Dorcy Rugamba était de la création du percutant
Rwanda 94, qui a marqué puissamment les esprits lors de son passage au Festival TransAmériques (FTA) en 2001. Avec
Hewa Rwanda, lettre aux absents, créé à Kigali l’an dernier, le comédien et écrivain est revenu, 30 ans plus tard, sur le massacre des Tutsis dans le pays aux mille collines. Mais, cette fois, avec une performance mémorielle intimiste, dépouillée, qu’il consacre à sa famille, décimée au début du génocide.
La « lecture-spectacle » présentée au FTA est tirée de son livre portant le même titre, réflexion poignante aux accents poétiques — amputée dans la version scénique, forcément, de quelques passages riches. Dorcy Rugamba y «
cherche à réaffirmer la place de la mémoire dans le processus de guérison collective » explique-t-il dans l’entretien publié sur le site du FTA.
Il n’aura fallu que trois quarts d’heure à des militaires pour tuer ses parents et six de ses frères et sœurs, entre autres victimes, et ainsi précipiter la fin de son monde, rappelle le créateur d’entrée de jeu. Sobrement, chargé d’une présence forte mais tranquille, Dorcy Rugamba revient sur sa jeunesse, convoque avec admiration son père humaniste, le poète et chorégraphe Cyprien Rugamba, sa mère, Daphrosa, institutrice qui a sacrifié toute ambition professionnelle pour prendre soin de ses enfants, et rend hommage à ce qu’ils lui ont légué : «
Je n’ai jamais rien eu que je ne leur doive. »
Cette évocation a lieu devant une grande photo réunissant les douze membres de sa famille, projetée en arrière-fond du théâtre La Chapelle. Déchirant par le bonheur perdu qu’il évoque, ce portrait va passer du noir et blanc à la couleur, puis de nouveau au monochrome, selon que le narrateur raconte leur assassinat ou fait revenir ses proches à la vie en convoquant leur souvenir. Une image fixe qu’il emplit, anime par ses récits.
Malgré la gravité qu’impose cet événement horrible, malgré tout ce qu’a perdu Dorcy Rugamba — dont le rapport au divin, soit la «
certitude que l’amour vaincra la mort », avec lequel le spectacle nous laisse —,
Hewa Rwanda (l’air du Rwanda) n’est pas pesant. La performance scénique porte plus de vie que de mort. Grâce notamment à l’accompagnement musical soutenu de l’excellent auteur-compositeur-interprète sénégalais Majnun. Les deux artistes s’allient pour quelques chants incantatoires.
Un rituel de communion qui devient une célébration à certains moments. Celle de la vie des absents qui continuent à exister dans la mémoire. Un rappel essentiel.
Hewa Rwanda, lettre aux absents
Texte : Dorcy Rugamba. Production :
RAI – Rwanda Arts Initiative et
La Charge du Rhinocéros. Jusqu’au 26 mai, à La Chapelle scènes contemporaines. Et du 29 au 31 mai, au théâtre Périscope, à Québec