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Depuis le 17 mars dernier, le Rwanda et la Belgique ne se parlent plus. Ce jour-là, Kigali a rompu ses relations diplomatiques avec Bruxelles. Après de longs mois de tensions entre les deux pays, le couperet est tombé. Depuis… rien. Pas le moindre échange. À la fin du mois d’avril, le ministre belge des Affaires étrangères Maxime Prévot a entrepris son premier voyage en Afrique centrale. Un mini-trip qui l’a emmené en Ouganda, au Burundi et en République démocratique du Congo (RDC), enjambant ostensiblement le Rwanda sans un regard pour Kigali. Parallèlement, la semaine dernière, le ministre rwandais des Affaires étrangères Olivier Nduhungirehe était à Bruxelles dans le cadre d’une réunion ministérielle entre l’Union européenne et l’Union africaine. “Il n’y a eu aucun contact avec la Belgique”, explique le ministre qui est un des acteurs principaux des négociations qui se déroulent désormais à Washington entre la RDC, le Rwanda et les États-Unis.
Rôle central des États-Unis
“L’union européenne et la Belgique ont perdu leur influence en Afrique centrale, où ils sont pourtant des acteurs historiques”, explique le ministre Nduhungirehe, pour qui cette évolution est due au fait qu’ils “ont pris position en soutenant le narratif simpliste de la RDC. Une stratégie qui n’a pas marché et qui a affaibli leur position. Les nouvelles négociations en cours, à Washington ou à Doha, se déroulent sous les auspices d’acteurs qui ont une approche plus ouverte”.
Les discussions de Washington sont les plus spectaculaires. L’ombre de Donald Trump et son approche de “peace through business” (la paix grâce aux affaires) planent au-dessus de ces pourparlers qui ont déjà permis d’asseoir, le 25 avril dernier, les ministres des Affaires étrangères congolais et rwandais autour d’une même table présidée par leur homologue américain Marco Rubio.
Suite à cette première rencontre, dans un style à la hussarde qui sied si bien à Donald Trump, mais qui ne tient compte ni de la spécificité, ni de la complexité de cette crise, les deux parties, qui avaient signé une déclaration de principes, devaient déposer leur première mouture d’une proposition de paix pour le 2 mai. Les experts américains devaient ensuite plancher sur une harmonisation des deux textes avant que les parties ne se revoient “dans la troisième semaine du mois de mai pour la finalisation de l’accord de paix”, expliquait fin avril le ministre rwandais des Affaires étrangères, qui annonçait la possibilité de “la signature de l’accord de paix mi-juin à la Maison-Blanche” en présence des présidents Trump, Tshisekedi et Kagame.
Washington lié par Doha
Un calendrier ambitieux qui ne sera pas respecté même si les deux parties ont tenu jusqu’ici leur timing, ce qui est déjà la marque évidente de la pression américaine sur les responsables des deux États. Massad Boulos, le conseiller Afrique de Donald Trump (par ailleurs beau-père de Tiffany Trump), a affirmé le 15 mai qu’une première mouture du projet avait été remise aux deux parties. Une mouture que Congolais et Rwandais présentent comme le “Draft 0” qui va nécessiter “au moins plusieurs allers-retours”, poursuit M. Nduhungirehe.
Les négociations en cours à Washington, si elles évoquent un plan de paix, sont essentiellement des discussions qui visent à permettre aux États-Unis de faire main basse sur certaines mines stratégiques pour l’économie américaine dans une région où la Chine règne en maître jusqu’ici. Les négociateurs évoquent ainsi de “nouvelles perspectives économiques” qui doivent permettre “une intégration régionale” et la “collaboration sur certains projets entre Rwandais et Congolais avec des entreprises américaines”. Il y a encore des projets hydroélectriques ambitieux, la création de chaîne de valeurs pour les minerais critiques ou même la cogestion des parcs nationaux dans la région frontalière entre le Rwanda et la RDC.
Une approche volontariste qui ne peut se concevoir sans des avancées sur les questions sécuritaires pour les deux pays. Washington ne l’ignore pas, la paix et la stabilité de la région sont une étape nécessaire pour le développement économique. Des mécanismes de sécurité conjoints sont donc aussi en discussion mais les tractations de Washington ne peuvent aboutir sans progrès dans les négociations entre Kinshasa et les rebelles de l’AFC/M23 qui se déroulent parallèlement à Doha, au Qatar. Une des mines scrutées par Washington, celle de Rubaya, dans la province du Nord-Kivu, est sous la férule de l’AFC/M23. Une autre est située dans le Tanganyika, province aux portes de laquelle se trouvent désormais les troupes rebelles antigouvernementales.
À Doha le tempo est nettement moins soutenu et les tensions plus vives. Kinshasa a rejeté jusqu’ici tous les préalables mis sur la table par les rebelles qui, eux, se sont retirés de région qu’ils occupaient (Walikale) “montrant ainsi leur bonne volonté”, explique un proche de ces négociations au Qatar. Avant la tenue de ces négociations à Doha, on se souviendra que les premières discussions directes entre Kinshasa et l’AFC/M23 ont été un fiasco en Angola sous l’égide du président local Joao Lourenço, médiateur désigné par l’Union africaine dans cette crise à l’est de la République démocratique du Congo. Un échec qui a poussé le président angolais, devenu au mois de février dernier, président pour un an de l’Union africaine, à jeter l’éponge. Son rôle a été confié au président togolais Faure Gnassingbé entouré de cinq cofacilitateurs (tous d’anciens présidents africains à la retraite) chargés d’examiner chacun un aspect précis des relations entre les deux parties.
Incontournable AFC/M23
“L’accord de paix discuté à Washington doit intégrer les négociations de Doha”, confirme sans tergiverser le ministre Nduhungirehe, avant d’aller plus loin. “Il doit aussi tenir compte des négociations menées par les instances régionales (Union africaine, Communauté des États de l’Afrique australe et celle des États de l’Afrique de l’est, NdlR)”.
Les États-Unis du président républicain pourront-ils accepter ce rythme ? “On parle de trouver une solution durable pour un conflit qui dure depuis plus de 30 ans, ça va prendre du temps”, répond le ministre rwandais des Affaires étrangères. “Mais il y a aujourd’hui une vraie opportunité qui se dessine et si on veut une vraie paix durable, un accord robuste assorti d’un calendrier sérieux pour mettre fin à la guerre, Il faut des ponts entre ces différentes négociations. Il faut aller au fond des questions. Les trois processus doivent aller de pair. Ils sont complémentaires, il faut des négociations sur les causes profondes notamment des tensions à l’est. Si on ne fait pas ça, on sait que les conflits ressurgiront rapidement. Pour nous, Rwandais, la stabilisation de l’est à long terme est une question cruciale”, poursuit-il. Certains responsables rwandais n’hésitent pas à parler de “question vitale”.
Dans le contexte sécuritaire actuel, tout processus doit inclure l’AFC/M23 qui contrôle une partie non négligeable du flanc est de la RDC et qui menace aujourd’hui l’ex-Grand Katanga, une province richissime qui ne pourra résister à une offensive éventuelle des troupes antigouvernementales qui n’ont été ralenties jusqu’ici que par l’action des soldats burundais, des FDLR (les héritiers des génocidaires rwandais) ou des wazalendo, essentiellement des milices criminelles congolaises converties par Kinshasa à coups de billets verts et de livraisons d’armes en “patriotes”. Un ensemble hétéroclite concentré sur les provinces du Kivu mais totalement absent au-delà de ces provinces., laissant les rebelles face à l’armée congolaise, sous équipée, sous payée et humiliée par le régime Tshisekedi. Comme son nom l’indique, l’AFC/M23 est plus large que le seul M23. Les revendications ne se limitent plus à des questions circonscrites à l’est de la RDC. Face à ce constat, le ministre rwandais insiste aussi sur la nécessité d’un dialogue intercongolais évoqué par l’Union africaine mais aussi par le travail des évêques catholiques (Cenco) et des protestants (ECC).
Kinshasa réarme et fait douter
Le chemin de la paix s’esquisse lentement dans l’est de la RDC mais les bruits de la guerre sont toujours clairement perceptibles. “C’est vrai qu’il y a une situation sur le terrain qui envoie des signes inquiétants”, fini par reconnaître le ministre Nduhungirehe qui évoque, comme plusieurs experts par ailleurs, “les achats de drones turcs et chinois par les autorités congolaises” mais aussi le retour de “mercenaires étrangers dans le nord de la RDC”. “Tshisekedi pense qu’il peut remporter une victoire militaire face à l’AFC/M23″, explique un diplomate européen qui pointe aussi “chez Félix Tshisekedi, le rôle d’un premier cercle familial et de conseillers qui gagnent beaucoup d’argent avec tous ces contrats militaires”. “La lenteur des négociations en cours” est aussi pointée par un autre diplomate, africain, qui insiste sur le “double jeu dangereux de Kinshasa”.