Fiche du document numéro 9126

Num
9126
Date
Lundi 5 avril 2004
Amj
Auteur
Taille
122022
Titre
Durant le génocide, le viol a été utilisé comme une arme
Sous titre
Le ministre Innocent Nyaruhirira fait le point sur la pandémie du sida, qui s'est démesurément étendue après 1994.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Kigali, envoyé spécial. La région des Grands Lacs apparaît sinistré du point de vue sanitaire ; au Rwanda, la situation est démesurément aggravée depuis et par le drame de 1994. Rencontre avec le docteur Innocent Nyaruhirira, secrétaire d'État ayant en charge la lutte contre le sida et les autres pandémies.

Comment se présentait la situation en matière de santé publique voici dix ans ?


Innocent Nyaruhirira : En 1994, au terme des cent jours du génocide, le système de santé s'était effondré. Les personnels étaient tués ou exilés. Les infrastructures détruites ou pillées. Les couvertures vaccinales, l'éducation et tout ce qui touche à la prévention étaient tombés à l'eau. Les séquelles traumatiques du génocide - physiques ou mentales - n'ont pu être prises en compte dans un premier temps. L'effondrement de la prévention a d'abord frappé les populations les plus vulnérables, en particulier les petits enfants qui n'étaient plus vaccinés. La rougeole, les maladies de l'hygiène, les maladies respiratoires ont fait résurgence. Cependant, dès 1995, une politique de santé a pu être remise en route. Aujourd'hui, notre système de santé a été reconstruit. Il est basé en grande partie sur la prévention, dont la consultation prénatale constitue l'une des clés de voûte. Concernant la partie curative, les quelque 330 centres de santé et 34 hôpitaux de district ont été réhabilités. De même que nos deux hôpitaux nationaux (Butaré et le CHU de Kigali), l'hôpital international Roi-Fayçal, l'hôpital militaire de Kanombé et l'hôpital psychiatrique de Kigali. Notre politique s'articule sur plusieurs niveaux. Les soins de santé primaires (maladies infectieuses notamment) et la prévention (couverture vaccinale, consultation prénatale) sont pris en charge au plus bas de l'échelon, les centres de santé. Puis l'hôpital de district, qui constitue l'unité opérationnelle de notre système. Au plus haut niveau, le national, les grands hôpitaux dont je vous ai parlé. Nous travaillons à établir une vision pour l'an 2020, dans une perspective d'amélioration des conditions de vie et d'un développement durable.

Dès la fin des années quatre-vingt, le Rwanda était caractérisé comme l'un des pays les plus massivement frappés par le sida. Puis il y a eu avril-juillet 94 et les viols généralisés, que certaines associations de femmes ont qualifiés d'arme du génocide

Innocent Nyaruhirira : La pandémie constitue une véritable catastrophe. Pour la combattre, il nous faut garder les pieds sur terre, l'appréhender dans le cadre de notre politique de santé d'ensemble. D'où la création de ce secrétariat d'État... Durant les années quatre-vingt, il s'agissait d'un sujet tabou. La reconnaissance du sida a beaucoup trop tardé. Pendant ce temps, le mal connaissait un grand essor. Durant le génocide, le viol a été utilisé comme une arme. La flambée s'est alors amplifiée. Vers 1996, certains centres urbains présentaient des prévalences de 25 % à 30 % de la population adulte. Enfin se sont ajoutés les réfugiés, retour des camps. Eux aussi massivement contaminés. Aujourd'hui, une récente étude sur les femmes enceintes nous révèle des taux entre 10 % et 14 % dans les zones urbaines ; ils sont plus bas dans le monde rural, mais en croissance accélérée. Une étude nationale de santé (intitulée DHS +) va être lancée ces jours-ci pour nous permettre une vision exhaustive à la fin de l'année. Et il y a déjà une certitude : la poussée de l'épidémie à travers les zones rurales et dans la jeunesse.

Votre voisin, l'Ouganda, est, à ma connaissance, le seul pays d'Afrique avec le Sénégal à avoir réussi à faire reculer la pandémie

Innocent Nyaruhirira : Nous savons tirer enseignement de toutes les expériences positives. Et nos efforts sont stimulés par la volonté politique ardente exprimée en ce domaine par notre président et son épouse. Je souligne que, désormais, les Églises rejoignent ce combat, si certaines ont mis du temps pour cela. Une volonté de coopération régionale existe, comme l'atteste le Forum sur cette question, réunissant le Burundi, le Congo, le Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda et le Rwanda. Mais nous savons qu'il ne sera pas aisé de réduire rapidement la séroprévalence d'une façon drastique. Nos efforts s'orientent dans l'immédiat vers la réduction des nouveaux cas et l'assistance aux personnes infectées par le VIH.

Les associations de femmes mettent en avant le drame des rescapées contaminées. Quelle aide pouvez-vous leur apporter ?



Innocent Nyaruhirira : Le gouvernement a instauré un fond d'aide aux rescapés du génocide, qui recueille 5 % du budget national. J'ajoute qu'une priorité dans l'accès aux soins est reconnue aux associations et que certaines ont même ouvert des cliniques spécifiques.

En ce qui concerne le prix des trithérapies ?

Innocent Nyaruhirira : Il nous faut continuer l'action en direction des producteurs dans le sens de la baisse des prix. Ceux-ci sont passés de l'ordre de 1 000 dollars par mois et par personne jusqu'à 30 dollars. Ce qui reste encore trop cher pour notre population. Même dans ce cadre, les producteurs restent plus que largement bénéficiaires. Il nous faudrait parvenir à un prix inférieur à un dollar par jour, non par personne mais par famille... Un axe de notre politique est la volonté de sensibiliser la population au système de mutuelle. Pour que les médicaments disponibles puissent être distribués de façon équitable, et donc gratuitement en ce qui concerne les indigents. Nous demandons incessamment aux personnes concernées de rejoindre les associations existantes.

Quelles autres pandémies frappent le Rwanda ?

Innocent Nyaruhirira : La malaria, les maladies respiratoires, celles de l'enfance (diarrhées). Concernant la première, la mortalité est devenue stagnante, mais demeure en première position. Cela s'explique aussi par le sida : un séropositif atteint de paludisme est beaucoup plus vulnérable.

L'Afrique sub-saharienne est le seul continent où l'espérance de vie à la naissance est en recul. Chez vous ?

Innocent Nyaruhirira : Elle y a aussi terriblement chuté. De 62 ans dans les années quatre-vingt à 49 ans. En grande partie du fait du sida.

Qu'attendez-vous de l'aide internationale ?

Innocent Nyaruhirira : Essentiellement une vraie coopération. D'avoir la même vision que nous de notre avenir. Nous disons : en 2020, nous pourrions sortir de la pauvreté. Que la communauté internationale se mette avec nous, pour une authentique coopération dans cette perspective. Souvent les réponses internationales interviennent avec des agendas ne correspondant pas aux nôtres. De même pour les ONG, qui utilisent des sommes énormes lesquelles, parfois, pourraient être mieux investies. Vous savez, le sida n'est pas seulement une maladie, mais un problème lié au développement.

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