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Cour d'Appel de Paris
Tribunal judiciaire de Paris
Jugement prononcé le : 0410712025
l7e chambre correctionnelle
No minute : 2
N" parquet 22234000211
Plaidé les 05/05/2025 et 06/05/2025
Délibéré te 04/0i1 /2025
JUGEMENT CORRECTIONNEL
Prononcé à I'audience publique du Tribunal Correctionnel de Paris le
QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT.CINQ
Composée de
Président : Jean-François ASTRUC vice-président
Assesseurs : Anne-Sophie SIRINELLI vice-présidente
Yanael KARSENTI magistrat à titre temporaire
Ministère public Camille POCH substitut
Greffier Adeline MOUNAIX, greffière
Assesseurs Gauthier DELATRON juge
Nicole COMBOT magistrat honoraire juridictionnel
Ministèrepublic CédricLE-GRANDvice-procureur
Greffier Viviane RABEYRIN, greffi ère
a été appelée I'affaire
ENTRE :
Dans I'affaire plaidée aux audiences publiques du Tribunal Correctionnel de
Paris les CINQ ET SIX MAI DEUX MIILE VINGT-CIrya , ,, i -, \ Préwnutcr NS r\fuizi i\hl.J'â Ë*iqq^. \c À+1"#1^2t 1;
composée de : Aprrr.: Rccp'Ç: c{ \'otft ç4''t' t}r tc' ec
président :,&ffilpfiçbrntî"*t&,ië+l?u'r,lÏ^tj'lî.î5*'""^u
LE PROCaREUR DE LA REPaBLIQUE, près ce tribunal,
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'r: j:ii;r
, ..1: : ,... .i . .,
it L'r, -,'..
ET
PARTIE CIVILE
Serge FARNEL
domicilié chez Me Grégoire JONCQUEL PHILIA LEGAL 9 rue Tiquetonne
75002 PARIS,
comparant, assisté de Maître Jean-François JESUS, avocat au barreau de
NANTERRE, lequel a déposé des conclusions visées par le président et le
greffier
PREVENU
Nom : NSANZIMANA Etienne
né\e22 octobre lg75 àKIGALI (RWANDA)
de NSANZIMANA Pierre et de MUKABARANGA Thérèse
Nationalité : rwandaise
Antécédents judiciaires : déjà condamné
Situation familiale : 2 enfants
Situation professionnelle : traducteur, interprète
Domicilié : au cabinet de Camille SOULEIL-BALDUCCI}82 boulevard Saint-
Germain 75007 PARIS
Situation pénale : libre
citation selon acte d'huissier de justice, délivrë à étude d'huissier de justice le
9 flvrier 2024 puis sur renvoi contradictoire
comparant, assisté de Maître Camille SOULEIL-BALDUCCI avocat au barreau
de PARIS (4638), laquelle a déposé des conclusions visées par la présidente et
le greffier :*i,i,r.';{r
' :'r'l qr+!i 'ivi3
: ,til(l'1 À Prér'enu du chef de : rrc,:ildu,t.M
DIFFAMATION PUBLIQUE ENVW|:$iBd{RTICULIER(S) PAR PAROLE, ECRIT,
IMAGE OU MOYEN DE COMMI.INICATION AU PTIBLIC PAR VOTE
ELECTRONIQUE faits commis le l5 mai 2022 àPARIS
PROCEDURE
Selon ordonnance rendue le 28 décembre 2023 par |un des juges d'instruction
de ce siège, à la suite de la plainte avec constituiion de partie civile déposée le
12 aott 2A22 par Serge FARNEL, Etienne NSANZIMANA a été renvoyé
devant le tribunal correctionnel pour y répondre :
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- d'avoir à Paris et sur le territoire national, le 15 mai 2022, en tout cas depuis
temps non couvert par laprescription, publié sur un compte youtube accessible
depuis le site de I'Association Ibuka France une vidéo accessible à I'adresse
URL https//www.youtube com/watch?v:LXYIa_zsLuA comportant des
allégations ou imputations de faits susceptibles de porter atteinte à I'honneur ou
à la considération de Serge Farnel, en I'espèce les propos suivants :
<< J'aimerais dire moi à euh propos de ce livre de Serge Farinel méfiez-vous
des témoignages qui sont clans son livre parce que ce sont des lémoignages
truqués. Donc Serge Farnel s'est.. s'est... euh donc a u.tilisé des
génocidaires et quelques rescapés à qui il a donné de l'argent pour que ils
.témoignent ou qu'ils parlent de choses qu'il veut écrire dans son livre. Moimême,
personnellement, je l'ai rencontré en train d'interuoger ces personnes
et j'ai demandé à au... au secrétaire exécutif de de.. (inaudible) au ministre
actuel du ministère ayant des rescapés en donc, euh le 13 mai, il n'y a pas
eu de Français que ce soient militoires ou civils et qui sont venus à
Bisesero,i c'est absurde Donc il se pouruait que, on a d'après moi, l'analyse
que j'ai faite avant de demander ça à notre euh à nos autorités, I'auleur de
ce livre, il voulait faire ce que tous les témoignages auxquels ils seraient
faits a Bisesero n'ont pas de ce de confiance. Donc il a voulu transformer
notre véritë en utilisant des génocidaires ou des témoins qui se trauvent
dans ce livre. >>
faits prévus et réprimés par les articles 32 alinéa I, 23 aliwéa 1,29 alinéa l, 42
de la loi du2gjuillet 1881, 93-3 de la loi 86-652 duZgjuillet 1982.
Le 19 fevrier 2024,Ie prévenu a fait signifier une offre de preuve dénonçant 6
pièces et le nom d'un témoin.
Le 23 février 2024, une offre de preuve contraire a été signifiée dénonçant 79
pièce et les noms de22 témoins.
A l'audience du 26 mars 2024,1e tribunal a établi le calendrier et a renvoyé
I'affaire aux audiences des 7 juin2024,6 septembre 2024,6 décembre 2024, et
14 février 2025,pour relais, et 5 et 6 mai2025, pour plaider.
A I'audience du 5 mai 2025, à l'appel de la cause, le président a constaté la
présence des parties, assistées de leurs conseils respectifs.
il a été constaté la présence de Marcel HARERIMANA, Eric
NZABIHIMANA, Jacques MOREL témoins, cités à la dernande de la défense
et de Michel SITBON, André GAKWAYA, témoins cités par la partie civile,
lesquels ont été invités à quitter la salle des débats.
Maître Jean-François JE,SUS sollicite le renvoi de I'affaire afin de permettre
I'audition des témoins qui ont été empêchés de se présenter au tribunal et
subsidiairement autoriser une visioconférence.
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Après avoir entendu le représentant du ministère public, le conseil de la
délense et le conseil de la partie civile, le tribunal, après en avoir délibéré a
décidé de retenir I'affaire et indique que n'étant saisi qu'aujourd'hui de la
demande de visioconférence, il n'est pas en mesure de répondre aux exigences
visées par les textes.
Le président a procédé à I'interrogatoire d'identité du prévenu.
Maître Camille SOULEIL-BALDUCCI a demandé à être désignée au titre de
I'aide j uridictionnelle provisoire.
Le président a donné connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal, rappelé la
prévention.
T.e prévenu a été informé de son droit, au cours des débats, de faire des
déclarations, de répondre aux questions posées, ou de se taire.
Le président a fait sortir les témoins hors de la salle d'audience.
Avant toute défense au fond, Maître SOUL,EIL-BALDUCCI a sôulevé ln
limine litis une exception de nullité.
Le tribunal a entendu les explications des parties, les réquisitions du ministère
public et le conseil du prévenu a eu la parole en dernier sur I'incident
Maître JESUS a soulevé in limine litis une exception de fin de non-recevoir
concemant I'audition de I'auteur des propos comme témoin.
Après avoir entendu les explications des parties, les réquisitions du ministère
public et le conseil du prévenu ayant eu la- parole en dernier, le tribunal a
décidé, après en avoir délibéré, de joindre I'incident au fond,
Après le rappel cles faits et de la procécl.rre par le présiclent, il a été procéclé au
visionnage des passages de la vidéo litigieuse, à I'interrogatoire du prévenu, à
I'audition de la partie civile et des témoins, serment préalablement prêté.
A l'occasion de l'audition d'Eric NZABIHIMANA, Maître JESUS s'est
interrogé la régularité de la citation délivrée à ce témoin, qu'il a invité le
tribunal à apprécier
Dans I'ordre prescrit par la loi, le tribunal a successivement entendu :
' Maître Jean-François JESUS, conseil de la partie civile, qui a repris ses
conclusions écrites ;
- le représentant du ministère public en ses réquisitions ; - Maitre Uamille SOULHII -tsALlJUCCl, conseil de Ia dét-ense, qui a
développé ses conclusions écrites ;
Le prévenu a eu la parole en dernier
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A I'issue des débats, I'affaire a été mise en délibéré et le président, en
application des dispositions de I'article 462, alinéa 2, du code de procédure
pénale, a informé les parties que le jugement serait prononcé le 4 juillet 2025.
A cette date,la décision suivante a été rendue :
MOTIFS
Le 12 aoirt 2022, Serge FARNEL déposait plainte avec constitution de partie
civile devant le doyen des juges d'instruction de ce tribunal pour des faits
qualifiés de diffamation publique envers particulier, au visa des articles 29
alinéa 1"' et 32 alinéa 1" de loi du 29 juillet 1881, à I'encontre d'Etienne
NSANZIMANA et d'Eric NZABIHIMANA en raison des propos cités cidessus,
tenus le 13 mai 2022, à Paris, lors d'une réunion publique à la mairie de
Paris 18è-", puis diffusés sur le compte YouTube de llassociation IBUKA
France, accessible à une adresse URL précisée dans la plainte.
La partie civile considérait que les propos lui imputaient d'avoir
volontairement altéré Iav&ité au sujet de faits s'étant produits le 13 mai 1994,
en soudoyant plusieurs témoins des faits, rescapés comme génocidàires; dans le
but d'affirmer de façon fallacieuse la présence de Français, civils ou militaires
à Bisesero le 13 mai 1994, alors que plusieurs dizaines de milliers de Tutsis
étaient tués.
Il estimait que cette accusation d'avoir sciemment adopté ce comportement
particulièrement grave et malhonnête, mettait en cause son intégrité
intellectuelle et morale et portait atteinte à son honneur et à sa considération.
Serge FARNEL joignait à sa plainte deux procès-verbaux de commissaires de
justice en date des tr 8 et 22 juillet 2022, pour établir la tenue des propos
litigieux sur le site susvisé, librement accessible au public (pièce no 1 et 3
annexées à la plainte avec constitution de partie civile).
Par réquisitoire introductif du 7 mars 2023, le procureur de la République
requérait qu'il soit informé des chefs visés par la plainte, contre personne non
dénommée.
En réponse à la demande des enquêteurs de la brigade de répression de la
délinquance contre la personne (BRDP) sur commission rogatoire, le directeur
de cabinet du maire du 18ème arrondissement de Paris confirmait qu'une
conférence relative au génocide des Tutsis au Rwanda avait été accueillie dans
ses locaux le 13 mai 2022, que cette conference avait été organisée par
I'association IBUKA France et qu'Eric NZABIHIMANA y avait été invité à
s'exprimer par cette association.
Les investigations établissaient également la publication des propos sur le site
YouTube de l'association IBUKA le 15 mai 2022, librement accessible au
public en ligne, dont Etienne NSANZIMANA était le directeur de la
publication
Pzge 5 129
Etienne NSANZIMANA était mis en examen par lettre recommandée avec
accusé de réception en date du 18 septembre 2023 en qualité dlauteur du délit
de diffamation publique envers particulier, à la suite d'un avis en ce sens du 10
juiilet 2023, en application de I'article 5 i - 1 de laloi du,2gjuillet 1881 .
S'agissant, d'Eric NZABIHIMANA, en I'absence de retour des accusés de
réception des lettres recommandées intemationales qui lui étaient adressées
pour lui notifier sa mise en examen et alors qu'aucune coopération judiciaire
n'apparaissait envisageable avec le Rwanda s'agissant d'une affaire â" pr"rr.
(D30), le juge d'instruction constatait que celui-ci n'avait pas pu être mis en
examen.
clest dans ces conditions que par ordonnance en date du 28 décembre 2023,
seui Etienne NSANZIMANA était renvoyé devant le tribunal correctionnel
dans les termes ci-avant mentionnés
A la suite de la citation à comparaître qui lui était signifiée, Etienne
NSANZIMANA faisait notifier une offre dê preuve de la ug.ite des faits
réputés diffamatoires le 19 fevrier 2024,
"r,
u.rt, des dispositions de l'article
55 de la loi du 29 juillet 1881, dénonçant 9 documents et un témoin.
Le 23 fevrier 2024,1a partie civile faisait notifier une offre de preuve contraire
en application de l'article 56 de la même loi, comportant la dénonciatio n de 79
pièces et de 22 témoins.
A l'audience du 5 mai 2025,Ie conseil de Serge FARNEL sollicitait le renvoi
du dossier afin d'assurer la comparution des témoins domiciliés au Rwanda
annoncés au titre de l'offre de preuve contraire, exposant qu'ils n'a-vaient pr,r
obtenir de documents de voyage pour se rendre en France.
Subsidiairement, il sollicitait que le tribunal organise la comparution des
temorns par.vlslo-contérence au sern des locaux Je l'ambassade de t'rance à
Kigali, et très subsidiairement, en tout autre lieu.
Après en avoir délibéré, le tribunal décidait de ne pas faire droit à la demande
de renvoi au vu de I'ancienneté de la procédure et du délai dont avait disposé la
partie civile pour organiser la comparution de ses témoins, ainsi que de
I'absence de toute assurance de les voir comparaître dans un délai raisonnable
au vu des obstacles administratifs évoqués.
S'agissant des modalités de comparution des témoins, le tribunal constatait
quc, saisi de ces clettiatdes à I'audicricu, il étail. daus I'ilrpussibilité d'urgariser
la.comparution des témoins par voie de visioconférence dans le respect des
prescriptions des articles 706-71 alinéa 3 et A 38-l du code de piocédure
pénale.
.Page 6 / 29
Avant tout débat au fond, le conseil d'Eric NZANSIMANA soulevait une
exception de nullité de la plainte avec constitution de partie civile sur le
fondement des dispositions de I'article 50 de la loi du 29 juillet l88l reprenant
les termes des conclusions écrites déposées à cette fin.
Il en était débattu in limine litis,le ministère public et le conseil des parties
civiles s'y ôpposant.
L'incident ayant été joint au fond, Eric NZANSIMANA était entendu en sa
qualité de prévenu.
Celui-ci indiquait que l'association IBUKA, dont le nom signifie < souvienstoi
>, avait éTé créée en 2002 afin de perpétuer la mémoire du génocide des
Tutsis au Rwanda et qu'il en était bien le président à l'époque des faits, même
s'ii ne l'étaitplus actuellement. r
Il expliquait ne pas avoir compris la démarche de Serge FARNEL consistant à
déposer plainte contre lui, qu'il qualifiait d'<
>. Il indiquait savoir
que celui-ci s'intéressait au génocide ayarlt frappé les Tutsis au Rwanda mais
qu'il ne l'avait pas considéré jusqu'alors comme un << ennemi >> de
I'association.
Revenant sur la journée du 13 mai 2022, il rappelait qu'elle célébrait
f inauguration d'un troisième lieu de mémoire consacré'au génocide à Paris,
auquel était donné le nom d'une personne à laquelle les survivants et les
proches de victimes pouvaient s'identifier, dans une journée qui leur été dédiée.
S'agissant de son intervention, il expliquait avoir tenu le rôle de << maître de
conJiérence > et n'avoir pas remarqué la présence d'une caméra.Il estimait que
ses fonctions de président de I'association ne le rendaient pas responsable de la
diffusion de la vidéo ainsi captée.
Interrogé sur les propos reprochés à Eric NZABIHIMANA, il expliquait
n'avoir qu'un souvenir diffus de la scène où une personne en short s'était levée
pour remettre un ouvrage aux conferenciers. n indiquait quiEric
NZABIHIMANA parlait de façon saccadée et qu'il n'avait pas saisi la mesure
rle st-,rs llrulnrs, pr'Éuisirlrl lr'avnil riur à rlit'e sul'cçux-çi tttais cotirprendrç
qu'Eric NZABIHIMANA ait été choqué que quelqu'un (( cherche à rendre
inaudible les témoignages des rescapés de Bisesero >>.
Il estimait que l'attitude de Serge FARNEL, qui avait fait remettre son livre
puis avait engagé des poursuites judiciaires, avait << saboté la iournée >>, et
expliquait qu'il ne voulait pas que I'on se souvienne de cette joumée
commémorative à travers le présent procès.
Marcel HAREzuMANA était entendu comme témoin.
Il indiquait être le fils d'Aminadabu BIRARA dont la mémoire était célébrée
lors dc la journéc dc commémoration du 13 mai2022 à I'occasion de laquelle
Serge FARNEL lui avait fait remettre son livre.
Interrogé sur les propos qu'il avait tenus lors de la conférence, il explicfuait
avoir dit que le 13 mai 1994 àBisesero, il avait vu des personnes, blanches, qui
ne s'étaient pas préqentées et qu'il n'avait pas vu de soldats français. Il précisait
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ne pouvoir dire si ces personnes étaient ou non des militaires, ni qu'ils auraient
pris part aux massacres. Il confirmait avoir vu << des blancs >, qui s'étaient
présentés comme des soldats français Ie 27 mai tI994l et qui leur avaient dit
< de faire de fleurJ mieux pour combattre des miliciens et qu'au bout de 3
jours ils viendraient à fleurl secours >>.
Au sujet des témoignages contenus dans le livre de Serge FARNEL qui tui
avait été offert, il déclarait qu'il << connai[ssaitJ des personnes .qui ont
témoigné et elles étaient payée; et ensuite il a repris des témoignoges en
commun et il rassemblait des persowx€s; leur payait à boire et ensuite il les a
payées >. Il expliquait avoir assisté à ces auditions lorsque Serge FARNEL était
venu au village avec son interprète et l'avoir vù acheter à boire et verser 7000
francs rwandais aux témoins, dont Emmanuel KAzuBANA.
Il précisait que Serge FARNEL posait des questions, traduites par son
interprète, pour demander < ce que les français avaient fait à Bisesero le I3 et
I4 mai >.
I1 indiquait avoir lui-même été intenogé à cette occasion, trente ans auparavant,
mais ne pas savoir ce que Serge FARNEL avait conservé de ses dires, ni même
se souvenir de ce qu'il lui avait dit.
Il estimait que I'attitude de Serge FARNEL, qui lui avaitfait offrir un livre
qu'il considérait comme négationniste, était choquante.
Eric NZABIHIMANA, témoin au'titre de I'offre de preuve était entendu à son
tour.
Il expliquait que' pendant la journée de commémoration du 13 mai 2022,
quelqu'un était venu remettre un livre prétendant que des militaires frànçais
étaient venus à Bisesero le 13 et le 14 mai 1994, et qu'il était intervenu pour
dire que c'était faux.
Il disait ne pas comprendre que << des personnes veulent fleurJ voler fleurJ
histoire >> et >.
Il sorrtannit ar,oir dit qua lao témoignngao étnient s. Truquôs l dnnc le oanc or'l il
n'y avait pas eu de blanc le 13 et le 14 mai et que serge FARNEL avait profité
de I'ignorance des rescapés, qui avaient perdu toute notion du temps lors des
épisodes génocidaires à Bisesero. Il relatait qu'il avait lui-même interrogé les
rescapés sur la présence de blancs au mois de mai 1994 et que ceux-ci lui
avaient répondu ( non c'est toi qui sais D otJ( c'est toi qui connais le mieux y.
Il expliquait ces réponses par le fait qu'il était le premier à être entré en contact
avec le contingent de l'opération TurquoiseIe2T juin 1994 et que son appel au
secours avait été entendu par Patrick DE SAINT-EXUPERY, qui avait fait
stopper la colonne de militaires; qu'il leur avait montré les cadavres et leur
avait expliqué qu'un génocide était en cours et avait demandé la protection des
militaires français mais que ceux-ci avaient répondu < qu'ils n'étaient pas
prêts > et avaient dit aux réfugiés de << rester dans leurs cachettes en attendant
leur retour >>, puis les avaient laissés.
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Il racontait que les 28,29 et 30 juin 1994,Ies attaques et les massacres s'étaient
multipliés et que les militaires, stationnés pas très loin, pouvaient les voir à la
jumelle.
Il indiquait qu'il avait ensuite porté plainte eontre les militaires français, qui les
avaient abandonnés le 27 juin alors qu'ils pouvâient encore les sauver, mais
qu'il niavait pas obtenu gain de cause.
Il térnoignait de ce que Serge FARNEL l'avait appelé et lui avait proposé d'être
son interprète mais expliquait que ce dernier, << quand un rescapé de Bisesero
ne pouviait pas dire devant moi qu'il avait vtt des militaireis >,lui disait < qu'il
ne traduisàit pas comme ilfaut > et qu'ils s'étaient donc séparés.
Il expliquait qu'à la suite de la lecture du premier livre de Serge FARNF',L, il
auait << contacté les autorités, via un établissement national, le CNLG
[commission nationale de la lutte contre le génocideJ, pouff demander si nous
allions laisser passer ça > et qu'à la suite de cette démarche, les autorités
locales et même le ministre avaient appelé les gens à être prudents en
témoigrynt de ce qu'ils avaient vu et non pas de ce qu'ils avaient entendu dire.
Il avançait que les. gens qui avaient fait ces déclarations ne pouvaient les répéter
car ils savaient qu'elles étaient fausses.
Interrogé sur le recueil des témoignages, il déclarait avoir estimé que certains
témoignages avaient été achetés par Serge FARNEL car des témoins I'avaient
sollicité pour qu'il demande à Serge FARNEL de leur remettre I'argent promis
lorsqu'il le verrait en France. Il citait en exemple le cas de Fidèle
SIMUGOMWA, dont il estimait que les propos changeaient de jour en jour et
n'étaient pas crédibles.
Il expliquait que des témoignages de gens qu'il ne connaissait pas avaient'été
recueillis ensemble, groupés dans une chambre, alors qu'ils auraient dû l'être
séparément.
Enfin, il indiquait ne pas connaître la somme que les témoins demandaient ou
qui lcur était rcmise. Il roppelait qu'après lo génocide, les rescapés avaient
perdu les leurs et leurs biens, ne pouvaient plus travailler à cause des séquelles,
notamment mentales, et que beaucoup d'entre eux, dont lui, avaient sombré
dans I'alcool. I1 considérait qu'entre le traumatisme et I'ivresse quotidienne, les
diffrcultés mentales des intéressés pouvaient expliquer les réponses qu'ils
avaient données.
lnterrogé sur la valeur de 7000 francs, il expliquait qu'avec cette somme on
pouvait s'acheter 7 bières, que le bus coûtait 500 francs et un taxi 1000 francs
mais que de nombreux témoins avaient été interro gés chez eux et n'avaient
donc pas engagé de frais de transports.
Jacques MOREL, témoin de la défense, était entendu.
Ancien informaticien au CNRS et auteur d'un livre sur le rôle de la France dans
le génocide des Tutsis, publié chez le même éditeur fMichel SITBON] que
celui de Serge FARNEL, il racontait que I'affaire du rôle joué par les soldats de
l'opération Turquoise à Bisesero avait été connue en France avec notamment
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un arricle de patrick DE SAINT-EXUPÉRY du 2g juin lgg4; qu,à cene occasion' le groupe de reconnaissance militaire avait faitle choix d,évacuer religieuses ou des encore un prêtre alors qu'ils pouvaient voir les massacres se dérouler sur les collines.
Il. expliquait que les rescapé s << avaient perdu la notion cht temps > et ne disposaient que << d'une mémoire reconstituée > et précisait que i"ir.;r*" a avoir évoqué la présence de < blancs le 7 mai > éiait une < petite fille de 7
ans qti avait été machettée >> et qui avait < inspiré cette hùnire >> à serge
FARNEL.
Il expliquait que Serge FARNEL stétait rendu à Bisesero comme correspondant
de presse en2006 pour couvrir les activités de la commission MUCyo dont les conclusions, publiées en 2008, ne parlaient pas de la présence de militaires ou
mercenaires français les l3 et 14 mai \gg4.
! expliquait que venuste KAYIMAHE, qui avait été l,interprète de serge FARNEL puis le sien, lui avait dit avoir été << mal à l'aise > lors des entretiens
conduits par celui-ci car < les tueurs étaient avec leurs ,irtiàrr- pr)ràil u main dans la main > et qu'un soir il avait été attaqué alors qu,il était dans une voiture avec une journaliste par des gens qui uttàaui.nt a" ràrg""; ;;î;g" FARNEL.
Enfin, il estimait qu'en faisant venir une joumaliste du wal Street Journal pour donner dès 2009 de la publicité à ruihèr", alors mêm. qu".i"o nljoi, confirmé, serge FARNEL ne s'érait pas pracé'dans une il;;#" ;;;Ër" de recherche historique.
Il disait qu'il avait pu Iui-même se convaincre lors de son voyage de 2013 que Fidèle SIMUGOMWA cherchait à obtenir de l,argent, en mentant notamment
sur ses frais de trajets.
Michel sITBoN, témoin cité par Ia partie civire, était entencr'- Il indiquait être l'éditeur du rivre de Serge FARNEL, -ui, u*ror. aussi pubrié à l'époque la première édition de |ouvrag. d, Ju.qu", ilaonEr. Il expliquait cotulaîl.re I'histoire de Bisesero depuis lgg4r - ses spécialistes,
pour les avoir presque tous publiés.
Il relatait qu.'ce.ii. cnpNrpn puis à sa suire Serge FARNEL avaient établi
!u'ol.ne pouvait pas parler d'une complicité seulement indirecte de l,armée
française qui avait laissé faire res massacres mais bien d,une p"ni"ipàii""
directe et active de I'armée française en mai lgg4.
Il analysait les diffrcultés de réception de cette information par le fait que les
chercheurs étaient réticents à changer leur point de vue de spécialistes et que
cet éclairage posait un problème dipromatique sérieux, à l,opposé du ,upport DUCLERT dont les conclusions renâaient la réconciliation possible. Il soutenait qu'au cours d'une réunion lors de laquelle avaient été diffusés des témoignages filmés de serge FARNEL au soutien de sa thèse, Eric NZABIHIMANA avait accrédité les propos et rui avait dit;;";"y;;;"; ;;;, pas et il n'y a pas d'école de l'actor studio à Bisesero >>.
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Il expliquait qu'ayant eu connaissance de I'organisation de cette journée de
commémoration du i3 mai 2022, il avait été décidé qu'un citoyen chercheur,
qui travaillait lui aussi à partir du travail de Serge FARNEL, aille distribuer une
petite plaquette annonçant le livre et en donner à Marcel IHAREzuMANA] un
exemplaire dédicacé en hommage.
André GAKWAYA, second témoin de la partie civile, était entendu.
Sur son rôle, il expliquait être traducteur et ne pas avoir accompagné Serge
FARNEL à Bisesero mais Monsieur BOUDIGUET, qui poursuivait les travaux
du premier et les confirmait.
I1 avançait qu'Eric INZABIHIMANA], qu'il présentait comme le chef de
I'association des rescapés et un leader d'opinion très respecté, avait profité de
son statut pour influencer les autorités, qui avaient intimidé les 22 témoins
interrogés par Serge FARNEL, certains renonçant même à témoigner.
Il expliquait que cinq témoins avaient attesté car ils n'avaient p+s pu obtenir de
passeport par les autorités du ministère, et qu'ils auraient voulu dire au tribunal
que (( leur objectif est de désavouer Eric qui a osé dire que Serge est un
menteur qui a payé de l'argent à des témoins pàur qu'ils disent avoir vu des
soldats français au cours de Ia grande attaque >>.
Il indiquait avoir gardé des contacts avec les témoins qu'il avait connus entre
2010 et20l2 et expliquait qu'ils n'avaient jamais été payés par Serge FARNEL
pour mentir mais qu'il leur remboursait leurs frais de déplacement ou encore
les indemnisait du travul manqué pendant le temps de l'entretien. 11 estimait
cette somme modeste autour de 10.000 francs rwandais.
Il s?élevait également contre le fait qu'un ministre soit intervenu pour dire aux
gens ( d'anêter de témoigner qu'il y a eu des soldats français contre de
l'argent >>, voulant ainsi empôcher des gens de raconter la souffrance qu'ils
avaient endurée.
Serge FARNEL, partie civile, était entendu.
Il expliquait, avec émotion, avoir écrit des articles avant de se rendre au
Rwanda en2006, puis y être retourné pour s'exprimer à I'occasion de la 15è'"
commémoration en2009, à I'invitation de Monsieur MUCYO, avec la volonté
de recueillir sur place des témoignages qu'il avait entendus trois ans plus tôt.
Ii estimait que son honneur était en cause puisqu'il avait été dit qu'il avait payé
des témoins pour qu'ils mentent en disant qu'il y avait des soldats français le 13
mai 1994 à Bisesero, et qu'on le décrivait donc comme << un faussaire d'un
génocide >.
I1 préoisait qu'il n'avait pas voulu blesser Maroel IHARERIMANA] et s'en
excusait. Il disait voir dans la remise du livre << un cadeau >>, car il y parlait du
courage de son père.
Page ll / 29
Le tribunal diffusait à l'audience des extraits des pièces no 10 et 2l
communiquées par la défense, correspondant aux témoignages filmés, recueillis
par Serge FARNEL en avril 2009, des deux témoins non comparants mais dont
I'attestation était communiquée aux débats, à savoir l'interview de Fidèle
SIMUGOMV/A du 28 avril 2009 (pièce n'10) et f interview de Semi
BAZIMAZIKI du 14 février 2010 (pièce n" 21).
Le conseil de la partie civile était. entendu en sa plaidoirie, soutenant ses
écritures déposées I'audience.
Il sollicitait qu'Etienne NSANZIMANA soit déclaré coupable du délir de
diffamation publique envers particulier.
Au titre de son action civile, il demandait, sous le bénéfice de l'exécution
provisoire, la condamnation d'Etienne NSANZIMANA à verser à Serge
FARNEL un euro à titre de dommages et intérêÎs, que soif ordonnée sotrs
astreinte la suppression du passage litigieux, le cas échéant de la seule bandeson
de la vidéo, ainsi que la condamnation du prévenu à lui payer la somme de
8.000 euros sur le fondement de I'article 475-1du code de procédure pénale.
n sollicitait enfin que soit ordonnée la publication du juglment de
condamnation à intervenir sur le site de I'association IBUKA France.
Le ministère public était entendu en ses réquisitions.
Développant ses écritures déposées à I'audience, le conseil d'Etienne
NSANZIMANA soutenait la relaxe de ce dernier, faisant valoir en premier lieu
que les propos, qui ne renfermeraient I'imputation d'aucun fait précis mais
constitueraient un point de vue et une opinion critique, n'étaient pas
diffamatoires, subsidiairement qu'il rapportaitlapreuve de la vérité des propos
et, très subsidiairement, qu'il devait bénéficier de l'exception de bonne foi.
Recnnrrenfinnnellemonf il o^lli^itoi+ lo nnnrlom--+;^- ,{^ e^--^ E
^
v^uurrl, Ii i(JitiuiLclit ld iJUiiu4iiliiiiliull Llg,fcfgç iÉil"Dti\\ËTLD t âÀ 1iti,l,'
payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 472 du code de
procédure pénale.
SUR L'ACTION PUBLIQUE
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire est accordé à Maître Camille
S OULEIL-BALDUCCI, conseil d' Etienne NSANZIMANA.
Sur lu nullité cle la plainte avec constitution de partie civile.
En l'espèce, le conseil d'Etienne NSANZIMANA soutient en premier lieu que
la plainte avec constitution de partie civile est entaohée de nullité en ce qu'ello
laisse incertains les propos poursuivis dont certains sont soulignés sans que ce
choix typographique ne soit explicité ; que la plainte est également affectée
d'une ambiguité s'agissant du support de publication des propos visés, dès lors
qu'elle ne détermine pas s'il s'agit du lien hypertexte publié sur le site de
Page 12 / Zi,g
l'association IBUKA France renvoyant à la vidéo mise en ligne sur le site
internet YouTube ou s'il représente cette vidéo elle-même hébergée par ledit
site internet ; qu'enfin la plainte, qui ne mentionne pas les dispositions de
l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 s'agissant d?une communication
électronique laisse incertaines les bases de la poursuite, qu'il n'appartenait pas
au juge d'instruction de préciser.
Le représentant du ministère public, entendu en ses réquisitions, estimait qu'il
n'y avait ni confusion ni discordance dans les propos poursuivis dans la plainte,
lesquels étaient donc délimités avec la clarté requise, et invitait le tribunal à
joindre l'incident au fond.
En défense, le conseil de Serge FARNEL soutenait que l'exception soulevée
était irrecevable, cette nullité trouvant son origine dans i'information judiciaire
et ne pouvant en conséquence être soulevée que devant la chambre de
l'instruction en application de I'article 385 du code de procédure pénale.
Il concluait pour le surplus au rejet de l'exception de nullité, en faisant
essentiellement valoir que le propos retranscrit n'avait pas été déformé ou
dénaturé et que le soulignement venait uniquement mettre en exergue la charge
diffamatoire des propos ; que la plainte visait expressément les dispositions des
articles 93-2 et 93-3 de la loi n"82-652 du 29 juillet 1982 eI enfin, que le
support était clairement identifié comme étant la vidéo hébergée sur les
serveurs de la société YouTube, la plainte ne faisant pour le surplus que décrire
le parcours de l'internaute depuis le site d'IBUKA France jusqu'à cette vidéo
sur le site dlhébergement YouTube.
Sur la recevabilité des exceptions de nullité soulevées par le prévenu
Selon les articles 179, alinéa 6, et 385 alinéa 4, du code de procédure pénale,
lorsque la juridiction correctionnelle est saisie par I'ordonnance de renvoi du
juge d'instruction, les parties sont irrecevables à soulever des exceptions tirées
de la nullité de la procédure antérieure. Il n'en est autrement en matière de
presse que lorsqu'est invoquée la méconnaissance des prescriptions de I'article
50 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que l'étendue de la saisine de la
juridiction en matière de presse n'est pas déterminée par l'ordonnance de
renvoi mais par l'acte de poursuite initial.
Ainsi, en matière d'infractions de presse, le tribunal n'est pas saisi par
I'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel mais parlaplainte avec
constitution de partie civile qui fixe, dès I'origine et irrémédiablement, la
naturc ct l'étcnduc dcs poursuitcs, lcsjugcs du fond devant vérifier si la plainte
avec constitution de partie civile, combinée avec le réquisitoire introductif,
répond aux exigences de I'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, sans que
puissent être opposées les dispositions des articles 179, dernier alinéa, et 385
du code de procédure pénale.
Page 13 / 29
Dans ces conditions, la partie civile n'est pas fondée à soutenir que
I'ordonnance de renvoi du 28 décembre 2023 a hxé irrévocablement l'étendue
de la saisine du tribunal et que les exceptions de nullité ne peuvent être
soulevées devant le juge du fond.
Le moyen tiré de l'irrecevabilité des exceptions de nullité sera par conséquent
rejeté.
Sur le bien-fondé des exceptions de nullité soulevées par le prévenu
Il convient de rappeler qu'en matière de délits de presse, I'acte initial de
poursuite fixe définitivement et irrévocablement la nature et l'étendue de celleci
quant aux faits et à leur qualification.
Pour pouvoir mettre I'action publique en mouvement, dans le cas d'infractions à
la loi du 29 juillet 1881, la plainte avec constitution de partie civile doit
répondre aux exigences de I'article 50 de cette loi. Elle doit, à'peine de nullité,
qualifier précisément le fait incriminé et viser le texte de loi applicable à la
poursuite, ce qui slentend du texte répressif, et ce afin que le prévenu puisse
connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont il aura exclusivement
à répondre, I'objet exact de I'incrimination et la nature des moyens de défense
qu'il peut y opposer.
En particulier les propos poursuivis doivent être clairement définis ; s'ils sont
très longs et contiennent de nombreux faits, il est en outre nécessaire que la
plainte indique la ou les imputations que la partie civile y distingue
Par ailleurs, le fait que la persorrle poursuivie doive iinpérativement être fixée
avec précision sur l'étendue exacte des propos incriminés implique qu'elle soit
éclairée non seulement sur la nature des proposo mais également sur les
strypnt'ts sttr lestltttls ils figtrmrt, rlri r"ronslitrrerrt autarrt rl'astes r{e prrhlicatiorr
distincts.
Si la plainte incomplète ou inégulière peut être validée par le réquisitoire
introductif, c'est à la double condition que celui-ci soit lui-même conforme aux
prescriptions de I'article 50 et qu'il soit intervenu dans le délai de la prescription
que la plainte bntachée de nullité n'a pas interrompu.
Les dispositions de I'article 50 de la loi sur la presse tendent à garantir les droits
de la défense, elles sont substantielles et d'ordre public et prescrites à peine de
nullité de la poursuitç cllc-mêmç.
En I'espèce, la plainte, dans une partie consacrée aux ( Faits > (page 3),
retranscrit entre guillemets le propos tenu par Eric NZABIHIMANA, horodaté
à 2 heures 32 minutes et 20 secondes de la vidéo.
Page 14 /29
En page 5 de la plainte, dans une partie intitulée << Propos tenus lors de la
conférence du 13 mai 2022 par Eric NZABIHIMANA. Faits visés et
qualification. Indication du texte applicable à la poursuite >>,Ie rédacteur, après
avoir mentionné les textes d'incrimination du délit de diffamation publique
envers un particulier, indique << Les propos d'Eric NZABIHIMANA
correspondent à cette définition >, puis reproduit le contenu du passage déjà
retranscrit en page 3, tout en soulignant certains des termes ou expression qu'il
contient, en précisant << propos soulignës par nous >>.
Enfin, en page 9, sous une rubrique intitulée << Propos mis en ligne par IBUKA
FRANCE. Faits visés et qualification. Indication du texte applicatble à la
poursuite >, la plainte reproduit à I'identique, et dans la même mise en forme,
le contenu du passage déjà retranscrit en page 5.
Ainsi, s'agissant de l'étendue des poursuites, il ressort de l'étude de la plainte
que le passage poursuivi est clairement énuméré et déterminé à trois reprises,
sans aucune discordance entre les propos, au gré des trois parties de la plainte
où il est reproduit.
Le choix d'affecter à certains propos seulçment une caractéristique
typographique différente par I'effet de leur soulignement dans les deux parties
de la plainte consacrées aux << Propos mis en ligne > n'est pas de nature à créer
une incertitude dans l'esprit des prévenus sur l'étendue des poursuites, dès lors
qulaucun sens n'est assigné par Ia partie civile à ce choix stylistique et que le
recours à ce procédé sert à mettre en exergue certains termes, pour les besoins
de la démonstration.
Ce procédé, qui permet d'insister sur certains termes ou expressions, sans pour
autant exclure les autres du champ de la poursuite, ne crée pas d'ambiguité sur
le fait que ce sont bien I'intégralité des propos cités qui sont poursuivis.
S'agissant de l'ambiguilé alléguée du suBport de publication, la plainte précise
que les propos, << tenus par Eric NZABIHIMANA > ont été << mis en ligne par
IBUK4 I.'IL4NL'E >.
La partie civile précise dans sa plainte (page 4) que la vidéo a été mise à
disposition du public, sur internet, par I'association IBUKA FRANCE, via son
site internet YouTube, à une adresse URL qu'elle reproduit in extenso.
La seule précision contenue dans la plainte et confortée par le constat du
commissaire de justice selon laquelle cette vidéo << sur le site YouTube sur le
compte d'IBUKA FRANCE > est accessible vla un lien hypertexte depuis le site
de I'association, ne fait qu'indiquer qu'il est possible d'accéder au compte
YouTube d'IBUKA France abritant la vidéo directement via le site de
l'association.
Cetts montion n'introduit auouno ambiguïté our le fait que lo support de
publication poursuivi est bien la vidéo diffusée sur le compte YouTube de
I'association.
Page 15 / 29
Enfin, et contrairement à ce qu'allègue le prévenu, I'indication de l'article 93-3
de la loi n"82-652 du 29 juillet 1982 comme fondement des poursuites de
l'infraction commise par voie de communication électronique est contenue à la
page 10 de la piainte.
Dès lors, le prévenu ayant été mis à même, à la seule lecture de la plainte, de
délimiter avec précision et certitude les faits dont il avait à répondre et, partant,
les moyens de défense qu'il pouvait opposer au plaignant, la plainte déposée le
72 aotfi 2022 par Serge FARNEL est conforme aux dispositions de I'article 50
de la loi du2g.iuillet I 881.
L'exception de nullité soulevée par Etienne NSANZIMANA serâ dès lors
rejetée.
Sur I'audition d'Eric NZABIHIMANA en qualité de témoin
Ltarticle 105 du code de procédure pénale dispose que ( les personnes à
l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir
participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent être entendues
comme témoins. >>
I est rappelé que Eric NZABIHIMANA, contre lequel la plainte était
nominativement dirigée en sa qualité de complice du délit de diffamation, n'a
pas été mis en examen à I'issue de I'information judiciaire. Serge FARNEL
avance avoir fait délivrer à ceiui-ci au début du mois de mai 2025,lors de son
arrivée en France en vue de témoigner, une citation directe à comparaître
ultérieurement pour répondre des faits objets de la présente instance.
Cependanl, outre que la citation aliéguée n'a pas été produite aux clébais, les
dispositions de l'article 105 du co{e de procéduie pénale ne font pas obstacle à
cf, qtlff cehti-ci snif enfnndu snns le stafrrt rie Îémnin dnvanf le trihtrnal
correctionnel conformémelt aux dispositions des articles 435 et suivants du
même code.
L'irrecevabilité alléguée de l'audition du témoin sera donc rejetée.
Par ailleurs, Serge FARNEL est irrecevable à soutenir la nullité de la citation à
témoin qui aurait été délivrée à Eric NZABIHIMANA, faute d'avoir été
exposée avant toute défense au fond, conformément aux dispositions de
l'article 385 infine du code de procédure pénale.
Sur les propos poufsuivis et le contexte de leur nublication
Serge FARNEL se présente dans sa plainte comme professeur et auteur,
notamment, de trois livres consacrés au génocide perpétré à I'encontre des
Tutsis rwandais :
Pzge 16 /29
- < (éditions Aviso/L'esprit
frappeur, 2012)
- << Bisesero, le ghetto de Varsovie rwandais > (éditions Aviso, 2014)
- < Simusiga Le jour de .l'extermination, ou, Comment des soldats français ont
massacré à l'arme lourde les derniers résistants du Rwanda > (L'esprit
îrappeur, 2022)
Il expose que pour le besoin de ces ouvrages, il a été amené à recueillir, au
cours des années 2009 et 20l0,,de nombreux témoignages tant auprès de
victimes rescapées; Tutsis, que de génocidaires, Hutus, qui établissent que le 13
mai 1994, des hommes armés, désignés comme < Français > par certains, vêtus
d'uniformes militaires, ont pris part aumassacre de Bisesero ayant conduit plus
de quarante mille Tutsis à la mort, en contradiction avec la thèse officielle
selon laquelle il n'y avait pas de militaires français au Rwanda, en particulier à
Bisesero, le 13 mai 1994.
Il explique que le 13 mai 2022, a été organisée à la mairie du dix-huitième
arrondissement de Paris, une conférence publique consacrée à < Aminadabu
Birara, héros à'Bisesero, berceau de la résistance >> enlien avec I'inauguration,
le jour-même, d'une place portant le nom de cet organisateur de la résistance
contre les génocidaires sur les collines de Bisesero enl994,tué le 25 juin 1994.
Cette conference a été enregistrée pour être mise en ligne par I'association
IBUKA France le 15 mai 2022 sur son compte YouTube, sous la forme d?un
fichier audiovisuel d'une durée de 2 heures, 37 minutes et 40 secondes.
L'enregistrement diffusé montre que la conférence débute par des paroles
d'accueil du public par le maire du 18ème arrondissement.
Lui succède un propos introductif par Etienne NSANZIMANA entre la 3ème et
la 9ème minute, qui débute par une minute de silence.
Dans son intervention, dont f intégralité est diffrcilement intelligible en raison
de la très mauvaise prise de son qui affecte l'ensemblc de la vidéo, celui-ci se
félicite que, pour la première fois en France, une voie soit consacrée à une
personne qui a résisté lors des massacres de Bisesero, expliquant que
. Il fait l'éloge d'Aminadabu
BIRARA, qu'il présente comme un homme illustre, un héros, puis souligne
I'importance de,la date anniversaire du 13 mai, rappelant que durant les 12 et
13 mai 1994, après deux jours d'accalmie mis à profit par les miliciens pour se
réorganiser, ont eu lieu les massacres les plus importants de Bisesero.
La vidéo montre ensuite que sont réunis autour de la table des conférenciers :
- François ROBINET, historien,
- Marcel HARERIMANA, fils d'Aminadabu BIRARA, assisté d'une
traductrice,
- Laurent LARCHER, au centre, qui fait office de modérateur,
- Eric NZABIHIMANA, témoin zurvivant des massacres de Bisesero,
- Marcel KABANDA, témoin survivant des massacres de Bisesero.
Page L7 /29
Après un peu plus de deux heures d'interventions, où se sont respectivement
succédés Laurent LARCHER (de 9 min. à 18 min.), François ROBINET (de l8
min. à 42 min.), Marcel HARERIMANA (de 46 min. à I h. et 25 min.), Eric
NZABIHIMANA (de t h. 28 min. à I h.46 min.) er Marcel KABANDA (de I
h. 51 min. à 2 h. 04 min.), la fin de la conféren ce a été consacrée à un échange
avec le public, auquel Laurent LARCHER distribue la parole.
A 2 heures 22 minutes et 20 secondes, une personne du public obtient la parole,
se présente de manière inaudible dans la vidéo, et à cette occâsion, remet un
exemplaire du livre < Simusiga Le jour de l'extermination ri de Serge FARNEL
à Marcel HARERIMANA, en indiquant qu'il contient un < petit mot >> de
I'auteur à son attention.
Après quelques minutes consacrées à d'autres échanges, Marcel
HARERIMANA, reprend la parole, ses propos étant ainsi traduits : << il dit que
au l3 mai il y a dû avoir confusion de date et qu'ils ont vu les soldats français
le 26 et le 27 fuin 19941. Il se pose la question: quelle mission ils avaient
puisqu'ils sont venus et qu'ils sont repartis pendant 3 jours. S'ils étaient venus
pour les sau,ver ils seraient restés et ne les auraient pas abandonnés pendant 3
iours. Mais le I3 mai ils n'ont pas vu de militaires français. Peut-être qu'i,l y a
confusion de date dans les témoignages > (de 2 h. 28 min. et 50 sec. à 2 h. 3l
min. et 30 sec.).
Laurent LARCHER intervient, indiquant à I'auditoire qu'n ils réagissent à un
livre qu'ils viennent de recevoir qui suscite quelques réactions > et s'interroge'
sur l'opportunité de consacrer du temps à un livre que personne ne connaît,
dont les conferenciers n'ont pas disposé en amont de la conference et qu'il n'a
personnellement pas lu, dont il donne lecture du titre << Simusiga Le jonr de
l'extermination, où comment les soldatsfrançais ont massacré à t'orme lourde
les derniers résistants du Rwanda >.
Eric NZABIHIMANA prend alors la parole, en tenant dans la main le livre qu'il
montre au public, et tient les propos suivants, qui sont l'objet des poursuites
(de 2 h. 32 mn et 20 sec à2h.34 mn et 11 sec) :
témoignages qui sont dans son livre parce que ce sont des témoignages
truqués.
Donc serge Farnel s'esl.. s'esl... euh donc a utilisé des génocidaires et
quelques rescapés à qui il a donné de l'argent pour que ils témoignent ou qu'ils
parlent de choses qu'il vaut écrirs clans son liyrs. A[oi-mômo, parsonncllsmsnt,
je l'ai rencontré en train d'interyoger ces persitnnes et j'ai demandé à au... au
secrétaire ex:écutif de de.. (inaudible) at4 ministre actuel du ministère ayant des
rescapés en donc, euh le 13 mai, il niy a pas eu de Français qtte ce soient
militaires ou civils et qui sont venus à Bisesero, c'est absurde. Donc il se
pourrait que, on a d'après moi, l'analyse que j'ai faite avant de demander ça à
Page 18 /29
t-,
notre euh à nos ctutorités, l'auteur de ce livre, il voulait faire ce qLte tous les
témoignages auxqttels ils seraientfaits a Bisesero n'ont pas de ce de confiance.
Donc il a'voulu transformer notre vérité en utilisant des génocidaires ou des
témoins qui se trouvent dans ce livre Je vous remercie >>.
Son intervention est ponctuée d' applaudissements.
I.a conférence se poursuit encore quelques minutes, puis est levée
Sur les propos poursuivis du chef de diffumation publique envers un
particulier
L'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme
"toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé"'
n doit s'agir d'un fait précis, susceptible de faire I'objet d'un débat
contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation,
d'une part, de f injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de I'article 29,par
!'toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme
f imputation d'aucun fait"- et, d'autre part, de l'expression subjective d'une
opinion ou d'un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement
discutée dans le cadre d'un débat d'idées mais dont la vérité ne saurait être
prouvée.
L'ho.rrr"rr et la considération de la personne ne doivent pas s'apprécier selon
les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de
critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par llallégation
litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement
contraire aux règles morales communément admises.
La diffamation, qui peut se présenter sous forme d'allusion ou d'insinuation,
doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques
au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte
dans lequel ils s'inscrivent.
Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l'interprétation de la
signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l'acte initial de
poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent
l'imputation formulée par la partie civile ou celle d'un autre fait contenu dans
les piopos en question, les juges étant également libres d'examiner les divers
passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère
diffamatoire.
En ce qui concerne la matérialité'des propos, il est avancé par le prévenu que
les propos, qui n'ont pas fait l'objet d'une transcription par huissier de justice,
sont difficilement audibles et notamment que les termes < truqués > ou encore
<, ne sont pas intelligibles mais relèvent de l'interprétation de la
partie civile.
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Il est rappelé que s'il appartient à la partie civile de rapporter la preuve de la
matérialité des propos dans l'acte de publication attaqué, cette preuve est libre.
En I'espèce, la transcription des propos réalisée par la partie civile dans sa
plainte est conforme aux propos tenus dans la vidéo publiée le 15 mai 2022, ce
dont le tribunal a pu se convaincre lors de sa diffusion à l'audience et de son
exalnen en cours de délibéré
Par ailleurs, Eric NZABIHIMANA, loin de contester I'emploi du terme
<>, I'a spontanément repris à son compte lors de sa déposition en
qualité de témoin.
Enfin, les propos poursuivis, dès lors qu;il, sont sans relation immédiate avec
le contenu antérieur de la vidéo pendant plus de 2 heures 30, dont il est exact
que la faible qualité de la prise de son rend le visionnage difficile, ne souffrent
pas d'un déticit de contextualisation qui ferait obstacle à leur uompléhension.
Le moyen tiré de l'incertitude entourant la preuve de la matéialité des propos
poursuivis sera reieté.
Le caractère public des propos, qui s'infere de leur diffusion sur la chaîne
YouTube de l'association IBUKA FRANCE, librement accessible à tout
internaute, est établi.
Les propos litigieux sont exprimés lors d'une conférence hommage à un héros
de la résistance tutsie, au cours de laquelle plusieurs intervenants ont exposé,
les uns en leur qualité d'historien, les autres en leur qualité de rescapé témoin
des faits, le déroulement de ces tragiques épisodes génocidaires de Bisesero,
lorsqu'au cours d'une dernière séquence consacrée à des échanges libres avec
l'auditoire, un homme fait im.rption dans le débat pour remettre un exemplaire
du livre de Serge FARNEL à Marcel HARERIMANA, fils du résistant héros
dont la mémoire était honorée.
Cette intervention crée un trouble manifeste chez les intervenants, comme le
montrent les images d'un échange en aparté entre Laurent LARCHER et Eric
NZABIHIMANA, puis la prise de parole de Marcel HARERIMANA
manifestant ses doutes sur les dates évoquées, à laquelle succède celle de
Laurent LARCHER expliquant que ce livre, sur lequel les conferenciers ne
disposent d'aucun élément, n'a pas à être évoqué dans ces circonstances.
C'est dans ce contexte précis d'une rupture dans le déroulé consensuel de la
conférence par l'imrption de la personne désireuse de faire du livre de Serge
FARNEL le centre des débats, qu'interviennent les propos tenus par Erjc
NZABIHIMANA, pour lequel le prevenu est poursuivi.
Dans le passage incriminé, l'auteur débute son propos par une mise en garde
(<< méfiez-vous >>) sur les témoignages, qu'il précise comme étant ceux
<< contenus dans le livre de Serge FAHNEL >>. Le motif de: cette défiance est
immédiatement justifié par le fait que ces témoignages sont <. La
suite du propos explicite ce grief,, avançant que non seulement ils ont été
obtenus en contrepartie du versement de sommes d'argent (< il a donné de
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I'argent>) mais encore qu'ils ont été orientés dans le seul but de donner du
crédit à la thèse de Sergê FARNEL (< [lesJ choses qu'il vettt écrire dans son
livre >>), celui-ci n'ayant pas hésité à instrumentaliser indifféremment les
génocidaires et les rescapés (<< à les tttiliser >) à cette fin.
Dans la suite du propos, la crédibilité des témoignages contenus dans
l'ouvrage, qui vient d'être questionnée par la dénonciation des méthodes ayant
présidé à leur reoueil, est également mise en perspective avec le résultat auquel
l'auteur aboutit, sa thèse étant qualifiée < d'absurde ), au sens où la présence
de Français à Bisesero le 13 mai 1994 est manifestement contraire à la raison et
ne peut donc procéder que d'une déformation des faits.
Le fait imputé est suffisamment précis pour faire l'objet d'un débat
contradictoire sur la preuve de sa vérité
Si la seule remise de fonds à une personne en vue d'obtenir un témoignage ne
constitue pas, en soi, un acte réprouvé, le propos avancé, à travers I'empioi du
terme << truqué >, suggère à l'auditeur que le témoignage recueilli ne souffre pas
seulement de partialité mais bien que son contenu même a été modifié par
I'eflet de l'argent versé.
Ce faisant, le propos impute à Serge FARNEL d'avoir stipendié les témoins
qu'il a interrogés pour obtenir d'eux qu'ils témoignent de faits propres à servir
sa thèse d'une participation active de Frangais en uniforrne aux massacres
perpétrés à Bisesero Ie 13 mai 1994.
Si I'exigence scientihque qui a cours dans le domaine historiographique ouvre
un large champ de critique quant à la méthodologie employée pour la conduite
des interviews de témoins, sans que cela n'attente à la considération de celui
qui se présente comme un chercheur, il en va différemment de l'imputation de
manipuler des témoignages au service d'une thèse revendiquée comme inédite
en stipendiant les témoins, comportement unanimement réprouvé par la morale
commune qui met en cause non plus les travaux mais I'intégrité personnelle de
celui qui les conduit, et qui porte atteinte à I'honneur et à la considération de la
personne visée.
Ce propos est donc diffamatoire.
Dans la fin des propos contenus dans le paragraphe poursuivi, Eric
NZABIHIMANA s'exprime sur les mobiles qu'il prête à l'auteur et lui fait
grief, par ces témoignages, plus haut qualifiés de < truqués >>, de jeter le
discrédit sur l'ensemble des témoignages des rescapés relatifs à Bisesero et par
conséquent de travestir ce qu'ils considèrent comme étant leur vérité (<< il a
voulu lransformer notre vérité >).
Ce dernier passage formule un procès d'intention fait à l'auteur qui vient
commenter le fait précis diffamatoire sus-èité, dont la pertinence peut être
débattue, mais qui n'est pas susceptible de faire, en lui-même, I'objet, sans
difficulté, d'un débat sur la preuve de sa vérité.
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Sur la responsabilité pénule d'Etienne NSANZIMANA
Il convient de rappeler que I'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la
communication audiovisuelle détermine, pour tous les services de
communication au public par voie électronique, des responsables pénaux de
droit des infractions commises par voie de presse, dans un système dit en
cascade, au premier rang desquels le directeur de publication. L'identité du
directeur de la publication résulte de la loi et non pas d'un choix effectué par
I'entreprise éditrice, étant précisé gue, lorsquè cette dernière est .t.,"
association, c'est le représentant statutaire de celle-ci qui est le directeur de la
publication. .
En l'espèce, il a été suffisamment établi que la vidéo contenant les propos
incriminés a été publiée sur le compte YouTube de I'association IBUKA
France dont Etienne NSANZIMANA était le représentant légal.
Sur Ia vérité dufait diffamatoire
L'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que ( (...) la vérité des faits
dffimatoires peut toujours être prouvée (...) si la preuve du fait dffima'toire
est rapportée, le prévenu sero renvoyé des fins de la plainte >>.
Pour produire I'effet absolutoire prévu par I'article 35 de la loi du29 juillet
1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète
et corrélative aux irnputations dans toute leur portée et leur signification
diffamatoire.
Les pièces, si elles peuvent être postérieures à la publication, doivent se
rapporter à des faits antérieurs.
Au titre de son offre de preuve, le prévenu verse aux débats les pièces
suivantes :
- 1.'Les pages 3,4,5,6 et7 de I'ordonnance de non-lieu prononcée le 1"'
septembre 2022 par les magistrats instructeurs du tribunal judiciaire de Paris
(Pôle crime contre I'humanité) dans la procédure de complicité de génocide et
de complicité de crime contre I'humanité au Rwanda en 1994, faisant suite à la
plainte du l6 février 2005 ;
- 2. Les pages 87 à92 de la même ordonnance de non-lieu ;
- 3' ( La Franceface au génocide des Tutsis n, chapitre 9 <Bisesero > de Vincent DUCLERT, pages 295 à322 ;
- 4. L'audition de la partie civile de Monsieur Innocent Bernard KAYUMBA
devant le juge d'instruction à Kigali le 23 novembre 2005 ;
- 5. L'auclil.ion de la parl"ie civile de Monsieur Eric NZABIHIMANA devant le
juge d'instruction à.Kigali le 23 novembre 2005.
Également, Eric NZABIHIMANA a été entendu le 5 mai 2025 à la présente
audience en sa qualité de témoin au titre de I'offre de preuve.
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Il ressort de ces éléments que tout au long de la procédure pénale initiée par la
plainte de plusieurs plaignants de nationalité rwandaise 1e 16 février 2005 en
vue de déterminer le rôle de l'armée française dans le génocide des Tutsis au
Rwanda et en particulier lors des attaques menées sur les réfugiés dans les
collines de Bisesero, il n'a jamais été fait état de la présence de militaires
français antérieurement au 27 juin 1994 (pièces 1 et 2), ce qui est également
ressorti de l'analyse que le rapport DUCLERT a consacré à ces faits (pièce
n'3).
Cette absence de militaires français avanT le 27 juin 1994 à Bisesero a
systématiquement été soutenue tant par Innocent KAYUMBA dans son
.audition du23 novembre 2005 (pièce no4), que par Eric NZABIHIMANA, à la
fois dans son procès-verbal d'audition du 22 novembre 2005 (pièce no5) et
dans sa déposition en qualité de témoin à I'audience de ce tribunal le 5 mai
202s.
S'agissant de la preuve de ce que Serge FARNEL a stipendié les témoins qu'il
a interrogés pour obtenir d'eux qu'ils témoignent de faits propres à servir sa
thèse de la présence de soldats français à Bisesero le 13 mai 1994, le seul
élément produit au titre de I'offre de preuve aux débats est constitué du
témoignage d'Eric NZABIHIMANA recueilli à l'audience, selon lequel << Il y a
certains témoins de M FAfuNEL qui sont venus me voir, certains ne le
connaissaient pas. IJs m'ont demandé de lui demander de leur remettre I'argent
promis. C'est pourquoi j'ai tiré une conclusion comme quoi il les a achetés >>,
ajoutant ensuite < Je ne connais pas la somme que les témoins demandaient, ils
ne me l'ont pas dit >.
Cela étant, ces éléments ne pennettent pas de faire la preuve de la vérité du fait
diffamatoire, dès lors qu'ils ne sont, pour les premiers, pas corrélés à
I'imputation diffamatoire décelée dans le propos, et que la seule déclaration
cl'Eric NZABIHI\4ANA, qui rrise indistinctemnnt et imprécisémenl des
témoins auxquels de I'argent aurait été promis, est insuffisante à apporter la
preuve complète, parfaite et corrélative de sa vérité.
Le prévenu sollicitant, subsidiairement, le bénéfice de la bonne foi, il y a lieu
d?examiner si les conditions sont remplies en 1'espèce.
Sur la bonne foi
La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas
où elles constituent des mesures nécessares au regard du paragraphe 2 de
l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de I'Homme.
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En matière de diffamation, lorsque I'auteur des propos soutient qu'il était de
bonne foi, il appartient aux juges de rechercher, en premier lieu, en application
de I'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de I'Homme, tel
qu'interprété par la Cour européenne des droits de I'Homme, si lesdits propos
s'inscrivent dans un débat d'intérêt générai et reposent sur une base factuelle
suffisante, notions qui recouvrent celles de légitimité du but de I'information et
d'enquête sérieuse, afin, en second lieu, si ces deux conditions sont réunies,
d'apprécier moins strictement les critères de tr'absence d'animosité personnelle
et de la prudence et mesure dans I'expression.
En effet, I'intérêt général s'attachant au sujet de I'information, susceptible de
légitimer les propos au regard de la proportionnalité et de la nécessité que doit
revêtir toute restriction à la liberté d'expression en application de I'article 10 de
la Convention européenne des droits de I'Homme et la base factuelle suffrsante
à établir la bonne foi de leur auteur, supposent que I'auteur des propos
incriminés détienne au moment de les proferer des éléments suffisamment
sérieux pour croire en la vérité de ses allégations et pour engager llhonneur ou
la réputation d'autrui et que les propos n'aient pas dégénéré en des attaques
personnelles excédant les limites de la liberté dlexpression, la prudence dans
I'expression étant estimée à I'aune de la consistance de cette base factuelle, et
de I'intensité de I'intérêt général.
Ces critères s'apprécient differemment selon le genre de l'écrit en cause et la
qualité de la personne qui s'y exprime et, notamment, avec une moindre
rigueur lorsque l'auteur des propos diffamatoires n'est pas un journaliste qui
fait profession d'informer, mais une personne elle-même impliquée dans les
faits dont elle témoigne.
il appartierrt, en outre, aux juges de vérifier que le prononcé d'une
condamnation, pénale comme civile, ne porterait pas une atteinte
disproportionnée à la liberté d'expression ou ne serait pas de nature à emporter
un effet dissuasifpour I'exercice de cette liberté.
Il sera précisé, enfin, que I'animosité personnelle ne peut se déduire seulement
de la gravité des accusations ou du ton sur lequel elles sont formulées, mais
qu'elle n'est susceptible de faire obstacle à la bonne foi de l'auteur des propos
que si elle est préexistante et extérieure à ceux-ci et si elle résulte de
circonstances qui ne sont pas connues des lecteurs.
Il convient, dès à présent, d'écarter l'existence d'une animosité personnelle au
sens du droit de la presse, celle-ci n'étant nullement rapportée en l'espèce.
Les propos litigieux s'inscrivent sans conteste dans un debat d'interét général et
actuel, s'agissant de déterminer la nature de l'implication de I'armée française
dans le génocide commis au Rwanda entre avril et juin 1994 contre la
population tutsie, sous I'angle de sa participation active aux massacres commis
par les génocidaires hutus lors des épisodes survenus dans les < collines de
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Bisesero > où plusieurs dizaines de milliers de Tutsis s'étaient réfugiés pour
échapper à leurs meurtriers.
Il est ainsi de l'intérêt des citoyens de disposer de l'ensemble des informations
qui leur pernettent d'appréhender au mieux le rôle de la France et ses actions
militaires dans ces évènements.
Pour bénéficier de l'exception de bonne foi en sa qualité de directeur de
publication, Etienne NSANZIMANA doit justifier de ce que les propos de
I'intervenant reposent sur une base factuelle suffrsante pour lui permettre de
formuler I'imputation diffamatoire dans les termes qu'il a choisis de diffirser.
Etienne NSANZIMANA produit en premier lieu plusieurs témoignages qui
viennent discuter de la fiabilité et dg contenu des témoignages recueillis par
Serge FARNEL. Est ainsi dénoncé le fait qu'ils ont été notamment recueillis
auprès de génocidaires, peu soucieux de vérité sur leurs agissements criminels
et prompts à en partager la responsabilité (témoignage Jacques MOREL) mais
aussi auprès de rescapés dont il a été souligné qu'ils s'expriment en ne
disposant que d'<< une mémoire reconstituée >>, source de confusions et
d'erreurs (ibid.)
Ce constat est partagé par Eric NZABIHIMANA, premier réfugié des collines
de Bisesero à être entré en contact avec les militaires français, et ayant donc
personnellement et directement vécu les tragiques événements survenus à
Bisesero aux mois de mai et de juin 1994, qui porte un témoignage légitime sur
une histoire et une mémoire dont un nombre important de rescapés l?ont fait le
dépositaire, et qu'il a alimenté en étant I'un des plaignants à I'origine de la
plainte des chefs de complicité de génocide et'de complicité de crime contre
l'humanité du 16 février 2005 évoquée plus haut.
Celui-ci â pu, dans sa déposition à I'audience, expliquer que les rescapés
avaient perdu tout repère temporel lors des évènements, que nombre d'entre
eux avaient été affectés de profonds traumatismes et avaient développé des
addictions, particulièrement alcooliques, pour tenter de les contenir, ce qui
avait été son cas par le passé.
Par ailleurs, Eric NZABIHIMANA a pu témoigner de ce qu'il a
personnellement questionné plusieurs des rescapés interrogés par Serge
FARNEL sur la présence de blancs au mois de mai 1994 et qu'il avait pu
mesurer leur ignorance, voire leur discours contradictoire, puisque plusieurs
d'entre eux le renvoyaient à sa propre connaissance des évènements, tenue pour
fiable et véridique, par des formules telles que ( non c'est toi qui sais > ou
( c'est toi qui Çonnais le mieux >.
Il est à cet égard pertinent de souligner qu'Eric NZABIHIMANA a témoigné
avoir brièvement collaboré avec Serge FARNEL qui lui avait demandé d'être
son interprète. Le témoin explique leur séparation rapide par I'incapacité des
rescapés à livrer, en sa présence et alors qu'il est identifié comme un
dépositaire de la mérnoire du génocide des Tutsis à Bisesero, un témoignage
qu'ils savaient faux mais conforme aux attentes de leur commanditaire sur la
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présence de militaires français ; que cette situation avait alors conduit à son
éviction par Serge FARNEL, au motif << qu'il ne traduisait pas comme il
fallait >>.
A la fragilité des témoins se sont donc ajoutés les griefs liés aux conditions du
recueil de leur récit, critiquées comme peu conformes à une méthodologie
scientifique, puisqu'ont été reprochées à Serge FARNEL des questions fermées
et orientées (témoignage Marcel HARERIMANA), l'audition de génocidaires
et de rescapés <> (témoignage Jacques MOREL
rapportant les propos de l'interprète de Serge FARNEL), ou encore des
auditions groupées de plusieurs témoins (Eric NZABIHIMANA).
Surtout, au titre des appréciations critiques portées sur les méthodes employées
pour recueillir les déclarations des génocidaires et des rescapés, plusieurs
témoignages convergent pour indiqucr que de l'argcnt a circulé entre Serge
FARNEL et les témoins. c'est ainsi que Marcel HAREzuMANA explique que
des témoins recevaient 7000 francs rwandais en contrepartie a" leur
témoignage ; que des témoins sont venus trouver Eric NZABIHIMANA pour
lui demander d'intervenir auprès de Serge FARNEL pour qu'il leur remette
l'argent qu'il leur avait promis (témoignage Eric NZABIHIMANA) ; que
Jacques MOREL évoque un épisode où son interprète, venuste KAYIMAHF.,
qui avait été celui de Serge FARNEL, lui a raconté avoir été pris à partie par
des témoins qui attendaient de I'argent de la part de Serge FARNEL.
Egalement, sont produites deux attestations établies le 29 octobrc2024. Dans la
première, Etienne BASROSE y indique que des témoignages ont été rédigés
<< qui ne correspondent pas à ce qu'on leur avait dit. Par exemple dire que les
Français sont vënus tuer des tutsi au mois de mai le 13-14-1gg4 > et ajoutant
<< qu'ils nous avaient promis de I'argent pour les témoignages qu'on leur avait
fait, mais on les a attendus en vain > (pièce no10), tandis que dans la seconde,
Aaroni KABOGORA fait part cie la même expérience, ajoutant pour sa part qiie
afinqu'elle lui disent ce qu'ilvoulait entendre alors que ce n'estpas lavér.ité >
(pièce no I 1).
Il a par ailleurs été rapporté que les autorités rwandaises, alertées par Eric
NZABIHIMANA, ont été amenées à intervenir pour dire aux populations
d'<< arrêter de témoigner qu'il y a eu des soldats français contre ie i'argent >
(témoignage André GAKWAYA).
Si certains des témoins auxquels ces griefs sont adressés réfutent avoir reçu de
I'argent K pour fournir des déclarations mensongères à la demtande de Serge
FAfuNEL> (cf. les cinq attestations versées par la partie civile à l'audience), il
n'est pas discuté, ce que Serge FARNEL reconnaît également en produisant sa
comptabilité et que confirme le témoin André GAKWAYA, que les témoins
ont perçu de l'argent, correspondant uniquement, diaprès ces derniers, à des
< indemnités > venant compenser leurs frais (déplacement, travail manqué).
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Il s'infère donc de ces éléments que la crédibilité des témoignages recueillis par
Serge FARNEL affirmant la participation active de soidats français aux
massacres perpétrés à Bisesero le 13 mai 1994 faitl'objet d?une forte remise en
question, tant en raison de la personnalité ou de la vulnérabilité des témoins
que des conditions, critiquéeslsur le plan de la recherche historiographique,
dans'lesquelles ces témoignages ont été recueillis.
Eric NZABIHIMANA apporte également aux débats I'ensemble des éléments
qui lui permettent d'avancer que ces témoignages viennent au soutien d'une
thèse qui ne repose sur aucun élément factuel établi. Sur ce point, il est renvoyé
aux pièces déjà examinées au titre de I'offre de preuve, dont il ressort qu'il n'a
jamais été fait état de la présence de militaires français antérieurement au 27
juin 1994 à Bisesero, tant au cours de la procédure pénale (pièces I et2, 4 et 5),
que dans le rapport <1994) dit rapport 'DTJCLERZ'> (pièce n"3), ni encore dans le rapport établi
sous l'égide de la République du Rwanda (<< Rapport de la'commission
nationale indëpendante chargée de rassembler les preuves montrant
I'implication de l'Etat françai.s dans le génocide perpétré au Rwanda en
1994 > publié le 15 novembre2007 sous la direction de Jean de Dieu MUCYO,
pièce n'9)
Il sera enfin rappelé que la présence d'Eric NZABIHIMANA sur les lieux de
massacres entre avril et juin 1994 etles témoignages qu'il avait pu recueillir ne
pouvait que le convaincre de l'absence de militaires français avant le 27 juin
1994.
Ainsi, devant l'invraisemblance de la thèse avancée dont il considérait qu'elle
ne pouvait procéder que de témoignages dont la crédibilité n'était pas sérieuse,
Eric NZABIHIMANA, dans le rôle de dépositaire d'une mémoire des rescapés
tutsis du génocide commis à Bisesero que lui conferent son histoire
personnelle, ses connaissances et ses engagements, pouvait de bonne foi
s'interroger sur les méthodes mise en æuvre pour obtenir ces témoignages, et,
eu égard aux sommes d'argent.remises aux témoins par Serge FARNEL,
avaricer l'existence d'un lien entre le contenu des déclarations orientés des
témoins et la remise de ces fonds.
Il ressort de I'ensemble de ces éléments que celui-ci disposait d'une base
factuelle existante, corrél ée à l' imputation diffamatoire.
S'agissant de la prudence dans l'expression, qui doit être appréciée plus
souplement dans ce contexte de témoignage d'une personne directement
impliquée dans les faits exposés, en présence d'un sujet d'intérêt général, il
convient en premier lieu de rappeler le contexte particulier de la tenue des
propos poursuivis, où, au cours d'une conférence mémorielle organisée sur le
thème du génocide des Tutsis à Bisesero, Serge FARNEL et son éditeur
viennent susciter un débat polémique par la remise inopinée de I'ouvrage
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contenant une thèse qu'ils savent contestée, dans ce qui se veut une opération
de communication.
C'est dans une réaction < à chaud > et impulsive qu'Eric NZABIHIMANA
prend la parole, en réponse à ce qu'il perçoit comme une violence symbolique
venant brutalement perturber cet exercice mémoriel et déposséder de leur
histoire ceux que la conference honorait, mais aussi celle de tous les Tutsis
victimes des épisodes de Bisesero, qu'il porte et défend au quotidien (<< notre
histoire >), cette demière expression révélant à nouveau toute la part de
subjectivité de son propos.
Il convient de rappeler que la responsabilité de plein droit pesant sur le
directeur de publication en application des dispositions des articles 42 de Ia Ioi
duZgjuillet 1881 et 93.3 de la loi du 29 juillet 1982, est la conséquence du
devoir de vérification et de surveillalce quc tout directeur de publication tient
de ses fonctions, la bonne foi ne devant pas être appréciée en sa personne mais
en celle de I'auteur des propos litigieux.
Etienne NSANZIMANA sera donc renvoyé des fins de la poursuite.
Sur I'action civile
Serge FARNEL sera reçu en sa constitution de partie civile mais débouté de ses
demandes en raison de la relaxe intervenue
sur Ia demandeformée au titre de l'article 472 du code de procédure pénale
L'article 472 du code de procédure pénale dispose que, iorsque la partie civile a
elle-même mis en mouvement I'action publique, le tribunal statue par le même
jugement sur la demande en dommag.r-itttérèts formée par lap.rrànrr" relaxée
contre la partie civile poùr abus de constitution de partie civile.
La partie civile, qui a mis en mouvement I'action publique, ne peut être
condamnée à des dommages-intérêts que s'il est constaté qu'elle a agi de
mauvaise foi ou témérairement, cette faute ne pouvant se déduire du seul
exercice par celle-ci du droit d'engager des poursuites.
Tel n'est pas le cas en l'espèce, Serge FARNEL ayant pu se méprendre sur la
portée de ses droits au regard de la vivacité de la critique portée et aucun
élément de la procédure ne permettant d'établir qu'il aurait agi de mauvaise foi
ou témérairement.
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PAR CES MOTIFS
T e tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement
contradictoire à l'égard de Serge FARNEL, partie civile et d'Etienne
NSANZIMANA, prévenu :
- Accorde le bénéfice de I'aide juridictionnelle provisoire à Maître Camille
SOULEIL-BALDUCCI ;
- Rejette les exceptions de nullité de la plainte avec constitution de partie
civile de Serge FARNEL ;
- Déclare irrecevable l'exception de nullité de la citation du témoin Eric
NZABIHIMANA ;
- Rejette le moyen tiré de I'irrecevabitité de l'audition du témoin Eric
NZABIHIMANA;
- Renvoie Etienne NSANZIMANA des fins de la poursuite ;
- Reçoit Serge FARNEL en sa constitution de partie civile ;
- Déboute Serge FARNEL de ses demandes en raison de la relaxe intervenue ;
- Déboute Etienne NSANZIMANA de sa demande formée au titre de l'article
472 du code de procédure pénale ;
En application de l'article I0IB A du code général des impôts, Ia présente décision
est ussuleltle ù urt tJyuit -liw tle pyuuétlura de 254 vurus tlunl csl reLlevubly Serge
FARNEL,.
et le présent jugement ayantété signé par le présidente et la greffière.
I,A GREFFIERE I,E SIDENT
0opie r.0l
Le
\C
2020-131
:)
a la rrrinute
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