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Notre envoyé spécial, Jean Chatain, a rencontré le président du Front patriotique rwandais à Mulindi, son quartier général. Alexis Kanyarengwe dénonce les massacres perpétrés par l'armée et les milices de la dictature. Il souhaite que les tueurs soient jugés. Le premier dirigeant du FPR indique que les forces patriotiques marquent des points. Il évoque le rôle de la France et souligne que la question ethnique a toujours servi de prétexte. Le problème est politique.
Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.
Alexis Kanyarengwe, président du FPR, se trouvait lundi pour quelques heures dans son quartier général de Mulindi. Avant de reprendre la piste, il a répondu aux questions de notre envoyé spécial.
Comment jugez-vous la situation après les massacres commis par les proches de l'ancien pouvoir? Quels sont vos projets?
Depuis le 6 avril, le pays est plongé dans la tragédie. Les circonstances exactes de la mort du président restent, en partie, ignorées. Elles ont donné le signal aux massacres de populations, de responsables politiques et de personnalités diverses. Devant ces horreurs, le FPR a pris la décision de voler au secours de notre bataillon stationné à Kigali et de faire tout ce qui était en son pouvoir pour arrêter les massacres qui se déroulent dans la capitale et dans le reste du pays.
Depuis les accords d'Arusha, tout le monde s'était repris à espérer. Le FPR y avait souscrit. Il s'agissait d'accords de paix pour installer un gouvernement de transition. C'est cet espoir que les massacres voulaient détruire. Ils se prolongent toujours. Dimanche, dans la région du Sud, l'armée gouvernementale a poursuivi ses exécutions jusque dans les hôpitaux, achevant des malades et des blessés graves.
Le FPR vient de prendre une initiative unilatérale de cessez-le-feu...
Cette initiative vise à faire comprendre à la partie adverse qu'une trêve permettrait d'examiner comment arrêter les massacres. Les troupes de la dictature répondront-elles positivement au délai proposé, à partir du 25 avril? Ce que nous constatons aujourd'hui, c'est la poursuite du carnage perpétré par l'armée et la milice.
Comment jugez-vous le rapport des forces au niveau militaire?
Le FPR a un avantage certain, dû à la détermination de toute l'organisation pour mettre fin aux injustices sociales. Hommes de troupe, militants et responsables politiques, nous sommes tous motivés.
Hier, nous comptions sur les accords d'Arusha. Depuis la reprise des hostilités, l'armée du FPR a marqué des points. Elle exerce une pression très forte sur la capitale. La progression de nos troupes est très rapide. La préfecture de Byumba (où est installé le camp de Mulindi, NDLR) est libérée. De même que celle de Kibungo. La garnison de cette ville est tombée la nuit dernière. Et nous sommes présents dans une grande partie de Kigali...
Une campagne se développe en France qui tend à présenter le FPR comme un mouvement ethnique, sans programme. Que répondez-vous?
Nous avons eu énormément de difficultés avec le gouvernement français. A plusieurs reprises, il a dépêché des unités combattantes aux côtés des FAR (Forces armées rwandaises). Il les a aidées en personnel militaire, en armes et en finances. Aux côtés du régime de Juvénal Habyarimana, il y avait le gouvernement français.
Le gouvernement français nous reste encore hostile. Au point d'étouffer les informations que les citoyens français ont le droit de connaître.
Pourquoi cette complicité avec un gouvernement coupable de tant d'atrocités? Je veux souligner que cela ne nous a pas empêchés de rechercher le dialogue avec les autorités françaises. Depuis le début jusqu'à aujourd'hui.
Le gouvernement français prétend que le FPR serait une organisation « ethnique ». C'est regrettable. Je ne sais pas si tout ce qui s'est passé entre nos deux pays a été l'oeuvre délibérée du gouvernement français ou de certaines personnes proches du pouvoir parisien. Le président François Mitterrand est pour beaucoup dans la complication de la situation, dans les durcissements d'attitude du président rwandais qui recevait tout ce qu'il voulait pour continuer la guerre. Le gouvernement français est responsable pour beaucoup dans la tragédie rwandaise.
« Qui recevait tout ce qu'il voulait... », c'est-à-dire?
Je veux rappeler que le FPR a signé un accord le 4 août dernier avec le pouvoir en place à Kigali. Depuis, le groupe de Juvénal Habyarimana n'a jamais permis la mise en application de cet accord. Chaque fois, ce dernier trouvait un prétexte pour reporter la mise en place des institutions de la transition. Pendant ce temps, Habyarimana activait la formation de milices en les dotant d'armes en provenance d'Afrique du Sud, avec l'appui de certaines autorités françaises. Le plan était prémédité et préparé depuis longtemps. Il s'agissait de mettre au point une opération d'élimination de toute personne appartenant à l'opposition. Il s'agissait ensuite de provoquer une guerre civile en se servant du prétexte ethnique. Quant à l'accident du président, tout ce que nous savons, c'est qu'il a eu lieu dans la zone de contrôle de sa garde présidentielle, opposée à la réalisation des accords d'Arusha.
Quel sort réservez-vous aux responsables des massacres?
Les responsables des massacres qui ont eu lieu et qui se poursuivent toujours ne peuvent rester impunis. Tous ceux qui seront reconnus coupables de cet holocauste devront être jugés le moment venu. Par une juridiction nationale ou par une juridiction internationale, s'ils se trouvent en dehors du pays. Il n'y a pas longtemps, les Nations unies ont créé un tribunal international concernant la Bosnie-Herzégovine. Ce même tribunal ne pourrait-il aussi s'intéresser à la tragédie rwandaise?
Un dernier mot sur la « question ethnique ». Elle a toujours servi de prétexte. Elle n'explique pas les problèmes de fond, les problèmes sociaux. C'est un prétexte dangereux qui fournissait une caisse de résonance aux extrémistes. Le problème de fond n'est pas un problème ethnique; le problème de fond est politique.
Propos recueillis par Jean Chatain