Fiche du document numéro 35842

Num
35842
Date
Mardi 8 avril 2008
Amj
Taille
784110
Titre
Audition de Cyprien Sindano [Traduction]
Cote
D7689
Source
Fonds d'archives
PAT
Type
Audition
Langue
FR
Citation
TEMOIN N°1 : SINDANO Cyprien


1. Nom et prénom : SINDANO Cyprien
2. Fonction occupée le 6/4/1994 : Commandant d'Aéroport de Kanombe
3. Lieu d'emplacement le 6/4/1994: Aéroport de Kanombe

4. Lieu de résidence actuelle : Rusizi, Rwimbogo

5. Lieu d'audition: Rusizi, Rwimbogo (Mushaka)

6. Date d'audition : 08/04/2008
7. Personnes ayant recueillies le témoignage: Dr BIZIMANA Jean Damascène (Vice président du Comité d'experts) et MUKAMA Augustin (Membre du Comité)

Dr BIZIMANA Jean Damascène : Nous sommes en train de recueillir des informations sur le
crashe de l'avion présidentiel qui a eu lieu le 6/4/1994 et celles relatives aux événements qui
ont suivi cette date. La fois dernière, je m'étais présenté, je m'appelle Bizimana Jean
Damascène, je suis venu avec deux de mes collègues. L'un s'appelle Mukama Augustin, il est
membre de la commission. L'autre s'appelle Alain, c'est un agent de la commission, un
technicien chargé de faire les enregistrements. Nous allons prendre un peu de temps pour
échanger comme tu l'avais fait la fois passée. Tu m'avais donné ton identité, mais tu vas le
reprendre en donnant tes noms, les services où tu as travaillés. Tu m'avais dit que tu as
surtout travaillé à l'aéroport et que tu étais commandant de permanence ; ça tu pourras
nous le décrire encore en nous expliquant en quoi consistait ta fonction. Puis, tu nous diras
comment les événements se sont déroulés ce soir-là, tel que tu t'en rappelles, depuis ta
prise de fonction et ce qui a suivi. Nous aussi, nous allons te poser des questions
d'éclaircissement dans nos échanges pour que nous puissions mieux comprendre ce qui s'est
passé ce soir-là.

SINDANO: J'ai compris. Je m'appelle Sindano Cyprien, je suis né à Kamutuga au Congo en
1943. Mon père s'appelait Habuhazi Evariste, mais il est mort. Ma mère s'appelle
Nyiransabiyeze Elisabeth. J'habite dans le secteur de Nzahaha, mais ma résidence se trouve
dans le secteur Rwimbogo, district de Rusizi. Ma spécialisation est Opérateur aéronautique,
c'est la formation que j'ai suivie. J'ai fait cette fonction depuis 1969 à l'aéroport de
Kanombe, je n'ai travaillé nulle part ailleurs. En 1985, on a créé la régie des aéroports et dès
ce moment, l'aéroport a eu l'autorisation de fonctionner 24H/24H. Depuis lors, comme le
directeur ne devait pas travailler sel, on a créé le poste de commandant de permanence. Son

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rôle était celui de superviser les activités, notamment les jours fériés ou les nuits, lorsque le
directeur est absent.

Etant donné que le directeur se trouvait souvent dans son bureau, le commandant de
permanence avait pour tâche d'être son représentant là où il n'est pas, de visiter tous les
lieux, pour connaître tout détail qui se passait à l'aéroport, que ce soit à MAGERWA, à
l'aérogare, à la piste,... Il observait tous ces lieux et dressait un rapport direct le matin à
l'attention du directeur. Il lisait pour connaître d'une manière générale la situation de ses
services. Je ne prenais de décision en tant que telle, je devais écrire tout ce que je
remarquais à l'aéroport et je le transmettais au directeur. Seul le directeur pouvait prendre
toute décision. En cas d'urgence, même la nuit, je devais lui téléphoner et lui dire le
problème qui se posait, s'il s'agit par exemple d'une personne venue de l'extérieur qui devait
entrer, je devais avoir son aval pour le laisser passer. Je crois que c'est la même pratique
aujourd'hui. S'il donnait son aval, on lui remettait un badge mentionné V qui veut dire badge
visiteur et il pouvait alors circuler dans l'enceinte de l'aéroport.

La sécurité de l'aéroport était assurée par des gendarmes. Lorsqu'ils te voyaient avec ce
badge, ils comprenaient tout de suite que tu avais l'autorisation de circuler et te laisser
tranquille. On nous a nommés à ce poste au nombre de... Moi j'étais d'abord chef de la soussection télécommunication de l'aéronautique, puis ils ont pris les autres. D'abord, nous
travaillions la nuit seulement en nous succédant les uns les autres, et la journée nous
restions dans nos services habituels.

Puis, il s'est rendu compte que ce rythme était fatiguant et que le service en pâtissait. Ils ont
alors choisi cinq personnes parmi nous et ils nous ont dit que désormais nous ne travaillions
plus dans nos services habituels, que nous allons maintenant travailler comme des agents de
permanence en se remplaçant les uns les autres. J'ai continué à me rappeler certains de mes
anciens collègues; notre chef s'appelait Kabiligi Augustin, j'étais son adjoint, puis Rutayisire
Edouard, Ntawukuriryayo Jean, Bicamumpaka Jérôme et Mbaraga Azarias. Mais ce dernier
était pompier, je ne sais pas s'il y travaille encore aujourd'hui. Je n'en suis pas sûr.

Q: Sais-tu si ces gens sont encore là ? Par exemple Kabiligi Augustin ?

R : Celui-là, il est mort

Q : Il est mort,

R : Oui

Q: Et Rutayisire ?

R : Je ne connais pas ses nouvelles

Q: Ntawukuriryayo ?

R : Lui aussi, je n'ai pas ses nouvelles. Je n'ai aucune nouvelle de chacun d'eux.

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Q: Même les nouvelles de Mbaraga ?

R : Mbaraga lui, je crois qu'il travaille encore comme chef pompier. Je vous disais que nous,
nous travaillions comme de permanence en nous succédant les uns les autres. L'un travaillait
le matin, l'autre à partir de midi, l'autre l'après-midi et l'autre la nuit. Donc vous voyez que
les heures étaient serrées pour cinq ou six personnes. Si aujourd'hui tu avais travaillé le
matin, le lendemain tu travaillais l'après-midi, le jour suivant tu prenais le repos, le
lendemain tu travaillais la nuit. Voilà comment nous travaillions. Je fais bien de vous
expliquer l'organisation de notre travail. Maintenant en ce qui concerne la nuit du 6 au 7
avril 1994, c'était moi qui était programmé pour travailler la nuit, ce qui veut dire que tu
passais la journée chez-toi et que tu venais au travail le soir. Nous faisions la rotation. Celui
qui travaillait le soir y arrivait à 19h et faisait la remise et reprise avec l'agent qui avait
travaillé l'après midi. Il te donnait le rapport de tout ce qui s'était passé et la situation du
moment et rentrait. Et le matin, l'agent qui avait travaillé la nuit faisait la même chose pour
celui qui venait le remplacer. Nous notions tout cela dans des registres appropriés. S'il y
avait des incidents qui s'étaient déroulés nous les notions, sinon nous mentionnions RIEN A
SIGNALER. Le rapport de tout cela était envoyé au directeur.

Ce jour-là, lorsque je suis arrivé au service à 19h, mon collègue qui avait travaillé l'après-midi, je ne me rappelle plus son nom, l'essentielle est que nous nous remplacions, vous
pourriez consulter les archives, elles sont quand même toujours là. Sur des registres figurent
nos horaires de travail mensuels. En les consultant, vous pourrez connaître les noms de ceux
qui avaient travaillé la nuit. Je vous disais qu'à mon arrivée au service, mon collègue m'a dit
qu'il n'y avait aucun problème spécial à signaler, que le seul élément marquant est l'avion
présidentiel qui est parti à Dar-es-Salam qui doit rentrer suivant le plan de vol qui nous avait
été envoyé. Il m'a dit que le plan de vol avait été déposé à 16h et depuis lors l'avion n'avait
pas encore décollé. Or, lorsqu'il y avait annulation de plan de vol, on nous tenait informés,
on envoyait le nécessaire au service de télécommunication. Comme rien ne nous avait été
signalés, cela voulait dire que le plan de vol était toujours valable, que le vol allait avoir lieu.
Voilà la situation que j'ai trouvée dès mon arrivée au service.

Ce jour-là, il n'y avait pas de mouvements d'avion. J'ai alors repris mes services, et j'ai
commencé par organiser les véhicules pour qu'ils déplacent les agents qui rentraient. Un
minibus a transporté ceux qui allaient en ville, un autre de marque Suzuki a transporté ceux
qui habitaient côté Kanombe, Kabeza, Remera, c'était la nuit et il avait plu. J'ai alors rempli
les documents nécessaires pour que les chauffeurs puissent partir. Au même moment, on
est venu me dire que l'agent qui devait travailler le soir au service de télécommunication qui
recevait et envoyait des messages n'était pas venu. Il venait de Gikomero, c'est là qu'il
habitait.

Q: Dans Kigali

R : Dans Kigali, à Gikomero, c'était là chez-lui. Il venait à moto et s'appelait Rutezi Théophile

Q: Rutezi Théophile, c'était son nom ?

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R : Oui. On m'a alors averti qu'il n'était pas venu au travail. J'ai alors demandé aux agents qui
devaient rentrer d'attendre que je m'occupe de cette question puisque l'avion du président
était à Arusha. Je suis allé chercher un autre agent de ce service qui n'habitait pas loin pour
que le service ne reste pas sans agent. J'ai pris le chauffeur et nous sommes allés chercher à
Kabeza un agent qui s'appelle Vuningoma. Je lui ai expliqué la situation et je lui ai demandé
de venir travailler et il a aussitôt accepté. Je suis revenu à l'aéroport et j'ai alors donné ordre
d'aller déposer les autres agents chez eux comme c'était programmé. A l'aéroport, les
membres de la garde présidentielle étaient également arrivés en grand nombre pour
attendre le président. Ils étaient presqu'une compagnie. J'étais avec un gendarme de
permanence qui assurait la sécurité. A l'extérieur, là où étaient les gardes présidentielles, je
voyais qu'il y avait une certaine confusion. J'ai demandé à la tour de contrôle s'ils avaient
des nouvelles de l'avion. Le contrôleur m'a répondu qu'il était en contact avec lui, que
l'avion allait atterrir à 20h30 et que l'heure approchait. J'ai attendu à l'extérieur de mon
bureau, plus exactement à l'endroit où est marquée Arrivée internationale. C'était par là que
nous sortions pour nous rendre dehors devant la piste.

Au moment où l'avion approchait, je rappelle qu'il était interdit de circuler au-dessus du CND
où logeaient la délégation des Inkotanyi, il devait plutôt utiliser la zone Remera pour pouvoir
faire une descente directe à la piste 28. C'est directement de cette manière-là que l'avion en
question est arrivé. Je le voyais de mes yeux. Ses phares étaient allumés. Il était dans la
descente. Je voyais cet avion venir. Subitement, sans savoir de quoi il s'agissait, j'ai vu un
projectile très lumineux qui se dirigeait vers l'avion et j'ai entendu un bruit de type
« BOUM ». Es-ce une bombe ? Me suis-je demandé. Ce premier projectile lumineux a raté
l'avion. Immédiatement, celui qui a tiré a envoyé un deuxième projectile qui a directement
suivi le premier.

Les spécialistes pourront mieux déterminer l'angle de tir et consorts. C'est très facile, ils
pourront en utilisant la radio navigation, déterminer l'endroit juste où était placé le tireur.
S'ils regardent le temps qui s'est passé entre le moment où l'avion avait été en contact avec
le contrôleur et celui où il a été touché dans les minutes suivantes, ils regarderont la
trajectoire et l'angle et pourront déterminer l'emplacement précis du tireur. Je vous disais
comment j'ai vu les faits : c'est le deuxième projectile qui a touché l'avion. Les phares se
sont immédiatement éteints et nous avons compris que le projectile l'avait bien pris. Nous
avons eus peur en nous demandant ce qui venait de se passer. Dans les mêmes instants, j'ai
vu que des militaires de la garde présidentielle commençaient à tirer dans tous les sens et
nous ne comprenions pas ce scénario. Moi, je suis immédiatement rentré à l'intérieur dans
mon bureau pour contacter la tour de contrôle et demander ce qui s'était passé.

Le contrôleur étant le seul maître, le seul qui communique avec l'avion, qui recueille toute
information, c'est lui qui devait me dire exactement ce qui s'était passé. Je suis allé dans
mon bureau et je lui ai demandé au téléphone ce qui s'était passé. Il m'a dit qu'il était en
contact avec l'avion, après avoir pris les traits d'atterrissage, et qu'il a vu que son écran
devenait noir et perdait tout contact avec l'avion. Je lui ai demandé : qu'as-tu fait alors ? As-tu contacté les pompiers ? Il m'a répondu qu'il venait de les avertir de se rendre à la piste 28
et voir exactement ce qui s'était passé. Ils sont partis là et sont revenus aussitôt.

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Au même moment, les militaires de la garde présidentielle ont ordonné d'éteindre les
lumières de l'aéroport. Toutes les lumières ont été éteints. Et ils continuaient à tirer. Nous
avions peur d'aller dehors. Nous étions tous en panique. Lorsque les pompiers sont arrivés à
la piste 28, ils sont revenus, et c'était la nuit après 20h passé, vers 21h. Ils m'ont dit que des
militaires positionnés à l'extrémité de la piste 28 leur avaient intimé l'ordre de rebrousser
chemin. Tout l'aéroport faisait noir, dans tous les endroits que ce soit le bloc technique,
l'aérogare, nous étions tous en pleine obscurité. Il m'était difficile de me rendre de
l'aérogare au bloc technique, c'était un gros problème à cause de l'obscurité et des tirs. J'ai
quand même réussi à atteindre le bloc technique et j'ai demandé à l'agent signaleur qui était
là de me prêter les projecteurs qu'ils utilisaient pour l'atterrissage de nuit pour guider les
avions au sol lors de l'atterrissage. Au même moment, un lieutenant gendarme plutôt de la
garde présidentielle est arrivé sur les lieux accompagné de Simbizi et m'a dit : c'est bon,
partons, accompagne-nous. Nous sommes montés en pleine obscurité en utilisant cet objet là, comment l'appelle-t-on encore ?...

Q: La lampe ?

R : Oui. Nous sommes allés à la tour de contrôle et je ne savais pas encore quel contrôleur
avait travaillé ce soir-là. Mais ils travaillaient toujours à deux, un contrôleur principal et son
assistant. Immédiatement, le militaire de la garde présidentiel a demandé au contrôleur ses
pièces d'identité. Il était accompagné de Simbizi qui était chef de division du service
d'exploitation aéronautique. Simbizi Stany. Le contrôleur lui a présenté son passeport, c'est
ce document qu'il avait sur lui. Ils ont commencé à lui poser beaucoup de questions :
comment es tu allé en Algérie? Il a répondu qu'il s'y est rendu pour des études. Ils ont
commencé à lui donner des coups. Il est tombé par terre. Simbizi nous a dit de partir.
Nous nous sommes rendus au service technique qu'on appelait le bloc technique et nous y
avons trouvé deux agents. Simbizi a frappé celui qui nous avait ouvert la porte. Simbizi
connaissait tous ces lieux car il y avait travaillé autrefois comme contrôleur. C'est dans cette
salle-là qu'on garde les bandes d'enregistrement des communications téléphoniques, les
bandes magnétiques qui indiquent toute information sur les mouvements d'avion et les
contacts qu'ils ont eus avec la tour de contrôle. Nous étions toujours avec le militaire de la
garde présidentielle. Il a pris le registre et les stripes de progression de vol. Ils étaient
maîtres de la situation, personne ne pouvait s'opposer à leurs actes. Ils ont pris tout ce qu'il
y avait dans la tour de contrôle, y compris les pièces d'identité des contrôleurs, et nous
sommes descendus jusque dans mon service.

Q: Simbizi et le militaire de la garde présidentielle ?

R : Oui, les deux. Je suis descendu avec eux jusqu'au service de télécommunication, et là il a
trouvé Vuningoma ; nous avons continué jusque dans le service de météo. Il y avait deux
agents militaires spécialistes en aviation ; c'est eux qui y avaient travaillé cette nuit. Je ne me
rappelle plus leurs noms. Nous avons continué jusque dans le service de navigation. Puis,
dans celui des pompiers ; partout ils confisquaient les pièces d'identité. Ce jour-là était un
jour de paie, les agents avaient reçu leur salaire qui était versé à la banque populaire. Tout le
monde avait touché son salaire la journée. Celui que Simbizi trouvait avec une somme

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d'argent, il prenait aussi cet argent. Il a donné l'ordre à tous les pompiers de se rassembler à
la caserne. Ils sont alors tous venus au bloc technique, dans la salle là dont je vous ai parlé
toute à l'heure qui servait de salle de navigation où les pilotes remplissaient leur plan de vol.
Moi aussi j'étais avec eux.

Rectification : ceux qui étaient dans la tour de contrôle y sont restés, et les techniciens du
bloc technique y sont restés ; seuls les pompiers et les agents qui se trouvaient au sol se sont
rassemblés à l'endroit que je viens de citer. Ils ont obligés tout le monde à rester là, que
personne ne pouvait sortir. J'avais oublié de dire que lorsque les pompiers se sont rendus à
la piste 28 et qu'ils ont été repoussés par les militaires de la garde présidentielle, ils ont
essayé de passer par un autre chemin qui contourne l'aéroport en direction de Busanza, et là
encore ils y ont retrouvé des positions militaires qui tiraient et sont revenus en nous disant
que les gardes présidentiels étaient irrésistibles et ne laissaient rien passer. Nous sommes
restés dans cette salle jusqu'au matin. Les agents qui devaient venir faire la relève n'ont pas
pu se déplacer et nous sommes restés là.

Les militaires qui étaient positionnés à l'aéroport étaient les seuls maîtres de la situation. Ils
ont installé leurs armes lourdes tout autour de l'aéroport, au bloc technique, près de la tour
de contrôle, au parc météo; tout ça devant nos yeux. Nous avons demandé ce que nous
devrions faire. Ils nous ont dit que nous devrions vaquer à nos occupations. Je suis allé
informer les autres agents. Ils ont réclamé leurs pièces d'identité. Je suis allé le dire aux
militaires. Ils m'ont dit que celui qui voulait réclamer ses pièces devait venir l'un après
l'autre. J'ai également donné l'information. Des problèmes de faim et de fatigue
commençaient à se poser.

La RTLM était notre seule source d'information. C'est sur cette radio que nous avons appris
que Mme UWILINGIYIMANA avait été assassiné. Nous avons alors pris conscience que les
choses étaient devenues graves. Ces jours-là, je voyais aussi le major Ntabakuze qui venait
superviser ses troupes à l'aéroport. Un des agents s'est adressé à lui pour lui demander de
nous trouver un moyen de quitter l'aéroport. Il a répondu que nous ne pouvions pas
dépasser Remera, mais qu'il allait présenter notre cas aux autorités. Le soir, un véhicule de la
gendarmerie nous a amené de la nourriture. Un capitaine sénégalais de la MINUAR est venu
et a constaté notre situation.

J'ai parlé avec lui et il m'a dit que désormais la MINUAR nous donnera à manger. Il parlait
français et j'ai pu communiquer avec lui ; ce qui n'était pas le cas pour les Bangladeshi qui ne
parlaient qu'anglais. Or, mon anglais est très faible. La MINUAR nous amenait la ration de
combat pour chaque personne et des fois elle nous donnait du riz. Ils ont fait cela pendant
trois jours. Je lui ai demandé de chercher les moyens de nous évacuer. Il m'a dit qu'il allait
essayer et que si ça réussit, nous irions devant en nous munissant des drapeaux de l'ONU.
Mais, il a ajouté qu'il devait d'abord se rendre dans la zone FPR pour les mettre au courant.
Vers le 9 ou le 10, il y a un avion qui transportait les journalistes qui est venu. L'Etat major a
demandé que nous le tenions informés de tout avion qui atterrissait. Or, nous ne pouvions
plus communiquer car pas de téléphone qui fonctionnait. Il n'y avait plus de communication
entre l'aéroport et la ville. La tour de contrôle m'a averti qu'il y avait un avion humanitaire

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qui se préparait à atterrir mais qu'il n'avait pas d'autorisation de vol. J'ai dû demander aux
militaires de le laisser atterrir, je craignais qu'ils tirent sur lui. Je m'y suis rendu avec le
véhicule Suzuki de service. J'ai vu deux militaires, l'un était debout l'autre couché.

Q: Des militaires rwandais ?

R : Non, je t'ai dit la fois passée que c'était deux militaires blancs. Je l'ai bien expliqué. Mais,
je ne peux pas savoir s'ils étaient des Belges ou des Français ou des Allemands. Ils étaient en
uniformes militaires et portaient des bérets.

Q: Bérets ?

R : Oui, des bérets avec des tâches-tâches semblables à ceux des commandos

Q: Semblables aux habits des militaires de type SIMOKO ?

R : Voilà. Et comme je vous le disais, le militaire qui était debout nous a chassés en nous
disant que si nous trairions, il allait tirer sur nous. Nous sommes repartis immédiatement.
Quelques minutes après, l'avion a atterri. C'était un Antonov. Il y avait des véhicules dedans.
Beaucoup de personnes, des journalistes, sont sorties de cet avion et ont pris la direction de
Kanombe. Ils étaient nombreux. Nous avons encore dormi là bas. Les agents commençaient
à se révolter de leur situation. Ceux qui habitaient près de l'aéroport ont commencé à partir
et ne revenaient pas. Le désordre commençait à s'installer. Moi aussi je me demandais des
nouvelles de ma famille. Par chance, SIMBIZI est venu à l'aéroport dans son véhicule. Je
t'avais dit que c'est jour-là que j'ai vu ce type là, comment s'appelle-t-il encore ?

Q: Un Blanc ou un Rwandais ?

R : Non, un Rwandais

Q: Es-ce le chef des paras commandos ?

R : Il avait le grade de colonel

Q: Est-ce que c'est Bagosora ?

R : Oui, c'est Bagosora. Il est venu entre temps et m'a dit qu'il venait pour préparer une
réunion avec la MINUAR dont l'objet était d'étudier les modalités de mettre un bureau de la
MINUAR à l'aéroport. C'est là où j'ai vu Bagosora. Il était avec Simbizi. Je voyais que celui-ci
était devenu directeur d'aéroport d'office. Ils sont restés là bas longtemps. Ils m'ont dit par
après que je devais ouvrir, qu'ils allaient tenir la réunion au bar de l'aérogare. Ils sont restés
là et les gens de la MINUAR ne sont pas venus. Ils sont alors partis. Mais avant leur départ,
Simbizi m'a demandé : depuis le 7 avril tu n'as pas quitté ce lieu. Je lui ai répondu que je suis
là depuis deux semaines et que je n'avais même pas des habits de rechange. Il m'a autorisé
de rentrer. Ils sont allés chercher mon collègue Bicamumpaka Jérôme pour me remplacer.
Je suis rentré et j'ai heureusement trouvé que toute ma famille était vivante. Je les ai
évacués vers Gitarama, puis à Cyangugu.

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Q: Ne t'en fais pas s'il y a des choses que tu oublies ne force pas. Tu pourras les éclairer à
travers nos questions.

R : Oui, je vais aussi essayer de me les rappeler et les mettre par écrit. Par exemple, la fois
dernière j'avais oublié les noms de mes anciens collègues, mais je m'en suis rappelé dans
l'après. Parmi les contrôleurs, j'ai oublié de vous signaler Heri Jumapiri. Je crois qu'il avait
travaillé le matin. Son remplaçant est venu l'après-midi.

Q: Comment s'appelle l'agent qui avait travaillé avec toi ?

R : Runigamugabo David

Q: Oui ?

R : Je me suis souvenu de lui. Runigamugabo était contrôleur et devait assurer la relève de
celui qui avait travaillé le soir qui s'appelle David Munyaneza. Quand il a vu ce qui s'était
passé, il a eu peur et n'est plus revenu au travail. J'ai envoyé le chauffeur le chercher, maisn
il a refusé de venir. L'autre agent que je connais avec qui j'ai travaillé s'appelle
Nzabahimana. Il était militaire.

Q: Nous allons y arriver, je comprends que tu t'es souvenu de beaucoup de choses. Tu me
disais que tu ne te souviens pas s'il s'agit de David ou de quelqu'un d'autre ?

R : On m'a dit que... Je ne connais pas celui qui avait travaillé le matin, ni celui qui avait
travaillé l'après-midi, celui qui a travaillé à la tour de contrôle le soir de l'attentat contre
l'avion est probablement parti. Quand Simbizi est arrivé c'est David qu'il a trouvé.

Q: Les gendarmes dont tu as parlé qui assuraient la sécurité de l'aéroport, provenaient de
quel camp ?

R: Il y avait une compagnie de gendarmerie à l'aéroport. Tous logeaient dans le camp de
Kacyiru. Un véhicule les amenait le matin, une autre équipe les remplaçait le soir. A l'arrivée
de la MINUAR, c'est celle-ci qui contrôlait l'aéroport.

Q: C'est-à-dire qu'à l'arrivée de la MINUAR, la gendarmerie rwandaise n'a plus assuré la
sécurité de l'aéroport ?

R: Si, il y avait des gendarmes rwandais, mais ils assuraient seulement la sécurité de
l'intérieur de l'aéroport. La sécurité de la piste était aux mains de la MINUAR. Du contingent
belge

Q: Le long de la piste ?

R : Oui

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Q: Les gendarmes restaient derrière l'aéroport ou à l'extérieur de l'aéroport ?

R : A l'extérieur et à l'intérieur.

Q: A l'extérieur aussi ?

R : Oui, vers le côté allant au centre ville qui donne sur la route de Remera

Q: Connais-tu certains de ces gendarmes ?

R : C'est un problème car des militaires avec qui je travaillais, je les connaissais par leur
grade. Un tel est sergent, major, capitaine, lieutenant... Pas de noms.
Q: Je pose la question parce qu'il se pourrait que tu aies travaillé là avec un gendarme
originaire de la même région que toi, que tu connais.
R : Celui que je connaissais est décédé. C'était un major.
Q: Pas de problème
R : Oui
Q: Peux-tu nous dire quels critères a-t-on appliqué pour choisir les cinq commandants ?
R : Je ne sais pas quoi te répondre. Je n'étais pas parmi ceux qui ont opéré le choix. Je n'ai
même jamais posé cette question au directeur ou au chef de service.
Q: Qui faisait le choix ?
R: Il s'appelait Ndemeye Jean
Q: Ndemeye Jean ?
R : Oui
Q: Quelle était sa fonction ? Son titre de service ?

R : Il était chef de division. C'était son grade statutaire, même si parfois on les appelait des
chefs de service ou chef des opérations. Ndemeye avec le directeur étaient eux qui nous ont
choisis. Ils nous ont appelés et nous ont donnés nos nouvelles fonctions. Avant cela, nous
avions d'autres tâches : Rutayisire était contrôleur, Bicamumpaka Jérôme également, tout
comme Ntawukuriryayo Jean. Mbaraga Azarias était chef pompier. Je ne connais pas les
critères qu'ils appliquaient. Déjà, ces choix ont suscité quelques remous de personnes qui
contestaient le fait de muter des agents expérimentés de la tour de contrôle.
Q : Te rappelles-tu les lieux d'origine de ces agents ? Kabiligi Augustin venait d'où ?

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R : Il venait de la préfecture de Byumba
Q: Et Rutayisire ?
R : De Byumba également
Q: Et Ntawukuriryayo ?
R: Butare
Q: Bicamumpaka ?
R : Gisenyi
Q: Mbaraga ?
R: Kibuye
Q : Je vois que les lieux d'origine étaient mélangés
R : Lui, était de Kibuye, c'est un adventiste de Rubengera. Quelque par là bas je m'en
souviens.

Q: Mon collègue aussi va m'aider dans les questions. Revenons encore une fois sur le crash
de l'avion. Je vois que tu t'es souvenu puisque la fois dernière tu m'avais dis que tu n'avais
pas vu le premier tir que tu étais dans le bureau et que tu es sorti après avoir entendu le
bruit des tirs. Aujourd'hui tu nous dis que tu as vu les deux tirs.

R : Après que j'avais été signalé que l'avion allait atterrir à 20h30, pour que je puisse suivre
l'atterrissage jusqu'à la sortie, je suis allé l'observer dehors. Tu comprends toi-même que je
ne pouvais pas être à l'intérieur de mon bureau et ne sortir qu'après avoir entendu le
premier tir. En pareil cas, il m'aurait été impossible de voir même le deuxième tir.

Q : Tu peux reprendre les faits comme tu les as vus et nous les décrire ?

R : Regardes l'endroit où est marqué Arrivée internationale, là où il y a des bureaux
administratifs. Il y a une porte où l'on passe qui conduit au guichet de la banque nationale. Il
y a une porte qui donne accès au bloc technique. Je suis sorti par cet endroit-là et je me suis
arrêté là où je vous ai dit. C'est à partir de là que j'ai observé l'avion qui s'apprêtait à atterrir.
Je l'ai vu mettre en marche les phares pour se préparer à la descente. Subitement, sans qu'il
y ait plusieurs minutes qui passent, c'est là que j'ai vu le projectile de la couleur du feu se
diriger vers l'avion et l'a raté. Tout de suite, le deuxième est parti directement du même
endroit et a touché l'avion. Ses lumières ont tout de suite disparu et il s'est mis en feu.
Après cela, les lumières de l'aéroport ont été éteints et nous sommes tombés dans
l'obscurité totale. Les coups de tirs ont commencé à retentir. La suite des événements s'est
déroulée de la façon dont je vous ai expliqué tout à l'heure.

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Q: Sur cet aspect là, c'est clair, tu l'as suffisamment expliqué. Tu l'as déjà dit la fois passée et
aujourd'hui tu indiques clairement que tu as vu les tirs se diriger vers l'avion. La fois dernière
tu m'avais aussi dit que ces tirs te semblaient provenir du camp Kanombe ou dans ses
environs ?

R : Moi je suis un technicien, déjà lorsqu'on regarde la direction de l'avion, lorsque l'avion
est dans une phase qu'on appelle finale, après avoir entamé sa descente, c'est sa dernière
manoeuvre avant d'atterrir. Déjà dans cette position, l'avion n'est plus à Masaka qui est à 7
ou 12 Km je ne me souviens pas bien. Pour moi, l'avion avait dépassé Masaka et se trouvait
dans le ciel des environs du camp Kanombe, en tout cas dans la localité pas très éloignée
du camp. Au regard de ce que j'ai vu, les tirs ne sont pas partis loin de ce lieu. Vous allez
certainement me poser des questions là-dessus.

D'ailleurs, je ne vois pas comment les tirs pouvaient-ils partir de Masaka qui était un lieu
suffisamment gardé, les militaires belges y arrivaient en patrouille. Puis, c'est à Masaka qu'il
y avait des appareils de guide-radios, et cette zone était parfaitement contrôlée par les
Belges qui avaient succédé aux gendarmes rwandais. L'avion ne pouvait être touché par des
tirs venus de Masaka sans qu'il y ait la complicité avec ceux qui gardaient cette zone. C'est
ma constatation.

Q: Laisse ton analyse de côté. Donne-nous des faits sur ce que tu as vu. C'est vrai que toi tu
es un technicien et que tu peux légitimement t'interroger sur ces questions, mais revenons
sur les faits. Donc, tu dis que le premier tir a raté l'avion. L'avion a-t-il alors basculé ou bien il
a continué à voler ?

R : Je n'avais pas une attention attiré vers cet aspect de la question car je ne pouvais pas
savoir que l'avion allait être abattu. Les choses qui se sont passées brusquement comme ça,
je n'ai pas vu d'autres mouvements qu'a faits l'avion une fois touché. Ce serait mentir.

Q: Surtout que l'autre tir a suivi immédiatement ?

R : Il a suivi dans les mêmes instants et c'était la nuit. Il y avait l'obscurité, c'est difficile de
voir le mouvement que fait l'avion. Je dis simplement que j'ai vu que le premier tir a raté
l'avion, ça je l'ai vu. Le deuxième a suivi, l'avion avait déjà engagé sa descente, et l'a atteint;
il n'était plus possible de freiner ou faire d'autres manoeuvres.

Q: Il y a une petite chose que j'aimerais mieux comprendre si t'en rappelles bien : Quand tu
as vu le projectile partir vers l'avion, as-tu entendu du bruit ? Es-ce que ça ressemble à
quelque chose qui a éclaté ou bien tu as simplement vu des projectiles qui se sont suivis. As tu entendu le bruit ? Y-a-t-il eu explosion ?

R: Le bruit que j'ai entendu est celui du deuxième projectile lorsque celui-ci venait de
toucher l'avion. C'est une fois qu'il est parvenu sur l'avion que j'ai entendu quelque chose de
type : « BOUU ».

Q: Lorsque le projectile partait, tu n'as pas entendu du bruit ?

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R : Non, je n'ai pas entendu le bruit

Q: Vous avez vu uniquement son départ ?

R : Oui

Q: Sa trajectoire était-elle, comme tu te souviens, de droite par rapport à l'avion ?

R : Tu vois la piste 28, le point de départ du projectile se situe du côté de ce bras (il montre le
bras gauche), il est parti en direction de l'avion lorsque celui-ci venait dans ce sens (il montre
la main droite). Le premier l'a raté, l'a effleuré avant qu'il n'arrive...

Q: Qu'il n'arrive où ? Donc, il est passé devant l'avion ?

R : Oui, il est passé devant l'avion, et celui-ci a continué ; c'est le deuxième qui l'a atteint et
j'ai entendu un bruit de type BOUU et les phares des l'avion se sont éteints directement.

Q: Selon ce que je comprends de ce que tu as vu, le projectile allait-il dans le sens de
provenance de l'avion ou suivait-il l'avion en venant de son derrière ? Toi tu te situes par
rapport à la piste 28 où l'avion se dirigeait pour atterrir et tu expliques que le premier
projectile l'a effleuré en provenant de ce côté-ci (il montre le bras gauche). Es-ce cela ?

R : L'avion n'y était pas encore arrivé

Q: Maintenant parlons du deuxième: l'avion est en train de venir et il fut atteint. Le
projectile est-il parti comme ça (il soulève la main gauche d'une façon oblique) et a touché
l'avion ou bien tu affirmes que le projectile est parti comme ceci (il soulève la main gauche
en demandant si le point de départ du projectile est à situer derrière l'avion).

R : Pour te dire vrai, le projectile est parti comme ceci (il soulève la main gauche d'une
manière oblique)

Q: Est-il parti dans le sens de provenance de l'avion, devant l'avion, dans le sens où il allait
pour atterrir ?

R : Oui. La piste est de ce côté-ci (il montre la piste en indiquant la table placée devant lui et
monte la main de façon oblique en montrant que le projectile a atteint l'avion de côté) au
moment où il entamait sa descente, le projectile l'a pris.

Q: Ce projectile a touché l'avion en provenant dans le sens où l'avion se dirigeait ?

R: Oui

Q: Il y a une autre chose que je souhaite être éclairé : tu nous as dit qu'à ton arrivée à
l'aéroport, le plan de vol était déjà donné précisant que l'avion présidentiel allait arriver à
20h30. Te souviens-tu s'il y avait un deuxième avion qui était prévu le même jour ?

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Beaucoup de gens nous disent qu'il y avait un avion belge de type C130 qui devait atterrir de
soir-là dans les mêmes heures. Te rappelles-tu si cet avion avait donné son plan de vol ?

R : Non, sur ce point je n'ai pas souvenir. Je me souviens simplement que lorsque je suis
arrivé au service, l'agent que j'ai remplacé m'a dit que la grande information qu'il avait est
celle de l'avion présidentiel qui aurait dû arriver à 16h selon le plan de vol déjà donné, pais
que depuis lors il n'y avait pas un autre plan de vol existant. Il n'y avait aucun plan de vol
relatif au C130 belge.

Q : Tu ne t'en souviens pas ? Il y a un autre point sur lequel nous pouvions nous entraider.

R : Vous pourriez consulter les archives, vous le verrez bien si jamais ces archives ont été
conservées. Il y avait un plan de vol. Lorsque la strippe de progression arrive, l'agent le
prépare et le disponibilise. Mais pour un avion militaire comme celui-là, nous les agents de la
permanence, on n'aimait pas nous donner des détails le concernant. C'est militaire, il n'y
avait pas d'intérêt pour nous. Les avions militaires atterrissaient souvent à leur piste
habituelle. Je ne peux donc pas dire si le plan de vol du C130 y était ou n'y était pas.

Q: Le C 130 belge venait-il ravitailler la MINUAR, tu en sais... ?

R : Moi je ne m'en souviens pas. Ce que je me souviens c'est que pour les avions militaires,
leur communication se passait avec l'endroit où se trouvait le peloton militaire et pas avec
nous les civils. Je ne sais pas s'il était programmé ou pas.

Q: Des fois, des gens donnent des récits différents sur les faits d'allumer ou d'éteindre la
piste. Te souviens-tu si au moment de l'arrivée de l'avion, si la piste était allumée. Souviens toi bien ce qui s'est passé ce jour-là.

R : La piste était allumée, ça je le confirme 100%. La personne qui allume les balises est le
contrôleur à partir de la tour de contrôle. Personne d'autre n'est autorisé. Lorsque l'avion
est proche de l'atterrissage, il allume pour vérifier que toutes les balises fonctionnent. Elles
ont été éteintes lorsque la garde présidentielle a donné l'ordre d'éteindre toutes les
lumières.

Q: Après le crash de l'avion ?

R : Après le crash de l'avion

Q : Tu ne te souviens donc pas avoir vu les lumières être éteint avant le crash de l'avion ?

R : Non, au moment où l'avion approchait, les lumières étaient allumées. Même après le
crash, elles ont continué à fonctionner jusqu'à ce que la garde présidentielle donne l'ordre
d'éteindre. Je ne sais pas d'où ces gens-là qui disent que les lumières ont été éteints, tirent
leurs informations.

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Q: Je crois qu'auparavant tu as d'ailleurs expliqué qu'après le crash de l'avion, tu as envoyé
les pompiers à la piste 28 pour voir ce que s'était passé et qu'ils ont été repoussés par des
militaires ?

R : Oui, je l'ai bien expliqué au début de mon audition comment la garde présidentielle a
contraint les pompiers de rebrousser chemin sans arriver à l'endroit où ils se rendaient.

Q: Te souviens-tu d'un véhicule distributeur d'eau (tank) appartenant à ASTALDI qui serait
venu pour nettoyer la piste ?

R : Nettoyer la piste ?

Q: Oui, un véhicule plein d'eau est venu là le matin ?

R : Non je ne l'ai pas vu

Q: C'était à l'aube

R : A ce moment là, moi j'étais à l'intérieur, je ne suivais pas ce qui se passait dehors. Ce type
de travail de nettoyer la piste n'était pas de mon ressort, mais dans celui des pompiers.
Lorsque ce type de problème relatif à la piste, c'était du domaine des pompiers. Moi, ces
choses-là je n'en ai pas connaissance, pas d'expérience là-dessus.

Q : Tu as dit qu'après le crash de l'avion, il y a eu des tirs provenant des militaires. Y-a-t-il eu
des morts ?

R : Dans cette nuit-là, nous étions tous bloqués. Je vous l'ai expliqué, après avoir éteint les
lumières, nous n'avons plus pu voir ce qui se passait. Nous n'avons même pas sur l'heure à la
quelle la garde présidentielle a quitté les lieux. Depuis ce moment, jusqu'au matin, nous
n'avons pas sur ce qui ce qui se passait.

Q : A la tour de contrôle, tu nous as dit qu'il y avait souvent un contrôleur civil et un militaire
de la garde présidentielle. Es-ce exact ?

R : J'ai expliqué qu'il y avait des contrôleurs militaires et des contrôleurs civils. Ils se
relayaient. La garde présidentielle venait lorsque le président voyageait. Ils allaient dans tous
les services techniques. Je n'ai donc pas dit qu'un militaire de la garde présidentielle y était
tout le temps.

Q: Etait-il possible qu'un contrôleur civil travaille avec un contrôleur assistant qui est
militaire ou vice versa ?

R : Oui c'était possible

Q: Qui prévoyait cela ?

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R: C'est le contrôleur en chef qui s'appelait Nsanzumuremyi Ferdinand. C'est lui qui
établissait les horaires de travail des contrôleurs.

Q: Venons sur les objets qui ont été emportés le soir de l'attentat. Tu nous as dit qu'ils ont
emportés les bandes magnétiques et autres objets...

R : Oui, y compris les registres et les documents contenant des rapports d'activités et les
strippes.

Q: Même le registre a été emporté ?
R : Oui

Q: C'est Simbizi qui les a pris ?

R : C'est ça

Q: Toi tu es spécialiste de la communication aéronautique. Sais-tu s'il y a eu une autre
institution ou individu qui pouvait suivre la progression de l'avion, mais de manière
officieuse, sans être dans le tour de contrôle ?

R : Je suis opérateur radio. Mais, cette question me pose un problème. Il existe un service
qui octroie les fréquences de communication. Kamembe a ses fréquences et Kanombe a ses
fréquences. Je pense que ce n'est pas possible qu'un autre puisse suivre des
communications de l'avion.

Q: Et avec la tour de contrôle ?

R : Oui, il existe une zone qu'on appelle VHF (très haute fréquence), ce qui veut dire qu'il se
trouve très haut, mais que la communication avec l'avion est possible. Alors, à la question de
savoir si une autre personne qui connaîtrait cette fréquence peut communiquer avec l'avion,
ça je ne le sais pas.

Q: Ce que je veux dire, c'est de savoir si une personne qui a sa propre radio... par exemple
on dit que la femme de l'un des pilotes connaissait la fréquence et qu'elle pouvait
communiquer avec son mari à l'approche de l'atterrissage.

R : Je crois qu'elle peut écouter les conversations, mais sans possibilité de parler. Sauf si elle
disposait d'un émetteur-récepteur approprié très sophistiqué. Il y a le risque qu'il brouille les
fréquences habituelles. Ecouter les conversations c'est possible, mais communiquer, je ne
pense pas.

Q: Sais-tu si dans le pays cette façon de capter les communications existait ?

R : C'est possible surtout que le pays était en guerre. Ils pouvaient s'être munis d'appareils
pour contrôler les fréquences qui étaient utilisées dans le pays pour qu'ils puissent suivre les
conversations qui se déroulaient. Ça je confirme que c'est possible. Mais je ne peux pas

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confirmer qu'au niveau de la tour de contrôle ou celui de l'aéroport qu'il y avait ce type de
service.

Q: Le 7 avril tu as dit que le chef de la garde présidentielle est venu et vous a demandé de
poursuivre le travail ?

R: Oui, ils sont venus récupérer les véhicules qui étaient sur la piste vers 9h.

Q: Ce chef de la garde présidentielle avait le grade de major ?

R : Oui, je le vois.

Q: La garde présidentielle était commandée par le major Mpiranya

R : Oui, je le vois de couleur noire. Je crois qu'il est détenu à Arusha. C'est que j'ai vu le matin
accompagner ceux qui venaient prendre les véhicules, et il nous a dit de rester au travail. Il
était avec des chauffeurs militaires.

Q: Il n'a donné aucun autre ordre ?

R: Non

Q: Et Ntabakuze ? Il est venu après combien de jours ?

R : Je ne me souviens pas. Il venait souvent. La première fois, il est venu le matin du 8 avril.
Q: C'est dire qu'après le retrait de la garde présidentielle, ce sont des militaires commandés
par Ntabakuze qui les ont remplacés?

R : Oui, du bataillon paracommando. Ils sont arrivés le 7 au matin vers 9h comme ça.

Q: Et Bagosora. A quelle date est-il venu vous dire qu'il allait tenir une réunion à l'aérogare ?

R : Je ne me souviens pas très bien. C'est entre le 10 et le 13. Les combats faisaient rage.
Tout le monde était parti, il restait des militaires ghanéens de la MINUAR. Il est venu avec
Simbizi en disant qu'il voulait un bureau à utiliser pour la réunion.

Q : A part l'avion ANTONOV dont tu nous as parlés, y-a-t-il eu d'autres avions après le 9?

R: Il y a eu plusieurs, notamment des avions qui venaient évacuer des militaires belges et
d'autres nationalités étrangères. Certains militaires belges ont même endommagé l'aérogare
avant leur départ. A l'aéroport, la situation était très désordonnée.

Q: Revenons à la situation de la tour de contrôle le soir du 6 avril. Tu nous a dit qu'il y avait
deux contrôleurs ? Le contrôleur en chef et son assistant ?

R : C'était ainsi tout le temps. Il y avait toujours un contrôleur en chef et son assistant

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Q: Où était l'autre contrôleur lorsque l'un des militaires de la garde présidentielle frappait le
contrôleur en chef ?

R :Il était là à côté en train d'observer. Le militaire était très excité, de même que Simbizi
d'ailleurs. Je ne sais pas s'il avait lu dans son passeport et découvert l'ethnie du contrôleur.
C'est mon analyse intérieure je ne connais pas la vraie vérité sur cet aspect.

Q: Rappelles-nous la date où tu as quitté l'aéroport ?

R : Je ne me rappelle pas, je sais que j'y ai passé deux semaines depuis le 6 avril, c'était un
mercredi. C'est vers la fin du mois d'avril.

Q: Peux-tu nous expliquer le climat politique de l'époque ?

R : le climat était mauvais. Il y avait des tensions entre les gens à cause des partis politiques.
Les partis divisaient les gens. Il y a eu des blocs ethniques : bloc tutsi, bloc hutu dans les
partis que ce soit MDR, il y a eu MDR power ou PSD. Le groupe power disait que
Habyarimana les avait trahis. Les ressortissants du nord étaient majoritairement contre sa
position. C'était visible, il y avait des groupes qui s'étaient polarisés.

Q: Avec cette situation, pouvait-on se rendre compte que les accords d'Arusha ne seraient
pas mis en application ?

R : En vérité, c'était visible, tant dans les propos des gens que dans des actes de certains. Ils
ne voulaient pas que les accords soient appliqués. Ils s'étaient clairement radicalisés. C'est
semblable à la situation qui prévaut actuellement au Kenya.

Q: Selon ton expérience de l'époque, était-il possible que des services clés tel la tour de
contrôle soient confiés à des Tutsi ?

R : C'est très simple de te répondre sur cette question. Dans des services politiques ou
techniques comme celui-là, le pouvoir envoyait ses candidats faire des études appropriés à
l'étranger. Jamais un Tutsi n'était admis à ce genre d'études. Ce système fonctionnait de
cette manière-là, même si ce n'était pas officiel.

Q: Ce qui me pousse à te poser cette question c'est la réaction de ce militaire de la garde
présidentielle qui, en regardant dans le passeport du contrôleur le soupçonne d'être Tutsi et
se met à lui poser des questions pour le seul motif qu'il y avait trouvé un visa pour l'Algérie.

R : Il se pourrait qu'il soit peut-être un Tutsi qui avait réussi à avoir ce poste après avoir
triché en se procurant une carte d'identité avec mention ethnique hutu. Ça arrivait. Mais je
ne sais pas s'il a été frappé pour ce motif-ci.

Q: Or ça faisait longtemps que tu connaissais ce contrôleur ? Qu'il travaillait là bas depuis?

R : Tous les contrôleurs étaient des gens bien formés. Tu vois, j'ai commencé à travailler là
bas en 1969. Tout le monde m'a trouvé là. J'étais le plus ancien. Je me rappelle que lorsque

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j'ai été envoyé faire mes études, nous étions deux candidats, moi-même et un collègue
malheureusement décédé qui s'appelait Rwagasore François. Il était tutsi. Nous avons donné
nos dossiers. Le directeur qui était notre supérieur qui s'appelait Léonard ne lui a pas permis
de partir avec moi. Au moment de nous donner des passeports, lui, on le lui a refusé.
Comment pouvait-il partir sans passeport. Je crois que c'était en 1977. Quand je suis arrivé à
l'école, on m'a demandé: tu es Rwandais? Où est Rwagasore ? Je n'ai pas sur quoi
répondre. J'ai menti que son dossier n'était pas prêt.

Q: Toi as-tu fait tes études en Belgique ?

R : Non, à Kinshasa à l'école nationale de l'aviation civile et de météorologie.

Q: Les plus récentes formations se font au Niger n'es-ce pas ?

R : Niger, Toulouse et Algérie à Oran

Q: A Kinshasa, où habitais-tu ?

R : Près de l'aéroport militaire de Ndoro

Q: Revenons sur les tirs d'armes automatiques qui ont été effectués par la garde
présidentielle après le crash. Ont-ils causé des victimes ? Soit dans la population, soit parmi
les agents de l'aéroport ?

R : J'ai expliqué qu'ils ont ordonnés d'éteindre les lumières. Puis, ils nous ont demandé de
rester à l'intérieur de la maison sans pouvoir nous déplacer. Je n'ai pas su ce qui s'est
vraiment passé à ce moment.

Q: Oui, tu as bien expliqué cela Je voudrais simplement savoir s'il y avait des nouvelles sur
des victimes que tu pourrais avoir eu dans l'après ?

R : Non, je n'ai plus été à l'aéroport

Q: Est-ce qu'aux extrémités de l'aéroport, y avait-il des armes anti-aériennes ? Je pense que
lorsque le président voyageait l'aéroport devait être bien gardé. Où installait-on les armes ?

R : J'ai expliqué que pendant cette période de guerre, c'était la MINUAR qui avait la
responsabilité de garder l'aéroport. Je ne connais pas les lieux habituels où se positionnaient
les militaires rwandais. C'est probable qu'ils se mettaient dans des endroits que je n'ai pas
pu connaître.

Q: Y avait-il des armes de l'armée rwandaise autour de l'aéroport par exemple près de la
piste 28 ?

R : Oui, il y avait des armes des militaires gouvernementaux installées dans ces différents
endroits ; ils se trouvaient aux deux extrémités de l'aéroport, puis sur les côtés, sur la zone
donnant vers Remera, à l'endroit appelé Hangar Caravelle vers Kabeza, et ailleurs.

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Q: Vivaient-ils avec les Belges à l'ancienne tour de contrôle ?

R : Ce que je sais c'est qu'avec l'arrivée des Belges, ils ont empêché aux gendarmes rwandais
de ne plus s'occuper de la sécurité de la piste d'aéroport. Elle était assurée par le contingent
belge. Avant qu'ils ne viennent, la sécurité était assurée par des militaires rwandais.

Q: Connais-tu le lieu où vit Simbizi aujourd'hui ?

R : Non, je n'en sais vraiment rien

Q: Les Français ne l'ont-ils pas amené avec eux ? Ceux qui ont occupé l'aéroport quelques
jours après le crash ?

R : Pendant les jours que j'y suis resté, il est vrai que des Français y étaient. Mais après je ne
les ai plus revus. Ils travaillaient discrètement. Ils provenaient de la direction du camp
Kanombe. Je n'avais pas de problème avec les militaires, mais je ne me préoccupais pas trop
de ce qui les concerne. Dans le cadre de votre enquête, il faudrait approfondir vos
recherches au niveau des militaires ; nous autres les civils, nous ne pouvons que donner des
informations.

Q: Quel type d'informations pouvons-nous trouver dans l'armée ?

R: Pour commencer, l'aéroport était gardé par des militaires de la MINUAR. Ça c'est une
information à creuser. L'avion peut avoir été abattu à partir de cette zone qu'ils gardaient.
Vous devez interroger la MINUAR pour qu'ils expliquent comment l'avion peut être abattu à
partir d'une zone qu'ils avaient la charge de contrôler. Lorsque l'avions a été abattu, ils
étaient là, demandez-leur des informations sur ce fait. Demandez à tous les autres militaires
qui étaient là.

Q: Peut-on aussi interroger des militaires rwandais sur cette question ?

R : Certainement. Il faut non seulement interroger la MINUAR, mais aussi des militaires
rwandais qui y étaient. Comment ceux qui étaient dans le camp Kanombe peuvent-ils ne pas
connaître ce qui s'est passé ? Il faut qu'ils expliquent comment les faits se sont déroulés, leur
succession. Voilà le point essentiel à élucider.

Q: Vous aussi qui travailliez dans le domaine technique, vous avez des informations
importantes pour notre enquête, il n'y a pas que des militaires.

R : Oui, pour que l'enquête soit complète, il faut effectivement interroger des témoins de
plusieurs catégories. Aucune information n'est à négliger même la plus petite.

Dr BIZIMANA : Sindano, je voudrais te remercier pour ton accueil et la disponibilité que tu
nous offerts. Ce fut aussi le cas la fois passé, je t'en remercie.



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fgtquery v.1.9, 9 février 2024