Fiche du document numéro 35822

Num
35822
Date
Mercredi 10 décembre 2025
Amj
Taille
412010
Titre
La Banque de France visée par une plainte pour complicité de génocide au Rwanda
Sous titre
Le couple Dafroza et Alain Gauthier et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda viennent de déposer une plainte contre la Banque de France pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité. En cause, l’autorisation de virements qui auraient servi à l’acquisition de matériels militaires.
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BNP
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des milices hutus au Rwanda, en juillet 1994. (José Nicolas/José Nicolas)

Trente et un ans après le génocide envers la minorité tutsie au Rwanda, qui a fait près d’un million de victimes, la France va de nouveau devoir s’expliquer sur les potentielles complicités d’une partie de son système bancaire dans le financement des massacres commis par les extrémistes hutus.

Selon les informations recueillies par Libération et la cellule investigation de Radio France, une nouvelle plainte pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité, avec constitution de parties civiles, a été déposée, le 4 décembre, auprès du doyen des juges d’instruction du pôle crimes contre l’humanité du tribunal de Paris. Elle vise la principale institution financière du pays : la Banque de France.

Sept virements au cœur de la plainte



Selon cette plainte, déposée par Maîtres Matilda Ferey et Joseph Breham au nom de trois parties civiles − Dafroza Gauthier, Alain Gauthier et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda −, que Libération a pu consulter, sept virements émanant du compte de la Banque nationale rwandaise (BNR), logé à la Banque de France, ont eu lieu entre mai et août 1994 et portent sur un montant cumulé de 3,172 millions de francs (environ 486 000 euros).

Le premier, en date du 5 mai, est à destination d’Alcatel pour l’acquisition de matériels de communication satellitaire. D’autres sont à destination de représentations diplomatiques du Rwanda dans d’autres pays (Ethiopie, Afrique du Sud, Egypte) et ont pu servir à payer des achats d’armes. Pour rappel, à partir du 17 mai 1994, l’ONU impose un embargo sur les ventes d’armes au Rwanda.

Une analyse qui se base notamment sur le témoignage apporté par Kathi Lynn Austin, une experte internationale, qui a enquêté dès l’après-génocide sur les trafics ayant permis aux dirigeants hutus d’armer leurs milices et d’exterminer une partie de la population tutsie. Rappelant les auditions de responsables gouvernementaux ou financiers rwandais devant le Tribunal international pour le Rwanda, l’experte souligne que «des instructions précises ont été données dès le début, demandant aux autres banques rwandaises de transférer des fonds de leurs comptes de correspondant à l’étranger vers la BNR, et plus particulièrement vers le compte de correspondant de la BNR à Paris».

Avant d’ajouter : «Au moment où la Banque de France a facilité ces sept transactions pour le compte des génocidaires, elle disposait vraisemblablement de procédures et d’outils qui auraient dû l’alerter. Compte tenu de la large couverture médiatique du génocide rwandais, du contrôle exercé par un gouvernement intérimaire anticonstitutionnel sur les comptes bancaires de l’Etat rwandais et de l’embargo sur les armes imposé au Rwanda, certaines transactions impliquant les génocidaires auraient dû être signalées comme potentiellement illégales.»

« Aucune trace des virements évoqués »



Contacté par Libération pour savoir quels contrôles avaient notamment été mis en place par le gouvernement de l’époque sur les flux financiers, Alain Juppé, qui était ministre des Affaires étrangères et avait dénoncé le génocide dès la mi-mai 1994, n’a pas souhaité nous répondre.

Egalement sollicitée, la Banque de France, en revanche, a répondu qu’en raison d’un délai «particulièrement court», elle n’avait pu faire que des «recherches sommaires» dans ses archives. «A ce stade, nous n’avons trouvé aucune trace des virements évoqués. Ceci s’explique par le fait qu’au titre des diverses prescriptions réglementaires, toutes les pièces, bordereaux et éléments comptables des comptes bancaires doivent être détruits après un délai de dix ans», déclare-t-elle.

Et de poursuivre : «En l’absence d’éléments complémentaires, il est très difficile d’inférer la nature des virements en francs émis par la BNR. Selon vos informations, le montant moyen serait de l’ordre de 50 000 euros par virement (sept virements correspondent à 3 millions de francs, soit 450 000 euros), ce qui est compatible avec des dépenses de fonctionnement.»

Lenteur des enquêtes et de la justice



«Cette plainte peut paraître tardive, parce qu’on a mis longtemps à réaliser que la Banque de France pouvait être aussi poursuivie pour avoir utilisé des fonds de la Banque du Rwanda pour l’achat d’armement», explique Alain Gauthier. Ce professeur à la retraite, qui traque avec son épouse d’origine rwandaise les génocidaires réfugiés en France, est aussi l’une des parties civiles dans la plainte déposée en 2017 par Sherpa contre BNP Paribas, et dont l’instruction dort au fond d’un tiroir. La banque BNP Paribas avait à l’époque réagi, l’un de ses porte-parole déclarant : «Nous apprenons par voie médiatique le dépôt d’une plainte. A l’heure actuelle, nous ne disposons pas des éléments suffisants la concernant pour être en mesure de la commenter.»

«Quand on dépose des plaintes dans le cadre du génocide, les choses vont excessivement lentement», se scandalise d’ailleurs Alain Gauthier. Malgré plusieurs demandes d’actes depuis le dépôt de la plainte initiale, Anne Kieffer, la responsable juridique de Sherpa en charge du dossier, indique également ne pas savoir où en est l’instruction.

Derrière cette plainte et celle qui visait BNP Paribas en 2017, il y a aussi le travail de documentation réalisé par Mariama Keïta, une proche de François-Xavier Verschave, le dénonciateur de la «FrançAfrique» et l’un des tout premiers à avoir mis en lumière la responsabilité de la France et de certaines de ses banques dans le génocide au Rwanda. «La dernière fois que j’ai vu François-Xavier, quelques jours avant son décès [le 29 juin 2005, ndlr], je lui ai promis d’aller au bout de l’enquête sur les compromissions de banques françaises dans le financement du génocide», raconte Mariama Keïta, qui précise que son travail n’est pas encore terminé, laissant ainsi entendre que d’autres banques tricolores pourraient bientôt être également poursuivies.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024