Citation
Au début, il n'existait pas. Il était comme une ombre portée sur le dossier bien mystérieux du Rwanda. On l'évoquait, on n'en parlait pas. Hier, durant les auditions publiques de la mission d’information, il ne fut pourtant question presque que de lui, François Mitterrand.
Jean-Hervé Bradol, responsable à Médecins sans frontières (MSF), a rencontré le chef de l'Etat le 14 juin 1994 alors qu'il revenait d'un énième séjour au Rwanda. Le génocide, il l'avait vu de ses yeux. Avec une délégation de MSF, il venait demander que soit réalisée une intervention contre les tueurs : « Ce n'est pas avec des caisses de biscuits, note-t-il face aux parlementaires, que l'on s'oppose à un génocide. » Peu avant, il venait d'être convoqué par la cellule Afrique de l'Elysée « très énervée par les déclarations de MSF ».
« Le discours avait totalement changé, se souvient Jean-Hervé Bradol. Quand Philippe Biberson, le président de MSF, a demandé au chef de l'Etat ce qu'il pensait du gouvernement intérimaire, celui-ci a parlé d'une bande d'assassins. »
Evoquant la femme du président Habyarimana, Agathe, accueillie à Paris par un bouquet de fleurs et une dotation de 200 000 F quelques jours à peine après le début des massacres, Jean-Hervé Bradol raconte qu'en ce mois de juin 1994 François Mitterrand paraît découvrir qu'il a été abusé : « J'ai reçu Me Habyarimana, explique le chef de l'Etat à la délégation de MSF. Elle a le diable au corps. Elle est très difficile à contrôler. Si elle pouvait intervenir sur les radios françaises, elle appellerait aux massacres... » Jean-Hervé Bradol poursuit. Il ne partage pas la « fierté de Balladur, Védrine, Léotard et Juppé » : « Quand je les entends parler de leur fierté du rôle de la France pendant l'opération « Turquoise », je pense.qu'ils se trompent de registre (.….) Avec les moyens d'une armée, on peut et on doit faire autre chose que de l'humanitaire. Ça, nous les civils, nous savons faire... ». « Quand j'entends Bernard Debré parler de livraisons d'armes françaises après le début du génocide, alors que je soigne sur le terrain, je ne suis pas habité par un.sentiment de fierté », conclut-il.
Justement, l'ancien ministre de la Coopération, Bernard Debré, est à son tour auditionné. Il se souvient avoir posé cette question en juillet 1994 alors que François Mitterrand était en convalescence à l'hôpital Cochin : « La France a-t-elle continué à fournir des armes ?
— Vous croyez, répond le chef de l'Etat, que le monde s'est réveillé le 7 avril au matin (date du début des massacres, NDLR) en se disant : le géno- cide commence... »
« J'ai pris cette phrase ambiguë, note Bernard Debré face à la mission d'information, comme une possible affirmation que les aides en munitions se sont poursuivies après le 7 avril. »
Il poursuit : « Turquoise » a été ambiguë. François Mitterrand disait que puisqu'on avait un mandat de l'ONU pour sécuriser, il fallait le faire sur la totalité du Rwanda, sinon ça ne servait à rien. Je lui ai demandé : « Mais, monsieur le président, vous allez réinstaller les coupables ? » Le président m'a dit qu'il fallait les châtier. Je pense qu'il a été trahi (...) Agathe, la femme du président Habyarimana, a fait preuve d'une duplicité extraordinaire. Qui a donné l'ordre de l'exfiltrer ? Pourquoi ? Je n'en sais rien, mais c'est un fait. »
Manipulation
L'ancien ministre de la Coopération affirme que « le génocide s'est préparé dès 1990 ». À propos des relations franco-rwandaises, il déclare : « On n'était pas obligé de coopérer, et si on coopère, on peut avoir des exigences. »
Quant à l'attentat du 7 avril 1994, qui déclenchera le génocide, il s'agit, selon Bernard Debré, d'une « manipulation de la CIA » : « Ma certitude est que les rebelles ont tiré les missiles. » « Par sa couardise, ajoute-t-il, l'ONU s'est rendue complice d'un génocide. »
Au député François Lamy. qui s’étonnera de voir Bernard Debré posséder des informations que la mission parlementaire d'information sur le Rwanda n'arrive pas à se procurer, l'ancien ministre répliquera : « J'ai poursuivi l'enquête avec les services du ministère de la Coopération pour rédiger mon livre sur le Rwanda : Le Retour du Mwami. »