permanent de ne pas leur montrer des soldats français limitant l’accès aux centres de regroupement aux seuls
étrangers sur le territoire du Rwanda (Directive n˚008/DEF/EMA du 10 avril) ou n’intervenant pas pour faire cesser des
massacres dont ils étaient témoins proches. ». Cf. Colonel Henri Poncet, « Compte rendu de l’opération AMARYLLIS »,
Carcassonne, 27 avril 1994, N˚ 018 /3˚ RPIMa/EM/CD.
97. Le représentant français à l’ONU transmet le 8 avril à Paul Noterdaeme, représentant de la Belgique, l’opposition du
représentant du Rwanda à l’envoi de renforts belges. Cf. Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge [23, 1-611/7,
§3.8.3.1, p. 537]. L’ambassadeur de France, Jean-Michel Marlaud insiste pour que l’effectif des renforts belges soit de 250
et non 400. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [21, Tome I, Rapport, p. 259-260].
98. Le Lieutenant-colonel Maurin, resté avec le détachement spécialisé du COS, décolle le 14 à 17h 30. Le retrait des
soldats belges de l’opération Silver Back se termine le 15 en fin de journée. Le retrait du bataillon belge de la MINUAR
commence le 19 et se termine le 20 avril.
99. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 201.

10

IL JUSTIFIE L’ACCUEIL DES GÉNOCIDAIRES À PARIS LE 27 AVRIL

16

Dès les premiers jours la France saisit le Conseil de sécurité pour que soit envoyée d’urgence une force
d’interposition. Mais aucun pays ne répondit. Les États-Unis, échaudés par leur dix-huit tués en Somalie,
bloquèrent tout engagement. 100

La France ne s’est pas tournée « au début des massacres » vers l’ONU. Au contraire, les militaires français
présents à Kigali n’ont pas levé le petit doigt pour empêcher l’armée rwandaise de menacer les casques
bleus avec des automitrailleuses fournies par la France et n’ont rien fait pour empêcher la mise à mort des
dix casques bleus belges, le matin du 7 avril au camp « Kigali » où se trouvaient des coopérants militaires
français. 101 L’opération Amaryllis d’envoi de parachutistes pour évacuer les ressortissants français a été
organisée à l’insu de l’ONU et sans coordination avec elle, comme le révèle une note du 8 avril du général
Quesnot à François Mitterrand. 102 La France se refusera à coopérer avec la MINUAR et les Belges pour
stopper les massacres. L’ambassade de France a même fait courir le bruit que c’était des Belges de la
MINUAR qui avait commis l’attentat contre le Falcon présidentiel. 103 Par ailleurs la France a manoeuvré
pour faire partir le général Dallaire. 104 Enfin, elle vote le 21 avril au Conseil de sécurité la résolution 912
qui diminue les effectifs de la MINUAR de 2500 à 270. Cette réduction assure les tueurs de l’impunité
et encourage le gouvernement intérimaire à étendre les massacres à toutes les régions qu’il contrôle. La
France a plutôt tout fait pour que l’ONU parte et que les massacres puissent se dérouler sans témoins
étrangers.
Ce n’est que vers le 13 mai, un mois après le début du génocide, que la France demande un renforcement
de la MINUAR. Elle réclame même que celle-ci puisse agir sous le chapitre VII. 105 À cette date, l’essentiel
des massacres a été accompli. Mais les amis de la France sont militairement en mauvaise posture, chassés
de l’est du pays par les troupes du FPR qui ne trouvent plus que des cadavres. Comme le dit si bien
Védrine plus haut, la France demande à l’ONU l’« envoi d’une force d’interposition ». Il rappelle ainsi la
position diplomatique de la France qui demandait des casques bleus pour s’interposer entre d’une part
le FPR et d’autre part l’armée gouvernementale les milices et les groupes d’auto-défense. En somme, la
France demandait à l’ONU d’arrêter l’offensive du FPR contre ceux qui perpétraient le génocide.

10

Védrine justifie l’accueil des génocidaires à Paris le 27 avril

A la question de Bernard Cazeneuve sur le «contact, évoqué par la presse, du 27 avril 1994 entre
le Ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire rwandais et des responsables politiques
français, à l’Hôtel Matignon », Hubert Védrine répond :
que les contacts entre la France et tous les protagonistes s’étaient poursuivis durant quelques semaines après
le début des combats, aussi longtemps que demeurait l’espoir de conclusion d’un cessez-le-feu. Les contacts
tous azimuts – avec les Hutus, le FPR, l’Ouganda, les autres pays africains – ne doivent pas être considérés
isolément, sous peine de fausser l’analyse. 106

Il est clair dans cette réponse que les massacres ne sont pas le souci premier du secrétaire général
de l’Élysée. Bernard Cazeneuve et Hubert Védrine s’abstiennent d’évoquer la présence à Paris ce 27
avril 1994 du dirigeant CDR Jean-Bosco Barayagwiza, un des principaux idéologues et organisateurs du
génocide. 107 Hubert Védrine ne donne aucun détail sur cette visite. Nous ne savons pas s’il était présent.
Il est très probable qu’il a participé à son organisation.
100. Hubert Védrine, "Rwanda : les faits", La lettre de l’Institut François Mitterrand, numéro 8, juin 2004.
101. Le commandant Erwan De Gouvello ainsi que deux adjudant-chefs, Salomora Jacques Teura et André Ducourtioux
sont affectés au bataillon de reconnaissance qui est basé au camp Kigali. Ils ont probablement assisté à la mise à mort des
casques bleus belges.
102. Le général Quesnot écrit à François Mitterrand : « M. Boutros Ghali sera dans un premier temps sensibilisé à la
situation sur place et ne sera informé de l’opération qu’au moment de son exécution afin de ne pas en compromettre la
sécurité. La même démarche sera faite auprès des autres membres du Conseil de Sécurité. » Cf. Général Quesnot, Note à
l’attention de Monsieur le Président de la République. Objet : Rwanda - Sécurité de nos ressortissants, 8 avril 1994.
103. Colette Braeckman, [1, p. 177], Colette Braeckman, La face cachée du génocide rwandais, Le Soir, 31 mars 2004, p.
10 ; J. Morel, G. Kapler, “Un juge de connivence ?”, La nuit rwandaise, 7 avril 2007, p. 67.
104. Linda Melvern [14, p. 179], R. Dallaire [5, p. 274].
105. MIP [21, Tome I, Rapport, p. 290].
106. Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, p. 207.
107. Jean-Bosco Barayagwiza serait l’auteur du slogan « Abatutsi tuzaba tsembatsemba » (« Les Tutsi, nous les exterminerons tous ») que chantaient les miliciens quand ils allaient massacrer. Cf. Procès des medias, TPIR Case No ICTR-99-52-T
Judgement 6.1 §687 p. 240.

10

IL JUSTIFIE L’ACCUEIL DES GÉNOCIDAIRES À PARIS LE 27 AVRIL

17

Interrogé dans le film “Tuez les tous” sur cette rencontre, Hubert Védrine reconnaît qu’il aurait mieux
valu l’éviter mais qu’il n’y avait pas d’autres interlocuteurs puisqu’il était hors de question de parler au
FPR :
Politiquement, il est clair avec le recul, qu’ils auraient mieux fait de s’abstenir de ces contacts. Mais
j’imagine que, dans le feu de l’action... Et qu’est-ce qu’il y a comme autre responsable au Rwanda à l’époque ?
Recevoir le FPR à ce moment-là, c’est reconnaître que, en Afrique, on peut changer un régime par une
opération militaire montée depuis un pays étranger. C’est exactement ce que la France essaie d’empêcher
depuis des décennies. 108

Ici Hubert Védrine nous montre que l’obsession des responsables français pour conserver leur « précarré », version moderne de l’Empire colonial, est telle, qu’ils préfèrent le génocide plutôt que le renversement d’un gouvernement raciste et dictatorial mais pro-français. Certes à l’époque, ils ne pensent pas en
terme de génocide, ils ont réussi à empêcher le Conseil de sécurité d’employer le mot « génocide », 109 et
ils savent que le rééquilibrage militaire qu’ils préparent permettra des négociations entre le gouvernement
intérimaire et le FPR qui empêcheront la qualification des massacres en génocide.
Les contacts entre le gouvernement français et le gouvernement intérimaire rwandais n’ont pas cessé
après le 6 avril 1994. Mise en place du nouveau gouvernement avec l’aide de l’ambassade de France au
milieu des massacres, cadeaux en armes et munitions des troupes françaises d’Amaryllis, maintien de
quelques militaires français au Rwanda jusqu’au retour des troupes françaises, 110 appel téléphonique du
Président Sindikubwabo le 4 mai, 111 entretiens Rwabalinda-Huchon du 9 au 13 mai 1994, intervention de
Bruno Delaye auprès de l’état-major des FAR pour empêcher une attaque de l’hôtel Mille collines, 112 envoi
du capitaine Barril pour reconstituer des commando d’actions sur les arrières du FPR (CRAP), 113 mission
Kouchner du 12 au 16 mai visant à faire croire que le gouvernement rwandais n’est pas l’organisateur des
tueries, remerciements du Président Sindikubwabo à François Mitterrand le 22 mai 1994 pour « le soutien
moral, diplomatique et matériel que Vous lui [au Rwanda] avez assuré depuis 1990 jusqu’à ce jour », 2e
mission de Kouchner à Kigali le 17 juin pour négocier l’envoi de soldats français à Kigali, 114 nomination de
Yannick Gérard comme représentant français auprès du gouvernement intérimaire à Gisenyi, les contacts
n’ont pas cessé jusqu’à la fuite du gouvernement intérimaire rwandais au Zaïre le 17 juillet et même au
delà.
Mme Allison Des Forges reconnaît que d’autres gouvernements eurent aussi des contacts avec le
gouvernement intérimaire, mais des contacts plus discrets. Cet appui officiel de la France répondait,
selon elle, à la volonté de donner une respectabilité à ce gouvernement vis-à-vis de la communauté
internationale :
Si les responsables français choisirent de garder le contact de manière aussi visible avec le gouvernement
génocidaire, ils le firent en ayant pleinement conscience du message politique qu’ils transmettaient. Cela rendait
108. Film “Tuez les tous”, ibidem.
109. La déclaration de Colin Keating, Président du Conseil de sécurité, le 30 avril condamne les massacres au Rwanda
en citant la définition du génocide mais sans utiliser le mot génocide. La proposition initiale de Colin Keating ne mettait
en demeure que le GIR de faire cesser les massacres. Le représentant français s’y est opposé comme le prouve le général
Quesnot : « Aux Nations-unies, la France a du s’opposer à une condamnation partisane des seules exactions commises par
les forces gouvernementales. » Cf. Nations Unies S/PRST/1994/21 ; L. Melvern [14, p. 180] ; Christian Quesnot, Chef de
l’État-major particulier, Note du 2 mai 1994 à l’intention du Président de la République, Objet : Votre entretien avec M.
Léotard, lundi 2 mai. Situation, Note manuscrite : « Vu. HV », p. 2
110. Le général Lafourcade reconnaît que des militaires français étaient à Kigali pendant le génocide. Cf. Entretien du 16
février 2006, G. Périès et D. Servenay [20, p. 324]
111. Note du général Quesnot à l’attention de Monsieur le Président de la République, 6 mai 1994, Objet : Entretien avec
le chef d’Etat intérimaire du Rwanda. Note manuscrite : « Signalé. HV »
112. Les autorités françaises seraient intervenues trois fois, les 23 avril, 3 et 13 mai pour empêcher que les personnes
réfugiées à l’hôtel Mille collines soient massacrées par l’armée et les milices rwandaises. Ceci à la demande de la direction
de la Sabena propriétaire des lieux et sans doute plus soucieuse de protéger ses biens et immeubles des dégradations, que
des réfugiés qui s’y trouvaient.
113. Les preuves attestant la mission de l’ex-capitaine Barril pour reformer des commandos CRAP et fournir des armes
pendant le génocide sont apportées par la lettre de l’attaché de défense rwandais, Sébastien Ntahobari, à Paul Quilès,
Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [21, Annexes p. 570]. On consultera aussi Aucun témoin ne doit survivre [6,
p. 774] ; L’horreur qui nous prend au visage [4, p. 136] ; Interview de Paul Barril par Raphaël Glucksmann, non publié.
Point de situation de la DGSE daté du 14 juin 1994. Cf. Gérard Davet et Piotr Smolar, Des notes de la DGSE soulignent
les ambiguïtés de l’action de la France au Rwanda de 1993 à 1995, Le Monde, 24 décembre 2006, p. 6.
114. Sur les deux missions de Bernard Kouchner au Rwanda pendant le génocide, voir Jacques Morel, Georges Kapler,
“Concordances humanitaires et génocidaires, Bernard Kouchner au Rwanda”, La Nuit Rwandaise, no 1, 7 avril 2007.

11

LA FOURNITURE D’ARMES AUX GÉNOCIDAIRES PAR LA FRANCE

18

le génocide respectable à Paris, ses partisans au Rwanda étaient encouragés et le gouvernement intérimaire
disposait ainsi d’un levier lui donnant accès à d’autres capitales étrangères. 115

11

La fourniture d’armes aux génocidaires par la France

Hubert Védrine reconnaît que la France a livré des armes après le début des massacres d’avril 1994.
À la critique que « des livraisons d’armes ont continué après le début des massacres », il répond :
[...]les dernières livraisons d’armes à l’armée rwandaise contre l’offensive ougando-FPR ont continué quelques
jours après le début des massacres, mais bien sûr ceux-ci n’ont pas eu lieu avec des armes françaises. 116

Dès le 8 avril, les dirigeants français, dont Hubert Védrine, savaient qu’un génocide était déclenché.
Hubert Védrine savait donc que ces livraisons d’armes étaient destinées à des forces qui massacraient les
Tutsi comme tels. 117
M. Hubert Védrine ne peut nier que le soutien de la France aux auteurs du génocide s’est poursuivi bien
après le début des massacres. En effet, il en a eu connaissance directe prouvée par la mention Signalé/HV
sur la note du Général Quesnot du 24 mai communiquant à François Mitterrand la lettre du Président
intérimaire rwandais Théodore Sindikubwabo du 22 mai où ce dernier remercie Mitterrand de son aide
apportée jusqu’à ce jour et lance un nouvel appel au secours suite à la prise de l’aéroport de Kigali par le
FPR. 118 Remarquons que, ce 22 mai, cela fait un mois et demi que le génocide des Tutsi s’exécute, que
l’essentiel des massacres a été accompli en avril et que l’auteur de cette lettre, si chaleureuse, a beaucoup
donné de sa personne pour faire démarrer les massacres dans la région de Butare dont il est originaire.
Hubert Védrine est d’autant plus informé, que le Général Quesnot, redoutant la création par le FPR
d’un « Tutsiland » au Rwanda, fait apporter une aide militaire indirecte aux auteurs du génocide. 119 « A
défaut d’une stratégie directe dans la région qui peut apparaître politiquement difficile à mettre en oeuvre,
écrit ce dernier à Mitterrand dans une note visée par Hubert Védrine, nous disposons des moyens et des
relais d’une stratégie indirecte qui pourraient rétablir un certain équilibre.» 120
Certes Quesnot met pourraient au conditionnel. Mais il existe de nombreux indices tendant à prouver
que la France a livré ou fait livrer des armes et du matériel militaire pendant le génocide. Le colonel
rwandais Cyprien Kayumba passe plusieurs semaines à Paris pendant le génocide pour acheter des armes,
en particulier auprès de la SOFREMAS et de la société Luchaire. 121 Il est reçu par le général Huchon. 122
Le colonel rwandais Ephrem Rwabalinda vient s’entretenir avec le général Huchon, chef de la Mission
militaire de Coopération, de fourniture d’armes, d’appareils de communication et de soutien militaire du
9 au 13 mai 1994 en plein génocide. 123
Un soutien militaire fut apporté sur le terrain sous couvert de l’opération humanitaire Turquoise. Il
a consisté dans un premier temps, à tenter de consolider l’armée rwandaise et dans un second temps à
protéger la fuite des auteurs du génocide. Il a permis que le nettoyage ethnique continue dans une zone
dite « sûre ».
115. Aucun témoin ne doit survivre, [6, p. 767].
116. Hubert Védrine, "Rwanda : les faits", La lettre de l’Institut François Mitterrand numéro 8, juin 2004, p. 24
117. Une de ces livraisons d’armes a été faite directement par l’armée française. Un avion français venu pour évacuer des
civils dans le cadre de l’opération « Amaryllis » débarque des armes pour les FAR le 9 avril vers 3 h du matin d’après
le témoignage du colonel belge Luc Marchal, commandant le secteur Kigali de la force de l’ONU, la MINUAR. Cf. Luc
Marchal [13, p. 246-247]. Édouard Balladur a prétendu qu’il avait imposé un embargo sur les livraisons d’armes au Rwanda
le 8 avril. Cf. Audition d’Édouard Balladur, MIP [21, Auditions Vol. 1, pp. 87, 106].
118. Dr Théodore Sindikubwabo, Président de la République à Son Excellence Monsieur François Mitterrand, Kigali le
22 mai 1994. Lettre transmise par le général Quesnot à l’attention de Monsieur le Président de la République. Objet :
Correspondance du docteur Théodore Sindikubwabo Président par interim du Rwanda, 24 mai 1994. Note manuscrite :
« Signalé/HV ». Le fac-simile d’une lettre datée de juin 1992 du Président du Conseil National de développement signée
Sindikubwabo permet d’authentifier sa signature.
119. Il le nie devant la Mission d’information parlementaire. Cf. Patrick de Saint-Exupéry, "Hubert Védrine dément toute
action occulte", Le Figaro, 6 mai 1998.
120. Note du général Quesnot à l’attention de Monsieur le Président de la République. Objet : Entretien avec le chef de
l’Etat intérimaire du Rwanda, 6 mai 1994.
121. Patrick de Saint-Exupéry France-Rwanda : le temps de l’hypocrisie, Le Figaro, 15 janvier 1998, p. 5.
122. Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : des silences d’Etat, Le Figaro, 14 janvier 1998, p. 4, col. 7.
123. Cette visite a été confirmée par le juge Bruguière dans son ordonnance de soit-communiqué du 17 novembre 2006,
page 36. Nous le remercions de sa collaboration.

12

CAMOUFLAGE DE TURQUOISE EN OPÉRATION HUMANITAIRE

19

Hubert Védrine prétend que les armes livrées par la France n’ont pas servi à l’exécution du génocide,
laissant entendre, à l’instar de nombreux dirigeants français qui cherchent à se blanchir, que les massacres
n’auraient été exécutés qu’avec des machettes, des armes traditionnelles et des houes. C’est faux, toutes les
armes ont été utilisées. Ce sont des blindés AML Panhard, fabriqués en France et le plus souvent offerts au
titre de la coopération, qui ont servi à neutraliser la MINUAR le 7 avril et à assassiner le Premier ministre,
madame Agathe Uwilingiyimana. 124 L’armée rwandaise, largement équipée par la France, a participé au
génocide, de même que la gendarmerie et les policiers. Les massacres commençaient en général par des tirs
d’armes à feu et des lancers de grenades exécutés par des militaires ou anciens militaires, des gendarmes,
des policiers ou des miliciens. Ceci parce que les Tutsi se défendaient par des lancers de pierre. Il fallait
donc les attaquer à distance. Les machettes n’étaient utilisées qu’après que les victimes aient épuisé leurs
moyens de défense.
Un certain nombre de massacres ont été menés en premier lieu par des militaires comme ceux de
Kigali à partir du 7 avril perpétrés par les unités d’élite qui disposaient d’instructeurs et d’équipements
français, les massacres de Gisenyi le 7 avril, de Butare après le 19 avril sont déclenchés aussi par des
militaires, celui de Runyinya le 21 avril est perpétré par des soldats de l’école de sous-officiers de Butare,
des militaires participent aux grandes attaques à Bisesero et au ratissage fin juin.
Les miliciens Interahamwe obtenaient des armes, fusils, kalashnikovs, grenades de l’armée rwandaise. 125 Il est difficile avant et pendant le génocide de distinguer les miliciens des militaires. 126 Les
journalistes français qui couvrent l’opération Turquoise parlent de recrues qui montent au front en désignant des jeunes habillés en civil et encadrés par des militaires. 127

12

Hubert Védrine est un des principaux acteurs du camouflage
de l’intervention militaire Turquoise en opération humanitaire

Juste après la décision d’intervention prise le 15 juin en Conseil restreint, Hubert Védrine pilote l’envoi
de Bernard Kouchner au Rwanda dans le but d’obtenir du général Dallaire le feu vert pour l’envoi des
paras français à Kigali afin de sauver des orphelins et d’autres personnes menacées. Nous savons qu’il s’agit
d’un prétexte humanitaire pour justifier une présence militaire française à Kigali qui s’interposerait entre
le FPR, les FAR, milices et groupes d’auto-défense et permettrait à ces tueurs de se maintenir à Kigali. 128
Dès le 17, Kouchner rend compte de sa mission depuis Kigali à Hubert Védrine par téléphone. 129 Dallaire
se serait opposé à son initiative en disant que : « Pour sauver quelques vies, on va en mettre de très
nombreuses en péril.» Kouchner suggère de déclarer que la France a changé de politique : « Il serait bon
124. Le Capitaine Innocent Sagahutu (Commandant en second du Bataillon de Reconnaissance, diplômé de l’école supérieure d’application de l’arme blindée de Saumur. Cf. Didier Patry [16, p. 67]) a ordonné l’utilisation des blindés et de
faire feu sur les militaires belges s’ils s’opposaient à l’arrestation du Premier Ministre. Cf. Le Procureur du Tribunal contre
Augustin Bizimungu ... Acte d’accusation TPIR 2000- 56-I §5.31, 5.32. Le commandant de Gouvello et deux adjudants-chefs
étaient en charge de la formation du bataillon de reconnaissance sur ses blindés.
125. Voir par exemple Jean Hélène, En dépit de nombreux témoignages, le chef des milices rwandaises réfute les accusations
de génocide, Le Monde, 17 mai 1994
126. Un exemple, vers la fin avril ou début mai, le général Gratien Kabiligi accompagne des Interahamwe et des commandos
de chasse, tous armés d’armes à feu, pour tuer les Tutsi réfugiés à l’école sur la colline boisée de Mburabuturo vers
Gikondo (Kigali). Cf. Témoin DCH, TPIR, Affaire N˚ ICTR-98-41-T, Le Procureur contre Bagosora, Kabiligi, Ntabakuze,
Nsengiyumva, 18 juin 2004.
127. Par exemple, Michel Peyrard écrit le 24 juin : « Montant vers le front, nous dépassons des bataillons frais composés
de toutes jeunes recrues qui se dirigent à pied vers la zone des combats. » Cf. Michel Peyrard, « Je ne veux voir ni arc,
ni lance, ni machette et surtout pas d’effusion », martèle le colonel, Paris-Match, 7 juillet 1994, p. 46. Les photos ne
montrent que des jeunes habillés en civil entraînés par des militaires qui sont même parfois français. Cherchez sur le site
web http://pro.corbis.com/search/searchFrame.aspx, mots clés : Rwanda 1994.
128. Au conseil restreint du 15 juin, François Mitterrand justifie ainsi une intervention militaire française sur Kigali :
« Nous pourrions limiter nos objectifs. J’ai reçu des organisations humanitaires et hier soir, Médecins sans Frontières.
J’en tire la conclusion que notre effort pourrait être limité à la protection de certains sites, des hôpitaux ou des écoles,
sans entrer dans une opération militaire d’ensemble qui serait difficile car il n’existe pas de front continu. A Kigali même
il y aurait deux ou trois sites et il faudrait examiner cas par cas d’autres villes.» Cf. Conseil restreint du 15 juin 1994, cité
par P. Péan [19, p. 520].
129. Le Secrétaire général de la Présidence de la République, Note pour le président de la République, Objet : Rwanda Appel de Bernard Kouchner, 17 juin 1994.

12

CAMOUFLAGE DE TURQUOISE EN OPÉRATION HUMANITAIRE

20

de faire une déclaration regrettant le passé et en précisant que nous n’entendons mener au Rwanda que
des opérations humanitaires.» Il dit être pour sa part « en faveur d’une intervention » mais conseille
de « bien en mesurer les conséquences.» Lors de cette conversation téléphonique avec Hubert Védrine,
Bernard Kouchner demande de pouvoir s’entretenir au téléphone avec François Mitterrand depuis Kigali.
Rendez-vous est pris.
Contrairement au conseil de Bernard Kouchner, aucun regret quant au passé n’a été exprimé par
l’Élysée. Le 21 juin, lors de la rencontre au Quai d’Orsay avec les représentants du FPR – dont Jacques
Bihozagara – , Philippe Baudillon, conseiller diplomatique du Premier ministre Édouard Balladur, leur
déclare que « depuis un an la France s’était dotée d’une nouvelle politique africaine.» Mitterrand, furieux,
écrit sur le compte-rendu qu’en fait Bruno Delaye « inadmissible ! le dire à Matignon » et il souligne trois
fois Matignon. Hubert Védrine lui avait signalé la page 3 contenant la déclaration de Baudillon. Védrine
ajoute à la main « Je le dirai à N. Bazire et à B de M » (Bernard de Montferrand, conseiller diplomatique
d’Edouard Balladur). 130 Hubert Védrine, comme François Mitterrand et ses autres conseillers, montre
ici, qu’en dépit des centaines de millier de morts provoquées par leurs décisions, il ne reconnaîtront jamais
leur responsabilité.
Le 21 juin, Bernard Kouchner rentre à Paris et rencontre aussitôt Hubert Védrine et Bruno Delaye.
Afin « d’éviter les risques de dérapage de notre opération humanitaire », il souhaite attirer l’attention
de François Mitterrand sur le fait que l’opération doit être localisée et limitée dans le temps, que les
militaires doivent avoir un encadrement politique de haut niveau ayant un contact avec le FPR, que
l’opération doit éviter Kigali et doit être présentée « comme une étape nouvelle de notre politique ». 131
Hubert Védrine ajoute en note qu’il a assisté à l’entrevue avec Kouchner et que celui-ci souhaite que
« notre opération n’ait d’autres buts que d’obliger d’autres pays à venir.» En fait, les dirigeants français
ne voulaient surtout pas paraître isolés diplomatiquement, mais ils préféraient bien sûr être seuls sur le
terrain afin d’avoir les mains plus libres.
Le 23 juin 1994, Hubert Védrine adresse une note manuscrite à François Mitterrand déconseillant la
participation du Général Quesnot au voyage de François Léotard, ministre de la Défense au Rwanda :
Monsieur le Président
le général Quesnot demande à accompagner M. Léotard (1). Je ne crois pas que cela soit opportun. Les
journalistes connaissent trop ses positions très anti-FPR. Il a d’ailleurs été pris nommément à partie par un
communiqué du FPR.
Peut-être en revanche peut-on demander à un de ses adjoints d’accompagner M. Léotard, s’il faut quelqu’un.
Hubert Védrine
(1) Cf télégramme joint 132

François Mitterrand répond par une annotation : « Je ne crois pas qu’il soit utile d’accompagner le
ministre. » Cette note démontre l’influence primordiale d’Hubert Védrine sur François Mitterrand au
point de pouvoir contrer celle du chef d’état-major particulier qui est l’acteur majeur de la politique
française au Rwanda. Elle tend à démontrer la coresponsabilité d’Hubert Védrine dans les décisions du
Président de la République.
Durant Turquoise, l’action d’Hubert Védrine a consisté à contrôler la communication officielle afin
que l’objectif humanitaire ne puisse être mis en doute, tout en ne laissant rien paraître du soutien que la
France continue d’apporter au gouvernement intérimaire rwandais et à ses tueurs.
Les confidences qu’Hubert Védrine fait dans le film “Tuez les tous” témoignent que l’opération Turquoise se voulait au départ beaucoup plus offensive qu’elle n’a été en réalité :
On s’est dit, tant qu’à y aller, autant sécuriser le plus possible. Donc autant intervenir dans la zone la
plus large possible pour essayer de mettre un terme aux massacres. Massacres, contre-massacres, il y a eu des
vengeances. Donc si on y va, on va essayer d’y aller largement. Donc, il y a eu des études pour savoir si la
130. Note de Bruno Delaye à l’intention de FM Objet : Rwanda - Entretien à Paris avec des représentants du FPR, 22
juin 1994.
131. Note de Bruno Delaye à l’attention de Monsieur le Président de la République, Objet : Rwanda - B. Kouchner, 21
juin 1994.
132. Note de Hubert Védrine à François Mitterrand, 23 juin 1994.

13

SON RÔLE DANS LE REFUS D’ARRÊTER LES ASSASSINS

21

France pouvait intervenir partout, établir des corridors partout. On pouvait peut-être aller jusque Kigali si
c’était nécessaire, si c’était utile.

Bien sûr la motivation est d’arrêter les massacres et comme il le souligne les actes de vengeance c’està-dire d’arrêter l’offensive du FPR. Mais l’intention est bien d’intervenir partout même à Kigali et sans
doute dans la zone du FPR. Ce qui suscite la réaction de Raphaël Glucksman : « Ce plan suppose d’entrer
en affrontement avec le FPR » à laquelle Védrine fait une réponse hallucinante :
Le FPR à l’époque est encore une fois une armée tutsi de l’extérieur qui n’existerait pas sans une logistique
ougandaise. Donc, après tout, s’il y avait eu un affrontement, quel que soit le régime du Rwanda, cela aurait
été l’application de l’accord de défense entre la France et le Rwanda. C’est pas ce qui a été fait finalement.
Mais le FPR, en terme de légalité, de légitimité internationale, le FPR avait le moins le droit de prendre le
pouvoir par la force à Kigali avec l’armée de l’Ouganda que la France de mettre en oeuvre les accords de
défense.

Donc l’action armée du FPR serait illégale, ce serait une agression alors que l’intervention de la France
serait légale à cause d’un accord de défense entre la France et le Rwanda. Nous avons vu plus haut que
l’action du FPR était l’exercice d’un droit d’exilés au retour et qu’il n’y a jamais eu d’accord de défense
signé entre la France et le Rwanda.

13

Hubert Védrine et la non-arrestation des assassins

La question de l’arrestation des membres du gouvernement rwandais, responsables des massacres,
a fait débat parmi les dirigeants français d’autant plus que plusieurs d’entre eux ont reconnu qu’il y
avait génocide. Ils savaient que ce faisant ils étaient tenus de faire arrêter les coupables présumés. Cette
obligation était devenue impérative dans la mesure où la qualification de génocide avait été donnée le 28
juin 1994 aux massacres des Tutsi par une instance de l’ONU, le rapporteur spécial de la Commission des
droits de l’homme, M. Degni-Ségui. 133 Mais personne n’avait réellement l’intention d’arrêter des amis
qu’on avait soutenus jusqu’à maintenant. Donc on devait les laisser fuir. Mais s’ils venaient à se réfugier
dans la zone humanitaire que la France avait décrétée dans le cadre de son mandat onusien – sans qu’il
y ait eu d’ailleurs de débat à ce sujet au Conseil de sécurité –, cela devenait extrêmement gênant. La
France aurait été montrée du doigt à l’ONU comme protégeant des assassins. Pour sauver les apparences
il fallait absolument les dissuader d’y rentrer, donc les menacer d’une arrestation. 134 C’est du moins ce
que déclarèrent des officiels à Paris 135 et fit l’objet de la dépêche du 15 juillet de l’agence Reuter.
Dans les archives François Mitterrand, cette dépêche porte une note manuscrite d’Hubert Védrine :
« Lecture du Président. Ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier Ministre. H Védrine » et le paragraphe
"S’ils viennent à nous et que nous en sommes informés, nous les internerons. [...]" est coché.
Il est probable que certaines personnes à l’Élysée, le Président lui-même peut-être, auraient été d’accord pour que le gouvernement intérimaire se replie dans la zone protégée par l’armée française. C’est
d’ailleurs ce qu’a exprimé le général Lafourcade. 136 C’était aller à l’encontre de l’idée que l’on se fait à
l’ONU d’une zone humanitaire et revenir sur des engagements pris vis-à-vis du FPR. 137 La décision de
133. Commission des droits de l’homme de l’ONU, E/CN.4/1995/7. La France obtiendra que le Conseil de sécurité passe
sous silence la conclusion du rapporteur spécial et fera voter au Conseil de sécurité le 1er juillet avec l’aide de l’Espagne, une
résolution demandant la formation urgente d’une commission impartiale d’experts chargée d’enquêter, que Boutros-Ghali,
l’homme de paille de Mitterrand, ne nommera que le 1er août. Le 4 octobre 1994, les dits experts arrivent à la même
conclusion que Degni-Ségui, mais les assassins, à cette date, sont en lieu sûr et les militaires français sont partis.
134. Le gouvernement intérimaire rwandais était replié à Gisenyi qui jouxte Goma, au Zaïre, où ils pouvaient se réfugier.
Mais ses membres comptaient encore sur Mitterrand et l’armée française pour les protéger.
135. Probablement des membres du Quai d’Orsay. Par exemple l’ambassadeur Yannick Gérard, chargé des relations avec
le gouvernement intérimaire rwandais, recommande l’arrestation ou la mise en résidence surveillée des membres de celui-ci.
Cf. TD Kigali 15 juillet 1994, MIP [21, Tome II, Annexes, p. 418].
136. Lundi [11 juillet], envisageant l’assaut final sur Gisenyi, l’actuel refuge du « gouvernement », le commandant de
l’opération Turquoise, le général Lafourcade, avait déclaré que les ministres en fuite seraient autorisés à entrer dans
l’enclave humanitaire française « en simples réfugiés.» Cf. Stephen Smith, Rwanda : le ton monte entre le FPR et Paris,
Libération, 13 juillet 1994, p. 40.
137. Probablement Gérard Prunier et Jean-Christophe Rufin ont été envoyés auprès de Paul Kagame pour obtenir la
libération d’une dizaine de soldats d’élite du COS, faits prisonniers le 1er juillet à Butare. Un des engagements pris par
les négociateurs français a pu être de ne pas défendre militairement le gouvernement intérimaire, donc de ne pas inclure le
nord-ouest dans la zone Turquoise et de ne pas y laisser l’armée gouvernementale y constituer un bastion.

13

SON RÔLE DANS LE REFUS D’ARRÊTER LES ASSASSINS

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Figure 1 – La dépêche Reuter du 15 juillet 1994 annonçant la volonté de Paris d’arrêter les membres
du gouvernement intérimaire s’ils viennent en zone humanitaire.
laisser les organisateurs du génocide traverser la zone humanitaire mais de les inviter à la quitter rapidement aurait été prise par François Mitterrand, sans doute influencé par le Général Quesnot. Hubert
Védrine a joué un rôle majeur dans la résolution de ce dilemme. Finalement, des membres du gouvernement intérimaire, dont le président intérimaire Théodore Sindikubwabo, vinrent s’installer à Cyangugu et
c’est le colonel Hogard, de la Légion étrangère qui organisa leur exfiltration dimanche 17 juillet 138 comme
l’écrivent si sincèrement les plumitifs de la Légion : « L’E.M.T. [l’état major tactique de l’opération Turquoise] provoque et organise l’évacuation du gouvernement de transition ruandais vers le Zaïre. » 139 Tout
porte à croire, et la note de Védrine sur la dépêche Reuter en est une preuve, que l’Élysée a eu le dernier
mot, ou que Balladur et Juppé se soient défaussés sur Mitterrand. François Mitterrand aurait-il éprouvé
pour le président intérimaire Théodore Sindikubwabo, l’ordonnateur des massacres dans la région de
Butare, qui était « très âgé et de santé fragile » 140 les mêmes sentiments – de connivence – que ceux dont
il a témoigné envers Maurice Papon, René Bousquet et Paul Touvier pour les faire échapper à la justice
des hommes ? 141
Les conséquences de cette non-arrestation des responsables des massacres sont connues. Ils ont entraîné
dans leur fuite 1,7 millions de personnes au Zaïre dans des conditions atroces. Ils ont tout pillé avant
de partir. La plupart des gens sont partis sans ressource, laissant leur récolte derrière eux. Rien n’était
138. Frédéric Fritscher, Sans abris, sans eau, sans soins ..., Le Monde, 21 juillet 1994, p. 1,3 ; Jacques Hogard [11, p.
96-97].
139. Képi blanc, N˚ 549, octobre 1994, page 6 du cahier spécial Ruanda de huit pages.
140. Note du général Quesnot à l’attention de Monsieur le Président de la République, 6 mai 1994, Objet : Entretien avec
le chef d’État intérimaire du Rwanda. Mention manuscrite : Signalé HV.
141. Théodore Sindikubwabo, président par intérim est décédé à une date indéterminée sans avoir été jugé.

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IL NIE TOUTE RESPONSABILITÉ DE LA FRANCE

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préparé pour eux à Goma. Une « épidémie de choléra » a fait dans les 40.000 morts. 142 Ils ont pris le
contrôle des camps. Ils ont réorganisé leur armée et les milices. Ils ont empêché ces réfugiés de rentrer au
Rwanda. Jusqu’en 1998, ils ont lancé des raids au Rwanda en particulier pour tuer des survivants, témoins
gênants du génocide. Alors que le HCR 143 était incapable d’empêcher les génocidaires de terroriser la
population des camps, le gouvernement de Kigali a dépêché son armée pour vider les génocidaires de
ces camps en octobre 1996 ce qui a permis le retour d’une grande partie des exilés, puis, associé à des
Banyamulenge et aux partisans de Kabila, ils renversèrent le régime de Mobutu en mai 1997, ce fut la
première guerre du Congo. Kabila s’est retourné ensuite contre ses alliés de Kigali et fit alliance avec
les troupes génocidaires rwandaises en août 1998, ce fut la deuxième guerre du Congo. Il semble clair
que ces deux guerres ont pour origine la fuite au Zaïre des Rwandais auteurs du génocide des Tutsi. Les
dirigeants français qui ont couvert cette fuite et qui ensuite ont continué à apporter un soutien à l’armée
et aux milices défaites soit directement, 144 soit indirectement via le Congo Brazzaville ou la République
Centrafricaine, portent une responsabilité dans les massacres et guerres qui s’en sont suivis au Congo
ex-Zaïre. 145
Hubert Védrine, lui, n’hésite pas à faire porter la responsabilité de tous ces massacres sur le gouvernement rwandais actuel. En 2006, à une question du Figaro si, à son avis, il y a eu au Rwanda un génocide
ou un double génocide, il répond :
Est ce une question piège ? Ce que je sais, c’est qu’il y a un certain consensus pour évaluer à 800 000 le
nombre de Tutsis et de Hutus victimes du génocide d’avril 1994. Depuis lors, l’"International Crisis Group", de
Bruxelles, comme d’autres organisations, estime à 3,5 millions le nombre de victimes congolaises des actions
rwandaises et ougandaises dans la région, depuis 1997, directement ou par dommage collatéraux. Je vous laisse
le soin de qualifier ces morts là. 146

14

Védrine nie toute responsabilité de la France dans le génocide

En 1998, Hubert Védrine aurait effleuré la possibilité d’une responsabilité française en confiant à Patrick de Saint-Exupéry : « Si nous avons une responsabilité au Rwanda, c’est à la manière de Nixon et
Kissinger qui enclenchèrent le processus menant au génocide cambodgien. » 147 Nous doutons que la comparaison soit adéquate. Les États-Unis ne soutenaient pas les Khmers rouges lorsque ceux-ci exécutaient
ou laissaient mourir de faim leurs prisonniers. 148
En 2001, en tant que Ministre des Affaires Étrangères, Hubert Védrine, va au Rwanda. Il résume la
position de la France par la formule « ni fiasco ni culpabilité », il reconnaît cependant que la tragédie du
142. La France est responsable de ces morts, hutu pour la plupart. Elle avait mandat de l’ONU pour assurer leur sécurité.
Les militaires français n’ont rien fait pour entraver l’exode à laquelle le gouvernement rwandais appelait la population, prise
en otage. Ceux qui ne fuyaient pas étaient menacés de mort par les miliciens. Les Français n’ont pas fait taire les radios
qui appelaient à la fuite au Zaïre. Laisser partir des gens dont la seule ressource était leur lopin de terre était criminel. De
plus, la région de Goma était très bien connue en particulier par les vulcanologues français, comme inhospitalière. Elle est
recouverte de laves, dépourvue de sources d’eau potable et des nappes de gaz carbonique stagnent dans certaines vallées.
Beaucoup sont morts non pas du choléra, mais asphyxiés pour s’être couchés dans des fonds de vallée remplis d’émanation
de gaz dû à l’activité volcanique. Précisément, le 4 juillet, le volcan Nyramuragira à 10-15 km au Nord-ouest de Goma entre
en éruption.
143. HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés (Agence de l’ONU)
144. Le général Dallaire rencontre deux fois le chef d’état-major des FAR sous la protection des militaires français à Goma
le 16 juillet et vers le 8 août. Cf. Dallaire [5, pp. 585, 622]. La France fournit des armes aux ex-FAR après le génocide. Cf.
Rearming with Impunity, International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide, Human Rights Watch, May
1995, Vol. 7, No. 4.
145. En 2008, des miliciens et ex-FAR se présentant comme les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)
terrorisent toujours les populations du Kivu à l’est de la RDC. Dans sa résolution 1804 du 13 mars 2008, le Conseil de
sécurité des Nations Unies exige que les FDLR, ex-FAR/Interahamwe et autres groupes armés rwandais qui opèrent au
Kivu (Congo-RDC) déposent immédiatement les armes et mettent fin au recrutement d’enfants-soldats et aux violences
sexuelles. Cf. Nations Unies S/RES/1804 (2008)
146. Hubert Védrine, « À Kigali, la France a mené une politique de prévention », Le Figaro, 18 mars 2006
147. Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : des silences d’Etat, Le Figaro, 14 janvier 1998, p. 4, colonne 1.
148. Nixon et Kissinger portent la responsabilité d’avoir étendu au Cambodge la guerre qu’ils faisaient au Vietnam.
Puisque Hubert Védrine affirme qu’ils portent une responsabilité dans ce qui s’est passé au Cambodge, alors ils devraient
être considérés comme des criminels même s’ils n’ont jamais été jugés. Notons toutefois que les crimes commis au Cambodge
n’ont pas été reconnus comme un génocide par l’ONU, au contraire du Rwanda.

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IL NIE TOUTE RESPONSABILITÉ DE LA FRANCE

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Rwanda est « un cas à part », même si, selon lui, on ne peut pas dire que la politique française y ait conduit
au génocide. 149 Il n’a exprimé aucune excuse, aucun regret pour le génocide de 1994, contrairement aux
représentants de la Belgique et des États-Unis.

14.1

Nous n’avions ni la carotte ni le bâton pour agir sur l’Ouganda

Revenant sur ces événements en 2006 il dit à Gabriel Périès et David Servenay qu’au Rwanda la
France avait deux options, la première était « on n’intervient pas », il poursuit :
La deuxième option, celle que Mitterrand a prise, mais il fallait s’en donner les moyens, les moyens de la
realpolitik. Donc, premièrement : empêcher Kagame d’attaquer. Les Hutus étaient furieux contre les Tutsi de
l’intérieur, perçus un peu comme la cinquième colonne. Pour cela, il fallait l’accord de Museveni. L’Ouganda
faisant partie de l’Afrique anglaise, étant le chouchou du FMI, on ne l’avait pas. Bruno Delaye [chef de la
cellule africaine de l’Élysée à partir de l’été 1992] est allé aux États-Unis pour obtenir l’accord des États-Unis
mais ça n’a pas marché. Si vous voulez, nous n’avions ni la carotte ni le bâton pour agir sur l’Ouganda. Nous
n’avons pas été assez forts. 150

Ce « nous n’avons pas été assez forts » illustre combien l’usage de la force est le moteur de la politique
française en Afrique, politique doublée de mépris pour ces « nègres » que l’ont fait marcher à la carotte et
au bâton. A quel titre la France aurait-elle eu le droit d’empêcher les exilés tutsi de rentrer dans leur pays
par la force ? Leur cause n’était-elle pas justifiée par la fureur des Hutu contre les Tutsi de l’intérieur ?
Qui donc percevait ces Tutsi de l’intérieur comme la « cinquième colonne » ? François Mitterrand et ses
conseillers ? Nous avons de nombreuses preuves que les dirigeants français considéraient que les Tutsi de
l’intérieur étaient l’ennemi. Que ce soit un ennemi réel (le FPR) ou potentiel (les Tutsi de l’intérieur), ils
étaient à éliminer. 151

14.2

Kagame, petit Lénine du coin

Hubert Védrine poursuit :
Deuxièmement, il fallait obliger les Hutu au partage du pouvoir. Si Arusha avait réussi, Kagame, petit
Lénine du coin, aurait disparu, il serait devenu secrétaire d’État dans le gouvernement. Mitterrand a sousestimé la détermination de Kagame à prendre le pouvoir à n’importe quel prix. Il a aussi surestimé le pouvoir
d’Habyarimana à contrôler le système. Quand on lui disait : “C’est affreux ce que font les extrémistes”... il
répondait que ça irait, il a toujours cru en Habyarimana. 152

Passons sur le « petit Lénine du coin » qui reçoit en grande pompe, en février 2008 le Président des ÉtatsUnis, G.W. Bush, à Kigali ! Ce qui est odieux c’est qu’Hubert Védrine en parlant de « la détermination
de Kagame à prendre le pouvoir à n’importe quel prix » lui attribue la responsabilité du génocide alors
que celui-ci a été exécuté par une armée, une administration, des milices, soutenues jusqu’au bout par
la France. Interviewé en 2005, Hubert Védrine affirmait qu’il partage la conclusion du livre de Pierre
Péan que « sans la volonté du FPR de prendre le pouvoir à n’importe quel prix l’engrenage fatal n’aurait
pas eu lieu. » 153 Cette affirmation pour reprendre ses termes n’a aucun rapport avec les faits. N’est-ce
pas plutôt la France qui a mis en mouvement l’engrenage fatal ? Alors que les unités d’élite de l’armée
rwandaise massacraient les partisans des accords de paix et les Tutsi, elle a contribué au maquillage du
coup d’État par la formation de ce gouvernement intérimaire et l’a cautionné au plan international. Elle
a refusé de coopérer avec la force de l’ONU et les militaires belges pour arrêter les massacres. Elle a fait
en sorte que ceux-ci se déroulent hors la vue des caméras de télévision.
149. (PARIS AP), mardi 10 juillet 2001, 14h 41.
150. G. Périès, D. Servenay, Entretien par téléphone avec Hubert Védrine, 1er mars 2006 [20, p. 196].
151. Dès octobre 1990, l’amiral Lanxade, alors chef d’état-major particulier, désigne les soldats du FPR qui attaquent le
régime Habyarimana sous le vocable de « forces tutsies » donnant ainsi un caractère ethnique au conflit et révélant que la
France combat les Tutsi, y compris les Tutsi de l’intérieur. Cf. Note au Président de la République, 11 octobre 1990. Ce point
de vue est adopté par François Mitterrand qui au Conseil des ministres du 17 octobre 1990 déclare « il n’y a pas d’intérêt
à ce que une petite minorité tutsi qui se révolte l’emporte sur la majorité de la population hutu ». Les dirigeants français
garderont ce point de vue jusqu’à la consommation du crime. En juin 1994, pendant l’opération Turquoise, Jacques Isnard
écrit ce qu’il entend à l’État-major, boulevard St Germain : « Dans ces actions à but humanitaire, destinées à rassurer et
à secourir la population en l’approchant au plus près, un Tutsi peut s’avérer un combattant du FPR en puissance. » Cf.
Jacques Isnard, “M. Léotard va inspecter un dispositif encore léger et fragile”, Le Monde, 29 juin 1994, p. 3.
152. G. Périès, D. Servenay, Entretien par téléphone avec Hubert Védrine, 1er mars 2006 [20, p. 196].
153. Laurent Arnauts, “Hubert Védrine, ancien Ministre des Affaires étrangères français, « Les medias sont pour le repentir
... des autres »”, Le Journal du Mardi (Belgique), 6 décembre 2005

RÉFÉRENCES

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La réponse de François Mitterrand à l’exclamation « C’est affreux ce que font les extrémistes » rapportée par Védrine est effrayante. Il répondait que « ça irait ». A-t-il répété cette phrase pendant le
génocide ?
Hubert Védrine, comme François Mitterrand et ses autres conseillers, montre ici qu’en dépit des centaines de millier de morts provoqués par la politique de la France, il refuse de reconnaître sa responsabilité
et l’impute au FPR qui a combattu par les armes ceux qui opéraient les massacres avec le soutien constant
de la France. Tout au plus Hubert Védrine reconnaît l’échec d’une politique. Mais il ne s’agit pas ici d’erreur ou d’échec. Il s’agit du choix d’une guerre totale menée contre un ennemi, le Tutsi, guerre totale
menée jusqu’à sa conséquence extrême, l’élimination des Tutsi en tant que tels.
Les actes suivants :
Entente en vue de commettre un génocide ;
– Adhésion et soutien à une idéologie raciale ou ethniste qui a favorisé le génocide ;
– Connaissance de l’intention de commettre un génocide ;
– Soutien à ceux qui préparent le génocide en dépit des massacres qu’ils commettent afin de tester
leur degré d’immunité au niveau international ;
Complicité avec les auteurs d’un génocide ;
– Contribution à la fourniture d’armes et de munitions, à la formation militaire pour commettre le
génocide ;
– Contribution à la mise en place du gouvernement qui a organisé le génocide ;
– Caution internationale apportée aux organisateurs du génocide pendant l’exécution de celui-ci ;
– Refus de porter secours aux personnalités politiques menacées le 7 avril dont le Premier ministre ;
– Refus de porter secours aux victimes des massacres pendant les opérations Amaryllis et Turquoise
alors que des militaires français sont présents sur place ;
– Aide pour favoriser la fuite des organisateurs du génocide et empêcher leur arrestation ;
sont des crimes prévus aux articles 2, 3 et 4 du statut du Tribunal pénal international sur le Rwanda,
crimes pour lesquels le TPIR n’a pas jugé bon jusqu’ici d’intenter des poursuites contre les responsables
français du génocide. Sur ces bases, des victimes du génocide ou ayant droit seraient fondées d’engager
des poursuites contre Monsieur Hubert Védrine devant une juridiction adéquate. 154

Références
[1] Colette Braeckman : Rwanda, histoire d’un génocide. Fayard, novembre 1994.
[2] Jacques Castonguay : Les Casques bleus au Rwanda. L’Harmattan, 1998.
[3] Jean-Pierre Chrétien : Le défi de l’ethnisme. Karthala, 1997.
[4] Laure Coret et François-Xavier Verschave : L’horreur qui nous prend au visage - L’État français
et le génocide. Karthala, janvier 2005. Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, 22-26 mars
2004.
[5] Roméo Dallaire : J’ai serré la main du diable - La faillite de l’humanité au Rwanda. Libre
expression, 2003.
[6] Alison Des Forges : Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. Karthala, Human
Rights Watch, Fédération internationale des Droits de l’homme, avril 1999. Traduction de Leave
None to Tell the Story.
[7] Pierre Galand et Michel Chossudovsky : L’usage de la dette extérieure du Rwanda (1990-1994).
La responsabilité des bailleurs de fond, Analyse et recommandations. Rapport préliminaire. Bruxelles
- Ottawa, novembre 1996.
[8] Jean-Paul Gouteux : Un génocide secret d’État - La France et le Rwanda, 1990-1997. Éd. sociales,
mars 1998.
154. La fermeture programmée du TPIR (fin des affaires en 1ère instance en 2008, en appel en 2010) ne marque pas la fin
des poursuites pour un crime imprescriptible. Il existe d’autres instances devant lesquelles les présumés coupables peuvent
être poursuivis. Chaque pays membre de l’ONU a été tenu d’adaptater sa législation aux dispositions de la résolution 955
du Conseil de sécurité des Nations unies instituant un tribunal international. Ainsi la France l’a fait par la loi du 22 mai
1996.

RÉFÉRENCES

26

[9] Jean-Paul Gouteux : La nuit rwandaise. L’implication française dans le dernier génocide du siècle.
Izuba Éditions, L’Esprit frappeur, 2002.
[10] Groupe international d’éminentes personnalités : Le génocide au Rwanda et ses conséquences. OUA, 1997. Publié sur http://www.oau-oua.org.
[11] Jacques Hogard : Les larmes de l’honneur - 60 jours dans la tourmente au Rwanda. Hugo doc.,
2005.
[12] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda. Éditions du Rocher, mars
2005.
[13] Colonel Luc Marchal : Rwanda : la descente aux enfers. Labor, Bruxelles, 2001.
[14] Linda Melvern : A people betrayed - The role of the West in Rwanda’s genocide. Zed Books, 2000.
[15] ONU : The United Nations and Rwanda,1993-1996. The United Nations Blue Books Series, Vol X,
Department of Public Information - United Nations.
[16] Didier Patry : Rwanda, face à face avec un génocide. Flammarion, 2006.
[17] Gérard Prunier : Rwanda : le génocide. Dagorno, 1997. Traduction de The Rwandan Crisis, History
of a Genocide, Hurst and Co, Londres, 1995.
[18] Pierre Péan : Une jeunesse française. François Mitterrand 1934-1947. Fayard, septembre 1994.
[19] Pierre Péan : Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994. Enquête. Mille et une nuits,
novembre 2005.
[20] Gabriel Périès et David Servenay : Une guerre noire - Enquête sur les origines du génocide
rwandais (1959-1994). La Découverte, 2007.
[21] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271,
http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/rapport.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission
des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU
au Rwanda entre 1990 et 1994.
[22] Patrick de Saint-Exupéry : L’inavouable - La France au Rwanda. Les Arènes, 2004.
[23] Sénat de Belgique - Commission des Affaires étrangères : Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda 1-611/(7-15) 1997/1998. Sénat belge, 6 décembre
1997.

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