Fiche du document numéro 34894
Num
34894
Date
Mercredi 12 mars 2025
Amj
Auteur
Taille
365921
Titre
L’organisation d’un concert de soutien à la RDC à Paris provoque « l’indignation » du Rwanda
Sous titre
L’événement « Solidarité Congo », auquel participeront notamment les artistes Gims, Youssoupha et Angélique Kidjo, est prévu le 7 avril, jour de la commémoration du génocide des Tutsi.
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le spectacle est présenté sur le site de la société AEG Presents, producteur exécutif de l’événement, comme « un concert caritatif d’exception au profit de l’Unicef ». Lundi 7 avril, plusieurs stars de la musique urbaine telles que Gims, Youssoupha, Guy2Bezbar, Gazo ou la chanteuse béninoise Angélique Kidjo doivent monter sur la scène de l’Accor Arena de Paris pour soutenir officiellement les enfants victimes du conflit qui sévit actuellement dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Si la nature de l’événement musical, baptisé « Solidarité Congo », n’est pas remise en cause par la diaspora rwandaise, la date choisie pour ce concert déclenche une vive polémique. « Organiser un gala pour les populations de l’est de la RDC est une initiative que je soutiens, assure Marcel Kabanda, président d’Ibuka France, la principale association de victimes du génocide des Tutsi. Mais pourquoi la programmer un 7 avril, qui est pour nous un jour de deuil et qui tombe en plus un lundi ? Est-ce une simple coïncidence ou une provocation destinée à nous faire du mal ? »
Le 7 avril 1994 marque en effet le début des massacres qui ont fait près d’un million de morts au Rwanda. Depuis, cette date ouvre chaque année une période de cent jours au cours de laquelle les Rwandais se rassemblent pour se souvenir et prier. En 2003, l’Assemblée générale des Nations unies a décrété que chaque 7 avril serait une « journée internationale de réflexion sur le génocide des Tutsi ». En France, suite à la parution du rapport d’une commission d’historiens réunie autour de Vincent Duclert, dont la conclusion pointait la responsabilité de la France pendant le génocide, elle est aussi une journée de commémoration.
« La haine contre les Tutsi se banalise aujourd’hui, au point que certains rescapés hésitent à venir aux célébrations que nous organisons, explique Marcel Kabanda. Le choix de cette date de concert est ambigu. C’est comme si l’on souhaitait que les histoires du Rwanda et de la RDC se fassent écho, qu’il y ait une résonance entre la crise congolaise et le génocide des Tutsi. »
Entre les deux pays, la tension est extrême depuis que le Mouvement du 23-Mars (M23), un groupe armé de l’est de la RDC appuyé par 4 000 soldats rwandais, selon les experts de l’ONU, a repris les armes fin 2021. Il s’est depuis emparé de vastes territoires, notamment des villes de Goma et Bukavu, capitales respectives des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, frontalières du Rwanda.
« Un mauvais hasard du calendrier »
« Puisque Paul Kagame [le président rwandais] a voulu se comporter comme Adolf Hitler en ayant des visées expansionnistes [en RDC], je lui promets de finir comme Adolf Hitler », avait menacé Félix Tshisekedi, le chef de l’Etat congolais, le 10 décembre 2023. De son côté, le gouvernement rwandais accuse Kinshasa de protéger des combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), une rébellion hostile à Kigali fondée par d’anciens Hutu ayant participé au génocide.
Les autorités rwandaises ont fait part de leur « indignation » auprès de la Mairie de Paris et du Quai d’Orsay. Elles ont aussi demandé un report du concert. « Ce choix du 7 avril est consternant, fait savoir au Monde François Nkulikiyimfura, ambassadeur du Rwanda en France. Parmi les chanteurs qui seront présents sur la scène de l’Accor Arena, certains ont déjà tenu des propos contre les Tutsi. »
Gims, chanteur franco-congolais, est pointé du doigt. Dans un documentaire diffusé sur Netflix, celui qui a été désigné comme l’artiste interprète masculin de l’année aux dernières Victoires de la musique a déclaré : « C’est pas un jus d’orange qui va calmer la haine d’un Tutsi. » Dans son titre Thémistocle, sorti fin 2022, l’ancien membre du groupe Sexion d’assaut avait visé directement le chef de l’Etat rwandais : « Je suis concentré. Je pense qu’à gagner. Kagame rime avec croix gammée. » Le 5 novembre 2022, enfin, Gims déclarait sur le plateau de France 5 que dans l’est de la RDC, « des femmes sont violées et des enfants massacrés, notamment pour l’or, le coltan et tout ce qu’on connaît ; le Rwanda a une grande part de responsabilité ».
Aucun artiste sollicité par Le Monde n’a souhaité s’exprimer sur la polémique en cours. L’affaire embarrasse aussi les organisateurs, qu’ils soient prestataires ou producteurs. « Le 7 avril a été décidé par un mauvais hasard du calendrier, assure l’un d’eux. Parmi les artistes devant monter sur scène, il y a plusieurs musulmans. Nous souhaitions donc simplement attendre la fin du ramadan [autour du 30 mars] avant d’organiser la soirée. » « Il n’y a aucune volonté politique dans le choix de cette date, assure un autre, qui souhaite également rester anonyme. Les commémorations du génocide des Tutsi n’étaient clairement pas dans le radar des programmateurs. »
De son côté, l’Accor Arena fait savoir que ce n’est pas elle « qui choisit les dates des concerts qu’elle reçoit ». Si la programmation de « Solidarité Congo » est maintenue au 7 avril, le spectacle aura lieu au lendemain d’un concert de Julien Doré et juste avant un autre du rappeur La Fouine. Mais l’Accor Arena n’est pas réservée chaque soir au cours du mois d’avril.
fgtquery v.1.9, 9 février 2024