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Bob Denard, l'enfant de troupe devenu faiseur de rois a dû sortir, les
armes à la main, de la ferme modèle qu'il a fondée, sur la Grande Comore. Ce
papy du baroud apprend à ses dépens qu'un soldat de fortune ne peut jamais
devenir un soldat laboureur. Il a été forcé de remettre la main à la pâte, et
d'éliminer Ahmed Abdallâh, le sultan autocrate qu'il avait installé à la tête
des Comores en 1978 et qui était en train de le trahir. On sait, depuis
Carthage, que le pire ennemi d'un mercenaire, c'est son employeur.
Ce baroudeur à la fois affairiste et romantique est le dernier soldat
perdu. La France et l'Afrique du Sud l'ont aidé et utilisé avant de se boucher
le nez avec horreur. C'est l'homme de toutes les sales guerres celles que les
États font faire par une main-d'oeuvre spécialisée, en regardant ailleurs.
Bob Denard c'est la dernière casserole coloniale française. Né à Bordeaux en
1929, il est le fils d'un sous-off. Il suit les cours de l'école des
mécaniciens de la Marine, il est envoyé en Indochine puis en Algérie, comme
quartier maître de commando. Il sera grièvement blessé et reviendra avec une
jambe raide, ce qui accroît son prestige et donne à sa démarche une gravité
solennelle. Il n'a jamais connu que l'armée et la guerre.
En 1954, il est accusé d'avoir monté un complot contre Pierre Mendès
France. Il se lancera ensuite dans la bataille perdue de l'Algérie française.
Il entre dans la confrérie des ``affreux'', ces soldats de métier qui
considèrent que leurs pays les ont trahis renonçant à leurs empires, et qui
sont disponibles pour toutes les aventures. Aux côtés du belge Schramme et de
l'anglais Hoare, il part pour le Katanga, et entre au service de Tschombé et
des grandes compagnies minières de Shaba. On le retrouve au Biafra, au Yémen,
au Tchad, au Bénin, où il rate lamentablement, en 1977, une opération de
commando visant à renverser le régime marxiste. Il a longtemps roulé pour
Foccart, le grand manipulateur de l'Afrique francophone sous le gaullisme.
C'est encore comme franc-tireur des services spéciaux français qu'il débarque
aux Comores, d'abord en 1976 pour renverser le président comorien Ahmed
Abdallâh, l'homme le plus riche de l'océan Indien, puis en 1978 pour le
replacer au pouvoir. Il devient le maire du palais de ce président
milliardaire.
Il crée la garde présidentielle, la GP, une force de six cent comoriens
encadrés par des officiers européens. La GP a un pouvoir magique sur la
population, avec ses uniformes noirs et bérets verts, et sa devise : « Force,
fois fidélité ». Bob Denard a fait une concession à ces sujets. Il s'est
converti à l'islam, et se fait appeler Mustapha Madjou. Mais son trône est
menacé.
A partir de 1981, la France prend ses distances avec lui, et la chambre
d'accusation de la cour d'appel de Paris réactive même, en 1987, une vielle
plainte pour association de malfaiteurs, qui avait été déposée contre lui après
l'affaire du Bénin. Bob Denard se choisit alors un nouveau patron, l'Afrique du
Sud
Les Comores intéressent Pretoria. C'est une base qui lui permet d'intervenir au
Mozambique, une piste d'atterrissage pour les avions chargés d'armes à
destination de l'Iran. C'est désormais Pretoria qui règle la solde de la GP : 12
millions de francs. Bob Denard devine la montée des périls. Il abandonne -
au moins officiellement - le commandement de la garde. On ne le voit presque
plus au camp d'entraînement de Kandany. Il se retire dans sa ferme modèle de
trois cents hectares qu'il développe grâce à des capitaux Sud-africains ou dans
son bungalow de la plage du Trou du Prophète. Il se consacre à la Sogecom une
société de gardiennage qu'il a créé, et qui travaille pour le complexe hôtelier
Galawa, édifié par la société sud africaine Sun International, qui possède
beaucoup d'intérêts dans l'océan Indien. Ce soldat perdu a des biens au soleil.
Il a oublié que le repos du guerrier, ça n'existe pas. En 1987, il affronte
une mutinerie de la GP.
Il se retrouve dans la situation d'Alexandre. Il est abandonné par ses vieux
compagnons fatigués, qui veulent rentrer au pays, fortune faite. Il réprime
très durement le complot, jusqu'à utiliser la torture. Il recrute de nouveaux
officiers, plus jeunes, plus ambitieux. Mais le règne de la GP sur les Comores
touche à sa fin.
Bob Denard est lâché par son patron sud-africain. L'Afrique du Sud s'est
désengagée en Namibie. Elle voudrait avoir l'air respectable. Elle se fait un
nouveau look. Les ``affreux'' ne sont plus présentables. Ahmed Abdallah en
profite pour secouer le joug de ses prétoriens européens qu'il considère depuis
longtemps comme geôliers. La France lance une nouvelle offensive contre Bob
Denard. Le capitaine Barril aurait été envoyé aux Comores pour régler le
problème de la GP. Dans son rapport, il aurait préconisé l'intégration de la
garde dans les forces régulières. Bob Denard a pris les devants en éliminant
Ahmed Abdallah.