Fiche du document numéro 3557

Num
3557
Date
Dimanche 24 juillet 1994
Amj
Hms
20:00:00
Taille
22832864
Sur titre
Journal de 20 heures [7:59]
Titre
20 000 militaires des Forces armées rwandaises auraient franchi la frontière zaïroise pendant la déroute. Ils se rassemblent et s'organisent dans deux camps, au nord et au sud du lac Kivu
Sous titre
Philippe Douste-Blazy : « Il faut que les réfugiés puissent revenir au Rwanda. Et pour ça, il faut qu'il y ait des garanties du nouveau gouvernement rwandais ».
Nom cité
Lieu cité
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Résumé
- In Rwanda, refugees have only one choice: death from cholera or return home. There are already 1,500 victims per day in Goma. The border between Rwanda and Zaire was reopened this afternoon to allow those returning to pass.

- It is from Entebbe, in Uganda, that the large American carriers took off to parachute the food over neighboring Zaire. Other planes go directly to Goma where more than a million Rwandans have taken refuge.

- Parachutes in Rwanda, loans from Gikongoro, in the humanitarian security zone. It is not cholera but famine which threatens 1,700,000 people here. Blankets, tins, medical kits, the French soldiers were anxious to very symbolically precede their American counterparts who carried out their own drops this afternoon on the Katale camp in Zaire.

- Parachutes, however spectacular they may be, cannot meet the scale of the task. The urgency is absolute. The hospital in Goma, for example, consumes 1,500 liters of Ringer, a rehydration fluid essential for the fight against cholera, per day. New victims are constantly arriving, they are piled up on the ground. The mobilization of the international community is only beginning to bear fruit. It will take two to three weeks to stop the epidemic. Thousands of people are dying and will die again from cholera.

- In good health, on the other hand, the soldiers of the Rwandan Armed Forces. They would be 20,000 to have crossed the Zairian border during the rout. They gather and organize in two camps, north and south of Lake Kivu. The spirit of revenge that animates them is the fear of humanitarian organizations who refuse to provide them assistance until they are disarmed. The Zairian authorities have undertaken to do so. For these FAR soldiers, the return is impossible, they know that the RPF does not take prisoners.

- Philippe Douste-Blazy: "I would like to take advantage of this direct to ask a question of the international community, outside of France of course, and also to affirm two priorities. My question is to know whether the international community thinks 'are these men and women like you and me here? If the answer is 'no' then this is another discussion that I would rather not participate in. If the answer is 'yes' then why the other countries do not come to help France? Why there is not a stronger solidarity of the international community? And the priority, it is humanitarian, obviously. Here we have seen thousands of deaths for two days. More than 8,000 dead here in Goma. Little packages like that, I don't know if you know what they are: they are little babies who are on the side of the roads. It is something absolutely abominable. Here it would take 10 million liters of water per day and there are only 180,000 that can be distributed! It would take 500 tonnes of food a day and only 200 are arriving. So of course I know the Americans are coming, the Israelis are going to come, the Germans. But if it's just for humanitarian aid… Of course you need doctors, nurses, food, medicine and water. But above all, there is a political priority: the refugees who are here must be able to return to Rwanda. And that requires three conditions: there must be guarantees from the new Rwandan government. Its very important. And for that, the international community must ask it, the other governments! France is the only one to make a political gesture. Other governments must participate in this action. And then the humanitarian zone, due to the French soldiers who worked in an absolutely remarkable way, this humanitarian zone has a million people. […] This million people, if nothing is done for them, will arrive here in Goma. It will be the most important humanitarian catastrophe of the XXth century. If the refugees do not return to Rwanda as quickly as possible, then in 15 days there will be millions of deaths here! This is what must be understood! And then, I would also say that the international community must take its responsibilities. UNAMIR II must come, the UN soldiers must come to support the soldiers of France. France cannot continue alone. It is absolutely impossible. It is a problem of responsibility if we do not want these refugee camps to become death camps! […] The NGOs agree to build a road, like what was done at the time for Kurdistan: a road with sanitary points, sanitary security, water security! Security also political, so that these refugees are not afraid. They are afraid of being killed now. And there must be soldiers. General Lafourcade and his men, who are doing an extraordinary job here, must be supported by other UN soldiers. If they don't come, it will be catastrophic".

- Pierre Consigny, "President of the French Red Cross": "Everything is missing. There is absolutely no water. But there is also a lack of medicines and food. […] There is nothing that can compare, nothing that can be compared. There is also Goma today. But there is also, 200 kilometers south of Goma, the Bukavu area, which is an area that hosted 500,000 refugees, for whom the same questions are starting to arise today".
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Journal télévisé
Langue
FR
Citation
[Jean-Claude Narcy :] Au Rwanda les réfugiés n'ont qu'un seul choix : la mort par choléra ou bien le retour au pays. On compte déjà 1 500 victimes par jour à Goma. La frontière entre le Rwanda et le Zaïre a été rouverte cet après-midi pour laisser passer ceux qui rentrent.

Et puis c'est d'Entebbe, en Ouganda, que les gros-porteurs américains ont décollé pour parachuter les vivres au-dessus du Zaïre voisin. D'autres avions vont directement sur Goma où sont réfugiés -- je vous le rappelle -- plus d'un million de Rwandais. Loïck Berrou.

[Loïck Berrou :] Des parachutages au Rwanda, une image qui en rappelle d'autres. Nous sommes prêts de Gikongoro, dans la Zone humanitaire de sécurité. Ce n'est pas le choléra mais la famine qui menace ici 1 700 000 personnes [on voit des avions de l'armée française larguer des parachutes de vivres au-dessus des collines]. Couvertures, boîtes de conserve, kits médicaux, les militaires français ont tenu à précéder très symboliquement leurs homologues américains qui ont effectué cet après-midi leurs propres largages sur le camp de Katale au Zaïre [on voit des militaires français en train d'aider les villageois à récupérer les parachutes de vivres tombés au sol].

Les parachutages, pour aussi spectaculaires qu'ils soient, ne sauraient répondre à l'ampleur de la tâche. L'urgence est absolue. L'hôpital de Goma, par exemple, consomme 1 500 litres de Ringer -- un liquide de réhydratation indispensable à la lutte contre le choléra -- par jour [diffusion d'images de l'hôpital de Goma]. Les nouvelles victimes arrivent sans cesse, on les entasse à même le sol. La mobilisation de la communauté internationale commence à peine à porter ses fruits. Il faudra deux à trois semaines pour enrayer l'épidémie [gros plans sur des malades couchés par terre]. Des milliers de personnes meurent et mourront encore du choléra.

En pleine santé par contre, les militaires des Forces armées rwandaises. Ils seraient 20 000 à avoir franchi la frontière zaïroise pendant la déroute [on voit des soldats des FAR rassemblés au bord d'une route]. Ils se rassemblent et s'organisent dans deux camps, au nord et au sud du lac Kivu. L'esprit de revanche qui les anime est la hantise des organisations humanitaires qui refusent de leur porter assistance tant qu'ils ne seront pas désarmés [on voit des soldats des FAR déambuler parmi les réfugiés]. Les autorités zaïroises se sont engagées à le faire. Pour eux [les militaires des FAR], le retour est impossible, ils savent que le FPR ne fait pas de prisonniers.

[Jean-Claude Narcy interviewe à présent Philippe Douste-Blazy puis Pierre Consigny, tous deux en duplex de Goma.]

Jean-Claude Narcy : Nous avons de grosses difficultés techniques pour avoir le Rwanda en direct. Mais j'aperçois Philippe Douste-Blazy à l'écran. Monsieur le ministre, bonsoir.

Philippe Douste-Blazy : Bonsoir !

Jean-Claude Narcy : Vous êtes en direct, à Goma. Cela fait 48 heures que vous êtes sur place. Avec l'arrivée de l'aide américaine, même tardive, on a l'impression que la détermination de la France a été payante.

Philippe Douste-Blazy : Oui mais ce que j'ai vu, Jean-Claude Narcy, aujourd'hui, est… indescriptible. Je n'ai jamais vécu une chose comme ça. Et je voudrais profiter de ce direct pour, euh, poser une question à la communauté internationale -- en dehors de la France, bien sûr -- et aussi affirmer deux priorités. Ma question est de savoir est-ce que la communauté internationale pense qu'il s'agit d'hommes et de femmes comme vous et moi ici ? Si la réponse est "non", alors c'est une autre discussion à laquelle je ne préfère pas, euh, participer. Si la réponse est "oui", alors pourquoi les autres pays ne viennent pas aider la France ? Pourquoi il n'y a pas une solidarité de la communauté internationale plus forte ? Et la priorité : la priorité, elle est humanitaire, bien évidemment. Ici nous avons vu des milliers de morts depuis deux jours. Plus de 8 000 morts ici à Goma. Des petits paquets comme ça [il fait un geste avec ses mains], je sais pas ce que…, si vous savez ce que c'est : ce sont des petits bébés qui sont… sur le bord des routes. C'est quelque chose d'absolument abominable. Il faudrait ici 10 millions de litres d'eau par jour et il y en a que 180 000 qui peuvent être distribués ! Il faudrait 500 tonnes de nourriture par jour et il y en a que 200 qui arrivent. Alors bien sûr, je sais que les Américains arrivent, les Israéliens vont venir, les Allemands. Mais si c'est uniquement pour faire de l'aide humanitaire… Bien sûr qu'il faut des médecins, des infirmières, de la nourriture, des médicaments et de l'eau. Mais surtout il y a une priorité politique : il faut que les réfugiés qui sont ici puissent revenir au Rwanda. Et ça, il faut trois conditions : il faut qu'il y ait des garanties du nouveau gouvernement rwandais. C'est très important. Et pour ça il faut que la communauté internationale le demande, les autres gouvernements ! La France est seule à faire un geste politique. Il faut que les autres gouvernements participent à cette action. Et puis la zone humanitaire -- due aux soldats français qui ont travaillé de manière absolument remarquable --, cette zone humanitaire elle a un million de personnes. Ce million de personnes, si on ne fait rien pour eux, vont arriver ici à Goma. Ça sera la catastrophe humanitaire la plus importante du XXème siècle.

Jean-Claude Narcy : Philippe Douste-Blazy, laisser retourner comme on l'a vu tout à l'heure les réfugiés chez eux, ça semble plus facile que de les nourrir ou que de les soigner. Mais est-ce que c'est bien responsable ? Ils vont emporter avec eux le choléra dans leur village.

Philippe Douste-Blazy : Non…, le problème du choléra est…, est simple : il faut amener de l'eau potable ici. C'est ce que nous avons fait depuis 48 heures. S'il n'y a pas d'eau potable, le choléra continuera. Mais ce que je peux vous dire, c'est que si les réfugiés ne repartent pas au Rwanda le plus rapidement possible, alors il y aura en 15 jours des millions de morts ici ! C'est ça qu'il faut bien comprendre ! Et puis je dirais aussi que la communauté internationale doit prendre ses responsabilités. La MINUAR II doit venir, les soldats de l'ONU doivent venir épauler les soldats de la France. La France ne peut pas continuer seule. C'est absolument impossible. C'est un problème de responsabilité si on ne veut pas que ces camps de réfugiés deviennent des camps de la mort !

Jean-Claude Narcy : Vous avez parlé de…, ce matin, d'un retour organisé de ces réfugiés. Est-ce qu'il y a assez de monde pour faire ce travail ? Est-ce qu'il y a assez de monde sur place ? Il faut accompagner ces réfugiés qui rentrent chez eux.

Philippe Douste-Blazy : Ici, euh, les ONG -- Médecins du monde, Médecins sans frontières, AICF, Caritas, Secours catholique -- tous ceux que l'on a vu sont d'accord maintenant pour faire une route, comme ce qui avait été fait à l'époque pour le Kurdistan : une route avec des points sanitaires, une sécurité sanitaire, une sécurité hydrique, avec de l'eau ! Sécurité également politique, de façon à ce que ces réfugiés n'aient pas peur. Ils ont peur de se faire tuer actuellement. Et il faut qu'il y ait des soldats. Le…, le général Lafourcade et ses hommes -- qui font un travail extraordinaire ici ! -- doivent être épaulés par d'autres soldats de l'ONU. S'ils ne viennent pas, ça sera catastrophique. Vous savez, depuis trois ans, on dit que l'humanitaire sert de bonne conscience souvent aux hommes politiques et aux gouvernements. Ici, il faut que l'aide humanitaire soit accompagnée également d'un geste politique. Il faut que les soldats français ne soient pas les seuls.

Jean-Claude Narcy : Monsieur le ministre, vous avez près de vous le…, le président de la Croix-Rouge française, Pierre Consigny. On peut le voir…, que les cameramen aient la gentillesse de nous le montrer. Monsieur Consigny, euh, bonsoir. Vous avez une vue exacte, vous, des besoins en hommes, en matériels et en médicaments. Mais sur place concrètement, qu'en est-il ?

Pierre Consigny, "Président de la Croix-Rouge Française" : Écoutez, je crois que tout manque, n'est-ce pas. L'eau manque absolument. Mais les médicaments aussi manquent et les vivres. C'est peut-être… le point sur lequel, euh, le…, le manque est le moins marqué. Le ministre disait tout à l'heure, euh, on est a…, dans une proportion qui est, euh, du simple au double par rapport aux besoins. Mais l'eau, c'est… zéro par rapport à la totalité des besoins.

Jean-Claude Narcy : Ce matin à…, ce matin à Genève, on apprenait que vos réserves en argent étaient épuisées et qu'il fallait trouver quelque 60 millions de francs. Comment allez-vous faire pour récolter une telle somme ?

Pierre Consigny : Alors ça c'est pour la Croix-Rouge internationale dans son ensemble, dont la Croix-Rouge française fait partie. Et la… un grand nombre des Croix-Rouge nationales ont fait un appel à… leur population, en général. Et nous en France, nous l'avons fait en adressant un message particulier aux entreprises et aux collectivités locales. Avec le sentiment que seraient peut-être plus touchés ceux qui ont des responsabilités collectives et qui savent mieux que d'autres que… ce que les drames comme ceux que nous connaissons aujourd'hui peuvent signifier. Et surtout l'ampleur des moyens qu'il faut mettre en face pour y rép…, y répondre.

Jean-Claude Narcy : Cet exode des réfugiés au Zaïre -- ça sera ma dernière question --, comme en Ouganda, au Burundi, c'est le plus grand défi qu'ait eu à relever votre organisation depuis très, très longtemps ?

Pierre Consigny : Certainement. Il n'y a rien de comparable, rien qui puisse être comparé. Il y a d'ailleurs aujourd'hui Goma. Mais je voudrais dire au passage -- car c'est très important -- qu'il y a, à 200 kilomètres au sud de Goma, la zone de Bukavu, qui est une zone qui a recueilli 500 000, euh…, réfugiés, et pour lesquels les mêmes questions commencent à se présenter aujourd'hui.

Jean-Claude Narcy : Monsieur Consigny, Philippe Douste-Blazy, merci d'avoir été avec nous en direct ce soir. Il y a eu quelques petites difficultés de liaison. Mais enfin, on a pu vous voir et vous entendre. Voilà donc pour le dossier rwandais.

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