Fiche du document numéro 35814

Num
35814
Date
Vendredi 5 décembre 2025
Amj
Taille
3861080
Titre
Les affaires chinoises de Dominique de Villepin
Sous titre
Conférences, conseils à des entreprises, promotion des “nouvelles routes de la soie”... L’ancien Premier ministre, possible candidat à la présidentielle de 2027, a multiplié les activités en Chine, où il est très populaire. Il se montre aussi particulièrement élogieux à l’égard du régime chinois.
Nom cité
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Dominique de Villepin sonne une cloche dans le temple de Confucius à Nanjing, le 3 septembre 2009, dans la province du Jiangsu, en Chine. ©Getty - LUCAS SCHIFRES

Par Cellule investigation de Radio France, Elodie Guéguen, Géraldine Hallot ⸱ Publié le vendredi 5 décembre 2025 à 18:15

Ce 4 décembre 2008, au Yuda Palace de Zhengzhou, dans la province du Henan, Dominique de Villepin est invité à prendre la parole lors du 2e sommet mondial sur l’externalisation. “2008 a été une année riche en défis. Les économies et les pouvoirs ont été remis en question”, dit-il à la tribune, en référence à la crise financière qui secoue le monde. “Je suis particulièrement heureux d'être ici, dans ce pays où l'Histoire s'écrit. Les Jeux olympiques ont montré au monde entier que la Chine était prête à trouver un nouveau rôle sur la scène internationale”, proclame l’ancien Premier ministre, dans l’une de ces envolées dont il est coutumier.

Quelques jours plus tard, il est à Chengdu dans le Sichuan. Cette fois-ci, il prononce un discours dans le cadre du 4e sommet international de coopération pour les PDG, les gouverneurs provinciaux et les maires.

D’après les informations de la cellule investigation de Radio France, Dominique de Villepin a été rémunéré 900 000 yuans [l’équivalent de 94 000 euros à l’époque, ndlr] pour ces deux prestations. Ce sont les autorités qui ont réglé la facture via l’association Asia Pacific CEO (APCEO) qu’elles financent. “Les sommets sont pris en charge par les municipalités de Chengdu et de Zhengzhou”, peut-on lire dans un document de l'APCEO auquel nous avons eu accès. “L'événement est sponsorisé par le gouvernement qui a des restrictions budgétaires pour l'organisation de conférences”, est-il précisé.

Extrait du document de l’APCEO qui fait mention des honoraires de Dominique de Villepin

Malgré ces contraintes de budget, les Chinois déroulent le tapis rouge à Villepin. “Il voyageait en première alors que moi j’étais en business”, sourit le général Christian Quesnot. L’ancien chef d’Etat major particulier de François Mitterrand était à cette époque responsable de cette association pour l’Europe. C’est lui qui a introduit Dominique de Villepin en Chine, pays qu’il a beaucoup fréquenté après avoir pris sa retraite de l’armée.

“Il voulait se rendre précieux auprès du gouvernement”

Dominique de Villepin profite du séjour pour faire du tourisme, en visitant notamment la nurserie du centre de recherche sur les pandas géants, à Chengdu. Vêtu d’une blouse jetable, il pose pour les photographes, un animal de 43 kilos sur les genoux. Au pays de la diplomatie des pandas, la séquence plaît. “Il voulait exister et se rendre précieux sinon indispensable auprès du gouvernement central, observe le général Quesnot, fin connaisseur des us et coutumes chinois. Si vous n’êtes pas bien avec le pouvoir central, vous ne faites pas d’affaires en Chine.”

Capture d’écran datant du 23 novembre 2009 d’un post du blog “2Villepin” tenu par un soutien de l’ancien Premier ministre.

Dominique de Villepin se voit proposer la présidence de l’APCEO. Ce qu’il accepte. “J’avais pressenti que cette région [la Chine, ndlr] serait là où se jouerait l’avenir du monde, nous explique-t-il lors de l’entretien qu’il nous a accordé. Son importance justifiait qu'on ne se contente pas de quelques lectures dans les journaux mais qu’on essaye de rentrer dans le logiciel. L'intérêt d'une association comme APCEO, c'est de mieux comprendre l'intérieur de la Chine.”

Des conférences aux quatre coins du pays

Dans les années qui suivent et jusqu’à récemment, l’ancien Premier ministre multiplie les déplacements en Chine. Il donne de nombreuses conférences et prononce des allocutions dans tout le pays. Nous en avons listé une cinquantaine. On le retrouve à la foire-expo d’Asie du Nord-Est à Changchun, au salon des logiciels à Nankin, à la foire commerciale et d’investissement de Chine centrale à Wuhan, au Forum de la paix, au Sommet mondial de l’internet, ou encore au salon nautique de Nansha Bay, dont il devient membre honoraire... “90% de ces événements sont bénévoles !”, assure Dominique de Villepin. Au moins cinq agences proposent pourtant ses services comme “speaker” à l’international. Selon nos informations, l’une d’entre elles facture une intervention en Asie de l’ancien Premier ministre 85 000 euros, frais d’agence inclus.

Au-delà de cette activité de conférencier -relativement classique pour un ancien chef de gouvernement-, Dominique de Villepin a travaillé au service d’entreprises chinoises : l’agence de notation UCRG en 2013, le fonds d’investissement Minsheng en 2021, le fonds hong-kongais Cedarlake en 2021... A chaque fois, il devient membre de leur conseil consultatif, voire il le préside. “Un conseil consultatif réunit des personnalités pour réfléchir sur ce que pourraient être les développements du monde”, souligne-t-il. “Ce n’est pas un comité exécutif ni un conseil d'administration”. Au sujet de sa rémunération, il affirme avoir reçu de ces entreprises “une allocation” dont le montant ne serait pas “substantiel”.

VRP du tourisme chinois ?

Dominique de Villepin est aussi là où on ne l’attend pas. Il préside depuis 2017 l’Alliance internationale du tourisme de montagne (ITMA), qui, sans que son nom ne le laisse deviner, est une association chinoise créée avec le soutien du gouvernement. “Ce n'est évidemment pas lui qui a toqué à la fenêtre de l'association pour en être le président, explique Serge Koenig, ancien vice-consul de France à Chengdu et expert auprès de l’IMTA. A ma connaissance, c'est le gouvernement [chinois, ndlr] qui s'est concerté avec quelques ambassades pour trouver un nom, une personnalité politique non chinoise avec un charisme international pour en devenir le président et apporter un rayonnement à cette association.” Le rôle de l’IMTA ? “Promouvoir un tourisme plus vertueux, plus responsable”, avance Serge Koenig, tout en reconnaissant que c’est aussi “un outil de promotion de la Chine”. Pour présider l'IMTA, Dominique de Villepin perçoit une “indemnité” dont il refuse de dévoiler le montant. Plus globalement, il explique que ses activités en Chine ne représentent que “8 à 10 % de son chiffre d'affaires”. “Si vous voulez faire fortune, ce n'est pas en Chine que vous allez, fait-il remarquer. J'aurais pu faire la même chose aux Etats-Unis pour un montant trois à quatre fois supérieur."

“Nous avons besoin d’une Chine forte”

Reste que sa proximité avec les autorités interroge. Régulièrement, il adresse dans la presse chinoise des messages de félicitations au président Xi Jinping. Comme en 2017, à la suite de sa réélection à la tête du PCC. "Le 19e congrès du Parti communiste chinois a été un moment important pour la Chine et pour le monde, déclare alors Dominique de Villepin à la chaîne de télévision CGTN. Nous avons besoin d'une Chine forte (...). La Chine est de retour, et elle est de retour pour de bon”.

Or lors de ce congrès, le virage autoritaire de Xi Jinping s’est confirmé. Il a fait inscrire sa pensée dans la constitution du parti, comme l’avait fait avant lui un certain Mao Zedong. Interrogé sur ses propos, l’ancien Premier ministre explique qu’il “connai[t] bien le président Xi Jinping” et que cela fait partie des usages de féliciter les dirigeants étrangers après leur élection.

Le président chinois Xi Jinping salue Dominique de Villepin lors d'une cérémonie, au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 28 juin 2024. © AFP - GREG BAKER

Dominique de Villepin ne s’en tient pas qu’aux félicitations diplomatiques. Il fait également la promotion du projet phare du président chinois, les “nouvelles routes de la soie”. Ce programme pharaonique, lancé en 2013, vise à favoriser les exportations chinoises dans toute l’Asie, en Europe et en Afrique, en créant de nouvelles infrastructures routières, portuaires, ferroviaires et de télécommunications. Dominique de Villepin en vante régulièrement les mérites. “C'est un grand projet politique qui répond aux aspirations des peuples”, déclare-t-il par exemple à la télévision chinoise en mai 2017.

Légitimation du pouvoir chinois

Pourtant en dehors de la Chine, les espoirs qu’avait suscités l’initiative de Xi Jinping ont été quelque peu douchés. Les travaux d’infrastructures financés par Pékin sous forme de prêts gigantesques ont fait exploser la dette de nombreux Etats. Certains pays ont vu des parties essentielles de leur territoire passer sous pavillon chinois, comme le Pakistan et la Grèce, où deux ports majeurs sont désormais exploités par la Chine. Pour de nombreux observateurs, le programme phare de Pékin s’est transformé en “outil de prédation”. “Il y a eu une prise de conscience assez brutale de la part des pays concernés”, explique le sénateur LR Pascal Allizard, co-président de la mission d’information sur les routes de la soie en 2018.

Pourquoi la Chine vient-elle chercher un ancien dirigeant français sur des sujets aussi variés que le tourisme de montagne ou les nouvelles routes de la soie ? “Solliciter des personnalités du monde politique, culturel, artistique ou universitaire fait partie intégrante des stratégies d’influence chinoises, répond Paul Charon, directeur du département influence et renseignement de l’Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem). La Chine recherche une forme de légitimation de sa posture sur la scène internationale : elle entend démontrer qu’elle est reconnue dans son rôle de grande puissance, voire de future première puissance mondiale. Que ce discours soit porté par un ancien Premier ministre ou un ancien président étranger lui confère un tout autre poids”, poursuit le chercheur, co-auteur d’un rapport sur les opérations d’influence chinoises.

Interrogé sur sa proximité avec le régime chinois, Dominique de Villepin balaie tout soupçon : “Pendant toute ma carrière, j'ai soigneusement fait attention de me tenir à distance de tout ce qui pouvait constituer un réseau d'influence ou un réseau d'intérêts. L'indépendance, c'est la marque du gaullisme et je n'ai jamais transigé avec cela”, affirme le possible futur candidat à la présidentielle de 2027.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024