Fiche du document numéro 34891

Num
34891
Date
Lundi 10 mars 2025
Amj
Taille
173843
Sur titre
RDC
Titre
Est de la RDC : l’impossible bilan de la bataille de Goma
Sous titre
Plus d’un mois après la prise de la capitale provinciale du Nord-Kivu, plusieurs sources humanitaires contestent le décompte établi par les Nations unies, qui fait état de près de 3 000 personnes tuées dans les combats. Tous soulignent l’absence de preuves à l’appui de ce chiffre.
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M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Un membre du mouvement M23 surveille l’arrivée de policiers congolais en provenance de Bukavu, le 23 février 2025. © JOSPIN MWISHA/AFP

Le M23 a pris le contrôle de Goma entre le 27 et le 28 janvier au terme d’une offensive de cinq jours, menée avec le soutien des forces armées rwandaises. Au lendemain des combats qui ont opposé les rebelles à l’armée congolaise et à ses supplétifs, de nombreux corps ont été ramassés dans les rues de la capitale du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC. Depuis, les semaines ont passé, mais le bilan de la bataille de Goma demeure incertain. Documenter ce qui s’est passé est pourtant primordial.

Les estimations du nombre de personnes tuées au cours des affrontements varient considérablement. Le 3 février, le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, a annoncé que plus de 2 000 personnes avaient été tuées lors de la prise de la ville. Le lendemain, un haut fonctionnaire du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha, selon son acronyme anglais) déclarait, dans une interview à RFI, que les combats avaient plutôt fait 2 900 victimes. « Au moins 2 000 corps ont déjà été enterrés par les communautés », détaillait Bounena Sidi Mohamed, directeur adjoint d’Ocha en RDC, ajoutant que 900 cadavres étaient entreposés dans les morgues.

À partir de là, ce chiffre de 2 900 morts est devenu le bilan de référence. Il a été repris par les journaux du monde entier. Il a aussi été évoqué à l’occasion de sommets diplomatiques : Bintou Keita, cheffe de la mission de maintien de la paix des Nations unies au Congo (Monusco), et Volker Türk, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, ont tous les deux parlé d’un bilan de « près de 3 000 » lors de la réunion extraordinaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui s’est tenue le 7 février.

Le mouvement rebelle s’est lui-même emparé de ce chiffre pour dénoncer une « manipulation » de Kinshasa. Selon le décompte évoqué par l’Alliance Fleuve Congo (AFC, vitrine politique du M23) le 5 février, « plus de 2 500 morts » seraient des combattants de l’armée congolaise et des miliciens wazalendo. Mais ce bilan reste, lui aussi, invérifiable.

« Nos chiffres ne correspondent pas »

Les humanitaires de Goma ont rapidement exprimé leur scepticisme. Le 4 février, aucun d’entre eux n’avait par exemple pu documenter les « 2 000 corps enterrés par les communautés » évoqués par Ocha. Selon plusieurs responsables d’organisations présentes sur place, une seule équipe composée d’une centaine de volontaires de la Croix-Rouge a été chargée de récupérer les corps dans les rues de Goma. Et cette dernière était loin d’en avoir ramassé 2 000 au moment où ce bilan a été évoqué.

Pendant les combats, la plupart des habitants de Goma sont restés cloîtrés chez eux pour échapper aux tirs et aux bombardements. La majorité des ONG avaient quant à elles évacué leur personnel et n’étaient pas pleinement opérationnelles dans les jours qui ont suivi la prise de la ville par le M23.

C’est pourquoi l’évocation de ce bilan de 2 900 morts a suscité une forme de malaise. Contactés par Jeune Afrique, cinq responsables humanitaires, qui ont tous refusé d’être nommés, ont exprimé leur incompréhension quant à la manière dont Ocha était parvenu à ce chiffre. « Nos données ne correspondent pas avec celles qu’ils mentionnent », déclare l’un d’eux. Un autre nous a simplement adressé une fin de non-recevoir : « Nous ne parlons pas de chiffres. »

« Le ministère de la Santé a donné un chiffre »

Contacté, Ocha a d’abord indiqué que le bilan s’établissait à 2 773 personnes tuées et 3 003 blessées. L’agence onusienne a également souligné qu’il s’agissait d’une estimation, et que 2 000 corps avaient été ramassés par la Croix-Rouge et par d’autres acteurs. Selon elle, ces chiffres ont été « consolidés » par le ministère congolais de la Santé, Médecins sans frontières (MSF), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ainsi que par la Croix-Rouge. Le responsable de l’information publique d’Ocha au Congo, Jean Jonas Tossa, nous a affirmé que « l’ensemble de la communauté humanitaire était d’accord » [avec ce décompte]. Pourtant, les responsables de ces différentes organisations humanitaires ont tous nié avoir parlé bilan avec Ocha.

Par courriel, Jean Jonas Tossa nous a également répété que le chiffre de 2 000 personnes enterrées par les communautés avait été confirmé par le ministère de la Santé, via son département provincial au Nord-Kivu. Mais peu d’humanitaires ou de diplomates considèrent le ministère congolais de la Santé comme une source fiable dans un contexte de guerre, où l’intérêt de Kinshasa est de maximiser la pression diplomatique sur le Rwanda, qui soutient le M23. « Le ministère de la Santé a donné un chiffre. Nous ne pouvons pas aller à l’encontre de celui-ci », confie un fonctionnaire de l’Ocha.

Un bilan qui ne cesse de gonfler

Contacté à plusieurs reprises, le ministre congolais de la Santé, Roger Kamba, n’a pas répondu à nos sollicitations. Ocha n’a pas non plus expliqué de manière précise comment ses équipes étaient arrivées à ce chiffre. Après avoir appris que des responsables humanitaires avaient émis des doutes quant à la réalité du bilan, l’agence nous a simplement déclaré que le chiffre de 2 000 personnes enterrées par les communautés était une « estimation provisoire » faite sur une « période de crise aiguë » qui « ne doit être attribuée qu’à l’Ocha ».

Combien de personnes sont réellement mortes à Goma ? Un mois et demi plus tard, les différents acteurs ne s’accordent guère, mais admettent que de nombreux décès pourraient ne pas avoir été comptabilisés. De son côté, le CICR a déclaré avoir enterré 953 personnes dans des sépultures collectives. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait état de chiffres similaires en évoquant 941 décès confirmés dans les hôpitaux.

Du côté du gouvernement congolais, les chiffres continuent d’évoluer. Selon le décompte du ministère de la Santé en date du 9 mars, 8 573 personnes auraient péri à Goma depuis la fin du mois de janvier. Un chiffre que le porte-parole du M23, Lawrence Kanyuka, a lui-même revu à la hausse, allant jusqu’à évoquer 9 500 morts dans un entretien téléphonique avec Jeune Afrique. Mais ce nouveau bilan n’est pas plus étayé que le précédent. Aucun élément n’est par ailleurs apporté pour expliquer sa brutale hausse.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024