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Paris Match. Agent des services secrets français, du KGB, du Mossad, corrupteur, briseur d’embargo, trafiquant de pétrole, de charbon, de diamants et même d’armes, envoyé du pouvoir, faiseur de rois nègres, on vous a affublé de beaucoup de casquettes. De quoi vivez-vous?
Jean-Yves Ollivier. Avec rien de tout ça. Jamais dans ma vie je n’ai acheté ou vendu d’armes. Je mets quiconque au défi de prouver le contraire. Je vis d’affaires, d’investissements que je fais, et qui varient au gré du temps. J’ai débuté dans le commerce des céréales, puis je me suis lancé dans les hydrocarbures. Aujourd’hui, je travaille sur de grands projets de développement en créant des sociétés d’économie mixte qui marient les États.
Vous avez commercé avec la République centrafricaine de Bokassa, la Libye de Kadhafi, la Chine interdite de Mao, le Soudan d’Omar Bachir… Vous vous êtes fait une spécialité de ces pays difficiles, en rupture de ban ?
J’ai un attrait pour les êtres, les pays hors normes. J’aime le casse-tête que représente le montage d’opérations économiques dans ce genre d’endroits. J’en fréquente de plus normaux, mais j’en parle moins, ce n’est pas très exaltant.
Vous avez chargé une firme experte en renseignement économique, K2 Intelligence, d’éplucher votre propre vie et vos comptes sur internet… Qu’avez-vous découvert dans leur rapport que vous ignoriez?
J’ai appris que j’étais sur World-Check, une base de données à laquelle les banques souscrivent et qui recense ce qu’elle appelle les “PEP” - personnes politiquement exposées -, donc à risques. Avec de bons avocats, je leur ai donné trois jours pour m’ôter de leur liste, ce qu’ils ont fait. K2 avait pour mission de s’attaquer à ce que l’on pourrait me reprocher. Ils concluent que je ne suis pas un corrupteur, que je suis respecté dans le monde des affaires, que même ceux qui ne m’apprécient pas reconnaissent que je n’ai qu’une parole.
Récusez-vous le terme d’“envoyé du pouvoir”?
Je n’ai jamais été le serviteur de qui que ce soit. J’ai servi parfois de messager à Chirac, mais je n’ai jamais été mandaté par lui ni parlé en son nom. Je le faisais, en marge de mes affaires, selon mon bon plaisir.
Ces missions politiques, sans titre officiel ni mandat quelconque, facilitaient-elles vos négociations commerciales?
Je n’ai jamais fait les choses en songeant aux bénéfices que j’en tirerais. En libérant des otages ici, en dénouant une crise là, je rencontrais les dirigeants des pays concernés et je ne m’interdisais pas ensuite de leur proposer des affaires. Si je les avais trahis, je ne continuerais pas de les voir aujourd’hui.
Vous vendiez du pétrole au pays de l’apartheid. Vous ne croyez pas aux sanctions internationales?
A Beyrouth où il était encore réfugié, Arafat, qui savait ce que je faisais en Afrique du Sud, m’a dit à l’époque: “Le monde ne se rend pas compte que, en répondant à nos demandes de sanctions contre Israël, il nous a aidé à nous piéger. Le commerce et les affaires sont des vecteurs remarquables pour éliminer les tensions. Isoler un pays, c’est l’enfermer dans une voie sans issue…” Quand on interdit à la famille de Mugabe de voyager, on l’empêche d’entendre les critiques, donc de changer. Finalement, on l’encercle avec sa pensée et on lui permet de passer du statut d’oppresseur à celui de victime.
Comment êtes-vous entré dans la galaxie chiraquienne ? Par hasard, par conviction?
L’élection des socialistes en 1981 était, selon moi, une catastrophe. Je voulais aider ceux qui incarnaient l’opposition. J’ai tenté une approche avec Barre, qui n’a pas été concluante. Côté Chirac, on m’a entendu, écouté.
Quel genre de relations entreteniez-vous avec ce dernier?
Conflictuelles en général, pragmatiques quand j’intéressais ce “gestionnaire de [son] propre avenir”. Je me suis définitivement brouillé avec lui lorsqu’il a lâché Michel Roussin dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. J’estimais qu’il aurait dû secourir celui qui l’avait servi. Je le lui ai dit, et j’ai claqué la porte: “Vous ne me reverrez jamais.” Ensuite, j’ai été interdit de réception dans les ambassades de France.
N’avez-vous jamais été porteur de valises convoyant de l’argent africain à des hommes politiques, des partis?
Dans ses Mémoires, Pierre Brossolette, ancien trésorier du PS, disait: “Le problème, avec les gens qui vous apportent du cash, c’est qu’ils ont les doigts qui collent.” Je ne touche pas à ça. Du reste, aucun juge ne m’a jamais interrogé à ce propos alors que les instructions ne manquent pas.
Vous êtes un proche de Denis Sassou-Nguesso. L’avocat Robert Bourgi prétend que des valises venant de l’entourage de ce président congolais ont été acheminées vers nos politiques…
Quand il a fait cette déclaration, je ne me suis pas écrié “mon Dieu quel menteur”… Je voue à Sassou, qui me considère comme son “frère”, un respect et une amitié indéfectibles. Il se moque de l’argent, il en use comme d’un moyen politique.
Ces hommes politiques français soutenus financièrement par les régimes africains se retrouvent-ils leurs obligés?
Quand l'argent intervient, il y a des obligations. C’est un leurre de penser que les Africains se retrouvent systématiquement dans la position du cheval et les Français dans celle du cavalier qui le chevauche selon son bon vouloir.
La “Françafrique” a-t-elle vécu?
Si tant est qu’elle ait existé, elle aura duré le temps de ceux que la France avait fait nommer au moment des indépendances.
Vous qui jouez parfois les intermédiaires entre les deux, ne regrettez-vous pas de voir l’Afrique se livrer à la Chine?
Il n’y a pas d’autre option. La France a parlé pendant vingt ans de construire une route entre Pointe-Noire et Brazzaville, axe essentiel pour le Congo, sans jamais être capable de la financer. Les Chinois sont arrivés et en deux ans, c’était fait. Ils vont droit au but: vous voulez une route? Très bien, ce sera tant, payable sur vingt ans ou l’équivalent en pétrole à livrer selon tel ou tel échéancier. L’Europe peut dépenser 5 millions de dollars en études de faisabilité pour un projet qui en vaut 2 millions.
Vous qui avez toujours fui les médias, pourquoi sortir de l’ombre?
Aussi injustes soient-elles, je n’ai pas souffert de ces étiquettes qu’on m’a collées mais mon entourage a parfois été heurté. J’ai fait un film et écrit un livre qui paraîtront bientôt, pour que ceux que j’aime sachent qui je suis réellement.
A l’heure du bilan, vous ne regrettez rien?
Si Dieu devait me faire renaître en me permettant de choisir ma vie, je demanderais la même. Mauvais moments compris.