Citation
ITW :
MUDAHUNGA Vianney (CRAP)
Date : 17/01/2003
Lieu : Rutonde
Time code
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Texte
Cassette n° 102 ( Original : oo6)
Mon nom est Mudahunga Vianney. J’ai 35 ans. Je suis né dans l’ancienne
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commune Rutonde, actuellement ville de Rwamagana.
Quelle était ton occupation, de 1990 à 1994 ?
En 1990-1994, j’étais militaire.
Dans quel corps d’armée ?
J’étais dans le bataillon paracommando.
Peux-tu nous raconter ta vie dans l’armée, tes rapports avec les soldats
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français, quelle était la situation avant et durant le génocide ?
Avant 1990, les Français que je voyais, c’est ceux qui nous entraînaient,
ceux qui nous emmenaient faire des sauts en parachutes. Au retour des
exercices, ils retournaient dans leurs bureaux et nous, nous retournions
nous occuper de nos affaires. Lorsque la guerre a éclaté, nous, nous
sommes allés nous battre et ces Français qui nous entraînaient, je ne sais
pas à quoi ils s’occupaient là. Au milieu de la guerre en 1992, c’est là
qu’ils on créé le peloton CRAP. Alors, moi et quelques autres
paracommandos, on a quitté le bataillon paracommando pour rejoindre le
peloton CRAP. Ce peloton a été formé par les soldats français qui se
trouvaient au Rwanda et on allait ensemble en opérations, jusqu’en 1994,
le premier, non le six avril, lorsque le génocide a débuté. Nous formions
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toujours le CRAP.
Combien étiez-vous dans votre peloton CRAP ?
Nous étions 42.
Te souviens-tu des noms de vos formateurs ?
Il y avait parmi eux un major que l’on appelait Reffalo. Il y avait aussi
l’adjudant principal Robinet (Robinier ?). Il y avait également un certain
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Jean-Michel qui devait être adjudant si je me rappelle bien.
Tu ne connais pas son autre nom ?
Non. On ne retenait en général qu’un seul nom. Jean-Michel, il s’appelait.
Il y en avait un autre aussi, qui a fini par être rapatrié, on l’appelait Gain.
C’est comme ça qu’on l’appelait. C’est ceux-là qui travaillaient avec nous.
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Quel était son grade à ce Gain ?
Je ne me souviens pas de son grade. Pas du tout.
De quand à quand vous ont-ils dispensé des entraînements ?
De CRAP ? Je ne me rappelle pas le mois où nous sommes partis, sauf que
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c’était en 1992. La formation a duré quatre mois.
Vous avez continué à opérer ensemble jusqu’à quand ?
Alors, nous avons continué opérer ensemble dans ce peloton jusqu’au jour
du six avril ; on était encore ensemble. On s’est séparés ce jour-là, car on
est alors entrés dans des combats très désordonnés, de telle sorte qu’il nous
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était impossible de se retrouver.
Ils ne vous ont plus accompagnés au front depuis ce jour-là ?
Non. Depuis ce jour-là, ils ne nous ont plus accompagnés.
Et avant ? Comment collaboriez-vous ? Jusqu’au six avril, que faisiez-vous
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ensemble, quelles opérations meniez-vous etc. ?
Normalement, avant cette date, nous faisions…lorsqu’ils recevaient des
renseignements sur un lieu où nous nous pouvions aller chercher des
informations sur la situation, alors on disait cela à ces Français qui étaient
nos chefs et c’est ces derniers qui venaient donner mission à nos officiers
en disant par exemple : « Là-bas à Kiyombe, on dit qu’il y a une
infiltration des inkotanyi. Vous devrez prendre une section de 12
personnes, prenez tout le matériel nécessaire et on y va, on va voir s’il y a
vraiment un infiltration, si c’est nécessaire, on les éliminera (ceux qui se
sont infiltrés), et si seulement on a besoin de recueillir des renseignements,
on ne fera que cela. » Alors il arrivait que l’un d’entre eux nous
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accompagne. Mais arrivés sur le terrain, il revenait en arrière.
Il rentrait sans avoir vu le résultat de l’opération ?
Il n’y restait pas. Nous y arrivions, il nous plaçait, nous mettait en position,
nous indiquait comment nous allions y passer la nuit, le temps que nous
devions y passer...nous amenions avec nous des rations de combat, et après
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ça, il s’en retournait.
Et ça se passait comment la fin de la mission ?
Là, il nous donnait par exemple trois jours. Nous observions pendant ces
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trois jours et au bout de ce temps, nous rentrions.
Et au retour, à qui faisiez-vous rapport de votre mission ?
À notre chef. Tu vois, dans l’armée, il y a une hiérarchie. Nous avions un
lieutenant qui était notre chef. il était notre chef de peloton et c’est à lui que
nous faisions rapport. Il s’appelait Kanyamikenke. C’était lui notre chef.
Nous lui rendions compte et c’est lui qui à son tour allait transmettre aux
chefs Français. J’ignore si eux transmettaient à l’état-major ou au
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commandant du Bataillon.
Quels étaient les équipements qu’ils vous avaient donnés ?
Ils nous avaient donné de fusils munis de jumelles avec lesquelles on voit
la nuit. Avec ce genre de fusil, tu tires la nuit sur ta cible en la voyant
parfaitement. Nous avions également des jumelles infrarouges que l’on
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prenait à la main. En fait, il n’y avait que ça comme matériel spécial.
Vous aviez donc deux sortes de jumelles ?
Il y en avait que l’on plaçait sur le fusil, pour tirer, il y avait également les
jumelles que l’on place devant les yeux pour observer, mais qui
permettaient de voir la nuit. C’était tout. Sinon, nous avions des fusils L 4
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comme tous les autres militaires.
Est-ce que l’on pouvait adapter ces lunettes de tir sur les L 4 ?
Non. Leurs jumelles, c’était avec leurs fusils à eux. Ils nous avaient donné
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l’ensemble.
Donc chaque CRAP avait reçu ce genre de fusil des Français ?
Non. Il n’y en avait pas beaucoup. Ils en avaient donné à peu près trois
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pour chaque section.
C’était quelle marque ?
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C’était des carabines…Et on y adaptait une lunette de tir de nuit.
Quels étaient, dans le détail, les entraînements que les Français vous
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donnaient ?
Mais vous savez…il n’y avait rien de très spécial…c’était seulement
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accentuer ce que nous savions déjà. C’était pour se rendre compte de nos
performances réelles. On nous faisait faire un entraînement plus prolongé
que celui des autres, pour être très habitués. Sinon nous faisions de la
tactique. Puis nous faisions du sport, puis le tir. Les exercices de tir étaient
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très fréquents. Nous tirions sur des cibles et il fallait faire mouche.
Comment vous faisiez ?
Le fusil a des parties qui te permettent de l’orienter où tu veux. C’est cela
dont on se servait. Durant les exercices, même lorsque nous apercevions un
oiseau, nous le visions et le descendions. Ils te mettaient un ballon en
plastique dans un buisson et tu le faisais éclater. Beaucoup d’exercices
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quoi !
Alors, c’était plus que les entraînements pour les militaires ordinaires ?
Quoi qu’il en soit, c’était les mêmes exercices. Sauf que pour nous, c’était
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plus intensif, de façon à posséder le réflexe.
Quelles étaient vos missions ?
Notre peloton n’était pas d’habitude chargé de combats. C’était un peloton
de recherche de renseignements. Nous pouvions nous battre lorsque cela
devenait nécessaire, lorsque nous devions nous défendre. On pouvait se
retrouver encerclés là où on était allés s’infiltrer. Dans ce cas-là, on se
battait pour sortir du piège. Sinon, la mission que l’on nous confiait, c’était
de nous dire, dans ce coin là, il y a une arme qui tire sur nos positions, mais
nous ne savons pas exactement à quel endroit il est posté et comment est
cet endroit. Alors il s’agissait pour nous d’approcher par des détours le lieu
pour voir exactement où était cette arme. On approchait, on identifiait
l’arme, on relevait le nombre de soldats qui la protégeaient, quelles autres
armes ils avaient, quel itinéraire prendre pour les attaquer etc. Après on
revenait, et on décrivait comment était la situation.
Ou alors les gens disaient : « Les inkotanyi passent par ici ». Alors on y
faisait le guet pour vois qui y passait : était-ce un seul infiltré, un par un, ou
était-ce une compagnie entière ? Pour savoir ce qu’ils voulaient. Ou alors
on disait : « Là bas sur cette colline en face, c’est là qu’ils entraînent leurs
soldats. » Alors, il fallait y aller pour voir s’ils y étaient réellement.
Vérifier leur nombre, chercher un passage pour les attaquer, quels
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armements peut-on utiliser pour ça. C’était ça nos missions.
Où avez-vous été le plus loin dans vos missions ?
Nous avons été jusqu’en Ouganda, à Kamwezi ; nous avons été à Mulindi
aussi, là où se trouvait le Quartier général du FPR. Également dans les
volcans…C’est là que nous avons été le plus loi. Autrement, on était dans
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Kiyombe, Kivuye… assez près...
Kamwezi en Ouganda, c’est près de la frontière ?
oui. Tout près de la frontière. C’est comme tu vois cette colline en face de
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nous.
Alors, qu’y avez-vous fait ?
C’est vrai qu’il y avait un camp militaire des inkotanyi. Et c’était aussi vrai
qu’ils y entraînaient leurs recrues. Nous avons été là bas, nous y avons vu
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des recrues.
Vous y avez vu des soldats ?
Oui. Nous les avosn vus.
Vous y étiez allés avec des militaires français ?
Non. Nous sommes partis ensemble avec ces derniers jusqu’à la frontière.
Et là, ils nous ont montré l’objectif, nous ont donné le matériel dont nous
aurions besoin, et puis, ils nous ont dit : « Bonne chance, on se verra à
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votre retour ».
Au cours de ces missions de reconnaissance, lorsque vous atteigniez
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l’objectif, vous vous battiez ?
Non. Mais parfois il arrivait que nous soyons obligés de nous battre. Par
exemple, une fois que l’on est allés au QG du FPR à Mulindi…des fois
vous arrivez et les gens vous reconnaissent. Dans ce cas, pour s’en sortir, il
faut tirer. Vous tiriez pour vous frayer une sortie. Évidemment, les autres
répliquaient aussi et certains étaient tués, d’autres blessés, d’autres
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arrivaient à s’échapper…
Tu m’as dit que vos instructeurs Français étaient là jusqu’au 6 avril ?
Le 6 avril, ils étaient toujours là. Et ils ne sont pas partis cette nuit-là.
Au cours de cette nuit où l’avion de Habyarimana a été abattu, qu’avez-
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vous fait juste après cet attentat ?
Après la chute de l’avion, ils ont sonné le clairon de guerre. Nous avons
tout de suite rejoint le camp et le peloton CRAP a immédiatement reçu son
armement, chacun savait quel équipement prendre, et on nous a dit :
« Partons ». immédiatement on est allés à la résidence de Habyarimana.
Arrivés là-bas, nous y avons trouvé la GP habituelle. Les GP étaient en
alerte maximum, prêts à riposter à une éventuelle attaque. Nous nous
sommes mis tout de suite à a éteindre les flammes de l’épave de l’avion. Ils
ont alors appelé quelques-uns des GP et nous sommes entrés dans
l’enceinte de la résidence, car l’avion était tombé dans l’enceinte même de
la résidence. Nous avons commencé à ramasser les corps et à les mettre à
l’intérieur de la maison. Ceci terminé, nous sommes restés avec les GP à
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faire la défensive de la résidence.
Parce que vous craigniez une attaque ?
Oui. Nous pensions qu’il se pourrait qu’il y ait aussi une attaque contre la
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résidence. Alors, nous avons fait la défensive de la résidence.
Combien de temps s’est écoulé entre la chute de l’avion et votre arrivée à
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la résidence ?
Pas plus d’une vingtaine de minutes. En 20 minutes à peu près, on y était
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déjà.
Qui vous accompagnaient parmi les Français ?
Celui que j’ai vu, c’est Reffalo.
Le major ?
Oui, le major. C’est lui que j’y ai vu.
Vous y êtes arrivés ensemble ou vous y a-t-il précédé ?
Non. Il est venu juste après nous. Sauf le lieutenant Kanyamikenke. Lui il
est venu et a ouvert pour nous le magasin, nous avons pris les armements et
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tout de suite nous nous sommes rendus avec lui chez Habyarimana.
Et Reffalo est venu ensuite ?
Reffalo nous a rejoints là.
Il est venu tout seul ou il était accompagné ?
Il était tout seul…enfin je ne sais pas s’il était tout seul, mais lorsque nous
étions là à ramasser les cadavres, c’est le seul que j’ai vu, qui s’entretenait
avec Kanyamikenke. Si les autres se trouvaient dans d’autres coins…je ne
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sais pas s’il est venu avec d’autres.
Il n’y avait pas Bagosora dans le coin ?
Chez Habyarimana ?
Oui.
Non il n’y était pas.
Quand est-ce qu’il y est venu ?
Bagosora, je ne l’ai pas vu chez Habyarimana.
Normalement, en cas d’accident d’un avion, q’il soit militaire, civil ou
présidentiel, les gens, pour rechercher les raisons de cet accident, ramasse
les pièces, recherchent la boîte noire etc. Tu n’as pas entendu dire comment
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cela s’est passé, s’il y a eu des gens qui sont venus chercher des indices… ?
S’il y a eu des gens qui sont venus rechercher des indices, ils sont venus le
lendemain. Mais cette nuit-là, je n’ai vu personne. Car après avoir ramassé
tous les corps et les avoir mis à l’intérieur de la maison, nous avons
encerclé la résidence. Moi je me trouvais dans un lieu où je surveillais
l’entrée. Car là il y avait un énorme va-et-vient de véhicules qui entraient et
sortaient : véhicules militaires, des voitures ressemblant à celles des
civils… Je ne peux pas te dire ce qu’ils venaient faire. Même s’ils sont
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venus et ont pris cette boîte noire- je ne la connais pas- je l’ignore.
C’est à dire que, après avoir ramassé tous les corps et encerclé la clôture de
résidence pour la protéger, il y a eu une grande circulation de véhicules
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dans la résidence ?
Des véhicules militaires entrant, des véhicules civils sortant, ainsi de
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suite…
Vous n’aviez pas en fait le contrôle des lieux ?
Non. L’entrée était contrôlée par la GP. C’est elle qui a continué à avoir le
contrôle de l’entrée. Nous, on s’est joints aux GP, nous nous sommes
intercalés dans leur dispositif habituel sur tout le pourtour de la résidence.
Quant au contrôle des véhicules entrant dans la résidence et en sortant,
c’est eux qui ont continué à l’effectuer. Je voyais donc les véhicules mais
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ne savais pas qui et qui se trouvaient à l’intérieur.
Revenons un peu en arrière. Avant ton entrée dans le peloton CRAP,
lorsque tu étais simplement dans le bataillon paracommando, c’était en
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1990…Quand est-ce que tu t’es engagé dans l’armée ?
En 1987.
Quand est-ce que tu as vu les militaires français pour la première fois ?
Mais ceux-là qui s’occupaient de la formation para, je les ai trouvés à
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Kanombe lors de mon enrôlement dans les paras en 1989.
En 1989, tu étais déjà militaire, car tu t’es engagé en 1987.
En 1987. Mais on commençait par Bugesera, puis Bigogwe, et c’est après
ça que l’on vous affectait dans une unité. Alors, c’est en 1989 que j’ai été
affecté au bataillon paracommando à Kanombe et que j’y ai trouvé les
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Français.
Peux-tu nous parler un peu de ce bataillon para en 1989, sa structure, ses
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entraînements, la formation donnée par les Français ?
À vrai dire ces Français, sauf qu’on les voyait là, ils ne faisaient pas grand
chose pour nous, sauf qu’ils collaboraient avec les échelons supérieurs.
Sinon pour ce qui est des exercices de para, c’est les nôtres qui nous
entraînaient, les instructeurs que les Français avaient formés et qui s’y
connaissaient. Seulement, lors des exercices de saut en parachute, les
Français venaient eux aussi. Mais alors ils ne nous disaient rien, ne nous
faisaient rien faire. Ils étaient là, nous regardaient, nous accompagnaient à
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bord de l’avion, sautaient avec nous.
À qui appartenaient les avions que vous utilisiez ? Au Rwanda ou à la
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France ?
Il y avait des jours où il venait un avion, je ne sais pas s’il appartenait aux
Belges ou aux Français. C’était un gros avion militaire. Je ne sais quel
chargement il amenait. Il arrivait de temps en temps, restait à Kanombe une
nuit, le lendemain matin on embarquait à son bord et il nous larguait pour
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ensuite repartir.
Quelle était sa provenance, le pays où il était stationné habituellement ?
Je l’ignore. Je ne sais pas d’où il venait. Mais normalement il y avait un
avion à nous. Il était là depuis longtemps, je ne sais pas où ils l’avaient
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trouvé.
En 1990, lors de l’attaque du FPR, des soldats français sont venus. C’était
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l’opération Noroît. Le nom ne te dit peut-être rien… ?
En 1990 ?
En 1990. Au mois d’octobre. Lors de l’attaque du FPR. Tu sais que des
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militaires français sont venus tout de suite après au Rwanda ?
Non. Ce n’était pas en 1990.
Les inkotanyi ont attaqué le 1er octobre 1990, n’est-ce pas ?
oui.
Deux ou trois jours après, beaucoup de soldats français sont venus, dont
des paras, des légionnaires, je te le dis car je les ai personnellement vus.
Qu’est-ce qui s’est alors passé ? Comment avez-vous collaboré avec eux en
ce moment là ? Ce sont ces mêmes soldats qui ont dû quitter le pays suite
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aux accords d’Arusha.
Vous dites qu’ils sont arrivés trois jours après ?
Tu te rappelles le jour où l’on disait que les inkotanyi ont attaqué Kigali ?
N’était-ce pas le 4 octobre lorsque nous avons tiré…ils ont tiré dans
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Kigali ?
Oui. Comment ça s’est passé ?
Mais, cette nuit au cours de laquelle ils ont tiré dans Kigali, nous étions
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revenus du Mutara en ce moment-là.
Vous, vous combattiez au Mutara en ce moment-là ?
En ce temps là, le 1er, on est allés tout de suite au Mutara. Là-bas, il y avait
beaucoup de confusions et nous sommes revenus à Kigali, au camp. Alors
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c’est le 4 qu’ils ont tiré toute la nuit. Nous aussi nous avons tiré.
Sur qui vous tiriez ?
Personne. C’était la confusion. Peut-être que c’était dû à la peur, je ne sais
pas à quoi les gens se livraient. Chacun prenait son fusil et lâchait des
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rafales.
On ne vous a pas dit de tirer ?
Non. Il n’y a vraiment pas eu de commandement de tirer. On était
rassemblés là, on ne s’était pas couchés, on était tout autour du camp, et
cette histoire de tirs, je ne sais pas où ça a commencé et puis, chacun dans
son coin, peut-être par peur, s’est mis à tirailler. Sinon, durant ce temps,
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rien…
Par après, tu as certainement vu des soldats français, dans plusieurs coins.
Il y a eu des Français de l’Opération Noroît qui disaient venir pour
rapatrier les étrangers. Ces Français se sont battus contre les inkotanyi à
plusieurs reprises. C’est pourquoi les accords d’Arusha exigeaient leur
retrait en 1993. Je ne sais pas si l’on vous mettait au courant, mais
j’imagine que les soldats français vous les voyiez ? Tu ne les voyais pas
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toi ?
Seulement ce que je sais, je me rappelle que ceux là qui sont venus pour
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évacuer les étrangers (interruption à cause des bêlements d’une chèvre)…
Ces Français de Noroît, si tu te rappelles, tu nous en parles, sinon tu laisses
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tomber.
Ces Français, je sais qu’ils sont venus mais pas à Kanombe, et on n’a rien
fait ensemble. En cette date du 4, nous étions à Kanombe, nous y avons
passé la journée du 5 et le 6 on est retournés au Mutara dans les combats.
Nous n’avons pas collaboré avec les soldats français en ce moment-là.
Alors s’ils étaient venus pour évacuer les gens ou s’ils faisaient autre
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chose, ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait en ville et ailleurs aussi…
On disait aussi qu’ils protégeaient la ville !
Oui. Protéger la ville ! Car en ce temps-là, on a quitté Kanombe pour nous
rendre au camp Kigali y prendre quelques équipements et, en y allant, nous
avons vu les Français à Kanogo, dans le rond-point. Il s y avaient arrêté des
gens. Nous sommes passés, nous n’avons rien fait en semble pour que je
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puisse vous dire ce qu’ils faisaient.
Pourquoi ils arrêtaient les gens ?
Tu vois vraiment, on était dans des véhicules militaires, ils les laissaient
passer, ne les arrêtaient pas. Mais je voyais que les gens étaient arrêtés
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ainsi que les véhicules civils, je ne savais pas ce que c’était.
C’était quel mois, quelle date ?
C’était en octobre. Le 5. car le 6 on est partis au Mutara.
Ils ne sont jamais venus au front ?
Au front, ils ont fini par y venir, mais plus tard, en 1993.
Peux-tu nous en parler un peu ?
En 1993, d’autres soldats français sont venus, mais pas ceux-là qui nous
employaient. Et ils sont même venus avec d’autres genres d’armes que
nous n’avions pas, des canons 105. les canons 105, c’est eux qui les ont
amenés, en ont appris le maniement à nos militaires, puis sont allés leur
montrer comment ils fonctionnaient, à Byumba. Ils les ont utilisés à
Byumba. C’était eux qui les maniaient. Ils y sont restés une semaine
environ, au front, en tirant avec ces canons, puis ils sont partis et les ont
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laissés aux soldats rwandais.
Ils les ont laissés aux militaires rwandais ?
Oui. Ils les leur ont laissés et sont rentrés à Kigali.
Il n’y en a pas qu’ils auraient amenés puis ramenés chez eux ?
Non. Ils n’en ont pas ramenés. Sauf les armes individuelles que chacun
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utilisait, celles-ci ils les ont gardés.
Avant cette période de 1993 dont tu nous as parlé, il n’y a pas eu de soldats
français au camp Kanombe qui donnaient une formation de tir, non
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seulement aux paracommandos, mais aussi à d’autres soldats rwandais ?
Il n’y a pas eu d’autres français instructeurs à Kanombe.
Ces Français qui étaient avec vous, comment considéraient-ils vos
adversaires les inkotanyi ? Les voyaient-ils comme des ennemis ou comme
des gens envers qui ils n’avaient aucune animosité particulière. Pour eux,
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ils étaient là pour quoi ?
Ah non ! Écoutez, tout militaire reste militaire. Et le camp dans lequel ils e
trouve, c’est son camp, il le croit ainsi. Et donc ils venaient, ils se
considéraient comme des soldats rwandais, estimaient qu’ils devaient
combattre ces inkotanyi-là. Alors, ils étaient là à nous dire que nous
devions combattre ceux-là, que nous devions gagner, à nous indiquer ce
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que nous devions faire pour cela, etc.
Lorsque vous étiez battus, ils étaient tristes ?
Tristes, bien sûr. « Pourquoi n’avez-vous pas fait comme ceci, qu’est-ce
qui s’est passé ? » Ils passaient alors au crible ce que nous avions fait au
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Q
R
combat.
Tu n’as jamais été t’entraîner au camp Bigogwe ?
(Demande d’interruption par l’interviewé, gêné par une présence
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Q
R
indésirable).
Je te demandais si tu n’avais jamais été t’entraîner au camp Bigogwe.
Sauf au début, lorsque nous faisions la formation militaire initiale. C’était
un passage obligé pour tous.
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C’était avant 1990.
Oui. Avant 1990. c’était en 1998.
1988 plutôt !
Oui. 1988.
Donc tu ne sais pas ce qui s’y est passé après ?
Non, vraiment. Je n’y suis plus jamais retourné.
Les entraînements des soldats Burundais à Bigogwe, ou ailleurs au
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R
Q
R
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Rwanda, tu en as entendu parler ?
Des Burundais au Rwanda ?
Oui. Des soldats burundais.
Ça je n’en ai vraiment pas entendu parler. Pas de Burundais au Rwanda !
En fait, toi tu étais en permanence au front ?
Je me trouvais au front, car le bataillon para a eu beaucoup de boulot et je
Q
n’ai pas eu l’occasion d’entendre ces choses-là.
Avant le génocide, c’est-à-dire avant la destruction de l’avion de
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Habyarimana, quel était le climat social au Rwanda et quelle était l’attitude
00 :31 :14
R
des soldats français à l’égard de ça ?
Mais avant le génocide, il n’y avait rien d’autre que d’avoir à l’œil les
inkotanyi et les ibyitso. C’était des choses que l’on voyait bien que les gens
s’en étaient pénétrés. Sinon ces Français, ils venaient et faisaient des tâches
militaires. Ils faisaient des tâches militaires. Je les voyais, ils étaient logés à
l’aéroport. Certains d’entre eux étaient logés à l’aéroport. Nous faisions du
cross et arrivions par là, où nous faisions des exercices physiques avec eux
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00 :32 :05
Q
et puis nous retournions au camp Kanombe.
Quelle était l’attitude des Français dans la période qui a précédé le
R
génocide ?
Avant le génocide, les soldats français s’occupaient à des tâches militaires.
Ils faisaient des entraînements, allaient aux exercices de tir. Seulement
moi, je ne les ai pas vus se rendre dans une mission particulière à eux seuls
pour se battre. Même au sein de la population, ils ne faisaient rien, tu les
voyais dans leur coin où ils étaient logés. Et même pour les (soldats)
Rwandais qui étaient concernés par les combats, il s’agissait de se battre
contre les inkotanyi, tandis qu’ici à l’intérieur du pays, ils recherchaient les
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Q
R
Q
ibyitso (complices des inkotanyi).
Même les Français recherchaient les ibyitso ?
Non. Les Français non. Je veux parler des Rwandais eux-mêmes.
Tu as dit que parfois vous faisiez des exercices physiques avec eux à
l’aéroport. Peux-tu nous dire comment étaient leurs positions là-bas, à
00 :33 :10
R
l’aéroport ?
Nous allions à l’aéroport une fois par mois environ. Sinon nous y allions
pour aller faire des sauts avec ces Blancs du CRAP. Alors, là à l’aéroport,
nous les trouvions. Nous les voyions dans leurs maisons, ils se mettaient en
tenue, défilaient et s’en allaient. Là je ne savais pas quel était leur planning
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Q
de la journée.
Cela veut dire que le 6 avril, lors de la chute de l’avion, il y en avait parmi
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eux qui se trouvaient encore à l’aéroport ?
Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas s’il y en avait encore à l’aéroport.
Mais certains n’étaient pas encore rentrés ?
Seulement…non… !
Seulement ?
Je ne peux pas affirmer qu’ils n’étaient pas encore rentrés, mais je savais
qu’ils étaient là. Mais j’ignore s’ils étaient toujours là où s’ils étaient partis.
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Q
R
Mais je les avais vus la dernière fois que j’y avais été.
Tu ne voyais pas des Français dans la tour de contrôle ?
Non. Tu vois, je ne pouvais pas entrer dans ce lieu. Eux, ils se trouvaient
plus haut, dans un coin du terrain et c’est là qu’ils étaient logés. Ils ne se
trouvaient pas près de ce bâtiment. Ils ne s’approchaient pas de ce
00 :34 :34
Q
bâtiment.
Parfois durant les combats, certains militaires peuvent se battre sans
disposer de moyens de communication. Vous, quels étaient vos moyens de
communication ? Quel rôle jouaient les soldats français dans vos moyens
00 :34 :51
R
de communications ?
Les Français, le rôle qu’ils avaient, il y avait une radio qu’ils nous avaient
apportée au CRAP. Ceux-là qui venaient au pays (Noroît), leur matériel
moi je ne m’en approchais pas. C’était du matériel de Blancs, à part,
extrêmement performant. Mais je peux parler de ce que nous utilisions au
CRAP. Ils nous ont donc donné une radio, très puissante part rapport à
celle que nous avions, et ce Robinet (Robinier ?) l’utilisait en nous disant
qu’il était en communication avec les gens de chez lui, en France. C’est
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Q
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Q
cela.
Vous les entendiez se parler ?
Tout-à-fait. Ils se parlaient.
Ils parlaient de quoi ? de l’armée et de la guerre ?
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R
Je ne sais pas. D’autant plus que dans l’armée, on parle un certain jargon,
avec des mots codés, abrégés, et donc tu ne peux pas savoir ce qu’ils
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Q
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Q
disent.
Cette radio, vous vous déplaciez avec ?
Oui. On la débranchait et on l’emportait.
Qui en était l’opérateur, chargé d’écouter et de transmettre les messages, de
00 :36 :02
R
son entretien… ?
Il y avait parmi eux un officier qui était désigné, c’est lui qui l’avait avec
Q
R
lui. C’est lui qui s’occupait de capter les messages…
Donc, vous étiez avec Robinet et c’est lui qui portait la radio ?
Nous partions avec Robinet et c’est lui…non, c’était pas nécessaire que ce
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00 :36 :17
soit lui qui la transporte, il pouvait être là simplement comme supérieur qui
nous commandait, mais lorsque un message arrivait, on lui donnait la
radio. Car en ce temps là, quand nous partions ainsi en mission, on
maintenait la communication avec ceux qui étaient restés à l’état-major et à
Kanombe et on continuait de parler avec eux. Également avec les unités
qui se trouvaient là, au front, à se battre. Robinet lui, on pouvait s’adresser
à lui directement, mais pour la radio, le lieutenant qui se trouvait avec nous
ou n’importe quel autre chef qu’ils nous avaient donné, c’est lui qui
00 :36 :54
Q
continuait à s’en servir.
Mais lui-même vous a dit qu’il pouvait communiquer avec les gens en
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R
Q
France, grâce à cette radio ?
Exactement. Il l’installait n’importe où et il appelait.
Même lorsque vous vous trouviez au front, pouvait-il l’utiliser non
00 :37 :06
R
seulement pour communiquer avec Kanombe, mais aussi avec la France ?
Tout à fait. Lorsque nous allions là-bas au front -car il arrivait que nous
allions en mission par-là- au retour, nous nous asseyions quelque part en
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Q
R
attendant que…en attendant le véhicule, et on le (Robinet) voyait arriver.
Sans savoir d’où il venait ?
Sans savoir d’où il venait. On le voyait arriver, il nous saluait, nous
demandait si tout s’était bien passé, nous lui disions en résumé ce que nous
ramenions de notre mission, il s’enquérait si l’on n’avait eu de problèmes
avec les radios, il s’en servait alors pour appeler à Kigali, ou peut-être
Reffalo et ils parlaient ensemble, puis il recommençait à nous vanter les
00 :37 :54
Q
performances de la radio…qu’on pouvait parler avec la France avec…
Lorsque vous vous rendiez en mission, on ne vous donnait pas d’autres
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R
radios, plus petites, pour pouvoir communiquer ?
Si. Il y avait de petites radios. Mais celles-là, ils en ont distribuées à toute
l’armée. Donc ça aussi, nous aussi nous en avions. C’était répandu dans
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Q
R
Q
toute l’armée.
Vous étiez au courant de la signature des accords d’Arusha ?
Nous apprenions que l’on signait des accords, oui.
Je ne sais pas si en ce moment là tu te trouvais à Kanombe, tu me le diras,
tu te rappelles de la cérémonie d’adieu des soldats Français qui rentraient
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R
chez eux ?
Mais vraiment, les Français n’ont pas vécu à Kanombe. Ils n’ont vraiment
pas habité à Kanombe. Ils venaient comme ça, sauf que je les voyais à
l’aéroport, par exemple en me rendant à Remera, ou alors là où on les avait
logés, mais ils n’ont pas vécu à Kanombe. J’ai entendu aussi que les qu’il
allait y avoir une cérémonie d’adieu aux Français. Ok. Aussi lorsque je
passais …je les voyais dans leurs véhicules, qui se rendaient à l’aéroport,
pour monter dans leurs avions et partir, sinon ils n’ont pas vécu à
00 :39 :04
Q
Kanombe.
Parlons seulement de ce petit nombre de ceux qui ont travaillé avec toi.
00 :39 :18
R
Pour toi, en général, quels étaient les intérêts des Français au Rwanda ?
Les Français, leurs intérêts, je ne sais pas comment les définir. Car ce que
je peux vous dire, moi ce que je pouvais voir, c’est qu’un pays fait des
accords avec un autre, mais dans un intérêt quelconque. J’ignore donc
quels étaient les intérêts des Français au Rwanda. Car je voyais que les
Français s’intéressaient beaucoup à l’armée rwandaise et à son
entraînement, mais j’ignore quels étaient leurs bénéfices. En tous cas, ils
00 :39 :53
Q
avaient beaucoup de volonté d’entraîner les Rwandais.
À côté de l’armée, il y avait aussi les groupes paramilitaires appelés
interahamwe. Tu n’as pas entendu parler des entraînements que les
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R
Français auraient dispensés aux interahamwe ?
Les entraînements des interahamwe, j’en ai entendu parler, mais je ne les ai
pas vus. Seulement ce que j’ai vu, c’est ceci : je voyais des bus pleins
d’interahamwe qui quittaient Kigali, passaient par Mulindi (près de
Kanombe, sur la route de Rwamagana), se dirigeaient soit à Kibungo soit
au Mutara je ne sais, et on disait qu’ils se rendaient aux entraînements.
Mais je n’ai jamais été sur les lieux de leurs entraînements. Je ne savais pas
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qui y allait. Mais j’ai vu des bus qui les emmenaient aux entraînements.
Tu n’as jamais vu ces bus accompagnés par des jeeps des soldats français ?
Non. Je n’ai vu que les bus et pas de véhicules des Français.
En fait, tu ne sais rien des interahamwe !
Les interahamwe, je les connais seulement comme ça, je ne sais rien de
Q
leurs entraînements.
À la fin de la guerre, lorsque vous étiez vaincus, il a été nécessaire que
militaires battus s’enfuient, certains passant par la zone Turquoise. Tu dois
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R
connaître ce que c’était la zone Turquoise !
Non. Je ne sais rien de la zone Turquoise. J’en ai entendu parler mais je ne
suis pas passé par là, moi. Moi je suis passé par Gisenyi pour aller à Goma.
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La zone Turquoise, c’était dans Cyangugu.
Arrivé à Goma, comment as-tu trouvé la situation là-bas ?
Arrivé à Goma ?
Oui. Concernant les soldats français !
Non. Je n’ai plus apreçu un seul blanc.
Tu y es arrivé au cours de quel mois, à quelle date ?
En juillet.
Ignores-tu qu’à Goma se trouvait alors une des bases de Turquoise ?
Attends un peu que je t’explique. Nous avons traversé. Arrivés en ville
dans le quartier des magasins de Goma, il y avait un énorme désordre, des
gens aussi nombreux que ces herbes sur le sol. On se couchait pour la nuit
n’importe où, devant la porte des magasins, sous des véhicules… Alors les
Français je ne pouvais pas savoir où ils étaient. Et puis, je ne connaissais
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Q
pas Goma. Je ne savais même pas où se trouvait l’aéroport.
Mais cela se voit même sur les images que beaucoup de leurs avions se
trouvaient à l’aéroport, qu’ils ont au début amené même des vivres qu’ils
donnaient aux réfugiés et que du temps du choléra, les militaires
00 :42 :11
R
s’occupaient d’enterrer les morts !
Voilà justement. Ce que je peux dire, c’est que, vu qu’on était hors du
pays, on n’avait plus de rapport avec les autorités. Les Français, tu
comprends que c’était des gens très importants et qui savaient où ils
allaient, à l’aéroport, à l’hôtel ou ailleurs. Nous alors, on errait comme ça
un peu partout et je n’ai rien vu les concernant. Ce que j’ai vu plus tard,
c’est que du temps du choléra, c’est qu’il y avait des militaires français et
que c’est eux qui ont fait enterrer les corps empilés derrière le terrain
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Q
R
d’aviation.
Dans ta fuite, ton itinéraire fut Ruhengeri, Gisenyi… ?
Non. Moi en fuyant, je suis passé par Gitarama. Là on a pris un bus qui
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Q
nous a amenés à Gisenyi, ensuite à Goma.
Lorsque tu es passé à Gitarama, le gouvernement intérimaire s’y trouvait-il
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R
Q
encore ?
Non. Il était déjà descendu à Gisenyi.
C’est-à-dire que lorsque vous êtes arrivés à Gitarama, la guerre était
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R
Q
R
terminée là-bas ?
À Gitarama ?
Oui.
Non. Plutôt la bataille de Gitarama n’avait pas encore eu lieu lorsque nous
y sommes passés. Plutôt l’on disait alors qu’ils(les inkotanyi) étaient en
train d’approcher. Alors moi je suis arrivé après le départ du gouvernement
intérimaire pour Gisenyi. Je ne me rappelle pas les dates, mais lorsque j’ai
quitté Gitarama pour Gisenyi, c’est là que les Nzirorera et autres prêtaient
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Q
serment comme président du CND…
Sur ton parcours Gitarama-Ruhengeri-Gisenyi, tu n’as pas aperçu de
00 :43 :49
R
Blancs ?
Les Blancs tu sais, se déplaçaient en véhicules, de telle manière que tu ne
pouvais pas savoir de qui il s’agissait. On ne se parlait pas. Tu voyais le
véhicule te dépasser, tu ne pouvais pas savoir s’il s’agissait de journalistes
ou non, puis un autre passait…alors ces Français, plutôt ces Blancs, je ne
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Q
R
Q
savais pas si c’était des Français ou d’autres.
N’y en avait-il pas qui étaient en tenue militaire ?
Non. Ils n’étaient pas en uniformes militaires.
La France ou les Français, d’après toi, est-ce que s’ils en avaient eu la
volonté, ils auraient pu arrêter le génocide ? Ou même l’empêcher de se
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00 :44 :43
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R
commettre ?
Impossible ! Ils n’auraient pas pu. Personne n’aurait pu arrêter ce génocide.
Q
R
Q
R
Seules ces autorités qui dirigeaient le pays l’auraient pu.
Eux ils l’auraient pu ?
Eux ils l’auraient pu, car pour qu’il ait lieu, c’est eux qui l’avait décidé.
Pour toi, le génocide a-t-il ou non été préparé ?
Non. À mon avis, le génocide n’a pas été préparé. Cette chose-là ne peut
pas avoir été préparée. Plutôt, c’est comme cette fureur qui saisit quelqu’un
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Q
et qui le pousse à donner une gifle à une autre personne qui s’écroule mort.
Les gens auraient été furieux à cause de quoi ?
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R
Et alors les gens…c’est un petit quelque chose qui se trouvait dans les
cœurs des gens depuis toujours. Car ils vivaient ensemble, le tutsi et le
hutu, paraît-il, depuis des années. Certaines gens avaient cette maladie en
Q
eux, ils avaient ça.
Ils avaient cette maladie pourquoi ? Après tout, ce n’est pas une maladie de
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R
naissance !
Ce n’est pas une maladie innée d’accord, mais la nature humaine est
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Q
terrible. Alors…
Est-ce que tu peux affirmer que la nature humaine …disons : les hutu ont
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tué les tutsi. Tu peux dire que le hutu depuis sa naissance, avait dans sa
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R
nature de la haine pour le tutsi ? Ou on lui a inculqué cette haine ?
Non. Il semble qu’il y a eu une époque où les tutsi ont gouverné les hutu. Il
paraît qu’ils les maltraitaient, jusqu’au jour où les hutu ont repris le dessus.
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Q
R
Tout ça je n’en sais rien, c’est l’Histoire.
C’est comme ça que tu la connais ?
Oui. Jusqu’au jour où les hutu ont renversé la situation. Ces tutsi sont alors
partis à l’extérieur. Et puis les voilà qui reviennent. Avec le risque de nous
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Q
R
gouverner comme avant et …jusqu’à tuer Habyarimana.
Qui est-ce qui disait cela ?
Tuer Habyarimana, ça c’est moi qui en rajoute. Mais c’est pour te
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Q
démontrer d’où venait cette fureur.
C’est vrai, ça a été dit, même la RTLM l’a dit. Moi plutôt je te demande :
R
cette version de l’histoire, qui est-ce qui l’enseignait et qui la soutenait ?
Mais, cette version historique, je ne peux pas te dire que l’on s’est assis
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quelque part pour l’apprendre. Non. Seulement, c’est que nous lisions
souvent que le régime monarchique a existé, et des vieux avec qui l’on
discute vous disent que l’on se levait en enfonçant la pointe d’une lance sur
quelqu’un, des histoires comme ça. Alors moi, ce que je voulais te dire,
c’et ma pensée. C’est pour te dire que le génocide n’a pas été préparé.
Plutôt, à cause de cette chose-là, dire : « Les tutsi reviennent… ». Revenus,
ils tuent Habyarimana. Et ils le tuent et c’est les proches de Habyarimana
qui se gavaient des biens du pays. Et ces proches, peut-être qu’ils te
regardaient toi et pensaient : « Peut-être que lui aussi soutient ceux-là (les
tutsi) ». Alors, tout de suite, comme ils ont le pouvoir, ce qui a suivi tout de
suite c’est de dire : « Tuez-les ».
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Quelqu’un a dû de le dire de toute façon.
Quelqu’un l’a sûrement dit. Quelqu’un l’a dit.
Qui l’a dit, d’après toi ?
Ceux qui l’ont dit en premier lieu, ce sont les responsables militaires. Tels
Q
R
que ceux-là qui sont en prison.
Peux-tu nous citer des noms si tu ne veux pas les protéger ?
Non. Je ne la protège pas. C’est ceux-là qui étaient…les Bagosora,
Ntabakuze le major du bataillon para, ceux-là qui étaient dans la paperasse
là-bas à Kigali, ils ont dû avoir ces idées. Sauf que parmi les hauts gradés
militaires, il y en qui sont accusés injustement car certains se trouvaient au
front à Ruhengeri et ailleurs, mais eux aussi peuvent être influencés par les
00 :48 :19
Q
autres.
Il y a eu une réunion dirigée par le général Nsabimana ? Il demandait que
ses instructions soient répercutées auprès de tous les soldats. C’était pour
déterminer qui était l’ennemi, tu ne te souviens pas ? Cela devait être
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R
Q
R
répercuté à toutes les unités.
Cette réunion, il ne l’a pas tenue avec nous.
En tous cas, les documents existent là-dessus.
Oui. Cette réunion, c’est possible qu’ils l’aient tenue. Avec les officiers.
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Q
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Q
Mais nous, les petits soldats, il n’y a pas eu de réunion à ce propos.
Quel était ton grade ?
J’étais caporal.
Tu as dit que tu connaissais l’existence des interahamwe. On disait qu’on
R
les préparait pour faire quoi ? Ou que faisaient-ils ?
Mais les interahamwe, j’en ai entendu parler. J’en ai même vus. Mais
00 :49 :12
lorsqu’ils les ont amenés pour des entraînements militaires, nous avons
pensé que c’était une manière de les préparer à nous épauler en cas de coup
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Q
dur. Nous n’avons jamais pensé qu’ils les préparaient pour tuer les gens.
Là où vous étiez au front, et même au camp Kanombe, vous n’étiez pas au
courant de l’insécurité qui régnait un peu partout dans le pays, à Kigali,
surtout l’extermination des Bagogwe, des gens du Bugesera, de Kibilira. ?
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R
Q
R
De ça, vous n’étiez pas au courant ?
Ça nous l’entendions.
Alors, vous pensiez que c’était dû à quoi ?
Vous savez, il y a un temps où le subalterne est vraiment un subalterne. On
apprenait que les tutsi de Bigogwe ont été massacrés. Tu n’allais pas
demander qui les avait tués ! Je n’avais d’ailleurs personne à qui poser la
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Q
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question.
Vous ne pouviez pas demander ça ?
Pas du tout. À qui demander ? qui les a tués ? Pourquoi ont-ils été tués ?
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ça je ne pouvais pas le demander.
Mais vous appreniez ça quand même ?
Nous entendions, mais j’entendais cela après que ça ait eu lieu.
Toi-même, dans ton cœur, tu pesais que ça aboutirait à quoi ? Cela vous ne
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R
faisait-il pas peur ?
Non. Moi, ces histoires ne me regardaient pas. J’étais militaire, je me
sentais militaire, mon boulot était de combattre au front. Le reste ne me
concernait pas. C’est comme quand on a appris que ce ministre Gatabazi
avait été assassiné à coup de balles. Et c’est plutôt là que l’on a commencé
à réfléchir : alors Gatabazi, on l’a abattu ! ce politicien de Cyangugu
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Q
R
assassiné sur une colline…c’était qui ?
Bucyana.
Oui, Bucyana. Alors on s’est demandé : « Où va ce pays ? Les gens sont
désormais assassinés en plein jour comme des chèvres ! » Et c’est là qu’on
a senti qu’il y avait un problème, en nous demandant ce qui allait arriver
d’autre. Mais cela, les discussions et les questions que l’on se posait, c’était
entre militaires de même rang, on n’aurait pas osé poser la question à un
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Q
R
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supérieur.
Car si tu avais posé la question, il y aurait eu de conséquences fâcheuses?
On t’aurait demandé en quelle qualité tu enquêterais.
Les Français, tu dis que tu ne savais pas comment ils prenaient ces choses,
R
quelles relations avaient-ils avec les autorités rwandaises ?
Avec certains, ils collaboraient, ils étaient les mêmes, il y avait une grande
collaboration. De telle sorte qu’ils tenaient de fréquentes réunions
ensemble. Je n’entendais pas de quoi ils s’entretenaient, mais il y avait des
fois où je voyais par exemple ces chefs-là qui amenaient d’autres militaires
français au Rwanda, arriver avec des véhicules dans le camp Kanombe. Ils
entraient dans le bureau avec Ntabakuze, avec notre Reffalo et
Kanyamukenke. Au sortir de cet entretien, je ne pouvais pas demander à ce
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Q
R
dernier de quoi ils avaient parlé ! Ils parlaient et après ils sortaient.
Je voudrais que tu m’expliques en quoi consistait cette forte relation.
Moi je te parle des relations militaires. On voyait bien qu’ils avaient une
grande emprise sur notre armée. Tu voyais qu’ils voulaient que nous ayons
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Q
une armée performante.
Une question sur la
mort
de
Habyarimana :
certains
ont
dit : « Habayarimana a été tué par les tutsi. » D’après toi, qui a préparé et
exécuté l’attentat contre Habyarimana ? Que disent les gens ? Que crois-tu
00 :52 :38
R
toi ?
Ce qui se dit et ce que je crois, l’avion de Habyarimana a été abattu par les
inkotanyi. Mais ce n’est pas les inkotanyi eux-mêmes qui ont tiré sur
l’avion. Ils se sont servis de ces Blancs qui vivaient au Rwanda, ceux-là de
la MINUAR je crois, ceux-là qui étaient venus prétendument pour une
mission de sécurité après les accords de paix et qui voulaient amener des
gens (les soldats du FPR) à Kigali. D’ailleurs, ils étaient venus là au CND.
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0053 :13
Q
R
Q
Ceux-là, c’est eux qu’ils ont utilisés.
Pour toi, c’est eux ?
Pour moi, c’est ceux-là.
Et quelle possibilité avaient-ils de descendre cet avion ? Il y avait votre
camp Kanombe, il y avait beaucoup de militaires alentour jusqu’à Masaka
d’où les missiles seraient partis. Tu penses que cette chose là était
00 :53 :32
R
possible ?
Eux, la façon dont ils auraient pu, et c’est eux qui l’ont fait, moi je les
accuse de ça, ils disposaient d’armes, ensuite, personne ne pouvait les
empêcher de circuler, même sur les barrages, personne ne les arrêtaient.
Parce que l’on pensait qu’ils étaient là pour s’occuper de nos problèmes et
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00 :53 :58
Q
R
de la sécurité.
De qui veux-tu parler ?
De ceux-là qui étaient venus, ceux de la MINUAR, qui comprenait des
Belges, des Sénégalais, plusieurs nationalités… Leurs véhicules étaient
remarquables. Personne ne les arrêtaient, ils n’étaient pas contrôlés, même
s’ils avaient des armes à bord, ils pouvaient passer avec. Alors eux ils sont
descendus de Kigali vers Masaka, ils connaissaient certainement l’horaire
de Habyarimana, quand il allait rentrer…Ils en ont parlé avec les inkotanyi,
je ne sais exactement lesquels. Alors ils sont allés à Masaka guetter l’avion.
Tirer sur l’avion est une affaire d’une minute et tout de suite ils reprennent
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00 :54 :49
Q
R
le véhicule et l’opération est terminée.
Donc, pour toi, l’avion a été descendu à partir d’un véhicule ?
Non. Ils pouvaient placer l’arme sur le sol, tirer et recharger tout de suite
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00 :54 :58
Q
R
l’arme dans le véhicule et celui-ci repartir immédiatement.
C’est ce que tu crois ou c’est ce qu’on t’a raconté ?
Moi, c’est comme ça que je le comprends. Et c’est pareil pour les autres
avec qui l’on en discute. Et ceux avec qui l’on en discutait avant, pas les
paysans d’ici ils n’y comprennent rien, mais les autres soldats lorsque l’on
00 :55 :12
Q
était encore dans l’armée à Kanombe. Notre analyse était celle-là.
C’est-à-dire que vous n’avez jamais envisagé que Habyarimana pouvait
avoir été descendu par ses proches, ceux de l’Akazu ou même par les
00 :55 :25
R
Français ?
Jamais ! jamais ! Cela est impossible. C’est comme dire que quelqu’un
peut s’enfoncer un couteau dans l’oeil. Du tout, du tout ! Cela ne se fait
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Q
R
Q
R
Q
R
Q
R
pas !
Ils n’auraient pas pu faire ça ?
Impossible qu’ils l’aient fait.
Quel genre de relation y avait-il entre les Français et Bagosora ?
Mais Bagosora…non, vraiment…
Non ! je te demande ses rapports avec les soldats français !
Bagosora, il pouvait s’écouler 6 mois sans que je ne l’aie vu.
Tu ne le connaissais pas ?
Je le connaissais lorsqu’il commandait le camp Kanombe. Mais depuis son
00 :55 :59
Q
départ, je ne peux pas dire où il est allé.
D’après toi, comment juges-tu l’action des Français au Rwanda ? Ont-ils
fait de bonnes choses, de mauvaises, ou n’ont-ils rien fait ? Qu’en pense-tu
00 :56 :07
R
en général ?
Pour moi, les Français, au début, ils ont commencé par faire de bonnes
choses. Mais je dis qu’après, ils nous ont lâchés, ont fait montre d’infidélité
à notre égard. Nous lâcher dont je parle- je ne parle que de ce qui me
concerne- ils étaient forts pour se battre et ils nous ont abandonnés. Ils ont
00 :56 :36
Q
refusé de se battre et ils sont partis. Sinon, ils ont bien fait auparavant.
Et d’après toi, quelle est la raison de cet abandon ? Je pense que tu y as
réfléchi ! Quand quelqu’un te fait un mauvais coup, tu te poses des
0056 :46
R
questions là-dessus ?
La raison qui les a poussés à partir, moi je place ça dans le cadre des
décisions des autorités et je dis que cela a été dû à des raisons politiques.
Ils ont jugé que s’ils se battaient dans cette guerre, les pays étrangers les
regarderaient d’un mauvais œil et ils ont préféré s’éloigner de nous et de
nous abandonner.
00 :57 :00
00 :57 :03
Q
R
Les regarder d’un mauvais œil pourquoi ? Ou pourquoi vous abandonner ?
Parce qu’ils combattent dans une guerre rwandaise. Tu vois, il y a …il y a
…le 6 avril après la chute de l’avion, il y a eu 3 avions français qui sont
venus, qui ont amené des militaires. Mais je ne sais pas, les gens qui
regardaient la TV me disaient que, qu’on leur avait interdit – je ne sais pas
de quel pays autre que la France ils provenaient, mais on leur avait refusé
des avions pour venir, d’autres personnes discutaient en disant qu’ils
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Q
R
Q
R
Q
R
iraient coûte que coûte.
Les Français ?
Les Français. Car, vers 3 heures du matin, nous avons vu arriver les avions.
En cette date du 6 ?
Oui.
Juste la nuit de la chute de l’avion ?
Non. Ce n’était pas le 6. C’était le lendemain, le 7. Dans la nuit, vers 3
heures du matin. Il est arrivé trois avions, qui amenaient ces militaires làbas à Kigali. Tu comprends donc qu’il y a eu mésentente, je ne sais pas
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00 :58 :06
Q
pourquoi alors.
On vous disait alors qu’ils ne s’entendaient pas eux-mêmes entre eux
R
pour… ?
Pour participer à cette guerre rwandaise. Et on leur refusait de venir. Mais
certains responsables français disaient : « Non ! nos militaires doivent y
aller absolument ». Ils se disputaient donc, pour venir de force ; finalement
alors, je pense qu’ils se sont dits que continuer à faire du forcing…ça
pouvait être mauvais pour eux…Je ne sais pas comment les choses se
passent au niveau des relations entre pays, s’ils peuvent s’interdire les uns
les autres de faire telle ou telle chose. En tous cas, c’est ainsi qu’ils nous
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00 :58 :43
00 :58 :44
Q
R
Q
ont été infidèles et abandonnés.
D’où la raison de votre défaite ?
oui. Une totale défaite.
Mais cela faisait 4 ans qu’ils vous aidaient et qu’ils vous entraînaient.
Pourquoi pensiez-vous qu’ils devaient en plus faire la guerre pour vous ?
N’étiez-vous pas devenus suffisamment forts grâce à ce qu’ils vous avaient
appris ? Toi par exemple, ils t’avaient formé comme CRAP, tu ne
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R
Q
connaissais pas ton boulot ?
J’étais à la hauteur.
Et tes autres collègues aussi ?
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R
Q
R
Eux aussi oui.
Pourquoi alors pensiez-vous que vous aviez toujours besoin d’eux ?
Nous avions encore besoin d’eux. Vous savez les Blancs, cela dépend de
l’importance des pays, les Blancs ont beaucoup de puissance. Et les
Rwandais, plutôt les noirs, les redoutent. Pense que lorsqu’ils venaient et
se joignaient à telle ou telle de nos positions, les inkotanyi n’osaient plus
00 :59 :30
00 :59 :33
Q
R
l’attaquer.
Sur une position du front…les inkotanyi n’osaient pas s’y aventurer ?
Ils ne pouvaient oser y attaquer. Ils abandonnaient le coin en disant : là il y
a les Français. Et ils contournaient par d’autres lieux. Alors, si les Français
étaient restés, et nous avaient donné des armes…Tu sais, nous avons été
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00 :59 :53
00 :59 :53
Q
R
Q
R
battus parce que nous avons manqué de matériels.
Et comment vous avez manqué de matériels ?
Ne le sais-tu pas ?
Vous n’en aviez vraiment pas ?
Non, non ! Nous avons manqué de munitions complètement. Jusqu’à zéro.
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1:00 :00
Q
R
Et nous sommes sortis et avons fui.
C’est vous qui les aviez gaspillées non ?
Nous ne les avons pas gaspillées. Ignorez-vous que les accords de cessez-le
feu avaient exigé un embargo sur les munitions, contre le Rwanda,
prétendant que si le Rwanda était à court de munitions, il y aurait entente
entre les belligérants ? Curieusement, ils font un embargo sur les munitions
pour le Rwanda, et les inkotanyi eux ne prélevaient pas leurs munitions sur
1 :00 :15
1 :00 :17
Q
R
les commandes rwandaises.
Est-ce que cela a été respecté ?
Ça a été strictement respecté. Aucune cartouche n’a plus été introduite au
1 :00 :20
Q
Rwanda.
Ces trois avions qui sont arrivés dans la nuit du 7 à trois heures du matin,
R
n’ont-ils pas amené des munitions ?
Non. Et même s’ils en avaient apportées, c’était pour eux, pour ces
1 :00 :27
militaires qui arrivaient. Ils n’ont pas apporté de munitions à donner au
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Q
Rwanda. C’était des munitions destinées à leurs armes.
Le problème est qu’il y a des témoignages de Blancs comme eux qui ont
dit qu’il y a eu des armes déchargées de l’un des avions et qui étaient
1 :00 :48
R
données aux FAR !
Moi je n’en sais rien. J’ignore ce qui a été déchargé de ces avions. Sauf que
je sais qu’ils transportaient des militaires. C’est eux que j’ai pu voir.
Seulement aussi, même s’ils avaient apporté des armes (munitions), elles
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Q
00 :33 :17
Q
seraient insuffisantes qu’elles ne pourraient pas couvrir tout le front.
Quand est-ce que tu es revenu d’exil ?
Cassette n° 107
Quand est-ce que tu es rentré d’exil ? Tu as vécu à Goma ou tu es allé plus
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R
Q
R
Q
loin ?
J’étais dans un camp près de Goma, qu’on appelait Mugunga.
Tu l’as quitté assez vite ou lors de sa destruction ?
Je l’ai quitté au moment de sa destruction et je suis rentré.
Alors, dans ce camp de Mugunga, après que les gens se soient réorganisés
après le chaos de la fuite, que faisaient les interahamwe et les militaires
00 :33 :55
R
dans les camps de réfugiés ?
Mais..lorsque nous nous sommes regroupés dans les camps, les
interahamwe eux, il n’y en avait pas dans les camps. Eux ils s’étaient
étaient allés habiter chez les citoyens zaïrois. Cependant nous les militaires,
nous avions des réunions régulières. On nous invitait et nous y allions. Les
militaires n’étaient pas cantonnés à part. Au départ, oui, c’était ainsi. Mais
peu après les autorités ont dit : « Non, ce n’est pas normal ». Alors on nous
a demandé d’aller avec les civils dans les camps et chacun s’est inséré où il
a pu. Le jour des réunions, on se passait le mot entre nous et nous nous
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00 :34 :42
Q
R
rencontrions au lieu de rendez-vous. Mais sans les interahamwe.
Ces réunions, c’était pour quoi ? Qu’y disait-on ?
C’était pour nous rappeler que nous étions toujours des militaires et que,
bien que battus, nous devions retourner dans notre pays. Nous devions
retourner dans notre pays : « Que personne ne se décourage. Rapprochezvous les uns des autres, soutenez-vous mutuellement, si l’un d’entre vous
n’est pas bien, manque de quelque chose que vous auriez, donnez-en lui.
Restez patients, nous les gradés nous sommes en train de chercher les
moyens… ». En fait, c’était question de nous maintenir le moral et de nous
00 :34 :14
00 :34 :17
Q
faire sentir que nous étions toujours ensemble.
Mais parmi les moyens qu’ils cherchaient, il y avait aussi les armes ?
Mais ils ne pouvaient pas nous le dire directement. Mais, ma façon de
chercher les armes, il convoquaient aussi des réunions de civils auprès
desquels ils sollicitaient des cotisations. Ils leur disaient la même chose
qu’à nous, expliquant : « Vous voyez, nous sommes au pied du volcan,
demain, il pourra nous vomir dessus. Vous voyez où nous sommes, chez
nous c’est juste là-bas en face…et pourquoi ceux-là y sont-ils ? Donc, nous
00 :35 :42
Q
voulons votre apport, chacun selon ses moyens. »
En fait, ils voulaient votre aide pour revenir au pays, se demandaient
pourquoi ils n’étaient pas dans leur pays, pourquoi d’autres l’occupaient…
R
Q
Mais se sont-ils jamais demandés pourquoi d’autres aussi étaient morts ?
Cette question de gens morts ne figurait pas à leur ordre du jour !
N’admettaient-ils pas que vous laissiez derrière vous plus d’un million de
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R
morts et se demander le pourquoi de ça ?
Oh nooon ! cette question des morts, se demander pourquoi, ça ils n’y
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Q
revenaient pas ! Seulement, nous savions que des gens étaient morts…
Personne alors ne pouvait dire : « Nous sommes ici car les gens sont morts
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là-bas », et réfléchir sur comment vivre avec les survivants après avoir
00 :36 :19
R
commis cette abomination ?
Les gens sont morts…alors ? A dire la vérité, personne n’évoquait la
responsabilité de quiconque parmi les réfugiés dans la mort des gens.
Plutôt les gens étaient morts à cause de la guerre. Mais, comprend
comment on y pense différemment : on se disait, on était convaincus que
de toute façon, ce pays-là, on y retournerait par la guerre. Par la guerre.
Cette guerre alors, celui qui n’y périrait pas parmi ceux qui s’y trouvaient
00 :36 :50
Q
encore ( au Rwanda), s’exilerait.
Est-ce que vous y croyiez vraiment, ou certains n’y croyaient pas, ou y
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R
adhéraient par manque de choix ?
En tant que militaire, nous croyions que nous rentrerions, que nous nous
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00 :36 :59
Q
battrions.
Et les civils ?
Les civils ne pouvaient pas penser le contraire. Eux aussi pensaient pouvoir
rentrer par la reconquête. Ils nous poussaient plutôt à agir et nous
demandaient : « Qu’est-ce que vous foutez ? Pourquoi ne vous hâtez-vous
00 :37 :06
Q
pas ? »
Puisque l’on demandait leur contribution aux civils- on sait que celle des
militaires, c’était d’aller se battre-, qu’est-ce que l’on demandait
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00 :37 :16
00 :37 :18
R
Q
R
exactement aux civils ?
De l’argent.
Où pouvaient-ils en trouver alors que réfugiés ?
Ah ! Là dans les camps, il y avait plein de petits boulots. Il y en avait qui
vendaient de la bière de sorgho, d’autres allaient travailler chez les zaïrois
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00 :37 :33
Q
R
etc. Alors, on donnait l’équivalent d’un dollar.
Un dollar, n’était-ce pas beaucoup pour un paysan réfugié ?
Cela dépendait de ce chacun faisait. Un autre donnait sa contribution en
monnaie zaïroise que nous utilisions, 5.000, et s’ils étaient 4 ou 5 à se
mettre ensemble dans une famille, cela faisait un dollar. Et puis, il y avait
aussi beaucoup de richards qui avaient fui avec nous et qui donnaient
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00 :37 :53
00 :37 :57
Q
R
Q
facilement 100 dollars.
Il y en avait qui avaient emporté beaucoup d’argent ?
Oui. Et ils donnaient facilement 100 dollars.
Ces petits boulots dans les camps, ces petits commerces, normalement cela
s’exerce dans un milieu où circule de l’argent. Certainement donc, il y
avait une source de cet argent. Et l’on sait que les zaïrois n’avaient pas
grand chose à l’époque. D’où venait alors cet argent qui circulait dans les
00 :38 :14
R
camps ?
L’argent, c’est celui que les gens avaient amené dans leur exil. Ce n’est pas
de l’argent qu’ils ont eu en arrivant là. Les réfugiés en avaient en quittant
le Rwanda. Alors, il échangeaient cet argent contre l’argent zaïrois,
achetaient de la farine, fabriquaient des beignets, des samboussa, de la
bière, tout, tout et ils vendaient ça.. Et alors, si les uns avaient de l’argent
pour vendre de la bière, d’autres venaient en acheter, d’autres encore
allaient la transporter à partir du Kivu contre payement et ainsi de suite,
00 :38 :50
Q
l’argent circulait parmi nous tous.
À cette époque là, il y avait aussi de l’argent qu provenait du HCR, non ?
Car l’on vous donnait des produits que vous revendiez et qui vous
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R
Q
R
permettaient de gagner de l’argent !
Ce qu’ils donnaient et que les réfugiés revendaient ?
Oui.
Oui. Ils nous donnaient par exemple du maïs, et lorsque tu n’en avais pas
envie, tu revendais ça pour t’acheter un régime de bananes et c’est cela que
00 :39 :22
Q
tu mangeais.
N’y a-t-il pas eu de recrutement de jeunes dans les camps pour leur
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00 :39 :32
R
Q
apprendre à combattre, à l’exception de ceux qui étaient déjà militaires ?
Il n’y a pas eu d’autres recrutements militaires.
En 1997, les camps ont été démantelés, certains des réfugiés ont poursuivi
la fuite, les autres sont revenus au pays. Toi tu es revenu avec ces très
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R
Q
nombreux réfugiés qui sont rentrés au début de cette guerre ?
Tout à fait au début. Juste après la destruction des camps, je suis rentré.
Vous vous sentiez comment en ce moment-là ? Vous pensiez qu’il allait
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R
vous arriver quoi ?
Qu’il n’y avait rien d’autre au bout que la mort ! C’est comme quand on va
au devant d’un lion en disant : « S’il ne me bouffe pas, je passe. Mais
Q
R
Q
comme je sais qu’il est là, à l’affût, il me tuera ».
La vie ou la mort, quoi !
Tout à fait cela. C’était un suicide, faute de choix.
Pourquoi pensiez-vous ainsi, que vous deviez mourir ? Parce que celui qui
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R
vous avait combattus était un ennemi et ne pouvait vous pardonner ?
C’est un ennemi qui ne peut avoir pitié de vous…en plus, vous êtes un
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Q
militaire ! Etre militaire et aller par là !!!
As-tu entendu parler des mercenaires français durant la première guerre de
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00 :40 :00
Kabila, qui étaient là-bas au Zaïre,…là-bas à Kisangani… ?Toi tu n’es pas
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R
allé jusque-là ?
Pas du tout. J’étais encore à Goma et je suis revenu tout de suite. Donc, je
Q
ne sais rien de ces gens qui sont passés au Zaïre.
Pour clôturer notre entretien sur les interventions françaises au Rwanda, de
1990 à 1994, je voudrais simplement te demander si tu as quelque chose à
ajouter, que je ne t’aurais pas demandé et dont tu te souviendrais,
concernant surtout les entraînements militaires, l’assistance à l’armée
rwandaise, l’attitude et le discours des soldats français…également
00 :41 :18
Q
Gonzague peut m’aider et te rappeler un éventuel oubli.
(Gonzague) : Ce que je peux lui demander, c’est sur les accords d’Arusha.
Il y a eu des réunions chez les militaires, on disait aux militaires que les
accords d’Arusha ne les concernaient pas, qu’ils devaient plutôt continuer à
se battre jusqu’à la dernière minute. Je voudrais qu’il nous en dise quelque
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00 :42 :45
Q
R
chose, car je pense qu’il s’en rappelle.
Peux-tu alors nous en parler ?
Ça oui, ça se disait. On nous disait : « Ce qui est des accords de paix, vous,
ça ne vous regarde pas. Toi le militaire, Regarde au front. Quand c’est
nécessaire que tu tires, tu dois le faire. On te dit qu’il ne faut pas tirer ?
Ceux qui font les accords, ceux-là, ça les regarde. Mais toi, ça ne te
concerne pas. Ton devoir est de te battre. Pour le reste, si c’est donc
nécessaire, tu dois te battre. Si jamais les accords fonctionnent, on verra !.
Sinon, ne pense même pas à ces accords. Ne te dis pas qu’on est dans les
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00 :42 :20
Q
R
accords, sache que tu es au front et rien d’autre. Ne te fie pas à ces accords.
Donc, ne te fie pas aux accords… ?
Ne te fie pas à tout ce qui concerne les accords. Ne te préoccupe pas de ce
que l’on dit qu’il y a eu un accord et que l’adversaire a arrêté les combats
00 :42 :29
Q
aujourd’hui. Non. Dis-toi seulement que toi, tu es en guerre.
En peu de mots, ces Français qu vous entraînaient vous faisaient
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00 :42 :39
R
Q
R
comprendre que vous, vous ne deviez pas penser à… ?
« Toi le militaire, ne t’occupe pas des accords. Ça, c’est de la politique »
Ne pense pas à la paix quoi ?
Ne pense pas à la paix. Ôte-toi ces histoires de ta tête. Alors même ces
Français, en vérité, c’est avec eux que l’on travaillait dans le cadre
militaire, ils faisaient des exercices militaires, nous dirigeaient à l’ armée,
on voyait qu’ils voulaient fortement notre réussite militaire, cela vraiment
depuis 1990 jusqu’à notre séparation. Même ceux-là qu venaient
occasionnellement, ils sont arrivés avec leurs armes, nous sommes allés
ensemble à Byumba, ils ont pilonné sur les positions des inkotanyi, ils leur
ont tiré dessus et ont vraiment fait un très bon travail militaire. Ils ont passé
la nuit sur place, le lendemain nous avons avancé et attaqué, les inkotanyi
ont évacué les lieux. Le troisième jour les Français sont rentrés. Vraiment
ils ont pris leurs véhicules et sont partis. Quand ils sont partis, je ne peux
pas vous dire qu’ils sont allés se battre ailleurs, je ne savais que ce qui se
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00 :43 :34
Q
passait où je me trouvais.
Quoi qu’il en soit, partout où le front allait mal pour vous, ils intervenaient
R
pour vous donner un coup de main ?
Non. Sauf…ils n’intervenaient pas partout, sauf peut-être quand…par
exemple il venaient, par exemple j’entends dire qu’ils ont combattu à
Shyorongi, mais moi je n’ai pas été là, je ne l’ai pas vu. Je l’entends
seulement dans les nouvelles : que les inkotanyi sont venus jusqu’à
Shyorongi et les Français qui étaient à Kigali y sont allés. Ils y sont allés et
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Q
R
Q
R
ils se sont battus avec les inkotanyi qui ont fui les lieux.
Tu te souviens de l’année ?
C’était en 1993, je pense.
Au mois de février ?
Je ne me rappelle pas le mois, mais c’était en 1993. Car je me souviens que
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Q
nous, on se trouvait à Byumba. Je me rappelle bien ça, mais pas le mois.
N’est-ce pas l’époque où l’on disait que les inkotanyi avaient beaucoup
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R
Q
R
avancé ?
Beaucoup avancé. Et ils se rapprochaient trop de Kigali.
Donc, tu as appris que les Français étaient partis se battre contre eux ?
Ils y sont partis, ils y sont partis. C’est comme ça que je l’ai entendu des
collègues qui étaient par là. Ils m’ont dit que les inkotanyi étaient bien
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Q
presque à Kigali et que les Français les avaient stoppés et refoulés.
Alors, lorsque toi et tes camarades vous reposiez uniquement sur les
soldats Français, comment voyiez-vous les choses, quelle sorte de fin
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R
envisagiez-vous avec cette attitude ?
Nous pensions qu’ils allaient continuer à nous aider jusqu’à la victoire.
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Q
R
Q
Pour nous, c’était normal.
C’est pour cela que tu dis qu’ils vous ont abandonnés ?
Ils nous ont été infidèles, ils nous ont abandonnés.
N’est-ce pas plutôt vous qui les avez en quelque sorte trahis, vous qui
R
n’avez pas bien assimilé les leçons qu’ils vous donnaient ?
Non. Vous savez, les leçons, on les a assimilées. Mais aussi, j’affirme que,
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même s’ils n’étaient pas restés, mais que nous ayons eu des matériels, si à
ce jour les inkotanyi n’étaient pas boutés hors du pays, du moins on serait
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Q
toujours en train de se battre.
Sortons du militaire et voyons le comportement des Français dans la ville
de Kigali et ailleurs où vous alliez ensemble. Quel était leur comportement
vis-à-vis de la population, vis-à-vis des filles ? Tu n’as rien entendu de leur
00 :45 :31
R
conduite envers les filles ?
Non. Tu sais, les Français chez les filles, ils faisaient un saut chez Lando, y
attrapaient des putes, leur donnaient de l’argent, mais si par malheur leur
supérieur les voyait, celui qu’il attrapait, c’était une punition sévère sur
place. Moi je ne l’ai pas vu. Mais j’allais me balader souvent à Remera
pendant les périodes d’accalmie sur le front durant lesquelles l’on revenait
à Kanombe, et je pouvais donc me promener. Les Français, je les voyais
alors circuler, les uns aller et les autres revenir avec leurs armes, à pied, et
le soir, ils s’esquivaient là à l’hôtel…L’un ou l’autre y attrapait vite une
fille qu’il emmenait chez lui, il lui donnait de l’argent, il la payait, mais
alors le supérieur…Ils se surveillaient mutuellement. S’ils se rendaient
compte que l’un d’entre eux avait disparu, ils le recherchaient très
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Q
R
Q
R
activement et lorsqu’ils le découvraient, ils le punissaient sévèrement.
Connaissais-tu Kigali Night ?
Je connaissais Kigali Night, mais je ne m’y suis jamais rendu.
Tu n’as pas entendu les aventures histoires des Français au Kigali Night ?
Sauf que l’on m’a dit que là aussi ils y allaient, mais moi je ne m’y suis pas
rendu pour les voir. Mais on me disait qu’ils fréquentaient Kigali Night, et
Chez Lando. Mais seulement, parmi la population…c’était ce genre de
comportement qui est commun aux militaires et qui est dû à ce que ce sont
seulement des garçons, sinon ils n’ont brutalisé personne sur la route. Et
même ces filles, ils les payaient, mais lorsque leur supérieur l’apprenait,
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ah ! ils étaient bien punis.
(Gonzague) Pour les nombreuses missions nocturnes du peloton CRAP, je
voudrais lui demander s’il s’agissait uniquement de missions militaires ou
s’il y avait d’autres, particulières, d’autant plus que c’était des missions
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secrètes ?
Tu as compris la question ?
Oui, j’ai compris. En vérité, il n’y avait rien de plus qu’une opération
militaire, sauf que nous partions la nuit, en raison du lieu où nous devions
passer. On se disait : « Ce terrain-là, on ne peut pas y passer le jour. On
nous verrait. Nous y passerons au cours de la nuit. Alors nous y passions
dans la nuit. Ou alors, si nous arrivions à tel lieu alors que l’observation,
nous devions l’effectuer à partir de cette colline en face, nous ne pouvions
pas l’atteindre en plein jour. Nous attendions donc la nuit pour y aller et
nous utilisions les jumelles de nuit. La raison, d’opérer la nuit dépendait du
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terrain où nous devions passer.
Vous n’avez pas pris de cible civile, tels que des politiciens ?
Non. Du tout.
Tels que des politiciens ?
Des quoi ?
On ne vous désignait pas un tel politicien en disant : « Il n’est plus dans la
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bonne ligne politique pour nous, débarrassez-nous-en ? »
Non. Du tout ! Aucune fois, chez les CRAP nous n’avons opéré contre des
civils. C’était seulement dans le cadre militaire. Nous allions là où il y
avait des armes, là où l’ennemi faisait ses entraînements…Nous n’avons
jamais espionné quelque civil que ce fût.
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Et celui sur lequel vous tombiez dessus à la campagne, par exemple vous
êtes en marche pour votre opération, la nuit et croisiez un civil ; il ne vous
connaît pas, il ne sait pas qui vous êtes. Vous avez des fusils, et vous non
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plus vous ne le connaissez pas, comment réagissiez-vous alors ?
Mais…, là-bas où nous allions rechercher ces militaires, il n’y avait plus de
civils. Les civils avaient déjà fui, loin des combats, puisque d’ailleurs les
deux armées étaient sur le qui-vive, vis-à-vis, les uns ici, les autres là-bas,
dans cette situation, il n’y avait plus aucun civil au milieu. Par ailleurs.
Pour partir d’ici jusque là, il nous arrivait de dépasser les positions des
inkotanyi et de nous retrouver derrière eux, loin derrière leurs positions et
là c’était alors notre mission. On partait de nuit, et arrivés à une certain
endroit, nous enlevions nos uniformes militaires que nous cachions, nous
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nous mettions en civil et allions nous mêler parmi les civils des inkotanyi.
Et où mettais-tu ton fusil dans ce cas-là ?
Tu emportais le pistolet, plus facile à dissimuler sur le corps. Le fusil tu le
cachais quelque part, ainsi que les uniformes. Et tu prenais le pistolet, tu
allais te confondre avec les habitants de là. Tu allais par exemple dans un
marché, tu achetais un petit sac ce haricots que tu mettais sur ta tête tout en
t’occupant de ta mission, seulement comme il y avait parmi eux des gens
qui étaient partis de notre zone et qui s’étaient rassemblés là derrière les
inkotanyi, ils ne se connaissaient pas bien non plus entre eux. De cette
façon, on pouvait s’infiltrer incognito parmi eux, d’autant plus qu’on
n’allait pas rester longtemps parmi eux. Ils ne vous démasquaient pas.
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C’est ainsi que nous procédions.
Dans la formation qu’ils vous ont donnée, les Français ne vous ont-ils pas
appris à neutraliser les gens durant des révoltes (manifestations) ou à
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éliminer discrètement certains durant les manifestations ?
Non ! ça vraiment non ! ils nous apprenaient seulement des exercices de
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combats pour le front, uniquement.
Elle voulait te poser cette question : Tu as connu les Français entre 1990 et
1994, jusqu’au jour où tu ne les as plus vus dans les premières dates du
génocide. Ils t’ont formé durant tout ce temps. N’as-tu pas vu ou appris
qu’ils sont restés après le démarrage du génocide, qui étaient devenus des
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civils et n’étaient plus militaires ? Tu n’as pas entendu ni vu ça ?
Dès le début du génocide, tous les Blancs ont quitté le pays, les seuls qui
sont restés sont ceux de la MINUAR sinon, tout le monde, que ce fût ces
Blancs, ces Français militaires, tous les Blancs ont quitté le Rwanda.
Vraiment, de telle sorte que même les… je me souviens que j’ai demandé à
propos de nos Robinet : « Où sont-ils, pourquoi ils ne viennent plus nous
rendre visite ». Et on m’a répondu qu’ils s’étaient tirés et rentrés chez eux.
Alors, après le 6, tu vois c’est là que j’ai été au camp pour la dernière fois,
car l’on est sortis du camp militaire pour de bon ; je n’ai plus revu un seul
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de ces Français qui collaboraient avec nous.
Où t’es-tu rendu en quittant le camp militaire ?
Là, nous sommes sortis du camp pour nous rendre chez Habyarimana ;
nous avons ramassé les corps et les avons mis à l’intérieur de la maison
présidentielle, ensuite nous avons organisé la défensive de la résidence
jusqu’au 9 avril où nous avons quitté cette résidence pour aller combattre à
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Kicukiro, puis de Kicukiro nous avons continué comme ça…
Vous combattiez tout en battant en retraite ?
Oui. À partir de Kicukiro, nous combattions en cherchant à fuir.
Quand as-tu quitté Kigali ?
Kigali, moi, j’en suis sorti le 3 mai. Ce fut mon dernier jour là-bas.
Kanombe n’était pas encore tombé ?
Kanombe tenait encore.
Comment pouvais-tu partir …sauf si tu faisais partie d’un bataillon qui
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devait aller intervenir ailleurs !
J’ai quitté et je suis parti au camp Kigali, c’est là où je suis allé, car il y
avait un militaire blessé avec moi, alors je l’ai emmené à l’hôpital, et puis
après, le reste des informations sur la guerre, je les suivais à partir de là,
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jusqu’à ce que Kanombe fut pris. Et alors je suis parti.
Ces soldats belges qui ont été tués dans le camp Kigali, qu’en as-tu appris,
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quand l’as-tu su ? Comment avez-vous pris la chose ?
Bien que je ne puis vous dire la date à laquelle je l’ai appris, mais je l’ai
tout de même appris. Les soldats du camp Kigali m’ont dit comment ils ont
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fait.
Ils t’ont dit que cela avait été fait comment ?
Que ces soldats belges protégeaient Agathe. Et alors, lorsque les soldats
rwandais sont allés la chercher, les Belges ont commencé par leur interdire
l’entrée. Et alors les Rwandais se sont saisis d’eux en premier, les ont
conduits au camp Kigali. Agathe, paraît-il, ils l’ont sortie des douches et ils
l’ont tuée. Alors les soldats du camp…la raison de tuer les Belges, je ne
sais pas si c’est l’un de ces Belges qui a pensé qu’ils allaient être tués, car
l’on m’a dit qu’il y en un d’entre eux qui a tué par balles deux soldats
rwandais pour provoquer les autres afin qu’ils le tuent lui aussi. Il leur a
tiré dessus vraiment, plusieurs balles et ils ne savaient comment le prendre
et ils lui ont balancé des grenades sur la guérite, jusqu’à l’avoir. Ils m’ont
raconté ainsi comment il était brave, qu’il avait refusé de mourir comme un
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chien. « Mais les autres, nous les avons tués…. »
« Mais les autres, nous les avons tués comme des chiens » ?
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Les autres ont été tués aussi…
Ils disaient les avoir tués pourquoi, hormis le prétexte qu’ils protégeaient
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Agathe ?
Tu sais, les Belges, nous les avions haïs pour de bon.
Vous les avez haïs à partir de quand ?
À partir de la chute de l’avion de Habyarimana. Depuis la destruction de
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l’avion…on disait…mais moi je ne peux rien en dire personnellement, je
ne sais rien de ce que les belges auraient fait, seulement les nouvelles qui
nous parvenaient, c’était que c’était les belges qui venaient de faire cela.
Pourquoi ? Parce que les Belges, ceux-là qui gardaient le CND où se
trouvaient les inkotanyi, il y avait les Belges…Quand les inkotanyi étaient
installés au CND, ils disaient : « Nous ne boirons pas l’eau de Kigali, nous
n’utiliserons pas le bois de cuisine de Kigali », et ils allaient à Mulindi
chercher cela. Le véhicule de la MINUAR passait devant, celui des
inkotanyi suivait et un autre de la MINUAR bouclait le cortège. Pas de
contrôle ! soi-disant que nous avions des gens qui contrôlaient pour nous.
Arrivés là-bas à Mulindi, ils ramenaient des soldats en prétendant que
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c’était du bois, ils les faisaient rentrer au CND.
C’est comme ça qu’on vous le disait ?
Oui. Les soldats du FPR furent ainsi nombreux à Kigali. Au lieu de 600, ils
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furent soixante mille !
Sans qu’on les voie !
Comment les voir ?
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Tu amènes quelqu’un au milieu de stères de bois, et personne ne le voit ?
Comment le voir si le véhicule est bâché ?
Pour dire que lorsque Habyarimana est mort, on vous a dit : « Les belges
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l’ont tué ».
Ainsi, justement. Habyarimana est mort, dans les nouvelles que nous
entendions, on disait : « C’est les Belges qui l’ont descendu, ce sont les
Belges qui ont tiré sur son avion, ce sont les Belges qui ne sont pas de
notre bord, c’est les Belges qui ne nous comprennent nullement. Et en plus
on nous a dit que parmi ceux-là qui s’y trouvaient, il y avait des
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Bangladeshis, plusieurs races, et qu’eux aussi le disaient ainsi.
Au cours de cette réunion, qu’on vous a tenue juste après la sonnerie du
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clairon, quelqu’un a évoqué ça ?
Non. En cet instant-là, il n’y a pas eu de réunion. C’était simplement te dire
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ce qu’il y avait à faire. « Partons là-bas ». C’était tout.
Qu’est-ce qui se disait de Dallaire ? Que disaient de lui vos supérieurs ?
Dallaire, ils disaient que c’était un complice. C’était un complice, oui !
Pourquoi disaient-ils cela ? Vous en donnaient-ils au moins des preuves ?
Ah non ! Tu comprends, quand tu parles avec un supérieur, il te dit : « Eh !
ne vous fiez pas à ces histoires d’accord de paix. Ne vous fiez pas à la
MINUAR. Ce complice de Dallaire n’a rien à dire ! Alors, tu peux
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demander à ton chef pourquoi il l’appelle complice ? Non !
Donc, ce que celui-là dit… !
Oui. Ce complice de Dallaire, laissez-le déconner, ça c’est des histoires
politiques, les politiciens sont là, ils lui poseront des questions. Laissez-le
et continuez votre boulot. Dallaire, moi j’en entendais parler, je ne l’ai
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Fin ITW
jamais vu, on ne s’est jamais parlé. Pas du tout.
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Merci. Je n’ai plus de questions.
Mudahunga