Fiche du document numéro 35752

Num
35752
Date
Mercredi 19 novembre 2025
Amj
Auteur
Taille
219008
Titre
Génocide au Rwanda : où Félicien Kabuga finira-t-il ses jours ?
Sous titre
Considéré de longue date comme « le financier » du génocide contre les Tutsi, le nonagénaire ne pourra ni être jugé ni être transféré au Rwanda contre son gré. Faute d’un pays d’accueil, sa remise en liberté tourne au casse-tête.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La date de son arrestation et une croix rouge sont inscrites sur le visage de Félicien Kabuga, l'un des derniers suspects clés du génocide rwandais de 1994, sur un avis de recherche affiché au bureau de l'Unité de suivi des fugitifs du génocide à Kigali, au Rwanda, le 19 mai 2020. La police française avait arrêté le 16 mai 2020 l'un des derniers suspects clés du génocide rwandais de 1994, le décrivant comme son « financier » et l'un des fugitifs les plus recherchés au monde. Félicien Kabuga, qui fut jadis l'un des hommes les plus riches du Rwanda, vivait sous une fausse identité en banlieue parisienne, ont indiqué le parquet et la police dans un communiqué conjoint. L'Unité de suivi des fugitifs du génocide, basée à Kigali et qui collabore avec la police française, traque 1 144 personnes à travers le monde, accusées d'avoir participé au génocide des Tutsis de 1994 au Rwanda. © Simon Wohlfahrt / AFP

Considéré de longue date comme « le financier » du génocide contre les Tutsi, le nonagénaire ne pourra ni être jugé ni être transféré au Rwanda contre son gré. Faute d’un pays d’accueil, sa remise en liberté tourne au casse-tête.
« La chambre de première instance conclut que M. Félicien Kabuga n’est pas apte à être acheminé au Rwanda. » Dans une décision rendue le 14 novembre, les juges du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie (MICT) ont rejeté un scénario auquel peu de gens croyaient encore, malgré l’insistance du bureau du procureur Serge Brammertz à privilégier le retour dans son pays natal de celui qui est présenté, depuis plus de 30 ans, comme « le financier » du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994.

Âgé de 92 ans, Félicien Kabuga ne sera probablement jamais jugé. Son état de santé, qui a fait l’objet de multiples expertises médicales depuis son transfèrement, en octobre 2020, au centre pénitentiaire de Scheveningen, à La Haye, est en effet considéré comme trop dégradé pour que le procès puisse se poursuivre. Ainsi en ont décidé successivement, le 6 juin puis le 9 août 2023, la chambre de première instance et la chambre d’appel du MICT.

Une traque racontée par Netflix

Frappé par un syndrome neurodégénératif et atteint de comorbidités chroniques, désormais cloué à un fauteuil roulant, Félicien Kabuga est pourtant l’un des accusés emblématiques que la justice internationale s’était promis de juger dans le dossier rwandais. Hommes d’affaires prospère au début des années 1990, dont la fortune – placée sous séquestre depuis plus de 20 ans – avoisinerait aujourd’hui la vingtaine de millions de dollars, il fut notamment l’un des principaux fondateurs de la tristement célèbre Radio-Télévision libre des mille collines (RTLM). L’acte d’accusation qui le vise énumère les chefs de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, ainsi que de plusieurs crimes contre l’humanité (persécutions pour des raisons politiques, extermination et assassinat).

Pendant plus d’un quart de siècle, Félicien Kabuga était demeuré insaisissable. Au point qu’un épisode de la série Netflix World’s Most Wanted, diffusée pour la première fois en août 2020, est consacré à sa longue cavale entre l’Afrique et l’Europe. Trois mois plus tôt, en plein confinement lié au Covid-19, celle-ci avait pris fin dans un appartement d’Asnières-sur-Seine, en banlieue parisienne, au terme d’une traque ayant impliqué les enquêteurs de nombreux pays (de la Suisse au Kenya et de l’Allemagne à la France, en passant par la Belgique et les Pays-Bas), ainsi que les services du bureau du procureur du MICT.

« Démence sévère »

Transféré à Scheveningen quelques semaines après son arrestation, Félicien Kabuga n’avait pas pour autant dit son dernier mot. À partir de 2022, la tenue de son procès allait en effet faire l’objet d’une bataille procédurale entre son avocat français, Me Emmanuel Altit, et le bureau du procureur Brammertz. En jeu : la question de savoir si son état de santé et ses capacités cognitives, dégradées par une « démence sévère », rendraient possible le procès tant attendu par les rescapés du génocide de 1994, initialement prévu à Arusha.

En juin 2022, les juges reconnaissent que le Rwandais souffre de troubles cognitifs, qu’il se trouve dans un état vulnérable et précaire et qu’il a besoin d’un suivi médical intensif. Sollicités par le tribunal, plusieurs experts médicaux concluent unanimement que les risques que ferait courir à Félicien Kabuga un bouleversement de son environnement familier pourraient compromettre gravement la possibilité de tenir son procès dans un délai raisonnable, dissuadant le transfèrement du nonagénaire vers la Tanzanie.

Un feuilleton médical et judiciaire

Ce feuilleton médical et judiciaire semble atteindre son épilogue le 7 août 2023, lorsque la chambre d’appel du MICT prononce un « sursis indéfini des procédures », estimant que Félicien Kabuga « n’est pas en état d’être jugé » et qu’il est très peu probable qu’il puisse recouvrer à l’avenir cette aptitude. Un mois plus tard, le scénario d’un procès s’évanouissant, la question de sa remise en liberté provisoire est posée par les magistrats de première instance. Ceux-ci ordonnent alors au greffe « d’épauler le plus efficacement possible la défense dans ses recherches en vue d’obtenir l’accord d’un État disposé à accueillir Félicien Kabuga » sur son sol.

Dans le même temps, conformément à une doctrine ancienne, le Rwanda fait savoir qu’il serait disposé à jouer ce rôle, tout comme il le fera en août 2025 quand un autre Rwandais jugé par le TPIR (et acquitté en appel), Protais Zigiranyirazo, sera confronté, post mortem, au refus du maire d’Orléans de laisser sa famille l’inhumer dans le cimetière municipal. L’offre rwandaise en faveur de Félicien Kabuga est aussitôt soutenue par le bureau du procureur. Mais, ce 14 novembre, elle a été fermement écartée par une nouvelle décision de la chambre de première instance. Dans ce jugement, qui se réfère à l’expertise médicale de plusieurs collèges successifs d’experts, les jugent s’opposent en effet au scénario d’un transfèrement médicalisé vers le Rwanda, jugé trop risqué au vu de l’état de santé de l’intéressé.

« Les juges ont été sensibles au risque vital qu’un voyage vers le Rwanda aurait fait courir à mon client, indique à JA Me Emmanuel Altit. Ils n’ont suivi ni le procureur ni les autorités rwandaises, prenant par ailleurs en compte le fait que Félicien Kabuga a peur, s’il devait retourner au Rwanda, d’y faire l’objet de pressions ou de mauvais traitements. »

Selon l’avocat, ce jugement – encore susceptible d’être frappé d’appel par le procureur – « définit, pour la première fois, le devoir de responsabilité d’un tribunal international vis-à-vis des accusés, des personnes acquittées et des personnes libérées ».

Bras de fer avec les autorités françaises

Dans l’immédiat, une interrogation demeure. Bien que présumé innocent, Félicien Kabuga parviendra-t-il à trouver un pays d’accueil ? Selon le bureau du procureur, aucun autre État que le Rwanda n’acceptera de lui accorder l’asile, d’autant que le nonagénaire plaide pour rester proche de ses nombreux enfants et petits-enfants, dont la grande majorité résident entre la France, la Belgique et le Royaume-Uni. Mais dans leur récente décision, les juges de première instance qualifient cette assertion de « spéculative », Félicien Kabuga ayant en ligne de mire deux autres destinations possibles.

La France est l’une d’entre elles. « Mon client avait sollicité des autorités françaises une autorisation de séjour afin de pouvoir finir ses jours auprès d’une partie de sa famille. Mais le ministère des Affaires étrangères lui a opposé un refus non motivé. Félicien Kabuga a donc engagé une procédure au fond devant le tribunal administratif, qui doit encore être examinée en appel », indique Me Altit. L’avocat de Félicien Kabuga insiste par ailleurs sur le fait que les juges du MICT, dans leur décision du 14 novembre, demandent explicitement aux pays susceptibles d’accueillir Félicien Kabuga de se montrer ouverts à cette possibilité. « C’est pourquoi nous sommes confiants dans le fait qu’il pourra bientôt passer ses derniers moments aux côtés des membres de sa famille », ajoute l’avocat.

Quant au deuxième pays européen sollicité, l’avocat préfère laisser planer le mystère afin de ne pas parasiter cette négociation sensible.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024