Fiche du document numéro 34896

Num
34896
Date
Vendredi 28 février 1997
Amj
Taille
35903
Titre
La saisie d'archives de Christian Prouteau relance l'enquête sur l'affaire des écoutes de l'Elysée
Sous titre
De nombreux documents appartenant au préfet Christian Prouteau, ancien chef de la cellule antiterroristes de l'Elysée, ont été découverts, mercredi 19 février, dans un box de garage situé à Plaisir (Yvelines). Saisis par le juge d'instruction Jean-Paul Valat, ils pourraient relancer l'enquête sur l'affaire des écoutes de l'Elysée. Deux registres classés « secret défense » ont été emportés par les policiers de la direction de la surveillance du territoire (DST).
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
CINQ CANTINES métalliques et deux cartons remplis de documents divers sont entreposés, depuis plus d'une semaine, dans le bureau du juge d'instruction parisien Jean-Paul Valat. La preuve définitive de l'existence d'un véritable système d'espionnage, mis en place, entre 1983 et 1986, par l'ancienne cellule antiterroristes de l'Elysée, figure peut-être parmi ces archives miraculeusement exhumées.

Les documents saisis par le juge Valat ont été découverts, le 19 février, dans un box de garage situé à Plaisir (Yvelines), où semblent avoir été entreposés les effets personnels du préfet Christian Prouteau, ancien chef de la fameuse cellule de l'Elysée. C'est là, au milieu de gadgets et de publications à la gloire du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), dont M. Prouteau fut le premier commandant, d'écrits concernant les Jeux olympiques d'Albertville, dont il avait supervisé la sécurité, enfin de photos et de relevés de comptes bancaires, qu'ont été trouvées plusieurs pièces semblant attester, une nouvelle fois, l'existence d'écoutes téléphoniques sur la ligne de notre collaborateur Edwy Plenel.

Ce dernier, auteur à l'époque d'enquêtes, notamment sur l'affaire Greenpeace et sur l'interpellation des Irlandais de Vincennes dans laquelle M. Prouteau et ses hommes se trouvaient impliqués, était déjà tenu pour l'une des cibles favorites de la défunte cellule. Ouverte en 1993 à la suite de la plainte qu'il avait lui-même déposée à laquelle Le Monde s'était adjoint, l'enquête du juge Valat a largement établi, depuis, que les hommes de l'Elysée avaient abusé de leur position pour faire écouter une série de personnalités, parmi lesquelles plusieurs avocats, journalistes et responsables politiques. Au point que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris avait, dans un récent arrêt, dénoncé « l'institutionnalisation du système » d'écoutes ainsi dévoilé (Le Monde du 2 octobre 1996).

Registres emportés par la DST



Selon nos informations, des « récapitulatifs » et des « synthèses », manifestement tirés de conversations téléphoniques interceptées sur la ligne d'Edwy Plenel, ont été découverts dans le garage de Plaisir. La comparaison entre les dates de ces « interceptions » qui ne nous sont pas connues et le contenu de deux registres également trouvés dans le box et dressant la liste des « arrivées » d'écoutes administratives à la cellule semble laisser penser que, à la différence des précédentes écoutes identifiées par le juge Valat, ces nouveaux « branchements » ayant visé notre collaborateur n'auraient pas été effectués par le groupement interministériel de contrôle (GIC). Ces deux registres, contenant une sorte de relevé journalier des écoutes réalisées par le GIC à la demande de la cellule, ne recèlent en effet aucune trace des interceptions dont M. Prouteau semble avoir conservé les résumés.

Il pourrait donc s'agir, selon l'expression consacrée, d'« écoutes sauvages », dont la détention, par l'ancien chef de la cellule de l'Elysée, constituerait une preuve flagrante. Une dizaine de cassettes audio figurent aussi dans les archives saisies par le juge Valat, mais celui-ci n'en connaît pas encore le contenu. Les registres, eux, constitués sous la forme de grands cahiers cartonnés, n'ont pas été versés à la procédure judiciaire, les policiers de la direction de la surveillance du territoire (DST) ayant invoqué leur classification « secret défense ». C'est donc le service de contre-espionnage qui les a emportés, au terme d'une opération qui mérite d'être relatée par le menu.

Le matin du 19 février, un sous-directeur de la DST se présente au parquet de Versailles, porteur d'un rapport signalant la présence probable de « documents classifiés » dans un box pour automobile dont l'adresse est mentionnée. Le renseignement aurait été fourni, au début de la même semaine, par un informateur du service, dont certaines sources assurent qu'il est resté anonyme. Une information judiciaire contre X... est alors ouverte pour « vol de documents, recel et violation du secret de la défense nationale », afin de donner aux policiers un cadre juridique pour les récupérer. Le juge désigné, Jean-Marie Charpier, délivre aussitôt une commission rogatoire aux hommes de la DST, et se rend avec eux sur les lieux. Dans un alignement de dix-huit garages, situés à la lisière de la commune de Plaisir, les enquêteurs investissent le box désigné par leur mystérieuse source, et découvrent une importante quantité de documents et de souvenirs, et quelque soixante-dix classeurs, provenant à l'évidence des archives personnelles de M. Prouteau.

Le juge Charpier prévient alors par téléphone son collègue Jean-Paul Valat, qu'il sait être saisi de l'affaire des écoutes, dont l'ancien chef du GIGN, mis en examen le 6 décembre 1994 pour « atteinte à l'intimité de la vie privée », est l'un des protagonistes principaux. Soucieux de requérir la présence de l'intéressé à la perquisition, le magistrat parisien se rend en voiture jusqu'à son domicile de Bailly, près de Versailles, en début d'après-midi. L'épouse de M. Prouteau cherche alors à le contacter via son téléphone portable, mais en vain. Arrivé sur les lieux de l'opération menée par son collègue Charpier, le juge Valat découvre enfin les documents, parmi lesquels certains sont revêtus du tampon « secret défense ». S'engage alors une controverse juridique entre les deux magistrats, désireux de saisir ces pièces, et les policiers du contre-espionnage, qui s'estiment seuls habilités à appréhender des documents « classifiés ». Les policiers obtiendront gain de cause, et emporteront les fameux registres, à l'intérieur desquels étaient glissés plusieurs documents revêtus du tampon « secret défense ». Les juges, eux, se partageront le plus gros des documents, en fonction de leurs saisines respectives. Une partie des souvenirs personnels de M. Prouteau, elle, sera abandonnée dans le box.

Location réglée en espèces



Propriétaire de ce local, Joël Regnault, agriculteur et par ailleurs conseiller régional (RPR) d'Ile-de-France, a déclaré au Monde, mercredi 26 février, avoir appris l'existence de la perquisition « avec plusieurs jours de retard », à son retour de vacances. Selon lui, le box contenant les archives de M. Prouteau est loué, depuis le mois d'octobre 1995, à un homme répondant au nom de Raymond Billon, dont il possède l'adresse et le numéro de téléphone, et qu'il qualifie de « bon client ». Le loyer, d'un montant de 345,74 francs, était versé par cet homme « tous les quatre ou cinq mois », et toujours en espèces, nous a précisé l'épouse de M. Regnault, chargée de la gestion de ces garages à louer. « Je ne l'ai appelé qu'une fois, lorsque les poignées des boxes avaient été sectionnées, a-t-elle ajouté. Il m'avait dit qu'il louait ce garage pour y ranger une voiture de collection. Mais je ne savais pas qu'il y avait aussi des documents. » Questionné par Le Monde, M. Billon a refusé de confirmer qu'il était bien le locataire du box, et donc a fortiori d'admettre qu'il partageait avec M. Prouteau le goût des bolides de collection. Toutefois, M. Billon, officier en retraite selon Le Parisien du 27 février, a précisé à ce quotidien qu'il est un « ami de longue date » de M. Prouteau, dont il fut le « camarade de promotion à Coëtquidan ».

Le défenseur de l'ancien gendarme, Me Francis Szpiner, a lui aussi refusé de commenter « pour l'instant » les nouvelles découvertes judiciaires. Quant à Christian Prouteau, il ne s'est pas manifesté depuis l'irruption du juge Valat à son domicile, il y a plus d'une semaine.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024