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BUTARÉ de notre envoyé spécial
Butaré, la deuxième ville du pays, au sud, près de la frontière du Burundi, est tombée aux mains du
Front patriotique rwandais (FPR), dimanche 3 juillet, et, quatre jours après, la ville reste déserte, si l'on excepte les soldats du FPR, qui sont omniprésents. Les habitants de Butaré ont visiblement fui avec les soldats gouvernementaux vers l'ouest pour rejoindre la zone de sécurité sous contrôle français.
Ceux qui sont restés en ville ou dans la campagne environnante ont été regroupés au stade
municipal. Pour des raisons de sécurité, dit le FPR. Pour « nettoyer » la région des derniers interahamwe, les miliciens hutus, affirment les réfugiés. Ils sont 3 500 dans le stade. Heureux d'être là. Leurs familles ont été décimées. Ils viennent de vivre trois mois d'enfer. A l'hôpital universitaire, quatorze malades et blessés traînent dans les couloirs ou sur des lits installés sous deux auvents.
Agatha est là depuis la mi-avril. Elle vivait à Kigali avec son mari et ses trois enfants. La vague de sauvagerie qui a déferlé sur le Rwanda après l'assassinat du président Juvénal Habyarimana, le 6
avril, l'a trouvée à Butaré chez ses parents. « Une dizaine de soldats gouvernementaux ont surgi en
pleine nuit. Ils ont tué tout le monde, mes parents, mes frères, mes soeurs, mon mari et mes fils,
raconte-t-elle, le regard vide. Mes deux filles ont été recueillies par des paysans. Elles ont été
emmenées par les soldats français dimanche. Je ne sais même pas où elles se trouvent, ni si je les
reverrai. »
Elle est toujours à l'hôpital, un pansement sur la tête elle a été frappée à coups de marteau et les
tendons du pied droit sectionnés par un coup de machette. Près de son lit, un homme entre deux
âges exhibe ses moignons. Les soldats gouvernementaux lui ont coupé les deux mains à la machette.
Il est sourd et muet. Il voudrait raconter. Les grondements qu'il émet rendent la scène plus pathétique encore.
Aucune trace de combat n'est visible en ville. Le charmant petit bâtiment de briques rouges de
l'Association Loiret-Butaré, construit sur un financement du conseil général du Loiret, est intact. Le drapeau français flotte à côté du drapeau rwandais. Trois vitrines insolites protègent des photos de paysages du val de Loire et invitent les touristes à s'y rendre... Les maisons n'ont pas été touchées. Quelques grilles ont été arrachées des devantures de magasins qui ont été consciencieusement pillés.
Le commandant FPR de la place, le capitaine Theonest Rurangwa, fait aimablement visiter l'école des
sous-officiers. Les armureries ont été dévastées. Quelques manuels d'utilisation de kalachnikov « made in Yugoslavia » traînent sur le sol. Deux fusils antédiluviens sont sur un ratelier.
Vieilles culasses et diverses pièces sont éparpillées. Le bureau du commandant est sens dessus
dessous. Le drapeau de l'école est épinglé au mur et des photos de Mirage III traînent sur un fauteuil. Dans un coin, un tableau de service en date du 18 juin établit les tours de garde.
Le corps d'un jeune homme, tué depuis peu de plusieurs balles dans le torse, gît comme désarticulé
sous un buisson d'épineux à l'entrée du « Ngoma », la principale caserne de Butaré. C'est
apparemment le seul endroit de la ville où des combats ont opposé soldats gouvernementaux et
rebelles du FPR. Quelques balles ont arraché le crépi des baraquements. Les caisses de munitions
empilées les unes sur les autres ont été abandonnées. Intentionnellement. Une grenade dégoupillée
est coincée entre deux cases. Malheur à celui qui tenterait de s'en emparer !
L'hôtel Ibis est transformé en garnison. Des dizaines de soldats du FPR habitent là. Des gosses en
uniforme armés de kalachnikov et de grenades profitent d'un certain relâchement pour retrouver les
activités de leur âge. L'un d'entre eux passe et repasse sur un vélo tout-terrain, son fusil d'assaut en bandoulière.
La route qui mène de Kigali à Butaré est également déserte. Quelques voitures bourrées de soldats
du FPR en armes circulent à tombeaux ouverts. Elles ont été volées. « Récupérées pour soutenir
l'effort de guerre », elles ne portent plus de plaque minéralogique. Les paysans, qui grouillaient autrefois dans les collines, ont abandonné leurs champs. Le sorgho est à point. Personne n'est là pour le récolter. Comme le nord et l'est du Rwanda, le sud, désormais contrôlé par le FPR jusqu'à la frontière du Burundi, a été vidé de sa population.
A Kamonyi, un petit village à quelques kilomètres de Kigali, devant de petites maisons basses, un
enfant de cinq ans, prostré et assis sur ses talons. Il se cramponne à un morceau de bois à demi-
calciné. Des bananes ont été déposées rès de lui. Il ne porte qu'un T-shirt maculé. Il a été abandonné quelques jours auparavant. Les soldats qui le fournissent en bananes n'ont pas pensé à l'évacuer sur un hôpital.