Fiche du document numéro 59

Num
59
Date
Samedi Avril 1995
Amj
Taille
6403096
Titre
La bataille de Kigali
Sous titre
Comment la capitale rwandaise est tombée après avoir résisté plus de trois mois
Tres
Récit d'un officier français « resté sur les lieux »
Nom cité
Nom cité
Commentaire
This article is one of the proofs that at least one French officer remained on the scene in Rwanda during the genocide to likely advise the chief of staff Augustin Bizimungu. It does not appear that this officer is Paul Barril whose timetable only evokes short stays in Rwanda during the genocide.
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
La bataille de Kigali

Comment la capitale rwandaise est tombée
après avoir résisté plus de trois mois

Six avril 1994. Le double assassinat de Juvénal Habyarimana et de Cyprien Ntaryamira, avec tout l'équipage de l'avion qui les ramenait de Tanzanie, plonge le Rwanda dans un bain de sang.

Immédiatement, c’est—à-dire des le lendemain, la presse ougandaise annonce, à la une, la prise imminente de Kigali par le Front patriotique rwandais (FPR) que le président Yoweri Museveni a hébergé, armé, activement soutenu. Sur CNN à New—York, un membre de cette guerrilla met en garde les “puissances étrangères hostiles" de toute intervention, leur donnant 48 heures pour déguerpir, sous peine d‘être pris pour cible. implicitement visée est la France qui, dans le cadre d‘un accord de défense la liant à l'Etat rwandais et face à l‘attaque d‘une armée venue d'Ouganda, participait à des opérations militaires de défense des frontières et formait des forces de sécurité. Première victoire du FPR : la campagne de culpabilisation, puissamment relayée par les ONG humanitaires, fait son effet. La France capitule en rase campagne et sans demander ses restes, embarque ses hommes et des Rwandais menacés à bord d'avions dont le dernier, en décollant, sera poursuivi et atteint par des obus du FPR. Commence alors la deuxième phase...

Grâce aux Accords d’Arusha, le FPR avait, en toute légalité, fait rentrer dans la capitale 600 hommes armés, positionnés a l'Assemblée nationale, appelée CND. Les Forces armées rwandaises (FAR) se rendront pourtant compte, dès le 8 avril, que leur adversaire avait, en outre, infiltré des centaines d'autres hommes et de l'armement), portant leurs effectifs a environ 3 000, contre 20 000 hommes pour l'armée officielle, essentiellement positionnée au nord de la ville, avec les paracommandos au camp de Kanombé, près de l‘aéroport. Des forces en apparence inégales, mais le FPR, qui a visiblement préparé cet instant de longue date, a mis au point une stratégie qui s’avère imparable. Il occupe rapidement les collines qui composent Kigali. «Kigali, c'est comme Dien-Bien—Phu», témoigne un officier français resté sur les lieux. «Qui tient le haut, tient le bas». L'armée rebelle protège ses positions en hauteur avec des milliers de mines anti—personnelles disséminées au pied des collines. L‘officier français verra des soldats des FAR sauter par dizaines sur ces mines — provoquant ainsi un effet totalement dissuasif sur les autres soldats qui ne tiennent plus que le Mont Kigali. Les hommes du FPR patrouillent par petits groupes offensifs et mobiles tandis que les FAR, installés dans la défensive, sont cantonnées dans les casernes ou ils sont globalement désorientés: C'est que tous les chefs militaires ont péri dans l’avion présidentiel... Dépourvus d’un commandement cohérent et abandonnés de leurs alliés français, ils n’ont pas de plan d'attaque, se contentant de riposter autant que faire se peut. Le FPR veille à économiser ses hommes. «Pour éviter les tirs, leur technique de défense était de s'enterrer dans des trous», indique l'officier. Paul Kagame, qui dirige les opérations, fixe habilement dans leurs positions les seules unités qui pouvaient résister. « Les FAR en prennent plein la gueule. Pilonnage au mortier et au canon, pneus crevés. Le FPR n’a pas hésité à tirer sur le marché et l’Eglise. Les FAR n‘auraient pas pu le faire : elles devaient plus de munitions! » Le reste de l’armement n'est guerre plus brillant. Sur les 10 automitrailleuses en leur possession (AML—Panhard à canon 90), trois étaient immédiatement tombées en panne, et les autres étaient dispersées, au lieu d‘être utilisées en groupe. Avec le général Bizimungu se distingue le général Kabiligui, commandant du G3 (défense de la ville). Mais son grand courage ne suffira pas à compenser le manque de formation des troupes. Contre toute pratique en situation de guerre, les FAR communiquent notamment en clair, sans code, par talkie— walkie ! Une aubaine inattendue pour le FPR qui connait toutes leurs positions et pratique l'infiltration à haute dose…

La troisième arme du FPR est médiatique. Abreuvée d'insupportables images de cadavres qu‘on impute sans discernement aux “Hutus extrémistes", l‘opinion internationale a naturellement adopté le FPR, perçu comme un mouvement libérateur contre une “épouvantable dictature militaire". Plus question de livrer à l‘armée officielle la moindre arme qui servirait à “continuer les massacres”. Paul Kagame, en revanche, continue de recevoir d’0uganda, par convois entiers, ravitaillements, armements et munitions en flots continus. La situation se dégrade. «Trés vite, il n'y avait plus d‘eau et cela sentait le cadavre, raconte le militaire français. Et les FAR, démoralisées, commençaient a fuir dans le désordre, en abandonnant des positions, sans rien détruire et faisant ainsi cadeau de tous leurs équipements et archives au FPR.» Ce dernier les contraint au repli vers Gitarama où s'est réfugié le gouvernement provisoire. La défaite était consommée... «Le problème des FAR, de surcroît soumis au choc psychologique de la décapitation totale du commandement, est de n’avoir pas envisagé une seule seconde que les militaires français, qui gardaient par exemple l‘aéroport depuis 1991, pouvaient les laisser en plan. Ils ont trop fait confiance à la France».

Le capitaine français Paul Barril (en haut) s‘efforce de faire ouvrir une enquête officielle sur l‘attentat qui a coûté la vie à deux chefs d‘Etat, à leurs et à collaborateurs et à l'équipage français. Les pièces qu‘il a rassemblées sur les lieux (avec des débris d'avion), ont été mise à la disposition de l’ONU dont le secrétaire général, Boutros—Ghali a conseillé de contacter l‘organisation internationale de l'aviation civile. (ci—contre : une photo prise à l’état-major des Forces armées pendant les combats)


Numéro 282

Avril 1995

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024