Fiche du document numéro 34863

Num
34863
Date
Mardi 29 décembre 2009
Amj
Taille
474197
Titre
Lettre à Monsieur Pascal Lamy, Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Extrait de
Vincent Duclert, Rocard, une biographie internationale, Passé/Composés, 2025, pp. 287-289
Type
Lettre
Langue
FR
Citation
Annexes

Rwanda, 2009. Lettre à Pascal Lamy

[en-tête] Michel Rocard
Ancien Premier ministre

Monsieur Pascal LAMY
Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce

Paris, le 29 décembre 2009

Mon cher Pascal,

Comme convenu j'ai fait un petit tour entre les fêtes vers ma mai-
son du Maine-et-Loire, et j'y ai retrouvé mes archives rwandaises.

Voici donc ce rapport, daté de septembre 1997.

En supplément pour ton usage, une information et un deuxième
texte.

L'information c’est que pour cinq destinataires exclusivement,
Jospin, Richard, Védrine et deux autres dont je ne suis plus certain
des noms maintenant, mais qui devaient être aussi des membres
du gouvernement, il y avait une page de plus dont j'ai demandé
à ces cinq destinataires de la détruire après lecture. Et il n’y en a
plus trace non plus dans mon propre dossier d'archives, ce qui fut
peut-être de ma part un niveau de précaution excessif. Toujours
est-il que cette page racontait comment [X, officier de police] avait
retrouvé à Kigali [Y, collègue de X] qui venait d'y passer dix ans...
donc toute la période du génocide.

Ce collègue [Y] a pu montrer à [X] le champ de pavot que
quelques jours avant sa mort par accident aérien le président
Juvénal Habyarimana avait donné à Jean-Christophe Mitterrand
en remerciement de ses loyaux services. Nous sommes quelques
jours avant le déclenchement du génocide.

Le deuxième texte est daté du 30 juin 1998 soit un peu plus de
neuf mois après.

C’est une déposition que j'ai écrite sur le problème du Rwanda
en prévision de mon audition par la Commission d’information
présidée par Paul Quilès. Je te l'envoie parce que j'y ai écrit un
certain nombre de choses qui ne figurent pas dans le rapport. C'en
est donc un complément. Tu es cependant, de ce deuxième texte
l'unique destinataire puisque je n’ai pu ni le lire ni même le dépo-
ser. Le protocole avait été bien monté.

Après mon voyage de septembre 1997, j'ai posé à tous les
groupes politiques de la Commission de la coopération et du déve-
loppement au Parlement européen, que je présidais à l’époque,
la question de savoir s’il n’y avait pas lieu d'inviter Paul Kagame
à Bruxelles pour l’auditionner. Cela fut finalement fait, et Paul
Kagame, à l’époque vice-président de la République rwandaise
vint à Bruxelles. Le président de la République rwandaise, Pasteur
Bizimungu, n’a démissionné que l’année suivante (il était Hutu).
Mais le Bureau du Parlement européen n’a pas eu le courage de
ma Commission : il n’a pas osé inviter Kagame.

Celui-ci dès lors est venu presque comme un expert anonyme
devant la Commission du développement, sans protocole ni recon-
naissance de sa qualité de vice-chef d’État. Mais il est venu.

Ce que voyant le gouvernement belge, déchargé de la respon-
sabilité de l'avoir invité à Bruxelles, a mis les petits plats dans les
grands, audiences chez le Premier ministre, le ministre des Affaires
étrangères, celui bien sûr de la Coopération, mais surtout audience
royale ! Du coup le Sénat belge a mis sur pied une commission
d'enquête parlementaire au sens vrai du terme qui a fait en près
d’un an un remarquable travail. C’est ainsi que tout commence.

Voyant tout cela, Paris s'inquiète. La rumeur se répand que ce
grand honnête homme qu’est Jospin souhaite lui aussi lancer une
commission d'enquête parlementaire, en France cette fois.

Paul Quilès est à ce moment président de la Commission de la
défense nationale à l’Assemblée nationale. Il juge utile de prendre
tout le monde de court et fait voter par le Bureau de sa commission
parlementaire la création d’une étrange commission temporaire,
n'ayant pas le statut ni les pouvoirs souverains d'investigation
d’une vraie commission d'enquête, qui d’ailleurs n’aurait pu être
créée que par le Bureau de l’Assemblée, mais seulement d’une
mission d’information, sans aucun pouvoir réglementaire d’ap-
pui à sa recherche. Sans doute s’agissait-il de travailler vite pour
préempter le travail du Sénat belge.

Je fus convié devant cette commission. La date de cette audition
a été reportée deux fois. Lorsqu’enfin je comparus ce fut dans un
groupe où figuraient aussi Édith Cresson et quelques autres hauts
fonctionnaires en service à l’époque, j'ai oublié lesquels. Ce pro-
tocole n'était guère favorable à ma liberté d'expression... et en plus
je n’ai disposé que de vingt minutes pour répondre à quelques
questions du rapporteur (un député RPR si je me souviens bien,
mais je ne sais plus, ou peut-être Pierre Brana, PS de Gironde. Je
ne sais plus !).

Dans une pareille ambiance, il n’était pas question de lire mon
texte, ce qui aurait pris 45 minutes, ni d'évoquer l’histoire, les
doutes et les incertitudes. Il n’en est ressorti que quelques points
factuels de ma visite précédente, racontée dans ce rapport.

Quilès est un bien habile homme, à qui j'évite maintenant de
serrer la main...

Mon cher Pascal, te voilà un peu plus informé. On peut reparler
de tout cela si tu le souhaites et le juges nécessaire.

Puis-je te rappeler que tu ferais bien plaisir au président Paul
Biya en honorant de ta présence le vaste colloque qu'il organise
appuyé sur mon conseil !, à Yaoundé du 17 au 19 mai 2010 sur
l'avenir de l'Afrique à l’occasion du 50° anniversaire de l’indépen-
dance du Cameroun et aussi en tant que doyen des chefs d’États
francophones.

À bientôt.

Bien à toi.

Signé M. Rocard

P. S. : La photo qui figure sur le tract mentionné page 9 de ma
déposition est celle de François Mitterrand.

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