Fiche du document numéro 771

Num
771
Date
Dimanche Octobre 1995
Amj
Taille
39706
Titre
Liaison-Rwanda No. 3
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
James Vuningoma et Gilles Durou sont membres du Collectif Girondin
pour le Rwanda. Ils reviennent du Rwanda et répondent aux questions de
"Liaison-Rwanda"'. Impressions de voyage.

Liaison-Rwanda : Vous revenez du Rwanda où vous avez passé quelques semaines. Quelle est l'ambiance à Kigali et dans les campagnes ?

James : Après 35 ans d'absence vous pouvez imaginer l'émotion de retrouver le pays natal ! Kigali est une ville qui commence à retrouver la vie. C'est le va-et-vient des véhicules ordinaires ou des belles voitures de l'ONU et des ONG. En s'éloignant de l'aéroport, on retrouve les gens à pied, en mobylette, taxi... Arrivé dans la gare ou dans le quartier du marché, on est frappé par l'activité intense. Pour un pays qui vient de sortir d'un tel drame, c'est étonnant de voir qu'il y a si peu de signes qui nous le rappellent. A la campagne, c'est différent : même si les gens qui y sont se portent bien, les champs cultivés sont peu nombreux : ceux-là sont les survivants. Plus loin, ils sont couverts d'herbes. les propriétaires sont absents, morts ou partis en exil au Zaïre. Les villageois racontent des scènes d'horreur : les voisins tueurs, les gens qu'ils ne reverront plus. Tout se raconte et c'est mieux qu'ils puissent en parler.

Gilles : C'est vrai que la capitale "grouille" : les gens qui vaquent à leurs occupations sans que rien ne semble avoir perturbé leur vie quotidienne. Mais ce sentiment est bien vite éclipsé dés qu'on interroge les gens. Par contre, ce qui ne prête à aucune contestation est la situation matérielle du pays : éclats d'obus, de balles contre les façades ou à l'intérieur des bâtiments, plus une vitre en place, plus rien à l'intérieur en particulier dans les immeubles publics, des monticules de briques à l'emplacement d'anciennes maisons... tous les signes d'un pays complètement démoli.

Liaison-Rwanda : l'activité économique, agricole et sociale a-t-elle repris ?

Gilles : Compte tenu de l'état physique du pays, toutes les activités ont du mal à démarrer ou à prendre réellement de l'ampleur. Les moyens de communication, de transport ont été réduits à néant. Les aides internationales promises ne sont toujours pas arrivées. Dans les régions qui ont connu le plus de massacres, le Bugesera par exemple, la population a quasiment disparu et tout reste à l'abandon. C'est le cas dans d'autres endroits mais de manière moins systématique car pour des rescapés, il est semble impossible aujourd'hui de regagner maisons et terrains avec un voisinage qui a pu participer aux exactions. Malgré cela, on peut constater l'activité intense pour rebâtir au plus vite et ceci dans tous les domaines.

James : Moi je trouve cette activité économique assez impressionnante : des produits importés sont dans les rayons des magasins et dans les petites boutiques qui fleurissent dans tous les quartiers. La demande est forte et le peu de produits pour la satisfaire implique une flambée des prix. Le dollars est roi et il monte selon le bon vouloir des marchés. Cela commence à gêner énormément cette économie fragile. L'inflation risque de démoraliser la population. Les premières pluies, fin août, ont encouragé les gens à sortir les houes. Les gens sont solidaires et ils se regroupent pour cultiver le champ du voisin le lendemain, ils sont chez l'autre voisin. Les régions de Mutara et Kibungo ont beaucoup de vaches.

Liaison-Rwanda : La vie démocratique dans les médias, les institutions est-elle visible ?

James : Vous parlez de quelle démocratie ? la démocratie "one man, one vote" ? Cela fait peur pour le moment. Il n'existe pas les préalables et les bases solides pour un tel fonctionnement. C'est toute une culture que devra se développer. Par contre si vous parlez de la liberté d'expression et du respect de fonctionnement des institutions cela est bien visible. Radio Rwanda a la réputation d'encourager les débats sur ses ondes. Les questions de société sont traitées et les gens discutent en toute liberté. Les journaux sont nombreux, il faut connaître le kinyarwanda pour apprécier le contenu qui est riche en matière critique. Il y a un gouvernement qui cultive tant bien que mal l'expérience du consensus et de la participation. Il y a semble-t-il un manque d'expérience bien compréhensible. Le parlement est très vigilant. Ce parlement, qui regroupe toutes les sensibilités politiques critique le gouvernement ouvertement lorsque cela ne va pas. Le jour de mon retour en France, j'ai appris le limogeage de ministres du gouvernement rwandais. Cela ne m'a pas étonné : les occasions où j'ai assisté aux débats parlementaires m'ont convaincu des blocages qui existaient entre le parlement et l'ancien gouvernement.

Liaison-Rwanda : Avez-vous réalisé des contacts intéressant pour mettre en place des collaborations et des projets d'assistance aux habitants du Rwanda.

Gilles : Je pense que l'on est trop démuni pour être efficace dans ce domaine et ce à plusieurs titres. Notre collectif de Bordeaux, comme la plupart de ceux qui existent en France ont peu de moyens. Faire des collectes n'est qu'un aspect du problème, il faut s'occuper de l'acheminement et cela demande des moyens financiers qui me semblent hors de notre portée. Par ailleurs, vu l'état du pays, ils ont besoin de tout, et s'il est relativement possible de collecter des pulls ou des crayons, il n'en est pas de même pour des tracteurs ! (comme il m'a été demandé). En fait, je persiste à croire que notre action la plus efficace ici, est de les aider à obtenir ce qu'ils réclament tous à corps et à cris : la justice. Et cela passe, surtout pour nous autres français, à faire des pressions sur la France.


James : Gilles est peut-être trop pessimiste. Nous avons fait des rencontres intéressantes et nous commençons les actions concrètes : par exemple, nous avons contacté plusieurs associations qui viennent de se créer à Kigali. De même, nous avons visité les autorités de l'hôpital de Kanombe et leur avons apporté quelques cartons de médicaments et nous envisageons de continuer à les aider (ils ont besoin de blouses chirurgicales et de comprimés de Javel). Nous avons également visité des écoles à Rubira et à Gahini qui ont besoin de matériel. Ces écoles qui accueillent 700 enfants dont 1/3 sont des orphelins manquent de tout. Mais même si nous avons déjà collecté du matériel, Gilles a raison de dire que notre plus gros problème est l'acheminement qui nous coûte énormément cher. Mais nous ne désespérons pas.

Collectif Girondin pour le Rwanda - BORDEAUX tel.: 56 92 73 66

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