Fiche du document numéro 684

Num
684
Date
Mardi 28 juin 1994
Amj
Taille
57094
Titre
Rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda, soumis par M. R. Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, en application du paragraphe 20 de la résolution 1994 S-3/1 de la Commission, en date du 25 mai 1994
Mot-clé
Cote
E/CN.4/1995/7
Source
ONU
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
NATIONS
UNIES

E
Conseil Economique
et Social

Distr.
GENERALE
E/CN.4/1995/7
28 juin 1994
Original : FRANCAIS

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME
Cinquante et unième session
Point 12 de l’ordre du jour provisoire

QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTES
FONDAMENTALES, OU QU’ELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE, EN PARTICULIER
DANS LES PAYS ET TERRITOIRES COLONIAUX ET DEPENDANTS

Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda,
soumis par M. R. Degni-Ségui, Rapporteur spécial
de la Commission des droits de l’homme, en application
du paragraphe 20 de la résolution 1994 S-3/1
de la Commission, en date du 25 mai 1994

GE.94-13148

(F)

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Introduction

1. A sa troisième session extraordinaire, la Commission des droits de
l’homme a adopté la résolution 1994 S-3/1, en date du 25 mai 1994, par
laquelle elle a prié son Président de nommer un rapporteur spécial chargé
d’enquêter sur place sur la situation des droits de l’homme au Rwanda et de
recueillir, auprès des gouvernements, des particuliers et des organisations
intergouvernementales et non gouvernementales, tous renseignements dignes
de foi sur la situation des droits de l’homme dans le pays et d’user de
l’assistance fournie par les mécanismes existants de la commission des droits
de l’homme.

2. La Commission a prié le Rapporteur spécial de se rendre immédiatement
au Rwanda et de faire rapport d’urgence aux membres de la commission dans un
délai de quatre semaines à compter de la date d’adoption de la résolution.
C’est conformément à cette disposition que le Rapporteur spécial s’est rendu
au Rwanda et dans d’autres Etats voisins du 9 au 20 juin 1994. Durant cette
mission, il a été accompagné par le Rapporteur spécial sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, M. Bacre Waly Ndiaye et le
Rapporteur spécial sur la question de la torture, M. Nigel Rodley, qui ont
accepté son invitation et ainsi mis à sa disposition leur expérience et leur
expertise. Le Rapporteur spécial tient à leur exprimer ici sa reconnaissance.

3. Le Rapporteur spécial voudrait aussi remercier le "gouvernement
intérimaire" rwandais ainsi que le Front Patriotique Rwandais (FPR) pour
leur coopération.

4. Il voudrait également remercier tous ceux qui l’ont soutenu dans la
préparation et réalisation de sa mission. Il est particulièrement
reconnaissant au United Nations Rwanda Emergency Office (UNREO), le Programme
des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Haut Commissariat des
Nations Unies aux Réfugiés (HCR), et le Comité International de la Croix-Rouge
(CICR), pour l’assistance logistique fournie. Le Rapporteur spécial tient
également à exprimer sa profonde gratitude au Commandant de la Mission des
Nations Unies d’assistance au Rwanda (MINUAR) et à ses officiers pour leur
soutien et coopération généreuse, dans des circonstances difficiles, durant
son séjour au Rwanda. Enfin, le Rapporteur spécial remercie tous ceux qui lui
ont fait parvenir des renseignements sur la situation des droits de l’homme
au Rwanda, notamment les organisations non-gouvernementales, et les invite
à continuer cette coopération à l’avenir.

5. Il faut relever que la mission du Rapporteur spécial fait suite à celle
du Haut Commissaire aux droits de l’homme effectuée les 11 et 12 mai 1994
(voir E/CN.4/1994/S-3/3) et dans une certaine mesure à celle du Rapporteur
spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires,
M. Bacre Waly Ndiaye, en avril 1993 (voir E/CN.4/1994/7/Add.1).

6. Le présent rapport, qui s’appuie sur des renseignements, des témoignages
et des documents reçus de différentes sources, n’a pas prétention à
l’exhaustivité, le temps imparti y faisant obstacle. Il se veut tout
simplement et modestement un tableau synoptique de la situation des droits
de l’homme au Rwanda, une vue globale qui permettra d’orienter les enquêtes
futures. Cette vue globale, pour éclairer la Commission tout en répondant à

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certaines de ses préoccupations, porte à la fois sur les mesures préliminaires
prises par le Rapporteur spécial, sur les faits incriminés, sur les violations
des droits de l’homme en résultant et, enfin, comporte une série de
recommandations.


I. LES MESURES PRELIMINAIRES

7. Avant de se rendre sur les lieux pour effectuer une enquête préliminaire
et faire rapport aux membres de la Commission sur la situation des droits de
l’homme au Rwanda, le Rapporteur spécial a mené une réflexion préalable avec
son équipe concernant le mandat et la méthode à utiliser pour les enquêtes
en découlant.


A. Le mandat

8. Le mandat confié au Rapporteur spécial contient deux éléments :

a) Faire rapport à la Commission des droits de l’homme sur la
situation des droits de l’homme au Rwanda, y compris les causes profondes
et les responsabilités (enquête "horizontale");

b) Faire parvenir au Secrétaire général des renseignements rassemblés
et compilés systématiquement sur les violations des droits de l’homme et du
droit international humanitaire. La Commission des droits de l’homme a affirmé
que tous ceux qui commettent ou autorisent de telles violations en sont
personnellement responsables et que la communauté internationale fera tout
ce qui est en son pouvoir pour qu’ils soient traduits en justice (enquête
"verticale").

9. Ces obligations d’enquêter et de faire rapport sont complémentaires et
devraient être accomplies dans le cadre de la même structure, en deux étapes
qui sont interdépendantes et se recoupent. La collecte de renseignements
servant à faire rapport à la Commission des droits de l’homme (et d’autres
organes des Nations Unies, tel que demandé par la résolution S-3/1) ainsi que
la formulation de recommandations pour des actions concrètes et immédiates
visant à sauver des vies, doivent être des priorités.

10. Les deux étapes sont complémentaires dans la pratique, étant donné que
les sources de l’information en sont les mêmes. De même, les renseignements
recueillis pour un aspect du mandat éclairent l’autre. Par exemple, des
enquêtes sur la structure des forces armées des deux parties au conflit
sont nécessaires pour formuler des recommandations visant à mettre un terme
aux massacres et donnent, en même temps, la base pour déterminer des
responsabilités individuelles, prenant en considération la chaîne de
commandement. Les enquêtes "horizontales" de la première étape fourniront une
vision générale de l’information disponible et de la méthode la plus efficace
pour l’obtenir, toutes deux indispensables avant de commencer des enquêtes
approfondies, dans la deuxième étape, sur certains cas déterminés. La première
étape permettra aussi d’identifier les cas prioritaires qui peuvent mener à
des enquêtes (exemple : analyse des émissions des stations de radio proches
du gouvernement et leur lien avec les massacres de Tutsis et de Hutus modérés,
en vue d’établir des responsabilités individuelles et d’identifier des
massacres particuliers qui pourraient être examinés plus en détail).

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11. Pour assurer que les deux étapes sont complémentaires, l’information doit
être recueillie, enregistrée et analysée de façon telle qu’elle puisse être
utilisable, en cas de procès, par une juridiction nationale ou, le cas
échéant, internationale.

12. La façon dont les deux étapes pourront être mises en oeuvre est
influencée par les événements sur place, et surtout par les considérations de
sécurité pour les enquêteurs dans une situation de conflit armé. Etant donné
les risques encourus, notamment pour les victimes et les témoins, aussi
bien au Rwanda que dans les pays où ils ont trouvé refuge, la collecte des
renseignements doit commencer par les nombreuses organisations et agences
internationales actives sur place, journalistes, religieux, etc. au Rwanda et
dans d’autre pays de la région ou en Europe. La grande majorité d’entre eux
ont déjà fait preuve de la plus grande disponibilité pour fournir toute
information utile au Rapporteur spécial.

13. Cette enquête approfondie sera effectuée par une équipe de
spécialistes des droits de l’homme, qui sera déployée sur le terrain par
le Haut Commissaire aux droits de l’homme, conformément à la résolution S-3/1
de la Commission des droits de l’homme. Le Rapporteur spécial s’était
également proposé, lors de sa première visite à la région, de préparer le
travail de cette équipe, dont les deux premiers membres sont déjà sur place.

B. Consultations et visites sur le terrain

14. Suite à sa nomination le 25 mai 1994, le Rapporteur spécial s’est rendu
à Genève et à Bruxelles en vue de procéder, en attendant l’achèvement de la
préparation logistique et administrative de sa mission au Rwanda, à des
consultations auprès du Centre pour les droits de l’homme, de représentants
d’Etats et d’organisations non gouvernementales oeuvrant pour la défense des
droits de l’homme.


15. Entre le 6 et le 9 juin 1994, il a rencontré des représentants
des Gouvernements du Rwanda, du Burundi, du Zaïre, du Canada, du Cameroun,
du Nigéria, de la France et de la Belgique, ainsi qu’un grand nombre
d’organisations des droits de l’homme qui lui ont fait part de leurs
observations et fourni des renseignements concernant la situation des droits
de l’homme au Rwanda. Ayant appris, pendant son séjour à Genève, l’assassinat
de l’Archevêque de Kigali, de l’Evêque de Kabgayi, ainsi que de 10 prêtres par
le FPR et, probablement par mesure de représailles, l’exécution par les forces
armées rwandaises de 63 autres personnes, le Rapporteur spécial a adressé
le 9 juin 1994 des lettres, tant au FPR qu’au "gouvernement intérimaire", pour
condamner ces actes, demander que tout soit mis en oeuvre pour éviter que de
tels incidents ne se reproduisent et exiger que des poursuites soient ouvertes
contre les auteurs de ces massacres, tout en leur offrant les garanties de la
défense. Une lettre a été également adressée au Gouvernement français pour
solliciter la mise à la disposition du Rapporteur spécial de la boîte noire de
l’avion présidentiel. Le Gouvernement français a répondu le 17 juin 1994 qu’il
n’était pas en possession de la boîte noire et qu’il convenait de s’adresser
au "gouvernement intérimaire". L’état-major rwandais, à qui la même requête
a été adressée, a, quant à lui, répondu qu’il n’était au courant de rien.

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16. Du 9 au 15 juin 1994, le Rapporteur spécial a rencontré à Bruxelles,
Nairobi, Bujumbura et dans la région du Sud-Kivu (Zaïre), les Représentants
spéciaux du Secrétaire général pour le Rwanda et le Burundi, le Coordinateur
de l’UNREO et plusieurs de ses collaborateurs, le Commandant de la MINUAR,
l’Envoyé spécial du HCR et plusieurs de ses délégués dans la région,
de nombreux représentants des agences, institutions et programmes
des Nations Unies actuellement actifs au Rwanda, du CICR et d’organisations
internationales non gouvernementales qui fournissent de l’assistance
humanitaire, d’organisations des droits de l’homme, ainsi qu’un grand nombre
de personnalités, aussi bien des rwandais que des ressortissants d’autres
pays, qui lui ont apporté leur témoignage sur des violations des droits de
l’homme au Rwanda.

17. Du 16 au 20 juin 1994, le Rapporteur spécial a séjourné au Rwanda, où il
a rencontré le Commandant et plusieurs autres officiers de la MINUAR, le chef
de l’état-major des forces armées rwandaises, le Préfet de la ville de Kigali
et deux membres de l’état-major de la Gendarmerie, ainsi que des représentants
du FPR. Pendant son séjour au Rwanda, le Rapporteur spécial a visité plusieurs
endroits hébergeant des personnes déplacées par le conflit, notamment le
stade Amahoro, l’hôpital Roi Fayçal et l’aéroport de Kigali. Le Rapporteur
spécial a également visité l’hôpital du CICR à Kigali. Ces différentes
visites lui ont permis de tenter de reconstituer les faits.


II. LES FAITS INCRIMINES

18. L’attaque de l’avion survenue le 6 avril 1994 et qui a coûté la vie
au Président de la République rwandaise, Juvénal Habyarimana, au Président
de la République burundaise, Cyprien Ntyamira, plusieurs personnes de leur
entourage, ainsi qu’à l’équipage, semble bien être la cause immédiate des
événements douloureux et dramatiques que connaît actuellement ce pays. C’est
probablement la raison pour laquelle la Commission des droits de l’homme
demande au Rapporteur spécial de "rassembler tous les renseignements dignes de
foi sur la situation des droits de l’homme dans le pays, y compris les causes
profondes des atrocités récentes". Ces atrocités comportent principalement les
massacres et d’autres faits qui en résultent.


A. Les massacres

19. Au moment où l’avion présidentiel s’écrasait, la situation intérieure
rwandaise était tendue et explosive pour plusieurs raisons : frustrations dues
aux retards accusés dans l’application des accords de paix d’Arusha en date
du 4 août 1993, terreur semée par les milices, assassinats de leaders de
l’opposition et de militants des droits de l’homme, rumeurs persistantes selon
lesquelles chacune des deux parties, le gouvernement et le FPR, se préparaient
à la guerre. La mort du président Habyarimana sera l’étincelle qui mettra le
feu aux poudres, déclenchant les massacres de civils. Le lendemain, les
combats entre les forces gouvernementales et le FPR reprendront. Jusqu’ici,
c’est à dire, au moment de la rédaction du présent rapport, les actes de
violence n’ont pas cessé. Ceux-ci se singularisent à la fois par leur ampleur
et par leurs caractéristiques.

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1. Leur ampleur

20. Certes, le peuple rwandais a été victime de plusieurs massacres,
notamment en 1959, 1963, 1966, 1973, 1990, 1991, 1992 et 1993. Mais ceux qui
se déroulent à l’heure actuelle sont sans précédent dans l’histoire de ce pays
et même dans celle de l’Afrique tout entière. Ces massacres ont pris en effet
une ampleur inégalée dans l’espace et dans le temps.

21. Les atrocités s’étendent sur l’ensemble du territoire national. Il
convient toutefois de distinguer la zone gouvernementale de la zone contrôlée
par le FPR. Dans la première, la plupart des massacres sont le fait des
milices interahamwe ("ceux qui attaquent ensemble") du Mouvement Républicain
National du Développement et de la Démocratie (MRND), et impuzamugabmi
("ceux qui ont le même but") de la Coalition pour la Défense de la République"
(CDR), et sont dirigés contre les Tutsis et des Hutus considérés modérés,
c’est-à-dire des personnes aux mains nues et sans défense. Les exemples,
fournis par de témoins dignes de foi, ne manquent pas. On se bornera à en
mentionner quelques-uns : à Butare, plusieurs milliers de personnes ont été
massacrées ou mutilées; à Gisenyi, des milliers de Tutsis ont subi le même
sort, certains auraient été enterrés vivants dans des fosses communes au
cimetière de la ville et dans la paroisse de Nyundo (formée de la préfecture
de Kibuye), plus de 560 personnes ont été tuées, dont 56 religieux et
religieuses et 11 auxiliaires d’apostolat; des atrocités ont été également
perpétrées à Kibuye, particulièrement au stade et à la paroisse; à Gikongo, un
quartier de Kigali, en un seul jour, dimanche 10 avril, la rue était couverte
de cadavres sur un kilomètre; à Kiziguro, paroisse située sur la route
entre Kabiro et Murambi, on découvrait une fosse commune contenant plusieurs
centaines de cadavres et quelques survivants criant au secours. A Cyangugu le
nombre de personnes massacrées est à l’heure actuelle estimé à plus de 25 000.

22. Dans la zone contrôlée par le FPR, les exemples de massacres sont
plutôt rares, voire quasi inexistantes, peut-être parce que moins connus.
Les autorités gouvernementales accusent le FPR d’avoir massacré plusieurs
milliers de civils. Selon la déclaration du "gouvernement intérimaire"
rwandais à Genève datée du 24 mai 1994, "les combattants du FPR se sont livrés
à des massacres systématiques conte l’ethnie hutue en se servant notamment de
la carte d’identité. ... Dans les zones contrôlées par le FPR, des milliers
de populations furent sauvagement massacrées et enterrées dans des fosses
communes préparées bien avant le déclenchement des hostilités". Mais aucun
témoignage ne permet de confirmer ces informations. A la demande du Rapporteur
spécial des officiers supérieurs des forces armées rwandaises ont promis de
fournir des documents allant dans ce sens. Le FPR a été accusé d’enlever des
personnes des camps de déplacés pour les exécuter. Ce fait, qui pourrait
expliquer l’absence de prisonniers de guerre, n’a pas non plus pu être ni
établi ni confirmé par d’autres témoignages. Il faut noter que le FPR a promis
de présenter aux observateurs des droits de l’homme des prisonniers de guerre.
Ce qui est certain, c’est que le FPR s’est rendu coupable d’exécutions
sommaires. Par exemple, le 9 juin 1994, des éléments du FPR ont exécuté
plusieurs religieux dont 2 évêques et l’Archevêque de Kigali. Une opération
d’évacuation de Tutsis, à la Paroisse Saint-Paul, effectuée par le FPR
le 16 juin 1994, a entraîné la mort de plusieurs personnes. Selon le
"gouvernement intérimaire", elles auraient été exécutées en raison de leur
appartenance à l’ethnie hutue. A cela, les représentants du FPR ont répondu

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que certaines personnes ont pu être tués au cours du combat, mais ont affirmé
que, dans le feu de l’action, il n’y avait pas le temps de faire le tri entre
Hutus et Tutsis, et que ces actes n’étaient pas intentionnels. Le lendemain,
l’attaque d’un véhicule de la MINUAR, a coûté la vie à un observateur
militaire et grièvement blessé un autre. Le 19 juin 1994, en dépit de
trois précédents fâcheux et de l’appel pressant du Rapporteur spécial
demandant qu’on évite de prendre pour cibles les organismes humanitaires,
un obus est une nouvelle fois tombé dans l’enceinte de l’hôpital du CICR,
tuant une personne et blessant plusieurs autres.

23. Les massacres n’ont pas commencé le même jour sur l’ensemble du
territoire rwandais. C’est naturellement Kigali qui a donné le ton
dès la nuit du 6 au 7 avril avec l’assassinat du Premier Ministre,
Mme Agathe Uwilingiyimana, du président de la Cour suprême Joseph Kavaruganda,
de certains membres de son gouvernement, ainsi que des dix Belges membres
de la MINUAR. Butare et Cyangugu, en revanche, seront calmes durant plus
d’une semaine et n’entreront dans le cycle de la violence qu’à la suite
de la révocation de leurs préfets, remplacés par des Hutus extrémistes. Des
témoignages concordants et dignes de foi indiquent que le nouveau Président de
la République se serait rendu à Butare pour exhorter la population hutue aux
massacres. A Cyangugu, en dépit du retard accusé, le 20 avril, le nombre de
personnes massacrées atteignait selon certains témoignages près de 15 000. Les
militaires auraient bouclé toutes les voies conduisant au Zaïre pour empêcher
les rescapés de s’enfuir et le préfet aurait dit avoir reçu "des ordres d’en
haut" allant dans ce sens. Ces massacres se sont poursuivis sans discontinuer
jusqu’à ce jour. Une véritable chasse à l’homme est entreprise de maison à
maison, de famille à famille, de colline à colline, par les miliciens qui
n’hésitent pas à s’attaquer à l’heure actuelle aux personnes dans les camps
dits de déplacés. C’est ainsi que le 14 juin 1994, ils ont enlevé 40 jeunes
gens et, le 17 juin, sans l’intervention ferme de la MINUAR, l’Hôtel des
"Milles Collines" aurait connu un carnage : un groupe de miliciens armés
y était entré.

24. Au total, le nombre des personnes tuées sur l’ensemble du territoire se
chiffre à des centaines de milliers, entre 200 000 et 500 000. Ce chiffre est
certainement en deçà de la réalité. Aussi certains observateurs soutiennent
- ils qu’on est proche du million. Il n’est pas certain que l’on obtienne un
jour le nombre exact des victimes. Ce qui en revanche est absolument sûr,
c’est que la communauté internationale assiste à une tragédie humaine qui
semble être bien orchestrée.

2. Leurs caractères

25. Les massacres sont d’autant plus horribles et terrifiants qu’ils se
donnent pour programmés, systématiques et atroces.

26. Les massacres semblent avoir été programmés. Ce constat procède d’un
faisceau d’indices : le premier est constitué par la campagne d’exhortation à
la haine ethnique et à la violence orchestrée par les médias du gouvernement
ou proches de lui, tels que la Radio rwandaise, et surtout la "Radio
Télévision Libre des Milles Collines" (RTLM). Le second consiste dans la
distribution d’armes à la population civiles et plus particulièrement
aux miliciens. Des lettres pastorales du diocèse de Nyundo datant de

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décembre 1993, et émanant de l’Evêque et des prêtres, condamnent cette
distribution d’armes à la population. De plus, les miliciens auraient suivi
des entraînements intensifs dans des installations militaires de novembre 1993
à mars 1994. A cela s’ajoutent la terreur semée par les miliciens et
l’assassinat de personnalités politiques. Le troisième réside dans la célérité
exceptionnelle avec laquelle les événements ont commencé après la mort du
Président rwandais : le "gouvernement intérimaire" s’est constitué quelques
heures seulement après l’accident, rapporte une source internationale fiable.
De plus, des barricades ont été posées entre 30 et 45 minutes après l’accident
d’avion et avant même que la nouvelle de l’accident n’ait été annoncée par la
radio nationale. Un témoin digne de foi raconte que 45 minutes après
l’explosion, la route allant de l’hôtel Méridien au stade Amahoro était
dressées par des militaires et des civils et qu’il avait subi deux contrôles
effectuées par ceux-ci. Les officiers supérieurs de l’état-major que le
Rapporteur spécial a rencontrés reconnaissent les faits, mais auxquels ils
trouvent une justification : le président Habyarimana était si populaire que
son assassinat par le FPR a provoqué la colère du peuple et des éléments des
forces armées. Le quatrième, enfin, procède de ce qu’il existe des listes sur
lesquelles figurent les noms de personnes à exécuter. C’est semble-t-il sur la
base de ces listes que divers leaders de l’opposition ont été assassinés.

27. Les massacres revêtent un caractère systématique. Des familles entières
sont décimées, grands-parents, parents, enfants. Personne n’y échappe, même
pas les nouveaux-nés. Mais ce qui est encore plus symptomatique, c’est que les
victimes sont poursuivies jusque dans leur dernier retranchement pour y être
exécutées. Il en va ainsi des paroisses et surtout des églises, qui autrefois
servaient de refuges aux Tutsis, mais qui sont devenues le théâtre de leur
holocauste. Il en va de même des caches dans les plafonds ou recoins des
maisons et dans les bois et forêts, où les assaillants mettent le feu pour
s’assurer qu’ils ne laisseront pas de survivants derrière eux. Il en va encore
ainsi des frontières, qui sont barrées pour empêcher aux Tutsis de se rendre
dans les pays voisins. A la troisième session extraordinaire de la Commission
des droits de l’homme, le représentant de Médecins sans frontières a donné un
exemple assez typique, qui mérite d’être cité :
"A 700 mètres de la frontière burundaise, 80 personnes ont été vues
en train de courir vers la frontière ("comme du bétail") chassées par un
groupe de miliciens avec des machettes; une personne a été tuée à coups
de machettes devant nous. Les autres ont réussi a atteindre la frontière
mais malheureusement un groupe de miliciens les attendaient. Moins
de 10 personnes ont traversé la frontière, les autres ont été massacrées
à la machette." (fin avril 1994)


28. Les tueries sont exécutées dans des conditions atroces, affreusement
cruelles. Elles sont en effet précédées d’actes de torture ou autres
traitements cruels, inhumains et dégradants. D’une manière générale, les
victimes sont attaquées à coups de machettes, de haches, de gourdins, de
massues, de bâtons, ou de barres de fer. Les bourreaux vont parfois jusqu’à
couper successivement les doigts, la main, les bras, les jambes avant de
trancher la tête ou de fendre le crâne. Des témoins rapportent qu’il n’est pas
rare que les victimes supplient leurs bourreaux ou leur proposent de l’argent
pour être exécutées plutôt par balles qu’à la machette. Il a aussi été signalé
que, lorsque les Tutsis sont enfermés dans une salle ou dans une église que

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les miliciens n’arrivent pas à ouvrir, les militaires viennent à leur
secours : ils défoncent les portes, lancent des grenades dans la salle et
laissent le soin aux miliciens d’achever le travail. La barbarie n’épargne
ni les enfants des orphelinats, ni les blessés des hôpitaux, qui sont enlevés
et tués ou achevés. Des mères se sont vues obligées de piler leurs enfants,
tandis que des employés hutus travaillant pour Médecins sans frontières
(Butare, fin avril 1994) ont été contraints de tuer leurs collègues Tutsis.
Ceux qui ont eu le courage de refuser ont été tués. On a même signalé que les
bourreaux, après avoir exécuté leurs victimes en pleine rue, au vu et au su de
tous, les découpent en morceaux et certains n’hésitent pas à s’asseoir sur les
corps pour boire une bière en attendant que les prisonniers viennent ramasser
les corps.

B. Les autres faits

29. Les faits décrits ci-dessous sont des conséquences directes et combinées
de la guerre autant que des massacres. Ils se rapportent à ceux qui ont eu la
chance de survivre aux tueries et qui continuent à lutter pour se maintenir
en vie. Ils s’expriment par l’insécurité et l’exode.

1. L’insécurité

30. Il règne sur l’ensemble du territoire rwandais une insécurité totale qui
revêt trois aspects étroitement liés.

31. Le premier aspect, immédiatement perceptible, est la dimension physique
et morale qui consiste pour les rares rescapés des massacres à préserver, par
instinct, leur intégrité physique et morale. Ils courent en effet le danger
de rencontrer l’une ou l’autre des parties au conflit, les forces armées
rwandaises, les miliciens ou, au contraire, le FPR. Certes, l’appartenance
ethnique ou politique peut écarter le danger, lorsque des Hutus tombent sur
les Forces armées rwandaises ou les miliciens, ou que des Tutsis ou des Hutus
modérés rencontrent des soldats du FPR, mais ils ne seront pas pour autant
définitivement épargnés, puisque les tirs d’obus et de mortiers en pleine
ville ne distinguent pas les camps militaires des maisons d’habitation des
civils. Pis encore, aucune précaution ne semble être prise pour éviter que les
tirs n’atteignent des installations des organismes humanitaires. L’obus tombé
le 19 juillet 1994 à l’hôpital du CICR, tuant un membre du personnel et
faisant plusieurs blessés, constitue en ce sens en exemple éloquent. Le FPR,
responsable de ce dommage, a justifié sa position par le fait que les Forces
armées rwandaises s’abritent derrière ledit hôpital pour attaquer ses troupes
- une telle position ne peut que briser le moral des rescapés. D’autres
organismes, tel que la MINUAR, ont même été consciemment ciblés.

32. Le second aspect est l’insécurité alimentaire. La famine est à la porte
du Rwanda. De vastes parties du territoire semblent entièrement abandonnées.
Le long des routes menant de Kigali à Byumba ou à la frontière ougandaise de
Kagitumba, par exemple, la plupart des villages sont déserts, et les champs se
sont pas récoltés. La menace d’une famine est réelle, surtout dans les zones
au sud du pays, qui ont en plus été victimes d’une sécheresse. Le Rapporteur
spécial a reçu des informations selon lesquelles, dans les camps de déplacés

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au Rwanda, se produisent des cas de décès dûs à la malnutrition, et cela
malgré tous les efforts des organisations internationales d’assistance
humanitaire.

33. Le troisième aspect est l’insécurité sanitaire ou plus précisément
l’insalubrité. De nombreux observateurs ont souligné le risque d’épidémies
dues aux corps pourrissant à l’air libre ou jetés dans les rivières, qui sont
susceptibles de polluer les eaux. Les conditions précaires d’existence,
l’état de faiblesse de beaucoup de personnes, déplacées ou autres, les rendent
plus vulnérables aux maladies. Il ne faut pas non plus oublier que le Rwanda
a un des taux les plus élevés au monde d’infections au virus du SIDA. Des
initiatives de vaccinations sont entreprises dans les camps de déplacés.
Les installations médicales opérationnelles ne suffisent pas pour fournir
les soins requis. Le Rapporteur spécial a rendu visite à l’hôpital du CICR
à Kigali, où il a été très impressionné par le dévouement et l’abnégation
du personnel médical, et aussi par l’immensité de l’oeuvre accomplie.

2. L’exode

34. Le conflit rwandais a entraîné un exode sans précédent dans l’histoire de
ce petit pays. Cet exode est d’autant plus impressionnant qu’il comporte un
double aspect, l’un, interne, se rapportant aux déplacés et l’autre, externe,
visant les réfugiés.

35. Les hostilités entre les forces du "gouvernement intérimaire" et celles
du FPR, et surtout la peur des massacres, ont entraîné des mouvements massifs
de populations au sein même du pays. On parle de plus de deux millions de
personnes ayant quitté leur colline d’origine pour gagner d’autres régions où
elles se sentent plus en sécurité. Avec l’évolution du conflit et l’avancée
du FPR, une bonne partie de la population se déplace sans cesse, fuyant les
combats. L’avancée militaire du FPR vers le sud-ouest et la vague de personnes
déplacées que ce mouvement va sans doute entraîner, pourrait rendre la
situation dans toute la région particulièrement explosive. On estime que
jusqu’à deux millions de personnes pourraient être piégées en ce moment entre
la ligne de front et les frontières avec le Burundi et le Zaïre, toutes les
deux actuellement fermées aux réfugiés rwandais. D’autres se sont retrouvés
dans des lieux d’où ils ne peuvent plus bouger, craignant les massacres. Bien
qu’ils ne soient pas retenus de force, ils sont en fait des otages du conflit.
Ils se trouvent dans des lieux divers, aussi bien dans la capitale que dans
d’autres villes et régions du pays. Lors de son séjour, le Rapporteur spécial
a pu visiter plusieurs centres de déplacés, notamment le stade Amahoro,
l’hôpital Roi Fayçal et un camp installé à l’aéroport de Kigali. Ces centres,
ainsi que d’autres, sont protégés par la MINUAR, et les différentes
organisations d’assistance humanitaire font des efforts énormes pour améliorer
leur situation qui, néanmoins, reste extrêmement précaire.

36. Les hostilités et surtout les massacres ont amené beaucoup d’autres
rwandais à quitter leur pays pour se réfugier dans les Etats voisins. C’est
ainsi que le Zaïre a accueilli plus de 50 000 réfugiés dans les régions du
Sud-Kivu et de Bukavu. Un nombre considérable d’entre eux sont des burundais
qui s’étaient réfugiés au Rwanda lors des événements violents survenus au
Burundi en octobre-novembre 1993. Le Burundi a accueilli plus de 85 000
réfugiés dans des camps situés surtout dans les régions de Ngozi et Kirundo.

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Mais c’est la Tanzanie qui abrite le plus grand nombre de réfugiés, estimé
à 410 000, dont 330 000 dans le seul camp de Benaco, qui est ainsi le plus
grand camp de réfugiés du monde. Le total des réfugiés s’élève à près d’un
million de personnes. Ce flux important de réfugiés pose aussi de sérieux
problèmes aux pays hôtes, qui courent en effet des dangers dûs non seulement
à la surpopulation et l’insécurité provoquées par la présence de nouveaux
venus, mais aussi à la transposition sur leur territoire des tensions
politico-ethniques opposant Tutsis et Hutus. Ce risque est important au Zaïre,
mais surtout au Burundi, où ces mêmes groupes sont présents. De plus ces pays
sont proches d’échéances électorales.

37. Les réfugiés eux-mêmes ne sont pas à l’abri de l’insécurité due
précisément à la transposition des problèmes dans les camps. Lors de sa
visite dans plusieurs camps situés dans la région du Sud-Kivu, au Zaïre,
le Rapporteur spécial a été informé que plusieurs de ces camps servaient de
base d’entraînement de milices. Des cas d’assassinats, de torture et de
disparitions ont aussi été signalés. Au camp de Luvundi, près de la frontière
rwandaise, il a été donné de constater la tension qui existait entre les
réfugiés hutus et tutsis, quand deux fonctionnaires internationaux,
respectivement de nationalité sénégalaise et malienne, furent agressés
verbalement et accusés d’être des espions tutsis. Le Rapporteur spécial lui
même a été interpellé à plusieurs reprises au sujet de sa nationalité.

38. La situation est encore plus explosive et préoccupante dans le
camp de Benaco, en Tanzanie. Entre le 28 et le 29 avril 1994, environ
250 000 personnes ont traversé la frontière rwandaise pour se rendre dans
le district de Ngara, en Tanzanie. La grande majorité d’entre eux étaient
des Rwandais d’origine ethnique hutue fuyant l’avancée du FPR dans l’est
du Rwanda. C’est suite à cet afflux sans précédent que le HCR a créé le camp
de Benaco, qui abrite actuellement plus de 330 000 personnes à quelque 17 km
de la frontière rwandaise.

39. On a constaté que subsistent dans ce camp les mêmes structures
d’encadrement des populations qu’au Rwanda et il est à craindre que les
milices des partis y soient actives. Il est en effet apparu très rapidement
aux responsables du camp que parmi les personnes accueillies se trouvaient
des individus accusés d’avoir organisé ou tout au moins participé à des
massacres au Rwanda, certains témoins les ayant en effet reconnus. Quatorze
d’entre elles, soupçonnées d’avoir participé aux massacres, qui semble-t-il
craignaient pour leur vie, acceptèrent d’être placées en détention
sous la protection de la police tanzanienne. Cependant, le 15 juin 1994,
ces 14 personnes soupçonnées ont été libérées par la police tanzanienne à
la condition qu’elles ne retournent pas à Benaco, mais elles ne tinrent
pas parole, et la tentative du HCR de les faire ressortir du camp se solda
par une émeute regroupant près de 5 000 personnes, qui se livrèrent à
des manifestations violentes et menacèrent les employés des organisations
humanitaires de leur faire subir le sort des 10 casques bleus belges, qui ont
été torturés et mutilés avant d’être exécutés à Kigali. On signale, en effet,
que des assassinats ont été commis à Benaco, dont certains semblent avoir été
motivés par des raisons politiques.

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40. Plusieurs observateurs rencontrés par le Rapporteur spécial ont estimé
que la marée humaine ayant précédé la création de Benaco, en raison de son
caractère planifié et bien organisé, ressemble à un repli stratégique des
miliciens responsables des massacres au Rwanda et de leur entourage. C’est en
ce sens que des craintes ont été exprimées de voir le camp servir aux milices
de base arrière à des incursions en territoire rwandais et ainsi de leur
permettre de poursuivre ainsi les violations des droits de l’homme.

II. LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME

41. Les faits ci-dessus constituent sans conteste des violations graves et
massives des droits de l’homme. La question est de savoir quelle est la nature
que revêtent ces violations, quelles en sont les causes et qui en sont
les auteurs.

A. La nature

42. Les faits incriminés revêtent une triple nature : un génocide résultant
des massacres des Tutsis, des assassinats politiques de Hutus, et des
atteintes diverses aux droits de l’homme.

1. Le génocide des Tutsis

43. D’éminentes personnalités, dont le Secrétaire général des Nations Unies,
n’ont pas hésité à qualifier le massacre des Tutsis de génocide. Il importe
de vérifier, au regard des faits, la pertinence de cette qualification.

44. L’article II de la Convention sur la prévention et répression du crime de
génocide du 9 décembre 1948 dispose : "le génocide s’entend de l’un quelconque
des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie,
un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres
du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver des naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe."

45. Il ressort de cette définition trois éléments constitutifs du génocide,
qu’on pourrait schématiser ainsi :
i) Un acte criminel,

ii) "Dans l’intention ... de détruire tout ou partie",

iii) D’un groupe donné et visé "comme tel".





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46. La première condition ne semble pas faire de doute eu égard aux massacres
perpétrés (II a)) et même aux traitements cruels, inhumains et dégradants
(II b)). La seconde n’est pas davantage difficile à remplir, car l’intention
claire et non équivoque se trouve bien contenue dans les appels incessants au
meurtre lancés par les médias (en particulier le RTLM) et transcrits dans les
tracts. Et si ce n’était le cas, l’intention aurait pu être déduite des faits
eux-mêmes, à partir d’un faisceau d’indices concordants : préparation des
massacres (distribution d’armes à feu et entraînement des miliciens), nombre
de Tutsis tués, et résultat de la poursuite d’une politique de destruction
des Tutsis. La troisième condition qui exige que le groupe ethnique soit visé
comme tel pose en revanche problème en raison de ce que les Tutsis ne sont pas
les seules victimes des massacres, les Hutus modérés n’étant pas épargnés.
Mais le problème n’est qu’apparent, et ceci pour deux raisons : d’abord,
nombre de témoignages révèlent que les tris opérés au cours des barrages
pour la vérification des identités visent essentiellement les Tutsis. Ensuite
et surtout, l’ennemi principal, assimilé au FPR, reste le Tutsi qui est
l’inyenzi, c’est à dire "le cafard", à écraser à tout prix. Le Hutu modéré
n’est que le partisan de l’ennemi principal, et il n’est visé qu’en tant que
traître à son groupe, auquel il ose s’opposer.

47. Il existe un document émanant de l’état-major de l’armée rwandaise et
daté du 21 septembre 1992, qui distingue bien l’ennemi principal de son
partisan et qui chargeait la hiérarchie militaire de "faire une large
diffusion". Selon les termes de ce document, le premier "est le Tutsi de
l’intérieur ou de l’extérieur extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui n’a
jamais reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités de la Révolution
Sociale de 1959, et qui veut conquérir le pouvoir au Rwanda par tous les
moyens, y compris les armes". Le second "est toute personne qui apporte tout
concours à l’ennemi principal". De plus, le partisan peut être rwandais ou
étranger. Il existe un certain nombre de documents qui confirment cette
distinction et qui attestent que les Hutus modérés ne sont massacrés
qu’en tant qu’associés ou partisans des Tutsis.

48. Les conditions prescrites par la Convention de 1948 sont ainsi réunies et
le Rwanda, y ayant accédé le 16 avril 1976, est tenu d’en respecter les
principes qui se seraient imposés même en dehors de tout lien conventionnel,
puisqu’ils ont acquis valeur coutumière. De l’avis du Rapporteur spécial, la
qualification de génocide doit être d’ores et déjà retenue en ce qui concerne
les Tutsis. Il en va différemment de l’assassinat des Hutus.

2. L’assassinat des Hutus

49. Des membres du groupe ethnique hutu, comme il a déjà été indiqué, sont
également victimes de massacres. Mais une distinction s’impose à ce stade.
D’une part, il y a les Hutus modérés, auxquels, par extension, on associe
certains étrangers tels que les Belges, et qui comprennent essentiellement les
opposants politiques et les militants des droits de l’homme. Ils constituent
la cible toute désignée pour des éléments des Forces armées gouvernementales
et les miliciens. D’autre part, il y a les Hutus extrémistes, composés surtout
de miliciens, qui seraient victimes, sur simple dénonciation, d’exécutions
dans les zones contrôlées par le FPR.

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50. Ces actes constituent des assassinats et plus spécifiquement des
assassinats politiques qui portent atteinte au droit à la vie, qui est un
droit fondamental contenu dans nombre d’instruments internationaux.

51. Faute de citer toutes ces conventions, on en retiendra deux, dont les
dispositions pertinentes s’imposent à L’Etat rwandais, qui y a accédé.
Ce sont, d’une part, le Pacte International relatif aux droits civils et
politiques du 16 décembre 1966, et d’autre part, la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples du 28 juin 1981. Ces assassinats politiques
constituent une violation flagrante des instruments précités. L’on doit
préciser que le droit à la vie est un droit fondamental, qui existe
"en dehors de tout lien conventionnel", et dont le respect s’impose
en toutes circonstances.

3. Autres violations

52. Un certain nombre d’autres droits non moins importants font également
l’objet de violations graves de la part des parties au conflit. Ces droits
violés concernent aussi bien les droits de l’homme stricto sensu que le droit
international humanitaire.

53. En combinaison avec le droit à la vie, les autres droits auxquels il est
porté atteinte sont assez divers. On se bornera à mentionner, à titre
d’exemple : le droit à l’intégrité physique et morale, qui interdit la torture
et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants, consacré par nombre
d’instruments juridiques internationaux, notamment le Pacte International
relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples. Il échet de rappeler que ce droit constitue également
un droit fondamental qui s’impose en toutes circonstances; le principe de non
discrimination ou droit à l’égalité de traitement, la liberté de mouvement ou
de circulation, deux droits consacrés par les conventions précitées; le droit
des réfugiés régi par les instruments internationaux relatifs au statut des
réfugiés, dont la Convention du 28 juillet 1951, à laquelle le Rwanda est
partie.

54. Le droit international humanitaire n’est pas davantage respecté. Beaucoup
de faits incriminés, tels le meurtre, les assassinats politiques, l’exécution
des otages et les autres actes inhumaines commis contre les populations
civiles ou des militaires désarmés par les forces armées des deux parties
au conflit constituent des crimes de guerre heurtant frontalement les
quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, ratifiées par le Rwanda, et
leur article 3 commun. Il convient de noter, à ce stade, que le FPR a déclaré
au CICR qu’il se considère comme lié par les Conventions de Genève et
leurs Protocoles additionnels. De plus, les assassinats et les autres actes
inhumains commis contre les populations civiles ainsi que les persécutions
pour des motifs politiques en liaison avec les crimes de guerre constituent
des crimes contre l’humanité.

B. Les causes

55. Les causes des violations des droits de l’homme au Rwanda sont de divers
ordres : économiques, sociaux, politiques, culturels, etc., desquels l’on
retiendra trois immédiatement perceptibles et significatifs de la situation
actuelle. Ce sont le refus de l’alternance politique, l’incitation à la haine
et à la violence et l’impunité.






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1. Le refus d’alternance politique

56. Le refus de l’alternance politique, qui caractérise l’Afrique noire
francophone en général, prend une allure particulière au Rwanda avec une forte
coloration ethnique. En fait, l’enjeu des événements qui se déroulent dans le
pays n’est pas ethnique mais plutôt politique : c’est la conquête du pouvoir
politique ou plus précisément le maintien au pouvoir des représentants d’un
groupe ethnique, autrefois dominé, qui usent de tous les moyens et
principalement de l’élimination du groupe ethnique adverse, ainsi que de ceux
de son propre groupe qui lui sont politiquement opposés. De ce point de vue,
l’image précitée de l’ennemi principal et de son partisan est assez
révélatrice. La résistance aux accords de paix d’Arusha du 4 août 1993 en est
un signe tendant même à attester le refus d’un simple partage du pouvoir
politique ou de la simple cohabitation politique.

57. Le refus de l’alternance politique renvoie en fait à l’absence d’état de
droit. Car l’état de droit garantit l’alternance politique. Et tous les deux
constituent des exigences élémentaires de la démocratie pluraliste. Au Rwanda,
à l’état de droit s’est ainsi substitué l’état de violence, qui est celui de
l’affrontement. Il s’affranchit des règles de la légalité que commande la
démocratie et qui postule le respect de la loi. On passe de la démocratie
politique à la loi des armes, de sorte qu’à la dévolution pacifique du pouvoir
politique par la voie des urnes se substitue sa conquête par la forces des
armes avec son lot de tueries et de barbaries.


2. L’incitation à la haine ethnique et à la violence

58. Il circule en permanence au Rwanda de fausses rumeurs et des tracts
tendant à exacerber les passions ethniques et à inciter à la violence. Ces
rumeurs présentent par exemple les Tutsis comme étant "des assoiffés de sang
et de pouvoir voulant imposer leur hégémonie au peuple rwandais par les canons
et les fusils". Ils s’apprêteraient même à les exterminer. Des appels répétés
sont lancés à l’attention des Hutus, et débouchent sur les "dix commandements"
qui préconisent une idéologie d’apartheid tendant à se préserver du retour au
pouvoir des Tutsis. Cette incitation date de longtemps, comme le soulignent
différents rapports dont ceux de la Commission internationale d’enquête,
composée par des représentants de plusieurs organisations non
gouvernementales, sur les violations massives et systématiques des droits
de l’homme depuis le 1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993), ou le rapport
présenté par M. Bacre Waly Ndiaye, Rapporteur spécial sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, sur la mission qu’il a effectuée
au Rwanda du 8 au 17 avril 1993 (voir E/CN.4/1994/7/Add.1).

59. Mais ce qui semble nouveau et mérite d’être souligné, est la forte
implication de la Radio Nationale Rwandaise sous contrôle de la Présidence
et surtout de la Radio-Télévision libre des Milles Collines (RTLM).
Il est frappant de relever que les émissions de ces médias diffèrent
significativement selon qu’elles sont émises en français ou en kinyarwanda, la
seule langue parlée par la quasi totalité des Rwandais. Inoffensives dans le
premier cas, elles deviennent extrêmement agressives dans le second. La RTLM
n’hésite pas à appeler à l’extermination des Tutsis. Sa triste célébrité lui
vient du rôle déterminant qu’elle semble avoir joué dans les massacres. Aussi
l’appelle-t-on "la radio qui tue". Et pour cause, fin avril, cet organe de

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propagande des extrémistes hutus annonce, selon Reporters sans frontières, que
"le 5 mai, le nettoyage des Tutsis devra être terminé" ou encore "la tombe
n’est qu’à moitié pleine, qui veut nous aider à les remplir ?" Cette campagne
est d’autant plus dangereuse qu’un haut fonctionnaire des Nations Unies fait
observer que le paysan rwandais, qui ne sait en général ni lire ni écrire est
très attentif aux émissions en kinyarwanda : il tient à l’oreille la radio et
à la main la machette, prêt à entrer en action.


3. L’impunité

60. Tout comme l’incitation à la haine et au meurtre, l’impunité est une
cause récurrente des massacres : les milices des partis politiques dressent
des barricades, contrôlent l’identité des passants, arrêtent les Tutsis et les
Hutus modérés et les exécutent en pleine rue, au vu et au su de tous, devant
les éléments de la gendarmerie et des forces armées rwandaises. Ceux-ci, loin
d’inquiéter les miliciens, leur portent plutôt main forte. C’est également le
cas de certaines autorités locales, préfets ou bourgmestres, qui ont
directement participé aux tueries.

61. Les auteurs des massacres précédents et actuels, connus de la population
et des pouvoirs publics, n’ont fait l’objet d’aucune poursuite. Bien au
contraire, ils continuent à mener une vie paisible et à circuler librement
en toute quiétude et impunité. Et pis encore, nombre d’autorités locales
qui se sont particulièrement signalés par leur cruauté ont bénéficié de
promotions, tandis que celles qui ont réussi à maintenir le calme et à éviter
les massacres ont été purement et simplement limogées. Dans le premier cas,
on citera le bourgmestre Jean-Baptiste Gatete, connu pour ses méfaits et qui
a été promu directeur de cabinet au Ministère de la famille depuis juin 1993.
Dans le second, l’on citera le nom du Préfet de Butare, qui a été tué, et
celui de Kibungo, qui a été démis de ses fonctions. Comme on l’a vu, les
tueries dans les deux préfectures ont commencé aussitôt après leur
remplacement.


C. Les auteurs

62. En l’état actuel des recherches entreprises dans le cadre du mandat du
Rapporteur spécial, il n’a pas été possible d’identifier nommément tous les
responsables des violations et abus commis. Certes, des listes de noms de
personnes impliquées dans la planification et l’exécution des exactions sont
en sa possession. Mais il se réserve le temps d’établir le lien d’imputabilité
et de dresser la liste des auteurs au fur et à mesure des vérifications.

63. Néanmoins, au niveau des personnes morales, ou des organes impliqués dans
les atrocités récentes, il est d’ores et déjà possible de retenir certaines
responsabilités :

Des organes de l’Etat rwandais, et tout particulièrement, des hauts
cadres politiques au niveau national, tels que certains ministres,
des différentes composantes des forces de sécurité gouvernementales,
telles que la garde présidentielle, les forces armées rwandaises et la
gendarmerie; et de certaines autorités locales, préfets et bourgmestres;

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Des organes de FPR, notamment les responsables de ses activités
militaires;

Des personnes privées telles que les miliciens, les responsables de
partis politiques extrémistes (MRND et CDR) ou les fondateurs et les
animateurs de la RTLM;

Les responsabilités de certains Etats étrangers et leur ingérence dans la
vie politique du Rwanda est également à clarifier;

Enfin, le rôle de la communauté internationale, et, en particulier, la
réponse des Nations Unies aux besoins urgents de la population, notamment
en matière de sécurité et d’assistance humanitaires, mérite d’être
analysée. C’est dans ce contexte que le Rapporteur spécial voudrait
joindre sa voix à celle de ceux qui ont déploré la réduction du personnel
de la MINUAR le 21 avril 1994, limitant de façon déterminante les
possibilités de protéger des personnes en danger.

64. C’est dans ce contexte que l’attaque contre l’avion présidentiel doit
être examinée par le Rapporteur spécial, dans la mesure où il peut y avoir des
liens entre ceux qui l’ont commanditée et les responsables des massacres. Les
circonstances précises de l’assassinat des membres modérés du "gouvernement
intérimaire", y compris celui du Premier Ministre, et des 10 soldats belges,
doivent être élucidées. Les liens entre les milices des partis politiques,
particulièrement l’interahamwe, la garde présidentielle, les forces armées
rwandaises et la gendarmerie, doivent également être examinés en vue de
déterminer les chaînes de commandement et les responsabilités individuelles.
C’est à la lumière de cette enquête que le Rapporteur spécial pourra faire des
recommandations pertinentes à la Commission des droits de l’homme.

65. La responsabilité du "gouvernement intérimaire" rwandais est aussi
pleinement engagée compte tenu du fait qu’il a renoncé à mettre en oeuvre des
mesures efficaces destinées à prévenir les violations des droits de l’homme
et du droit international humanitaire, y compris le génocide. Dès le début
des atrocités, les dirigeants rwandais ont soutenu que les massacres
ne cesseraient qu’après la fin du conflit armé. Lors de l’entretien que
le Rapporteur spécial a tenu durant sa mission avec le chef de l’état-major
des forces armées rwandaises, ce dernier lui a expliqué que les autorités
rwandaises pourraient faire appel aux populations pour qu’elles arrêtent les
exactions, et que les populations les écouteraient, mais que la conclusion
d’un accord de cessez-le-feu était une condition préalable à un tel appel.

IV. RECOMMANDATIONS

66. Les recommandations du Rapporteur spécial, qui tiennent dûment compte
de la situation d’urgence qui prévaut au Rwanda, se répartissent en mesures
immédiates et en mesures à court et moyen terme.

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A. Mesures immédiates

I.

67. L’organisation des Nations Unies devrait :
Exiger des parties au conflit que cessent immédiatement la guerre ainsi
que le génocide et les autres violations graves et massives des droits
de l’homme perpétrées au Rwanda. La cessation des hostilités devrait être
inconditionnelle, et devrait concerner indistinctement les massacres et
les faits de guerre;

En appeler, pour ce faire, à la conscience et à la responsabilité
personnelle des autorités dirigeantes des parties au conflit.


II.

68. L’organisation des Nations Unies devrait inviter les responsables des
parties au conflit :

A lancer un appel pressant et solennel à leurs troupes, aux milices et
aux civils armés, pour exiger qu’ils cessent immédiatement les massacres
sous peine de sanctions sévères et effectives;

A prendre des mesures concrètes en vue de désarmer les milices et les
civils armés. Ce désarmement devrait se faire sous le contrôle d’une
force internationale neutre qui pourrait être la MINUAR II renforcée par
des éléments venant des membres de l’Organisation de l’Unité Africaine
(OAU), et dont il conviendrait de rendre possible le déploiement rapide
et complet des troupes;

A dissoudre les milices armées et les organisations similaires.

III.


69. L’organisation des Nations Unies devrait exiger des autorités
gouvernementales qu’elles :

Lancent également un appel solennel et pressant aux responsables des
médias, et tout particulièrement à la Radio-Télévision libre des Mille
Collines, pour qu’ils mettent immédiatement fin à la guerre médiatique;

Prennent les mesures appropriés pour interdire toute campagne et toute
rumeur susceptibles d’inciter à la haine raciale et à la violence, sous
peine de sanctions sévères.

IV.

70. L’organisation des Nations Unies devrait solennellement :

Condamner le génocide perpétré au Rwanda en insistant sur le caractère
horrible, abominable et inacceptable de tels actes;

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Informer les auteurs qu’une fois identifiés ils auront à répondre de
leurs actes et omissions devant des instances compétentes et en quelque
endroit de la planète qu’ils puissent se trouver;

Demander aux Etats qui ont accordé l’asile ou autre refuge aux personnes
impliquées dans les massacres de prendre les mesures appropriées pour
qu’elles n’échappent pas à la justice.

V.

71. L’Organisation des Nations Unies devrait, en collaboration avec l’OUA,
prendre les mesures appropriées pour assurer la protection des orphelins,
des déplacés, et des réfugiés :

En créant un centre d’accueil ou orphelinat destiné à recevoir les
orphelins afin de les mettre à l’abri de tout danger, de leur offrir des
conditions de vie décentes et d’assurer leur éducation. Ce centre serait
financé par un fond spécial dit de solidarité, alimenté par les Etats
membres et géré par un comité dont le statut et le fonctionnement restent
à déterminer;

En assurant que les droits des réfugiés et des déplacés seront respectés,
notamment en ce qui concerne leur sécurité et leurs conditions de vie,
tout en rappelant à ceux-ci qu’ils ont également des obligations,
notamment à l’égard des Etats d’accueil, et qu’ils doivent s’abstenir
de tout acte susceptible de porter atteinte aux normes nationales et
internationales;

En renforçant les moyens du Haut Commissariat aux réfugiés pour qu’il
entreprenne des études en vue de déterminer les conditions de retour
des réfugiés et des déplacés dans leur pays ou sur leurs collines;

En créant, d’ores et déjà, des zones de passage permettant à la
population de se mettre sous la protection des autorités de leur choix.

B. Mesures à court et moyen terme

I.

72. L’ONU devrait, en collaboration avec l’OUA, prendre les dispositions
appropriées pour :

Amener les parties au conflit à négocier, de bonne foi et en tenant
dûment compte des accords d’Arusha du 4 août 1993, les conditions de la
paix, de la transition démocratique, de la réconciliation et de l’unité
nationales;

Appeler les parties à appliquer de bonne foi les accords ainsi conclus.
Les accords ne devraient en aucune manière consacrer, sous couvert
d’arrangements politiques, l’impunité des auteurs de génocide et d’autres
crimes contre l’humanité. Bien au contraire, ils doivent prévoir des
mécanismes permettant effectivement de sanctionner les auteurs. C’est là
l’une des conditions de la réconciliation et de l’unité nationales.

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II.

73. L’ONU devrait veiller à ce que la transition démocratique débouche sur
des élections libres et régulières sur la base d’une constitution créant des
institutions nationales et démocratiques tenant dûment compte des intérêts
légitimes des deux communautés en présence dans la perspective d’une véritable
intégration nationale.

III.

74. L’ONU devrait, dans le cadre des négociations des accords de paix
Insister sur la nécessité de la réconciliation et de l’unité nationales.
A cet égard, la nouvelle constitution devrait prévoir des dispositions
appropriées interdisant et réprimant sévèrement les actes incitant à la
haine ethnique et à la violence.

Aucun document officiel, carte d’identité nationale, permis de conduire,
livret de famille ou autre ne devrait faire mention de l’appartenance
ethnique.

Tout parti ou association à base ethnique devrait être interdit.

Prendre l’initiative de créer, ou d’aider à créer, une station de radio
émettant en français et en kinyarwanda, et chargée d’assurer une
éducation aux droits de l’homme et au respect scrupuleux et la dignité
humaine. Les modalités de financement et de gestion seraient les mêmes
que celles de l’orphelinat précité.

IV.

75. L’ONU devrait créer, dans l’attente d’une juridiction pénale
internationale permanente, une juridiction internationale ad hoc chargée
de connaître des faits et de juger les coupables et, à défaut, étendre la
compétence du tribunal pénal international pour les crimes de guerre commis
dans l’ex-Yougoslavie.

V.

76. L’ONU devrait mettre sur place une équipe renforcée d’observateurs
de droits de l’homme guidés par un coordinateur de haut niveau relevant
du Rapporteur spécial.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024