Fiche du document numéro 35037

Num
35037
Date
Dimanche 27 avril 2025
Amj
Taille
7288265
Titre
Rwanda et Rd Congo, interview avec Bojana Coulibaly : la vérité sur la crise des Grands Lacs
Sous titre
Entretien avec Bojana Coulibaly sur la crise des Grands Lacs, entre accusations internationales, silences politiques et rôle controversé du mouvement M23.
Nom cité
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Mot-clé
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M23
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Dr. Bojana Coulibaly est chercheuse spécialisée dans l’analyse des discours sur le conflit dans la région des Grands Lacs africains. Ses travaux portent sur les langages politiques, les mémoires traumatiques et la production sociale de la haine dans les contextes post-génocidaires. Titulaire d’un doctorat en études africaines obtenu en France, elle a mené des travaux de terrain au Rwanda, en République démocratique du Congo et au Sénégal, travaillant avec les communautés locales, les survivants et les militants.

Dans cet entretien, Coulibaly propose une lecture radicale et profondément située de la crise entre la République démocratique du Congo, le Rwanda et le mouvement M23. Avec une grande rigueur analytique et une voix exempte de toute réticence, elle démantèle de nombreux récits dominants sur la scène internationale, en se concentrant sur la manière dont des mots tels que « rebelle », « terroriste » ou « agression » sont utilisés stratégiquement pour construire des alliances, justifier la violence ou dissimuler des responsabilités politiques.

L’interview explore certaines des questions les plus controversées du débat régional et international : le rôle des FDLR, les responsabilités du gouvernement congolais, les accusations portées contre le Rwanda, la question de l’exploitation des ressources minérales, l’utilisation systémique de discours de haine contre les Tutsi congolais, l’inefficacité des missions de maintien de la paix. Avec passion et lucidité, Coulibaly questionne l’approche eurocentrique de la crise et dénonce les simplifications médiatiques qui alimentent de dangereuses distorsions.

À travers une perspective développée directement sur le terrain, entre Goma, Rutshuru, Masisi et Virunga, sa voix redonne dignité à des témoignages ignorés et nous invite à repenser les catégories avec lesquelles nous interprétons les conflits africains. Un entretien nécessaire, qui ébranle les certitudes et restitue la complexité.



Le M23 est défini comme un groupe rebelle, mais aussi qualifié de « terroriste ». Comment décririez-vous sa nature et ses motivations ?

Cette question révèle une caractéristique importante du conflit.

Le langage du conflit – au sens large de « nomenclature » ou de « terminologie », ce que nous appelons en français « langage » (ou un système de signes dont nous faisons usage pour communiquer nos pensées) par opposition à la « langue » (que nous parlons, comme l’italien, l’anglais, le swahili, etc.) – que nous utilisons pour décrire un conflit, est crucial. En effet, les éléments de langage que nous choisissons, leur signification et leurs connotations, ont un impact crucial sur l’issue d’un conflit. Examinons ces deux termes, « rebelle » et « terroriste », censés définir, selon certains, la « nature » et les « motivations » du M23.

Définir le M23 comme un « groupe rebelle » ne rend pas compte du contexte dans lequel il a émergé, de ce dont il est issu et de sa mission. Par définition, un groupe rebelle est un groupe armé politico-militaire qui se révolte contre un gouvernement national pour obtenir un changement politique. Cela pourrait définir le M23 si l’on ignorait complètement le contexte d’utilisation de cette terminologie. Ce qui manque à cette étiquette, c’est une désignation claire des acteurs contre lesquels le M23 se « rebelle ». Le terme « rebelle » ne permet en effet pas de déterminer si le M23 est, ou non, « légitime » dans cet acte de « rébellion ».

Dans le contexte de la région des Grands Lacs, ces mots ont une histoire. Le mot « rébellion » est associé à une connotation négative. Cela remonte à la façon dont le Front patriotique rwandais (FPR) était décrit par ceux qui avaient intérêt à perpétuer la violence contre les Tutsi dans la région et qui se satisfaisaient de ce statu quo pendant un demi-siècle.

Le FPR a été créé par des Tutsi rwandais poussés à l’exil suite aux persécutions et aux massacres de Tutsi au Rwanda, un système de marginalisation et de nettoyage ethnique créé et soutenu par la Belgique entre 1959 et 1990. Ces Tutsi rwandais, devenus apatrides et contraints de vivre dans des camps de réfugiés pendant 30 ans dans les pays voisins, notamment en Ouganda, au Congo, en Tanzanie et au Burundi, ont créé le FPR afin d’ établir une voix politique commune pour plaider en faveur du retour des réfugiés Tutsi rwandais et de leur permettre de vivre en paix dans leur pays d’origine. Après avoir épuisé toutes les options diplomatiques auprès de leur gouvernement d’origine dirigé par Habyarimana, qui a systématiquement rejeté leur demande de retour et a continué au contraire à les persécuter, à les tuer et à les pousser à l’exil, la seule option restante était de prendre les armes et de rentrer chez eux. C’était une quête existentielle et une question de survie pour les Tutsi rwandais.

Le FPR a libéré le Rwanda de l’armée rwandaise et des milices extrémistes Hutu, entraînées, armées et financées par le gouvernement rwandais, qui exterminaient les Tutsi rwandais. Autrement dit, il est plus juste de définir le FPR comme un mouvement de libération plutôt que comme un groupe rebelle. FPR signifie Front patriotique rwandais. On peut affirmer sans conteste que le FPR était beaucoup plus « patriotique », soucieux de protéger le peuple rwandais, contrairement aux gouvernements successifs de Kayibanda et Habyarimana, qui, au contraire, orchestraient, planifiaient et exécutaient le massacre d’un million de Rwandais sur sept millions.

Ainsi, à l’instar du FPR, plutôt que de le qualifier de mouvement « rebelle », le M23 devrait être qualifié de mouvement de libération. Il s’agit bien de patriotes congolais qui luttent pour l’unité du peuple congolais contre le gouvernement congolais, qui a pleinement adopté la politique divisionniste et l’idéologie génocidaire, principalement importées par les responsables du génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda, mais qui se sont également développées dans un contexte politique divisionniste congolais favorable.

Quant au terme « terroriste », il a été initialement utilisé en 2022 par Kinshasa, pour des raisons purement « pragmatiques ». Kinshasa cherchait à exclure le M23 du processus de paix de Nairobi, qui incluait initialement tous les groupes armés opérant au Congo. Il s’agissait en effet d’une tactique utilisée pour justifier le refus de Kinshasa de négocier avec le M23. Une fois le M23 qualifié de « terroriste », il n’est évidemment plus nécessaire de justifier son refus du dialogue. Ce refus du dialogue est celui que Kinshasa met en œuvre depuis l’attaque contre le M23 en novembre 2021, après 14 mois de négociations avec ce dernier, qui a relancé le conflit en poussant le M23 à prendre les armes et à se défendre.

Cela étant dit, la partialité du régime de Tshisekedi est flagrante, compte tenu de son refus de qualifier les FDLR (les vestiges de la milice et de l’armée rwandaises responsables du génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda, opérant depuis 1994 au Congo) de « terroristes ». Et ce, malgré le fait que Les FDLR ont été incluses dans la liste des « groupes terroristes » en 2005 par le Département d’État américain.

En résumé, le M23 est un mouvement de libération en réaction directe à la mauvaise gouvernance de la RDC. Plus qu’un symptôme d’une crise de gouvernance, le M23 pourrait être perçu comme une solution. Il marque un tournant radical par rapport à plus d’un demi-siècle de politique divisionniste, semée par la Belgique et perpétuée par les dirigeants congolais successifs après l’indépendance du Congo.

On prétend souvent que le M23 est financé par le Rwanda. Existe-t-il des preuves concrètes d’un tel soutien ? Si oui, sous quelle forme se manifeste-t-il ?

Encore une fois, ce récit ignore les éléments historiques que j’ai évoqués plus haut. Il présente la conférence de Berlin de 1884-1885 – qui a découpé le continent africain, séparant des communautés ou des clans en plusieurs entités nationales sous le contrôle des puissances coloniales européennes – et le massacre d’un million de personnes en 100 jours lors du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 comme de simples anecdotes.

Cet argument nie l’existence d’une importante population rwandophone dans l’est de la RDC, qui parle la même langue et partage le même contexte culturel que le peuple rwandais. Le Rwanda est accusé de « soutenir » le M23, alors que près d’un million de Congolais locuteurs du kinyarwanda vivent dans des camps de réfugiés, non seulement au Rwanda, mais aussi en Ouganda et au Burundi. En réalité, il y a trois fois plus de Tutsi congolais dans les camps de réfugiés en Ouganda qu’au Rwanda. Pourtant, le Rwanda est accusé de soutenir le M23. Cette théorie du complot est un outil utilisé par Kinshasa pour détourner l’attention de sa politique de marginalisation et de persécution des Tutsi congolais, ainsi que de ses échecs de gouvernance et du pillage des richesses du Congo. L’actuel président Félix Tshisekedi a par exemple détourné 320 milliards de dollars américains depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Sa famille profite directement de certaines des mines les plus lucratives du Congo.

Ce récit ignore en outre le fait que les FDLR, qui se sont publiquement engagées à renverser Kigali et à achever le projet d’extermination des Tutsi au Rwanda, représentent toujours une menace pour le Rwanda, ainsi que pour les Tutsi congolais victimes du nettoyage ethnique du groupe génocidaire au Congo. L’intégration officielle des FDLR à l’armée congolaise par Tshisekedi, qui a menacé à plusieurs reprises de « bombarder Kigali » et de « changer son régime » avec le soutien des FDLR, est aujourd’hui cruciale pour la sécurité du Rwanda.

Ces menaces s’inscrivent dans un contexte de plus de 20 attaques transfrontalières sur le territoire rwandais depuis la RDC depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi. Cette situation crée donc une menace réelle et existentielle pour le Rwanda, d’autant plus que les FDLR opèrent depuis 30 ans le long de la frontière rwandaise, et que leur idéologie génocidaire a été adoptée par un grand nombre d’autres groupes armés opérant en RD Congo, ainsi que par le gouvernement congolais lui-même. Le Rwanda n’a donc guère d’autre choix que de s’engager dans l’est du Congo pour protéger sa frontière et répondre sans délai à la menace existentielle que représente la présence des FDLR.

Cela ne signifie pas pour autant que le Rwanda soutient ou finance le M23. Le M23 est un mouvement congolais avec ses propres revendications. Un point commun entre le Rwanda et le M23 est la présence du groupe génocidaire des FDLR, soutenu, financé et armé par le gouvernement congolais. Leur objectif commun de neutraliser les FDLR ne doit pas être confondu avec l’idée que « le Rwanda soutient le M23 ».

Le M23 est accusé de faire le commerce de minerais provenant du Nord-Kivu. Selon vous, quelle est la vérité sur ce point ? À qui ces minerais seraient-ils vendus ?

Ce conflit repose sur une théorie principale, non fondée, selon laquelle « le Rwanda faciliterait un complot mondial fomenté par les grandes puissances pour s’emparer des richesses minières du Congo ». Cette théorie du complot est systématiquement reprise par les médias, les universitaires occidentaux, les responsables congolais et ceux qui les soutiennent, notamment la MONUSCO, la mission de maintien de la paix des Nations Unies, qui utilisent tous systématiquement l’expression « M23 soutenu par le Rwanda » comme un mantra.

Je ne dis pas que les superpuissances mondiales n’ont aucun intérêt dans les richesses minières de la RDC. La Chine, les États-Unis et l’Europe se disputent l’accès aux minerais stratégiques congolais, car leurs économies entières en dépendent. Mais l’idée d’un complot mondial, dont le Rwanda serait le principal complice, théorie qui blanchit la responsabilité de Kinshasa dans le pillage des ressources congolaises, compromet notre capacité à comprendre et à résoudre ce conflit.

Il faut savoir que 87 % des richesses minières de la RDC sont aujourd’hui contrôlées par Kinshasa, et que les 13 % restants sont extraits dans les territoires actuellement sous contrôle du M23. Cela ne signifie pas pour autant que le M23 exploite ces mines. En réalité, le M23 n’est arrivé dans ces territoires riches en minerais qu’il y a environ un an. Jusqu’à il y a environ un an, la totalité de ces territoires était contrôlée par Kinshasa. C’est donc le gouvernement de la RDC qui a facilité le « pillage des minerais stratégiques », et non le M23. Pourtant, Kinshasa tente de faire croire au monde que le Rwanda, « avec le M23 comme mandataire », « mène une guerre au Congo à des fins économiques depuis 30 ans », en recourant à des campagnes telles que « Genocost » ou « Free Congo », qui affirment que « 10 million » de Congolais ont perdu la vie à cause de cette prétendue « guerre de 30 ans ».

Je voudrais conclure sur ce point, comme l’a réaffirmé le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, lors d’une récente interview au Forum diplomatique d’Antalya en Turquie : « Le Rwanda repose sur le même roc géologique que le Congo ». Cela signifie que le Rwanda possède sa propre industrie minière, qui génère des milliards de dollars. Non seulement le Rwanda extrait de ses propres mines d’or et de coltan, mais il est également en passe de devenir l’un des seuls sites de raffinage de ces minerais sur le continent africain. Ainsi, l’intérêt du Rwanda pour les minerais congolais est insignifiant comparé à la menace sécuritaire posée par Kinshasa et les FDLR au cours des trente dernières années.

Le gouvernement Tshisekedi a qualifié le Rwanda d’« État agresseur ». Que pensez-vous de cette déclaration ?

Toutes ces accusations découlent du même objectif du gouvernement de la RDC et de ses partenaires, qui consiste à utiliser le Rwanda comme bouc émissaire pour maintenir l’État congolais en faillite, pour continuer à piller les richesses naturelles du Congo et pour perpétuer la marginalisation et le nettoyage ethnique des Tutsi congolais.

Comme je l’ai indiqué, le Rwanda a subi plus de 20 attaques transfrontalières depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi. Cela fait de la RDC un « État agresseur », et non du Rwanda. Permettez-moi de vous donner un exemple récent. L’armée congolaise, avec le soutien de la MONUSCO, des forces de la SADC d’Afrique du Sud, de Tanzanie et du Malawi, des FDLR et de 300 mercenaires européens, a bombardé le district frontalier de Rubavu au Rwanda le 26 janvier, tuant 16 civils rwandais et détruisant 203 habitations.

Compte tenu de cet incident, alors que Kinshasa accuse le Rwanda de « violation de son intégrité territoriale », il s’agit d’une violation flagrante de l’intégrité territoriale rwandaise, où des civils rwandais ont perdu la vie. Il s’agit d’une agression parmi les vingt perpétrées au cours de la dernière décennie, ce qui démontre que le Rwanda doit prendre au sérieux les menaces de « changement de régime » de Tshisekedi.

La théorie de l’« agression rwandaise » est également propagée et entretenue par les Nations Unies, par l’intermédiaire de leur mission de maintien de la paix, la MONUSCO, sous la direction du Secrétaire général adjoint aux opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix, et de la Représentante spéciale du Secrétaire général, Bintou Keita, mandatée par le Conseil de sécurité. Souhaitant soutenir la propagande de Kinshasa pour que sa mission de maintien de la paix puisse maintenir en RDC, menacée d’expulsion, l’ONU a avancé le chiffre imaginé de « 4 000 soldats rwandais » présents au Congo, « attesté » par ce qu’elle appelle des « images satellite ». Comment des images satellites montrant des « soldats sur le terrain » permettent-elles de déterminer qu’il s’agit de soldats rwandais, et non congolais ? Des contrôles d’identité ont-ils été effectués sur ces soldats ? Aucun nom ni aucune coordonnée de ces prétendus soldats rwandais n’ont été fournis, et aucun de ces prétendus soldats rwandais n’a été capturé ou tué, ce que l’ONU pourrait présenter comme preuve. En fait, ce mensonge, entretenu par l’ONU, favorise la théorie du complot de Kinshasa qui prétend que le M23 est rwandais.

Les discours de haine contre les Tutsi congolais (Banyamulenge, Hema…) semblent de plus en plus répandus en RDC. Quels sont les risques concrets pour ces communautés ?

Les risques pour les Tutsi congolais sont devenus extrêmement élevés, mais le M23, s’il en a la possibilité et le soutien nécessaires pour s’attaquer à ce problème, peut les éliminer. Permettez-moi de m’expliquer.

Les discours de haine contre les Tutsi congolais perdurent depuis plus de six décennies et ont été exacerbés par la présence des anciens génocidaires du génocide de 1994 contre les Tutsi du Rwanda, qui ont fui au Congo et y ont massacré des Tutsi congolais. En réalité, ce à quoi nous sommes confrontés au Congo est plus qu’un « discours de haine », c’est un « discours dangereux ». Susan Benesh, spécialiste américaine sur le discours, soutient que si « le discours de haine peut être offensant, douloureux, voire menaçant, il n’inspire souvent pas la violence ». Un « discours dangereux », en revanche, est « toute forme d’expression susceptible d’accroître le risque que son public cautionne ou participe à des violences contre des membres d’un autre groupe ». Benesh ajoute qu’un exemple rhétorique de discours dangereux est la « déshuminisation » , où les gens sont souvent décrits comme des insectes, de la vermine, des bactéries ou des cancers.

Au cours des trente dernières années, les autorités congolaises ont tenu des discours dangereux visant à déshumaniser, marginaliser et, à terme, éliminer les Tutsi congolais. Un exemple bien connu est celui de l’ancien vice-président et ministre des Affaires étrangères de la RDC, Abdoulaye Yerodia. Ndombasi, qui déclarait en 1998 aux médias que les Tutsi étaient « des vermines, voire des microbes, qu’il faut éradiquer méthodiquement. Le délai [de leur éradication] dépend de la résistance des microbes… » À la suite de cette conférence de presse, des milliers de Tutsi congolais furent tués à Kinshasa.

Aujourd’hui, les exemples de discours dangereux de la part de responsables gouvernementaux congolais sont nombreux. Le ministre congolais de la Communication, Patrick Muyaya, a publiquement et à plusieurs reprises qualifié les Tutsi congolais de « poison rwandais ». Justin Bitakwira , ancien ministre congolais et actuel député, a multiplié les déclarations dans lesquelles il qualifie les Tutsi congolais de « serpents », de « diables » et de « tueurs-nés ». Il y a moins d’un an, l’actuel ministre de la Justice, Constant Mutamba, a qualifié les Tutsi arbitrairement emprisonnés dans les prisons congolaises d’« ibyitso » ou « traîtres » « qu’il faut tous tuer ». Le président de la RDC, Tshisekedi, a lui-même qualifié publiquement les Tutsi congolais d’« étrangers » et d’« envahisseurs », et le M23 et les Rwandais de « terroristes » et d’« agresseurs ». Il a même qualifié publiquement le président rwandais Paul Kagame d’« Hitler, aux intentions expansionnistes, qui doit mourir comme Hitler ».

Pour les Tutsi congolais de l’est de la RDC, systématiquement pris pour cible, cela signifie que leur gouvernement a déclaré qu’ils étaient moins qu’humains et méritaient de mourir pour ce qu’ils sont. Le risque est donc imminent pour eux, car l’idéologie du génocide n’est plus l’apanage des extrémistes Hutu qui ont commis le génocide de 1994 contre les Tutsi, mais a été pleinement adoptée comme politique par le gouvernement congolais.

Goma a récemment été au cœur du conflit entre les FARDC et le M23. Selon votre analyse, s’agit-il d’une ville « libérée » ou « occupée » ?

Disons les choses ainsi : depuis que le M23 a pris le contrôle de Goma et d’autres localités densément peuplées comme Bukavu, et qu’il y a installé une administration gouvernementale et une police, ainsi que son Armée révolutionnaire congolaise, les Tutsi congolais sont enfin à l’abri des persécutions systématiques, des arrestations arbitraires, des lynchages et des actes de cannibalisme qui étaient monnaie courante à Goma, même sous la présence de la MONUSCO, avant l’arrivée du M23. Ceux qui sont nés dans le Rusthuru et le Masisi peuvent enfin rentrer chez eux en toute sécurité, s’ils le souhaitent, après avoir passé 30 ans dans des camps de réfugiés et en exil. La sécurité dans les zones libérées par le M23 a été rétablie.

Tant que le M23 contrôlera ces territoires, l’ensemble du peuple congolais, et pas seulement les Tutsi, sera en sécurité. Mais pour que cette sécurité soit préservée, la communauté internationale, au lieu de condamner le seul groupe – celui qui met en œuvre des solutions au conflit en cours, à la présence de groupes armés violents, à la mauvaise gouvernance, à la corruption, à la marginalisation et à la persécution des communautés vulnérables, au manque d’accès aux services de base et à la viabilité économique – devrait le soutenir et s’associer à lui dans cette entreprise.

Le M23 a accompli ce que la communauté internationale, par sa mission de maintien de la paix et son action humanitaire, n’a pas réussi à accomplir au Congo. Il est donc temps d’accepter que le M23 représente un changement de paradigme, un changement dans lequel les Africains pourront vivre dignement, assurer leur propre existence et bénéficier de leurs efforts et de leur travail.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024