Fiche du document numéro 527

Num
527
Date
1999
Amj
Fichier
Taille
427398
Sur titre
Bulletin d'accusation n° 2
Titre
L'abbé Athanase Seromba
Type
Langue
FR
Citation
Bulletin d’accusation nº2

L’abbé Athanase Seromba
Prêtre de paroisse à Florence, en Italie

Durant cinq ans de recherches sur les atrocités commises durant le génocide de 1994 au Rwanda,
African Rights a recueilli des informations auprès des survivants et des témoins, sur lesquelles nous
cherchons à attirer l’attention des corps judiciaires. Les Bulletins d’accusation constituent un
résumé d’accusations cohérentes que nous avons recueillies contre des individus qui ont joué un
rôle significatif dans le génocide. En sensibilisant le public aux actes commis par ces personnes,
nous espérons lancer des enquêtes ou élargir la portée de celles en cours. Lorsque le besoin s’en fait
sentir, nous visons également à apporter une assistance pratique aux tribunaux rwandais, aux pays
d’asile et au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
En juin 1994, l’abbé Athanase Seromba, un prêtre catholique rwandais, quitta la terre
ensanglantée de la paroisse de Nyange, à Kibuye. Il laissa derrière lui des fosses communes
remplies de plus de 2.000 cadavres. Dans le cadre des événements dévastateurs qui y étaient
survenus, même l’église de Nyange, dans laquelle les gens avaient essayé de se réfugier, avait été
détruite. Elle avait été écrasée par des bulldozers Caterpillar alors qu’elle abritait encore des
personnes vivantes et blessées, et celles tuées lors d’attaques précédentes. L’abbé Seromba est
accusé d’avoir joué un rôle de tout premier plan dans le génocide des Tutsis. Or, il a été en mesure
de commencer une nouvelle vie en Italie, indifférent aux allégations. Il a adopté un nouveau nom,
“Don Anastasio Sumba Bura”, et est à présent prêtre de paroisse dans une église de Florence, la
Chiesa dell’Immacolata e San Martino a Montughi. Mais les survivants de Nyange se souviennent
de Seromba comme du prêtre qui a organisé et pris part au massacre de leurs êtres chers.
African Rights a déjà écrit au pape Jean Paul II, en demandant à l’Eglise catholique
d’organiser sa propre enquête sur le cas de l’abbé Seromba, et sur celui d’autres membres du clergé
catholique accusés d’avoir pris part au génocide et dont beaucoup vivent en Italie. En l’absence de
réponse de sa part, nous publions à présent le détail des accusations portées contre l’abbé Seromba
par les survivants et les témoins, ainsi que de nouvelles preuves accablantes. Des hommes qui ont
avoué avoir été ses complices ont présenté des récits cohérents sur le rôle de Seromba dans le
génocide ; d’anciens employés de la paroisse confirment leurs déclarations. A la lumière de leurs
témoignages, il ne peut qu’être impossible pour l’Eglise en Italie et au Rwanda, pour les autorités
judiciaires en Italie ou le TPIR de permettre à l’abbé Seromba de se contenter de laisser son passé
derrière lui. Les raisons de l’arrêter et de le traduire en justice sont trop évidentes pour être mises en
cause.

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Sommaire
L’abbé Athanase Seromba, âgé de 36 ans, est originaire du secteur Rutoge, commune Rutsiro, à
Kibuye. Il se joignit à la paroisse de Nyange à peine six mois avant le génocide. La paroisse se situe
dans le secteur Nyange, commune Kivumu. A l’instar d’autres paroisses catholiques de Kibuye, elle
fait partie du diocèse de Nyundo, à Gisenyi. Le prêtre de la paroisse, l’abbé Straton Kanyirangirwa,
fuit Nyange peu avant le génocide, à cause de l’insécurité qui régnait dans la zone. L’abbé Seromba
se retrouva ainsi au contrôle. Il assistait à une réunion dans le diocèse de Nyundo, à Gisenyi,
lorsque le président Juvénal Habyarimana fut tué, le 6 avril 1994. Il rentra chez lui le lendemain et,
à partir de ce moment-là, se mit à collaborer étroitement avec un noyau d’autorités et d’extrémistes
politiques locaux afin de coordonner le génocide. Durant d’interminables réunions à la paroisse,
jamais personne ne mit en cause la nécessité d’éliminer la population tutsie, cible du génocide ; les
seuls débats portaient sur la meilleure manière de mener à bien les tueries.
Seromba et ses alliés élaborèrent une stratégie consistant à encourager les Tutsis à
s’assembler à la paroisse de Nyange, à les désarmer, puis à rassembler des forces pour les attaquer.
Seromba se servit de son autorité en tant que prêtre de la paroisseet de la confiance qu’avait la
population en luipour assurer le succès de cette stratégie. Le premier massacre fut perpétré le 14
avril ; les réfugiés se défendirent pendant que Seromba observait les événements. Le 15 avril, un
grand nombre de miliciens et de civils encerclèrent la paroisse et utilisèrent des fusils, des grenades,
des machettes et des armes traditionnelles pour tuer les réfugiés. Cette fois, Seromba donna des
ordres aux tueurs et tira sur ceux qui tentaient de s’échapper. Les tueurs ne purent pas entrer dans
l’église, où se cachaient certains des survivants, de sorte que, le 16, Seromba ordonna la démolition
de l’église dans laquelle se trouvaient les personnes. Ce sont entre 2.000 et 2.500 personnes qui
furent ainsi tuées dans la paroisse, dont beaucoup broyées par des bulldozers Caterpillar.
En quelques semaines à peine, la quasi-totalité de la communauté tutsie de Kivumu avait été
décimée. Mais, après une opération consistant à dénicher et à tuer les survivants éventuels, la vie à
Nyange reprit son cours normal. Seromba se contenta de transférer ses services vers un autre
bâtiment de la paroisse et déclara qu’“il fallait s’attendre à la mort des Tutsis”. En juin 1994,
Seromba quitta le Rwanda pour l’ancien Zaïre ; il partit ensuite pour Nairobi, où il passa environ
huit mois, puis pour l’Italie.
L’abbé Athanase Seromba a été accusé d’avoir :
• organisé et aidé les génocidaires de premier plan de Kivumu à commettre, dans la paroisse de
Nyange, des massacres qui coûtèrent la vie à entre 2.000 et 2.500 réfugiés ;
• tiré sur des réfugiés qui tentaient de s’échapper des bâtiments ;
• pris des dispositions et payé pour que l’église, dans laquelle se cachaient des réfugiés, soit passée
au bulldozer, écrasant ainsi toutes les personnes qui s’y étaient réfugiées ;
• livré des survivants aux assassins, dont beaucoup furent tués en sa présence ;
• assuré une permanence à un barrage routier pour vérifier les cartes d’identité afin de repérer les
Tutsis et de les tuer.
Parmi les personnes prêtes à témoigner contre lui figurent :








L’ancien veilleur de nuit de l’abbé Seromba ;
L’ancien cuisinier de l’abbé Seromba ;
Un jeune homme qui vivait dans la paroisse de Nyange en 1994 ;
L’ancien chef de la police communale de Kivumu ;
Un ancien policier communal ;
Un ancien assistant bourgmestre de Kivumu ;
L’ancien conseiller du secteur Kibanda, à Kivumu ;

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

• L’un des deux chauffeurs des bulldozers qui démolirent l’église, tuant les réfugiés qui étaient à
l’intérieur. Arrêté et détenu à Kibuye depuis 1995, il a avoué son rôle dans le massacre et a
toujours indiqué que l’homme qui avait ordonné la démolition de l’église est l’abbé Seromba ;
• Un agriculteur de Kivumu, actuellement détenu à Kibuye ;
• Un homme d’affaires de Nyange ;
• Sept survivants des massacres commis à la paroisse.

L’abbé Athanase Seromba : président du comité du génocide
Selon des témoignages détaillés et cohérents, l’abbé Seromba a pris les rênes du génocide de
Nyange dès le début, faisant preuve d’une volonté de fer et d’une efficacité à toute épreuve. Tout
d’abord, l’abbé Seromba et son allié le plus proche, Grégoire Ndahimana, le bourgmestre de
Kivumu, rassemblèrent des notables locaux clés pour former un “comité de sécurité”. Se réunissant
tous les jours soit à la paroisse de Nyange, soit dans le bureau communal, ce comité se chargea de
définir l’ordre du jour du génocide à Kivumu. Védaste Mupenda, assistant bourgmestre, Fulgence
Kayishema, inspecteur de la police judiciaire, Télésphore Ndungutse, enseignant et dirigeant de la
milice interahamwe locale, et Gaspard Kanyarukiga, entre autres, assistaient aux réunions. Ces
dernières étaient souvent présidées par Seromba et se poursuivaient jusqu’au petit matin. Adrien
Niyitegeka, policier communal, y participait régulièrement et a également avoué avoir joué un rôle
actif dans les massacres commis dans la paroisse. Il a parlé franchement de l’objet des réunions du
comité.
Toutes les réunions de la paroisse et du bureau communal avaient un seul objectif—l’extermination
des Tutsis de la paroisse. Seuls le bourgmestre et l’abbé Seromba présidaient les réunions.

Anastase Rushema, assistant bourgmestre à l’époque, a expliqué les responsabilités du
comité.
Ce comité permanent était chargé d’évaluer l’état de sécurité dans la commune. Le comité tenait des
réunions chaque jour. Ce sont les membres de ce comité qui déterminaient où placer les barrières et
où attaquer. Le comité avait demandé aux conseillers des secteurs de donner un rapport sur la
sécurité au moins deux fois par semaine. Bien que les tueries des Tutsis n’aient pas encore été
officialisées, le rapport devait faire état d’au moins cinq Tutsis tués. Lorsque le rapport ne faisait pas
état de Tutsis morts, un quart du salaire du conseilleur de secteur était retenu.

Le veilleur de nuit de l’abbé Seromba, Canisius Habiyambere, a observé les allées et venues
dans la paroisse au début du génocide.
Après la mort de Habyarimana, le bourgmestre, l’inspecteur de police judiciaire Kayishema,
Kanyarukiga et Ndungutse venaient voir Seromba presque tous les soirs. Ils tenaient des réunions
ensemble jusqu’à tard le soir, parfois jusqu’à 2:00 heures du matin. Quand ils venaient à la paroisse
à pied, l’abbé Seromba les raccompagnait à bord de sa Suzuki blanche. Parfois, ils allaient à
Rufungo, en secteur Rukoko, d’où le bourgmestre était originaire. L’abbé rentrait parfois très tard,
jusqu’à 3:00 heures du matin.1

Le cuisinier de l’abbé Seromba, Papias Hategekimana, a confirmé ce récit.
Je voyais Kayishema, Gaspard Kanyarukiga, Télésphore Ndungutse et le bourgmestre venir tous les
jours pour tenir des réunions avec l’abbé Seromba. Ils venaient parfois deux fois par jour.2

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Témoignage recueilli à Nyange, le 18 juin 1999.
Témoignage recueilli à Nyange, le 19 juin 1999.
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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Entraînement au tir
L’abbé Seromba s’était procuré un fusil automatique R4 et, avant le début des tueries, on le voyait
souvent s’entraîner à tirer. Ce sont des militaires, qui se trouvaient à la paroisse pour protéger une
famille qui y avait été évacuée de Kigali, qui lui apprirent à se servir de cette arme.3 Il s’entraînait
dans la cour ou dans la forêt située derrière la paroisse. Parfois, le bourgmestre, Ndahimana, venait
le rejoindre.
Froduald Maniraguha avait 14 ans au moment du génocide et il vivait à la paroisse de
Nyange avec les prêtres. Il s’y trouvait depuis quatre mois et espérait entrer dans les ordres. Il
travaillait principalement dans la cuisine et dans le jardin, ou bien s’occupait des animaux. Il était
considéré comme le “garçon des prêtres” et jouissait de leur confiance ; il pouvait donc suivre de
près les événements au sein de la paroisse. Il a présenté un témoignage extrêmement détaillé et
entièrement corroboré par d’autres témoins. Il a parlé de l’entraînement du prêtre, au tir en
particulier.
L’abbé Seromba était impatient d’apprendre le maniement d’un fusil. C’étaient les militaires qui
gardaient la famille du colonel Nzapfakumunsi qui l’entraînaient. L’entraînement se passait soit dans
sa chambre soit dans la cour du presbytère. [Le presbytère est le quartier résidentiel des prêtres].
Dans la cour du presbytère, tout le monde avait l’habitude de le voir. J’étais chargé de préparer les
chambres des prêtres et, un jour, j’ai vu Seromba dans sa chambre, avec le militaire qui l’entraînait.
Il était en train de monter et démonter son fusil.
Pour s’entraîner, l’abbé Seromba avait l’habitude d’aller dans la forêt située derrière la
paroisse. Il s’exerçait toujours au tir dans la soirée. Je l’ai vu à plusieurs occasions, de mes propres
yeux. Je le voyais surtout quand je gardais les chèvres derrière la clôture.4

Christophe Mbakirirehe, le chef de la police communale de Kivumu, voyait souvent
Seromba dans la même forêt.
L’abbé Seromba a appris à manier un fusil pendant le génocide. Les militaires qui vivaient à la
paroisse l’entraînaient. Je le voyais fréquemment dans la forêt derrière la paroisse, s’entraînant au tir.
Derrière la paroisse, il y avait un sentier qui menait au centre de Nyange. J’y passais souvent.5

Adrien Niyitegeka, policier, escortait régulièrement le bourgmestre, l’allié le plus proche de
Seromba. Il dit que le bourgmestre allait rejoindre Seromba durant ses sessions d’entraînement.
Les entraîneurs étaient les militaires du colonel Nzapfakumunsi. Ils utilisaient la forêt derrière la
paroisse comme terrain d’entraînement.

Promesse d’un refuge à la paroisse
Les attaques violentes contre les Tutsis commencèrent le 8 avril à Kivumucertains furent tués,
d’autres virent leurs maisons incendiées et leurs biens pillés. Ils n’avaient pas d’autre choix que de
fuir leurs maisons et, comme dans tout le Rwanda, nombre d’entre eux décidèrent d’aller se réfugier
dans leur église la plus proche. Mais ce ne fut pas par coïncidence que des milliers de personnes,
provenant de la campagne environnante mais également de beaucoup plus loin, choisirent de se
rassembler dans la paroisse de Nyange. Ils s’y rendirent parce qu’on leur avait fait croire qu’elle
serait l’endroit le plus sûr de la commune.

Le colonel Nzapfakumunsi, originaire de Kivumu, avait évacué sa famille à la paroisse pour échapper aux
affrontements entre les militaires du gouvernement et le FPR à Kigali. Il avait laissé à la paroisse environ six
militaires pour protéger sa famille.
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Témoignage recueilli à Nyange, le 26 août 1999.
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Témoignage recueilli à Gitesi, Kibuye, le 19 août 1999.
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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Durant une réunion du comité de sécurité dans la paroisse de Nyange, le mercredi 13, il
avait été décidé que la tâche d’élimination des Tutsis serait facilitée si on parvenait à en encourager
le plus grand nombre possible à se rassembler en un seul endroit. Selon Niyitegeka, qui était présent
à la réunion, l’abbé Seromba, le bourgmestre et leurs alliés, y compris des conseillers et des
policiers, acceptèrent de “se rendre dans les villages pour mobiliser tous les Tutsis qui s’y cachaient
afin de les faire aller à l’église”.
L’abbé Seromba, Ndahimana et Kayishema utilisèrent une voiture qui appartenait à la
paroisse et parcoururent toute la commune afin de convaincre les Tutsis qui se cachaient, ainsi que
leurs protecteurs hutus, de se rendre à la paroisse. Niyitegeka les accompagna vers les secteurs de
Gasave, Kivumu et Nyange. L’abbé Seromba conféra une certaine crédibilité à leur mission.
Niyitegeka dit que les gens se sentaient “rassurés” par lui et qu’“aucun Tutsi n’a hésité lorsqu’il les
a appelés”. Froduald a ajouté : “Dans la campagne, les gens font davantage confiance à un prêtre
qu’à un fonctionnaire des autorités gouvernementales locales. C’est pourquoi Seromba y allait vêtu
d’une soutane. Sa présence et sa soutane rassuraient tout le monde, y compris ceux qui étaient
persécutés”.
Le chef de la police communale, Christophe Mbakirirehe, escortait lui aussi l’abbé Seromba
et le bourgmestre dans leurs “tournées de sensibilisation”.
Il y avait des gens qui avaient le plan secret de concentrer les Tutsis dans la paroisse afin de bien les
exterminer. L’abbé Seromba faisait partie de ce groupe et il a joué un rôle déterminant dans cette
entreprise. Il y avait des gens qui ne voulaient pas quitter les buissons ou les forêts en entendant la
voix du bourgmestre ou une autre autorité administrative. L’abbé Seromba venait les rassurer, vêtu
de la soutane, avec un haut-parleur. Il appelait tous ceux qui étaient traqués, éparpillés sur les
collines et dans les buissons. Quand ils entendaient la voix d’un prêtre, ils avaient tout de suite
l’espoir qu’ils seraient sauvés.

Leur expérience dans le secteur Gasave fut représentative, comme l’explique Mbakirirehe.
Je suis allé avec Seromba dans le secteur Gasave. Le bourgmestre m’avait demandé d’escorter
Seromba dans ce secteur. J’étais avec trois policiers. Seromba appelait tous les Tutsis et leur
conseillait d’aller se réfugier à la paroisse, leur disant qu’il y avait la paix et la tranquillité là-bas.
Après Gasave, nous sommes allés dans le secteur Kivumu. Seromba a fait la même chose.
Nous sommes revenus à la paroisse, transportant les Tutsis.

Gaspard Munyantwari, à présent en détention à Kibuye, est un agriculteur qui vivait dans le
secteur Kivumu. Il assista à la réunion qui se tint dans le bureau du secteur Kivumu et qui avait été
organisée par l’abbé Seromba et le bourgmestre. Munyantwari a dit que les réfugiés avaient fait
preuve de leur confiance en l’abbé Seromba.
Ils étaient accompagnés par les policiers Mbakirirehe et Adrien Maharamu. Le but de cette réunion
était d’encourager les Hutus qui avaient caché des Tutsis à les laisser partir pour la paroisse. Ils ont
dit à ces Hutus qu’il serait facile d’assurer la sécurité des Tutsis une fois qu’ils seraient dans un seul
endroit. Le bourgmestre nous a dit qu’il fallait aller chercher les gendarmes à Kibuye pour assurer
leur sécurité. Les gens faisaient confiance à l’abbé Seromba et au bourgmestre. Ils ont confié leurs
protégés à ces autorités. Les réfugiés étaient aussi contents parce qu’ils pensaient qu’on allait les
laisser en paix à la paroisse. Plusieurs Tutsis se sont présentés. Ils ont fait trois tours pour les
transporter. La plupart d’entre eux ont accepté de partir parce que le bourgmestre était avec l’abbé
Seromba, lequel portait son habit de prêtre. Les villageois ne pouvaient pas comprendre qu’un prêtre
puisse tuer ou être complice d’un tueur.6

Bien que Froduald n’ait pas accompagné le prêtre durant ses tournées, il voyait Seromba
arriver chez lui avec des réfugiés entassés dans sa voiture. Un jour il était allé faire une course à
Gasave lorsqu’il vit l’abbé Seromba parler à un groupe de Tutsis effrayés. Il décrit leur réaction.

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Témoignage recueilli à Gitesi, le 19 août 1999.
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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Il leur a dit qu’il y avait des militaires à la paroisse et que leur sécurité serait bien assurée. Ce jour-là,
il n’a pu trouver beaucoup de gens, mais même le petit groupe qu’ils ont transporté était venu grâce
à la voix de l’abbé Seromba. Ils pensaient que son intervention personnelle prouvait une réelle
volonté de les sauver.

De nombreux Tutsis furent conduits à la paroisse à bord d’une voiture qui appartenait au
bureau communal et d’une camionnette Toyota, immatriculée HB 1600, réquisitionnée chez un
homme d’affaires tutsi, Aloys Rwamasirabo. D’autres s’y rendirent à pied. Des personnes
originaires des secteurs de Nyange, Ngubaguba, Kigali, Kibanda, Kivumu, Gasave, Bwiza, Rukoko
et au-delà arrivèrent à la paroisse jour après jour durant la deuxième semaine du mois d’avril. Ils
occupaient la cour, l’intérieur de l’église et les chambres des prêtres.
Le 11, le bourgmestre fit venir huit gendarmes de plus de Kibuye, qui l’aidèrent à persuader
les Tutsis qui hésitaient encore. Une fois à la paroisse, les réfugiés se sentirent soulagés par la
présence des soldats qui gardaient la famille du colonel Nzapfakumunsi. Leur impression de
sécurité ne dura pas longtemps. Le comportement des gendarmes était manifestement hostile. Le
veilleur de nuit de l’abbé Seromba explique :
L’abbé Seromba avait amené six gendarmes après la mort du président. Il disait que c’était pour
protéger les gens qui étaient à l’église. Ces gendarmes rançonnaient tout Tutsi qui arrivait tard à
l’église. Ils le frappaient de la crosse de leur fusil, le dépouillaient de son argent pour s’acheter de la
bière. Ces gendarmes allaient à l’étage, le soir, rejoindre l’abbé Seromba et les autres pour discuter.
Ils descendaient un peu plus tard pour patrouiller les lieux.

Il ne tarda pas à devenir évident que l’abbé Seromba n’éprouvait lui non plus aucune
compassion pour la situation critique des réfugiés. Certains d’entre eux pensaient qu’ils seraient
plus en sécurité s’ils se cachaient dans les quartiers résidentiels des prêtres, connus comme le
presbytère, mais Seromba voulaient qu’ils se rassemblassent tous à l’intérieur de l’église. Papias
découvrit les plans de Seromba.
Seromba avait convoqué une réunion avec le bourgmestre Ndahimana, Kayishema, Ndungutse et
Kanyarukiga. Il avait demandé à Kayishema de faire sortir tous les Tutsis qui étaient au presbytère et
de les amener à l’église pour rejoindre les autres. Il savait qu’ils allaient les massacrer à l’église et
voulait qu’ils soient tous ensemble. Kayishema les a fait sortir.

Il fut témoin de ce qui arriva aux réfugiés que Seromba avait expulsés du presbytère.
Ils sont tombés aux mains des miliciens qui les ont tués sur place, dans la cour. Certains d’entre eux
avaient pu quand même regagner l’église. J’ai entendu l’abbé dire : “Je ne veux pas que votre sang
tombe sur moi !”

Cependant, selon Papias, Seromba avertit les interahamwe de ne pas agir trop vite en ce qui
concerne le grand nombre de réfugiés se trouvant à l’intérieur de l’église.
L’abbé Seromba disait sans cesse à Kayishema de s’assurer que tous les Tutsis étaient déjà arrivés à
l’église, et de n’en laisser aucun chez lui. Il passait lui même de temps en temps vérifier si tout le
monde était déjà là-bas. J’ai vu le petit frère du colonel Nzapfakumunsi, Emmanuel, venir demander
à l’abbé Seromba de permettre aux miliciens de tuer les Tutsis. L’abbé lui a répondu : “Attendez, je
vous dirai quand le moment sera venu”.

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Tout pour affaiblir les réfugiés
Lorsqu’elle entra dans l’église le dimanche 10 avril, Virginie Mukabarinda fut d’abord frappée par
le son d’“enfants qui pleuraient de faim et parce qu’ils manquaient d’air”.7 Durant tout le séjour des
réfugiés à la paroisse, l’abbé Seromba refusa de leur fournir, même aux enfants les plus petits, de la
nourriture ou de l’eau. Virginie, mère de deux petites filles, attendait que Seromba les aidât, car son
époux, Alexis Rwasamanzi, était cuisinier à la paroisse. Mais ils ne reçurent rien.
Seromba n’a donné ni à manger, ni à boire à qui que ce soit. Il y avait seulement un tuyau d’eau
venant de la cuisine jusque dans la cour où on pouvait boire de l’eau. Mais les interahamwe rôdaient
autour tous les jours, volaient et nous intimidaient.

Papias se trouvait à la paroisse un jour où le prêtre, Kayishema, Ndungutse et Kanyarukiga
discutaient des tactiques.
J’ai surpris Seromba en train de dire qu’il fallait affamer les Tutsis qui s’étaient réfugiés à la
paroisse.
L’abbé Seromba n’a rien donné à manger aux réfugiés. Il me l’avait catégoriquement
défendu. Ils s’arrangeaient eux-mêmes pour se trouver à manger.

Seromba fit preuve d’un dédain similaire concernant le bien-être spirituel des réfugiés ; il
leur refusa même de tirer une consolation de leur foi. Bertin Ndakubana, actuel conseiller du secteur
Nyange, se souvient des cruels commentaires du prêtre.
Quelqu’un lui a demandé : “Père, ne peux-tu pas prier pour nous” ? Il a répondu : “Est-ce-que le
Dieu des Tutsis existe encore” ? Un autre lui avait dit : “Est-ce que tu ne vois pas que ces enfants
vont salir l’autel ? Tu ne peux pas nous donner d’autres salles au lieu de l’église ” ? Il avait répondu
: “Si vous voulez, allez même chier sur l’autel car je n’y célébrerai plus jamais la messe”.8

L’abbé Seromba entrava tous les efforts des réfugiés pour survivre. Nombre d’entre eux
étaient là depuis plus d’une semaine sans rien à manger et dans des conditions insalubres. Plusieurs
enfants moururent de faim. Même lorsqu’ils parvenaient à trouver de la nourriture, les réfugiés
n’avaient pas les moyens de la cuisiner. Un réfugié, Charles Kagenza, maçon, supplia l’abbé
Seromba de les aider.
Seromba a affamé les gens ; il n’a rien voulu donner à manger aux gens qui se cachaient chez lui,
pas même aux petits enfants. Je lui ai demandé un vieux bidon d’huile afin de préparer de la
nourriture pour les petits enfants qui avaient alors très faim. Il m’a dit qu’il ne s’était pas préparé
pour les exigences de la guerre. Il semblait très en colère contre nous parce que nous avions pris
quelques-unes de ses bananes pour nourrir les enfants.9

Jean-Bosco Safari, fonctionnaire, était lui aussi parmi les réfugiés. Il dit que, bien que
Seromba ne fît preuve d’aucun intérêt concernant la situation de ces derniers, il venait souvent
vérifier leur nombre.
Imaginez un prêtre, passant tout son temps à l’église, pas pour prier, mais pour se rassurer que tous
les Tutsis y étaient présents et qu’aucun ne manquait. Il avait l’habitude de venir, chaque jour,
vérifier combien de nouvelles personnes étaient arrivées.10

Le 12 avril, il y avait environ 2.000 réfugiés. Ce soir-là, l’abbé Seromba et ses alliés se
réunirent pour décider de la manière de garantir leur mort. Niyitegeka assista à la réunion.
Témoignage recueilli à Kigali, le 29 juin 1999.
Témoignage recueilli à Nyange, le 18 juin 1999.
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Témoignage recueilli à Nyange, le 18 juin 1999.
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Témoignage recueilli à Nyange, le 15 juin 1999.
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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Le 12 avril, une réunion s’est tenue au bureau communal. L’ordre du jour était la mise à mort des
Tutsis de manière officielle. L’abbé Seromba était à la réunion. Comme les Tutsis de l’intérieur de
ces secteurs avaient déjà été tués, la réunion ne visait que les Tutsis qui se trouvaient à la paroisse.

Le lendemain matin, les gendarmes désarmèrent les réfugiés. Les couteaux, machettes et
haches qu’ils avaient amenés avec eux leur furent confisqués, comme se le rappelle Bertin.
Le matin du mercredi 13, les quelques bâtons et armes traditionnelles que nous avions apportés ont
été confisqués par les gendarmes. Ils les ont déposés chez Seromba.

Jean-Bosco Safari se fait l’écho de Bertin.
Les gendarmes que l’abbé Seromba avait amenés de Kibuye avaient pris le soin de nous dépouiller
de nos armes traditionnelles. Ils avaient rangé ces armes chez le prêtre.

Théoneste Gasana, agriculteur du secteur Kigali, se souvient de la visite de Seromba à
l’église le soir du 13.
L’abbé Seromba était venu récupérer les ornements liturgiques et les vases sacrés. Les femmes le
tenaient par la soutane, le suppliant pour qu’il leur donne de la nourriture pour leurs enfants. Il leur a
répondu d’aller s’adresser aux Inyenzi. Il est parti, en fermant le portail pour que personne ne lui
demande à manger.11

Charles Kagenza était le représentant du Mouvement charismatique du renouveau à Nyange
et il connaissait bien l’abbé Seromba. Il essaya de le persuader de permettre aux réfugiés de célébrer
un service.
Un soir, l’abbé Seromba est entré à l’église et a pris les calices, les ciboires et les ornements
liturgiques. Je lui ai demandé de ne pas emmener l’ostensoir, et de nous laisser l’eucharistie pour
l’adoration. Il m’a répondu que ce n’était plus une église. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a
répondu que c’était parce que des gens de plusieurs religions étaient à l’intérieur.

Papias remarqua qu’après que les réfugiés eussent été dépouillés de leurs armes, un grand
nombre d’interahamwe arrivèrent de Kibilira, à Gisenyi, pour mettre au service des génocidaires de
Nyange leurs connaissances spécialisées. C’est aussi le soir du 13 qu’une réunion clé eut lieu à la
paroisse ; Niyitegeka était présent.
L’abbé Seromba était présent et a approuvé la décision de tuer les Tutsis dans l’église. Il avait ajouté
qu’ils étaient les seuls Tutsis qui restaient dans la commune Kivumu et qu’ils devaient mourir.
J’avais moi-même pris part à cette réunion parce que tous les policiers communaux étaient appelés à
venir donner un appui aux interahamwe dans l’extermination des Tutsis. Seromba avait la
responsabilité de faire sortir les réfugiés de l’église pour faciliter le massacre. Ce jour-là, le
bourgmestre était allé à Kibuye chercher des grenades, des cartouches et de l’essence avec laquelle
brûler les Tutsis si la nécessité s’imposait. Tout était en ordre pour lancer une attaque le lendemain.

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Témoignage recueilli à Nyange, le 19 juin 1999.
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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Répétition générale : l’attaque du 14 avril
Comme prévu, la première attaque eut lieu le jeudi 14. Virginie Mukabarinda a décrit l’assaut
comme une répétition générale : “C’est comme s’ils étaient venus tester notre aptitude à résister”.
Alors que l’opération avait déjà été lancée, Seromba et Ndahimana envoyaient encore des
messagers vers des alliés potentiels, en quête d’hommes et d’armes supplémentaires. Christophe
Mbakirirehe était parmi les hommes qui reçurent une demande de ce type.
Le 14, j’ai reçu un message écrit de l’abbé Seromba et du bourgmestre. Le porteur du message était
Jean-Bosco Abayisenga, l’ex-assistant bourgmestre. Il était accompagné d’un militaire réserviste
nommé Aloys Kabalisa. Ce message me demandait de leur donner des cartouches pour commencer
le “travail de l’église”.

Depuis sa maison, située dans la cellule Kanyinya-Nsibo, à Nyange, Mbakirirehe était en
mesure d’observer ce qui se passait à la paroisse.
Pendant que nous parlions, les attaques sur l’église avaient déjà commencé. On voyait très bien que
le plan était d’exterminer les Tutsis.

Bien qu’ils n’eussent pas d’armes et qu’ils fussent faibles à cause de la faim et de la soif, les
réfugiés réussirent à repousser leurs assaillants. Aloys Rwamasirabo, survivant, a décrit comment.
Nous nous sommes défendus en leur jetant des pierres ; nous étions de loin supérieurs en nombre.
Nous leur avons résisté toute cette journée. Les gendarmes nous observaient sans la moindre
intervention. Quand ils voyaient que nous repoussions leurs frères, ils faisaient semblant de tirer en
l’air.

Papias servit des rafraîchissements à Seromba et à ses alliés pendant qu’ils regardaient la
bataille.
Le jeudi 14, pendant que les miliciens essayaient de jeter des grenades à travers les fenêtres de
l’église, appuyés par les policiers de la commune, l’abbé Seromba les regardait en compagnie de ses
amis Kayishema, Ndungutse et Kanyarukiga. Seromba m’a demandé de leur apporter de la bière.

Ayant constaté l’aptitude des réfugiés à se défendre, les génocidaires convoquèrent une
réunion pour revoir leurs plans. Froduald s’y trouvait.
Il avait été convenu qu’il fallait faire sortir les réfugiés de l’église et les faire garder à l’extérieur.
C’était une ruse pour les exterminer. J’étais présent à cette réunion. L’abbé Seromba et le
bourgmestre avaient été chargés de les faire sortir.

Le chef des interahamwe, Ndungutse, retourna à Kibilira pour aller chercher des renforts.
Les décisions de la réunion furent également transmises aux conseillers des secteurs. André
Nkezabera, conseiller du secteur Kibanda, éloigné de la paroisse, reçut un messager dans l’aprèsmidi.
A 16:00 heures, j’ai reçu une note, portée par un interahamwe de mon secteur nommé Alfred
Vuguziga. Le message disait : “Conformément aux résolutions prises par les autorités de la
commune et les agents des lois et de l’ordre, chaque conseiller de secteur est tenu d’envoyer au
bureau communal tous les jeunes gens et autres ayant une aptitude physique suffisante pour
participer à l’action de lutte contre l’ennemi qui est dans le secteur Nyange, à la paroisse de Nyange.
Celui qui n’obéira pas à cet ordre sera sévèrement puni”. La lettre était signée par l’abbé Seromba, le
bourgmestre Grégoire, l’inspecteur de police judiciaire Fulgence Kayishema, l’enseignant
Ndungutse, l’assistant bourgmestre Védaste, le conseiller de Nyange, le conseiller de Kivumu et
d’autres.

9

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Comme les interahamwe de mon secteur connaissaient déjà le contenu de la lettre, ils
avaient tout de suite commencé à appeler les gens au moyen de tambours et à inciter tout le monde à
participer à l’action de Nyange.12

Destruction par étapes : le massacre du 15 avril
Une multitude d’interahamwe et de civils arrivèrent à la paroisse entre 8:00 heures et 10:00 heures
le matin du 15 avril. Ils vinrent de tous les secteurs de Kivumu. Le conseiller de Kibanda dit que, de
son seul secteur, “plus de 200 personnes sont allées tuer à Nyange”. Portant des plumes et des
feuilles de bananiers sur la tête, les assaillants arrivèrent en chantant, en sifflant et en frappant sur
des tambours, munis d’une immense collection d’armes traditionnelles. Les femmes qui les
accompagnaient avaient amené des pierres. Ils étaient si nombreux qu’ils communiquaient au
moyen de cornes de vache. Les réfugiés n’avaient pas la moindre chance de s’en sortir, comme l’a
souligné Charles Kagenza : “Certains étaient déjà morts de faim et d’autres étaient affamés. Nous
n’étions pas de taille contre les assaillants ; nous étions trop faibles”.
Comme convenu lors de la réunion, Seromba se servit de son autorité pour persuader les
réfugiés de quitter l’église et d’entrer dans la cour. Niyitegeka était là.
Il leur a dit qu’on allait veiller sur eux à l’extérieur.

Froduald était présent, lui aussi.
Seromba s’est adressé aux réfugiés et leur a demandé de sortir pour que leur sécurité soit bien
assurée. Ils sont sortis. Ils avaient des armes traditionnelles comme des machettes, des épées, des
lances et des bâtons. Ces armes ont été confisquées et déposées chez l’abbé Seromba. J’étais parmi
ceux qui transportaient ces armes de l’église au presbytère.

Avant le début du massacre, Seromba veilla à ce que les miliciens fussent bien armés,
d’après Froduald.
Les armes qu’on avait réquisitionnées chez les réfugiés tutsis avaient été distribuées par l’abbé
Seromba aux miliciens interahamwe. J’étais présent au moment de cette distribution. Il avait
demandé aux interahamwe de faire tout pour qu’il n’y ait aucun survivant. Ce jour-là Seromba
portait une soutane et avait un fusil. Le massacre avait commencé après la distribution des armes aux
interahamwe.

Après avoir encerclé la paroisse, les tueurs furent divisés secteur par secteur. Le massacre
commença environ une heure après que les réfugiés eussent reçu l’ordre de quitter l’église. Froduald
poursuit son récit.
Les réfugiés ont essayé de résister, en vain. Les interahamwe avaient non seulement des armes
puissantes comme des fusils et des grenades, mais ils étaient aussi beaucoup plus nombreux que les
réfugiés. Il était difficile pour les réfugiés désarmés d’opposer une quelconque résistance. Le seul
salut pour les réfugiés était de repartir à l’église. Dans la panique, ils ont essayé de regagner l’église.
Comme ils étaient nombreux, les uns n’ont pas eu le temps d’entrer et ont été cloués au sol par les
interahamwe. Les autres se sont dispersés ici et là dans les buissons et les forêts, pourchassés et tués
par les interahamwe. J’entendais des cris de souffrance dans ces forêts situées derrière le presbytère.

Niyitegeka a souligné la participation directe de Seromba au massacre.
L’abbé Seromba avait un fusil et dirigeait l’opération. C’est lui qui montrait aux gens les positions
qu’ils devaient prendre afin que personne ne puisse n’échapper

Selon Bertin Ndakubana, ce fut le “chaos total”. Bertin perdit sa femme et son enfant, ainsi
que son père, trois sœurs, son frère cadet et sa belle-mère, tous tués par les assassins à la paroisse.
12

Témoignage recueilli à Gitesi, le 21 août 1999.
10

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Ils tuaient à l’aide de machettes, de grenades, de fusils, de lances et de flèches. C’était horrible. Les
enfants criaient ; les femmes pleuraient ; les hommes gémissaient. Certains tentaient de sortir de
l’église mais étaient attrapés et tués sur le champ, alors que d’autres entraient dans l’église, fuyant de
la cour. Certaines personnes allaient même dans les résidences des prêtres, alors que ceux qui y
étaient cachés étaient chassés par ces derniers.

Les gendarmes bloquèrent toutes les sorties qui menaient de l’église au presbytère ; ceux
qui arrivèrent à passer se retrouvèrent ensuite devant Seromba, qui tirait sur les réfugiés qui
fuyaient. Froduald observa la scène.
Certains réfugiés avaient tenté de rejoindre la forêt en passant par la cour intérieure du logement des
prêtres. L’abbé Seromba se trouvait sur le balcon de la façade arrière de la maison où les prêtres
logeaient. Seromba tirait sur ces personnes qui fuyaient. Il avait un fusil de type R4 [fusil
automatique léger]. Personne n’a été tué sur le coup, mais certains mouraient juste derrière la clôture
de la paroisse. Je n’étais pas loin de là. J’étais dans un atelier de menuiserie qui se trouvait dans le
presbytère. Je le voyais tirer de mes propres yeux. J’étais à vingt mètres de lui. Il portait un pantalon
noir et une veste noire. Entre l’atelier de menuiserie et l’endroit d’où Seromba tirait, il y avait un
sentier qui menait à la forêt. Les gens entraient donc dans le presbytère afin de regagner la forêt qui
était derrière le presbytère.

Mbakirirehe accuse aussi Seromba d’avoir abattu les réfugiés.
L’abbé était là-bas, en face de l’entrée qui menait au presbytère. Il tirait sur ceux qui tentaient de
rejoindre le presbytère.

Malgré les efforts de Seromba, certains réfugiés parvinrent à atteindre le presbytère et à se
rassembler dans la cuisine. Jean-Bosco franchit le mur pour les y rejoindre. Tandis qu’il le faisait, il
vit Seromba qui regardait le massacre depuis le balcon, avec deux autres prêtres qui venaient
d’arriver à la paroisse en provenance de Nyundo, à Gisenyi.13
Pendant les tueries, les abbés—Seromba, Kayiranga et Nturiye—ainsi que le grand séminariste
Appolinaire étaient dehors, au balcon, assistant à la scène comme s’ils regardaient un beau film.
Seromba avait même un fusil, tandis qu’Appolinaire tenait un arc et des flèches.

Jean-Bosco et les autres réfugiés qui se trouvaient dans la cuisine ne tardèrent pas à être
découverts par Seromba.
L’abbé Seromba nous a dit de ne pas nous inquiéter, qu’il allait assurer notre sécurité. Il est sorti et
nous avons été surpris de voir les gendarmes arriver. Théoneste Gasana, Appolinaire Nsengiyumva
et moi sommes sortis par une petite issue pour aller nous cacher dans le poulailler. Nous y sommes
restés jusqu’au soir. Pendant ce temps, les gendarmes ont pris ceux qui étaient restés cachés dans la
cuisine, ils les ont rassemblés dans la cour du presbytère et les ont abattus. Ils criaient, demandant à
l’abbé d’intervenir, mais l’abbé n’a pas répondu.
Les gendarmes circulaient partout, avec l’abbé Seromba et Appolinaire, mais ils n’avaient
pas soupçonné qu’il y avait des gens dans le poulailler.
Ils ont continué à tuer jusqu’au soir. Les bruits étaient indescriptibles—les hurlements, les
détonations et les explosions de grenades étaient terrifiants. On aurait dit une scène en enfer, avec le
diable habillé comme un prêtre. A une fille qui lui disait : “Sauve-moi mon père”, il avait répondu :
“Va-t’en, Inyenzi..”

Virginie Mukabarinda et son mari, Alexis Rwasamanzicuisiner à la paroisseétaient eux
aussi dans la cuisine. Ils avaient deux filles, mais s’étaient vus obligés à laisser l’aînée dans l’église,
où elle mourut par la suite. Virginie craignait que sa benjamine, Apollonia, ne fît du bruit et
13

Ces deux prêtres—l’abbé Edouard Nturiye et l’abbé Emmanuel Kayiranga—étaient arrivés à la paroisse le
matin du 15. Tous deux ont été accusés (et jugés) au Rwanda d’avoir pris part aux tueries à Nyundo, à
Gisenyi. Ils ont été condamnés à mort et ont fait appel.
11

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

provoquât la mort de tous les réfugiés se trouvant dans la cuisine. Elle la prit donc et la cacha dans
un placard de la cuisine. Elle entendit l’abbé Seromba entrer dans la pièce et ordonner aux réfugiés
de partir.
Il a demandé à mon mari et à d’autres ouvriers tutsis de la paroisse de donner l’exemple en sortant
les premiers. Ils l’ont fait. Ils n’avaient pas le choix. Il ne m’avait pas vue. Croyant que tout le
monde était sorti, il est allé se laver les mains au lavabo de la cuisine. Mon cœur était comme
suspendu. Je priais Dieu pour qu’Apollonia n’éternue pas et je lui avais donné mon sein à téter. Dieu
a exaucé ma prière.
L’abbé Seromba se parlait pendant qu’il se lavait les mains. Il disait à haute voix : “Mon
Dieu, pardonne-moi, je ne peux pas faire autrement. Ils doivent mourir. La guerre est terrible. Où est
Straton14 maintenant, lui qui se vantait tant ? Il doit être déjà mort.”

Le sol était couvert de sangcertains des réfugiés qui se cachaient là avaient été
grièvement blessés.
Seromba avait fait venir deux filles interahamwe. L’une d’entre elles était sa copine Epiphanie
[Mujawamariya], surnommée “Nyiramzuru”. Il leur a demandé de nettoyer le sang du sol de la
cuisine.

En quête de nourriture, Epiphanie ouvrit le placard dans lequel se cachait Virginie.
Epiphanie est allée directement vers lui et lui a dit : “Voyez à quel point vous êtes naïfs, vous les
prêtres ! La femme de ton cuisinier est cachée dans le placard de la cuisine. C’est de ta faute ” !
Seromba a répondu : “Mais pourquoi tu t’embêtes avec elle ? Pourquoi ne la remets-tu pas
aux gens qui vont s’occuper d’elle ” ? Epiphanie a ramené deux militaires pour “s’occuper de moi”.

Les soldats libérèrent Virginie et elle essaya de s’échapper vers la rivière Nyabarongo.
Mais, tragiquement, un milicien, auquel son père avait demandé d’accompagner Virginie jusqu’à la
rivière, noya sa fille.
Papias vit lui aussi la réaction qu’eut Seromba en trouvant un groupe de réfugiés dans le
presbytère.
Seromba leur a intimé l’ordre de quitter vite le presbytère, sachant très bien qu’il y avait des
miliciens partout. Il y avait même un enfant qui disait à Seromba : “Je te supplie, mon père, ne me
laisse pas mourir, cache-moi. Je suis un enfant.” Le prêtre lui a dit : “Va-t-en, va rejoindre les tiens!”
Seromba a demandé à Epiphanie d’aller nettoyer le sang qui était sur le sol. C’était sa
copine.

14

L’abbé Straton, le collègue de l’abbé Seromba, a échappé au génocide.
12

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Hors d’atteinte : les réfugiés se trouvant à l’intérieur de l’église
En voyant les miliciens la première fois, nombre des réfugiés avaient réalisé que leur meilleur
espoir de survie serait de retourner à l’intérieur de l’église. Ceux qui parvinrent à échapper aux
assaillants coururent à l’intérieur de l’église et en fermèrent les portes à clé. Emerthe Nyirurugo
avait 12 ans à l’époque. Elle a parlé des efforts des réfugiés pour “empêcher les assaillants
d’entrer”. La mère d’Emerthe, trois de ses sœurs et un de ses frères moururent à la paroisse.
Les gendarmes, au lieu de tirer sur les interahamwe, tiraient à l’intérieur de l’église. Beaucoup de
gens ont été tués. Quand les miliciens voulaient pousser pour ouvrir les portes de l’église, les
réfugiés essayaient de leur résister en mettant les bancs de l’église contre les portes. Ils sont partis
sans avoir pu entrer dans l’église. Mais ils avaient réussi à casser les fenêtres de l’église et ensuite
lançaient des grenades à travers.15

Il était impossible d’enfoncer la porte d’entrée ou les murs de l’église. Mais Seromba ne se
laissa pas décourager. Il trouva une “solution” et demanda à Niyitegeka de lui prêter main forte.
L’abbé Seromba avait emprunté une mitrailleuse. Les militaires n’ont pas voulu l’utiliser. Comme
j’ai été militaire avant d’être policier, je savais manier une mitrailleuse. Seromba m’a donné cette
mitrailleuse et il m’a demandé de la placer devant la porte, son canon pointé vers l’entrée. C’était
pour lui une façon de les faire fléchir avec une arme forte. J’ai accepté et j’ai tiré sur les Tutsis dans
l’église à travers la porte. Toutes les cartouches se sont épuisées sans produire de résultat positif.

Lorsqu’ils réalisèrent qu’ils ne pouvaient pas entrer dans l’église, les assaillants y jetèrent
de la dynamite et des grenades par les fenêtres, puis ils allèrent chercher de l’essence pour la brûler,
selon Niyitegeka. Froduald a lui aussi décrit les efforts en vue de brûler vifs les réfugiés dans
l’égliseles tueurs tirèrent sur les fenêtres jusqu’à ce qu’elles fussent brisées, puis versèrent de
l’essence et jetèrent des branches enflammées à l’intérieur. Mais il dit que le bâtiment résista au feu,
seuls quelques réfugiés furent brûlés, et les autres restèrent barricadés à l’intérieur, y compris 50
personnes cachées dans la tour de l’église. Il dit que les assaillants “se retrouvèrent à court
d’essence avant d’avoir pu atteindre leur objectif”. Entre-temps, comme le fait remarquer Papias, les
prêtres ne s’inquiétaient toujours pas.
Entre 12 h 30 heures et 13:00 heures ce vendredi-là, pendant que les interahamwe étaient en train de
tuer les Tutsis à l’église et dans la cour, les abbés étaient en train de manger au réfectoire. Ils avaient
bloqué toutes les portes, même celles de la cuisine.

Certes, tous les réfugiés n’avaient pas été tués, mais de nombreux cadavres jonchaient la
paroisse. Il fut décidé d’enterrer les cadavres au moyen de deux bulldozers Caterpillar. Anastase
Rushema, l’assistant bourgmestre, fut envoyé chercher les bulldozers. Rushema dit que “l’abbé
Seromba, le bourgmestre et Ndungutse [lui] ordonnèrent d’amener les machines”. Les bulldozers
appartenaient à une entreprise de construction italienne, Astaldi, qui construisait alors la route entre
Gitarama et Kibuye. Astaldi avait également fourni deux chauffeurs. Niyitegeka dit : “Après la mise
en terre, Seromba a donné de l’argent aux chauffeurs”. Seromba a également récompensé les
interahamwe. Depuis son refuge dans la tour de l’église, Charles vit Seromba exprimer son
appréciation.
Vers 16:00 heures ou un peu plus tard, j’ai aperçu l’abbé Seromba jeter des bouteilles de bière aux
interahamwe qui se trouvaient au rez-de-chaussée. Il les jetait à un homme que je connaissais et que
je voyais très bien : le fils de Rwajekare, surnommé “Kabundi”, qui est actuellement en prison ici, à
Kibuye. “Kabundi” distribuait les bouteilles aux autres miliciens.

Les autres furent payés en liquide. André Nkezabera, le conseiller de Kibanda, a parlé aux
habitants de son secteur qui avaient pris part aux tueries.
15

Témoignage recueilli à Biyimana, Gitarama, le 14 mars 1995.
13

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Alfred Vuguziga m’a dit en personne qu’après les tueries, l’abbé Seromba avait récompensé ceux
qui s’étaient distingués dans le massacre. Il leur a donné de l’argent.

La stratégie finale
Irrité par l’échec à expulser les réfugiés de l’église, Seromba et certains de ses principaux alliés se
réunirent plus tard le même jour, le 15, pour discuter des “stratégies finales d’extermination”, pour
reprendre les mots de Niyitegeka. C’était “une réunion ouverte, n’importe qui pouvait y participer”,
selon Mbakirirehe, qui y assista. Froduald était lui aussi parmi les participants.
L’abbé Seromba, le bourgmestre, Kayishema, le chef des policiers communaux Mbakirirehe, les
policiers communaux et les militaires ont étudié la stratégie à adopter pour attaquer l’église. Ils ont
finalement décidé d’attaquer secteur par secteur pour s’assurer que personne ne puisse s’échapper.
Chaque secteur devait aussi avoir des représentants à chaque entrée de l’église. Les autres devaient
se positionner aux alentours de l’église, de sorte que si quelqu’un s’échappait, ils puissent intervenir
à temps. Cette réunion s’était tenue à la paroisse et j’étais présent.

Egalement présents à la réunion se trouvaient les assistants bourgmestres et la plupart des
conseillers et des civils influents, comme les hommes d’affaires. Niyitegeka donne des informations
supplémentaires.
La réunion était présidée par le bourgmestre et l’abbé Seromba. Ils disaient que nous devions utiliser
tous les moyens possibles pour entrer dans l’église. Seromba avait ajouté que si la destruction de
l’église s’avérait nécessaire pour atteindre cet objectif, nous devions le faire, et qu’on en construirait
une autre après. Nous nous sommes endormis avec tout le nécessaire à notre portée. On avait
augmenté le nombre de fusils, de cartouches et de grenades. Nous avions toutes les armes. Les gens
de Kibilira, de Rutsiro, à Kibuye, et de Buringa, à Gitarama, avaient passé la nuit à Kivumu pour
être en pleine forme le lendemain.

Selon Mbakirirehe, chaque individu se vit assigner une tâche précise.
Selon les conclusions de cette réunion, il était nécessaire de se procurer plus d’essence, à utiliser le
16 pour exterminer les Tutsis, qui s’avéraient invincibles. On a demandé à Kayishema et Ndungutse
de retourner à Kibilira et à Buringa pour aller chercher des interahamwe. Le bourgmestre et Seromba
avaient eu la responsabilité de chercher des interahamwe dans les coins environnants. Ma mission
consistait à aller à Kibuye chercher de l’essence pour brûler les gens dans l’église.

Les participants à la réunion envoyèrent également des messages aux conseillers de
secteurs, en leur demandant d’envoyer un maximum de renforts, en vue de l’assaut prévu pour le 16
avril. Au moyen de visites personnelles et de messages manuscrits, Seromba, Ndahimana,
Kayishema et Ndungutse cherchèrent à rassembler le soutien du plus grand nombre de personnes
possible. Après la réunion, Seromba alla parler à la population du secteur Kivumu. Gaspard
Munyantwari écouta ses explications et son appel.
La réunion était dirigée par l’abbé Seromba, qui portait un pantalon kaki et une veste noire. Il était
venu en moto, avec un fusil sur l’épaule. Les haut-parleurs diffusaient la manière dont les Inyenzi
avaient voulu les tuer, comment ils s’étaient défendus et comment ces Inyenzi avaient essuyé une
défaite et s’étaient repliés dans l’église. Seromba nous disait qu’ils étaient si méchants qu’il était
décidé à prendre part au combat. Il a ajouté qu’il prendrait le fusil et qu’il tirerait sur eux. Il dirigeait
la réunion avec un fusil à côté de lui. Les Inyenzi dont il parlait étaient ces Tutsis réfugiés à la
paroisse.
Le but principal de cette réunion était de nous sensibiliser afin que le lendemain, le 16, nous
répondions massivement de manière à exterminer l’ennemi replié dans l’église. Seromba avait même
menacé que quiconque ne prendrait pas part à ce combat national serait considéré comme un ennemi
du pays ou simplement un complice de l’ennemi. Nous avions promis que nous allions combattre le
16, comme convenu avec l’abbé Seromba.

14

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Seromba retourna à la paroisse. Canisius parla à Seromba après s’être présenté au travail.
Quand je suis arrivé à la paroisse à 18:00 heures, j'ai trouvé des cadavres partout. Dieu seul sait
combien ils étaient. Il y en avait dans la cour, derrière l’église, mais il y avait encore des gens en vie
dans l’église.
J’ai trouvé l’abbé Seromba avec le bourgmestre et Kayishema. Ils regardaient en bas du
balcon en s’appuyant sur les garde-fous. Quelques instants après, j’ai vu que les autres abbés
s’étaient joint à eux. Ils sont restés là-bas jusqu’à 20:00 heures et, ensuite, Seromba a raccompagné
le bourgmestre et Kayishema chez eux. A son retour, il s’est arrêté au milieu des cadavres et a fait
quelques tours comme pour identifier ceux qui étaient morts ou pour les compter. Mais il n’a pu les
compter tous, car il y en avait beaucoup. Ensuite, il m’a demandé de fermer le portail et d’être
vigilant car les Inkotanyi pouvaient arriver à tout moment.
Après avoir fermé le portail, je leur ai apporté des boissons. Les prêtres ont dîné et sont
allés à l’oratoire pour prier avant d’aller dormir.
Seromba m’a réveillé plusieurs fois cette nuit-là, pour soi-disant voir si je veillais sur la
maison, mais je savais qu’il voulait tromper ma vigilance. Lui et le séminariste Appolinaire
ramenaient souvent des filles légères et couchaient avec elles à la paroisse. Cette nuit-là, l’abbé
Seromba avait couché avec Epiphanie, la fille de Mathias Sezibera.

Papias a décrit l’humeur de Seromba à la fin de la journée.
Vers 22:00 heures, Seromba, Ndungutse, Kayishema et Kanyarukiga étaient au salon en train de
boire de la bière. Seromba avait passé cette nuit-là à la paroisse avec Epiphanie.

Entre-temps, les réfugiés restants étaient surveillés de près, selon Canisius, le cuisinier de
Seromba.
Les six gendarmes veillaient, dehors, pour s’assurer qu’aucun Tutsi ne s’évade de l’église. Comme
ils avaient massacré les gens toute la journée et étaient fatigués des tueries, quiconque pris en train
de s’échapper de l’église était ramené à l’intérieur. Ils savaient qu’ils allaient recommencer les
tueries le lendemain.

Ils n’avaient guère de chances de s’échapper ; les miliciens passèrent la nuit autour de feux
de camp dans la paroisse. Tout était en place pour un assaut total.

Mort et démolition au moyen de bulldozers, le 16 avril
Le matin du 16 avril, l’église de Nyange fut encerclée par plusieurs milliers de tueurs bien armés.
Des policiers communaux, les gendarmes amenés par le colonel Nzapfakumunsi et des interahamwe
qui avaient suivi un entraînement militaire arrivèrent en grand nombre. Il y avait également des
milliers de miliciens. Les “campagnes de sensibilisation” du 15 avaient porté leurs fruits, comme en
témoigne Munyantwari.
Le 16, tout le monde a pris son arme et est allé voir ces Inyenzi. Quand nous sommes arrivés à la
paroisse, nous avons trouvé une grande foule venue de tous les secteurs de la commune de Kivumu,
de Gisenyi, et de Mushubati et Bulinga, en Gitarama.

Niyitegeka vit clairement Seromba, puisqu’ils tirèrent tous deux sur les portes de l’église
pour tenter de les ouvrir.
Le nombre de gens qui étaient venus pour attaquer l’église dépassait 5.000 hommes. Ils étaient
positionnés par secteur pour éviter l’infiltration ou la fuite éventuelle d’un Tutsi de l’église. Les
autres policiers étaient arrêtés en face des fenêtres.
Je tirais des balles sur la porte pour voir si elle allait s’ouvrir. Comme cela devenait difficile
d’ouvrir les portes, les hommes d’autorité sont venus nous prêter main forte. Le bourgmestre était
venu dans ma zone et il tirait. Kayishema se trouvait sur le toit en train de brûler les gens avec
l’essence. L’abbé Seromba était de l’autre côté de l’église, en train de tirer sur une autre porte. Je le
voyais bien parce qu’il était dans une position où nos zones d’influence convergeaient. Il ne portait

15

Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
pas sa soutane. Il avait un fusil R4. Je ne pouvais pas le confondre parce que je le connaissais. Dans
tous les cas, nous étions ensemble presque tous les jours aux réunions qui ont précédé les tueries.

Munyantwari n’était pas non plus loin de Seromba.
Seromba était à la tête des fusillades de l’église. Il voulait ouvrir les portes. Il était à côté de moi. Il
portait une veste noire et un pantalon noir.

Mbakirirehe arriva à la paroisse vers 10:00 heures avec l’essence qu’il était allé chercher à
Kibuye. Cette essence fut immédiatement distribuée aux miliciens, comme l’observa Munyantwari.
Kayishema nous avait donné de l’essence. Nous avons grimpé sur le toit de l’église, enlevé quelques
tuiles et versé l’essence. Ensuite, nous y avons mis le feu pour les brûler. Mais cela n’a pas non plus
marché.

Charles décrit la deuxième tentative d’incendie de l’église.
Ndungutse a dit à ses miliciens d’apporter de l’essence et de la verser sur le bois, pour que les
flammes nous asphyxient. Quand il a vu que nous étions toujours vivants, il est reparti trouver
Seromba et les autres dans le presbytère pour voir ce qu’il fallait faire.

Malgré les efforts acharnés des tueurs, il s’avéra impossible d’entrer dans l’église ou de la
détruire avec des balles ou des grenades, ou encore de la brûler. Une réunion, une “session
d’urgence”, selon Niyitegeka, eut lieu dans les quartiers des prêtres, dirigée par Seromba et le
bourgmestre. Il fut convenu que l’église serait détruite au moyen des bulldozers Caterpillar qu’ils
avaient utilisés la veille pour enterrer les morts. Selon Niyitegeka, certaines des personnes présentes
s’élevèrent contre cette proposition, y compris le chef de la police communale, Mbakirirehe. Il se
rappelle les paroles de Mbakirirehe : “Ce serait un péché de détruire la maison de Dieu”. Mais selon
Niyitegeka, Seromba n’avait pas de tels scrupules.
L’abbé Seromba, qui était en faveur de cette solution, a dit : “Elle doit être détruite afin que nous
puissions nous débarrasser de l’ennemi. Dès que l’ennemi ne sera plus là, nous en reconstruirons une
autre”.

Kayishema se rendit au bureau d’Astaldi et ramena les deux bulldozers Caterpillar.
Anastase Nkinamubanzi, 38 ans, originaire de Kibilira, à Gisenyi, était un des deux chauffeurs.
L’autre était zaïrois. Anastase rechignait à passer l’église au bulldozer, mais il dit que Seromba
apaisa ses craintes.
L’abbé Seromba a dit : “Il y a beaucoup de chrétiens à l’étranger. Cette église sera reconstruite en
trois jours”.16

Froduald était présent durant cette conversation.
Anastase a dit qu’il ne pouvait pas détruire l’église de Dieu. L’abbé Seromba lui a dit : “Une fois que
tous les Tutsis seront exterminés, on en reconstruira une autre”. Seromba était vêtu d’une soutane et
portait un fusil à l’épaule. J’étais devant l’église et je suivais ces discussions.

Niyitegeka entendit lui aussi la conversation entre Seromba et Anastase.
L’un des conducteurs, Anastase, a d’abord refusé de détruire l’église. Il a failli y laisser sa peau.
L’abbé Seromba est venu et lui a dit de la détruire, ajoutant qu’on en reconstruirait une autre.

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Témoignage recueilli à Gitesi, le 10 mars 1995.
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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Dans un mouvement de tenailles coordonné, les deux machines s’approchèrent de l’église
depuis l’extrême droite et l’extrême gauche. Anastase a décrit la bousculade désespérée qui
s’ensuivit, alors que les personnes tentaient d’échapper à l’horreur de mourir broyées.
Il y avait environ 2.000 personnes dans l’église. Les soldats avaient commencé à tirer à l’intérieur de
l’église avant même que les bulldozers n’interviennent. Certaines personnes étaient mortes des coups
de feu et certains murs de l’église étaient endommagés au moment où nous avons commencé avec
les bulldozers. Quand les bulldozers ont commencé, certains sont sortis de l’église en courant,
terrifiés. Mais les villageois les ont forcés à retourner dans l’église en les attaquant avec des
machettes et des massues. L’église était complètement détruite. Il y avait seulement des décombres et
des cadavres. Mais les militaires ont été postés là pour empêcher que quelqu’un ne vienne déterrer
des rescapés.

Emerthe est parmi les rares survivants de l’église.
La machine destructrice avait commencé par la grande porte d’entrée. Nous nous sommes repliés
vers la partie de l’église où les prêtres célèbrent la messe. Après avoir démoli une partie de l’église,
les interahamwe ont envahi l’église, tuant les gens avec des fusils, des lances, des grenades, des
machettes et des massues. J’ai été battue sérieusement et laissée pour morte.

Les bulldozers avaient laissé la nef de l’église en ruines, mais la tour était encore intacte. De
là, Charles Kagenza ne pouvait qu’observer le massacre perpétré sous ses yeux.
Les prêtres étaient toujours à l’étage. Les miliciens ont jeté des grenades à l’intérieur de l’église et
sont ensuite entrés. Ils ont trouvé des groupuscules de gens encore vivants dans de petits coins non
loin de l’autel. Ndungutse a laissé Seromba et les autres au presbytère et a conduit les miliciens dans
l’église. Ils ont commencé à poignarder, à couper en morceaux les femmes, les enfants, les vieux et
les jeunes sans aucune pitié.
Il y avait encore des gens cachés dans les coins. Les murs leur tombaient dessus. Certains
d’entre eux n’ont même pas eu le temps de crier.

Mais il y en eut qui crièrent avant de mourir ; Papias entendit leurs supplications et observa
l’indifférence de Seromba.
L’église a été complètement détruite entre 14:00 heures et 15:00 heures. Ça a fait un bruit terrible,
ajouté aux gémissements et aux pleurs des victimes. Seromba continuait à siroter sa bière à l’étage.

Leur mission, selon Munyantwari, était de ne laisser aucun survivant.
Seromba et le bourgmestre nous ont ordonné d’encercler l’église afin que tout survivant qui
essaierait de s’échapper soit tué sur le champ. C’est ce que nous avons fait. Tout individu qui
essayait de se sauver était immédiatement coupé en pièces.

Niyitegeka dit qu’il reçut également l’ordre de “tuer tous ceux qui étaient sortis vivants”.
Seromba lui-même guêtait les survivants. Froduald a expliqué ce qui arriva à un homme qui tenta de
se cacher dans le presbytère.
Ce qui m’a vraiment fait de la peine, c’est de voir un homme qui avait couru pour se réfugier dans le
presbytère. Il était dans le bureau du secrétariat. Seromba l’a trouvé là-bas et l’a fusillé à bout
portant. J’étais là, dans le jardin et je l’ai vu. Seromba portait un pantalon noir et une veste noire ; il
avait ôté sa soutane. Seromba a appelé un autre garçon et moi et nous a ordonné d’évacuer le
cadavre dans la forêt. Quand nous sommes revenus, il nous a demandé d’aller chercher de l’eau pour
nettoyer le sang qui s’était répandu sur le pavé. Je l’ai fait, mais mon cœur palpitait.

Seromba utilisa également son fusil pour déloger et tuer les réfugiés se trouvant dans la
tour. En le regardant, Froduald se rendit compte que Seromba était devenu bon tireur.

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Seromba et le bourgmestre étaient sur le balcon des chambres des prêtres. Ils tiraient dans la partie
de la tour où quelques réfugiés étaient concentrés. Tout le monde les voyait tirer. J’étais dans le
presbytère, en face du balcon. Seromba avait ôté sa veste noire qui le gênait dans ses mouvements. Il
avait posé la veste sur la fenêtre. Il tirait mieux que les militaires. La tour a fini par tomber avec
l’aide des Caterpillars.

Munyantwari se retrouva près de Seromba tandis que le prêtre tirait sur les réfugiés qui se
trouvaient dans la tour.
Lors de la destruction de l’église, Seromba et le bourgmestre, Grégoire, étaient à l’étage et tiraient
sur la tour. On voyait que des gens s’y cachaient. Pendant qu’ils tiraient, Seromba et le bourgmestre
discutaient pour voir lequel des deux était meilleur tireur. On aurait dit un concours. Je les ai vus
quand je suis allé chercher de l’eau à boire au presbytère. Ils tiraient juste au-dessus de moi parce
que le robinet se trouvait dans le jardin, non loin de l’étage qu’ils occupaient.

Le but était que le bulldozer démolît la tour. Mais les assaillants ne savaient pas combien de
temps il allait falloir au Caterpillar pour la faire s’effondrer. Mbakirirehe dit que les agresseurs
eurent recours aux fusils pour empêcher les survivants de s’échapper avant que les machines ne
soient arrivées.
Pour s’assurer qu’il ne reste pas de survivants, les autres tiraient là où passaient les Caterpillars.
Quand je suis arrivé devant l’église, j’ai vu l’abbé, le bourgmestre et Seromba au balcon du premier
étage, où les prêtres logeaient. Ils tiraient dans la tour de l’église. Ils voulaient faire tomber les gens
qui s’étaient cachés dans cette tour. Seromba était vêtu d’un pantalon noir. Ils ont tiré jusqu’à ce que
le Caterpillar arrache la tour.

Niyitegeka remarqua également Seromba et le bourgmestre au balcon du presbytère.
Ils tiraient sur la tour pour faire descendre les réfugiés tutsis qui s’y cachaient. Je les voyais de
l’endroit où j’étais, à l’entrée de l’église. Nous attendions que l’église soit complètement détruite.

Pour ceux qui se trouvaient à l’intérieur de la tour, il n’y avait aucun moyen de sortir.
Charles tenta de s’accrocher à la vie, mais à grand-peine.
J’étais à côté de la cloche. Les deux chauffeurs se relayaient pour démolir la tour. Quand j’ai vu
qu’elle allait tomber, je me suis assis sur une poutre et je me suis agrippé à une autre au-dessus de
moi. J’avais vu des gens mourir horriblement et j’espérais donc que la poutre du dessus tomberait et
écraserait mon cœur, afin que je meure rapidement.

Il dit que “c’est Anastase qui a détruit la tour”.
La tour s’est effondrée. Je ne suis pas sûr exactement comment j’ai atterri, mais c’est là que j’ai reçu
un coup de serpette. Le fils de Kabatanga, Higaniro ; son frère, Banumanye et Ndabamanuye m’ont
crevé l’œil gauche et m’ont administré des coups de massue sur la tête. Ils dépouillaient aussi les
commerçants de leurs possessions. Il était 18:00 heures.
Les tueries ont duré jusqu’à 19:00 heures, moment où tous les interahamwe sont partis au
centre commercial. Il ne restait plus que l’abbé Seromba et ses gendarmes. J’étais très affaibli par les
blessures que j’avais subies, mais je pouvais encore entendre l’abbé Seromba rire fort avec les
gendarmes. J’ai réussi à relever la tête avec difficulté. Je me suis résolu à appeler le prêtre, car je
n’avais plus rien à perdre. J’espérais qu’il pourrait avoir un ressaisissement, et pourrait me sauver la
vie. Cela revenait au même pour moi.
Je l’ai appelé et il m’a demandé qui j’étais. Je lui ai dit que j’étais Charles. “Que veux-tu
que je fasse pour toi” ?, m’a-t-il demandé. Je lui ai dit : “Aide-moi à me lever”. Il m’a répondu :
“Comment vais-je te soulever alors que je ne suis pas médecin ? Soulève-toi toi-même”. J’ai eu un
peu peur d’essayer, mais après quelques secondes d’hésitation, je me suis soulevé, quoique
péniblement. Quand il m’a vu me lever, il s’est sauvé vers le presbytère. Un gendarme s’est
approché de moi, il a ouvert son fusil. Je suis tombé sur les cadavres et il a pensé que j’étais mort. Il

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
m’a maudit, disant qu’il n’allait pas gaspiller ses cartouches pour rien. Il est parti achever quelqu’un
d’autre.

Seromba continua de tuer des réfugiés après que l’église ait été pulvérisée, comme en a
témoigné Froduald.
Ceux qui respiraient dans les décombres de l’église étaient achevés par Kayishema et Seromba à
coups de petites houes connues sous le nom de udufuni. Je les ai vus tuer les gens alors que j’étais
allé récupérer les objets liturgiques restés dans les décombres. Je les voyais tuer les gens à coups de
udufuni. Kayishema était vêtu de jeans et l’abbé Seromba d’un pantalon noir ; il avait laissé sa veste
sur la fenêtre au moment où il tirait dans la tour. Ils étaient revenus dans le presbytère. Ils ont vu une
jeune fille nommée Adrienne. Elle s’apprêtait à devenir religieuse dans la congrégation Abahire ba
Nyinawajambo. Ils l’ont trouvée derrière l’étable des chèvres. Kayishema l’a amenée. Elle a supplié
l’abbé Seromba de demander pardon pour elle. L’abbé Seromba lui a répondu qu’ “elle ne valait pas
mieux que les autres”. Kayishema l’a aussitôt taillée en pièces dans le jardin du presbytère. Seromba
était là, présent, mais il n’a rien fait. Kayishema et Seromba ont pris le cadavre de cette fille et l’ont
mis avec d’autres cadavres dans les décombres de l’église. Ce sont eux-même qui l’ont transporté.
Les habits de l’abbé Seromba étaient maculés de sang. Je les ai vus en allant déposer les objets
liturgiques que j’avais tirés des décombres.

Niyitegeka a dit que “rares sont les personnes qui ont échappé à ce massacre et elles étaient
grièvement blessées”. Les rescapés de sexe masculin n’eurent pas la possibilité de vivre encore
longtemps.
L’abbé Seromba et le bourgmestre Ndahimana avaient ordonné de tuer tous les hommes, et
d’emmener les femmes et les enfants au bureau communal pour les y garder. Cet ordre a été exécuté
par Ndungutse et les interahamwe.

Emerthe parvint, tant bien que mal, à échapper aux assassins et sortit en rampant lorsqu’il
fit noir. Elle décrit la scène qui l’attendait lorsqu’elle reprit connaissance.
J’ai remarqué que l’église avait été complètement détruite et qu’il y avait de nombreux cadavres
partout. D’autres gens étaient sur le point de mourir. J’ai fait un tour et réalisé que tous les membres
de ma famille avaient été tués. Il y avait un jeune marié que je connaissais, Eugène, qui était
sérieusement blessé. Vers 15:00 heures, lui et moi avons quitté l’église ensemble pour aller nous
cacher dans la brousse.

Après la destruction de l’église, tous les “travailleurs” furent récompensés, y compris les
interahamwe qui étaient venus de Gisenyi et de Gitarama. Durant un entretien avec African Rights,
le chauffeur, Anastase, a avoué que lui et les autres “avaient été payés par l’abbé Seromba”. Selon
Niyitegeka, il y eut une “collecte de fonds”.
Le bourgmestre a pris une certaine somme dans les coffres du bureau de la commune et l’abbé
Seromba en a pris de sa poche. Les autres fonctionnaires et hommes influents ont eux aussi donné
leur contribution.

L’abbé Seromba se montra satisfait des résultats, selon Papias.
Après la destruction complète de l’église, l’abbé Seromba est descendu demander aux miliciens de
retirer la cloche et d’aller jeter tous les cadavres. Kayishema leur a indiqué l’endroit où ils devaient
creuser la fosse commune.
Le soir, alors que tout le monde avait été tué, les deux chauffeurs, Kayishema,
Kanyarukiga, Ndungutse, Ndahimana, le militaire Kabalisa, les policiers communaux, Rangira,
Nishyirimbere, Bonald Abayisenga, Adrien Maharamu et d’autres miliciens sont entrés au presbytère
où Seromba leur a offert beaucoup de bière. Ndungutse a donné de l’argent aux chauffeurs. Ils ont
bu et sont rentrés chez eux.

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba

Le cuisinier de Seromba remarqua également la bonne humeur qui régnait entre Seromba et
ses alliés.
L’abbé Seromba et les autres prêtres étaient avec Kanyarukiga et Kayishema ; ils riaient aux éclats.
Ils étaient restés jusqu’à la tombée de la nuit. Seromba a donné trois cartons de bière aux chauffeurs
et aux chefs de la milice, comme le fils de Ribakare, Cyriaque, Anicet Tumusenge et John
Sekamanzi, entre autres. Il les a conduits chez eux comme d’habitude ce soir-là et est ensuite revenu
dormir.

Mbakirirehe a dit qu’il avait demandé à Seromba pourquoi “il était allé jusqu’à détruire
l’église de Dieu”.
Il m’a dit que Dieu lui-même n’aimait pas les Tutsis. Sinon, avait-il ajouté, Dieu n’aurait pas laissé
les Tutsis mourir.

L’église de Nyange n’existe plus ; à part des gravats et quelques briques, il n’en reste
littéralement rien. Si considérable qu’ait été la contribution des autres, la responsabilité finale du
nombre de victimes de la destruction de l’église incombe à l’abbé Seromba. Toutes les personnes
qui ont témoigné pour ce rapport rejettent carrément toute la responsabilité sur lui. Rushema déclare
:
Je pourrais évaluer le nombre de morts de la paroisse à 2.500. Si Seromba n’avait pas donné sa
permission, l’église n’aurait pas pu être détruite. C’est lui qui a dit : “Qu’on la détruise, on en
reconstruira une autre après la guerre”. Il est donc le principal auteur de cette destruction et le
coupable de la mort des réfugiés qui se trouvaient dans cette église.

Charles Kagenza a une question pour l’abbé Seromba.
Seromba ne peut pas dire qu’il était menacé par les miliciens parce qu’il était plutôt comme leur
chef. Si vous voulez plus de preuves, allez regarder le presbytère. Il est toujours intact. Comment a-til pu faire détruire la maison de Dieu, alors que la sienne n’a été touchée par aucune pierre ?
Comment peut-il expliquer ça ? Non, ce prêtre est coupable de génocide.

Froduald est du même avis que Charles.
Si Seromba n’avait pas donné la permission de détruire l’église, elle serait intacte aujourd’hui. Il a
pris la décision finale.

Un enterrement douloureux
Étant donné qu’un nombre énorme de réfugiés qui étaient venus à la paroisse étaient à présent
morts, la tâche suivante devait être de déblayer le site du massacre. Les bulldozers d’Astaldi furent
encore utilisés, cette fois pour creuser des fosses communes où mettre les cadavres. Le chauffeur,
Anastase, explique.
Notre responsabilité était de creuser les fosses. Le prêtre a payé les villageois pour enterrer les
cadavres.

Canisius explique pourquoi il n’y eut pas de messe le dimanche 17.
Il y avait encore beaucoup de cadavres étendus là-bas. L’abbé Seromba et le bourgmestre,
Ndahimana, ont encouragé les habitants à prendre part au umuganda, ou travail communal, à
enterrer les cadavres. Les machines avaient creusé des fosses communes à Vungu et à côté de la
paroisse.

Mais l’enterrement ne fut pas du tout tâche aisée, comme l’explique Anastase Rushema.

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Il était tellement difficile de séparer les cadavres des briques qu’il a fallu trois jours pour les enterrer.
Pendant l’enterrement, on a retrouvé des gens sur le point de mourir ou des blessés. Ils ont été
emmenés au presbytère. Seromba les a chassés de là. Il a dit que ces blessés apportaient une odeur
nauséabonde dans sa maison. Ils ont été relogés au centre de santé de Nyange.

Froduald a parlé des personnes auxquelles Seromba se référait comme à des “fantômes”.
Pendant l’enterrement, les Caterpillars soulevaient des cadavres entremêlés de survivants. Les
survivants étaient mis d’un côté. L’un des chauffeurs les a conduits chez Seromba, au presbytère.
Seromba les a renvoyés, disant qu’il ne voulait pas de fantômes. Ils sont partis au centre de santé de
Nyange.

Ceux qui avaient été payés pour tuer les réfugiés furent également rémunérés pour
débarrasser le site de leurs corps, selon Rushema.
Après l’enterrement, Seromba a donné de l’argent aux gens d’Astaldi. Les gens de Kibilira, qui
avaient été d’un grand soutien dans les massacres de Nyange, ont été aussi récompensés, avec de
l’argent et du bétail.

Les survivants livrés
Le soir du 16 avril, selon Froduald, il ne restait pas “plus de 50 survivants”. La plupart étaient des
femmes et des enfants, ainsi que quelques hommes âgés. Lors de l’enterrement des cadavres, on
découvrit également quelques personnes qui respiraient encore. Sur les ordres de l’abbé Seromba,
ces personnes furent emmenées au bureau communal. Les blessés, qui avaient été conduits au centre
de santé, y furent également transférés. Anastase Rushema se souvient :
C’est Seromba qui leur avait dit d’aller au bureau communal.. Il avait dit qu’ils seraient en sécurité
là-bas. Il y avait des blessés et d’autres qui ne pouvaient pas marcher. Comme ils n’avaient pas le
choix, ils étaient partis au bureau communal. J’ai vu ça alors que j’étais parti rendre visite à un
malade au centre de santé.

Le 20 avril, une réunionla marque du génocide à Nyangefut organisée pour discuter du
sort des survivants des massacres de Kivumu. Le bourgmestre et l’abbé Seromba s’y trouvaient,
ainsi que tous les conseilleurs locaux. André Nkezabera, le conseiller de Kibanda, était lui aussi
présent.
L’abbé Seromba y a participé, lui aussi. Il y avait deux points à l’ordre du jour. Le premier était de
nous faire savoir, d’une manière officielle, que les biens des Tutsis avaient été nationalisés. Le
deuxième point était l’opération de ratissage. En d’autres termes, nous devions chercher l’ennemi—
le Tutsi—où il se cachait pour le tuer. Seromba nous a dit qu’il y avait des Tutsis qui s’étaient
échappés de l’église au moment de sa destruction. Pour lui, nous devions les retrouver à tout prix et
les mettre à mort. Selon Seromba, s’ils n’étaient pas tués, la victoire éventuelle du FPR pouvait être
fatale pour les Hutus. C’était la théorie de Seromba.

La théorie fut mise en pratique dès la clôture de la réunion.
L’opération de ratissage avait immédiatement commencé. A la sortie de cette réunion, nous avons
rencontré les Tutsis délogés du centre de santé. Ils étaient conduits par les interahamwe de
Ndungutse. Ils les ont mis au centre commercial de Nyange. Ensuite le bourgmestre et Seromba ont
ordonné aux interahamwe d’enlever cette “saleté” afin d’éviter la puanteur dans leur ville. Les
interahamwe ont tout de suite commencé à les découper à la machette sous le regard amusé de ces
soi-disant autorités et hommes d’Eglise.

Rushema était lui aussi présent à la réunion et en connaissait les conséquences.

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Seromba et le bourgmestre avaient organisé une attaque pour tuer les gens du bureau communal. Ils
les ont enlevés du bureau communal pour aller les massacrer dans la forêt, à un endroit appelé
Kubyapa. J’étais là-bas pendant que cette attaque se préparait.

Le policier communal qui joua un rôle crucial dans les massacres, Niyitegeka, avait reçu
l’ordre de surveiller les rescapés. Il a décrit la manière dont ils furent assassinés.
Vers la fin du mois d’avril, l’abbé Seromba, Ndahimana et Kayishema sont venus au bureau
communal. J’assurais la sécurité. Ils m’ont demandé de leur remettre les survivants de l’église. Ils les
ont emmenés dans une forêt un peu éloignée du bureau communal. Ils y avaient laissé des
interahamwe avant de venir chercher les réfugiés. Ces interahamwe ont aussitôt commencé à
découper les réfugiés en morceaux. Ils les ont tous exterminés. Seromba portait une soutane et
conduisait une Suzuki.

Même parmi les personnes qui avaient pris part aux massacres commis à la paroisse, la
décision de trahir ces quelques survivants semblait dure, selon Canisius.
L’abbé Seromba avait fait sortir tous ceux qui avaient tenté de fuir ou de se cacher à la paroisse.
Parmi ceux–ci, il y avait le vieux Anicet Gatare qui avait même donné de l’argent aux interahamwe
afin qu’ils le tuent sans le torturer. Il y avait aussi l’ami de Seromba, Kayiranga, avec sa femme et
ses enfants. Il les a fait sortir, les a lui-même livrés aux tueurs. Les enfants ne comprenaient rien à ce
qui se passait et le suppliaient de les épargner. Mais il leur a dit d’aller rejoindre leurs parents. Cette
scène a choqué même les Hutus qui étaient présents, car ils savaient que l’abbé Seromba était un ami
de cette famille.

Niyitegeka dit qu’il vit Seromba à d’autres occasions démontrer son engagement
concernant le génocide.
L’abbé Seromba a continué à manifester sa méchanceté. Parfois il gardait les barrières à Kubyapa,
surtout les soirs, pour vérifier s’il y avait éventuellement un Tutsi qui y passerait. Je l’ai vu à deux
reprises. Cette barrière avait été érigée par Kayishema dans le but d’empêcher les Tutsis de Gitarama
d’aller se réfugier à Kibuye. Ils demandaient aux gens leurs cartes d’identité et tout Tutsi était tué
automatiquement. Je n’ai jamais vu l’abbé Seromba tuer à la barrière, mais il était présent quand on
tuait les gens. Il venait souvent à cette barrière sur une moto avec un fusil R4, vêtu d’une veste noire
et d’un pantalon kaki.

Mbakirirehe remarqua lui aussi Seromba au barrage routier.
Un jour, alors que je me rendais au centre commercial de Nyange, j’ai vu Seromba et l’inspecteur de
police judiciaire Kayishema, à un endroit nommé Kubyapa. Ils étaient en train de demander les
cartes d’identité. Tout Tutsi était jeté dans un fossé avoisinant. Ce jour-là, Seromba avait un fusil et
une moto Suzuki.

Comme s’il ne s’était rien passé
La quasi-totalité des Tutsis de Kivumu avaient désormais été enterrés dans des fosses communes à
proximité de la paroisse, et l’abbé Seromba continua simplement de s’acquitter de ses fonctions de
prêtre comme auparavant. Selon Canisius :
Seromba ne donnait pas du tout l’impression d’être perturbé par ce qui s’était passé ; il nous disait
que c’était la volonté de Dieu. Il a continué à mener une vie normale. Il célébrait des messes,
bénissait des mariages, malgré le fait qu’il avait livré des enfants aux tueurs. Mais il ne sortait jamais
sans son fusil.

A part le fait que Seromba était bien armé, Papias ne remarqua chez lui aucun changement,
ni dans son attitude ni dans ses actes.

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Bulletin d’accusation nº2
L’abbé Athanase Seromba
Les prêtres ont ensuite continué à mener une vie normale. Ils priaient et célébraient des offices dans
un bâtiment normalement destiné à la cathéchèse prébaptismale. C’était comme si rien ne s’était
passé. Cependant, l’abbé Seromba ne se promenait jamais sans le fusil que le colonel
Nzapfakumunsi lui avait donné.

La messe dominicale donna à l’abbé Seromba l’occasion de parler des tueries qui avaient eu
lieu. Callixte Mudahumuka, homme d’affaires de Nsibo, à Nyange, se souvient de ses paroles.
L’abbé Seromba a continué à officier la messe après que tous les Tutsis de Nyange et des secteurs
environnants aient été tués. Pendant la messe, il avait l’habitude de nous dire que la mort des Tutsis
était normale.17

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Témoignage recueilli à Nyange, le 18 juin 1999.
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