Fiche du document numéro 35742

Num
35742
Date
Mardi 18 novembre 2025
Amj
Auteur
Taille
151316
Titre
Raphaël Glucksmann peut-il tenir un « cap clair » sur le génocide des Tutsi au Rwanda et s’allier à Bernard Cazeneuve ?
Nom cité
Type
Note
Langue
FR
Citation
Comment Raphaël Glucksmann peut-il accepter de s’allier à Bernard Cazeneuve ? En 2019, dans une lettre adressée à Olivier Faure, rédigée à l’initiative d’Hubert Védrine, co-signée par Bernard Cazeneuve, ces derniers reprochaient à Raphaël Glucksmann son engagement pour la vérité sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Ils écrivaient alors : « Dans Le Monde daté des 6 et 7 janvier 2019, Raphaël Glucksmann déclarait que François Mitterrand « avait porté de la manière la plus radicale et abjecte la politique de la France au Rwanda. ». Lors de la réunion publique du 6 avril dernier à Toulouse, répondant à l’interrogation des socialistes devant son oubli de citer François Mitterrand parmi les principaux inspirateurs du Parti socialiste, Raphaël Glucksmann aurait répondu « je ne l’ai pas cité volontairement, parce que Mitterrand a été complice du génocide au Rwanda ». Qu’est-il arrivé au « cap clair » de Raphaël Glucksmann en faveur de la vérité ? Peut-il ignorer de quel côté de l’histoire se place Bernard Cazeneuve ? D’une part, M. Cazeneuve puise ses éléments de langage dans une rhétorique bien connue : l’inversion des responsabilités. D’autre part, M. Cazeneuve s’assume fièrement comme un compagnon de route des responsables (notamment d’Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée en 1994) et des apologistes de la politique française au Rwanda. À propos du rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, le Rapport Duclert, remis par l’historien Vincent Duclert au Président de la République Emmanuel Macron en 2021, n’était-il pas suffisamment clair lorsqu’il reconnaissait « des responsabilités lourdes et accablantes » ?

Qu’est-ce que le négationnisme ?

Contrairement à une idée reçue, il n’est pas nécessaire de contester l’existence des chambres à gaz pour tenir un discours négationniste. Comme le rappelle l’historien Laurent Joly, spécialiste de Vichy, dans son ouvrage La Falsification de l’Histoire. Éric Zemmour, L’extrême droite, Vichy et les Juifs publié en 2022 : « prétendre que Pétain a sauvé les juifs français relève du négationnisme. ». De même, il n’est pas nécessaire de contester qu’un million de Tutsi furent assassinés au Rwanda entre avril et juillet 1994 pour tenir un discours négationniste. Comme l’évoquait en juin 2024 à l’occasion d’un entretien pour Conspiracy Watch l’historienne Hélène Dumas, spécialiste du génocide des Tutsi au Rwanda « l’un des principaux ressorts du négationnisme c’est de renverser la responsabilité, de la faire porter aux victimes elles-mêmes ou à ceux qui leur sont proches. ». Ainsi, on peut tout à fait déclarer formellement « condamner un génocide », et pour autant, insidieusement, reprendre tous les artifices rhétoriques qui permettent de le nier. Il suffit pour cela de laisser entendre que le génocide serait la faute des victimes ou de ceux qui leur sont proches, voire que ces derniers se seraient rendus coupables d’un « second génocide », pour mieux nier le seul réellement perpétré. En l’occurrence, les négationnistes du génocide des Tutsi au Rwanda suggèrent ou accusent le FPR - qui, insistons-y, arrêta le génocide - d’avoir une responsabilité dans le massacre des Tutsi au Rwanda.

Bernard Cazeneuve n’a pas « un cap clair »

Bernard Cazeneuve, pour renverser contre les victimes et ceux qui leur sont proches la responsabilité du génocide des Tutsi au Rwanda, n’hésite pas à donner un air d’hypothèses sérieuses aux falsifications de l’histoire les plus éculées. Ainsi, dans son entretien au journal Le Monde du 17 mai 2021, il affirme : « Quant à l’attentat du 6 avril 1994 [contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana], il est important dans le déclenchement du génocide et nul ne sait si, sans l’attentat, le génocide aurait eu lieu. (...) si c’est le FPR qui en est l’auteur hypothèse que nul n’a pu étayer jusqu’à présent, alors toute la perspective historique s’en trouve modifiée ». En suggérant insidieusement que l’attentat contre le Président rwandais Juvénal Habyarimana (extrémiste hutu assassiné par d’autres extrémistes Hutu qui le jugeaient encore trop timoré concernant le règlement de « la question tutsi ») pourrait avoir été commis par le FPR et expliquerait le génocide contre les Tutsi, Bernard Cazeneuve fait deux choses. Il se fait passer pour un sage, prudent, pondéré, maniant le conditionnel. Et en même temps, il accrédite la plausibilité d’élucubrations indignes, mises en circulation en plein génocide par des extrémistes Hutu et leurs complices français, relayées en son temps par le juge Bruguière, et discréditées depuis par le juge Trévidic pour leur caractère complotiste. Le recours au conditionnel de Monsieur Cazeneuve a donc autant de valeur que s’il formulait « l’hypothèse », en affectant d’adopter une position raisonnable, que si l’on pouvait étayer que l’incendie du Reichstag s’avérait avoir été fomenté par le « judéo-bolchevisme », alors toute la perspective historique sur la « Solution finale de la question juive » s’en trouverait modifiée. Les Français mesurent-ils qu’ouvrir la porte, comme Bernard Cazeneuve, à l’idée insidieuse que le FPR (qui, répétons-le, arrêta le génocide) pourrait avoir une responsabilité dans le crime, est aussi fallacieux que laisser entendre que les victimes d’antisémitisme et ceux qui leur sont proches pourraient avoir une responsabilité dans la Shoah ?

L’entourage de Bernard Cazeneuve non plus n’a pas « un cap clair »

Concernant la politique de la France au Rwanda, Monsieur Cazeneuve soutient, quel que soit le bord politique, les dirigeants français de l’époque (François Mitterrand, Hubert Védrine, Alain Juppé…) qui n’hésitent pas, dans une profonde impunité, à afficher publiquement leur connivence avec l’ancien Premier ministre socialiste. En 2019, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, rappelait ainsi sa parfaite entente sur le Rwanda avec l’entourage de François Mitterrand : « Un homme comme Bernard Cazeneuve, pour qui j’ai une très grande estime, est exactement sur la ligne que je viens de dire. Je parle de temps en temps avec lui et il m’a dit qu’il partageait à la fois totalement mon analyse et surtout ma version des faits. ». Or, pour qui s’intéresserait à la « version des faits » d’Alain Juppé, l’un des principaux responsables de la politique française au Rwanda, il la trouvera consignée dans ses mémoires « Une histoire française ».

Publiées en 2023, Alain Juppé n’hésite pas, pour accréditer ses mensonges, à y mobiliser la journaliste canadienne Judi Rever, dont Romain Poncet, militant de la mémoire proche d’Ibuka France, association qui milite pour la reconnaissance du génocide des Tutsi, dans la revue Esprit, invite à ranger « dans les archives du négationnisme ». Bernard Cazeneuve est également connu des familles de victimes et de tous les spécialistes pour être un proche actif de l’Institut François Mitterrand. Une institution qui, derrière sa vitrine de think tank respectable, n’existe depuis les lendemains du génocide des Tutsi au Rwanda que pour réhabiliter la politique de la France. Présidée pendant un quart de siècle par Hubert Védrine directement impliqué au Rwanda - l’Institut François Mitterrand est à l’histoire du génocide des Tutsi au Rwanda ce que fut à l’histoire de la Shoah en France l’Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain. Ainsi, les apparences sont parfois trompeuses. Denis Mukwege, le prix Nobel de la paix, tient depuis des années sur le Rwanda, un discours à ranger sur la même étagère que les ouvrages cités par les dirigeants de l’Institut François Mitterrand. En décembre 2024, celui que sa réputation internationale présente comme un honnête médecin gynécologue, « l’homme qui répare les femmes », est allé jusqu’à soutenir publiquement Charles Onana, pamphlétaire négationniste régulièrement cité pour accréditer ses thèses par Hubert Védrine, et condamné, par la justice française, comme Éric Zemmour, pour contestation de crimes contre l’Humanité. On pourrait se dire que le brave docteur a bien changé depuis sa percée médiatique au milieu des années 2010. Est-ce pourtant totalement un hasard si, dans son entretien à l’Opinion en 2021, Bernard Cazeneuve faisait l’éloge de Denis Mukwege ? À la lumière des positions, des soutiens et de l’entourage de l’ancien Premier ministre socialiste, Raphaël Glucksmann peut-il tenir un « cap clair » auprès de Bernard Cazeneuve, avec lequel il annonce faire alliance ? Ou les familles des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda doivent-elles comprendre, comme le disait François Mitterrand, que pour Place publique : « un génocide, dans ces pays-là, ce n’est pas trop important » ?

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024