Fiche du document numéro 35285

Num
35285
Date
Jeudi 7 juillet 1994
Amj
Hms
20:00:00
Auteur
Taille
32411
Sur titre
Journal de 20 heures
Titre
Début d'enquête sur un génocide. Par recoupement de village en village, les hommes du CRAP connaissent à présent les noms des responsables des massacres
Sous titre
Faustin Twagiramungu, un modéré appartenant à l'ethnie hutu, devrait en principe diriger dès la semaine prochaine le nouveau gouvernement rwandais d'unité nationale.
Nom cité
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Lieu cité
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ZHS
Résumé
- The war in Rwanda: the first humanitarian aid flight in weeks was able to land in Kigali today. Since the fighting began exactly three months ago, it is estimated that between 200,000 and 500,000 people have been killed. More than two million Rwandans have been forced to flee their towns or villages.

- All it took was a sound to send the crowd rushing onto the road. A sound, a fear, a hope, the crash of RPF guns, the fear of falling into their hands and the hope of reaching that famous French security zone.

- So they've all been marching and crowding for days, coming from Butare and elsewhere, to meet these French patrols. We're at the edge of the security zone. Everyone has only one question in mind: should they continue marching? Are they finally safe? A Rwandan, questioned among the crowd of refugees: "They slit throats, they disembowel, and they kill! And we flee. What to do, where to go?". Another Rwandan: "We have nothing to do with it. There are probably criminals here because not everyone can be sane. There are killers everywhere! Even in your country, there are killers!".

- The killers, however, came here as elsewhere. In this jeep, Father Emmanuel and one of his students. He is Hutu, she is Tutsi. He was able to save her and a few others from the massacre. But in his school, it was the students themselves who separated Tutsi from Hutu. The young Tutsi student: "We were separated because the students from the Marie Merci school group didn't want to live with Tutsis. The people from here came to the school to kill the Tutsis who were there. There were many deaths".

- Her classmates are also there, preparing to be evacuated by the military, like her. Father says they are threatened in turn. Does he really believe it, or is it time for forgiveness? Diane is safe tonight. Where she sleeps, there are no Hutus.

- After three months of bloodshed, Rwanda seems to be moving toward a political settlement to this conflict. That said, the entire northwest of the country, theoretically under the control of the interim government, seems to be in fact under the control of Hutu militiamen. Our special envoys accompanied the famous CRAPS, the marine commandos tasked with infiltration and intelligence gathering, on an operation.

- Somewhere in Rwanda, outside French positions, 10 men, the elite of the Legion, the Deep Search and Action Commando of the 2nd REP. First objective: identify potential RPF infiltration points via the southern flank, the Burundian border. Nothing to report.

- Their surprise is considerable: since the massacres, no one has ventured to them, and Lieutenant Raoul approaches the second objective of his mission. Deathly silence about the massacres. 10 Tutsi lived in this village. Since they disappeared, the population has remained silent, still turning a blind eye.

- Fourth village crossed in two days on the trail: Karengera. For the CRAP men, the atmosphere changes. Here, someone is going to speak, a priest. Still terrified, relieved to finally confide in a French army officer. The priest: "It was a plan. They went from parish to parish. They first went to Hanika, they killed those who were there. They came to Nyamasheke, they massacred everyone. These are militias with leaders. At least in the region, they were led by a young man".

- Disgusted, Lieutenant Raoul already knows what he will find behind the walls of this communal house: a mass grave, carefully hidden in a vegetable garden. The earth is freshly dug, but his men end up finding clothes still lying around. And then the traces of the deaths of these 147 Tutsi.

- The start of an investigation into a genocide. By cross-checking from village to village, the CRAP men now know the names of those responsible for the massacres. In this region, the militias of the interim government are still present, still threatening.

- A moderate belonging to the Hutu ethnic group is expected to lead the new Rwandan government of national unity next week. A man currently in Brussels who intends to distance himself from the ethnic problems that have ravaged his country. Faustin Twagiramungu: "This is a purely Rwandan problem. So, if a government is formed, this government will have Rwandans, with both Hutu and Tutsi. But this majority cannot be represented by assassins! I believe there is a silent majority of Rwandans. And this majority would like there to be a situation of pacification, national reconciliation, stability, etc. So the majority of people were not involved in these killings. There is a minority and this minority must be punished. […] It was France that said that, by the end of July, its troops must have left Rwanda! Consequently, its troops must be replaced by UNAMIR 2! And this UNAMIR 2 should be dispatched quickly so that it can settle in and take over. France was involved in the resolution or settlement of this conflict. So it might be a good idea to involve countries other than France".
Source
Fonds d'archives
INA
Commentaire
The 20 o'clock news of France 2 of April 7, 1994 is visible in its entirety here: https://www.youtube.com/watch?v=dUwu8uftVWQ
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
[Bruno Masure :] La guerre au Rwanda : un premier vol d'assistance humanitaire depuis des semaines maintenant a pu atterrir aujourd'hui à Kigali. Depuis le début des combats, il y a très exactement trois mois, on estime qu'entre 200 et 500 000 personnes ont été tuées. Plus de deux millions de Rwandais ont dû fuir leur ville ou leur village. Sur cet exode massif et dramatique, le reportage de nos envoyés spéciaux Benoît Duquesne, Jean-Louis Normandin et Jean-Claude Gautheron dans la région de Butare.

[Benoît Duquesne :] Il a suffi d'un bruit pour précipiter la foule sur la route [gros plan sur une foule en train de marcher]. Un bruit, une peur, un espoir, le fracas des canons du FPR, la peur de tomber entre leurs mains et l'espoir d'atteindre cette fameuse zone de sécurité des Français [on voit une colonne de jeeps françaises ; une incrustation "Kibeho (Rwanda), ce matin" s'affiche à l'écran].

Alors ils marchent tous et s'agglutinent depuis des jours, venant de Butare et d'ailleurs, à la rencontre de ces patrouilles françaises [gros plan sur les jambes de réfugiés en train de marcher]. Nous sommes aux confins de la zone de sécurité. Tous n'ont qu'une question en tête : doivent-ils marcher encore, sont-ils enfin à l'abri [on voit une jeep armée d'une auto-mitrailleuse, avec à son bord un militaire français au béret rouge, fendre la foule de réfugiés] ?

[Un Rwandais, interrogé parmi la foule de réfugiés : "Ils égorgent [il mime l'égorgement], et ils…, ils éventrent et ils tuent ! Et nous fuyons. Que faire, où aller ?" [on entend une autre voix dire : "Ils tuent surtout les familles hutu !".

Un autre Rwandais interrogé par Benoît Duquesne : - "D'après ce que nous entendons, ah, ils bougent, hein. Il bougent en…, à la recherche des…, des…, des…, des criminels. Mais quels criminels ? Nous, on…, on…, nous…, nous n'y sommes pour rien nous autres…, hein". Benoît Duquesne : - "Y'a peut-être des criminels ici quand même ?". Le Rwandais : - "Probablement, parce que tout le monde ne peut pas être sain. On n'est pas sains. Il…, il y a des tueurs partout ! Même chez vous y'a des tueurs ! Et…, et…, mais… faut pas généraliser qu'tout le monde est tueur !".]

Les tueurs, pourtant, sont venus ici comme ailleurs. Dans cette jeep, le Père Emmanuel [il s'agit du Père Emmanuel Uwayezu] et l'une de ses élèves [on les voit escortés par deux militaires français au béret rouge]. Il est hutu, elle est tutsi. Il a pu la sauver avec quelques autres du massacre. Mais dans son école, ce sont les élèves eux-mêmes qui ont fait le tri entre Tutsi et Hutu.

[Un militaire français au béret rouge s'adresse au Père Emmanuel [qui porte des lunettes de soleil] : - "À combien ?". Père Emmanuel : - "Chez moi ! Chez moi dans…, dans…". Le militaire : - "Dans votre maison ?". Père Emmanuel : - "Oui, oui, à côté de ma maison. Ils ont été récupérés, j'ai envoyé des gens pour les récupérer là-bas". Le militaire français : - "C'est…, c'est récupéré ?". Père Emmanuel : - "Oui, oui". Le militaire français : - "Vous me regroupez les gens maint'nant ?". Père Emmanuel : - "Ouais, je vais les regrouper". Le militaire français : - "On va les mettre dans les voitures et on va s'en aller".

La jeune élève tutsi [elle a un pagne sur son visage] : - "Nous étions au collège. Nous étions…, là-bas. On nous avait séparés parce que les…, les é…, les élèves du groupe scolaire Marie Merci ne voulaient pas vivre avec des…, des Tutsi. Et tout ça, on nous a séparés. Et nous sommes allés au collège. Ils sont restés ici. Et… les gens, les gens d'ici… ont venu tuer…, sont venus au collège pour tuer les…, des Tutsi qui étaient là-bas". Le journaliste : - "Il y a eu des morts ?". La jeune élève : "- Oui, beaucoup de morts".]

Ses petits camarades sont là eux aussi qui se préparent à être évacués par les militaires, comme elle. Le Père les dit menacés à leur tour. Le croit-il vraiment ou l'heure est-elle au pardon [on voit un groupe de collégiennes devant un bâtiment en briques] ?

[Benoît Duquesne s'adressant à des collégiennes : - "Vous pourrez encore vivre ici ?". L'une d'entre elle répond : - "Mais s'ils peuvent m'accepter, j'peux vivre encore avec eux". Benoît Duquesne : - "Vous savez ce que sont devenus vos parents ?". La collégienne : - "Non…, sauf que je crois qu'ils sont morts".]

Diane est en sécurité ce soir. Là où elle dort, il n'y a pas de Hutu.

[Bruno Masure :] Après trois mois de bain de sang le Rwanda semble s'orienter vers une règlement politique de ce conflit. Nous y reviendrons dans un instant avec l'interview du futur chef du gouvernement d'unité nationale. Cela dit, tout le Nord-Ouest de ce pays, en théorie sous le contrôle du gouvernement intérimaire, semble être en fait sous la coupe de miliciens hutu. Nos envoyés spéciaux Valérie Fourniou, Jean-François Hoffmann et Jacques Larose ont accompagné en opération les fameux CRAPS, ces commandos de marine chargés de l'infiltration et du renseignement.

[Valérie Fourniou :] Quelque part au Rwanda en dehors des positions françaises [gros plan sur une jeep avec à son bord quatre membres des CRAP ; une incrustation "Sud Rwanda" s'affiche à l'écran], 10 hommes, l'élite de la Légion, le Commando de recherche et d'action en profondeur du 2ème REP. Premier objectif : repérer les points d'infiltration éventuels du FPR par le flanc sud, la frontière du Burundi. Rien à signaler [on voit un véhicule militaire français recouvert d'une bâche s'arrêter dans un village].

Leur surprise est de taille : depuis les massacres, personne ne s'est aventuré jusqu'à eux et le lieutenant Raoul aborde le deuxième objectif de sa mission [on voit le lieutenant Didier Raoul déplier une carte de la région sur le capot de son véhicule ; il est entouré de nombreux villageois].

[Didier Raoul interroge un villageois parmi la foule : - "Est-ce qu'il y a quelques familles tutsi qui vivent ici ?". Le villageois [en souriant] : - Non, non". Didier Raoul : - "Y'en a plus ?".]

L'homme sourit.

[Didier Raoul poursuit : - "Il y en avait avant ?". Le villageois : - "Non, non. Ils doivent plus être [inaudible]".]

Silence de mort sur les massacres. 10 Tutsi vivaient dans ce village. Depuis qu'ils ont disparu la population se tait, ferme encore les yeux [on voit le jeep du lieutenant Raoul quitter le village].

Quatrième village traversé en deux jours de piste : Karengera. Pour les hommes du CRAP l'ambiance change. Ici quelqu'un va parler, un prêtre. Encore terrorisé, soulagé de se confier enfin à un officier de l'armée française [on voit le lieutenant Raoul traverser la cour d'une école et se rendre dans le bureau du prêtre].

[Le prêtre raconte à deux membres des CRAP : "C'était un programme. Ils allaient de paroisse en paroisse… Donc ils ont d'abord été à Hanika, ils ont tué ceux qui étaient à Hanika. Ils sont venus à Nyamasheke, ils ont massacré tout le monde. Ce sont des milices…, ce sont des milices qui ont des chefs, ceux qui ont organisé, donc, les…". L'un des CRAP : - "Ouais". Le prêtre : - "En tout cas dans la région ils étaient dirigés par un jeune homme. [Plan de coupe] Tout l'après-midi et samedi, c'est à de moment-là qu'on les a…, qu'on les a massacrés. Alors nous tous [ricanement]…, alors nous tous ils étaient vraiment horribles à entendre surtout".

Le plan suivant montre Didier Raoul en train d'interroger un gendarme rwandais : - "Sécurité ? Police ?". Le gendarme : - "Oui, oui". Didier Raoul, résigné : - "Ah, d'accord".]

Écœuré, le lieutenant Raoul sait déjà ce qu'il va trouver derrière l'enceinte des murs de cette maison communale [on le voit se diriger derrière la maison] : un charnier, soigneusement dissimulé dans un jardin potager. La terre est fraîchement retournée mais ses hommes finissent par trouver des vêtements qui traînent encore [gros plan sur des vêtements recouverts de terre]. Et puis… les traces de la mort de ces 147 Tutsi [un soldat des CRAP pointe son fusil Famas en direction de morceaux de crâne].

Début d'enquête sur un génocide. Par recoupement de village en village, les hommes du CRAP connaissent à présent les noms des responsables des massacres [on entend le lieutenant Raoul dire à ses hommes : "Ils ont planté des cultures dessus, hein".]. Dans cette région, les milices du gouvernement provisoire toujours présentes, toujours menaçantes.

[Bruno Masure :] C'est un modéré appartenant à l'ethnie hutu qui devrait en principe diriger dès la semaine prochaine le nouveau gouvernement rwandais, gouvernement d'unité nationale. Un homme actuellement à Bruxelles et qui entend bien se démarquer des problèmes ethniques qui ont ravagé son pays, comme il l'a confié à Philippe Rochot.

[Faustin Twagiramungu : - "Il s'agit ici d'un problème purement rwandais. Et avant d'être Hutu, je pense que je suis Rwandais. Donc, euh, s'il y a constitution d'un gouvernement, ce gouvernement aura des Rwandais, qui parmi eux…, bien entendu, y'aura des Hutu comme des Tutsi. Mais…, euh, nous ne pouvons pas régler ce conflit en disant : 'Voilà, il y a une minorité tutsi, y'a une majorité hutu'. Et d'ailleurs, qui représente cette majorité finalement ? Cette majorité ne peut pas être représentée par les assassins et les…, et les tueurs ! Je crois qu'il y a une majorité silencieuse de Rwandais. Et cette majorité aimerait bien qu'il y ait une situation de pacification, de réconciliation nationale, de stabilité, etc. Donc, euh, la majorité des gens n'ont pas trempé dans ces tueries. Il y a une minorité et cette minorité doit être punie". Philippe Rochot [une incrustation "Entretien Philippe Rochot" s'affiche en bas de l'écran] : - "Vous avez dit qu'les forces françaises devraient avoir quitté le Rwanda avant la fin du mois. C'est un peu juste pour, euh, que les forces africaines prennent la relève ?". Faustin Twagiramungu : - "Écoutez, euh, je pense que je ne suis que conséquent avec les déclarations de la France. C'est la France qui a dit que, fin juillet, euh, ses troupes doivent avoir quitté le Rwanda ! En conséquence il faut que ses troupes soient remplacées par, euh…, la MINUAR 2 [une incrustation "M.I.N.U.A.R, Forces des Nations Unies au Rwanda" s'affiche à l'écran] ! Et cette MINUAR 2, elle devrait être dépêchée rapidement pour qu'elle puisse s'installer et prendre la relève. Euh, la France a été imp… impliquée dans… la résolution ou le règlement de ce conflit. Donc il est peut-être bien d'y impliquer d'autres pays que la France".]

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