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Table des matières
Procès en appel HATEGEKIMANA : 4 novembre 2024. J1 4
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 5 novembre 2024. J2 6
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 6 novembre 2024. J3 13
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 7 novembre 2024. J4 20
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 8 novembre 2024. J5 29
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 12 novembre 2024. J6 41
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 13 novembre 2024. J7 52
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 14 novembre 2024. J8 61
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 15 novembre 2024. J9 68
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 18 novembre 2024. J10 78
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 19 novembre 2024. J11 88
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 20 novembre 2024. J12 97
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 21 novembre 2024. J13 107
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 22 novembre 2024. J14 121
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 25 novembre 2024. J15 131
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 26 novembre 2024. J16 136
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 27 novembre 2024. J17 144
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 28 novembre 2024. J18 153
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 29 novembre 2024. J19 163
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 2 décembre 2024. J20 174
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 3 décembre 2024. J21 186
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 4 décembre 2024. J22 198
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 5 décembre 2024. J23 211
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 6 décembre 2024. J23 228
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 9 décembre 2024. J24 261
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 10 décembre 2024. J25 276
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 11 décembre 2024. J26 284
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 12 décembre 2024. J27 291
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 13 décembre 2024. J28 311
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 16 décembre 2024. J29 319
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 17 décembre 2024. J30. Verdict 326
Procès en appel HATEGEKIMANA : 4 novembre 2024. J1
05/11/2024
Président: monsieur Marc SOMMERER
Avocats généraux: madame Aude DURET et monsieur Rodolphe JUY-BIRMANN
14H30: Tirage au sort des membres du jury.
Rendez-vous a été donné à 14h30 pour l’ouverture du procès en appel devant la cour d’assises de Paris de monsieur Philippe HATEGEKIMANA/MANIER, alias BIGUMA. En première instance, il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
L’audience commence avec la prestation de serment des trois interprètes.
L’accusé, M. HATEGEKIMANA, est présenté sous ses trois noms: M. Philippe HATEGEKIMANA par sa naissance, aussi surnommé BIGUMA depuis l’enfance, puis francisé en Philippe MANIER lors de sa naturalisation.
Les quatre avocats de la défense sont à leur tour présentés: Me GUEDJ, Me DUQUE, Me ALTIT et Me LOTHE.
Le président de la cour rappelle à l’accusé son droit au silence tout au long de la procédure.
C’est au tour du jury d’être constitué. 9 jurés titulaires sont tirés au sort parmi les 23 personnes convoquées, suivis de 6 jurés suppléants. Ces derniers observeront les débats mais ne participeront pas au délibéré, sauf en cas d’absence de jurés titulaires. L’avocat de la défense, Me ALTIT, révoque cinq jurés tirés au sort. Le président invite maintenant les jurés à prêter serment devant la cour.
Par la suite, les représentants légaux des parties civiles sont invités à se présenter à la barre et à nommer leurs clients parties civiles.
Une lecture du calendrier des audiences est faite par Mme la greffière. L’audition de certains témoins est modifiée. Il est fait mention que les auditions en visioconférence du Rwanda de certains témoins ne sont toujours pas confirmées par les autorités rwandaises.
Monsieur le président fait lecture de son rapport qui consiste en un rappel du contexte global de la situation au Rwanda avant 1994, ainsi que du contexte local de la préfecture de Butare. La personnalité de l’accusé est ensuite décrite, ainsi qu’un court résumé du droit applicable, de l’ordonnance de mise en accusation et des moyens de la défense. Il est rappelé que l’existence du génocide et de crime contre l’humanité n’est pas nié par l’accusé.
Après une suspension d’audience, les observations des avocats sont entendues.
À la demande de transcription écrite de l’ensemble des débats de la défense, différents avocats des parties civiles Me PHILIPPART et Me BERNARDINI, dénoncent le fait que cela remettrait en cause le principe de l’oralité des débats et rappellent la possibilité d’avoir accès à l’enregistrement sonore de l’audience en cas de difficulté particulière.
M. l’avocat général confirme ces propos et ajoute que la valeur juridique d’un tel document de transcription écrite poserait problème. Il rappelle ensuite que tout propos négationniste tenu pendant les audiences fera l’objet de poursuites.
Une demande d’irrecevabilité totale ou partielle est ensuite faite par la défense concernant certains témoins de la partie civile.
Les avocats de la partie civile, notamment Me PHILIPPART et BERNARDINI se succèdent à la barre pour argumenter contre cette demande en invoquant différents éléments. D’abord certaines parties civiles n’ont pas été jugées irrecevables comme le déclare la défense en première instance, mais « partiellement mal fondées ». ils déclarent par ailleurs que c’est une manière de pré-juger le fond.
M. l’avocat général intervient à son tour à l’encontre de cette demande d’irrecevabilité.
Monsieur le président déclare qu’il donnera sa décision demain matin.
L’audience est levée vers 20h.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 5 novembre 2024. J2
06/11/2024
• Audition de Grégory KALITA, chargé de l’enquête de personnalité.
• Interrogatoire de l’accusé.
• Conclusions déposées par la défense.
• Audition d’Abudance HITIYAREMYE.
• Interrogatoire de l’accusé (suite).
________________________________________
Avant de commencer l’audition du témoin, monsieur le président annonce que deux jurés ne se sont pas présentés pour cause de maladie. Un juré parmi les neufs officiels et un juré supplémentaire. Tous deux sont remplacés.
Audition de monsieur Grégory KALITA, enquêteur de personnalité.
Le témoin présente le rapport qu’il a établi le 23 mars 2020 après sa rencontre avec l’accusé à la maison d’arrêt de NANTERRE où monsieur HATEGEKIMANA était incarcéré. Il égrène les différentes étapes de la vie de l’accusé, de son enfance jusqu’à son arrestation au CAMEROUN: milieu familial, scolarité primaire et secondaire, engagement à l’armée pour des raisons sportives, son envoi sur le front de 1990 à 1993, son affectation à RUHENGERI puis à NAYNZA à la brigade de gendarmerie.
Ses proches le décrivent comme un « père prévenant, une personne affable, calme, sportive… ». « Mes parents sont mes idoles » dira un de leurs fils. Quant à sa femme, elle le décrit comme « droit, correct, sentimental, souriant, épanoui, sportif, juste, serviable, calme, réfléchi… » Ayant vécu une enfance heureuse comme fils unique pendant dix ans, sa mère donnera naissance à une fille, ce qui n’empêchera pas son père de prendre une deuxième épouse, ce qui ne lui pose aucun problème. Quatre enfants naîtront de cette nouvelle union.
L’accusé évite d’évoquer certaines périodes de sa vie en présence de l’enquêteur. Il parle peu de son envoi sur le front de 1990 à 1993, n’éprouve aucun affect concernant sa participation à la guerre contre le FPR[1], sauf lorsqu’il évoque la mort de 17 de ses hommes: « Cela m’a fait très mal. Il est dur de voir mourir de jeunes volontaires » dira-t-il un peu plus tard. Il précise que des soldats français ont bien soutenu les FAR ( Forces Armées Rwandaises) contre le FPR, en particulier dans le maniement des mortiers 60 (NDR. Il en sera question lors de l’attaque des réfugiés à l’ISAR-SONGA[2]). Il reste assez évasif sur son rôle pendant cette période. A-t-il tué lorsqu’il était au front, lui demandera plus tard le président? « Ce n’est pas impossible, c’était la guerre. »
Le génocide? Il ne l’évoque pas non plus devant l’enquêteur, si ce n’est pour dire que « s’il y avait eu de vrais politiciens, il n’y aurait pas eu de génocide. »
Entre son départ au Zaïre en 1994, son séjour dans le camp de KASHUSHA et son arrivée en France, difficile de se faire une idée sur les différents pays traversés. Ses déclarations ne sont pas en phase avec celles de son épouse qui parle du Congo Brazzaville alors que lui évoque le Cameroun. Mais on n’en saura pas plus, beaucoup de zones d’ombres sur les conditions de sa venue en France, en 1998, peu de temps après son épouse. Pourquoi la Bretagne? Nous n’en saurons rien. En tout cas, ils n’ont aucun problème d’intégration, créent l’association AMIZERO, une association culturelle mettant en valeur la culture rwandaise (danses, chants…).
Interrogé sur son départ au Cameroun en octobre 2017, il maintient ce qu’il a toujours dit: il voulait se rendre auprès de leur fille installée dans ce pays pour l’aider à fortifier son commerce. On sait qu’il en oubliera de revenir, soit disant pour des raisons de santé. La réalité est toute autre. C’est lorsque sa femme décidera de le rejoindre en mars 2018 qu’il se fera arrêter à l’aéroport où il était venu l’attendre. Il sera extradé vers la France un an plus tard.
Après une interruption de séance, l’accusation dit souhaiter verser au dossier des cartes qui devraient aider le jury à bien se repérer concernant les faits reprochés à l’accusé mais la défense préfèrerait des cartes vierges que l’on remplirait au fur à mesure des témoignages. Monsieur le président finit par se ranger à son avis. Dommage.
Concernant la demande de l’accusation qui voudrait obtenir le « transcript » des audiences, monsieur le président ne peut donner un avis favorable, le procès étant enregistré.
Reste une dernière demande, toujours de la défense. Elle voudrait que la cour prononce l’irrecevabilité des parties civiles. Monsieur le président fait savoir que la cour sursoit à statuer. On verra cela plus tard.
Interrogatoire de l’accusé sur le CV de personnalité.
À la reprise de l’interrogatoire sur le CV de l’accusé, le président SOMMERER va permettre à l’accusé de donner les raisons pour lesquelles il a choisi de s’engager: c’est essentiellement parce que l’armée lui donnait l’occasion de briller dans les sports qu’il affectionne. Monsieur MANIER n’hésite pas à parler de lui comme d’une star! C’était aussi l’occasion pour lui de changer de statut social.
Sur questions des parties civiles, l’accusé ne sait rien des massacres de 1963 dans la préfecture de GIKONGORO et déclare n’avoir jamais connu de discrimination au sein de l’établissement scolaire qu’il fréquentait. Il régnait une bonne entente en Hutu et Tutsi. Il ne se souvient pas non plus, ce qui est plus étrange, des événements de 1973 au cours desquels les Tutsi ont été chassés des écoles, de l’université…
Madame l’avocate générale cherche à savoir qui est cette madame Catherine entendue dans une conversation avec son épouse lors des écoutes téléphoniques. On finira par apprendre que son mari s’appelle Aloys NTIWIRAGABO, un haut gradé des FAR qui réside dans la région d’Orléans (NDR. Depuis plusieurs mois, ce monsieur est à son tour poursuivi par une plainte; le CPCR s’est constitué partie civile[3].) Aloys NTIWIRAGABO, l’accusé l’a bien connu: c’était son commandant…
Maître GUEDJ, on ne sait trop pourquoi à ce stade, si ce n’est pour montrer que monsieur BIGUMA ne déteste pas les Tutsi, donne l’occasion à son client de faire une confidence: il avait « une copine issue d’une grande famille tutsi, la famille Antoine NTASHAMAJE » avec laquelle il a eu une fille. Monsieur le président s’étonne qu’il n’en parle qu’aujourd’hui, d’autant plus que cette information est « invérifiable« . En fait, sa femme n’était pas au courant!
Sur question du président, on revient sur sa présence au front, sur sa formation de commando, sa formation en Belgique… De 1990 à 1992, c’était « une vraie guerre » dira l’accusé. Chef de peloton, il conduira ses hommes au combat pour empêcher le FPR de progresser, et tout cela, comme nous l’avons dit, avec le soutien de soldats français qui lui ont appris à se servir d’un mortier (NDR. On reviendra sur le sujet lorsque seront évoqués les attaques de l’ISAR-SONGA).
Le FPR? « Il voulait gagner la guerre comme nous. Il commettait des massacres partout où il passait. »
A la reprise, vers 14h15, maître ALTIT, autre avocat de l’accusé, revient sur les conclusions qu’il a déposées.
Le transport sur les lieux. L’avocat argumente sur la nécessité de se transporter sur les lieux, une demande qu’il sait très bien qu’elle sera rejetée, même si le président, en fin de journée, va sursoir à statuer.
C’est maître PHILIPPART, avocate du CPCR, qui s’étonne. La cour ne serait pas légitime à juger si ce transport n’était pas décidé? Cette demande, comme les autres qui seront évoquées plus loin, arrive tardivement. L’accusation aurait pu la formuler au cours de l’instruction qui a duré plusieurs années. Ce sont « des demandes tardives et dilatoires » que la cour ne pourra que rejeter.
Madame DURET, l’avocate générale, ne pourra qu’aller dans le même sens. Jamais la défense n’a demandé ces actes au cours de l’instruction. Comme les parties civiles, elle dénonce « le caractère dilatoire » de ces demandes. Quant aux gacaca[4], dont la défense réclame les comptes-rendus, si on veut connaître le fonctionnement de cette pratique qui fait appel à la tradition, il suffit de se reporter au documentaire « Mon voisin, mon tueur » d’Anne AGHION (2009)[5].
Rien à dire de plus non plus concernant les demandes d une nouvelle expertise balistique: c’est tout aussi dilatoire.
La demande concernant la venue en présentiel des témoins détenus. Bien que le président ait pris soin de préciser qu’il a tout prévu pour que ces auditions en visioconférence se déroule dans les meilleures conditions, maître ALTIT n’en démord pas. Et de nous sortir l’éternelle chanson:: « le Rwanda n’est pas une démocratie, on y pratique tortures et assassinats. On ne peut pas témoigner librement au Rwanda » (cf. les rapports de Human Rights Watch). Et comme si on n’avait pas compris: « Les gens sont assassinés, torturés dans les prisons rwandaises... Les témoins sont préparés » (NDR. Dix ans qu’on entend la même rengaine. À chaque procès, quels que soient les avocats de la défense, on nous repasse les mêmes plats. C’est un homme qu’on juge et pas le Rwanda ni son président.)
Madame l’avocate générale, en face des demandes de la défense, éprouve le besoin de rappeler au jury que nous sommes devant une juridiction française et non devant une cour internationale, juridiction qui est « en mesure de juger de façon équitable. » De poursuivre: « Les témoins détenus qui seront entendus depuis KIGALI le seront dans des conditions tout à fait correctes. »
Monsieur le président déclare que toutes ces demandes seront mises en délibéré.
Audition de monsieur Abudance HITIYAREMYE.
M. HITIYAREMYE est invité par M. le président à décliner son identité et à fournir des informations personnelles. Il lui pose ensuite plusieurs questions. Le témoin affirme n’avoir aucun lien avec l’accusé ni avec aucune des parties civiles.
Son témoignage consiste à alléguer n’avoir jamais vu M. MANIER à Nyanza durant la période du génocide de fin avril à juin 1994. M. le président va donc lui poser plusieurs questions afin de préciser ce témoignage.
Monsieur le témoin déclare avoir travaillé à NYANZA au sein d’une ONG, l’APROPA, de 1990 à 1994 et avoir été présent dans la ville au moment de l’assassinat du président HABYARIMANA. Il travaillait à l’époque dans une association pour la promotion des petits paysans. Il est issu de parents hutu, n’exerçait pas d’activité politique à l’époque et n’a jamais été poursuivi par la justice. Les questions de M. le président permettent de préciser la nature de sa relation avec M. MANIER qu’il décrit comme cordiale et occasionnelle. Après les évènements de 1994, monsieur HITIYAREMYE affirme qu’il a quitté le Rwanda et a parcouru la République Démocratique du Congo, le Congo Brazza puis le Cameroun avant de s’installer en France en 2017. Depuis sa fuite du Rwanda, il affirme ne pas avoir eu de contact avec monsieur MANIER.(NDR. Faut-il vraiment le croire?)
C’est au tour de la défense, par maître ALTIT, de poser des questions à monsieur HITIYAREMYE.
Ce dernier réaffirme sa présence à NYANZA au moment du génocide, puis sa fuite causée par la peur de l’arrivée du FPR. Il dit notamment qu’il n’avait pas connaissance des personnes qui ont initié le génocide à NYANZA et qu’il s’agissait de personnes « en uniforme noir » ou « camouflées par des feuilles de bananier« . Il indique par la suite que les barrières dressées aux abords de la ville avaient pour but d’éviter les l’infiltrations de la ville par le FPR. Il ajoute de manière équivoque « Pour faire une omelette, il faut casser des œufs ». Maître PHILIPPART reviendra sur cette déclaration plus tard.
Quant à la nature de sa relation avec monsieur MANIER, il décrit un homme gentil qu’il saluait environ une fois par semaine, le dimanche, au bar. Il a connaissance de la fonction de l’accusé (adjudant) dans la ville de NYANZA mais ne sait pas s’il avait des engagements politiques. Probablement pas, d’ailleurs, puisqu’il était gendarme.
Les avocats des parties civiles sont maintenant invitées à questionner le témoin.
Maître PHILIPPART interroge M. HITIYAREMYE sur la nature et la fréquence de ses déplacements pendant les trois mois du génocide. Il indique n’être sorti que pour faire des courses au marché situé à 1 km de chez lui car il avait peur lui-même d’être pris pour cible malgré son appartenance hutu. Il précise aussi que les barrières étaient érigées contre les « infiltrés », c’est-à-dire le FPR. Il indique que ces infiltrés pouvaient être des femmes, des enfants et des vieillards. Maître PHILIPPART revient sur ses propos quant à la nécessité de « casser des œufs pour faire une omelette » afin de l’expliciter clairement. Il affirme que le FPR a sacrifié les Tutsi de l’intérieur pour vaincre et réussir son offensive (NDR. Encore une affirmation maintes fois entendue et qui ne repose sur aucun fondement.)
L’avocat général, monsieur JUY-BIRMANN, souhaite enfin éclaircir un point pour les jurés concernant le passage de ces barrières. Monsieur le témoin confirme que c’est bien la mention de l’ethnie hutu ou tutsi sur les cartes d’identité qui était déterminante dans le passage des barrières érigées aux abords de la ville.
Interrogatoire de l’accusé sur le CV de personnalité (suite).
Monsieur le président poursuit l’interrogatoire de l’accusé en suivant la chronologie des faits. Il évoque la nomination de monsieur MANIER à RUHENGERI, ville du nord du pays, en avril 1993. De là, on passe à sa nomination à la brigade de NYANZA où il est nommé adjudant-chef en qualité de gestionnaire du personnel. On va passer de longues minutes à tenter d’y voir clair dans l’organigramme de la gendarmerie (NDR. Peut-être eut-il été plus utile de reproduire l’organigramme qui se trouve dans l’OMA. Un document écrit aurait permis de mieux comprendre le fonctionnement de la brigade et de la compagnie). Après avoir dit qu’il ne sortait jamais de la gendarmerie dans le cadre de ses fonctions, l’accusé finit par reconnaître qu’il se rendait auprès des gendarmes en mission pour voir si tout allait bien.
Concernant le témoin qui vient d’être entendu, monsieur HITIYAREMYE, il va être difficile de savoir comment il l’a connu. Il a dit ne pas se souvenir de lui, puis de l’avoir rencontré par hasard dans un bar ou ailleurs. Pas sûr du tout qu’il dise toute la vérité (NDR. Le témoin avait dit qu’il avait été contacté par maître ALTIT. Mais qui avait soufflé ce nom à l’avocat? Nous n’en saurons pas plus. Encore un témoin tombé du ciel dont la défense ne sait trop que faire!)
Dans le cadre de son travail, l’accusé avait à sa disposition un véhicule Toyota Stout rouge. Pour transporter les gendarmes sur les lieux de leurs mission, la gendarmerie disposait d’un camion Mercedes-Benz. Mais il avait aussi des voitures qu’il dit avoir vendues.
Les armes? Des fusils automatiques, des mortiers de 60 lanceurs d’obus… Jusqu’au 6 avril, selon l’accusé, il n’y avait aucun problème au sein de la gendarmerie, sauf avec les Hutu du Nord qui « se croyaient plus Hutu que les gendarmes du Sud« . Ce n’est qu’à partir de l’attentat contre l’avion du président que quelques gendarmes extrémistes du Nord vont poser des problèmes: ces trois ou quatre « moutons galeux » refusaient d’obéir aux ordres qui leur étaient donnés. Ils étaient en colère parce qu’on avait tué leur président. Attentat attribué aux Tutsi.
Le 6 avril 1994, sa femme et ses enfants sont à NYANZA, c’est les vacances. Monsieur MANIER répète qu’il avait peur. Les responsables de la gendarmerie vont tenter de ramener le calme, un calme qui durera pendant « deux ou trois semaines« . C’est à ce moment-là qu’il sera muté à KIGALI. Si bien qu’il ne verra aucun cadavre, qu’il n’a pas entendu parler de massacres à NYANZA. Les seuls réfugiés dont il évoque la présence, ce sont les familles des gendarmes qui ont quitté la capitale (NDR. Rien sur les réfugiés venus de GIKONGORO ou d’ailleurs!)
Les barrages? Des points de contrôle pour « débusquer les infiltrés du FPR« . (NDR. Ces fameux infiltrés, cinq dans chaque cellule, que nous reservent tous les accusés, à chaque procès, comme une leçon bien apprise). Les femmes, les enfants, les vieillards, des infiltrés du FPR?
La RTLM[6]? L’accusé écoutait la Radio nationale. Il se sentait menacé car il cachait des enfants tutsi chez lui. Menacé, il l’était aussi par le sous-préfet Gaëtan KAYITANA. Il aura d’aillurs l’occasion de lui reprocher son attitude à son égard lorsqu’il le rencontrera au Cameroun.
La situation était devenue ingérable à NYANZA reconnaîtra l’accusé. Plus personne n’avait autorité sur les miliciens qui tuaient les Tutsi. Comment peut-il dire alors qu’aucune tuerie n’avait eu lieu à NYANZA avant son départ pour KIGALI? Les gendarmes eux-mêmes n’avaient plus aucune autorité. On ne pouvait même pas savoir où se déroulaient les massacres (NDR. L’accusé n’est plus à une contradiction près). Les gendarmes ne pouvaient pas être partout…
Lorsque l’avocate générale évoque les tueries qui auraient commencé à NYANZA le 21 ou le 22 avril, et plus encore lorsqu’elle fait allusion aux déclarations de son épouse, subitement l’accusé se tait et fait valoir son droit au silence. Désormais, il refuse de commenter quelque question que ce soit. Monsieur le président comprend qu’il est temps de suspendre l’audience. Rendez-vous est donné au lendemain 9 heures.
Avant de se séparer, monseur le président revient sur les demandes de la défense:
Le transport sur les lieux? Il sursoit à statuer. Lors d’un précédent procès, la même demande avait été faite et avait été rejetée.
Un supplément d’informations (qui reviendrait à suspendre le procès): il sursoit à statuer.
Idem concernant l’audition des détenus en visioconférence du Rwanda. A ce sujet, il a reçu de bonnes nouvelles: le planning annoncé devrait pouvoir se tenir sans trop de problème. Toutefois, un témoin de la défense, monsieur Pierre GAFARANGA, ne pourra être entendu: il est décédé. Mais gageons que toutes cesdemandes seront refusées pour que le procès puisse continuer.
Audition suspendue à 19h10.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Coline BERTRAND, stagiaire.
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page.
1. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
2. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
3. Aloys NTIWIRAGABO est poursuivi par une plainte de février 2022. Il avait été débouté d’une plainte qu’il avait lui-même déposée contre Maria MALAGARDIS, une journaliste responsable Afrique au journal Libération. Voir notre article du 18/1/2023 : Poursuivi pour génocide, il porte plainte contre une journaliste. [↑]
4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
5. Mon voisin, mon tueur, documentaire d’Anne Aghion, 2009.[↑]
6. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 6 novembre 2024. J3
07/11/2024
• Projection du documentaire de France 3 « Rwanda. Autopsie d’un génocide ».
• Audition de Stéphane AUDOIN-ROUZEAU.
• Lecture de l’audition d’Hélène DUMAS.
• Audition d’Alain VERHAAGEN.
• Questions à l’accusé.
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Projection du documentaire de France 3 « Rwanda. Autopsie d’un génocide » dans l’émission La marche du siècle. États d’urgence.
« Rwanda : autopsie d’un génocide », documentaire réalisé par Philippe LALLEMANT, diffusé en septembre 1994 dans l’émission « La marche du siècle » présentée par Jean-Marie CAVADA sur France 3.
Avant l’audition du témoin, monsieur le président demande au colonel Jules CHEVALIER de se présenter. Il assure les fonctions de police d’audience pour veiller à ce que les témoins entendus en visioconférence puissent parler sans subir de pression. Il confirme que le témoin est seul dans la salle: l’interprète, celui choisi par l’ambassade de France, se tient à ses côtés.
Audition de monsieur Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, témoin présenté par des parties civiles.
Le témoin commence par s’excuser de ne pas pouvoir être entendu en présentiel. Il s’était engagé dans une formation académique au Rwanda mise en place par le Mémorial de la Shoah. Il se présente comme un spécialiste de la Grande Guerre. Ayant découvert le génocide des Tutsi en 2008, il ne se considère pas comme un expert mais comme « un passeur » vis à vis de la société française et du point de vue judiciaire. (NDR. La défense lui demandera d’expliquer le sens de cette expression). Le génocide des Tutsi, marqué par une radicalité de la violence de masse, reste « relativement méconnu, il ne bénéficie pas du statut mémoriel des autres génocides: il y a un déficit de connaissance dans ce génocide. »
Et le témoin de faire son mea culpa: en 1994, jeune universitaire, il n’a pas prêté intérêt à ce génocide, il ne l’a pas vu: un regret qui le suivra toute sa vie. Il ajoute avoir avalé sans distance que cette violence était « une série de massacres interethniques ». « Comme beaucoup, poursuit-il, j’ai cru aux différences physiques entre Hutu et Tutsi. J’ai regardé, avec ce bagage absurde, ce génocide de très loin. » Il ne veut pas se présenter en donneur de leçon.
« En France, on a encore du mal à comprendre qu’il s’agissait d’un génocide moderne au même titre que le génocide arménien ou celui de la Shoah, un génocide qui puise à la même source que les autres« . Il se rattache aux autres génocides selon trois axes que l’on retrouve dans tout génocide:
– une idéologie: racisme et racialisme sont au cœur de ca génocide dont l’origine se rattache à la pensée européenne de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. Pour les trois grands génocides du XXème siècle, il existe un « terreau idéologique commun ». Le témoin poursuit en faisant un rapide historique de l’histoire de la Région des Grands Lacs. Les découvreurs du Rwanda se présentent en ethnographes et classent les populations hutu et tutsi en deux « ethnies » qu’ils racialisent. Très impressionnés par la royauté tutsi, ils font de ces derniers un groupe supérieur aux origines sémitiques différent de la population bantoue. Le colonisateur va s’appuyer sur les Tutsi dont ils formeront les cadres. D’où un ressentiment de la population hutu qui ne disparaîtra jamais. Les premiers massacres de 1959 vont occasionner le départ en exil de nombreux Tutsi. Mais cette idéologie ethno-raciale ne suffit pas pour expliquer le génocide. Il faut un autre facteur: la guerre.
– la guerre. Il n’y a pas de génocide sans guerre qui en est « un ingrédient indispensable« . Suite à l’attaque du FPR[1] le 1er octobre 1990 nait « une angoisse de la défaite » qui précipite vers le génocide. La guerre provoque une grande tension sociale qui va se développer en « une certaine paranoïa ». Le gouvernement craint les « infiltrations ». La guerre crée « un temps autre, une manière différente de voir le monde, ce qui rend plus facile le meurtre de masse. »
– une action de l’État. Il n’y a pas de génocide sans État, avec une administration efficace. Il faut une force armée qui exécute le génocide: les FAR[2], la Garde présidentielle, la gendarmerie, les milices des différents partis politiques. Sans oublier le rôle essentiel de l’administration locale: préfets, bourgmestres nommés, responsables de secteur, de cellule. Ce qui fait qu’il est impossible pour les victimes d’achapper à la mort. Rôle enfin de la propagande: partis politiques, meetings, presse (Kangura[3]), la RTLM qui mêle musique zaïroise à l’appel aux meurtres[4].
Le génocide, ce n’est pas le résultat d’une colère spontanée du peuple hutu dont on vient de tuer le président. Ce sera la ligne de défense du gouvernement intérimaire. Le témoin de souligner ensuite « le rôle du voisinage » (cf. la Shoah par balles). Au Rwanda, les voisins se sont mobilisés, le pays va se couvrir de barrières pour empêcher les Tutsi de s’enfuir. Pas de « génocide spontané« . Prétendre le contraire est « une idée absurde ». Sans l’État, la population n’aurait pas été entraînée dans les massacres.
Conclusion: le génocide des Tutsi mérite d’être mieux connu, comme les autres génocides du XXème siècle. Le génocide des Tutsi, au programme des lycées, est servi par beaucoup d’articles ou de documentaires qui permettent de mieux le connaître. « Plus le temps passe, plus on prend conscience de la gravité de ce génocide qu’il faut considérer comme un très grand événement de notre temps. »
Les questions de monsieur le président vont permettre d’éclairer un certain nombre de notions: pas de Hutu modérés, mais des Hutu d’opposition, les « tueurs-sauveteurs » (NDR. À ne pas confondre, bien sûr avec les Justes. Le témoin en donne toutefois une définition surprenante: « sauver des Tutsi pour en garder des exemplaires »?), le basculement de BUTARE dans le génocide, le rôle de la gendarmerie (Cf. le témoignage de Jean VARRET à qui le chef d’état-major de la gendarmerie, RWAGAFILITA, en 1991, demande des armes lourdes pour en finir avec le problème tutsi. Ils sont peu nombreux, ce sera vite réglé.[5]) (NDR. Le général Jean VARRET doit être entendu vendredi 8 novembre à 17 heures.)
Monsieur le président SOMMERER questionne le témoin sur les divergences d’analyses entre « les spécialistes« . S’agit-il d’un génocide préparé ou pas? (NDR. Si l’on s’en tient à la définition du génocide, n’est-il pas obligatoirement préparé?) Divergences entre la position de madame Alison DES FORGES et celle de monsieur André GUICHAOUA. Concernant le négationnisme, il est constitutif du génocide. En France, ce négationnisme prend depuis longtemps la forme « du double génocide« .
Au Rwanda, on fait commencer le génocide en 1959 avec des massacres précurseurs (1963/1991/1993), GUICHAOUA le 12 avril 1994 avec la fuite du gouvernement intérimaire vers GITARAMA (NDR. Et les Tutsi morts entre le 6 et le 12 avril, ce ne sont pas des victimes du génocide? Absurde), d’autres enfin, dont le témoin, plutôt au début des années 90.
C’est au tour des parties civiles de poser des questions à monsieur AUDOIN-ROUZEAU. « Les Dix commandements des Bahutu »?[6] C’est le Mein Kempf des Tutsi avec la stigmatisation des femmes tutsi (d’où le viol massif des femmes tutsi). Référence au Décalogue, les dix commandements de la Bible. Concernant le viol, il a pour objectif la rupture de la filiation: viols collectifs, parfois en présence des enfants, avec la volonté de transmettre le virus du sida. Les viols sont parfois organisés par les autorités: la ministre de la famille, Pauline NYIRAMASUHUKO et son fils SHALOM en sont les exemples les plus connus[7]. Sans oublier les massacres au sein de la cellule familiale.
Le FPR aurait sacrifié les Tutsi de l’intérieur pour obtenir le pouvoir, demande maître TAPI comme l’a prétendu un témoin de la défense? C’est « une position insensée » répond le témoin. C’est le FPR qui a arrêté le génocide. Et d’ajouter: « J’aurais aimé que la France participe à ce sauvetage. »
Maître EPOMA évoque le soutien des gendarmes aux miliciens. Le témoin ne peut que reconnaître que les miliciens ont d’abord tenté de tuer les Tutsi dans des lieux comme les églises mais devant la résistance de ces derniers, les gendarmes sont intervenus.
Est abordée ensuite la notion « d’accusation en miroir » qui consiste à accuser l’autre du crime qu’on prépare soi-même.
Madame DURET, l’avocate générale, revient sur la déshumanisation des Tutsi, élément de l’idéologie. De souligner aussi le rapport de la population civile à l’autorité (Cf. le discours du président SINDIKUBWABO qui déclenche la participation au génocide de la population de BUTARE le 19 avril 1994[8]).
C’est au tour de la défense de clôturer la série des questions. C’est maître ALTIT qui intervient. Questions courtes, sur un ton monocorde. « Vous êtes un expert de la Shoah »? « Quand vous dites que vous êtes un passeur, que voulez-vous dire? Vous passez quoi? » Le témoin répond qu’il passe ses connaissances du terrain, qu’il rencontre surtout les rescapés, passeur à travers son travail, à travers les médias, devant les tribunaux, dans le milieu scolaire…
A-t-il interrogé des responsables du FPR? Le témoin répond par l’affirmative sans donner de nom. Idem concernant des représentants de l’ancien régime. Des détenus en prison? Jamais.
Pour le témoin, qui sont les experts vivants ou décédés du génocide des Tutsi? Jean-Pierre CHRETIEN, Alison DES FORGES, Hélène DUMAS et André GUICHAOUA.
L’avocat de la défense s’étonne que le témoin parle d’idéologie racialiste concernant les Arméniens. De citer des massacres de masse en dehors de toute guerre, dont celui des Grecs pontiques, des Chaldéens, des Assyriens. « Plus une épuration ethnique pour les Grecs » répond le témoin. Et le Cambodge? Pour certaines populations, on peut parler de génocide. Mais de souligner un désaccord entre les Sciences sociales et le droit. C’est pareil concernant « la planification« .
D’après le Rapport Mapping concernant les massacres du FPR au Congo[9], « combien de morts? 200 000, cela vous paraît possible? » Le témoin explique la situation qui a amené les troupes de l’armée du Rwanda à intervenir au Congo en 1996: réfugiés des camps puissamment armés et qui combattent, formation des FDLR[10] dans ces camps (qui ne rêvent que de retour). 200 000 morts, possible, mais qui ne doivent pas faire oublier les morts du génocide et les centaines de milliers de Hutu qui sont rentrés au pays.
Lecture de l’audition de madame Hélène DUMAS, empêchée de témoigner pour des raisons de santé.
A défaut de pouvoir comparaître comme témoin, le rapport d’Hélène DUMAS est lu par monsieur le président.
Dans le contenu, la témoin revient sur l’atmosphère qu’elle appelle « univers mental » créée par la colonisation au Rwanda, notamment sur les racines de la division entre les ethnies. Elle rappelle les vagues de persécution des années 1990 dont ont été victimes les Tutsi ainsi que la « préparation matérielle » du génocide. Les Tutsi sont rapidement assimilés au FPR et un schisme se crée au sein des Forces Armées du Rwanda entre les personnes en faveur et en défaveur des accords d’Arusha (introduction du multipartisme dans le pays). Elle mentionne une préparation à une « solution finale » et l’hétérogénéité des réactions à la mort du président HABYARIMANA sur le territoire du Rwanda, notamment explicable par une présence plus ou moins importante de miliciens sur les différentes parties du territoire.
Elle rappelle que les ¾ de la population tutsi est décimée à la fin du génocide. Elle décrit la dimension verticale et horizontale des massacres : verticale car instaurée par les autorités, horizontale car perpétrée dans les cercles de voisinage et familiaux. Elle ne qualifie pas ces derniers perpétrateurs comme des exécutants en expliquant que certains ont su faire preuve d’un « raffinement cruel » dans ces massacres. Elle vise notamment les pratiques systématiques d’éventrement de femmes enceintes (afin d’observer le fœtus) et les viols perpétrés en public. Ces massacres interviennent, selon elle, comme le dernier échelon de violence et de cruauté qui était perpétré contre les Tutsi depuis les années 1990.
On pourra également se reporter à l’audition de madame Hélène DUMAS lors du procès en première instance, le 11 mai 2023.
Audition de monsieur Alain VERHAAGEN, témoin de l’accusation.
Le témoin précise que c’est le 11ème procès pour lequel il est cité en France et en Belgique pour des faits de génocide au Rwanda. Il a souvent voyagé en Afrique notamment au Burundi dans le cadre de ses travaux et se définit comme africaniste. En mai 1994, il est au Burundi et tente d’entrer au Rwanda grâce à ses contacts sur place. Il y reste 48h et est témoin de nombreuses scènes postérieures à des massacres. Alors qu’il est rentré en Belgique pour interpeller les acteurs internationaux, MSF Belgique lui demande de se porter garant de leur sécurité afin que l’organisation puisse aussi entrer sur le territoire Rwandais, ce qu’il accepte. Il va donc chercher à en savoir plus sur le mode opératoire des massacres. Il observe qu’un massacre a eu lieu dans un église dans laquelle s’étaient réfugiés des Tutsi (église de NTARAMA puis celle de NYAMATA). Des trous ont été faits dans les murs pour jeter des grenades à l’intérieur, pousser les victimes à l’extérieur où elles étaient assassinées à la machette. Il estime que cette pratique était systématique sur plusieurs parties du territoire d’après ce qu’il a vu en se déplaçant vers l’est puis le sud. Il évoque les barrières dressées partout afin d’identifier les Tutsi et les exécuter.
M. VERHAAGEN se questionne sur le leitmotiv de ce qui a pu pousser des familles à s’entretuer, des mères à assassiner leur enfant et des enfants à assassiner leur mère. Il invoque les expériences de MILGRAM qui ont démontré que des personnes de tout milieu social pouvaient se résigner à infliger des souffrances, voire la mort, à quelqu’un par l’argument d’autorité. Il affirme notamment que la responsabilité ressentie des auteurs était réduite à néant par le sentiment de n’être qu’un maillon de la chaîne.
Le témoin déclare que BUTARE n’a pas cédé aux massacres immédiatement grâce au passé multipartite de la région et au préfet tutsi, Jean-Baptiste HABYARIMANA.
Me TAPI, avocat de la partie civile? le questionne quant au pouvoir d’un gendarme dans cette situation. Le témoin répond qu’il est absolu, son autorité et sa légitimité ne sont pas discutées. À la question « un gendarme pouvait-il sauver une vie humaine ? », il répond « bien entendu ». À cela il argumente qu’il a vu des gendarmes rwandais passer des contrôles aux barrières érigées avec des dizaines de femmes tutsi.
Me GISAGARA à son tour lui pose une question sur l’existence d’« accusations miroir ». Le témoin explique à la cour qu’il s’agit de l’idée qu’il y aurait eu un double génocide, une peur des Hutu de se faire exterminer, ce qui expliquerait leur passage à l’acte. Cependant il révoque la notion de massacres commis par le FPR car si ce dernier a causé la mort de nombreuses personnes hutu, notamment civiles, leur ampleur ne peut pas s’élever à la notion de massacre.
Mme l’avocat général DURET demande au témoin les souvenirs qui l’ont le plus marqués personnellement durant les événements. Il parle d’une petite fille dont le corps gisait au milieu des autres à l’entrée de l’église de NTARAMA. Il parle aussi des personnes brûlées vives dont on devinait la résignation par leur posture qui ne suggérait plus la panique. Il parle enfin de ces réfugiées dont il a croisé le chemin au Burundi et qui ont souhaité lui expliquer les horreurs des crimes sexuels qu’elles avaient vécus.
Me DUQUE, pour la défense, prend enfin la parole pour questionner le témoin à son tour. Elle demande tout d’abord à ce dernier si les exactions du FPR sont visées par la notion d’accusation en miroir. Il répond que cela correspond au discours de légitimation des « actes préventifs » c’est-à-dire les massacres commis contre les Tutsi, et que cela constitue une stratégie mise en place en 1991. Il explique par la suite qu’après le 19 avril, la scission entre les Hutu du nord – qui se considèrent supérieurs, et les Hutu du sud, est majoritairement remplacée par une scission entre les Hutu favorables ou défavorable au génocide. Ainsi, il y avait un gros risque à s’affirmer contre le génocide en cours comme l’illustre l’assassinat de certains d’entre eux. La défense tente ensuite d’établir un lien entre le témoin et l’association IBUKA, partie civile au procès, en questionnant son rôle dans la création de celle-ci, ou ses écrits dans un ouvrage collectif. Le témoin se défend qu’il n’a aucun lien direct avec une partie civile, qu’il n’est ni fondateur de l’association, ni co-auteur d’un livre publié.
On pourra également se reporter à l’audition de monsieur Alain VERHAAGEN lors du procès en première instance, le 11 mai 2023.
En fin de journée, monsieur le président souhaite poser deux ou trois questions à l’accusé. Ce dernier ne nie pas le génocide. Quant à savoir pourquoi il a fait appel du jugement de première instance, monsieur MANIER s’exprime: « Ce n’est pas à moi de répondre. Ce n’est pas de ma compétence. J’ai fait appel sur les conseils de mon avocat. »
Monsieur le président: « Vous reconnaissez les faits pour lesquels vous êtes condamné? »
L’accusé: « Je ne les reconnais pas. Je fais appel parce que je suis innocent. Je suis une cible facile. Des réfugiés rwandais se sont mis à faire de la politique. Ils sont ici, dirigés par le régime de Kigali. Je suis un coupable idéal, une cible facile à détruire. » On n’en saura pas plus pour aujourd’hui.
Coline BERTRAND, stagiaire.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page.
1. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
2. FAR : Forces Armées Rwandaises[↑]
3. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un « Appel à la conscience des Bahutu », dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).[↑]
4. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[↑]
5. Le colonel RWAGAFILITA était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.[↑]
6. « Appel à la conscience des Bahutu » avec les 10 commandements » en page 8 du n°6 de Kangura, publié en décembre 1990.[↑]
7. Pauline NYIRAMASUHUKO : ministre de « la Famille et du Progrès des femmes » à partir de 1992 jusqu’à la fin du génocide, n’hésite pas à inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Jugée au TPIR et condamnée à perpétuité en 2011, peine réduite à 47 années de prison en 2015. Voir également: Madame Pauline, la haine des Tutsis, un devoir historique, podcast de France Culture, 28/4/2023.[↑]
8. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
9. Rapport Mapping (officiellement Projet « Mapping »): mission d’enquête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme concernant les violences et crimes de guerre commis sur le territoire de la république démocratique du Congo de mars 1993 à juin 2003, cf. Wikipedia.[↑]
10. FDLR: Forces démocratiques de libération du Rwanda, groupe armé formé en république démocratique du Congo (RDC) en 2000. Il défend les intérêts des Hutus rwandais réfugiés en RDC et opposé à la présidence de Paul Kagame, cf. Wikipedia.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 7 novembre 2024. J4
08/11/2024
• Audition d’Éric GILLET.
• Audition de François GRANER (SURVIE).
• Audition de Régine WAINTRATER.
• Questions à l’accusé.
________________________________________
Audition de monsieur Eric GILLET, témoin de l’accusation.
Le témoin décline son identité et ses fonctions d’avocat. Il explique qu’il a commencé son travail au Rwanda dans les années 1990 pour défendre (en sa qualité d’avocat) les personnes tutsi arrêtées après les offensives du FPR[1]. En effet des journalistes tutsi avaient été arrêtés sur le fondement de ces attaques. Le témoin mentionne plusieurs massacres qui ont eu lieu au Rwanda.
D’abord, des massacres ont lieu contre les Bagogwe, des Hutu pasteurs du Nord. Monsieur GILLET participe à une commission d’enquête sur des violations de droits humains composée de plusieurs organisations, afin de rendre visibles ces massacres pour la communauté internationale. Cette commission va donc enquêter sur ces massacres mais aussi plus généralement sur d’autres massacres. Il est rapporté que les Bagogwe ont été emportés par des camions militaires, leur corps n’a jamais été retrouvé. Ainsi cette commission d’enquête va trouver des fosses communes et les documenter avant 1993.
Ensuite, un massacre va avoir lieu suite au discours de Leon MUGESERA à Kabaya en 1992[2] « il faut renvoyer ces gens d’où ils viennent » fait référence à l’assassinat de Tutsi en les jetant dans la rivière. Cela provoquera les événements mentionnés le lendemain même et cette pratique sera retrouvée de manière massive plus tard pendant le génocide en 1994.
Un autre massacre est aussi documenté en 1992 dans le Bugesera dans lequel on trouvera pour la première fois une articulation avec les services d’État rwandais. Ainsi, les massacres semblent s’arrêter net aux frontières administratives de certaines communes.
Le commission d’enquête va trouver un document du CEMA[3] de l’armée rwandaise qui définit clairement un ennemi commun, le Tutsi, et ses complices, les personnes refusant le clivage ethnique au Rwanda.
Le travail de la commission est particulièrement alimenté d’observations faites pendant la nuit, au moment où les milices agissent le plus. Cette commission va intervenir à la commission des Droits de l’Homme des Nations Unies.
Après le génocide, à nouveau, une équipe est constituée afin d’enquêter sur le génocide, et notamment à BUTARE. Le témoin va publier un ouvrage de cette enquête, dans la continuité de ses premiers observations.
M. Le président questionne maintenant le témoin. Il l’interroge notamment sur la méthodologie de l’ouvrage. Ce dernier explique qu’il a réalisé une enquête sur le terrain pendant trois ans grâce à une équipe qu’il co-dirige avec Alison DES FORGES. Ils recueillent des témoignages qui sont corroborés par des documents écrits. Les témoignages étaient enregistrés afin de vérifier la traduction. Le témoin note que malgré le génocide en cours, les autorités rwandaises ont continué à faire preuve d’une grande rigueur administratives notamment par la consigne de nombreuses demandes écrites.
Le président demande au témoin s’il a observé le même mode opératoire sur tout le territoire.
Le témoin répond que sur tout le territoire, les communes et les bourgmestres ont été des éléments centrales au déroulement du génocide. BUTARE a remarquablement résisté deux semaines avant de sombrer dans les massacres. Le président demande s’il s’agissait d’un plan concerté selon lui. Le témoin répond à l’affirmative et que les milices étaient aussi impliquées dans un système d’auto-défense civile. Ce système est en réalité un paravent pour justifier les massacres de la population tutsi selon lui. Il précise que certains massacres ont été très rapides et ont pu même précéder de quelques minutes l’annonce de l’assassinat du président ce qui prouve une certaine préparation. Le témoin évoque aussi la préparation matérielle du génocide par le stock de machettes et de bière qui a été accumulé dans certaines régions. M. le président interroge maintenant le témoin sur le rôle de la gendarmerie. Le témoin répond qu’il est fondamental et qu’elle a souvent piégé la confiance des Tutsi pour mieux organiser leur assassinat en collaboration avec l’armée. Un des jurés demande le rôle des intellectuels dans le génocide et les massacres, ce à quoi le témoin répond qu’il était important dans la propagation de la propagande grâce à leur légitimité, face à une population majoritairement analphabète.
C’est aux parties civiles de poser des questions. Me SCIALOM questionne sur le mythe de la culture du mensonge au Rwanda qui jette un discrédit de principe sur les personnes qui viennent témoigner. Le témoin répond qu’il a été véhiculé assez tôt mais rapidement démenti. En effet, les témoignages recueillis par les témoins à chaud et à froid prouvent une certaine cohérence. Ce discours stéréotypé et raciste sur les cultures africaines discréditent le travail de la justice. Le témoin explique que le négationnisme sur le génocide rwandais a différentes déclinaisons. Me HERBAUT demande à son tour si l’uniforme a pu avoir du poids dans la légitimation des massacres et le témoin lui répond qu’effectivement l’uniforme rassure les auteurs, que la loi, c’est tuer.
L’avocat général JUY-BIRMANN demande confirmation sur l’absorption du commandement opérationnel de la gendarmerie par le militaire à compter de 1994. Le témoin répond par la positive et argumente qu’il y a eu une confusion des rôles et des armes entres les deux corps ainsi qu’avec les milices.
La défense maintenant questionne sur la méthodologie des enquêtes au Rwanda dans les années 1990. Le témoin répond qu’il s’est déplacé plusieurs fois sur le terrain avec plusieurs personnes internationales, et que les enquêtes portaient sur les massacres aussi perpétrés contre les Hutu. Il confirme les propos de Me DUQUE sur les conditions inhumaines dans les prisons rwandaises.
La défense essaie de déstabiliser le témoin en lui rappelant que certaines de ses conclusions n’ont pas été retenues au TPIR ce qu’il confirme tout en soulignant que la compétence de cette cour n’est pas la même. Aux questions sur les personnes déplacées à BUTARE, le témoin explique que ce sont des personnes extérieures qui ont commencé les massacres et qu’ils ont rapidement été suivis par le reste de la population. Selon lui, le pillage était une vraie motivation. Questionné maintenant sur les événements au Burundi, le témoin affirme qu’il ne sait pas le nombre de morts causés par les massacres. Il affirme rapidement que les événements au Burundi sont indépendants du Rwanda car ce n’est pas le même pays. Le discours consistant à utiliser la persécution des Hutu au Burundi par les tutsi, a été utilisée pour légitimer les discours du Hutu power contre les accords d’Arusha.
On pourra également se reporter à l’audition de monsieur Eric GILLET lors du procès en première instance, le 19 juin 2023.
Audition de monsieur François GRANER, à la demande de l’association SURVIE.
Monsieur François GRANER souhaite centrer son audition sur le rôle de la gendarmerie dans le génocide des Tutsi. Il justifie sa présence à la barre sur le fait qu’il s’intéresse depuis longtemps au génocide des Tutsi mais surtout au fait que le Conseil d’État lui a accordé, en 2020, l’accès aux archives de François MITTERRAND.
1959: c’est la Révolution sociale qui voit les Hutu du Sud prendre le pouvoir.
Décembre 1962: accord de coopération civile et culturelle. On trouve déjà les noms de Laurent SERUBUGA (NDR. Futur chef d’état-major adjoint des FAR[4], visé par une plainte pour génocide), Pierre-Célestin RWAGAFILITA (NDR. futur chef d’état-major de la gendarmerie. Formé en France, il a même été décoré de la Légion d’Honneur bien avant le génocide. Il mourra en exil peu après la fin du génocide.) et BAGOSORA[5].
1973: Coup d’état de Juvénal HABYARIMANA. On assiste à un rapprochement entre la France et le Rwanda.
Juillet 1975: Accord militaire sur la gendarmerie. La France formera les cadres de la gendarmerie rwandaise sur le sol français.
1979: RWAGAFILITA devient chef d’état-major adjoint de la gendarmerie qui reste sous la responsabilité du président de la république. Même promotion pour Laurent SERUBUGA qui devient chef d’état-major adjoint de l’armée. A cette époque, tous les pouvoirs, politique et économique, sont aux mains de l’Akazu[6] qui regroupe les proches de madame Agathe HABYARIMANA (NDR. Elle aussi visée par une plainte déposée par le CPCR en février 2007. Elle continue à couler des jours heureux dans sa villa de Courcouronnes, sans avoir obtenu le statut de réfugiée et sans titre de séjour!) ).
Année 80: Le président HABYARIMANA est réélu mais l’ambassadeur de France au Rwanda parle du pays comme d’une « poudrière« . Les cadres formés en France sont initiés à la doctrine insurrectionnelle ce qui entraîne un « quadrillage » du pays. Des armes vont être distribuées aux civils.
Le témoin veut parler alors de la hiérarchie militaire.
1988/1989: HABYARIMANA est affaibli au sein de son propre clan. L’ambassadeur de France prévient: si un coup d’état se produit, le pouvoir sera pris par SERUBUGA et RWAFILITA.
1er octobre 1990. L’attaque du FPR à partir de l’Ouganda, permet aux Hutu de resserrer les liens entre eux. Les gendarmes sont envoyés au front et reçoivent l’ordre de rafler les Tutsi (NDR. Cette période correspond à l’arrestation des Ibyitso, les « complices » du FPR. Plus de 8 000 personnes seront arrêtées.) La gendarmerie refusera toutefois de les exécuter.
Décembre 1990. La ligne dure contre le FPR s’impose. L’attaché militaire à l’ambassade de France, René GALINIER, fait venir le général Jean VARRET, responsable de la coopération militaire. À l’issue d’une réunion avec, entre autres, SERUBUGA et RWAFILITA, ce dernier lui demande des armes lourdes pour liquider le « problème » tutsi: « J’ai besoin de ces équipements pour les gendarmes parce qu’on va participer à la lutte contre les Tutsi. Ils ne sont pas très nombreux. On va les liquider. » Le général Jean VARRET refuse et en avertit le président HABYARIMANA qui promet des sanctions. Elles n’arriveront jamais.
Mars 1992: Ce sont les massacres du BUGESERA (300 morts) dans lesquels les autorités sont impliquées. Il s’agissait d’habituer la population à tuer en toute impunité (NDR. Des arrestations seront pratiquées mais les tueurs seront rapidement libérés.) Lors de ces massacres, on déplorera la mort d’une religieuse italienne, madame LOCATELLI, le 9 mars. Le gendarme français Michel ROBARDEY était venu la rencontrer la veille de son assassinat. Son corps sera emmené dans un camion de la gendarmerie.
7 avril 1992. Dismas NSENGIYAREMYE devient premier ministre. c’estla période de la mise en place du multipartisme.
14 mai 1992. Volonté de réorganiser la gendarmerie. Le président HABYARIMANA s’y oppose. RWAGAFILITA et SERUBUGA sont mis à la retraite. Il reprendront du service, non officiellement, juste après l’attentat contre Juvénal HABYARIMANA. Rôle important du service de renseignements.
Octobre 1992. Un nouvel attaché militaire est nommé à l’ambassade de France à Kigali, le colonel CUSSAC.
6 avril 1994. Lors de l’attentat contre le président HABYARIMANA, les extrémistes prennent le pouvoir. SERUBUGA et RWAGAFILITA sont rappelés, même si ce n’est pas une décision officielle. Des gendarmes rassemblent des Tutsi et mènent l’assaut: 15% des victimes le seront par armes à feu.
Fin juin à août 1994. C’est l’Opération TURQUOISE. Les soldats français, à partir du Zaïre, installent une Zone Humanitaire Sûre au Rwanda, sur toute la frontière avec le lac Kivu.
Plusieurs questions seront posées au témoin par les parties civiles. Maître Jean SIMON veut connaître le type d’armes utilisée par la gendarmerie: grenades, armes à feu (fusils), mortiers. Dans les archives françaises ont voit, à cette époque, que le mot génocide est remplacé par le mot « massacres ».
Maître BERNARDINI permet au témoin de préciser que le colonel CUSSAC remplace le colonel GALINIER qui s’oppose au génocide. Dès qu’une autorité devient trop faible s’installe une hiérarchie parallèle. À la gendarmerie de NYANZA, par exemple, on voit BIGUMA prendre le pas sur le commandant du camp de gendarmerie. La gendarmerie utilisait des hélicoptères pour certaines de ses missions.
Maître PHILIPPART aimerait revenir sur la notion d’ennemi. Depuis 1991, l’ennemi c’est le FPR, c’est le Tutsi.
Définition de l’ennemi : extrait du rapport de la commission BAGOSORA téléchargeable ici (version intégrale provenant du site justice info.net)
Sur question de madame l’avocate générale, le témoin déclare que nous n’avons pas de preuves que la réorganisation des fichiers de la gendarmerie ont pu servir à établir des listes de Tutsi. Par contre, il y a bien eu des actions communes entre l’armée et la gendarmerie. La doctrine contre-insurrectionnelle a bien servi à rallier les populations civiles dans des massacres.
Paroles à la défense. Maître DUKE demande au témoin, qui a parlé du témoignage du général VARRET, s’il était présent avec le général pour pouvoir rapporter l’événement. (NDR. Sourires dans la salle. On s’attendrait, de la part de la défense à des questions plus pertinentes!) Elle demande ensuite à monsieur GRANER, qui est un physicien, d’où lui vient son intérêt pour le génocide des Tutsi. Le témoin se présente comme un citoyen qui s’est interrogé sur le rôle de la France au Rwanda. D’où sa demande d’avoir accès aux archives de François MITTERRAND. Il ne se revendique pas « expert ». Il est membre d’une communauté de chercheurs. Pas besoin de mettre une étiquette.
Occasion est alors donnée au président de donner une définition juridique du mot « expert ».
Maître DUKE poursuit. « Êtes-vous un témoin neutre? » Réponse du témoin: « Je suis membre de SURVIE et du CPCR. C’est à la cour de juger de la qualité de mon témoignage. La neutralité absolue, je ne sais pas ce que c’est!« .
Maître DUKE de revenir sur le CPCR. « J’ai des documents que je mets au service de tout le monde. Ma documentation est utile au CPCR. »
On pourra également se reporter à l’audition de monsieur François GRANER lors du procès en première instance, le 12 mai 2023.
Audition de madame Régine WAINTRATER, à la demande de l’association IBUKA France.
La témoin indique qu’elle est enseignante et psychologue. Elle explique les points communs que l’on peut retrouver dans la prise de parole traumatique. Ainsi, le moment où les témoins survivants témoignent est attendu ET redouté. Tant que justice n’a pas été faite, les victimes se sentent encore au ban de la société. La symbolique est très importante notamment à cause des traumatismes transgénérationnel. La justice permet la réintégration des victimes dans la société. Les victimes de viol ont souvent des épisodes de dissociation au moment du crime. Il en est de même pour les souvenirs, certaines victimes essaient de maintenir les souvenirs traumatiques à distance. Ces souvenirs leur reviennent sous coup de flash traumatiques dans à moments aléatoires. La chronologie est souvent difficile à rétablir pour ce type de souvenir traumatique. La temporalité est dictée par les événements génocidaires, elle est floue et difficile à restituer dans le temps. La chronologie et les détails peuvent être en quantité importante ou nulle en fonction des différentes victimes. Il y a la crainte de ne pas être cru. Le témoignage est perçu comme un mandat par le survivant.
Le président demande quels symptômes sont communs aux survivants des massacres de masse. La témoin répond que le syndrome post-traumatique est très commun et peut se déclencher jusqu’à des années plus tard. D’autres symptômes peuvent être de la prosternation, hyper vigilance, cauchemars, crises de rage, irritabilité, crainte, méfiance, et parfois de la dépendance émotionnelle. Elle explique aussi que les victimes ont peur de ne pas être crues, d’oublier ou de ne pas restituer correctement. Parfois un gel psychique ne leur fait ressentir aucune émotion pendant le témoignage. elle souligne que les victimes ont souvent peur qu’on les suspecte mais qu’ils s’y attendent car ils connaissent le processus. Elle précise que parfois, les victimes ont même du mal à se croire elles-mêmes. Le président demande au témoin s’il y a des risques pour les personnes qui écoutent des récits de massacre. Le témoin invoque le traumatisme vicariant qu’elle appelle aussi la fatigue de compassion et la nécessité pour ces personnes de « détoxiquer leur psychisme »
Me FALGAS interroge la témoin sur ses liens avec Ibuka France. Elle déclare avoir faire du bénévolat pour eux et fait des donations mais qu’elle n’a jamais jamais travaillé contre salaire pour l’association. Elle exprime un affect évident dans ses choix professionnels, une empathie certaine pour les victimes. Elle répond à une autre question en disant qu’un auteur peut effectivement ressentir un traumatisme majeur même s’il sera différent de celui des victimes. La notion de collectivisation du souvenir est mentionné par l’avocat auquel elle répond que les souvenirs peuvent être biaisés mais qu’un ancrage personnel peut être vérifié dans les récits. Elle affirme aussi que les témoins peuvent se tromper ou mentir mais que cela arrive rarement dans les faits.
Me LINDON lui demande la situation actuelle des suivis psychologiques au Rwanda. Elle répond que Naasson MUNYANDAMUTSA fut le seul psychiatre au Rwanda qui a cherché à faire ce travail.
Me SCIALOM demande s’il existe un tabou dans le récit du viol. La témoin explique que les victimes qui viennent témoigner généralement savent qu’elles vont parler du viol qu’elles ont subi. Cependant il existe un tabou évident sur les viols, notamment pour les viols commis sur des hommes. Parfois les familles exercent aussi des pressions pour ne pas divulguer ces crimes subis. Un autre avocat de la partie civile demande si on trouve des témoignages cohérents et véridiques chez les survivants de traumatismes, ce à quoi elle répond par l’affirmative.
Me PHILIPPART prend la parole pour demander si des détails et des flous peuvent coexister chez une même personne concernant la chronologie et les lieux. La témoin répond que c’est très courant. Quant au témoignage des enfants, la témoin explique que ces derniers sont particulièrement sensibles à l’état d’esprit des personnes qui prennent soin d’eux.
Un autre avocat de la partie civile la questionne sur la nécessité de connaître la culture dans la psychologique des survivants. La témoin déclare qu’il est effectivement important de se renseigner.
L’avocat général interroge ensuite la témoin sur le besoin de certaines victimes de désigner un coupable afin de se soigner. Mme la témoin explique que cela peut soulager mais qu’il est difficile de s’inventer un coupable.
Enfin Me DUQUE à la défense questionne la témoin sur la notion de la contamination des souvenirs de bonne foi. Cette dernière répond que cette contamination peut exister chez tout le monde mais qu’elle est surtout possible sur des détails du récit du survivant et que tout un récit ne peut pas en naître. Enfin, la témoin exprime de nouveau sa neutralité dans ce témoignage vis-à-vis d’Ibuka face aux questions de la défense.
Question à l’accusé.
Monsieur HATEGEKIMANA, invité à réagir aux propos des témoins, accepte de se prononcer sur l’audition de monsieur François GRANER. Si la gendarmerie n’a pas accompli son devoir de protéger la population, c’est tout simplement parce qu’elle n’en avait pas les moyens. Selon l’accusé, tout ce qu’a dit le témoin sur le rôle de la gendarmerie pendant le génocide ne correspond pas à la réalité.
Interrogatoire de l’accusé.
Comment rendre compte de l’interrogatoire par lequel monsieur le président a voulu clôturer la journée? L’accusé n’a qu’un objectif: démontrer qu’il est innocent et qu’il n’était pas à NYANZA lorsque le génocide a commencé. À partir de là, il se doit de fixer sa mutation pour KIGALI au 19 avril et donc de se lancer dans une réécriture de son emploi du temps. Une posture peu crédible à laquelle personne ne peut croire.
Il quitte donc NYANZA le 19 avril, le jour où le président SINDIKUBWABO prononce son fameux discours à BUTARE[7]. Sa mutation dont nous ne possédons aucun document officiel pouvant en attester, il l’attribue au fait que le colonel Laurent RUTAYISIRE a besoin de lui pour assurer sa garde personnelle. Il est donc muté au camp KAKYIRU, au cœur de la capitale où il rejoint le bataillon du major KANIMBA. Il profite de ce déplacement pour ramener à leur mère les deux enfants tutsi qu’il cachait (NDR. Son épouse ne donne pas la même version!)
Avant de se mettre au service du colonel RUTAYISIRE, il va être envoyé au front pour repousser le FPR. C’est à partir du 12 mai qu’il aurait rejoint son affectation auprès du colonel, directeur de la sécurité extérieure.
Une autre version qu’il a donnée aux enquêteurs: il était menacé par les gendarmes extrémistes hutu du Nord. Aux côtés de son colonel, il va se déplacer à GITARAMA, RUHANGO, GIKONGORO, BUTARE. Jamais il n’est revenu à NYANZA qui est pourtant sur la route qui mène à BUTARE. Sa famille reste à NYANZA.
Envoyé pour chercher la solde des gendarmes, il se rend à KIGALI, rencontre le FPR avant d’arriver à KACYIRU. Dans l’impossibilité de revenir à GIKONGORO, il se rend au camp MUHIMA. Le 4 juillet, ordre est donné d’évacuer la capitale. À pied, à la tête de son peloton il passe par GITIKINYONI (NDR. lieu dit à la sortie de KIGALI, à l’embranchement de la route qui part vers RUHENGERI, où se trouvait une célèbre barrière tenue par un Interahamwe[8] de triste mémoire, Joseph SETIBA. Aucun Tutsi ne pouvait passer.) Il rejoindra la sous-préfecture de NDIZA, mêlé à une foule en débandade, puis, après avoir récupéré sa camionnette, il rejoint GISENYI, via KIBUYE, pour atteindre enfin GIKONGORO où il retrouve sa famille. Et tout cela en une journée! Il pourra enfin remettre la solde des gendarmes.
Tout ce « discours romanesque » est en totale contradiction avec les propos qu’il avait tenus lors de ses auditions devant les juges. Qu’à cela ne tienne. Il maintient ses déclarations, probablement au grand désespoir de ses conseils qui n’osent le regarder. En fixant son départ de NYANZA au 19 avril, il échappe aux témoignages accablants de tous ceux qui le verrons pourchasser les Tutsi à NYABUBARE, NYAMURE, l’ISAR-SONGA[9] et peut-être KARAMA!
Nous verrons comment l’accusé se comportera en présence des rescapés qui l’accusent.
Coline BERTRAND, stagiaire au CPCR
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
2. Léon MUGESERA a été condamné à la prison à perpétuité pour son discours prononcé à Kabaya le 22 novembre 1992 – archivé sur le site francegenocidetutsi.org[↑]
3. CEMA: Chef d’état major des armées[↑]
4. FAR : Forces Armées Rwandaises[↑]
5. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.[↑]
6. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État, cf. Glossaire.[↑]
7. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
8. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
9. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 8 novembre 2024. J5
09/11/2024
• Laetitia HUSSON, juriste au TPIR.
• Audition d’Ignace MUNYEMANZI.
• Audition du général Jean VARRET.
• Audition du Michaela WRONG.
• Audition d’Erasme NTAZINDA, maire du district de NYANZA.
• Lecture de l’audition de Jacques SEMELIN.
________________________________________
Audition de madame Laetitia HUSSON, juriste au TPIR.
Avec l’accord du témoin, nous vous proposons de vous reporter à son audition du 12 mai 2023, lors du procès en première instance. Seules les questions seront donc abordées ci-dessous.
TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) à Arusha.
Questions
Monsieur le président précise pour les jurés ce que signifie la tradition inquisitoire du procès pénal en France. Le juge d’instruction a été créé plus tard en France et la défense a pris de plus en plus de place. Actuellement en France, les victimes ont le droit de porter plainte ce qui permet l’ouverture d’une instruction qui se fait à charge et à décharge. Il travaille sous le regard des parties civiles, la défense et du procureur qui peuvent lui demander de faire des actes. Le juge peut accepter ou non de faire des actes, ce que peuvent contester les parties. Au TPIR[1], les parties peuvent citer des témoins qu’ils interrogent eux-mêmes. Monsieur le président demande comment les juges du TPIR ont apprécié la preuve testimoniale. La témoin répond qu’un des grands principes a été de considérer la preuve non pas de manière individuelle mais holistique: évaluer la crédibilité d’un témoin à la lumière des autres preuves et du dossier. Les juges ont du faire face à des difficultés liées à l’impact des traumatismes et chronologie ce qui leur a permis de développer certains standards: chaque incohérence va être prise en compte et analysée pour établir la crédibilité de cet aspect du témoignage.
Monsieur le président fait état des 4 jugements déposés dans la procédure. Il rappelle qu’en 1998 KAMBANDA[2] qui a plaidé coupable des faits de génocide, d’entente, incitation et complicité de génocide, est condamné à perpétuité, fait appel et dit qu’il a été obligé de plaider coupable. Les juges d’appel confirmeront quand même le jugement de première instance. Ils vont considérer que les faits étaient d’une telle gravité qu’ils justifiaient cette peine. A titre de comparaison, Hormisdas NSENGIMANA et Augustin NDINDILIYIMANA ont été acquittés de chefs de génocide par manque de preuve.
Le jugement du TPIR contre la ministre des affaires familiales Pauline NYIRAMASUHUKO, son fils milicien Shalom NTAHOBALI, Joseph KANYABASHI (bourgmestre), Sylvain NSABIMANA (préfet 1), Alfonse NTEZIRIRYAYO (préfet 2), va questionner le rôle du gouvernement dans les tueries à BUTARE. Le procès de BUTARE conclue que la décision de révocation du préfet a été prise pour encourager le début des tueries pour justifier une condamnation.
Me GISARA demande si des personnes ont été condamnées pour entente en vue de commettre un génocide, ce à quoi elle répond par l’affirmative. Il l’interroge maintenant sur la crédibilité des témoins au TPIR. Certain témoins vont reconnaître avoir menti pour différentes raisons (sous pression des autorités rwandaises, corruption, vengeance…). Dans l’affaire de Butare, sur 189 t2moins, seulement trois vont avouer avoir menti. Les juges vont cependant réfuter les allégations de fabrication de preuve. Les TPIR avait la capacité de poursuivre les témoins pour faux témoignage, il n’y a eu qu’une seule poursuite. Ce témoin va finalement expliquer avoir été payé pour retirer ce témoignage. Me GISARA demande aussi si la justice internationale a considéré comme suffisantes les garanties judiciaires nationales pour les jugements au Rwanda. En effet, la témoin répond que le TPIR a renvoyé deux affaires vers la France et deux vers le Rwanda.
L’avocat général prend maintenant la parole. Elle demande la confirmation que l’exigence de plan concerté n’était pas existent pour le TPIR, ce que la témoin confirme. Elle interroge maintenant si ce que le standard de « au-delà de tout doute raisonnable » en Droit Pénal International peut correspondre avec l’intime conviction des jurés. La témoin affirme que cela a déjà été reconnu par beaucoup. Enfin la témoin déclare qu’elle n’a pas pu observer un phénomène de culture du mensonge au sein du TPIR.
La défense n’a pas de questions. Suspension d’audience à 10h50.
Audition de monsieur Ignace MUNYEMANZI, cité par la défense sur pouvoir discrétionnaire du président.
Après s’être présenté dans ses nombreuses activités professionnelles successives au Rwanda et depuis qu’il a quitté le pays, le témoin déclare qu’il est venu pour défendre l’accusé qu’il ne connaît que depuis qu’il est à Rennes. Il ajoute que ce n’est pas agréable pour lui devenir dans cette enceinte de la cour d’assises.
C’est en 1998 qu’il obtient le statut de réfugié en France, puis la nationalité. Il a été enquêteur au TPIR pour Emmanuel BAGAMBIKI, le préfet de CYANGUGU d’où il est originaire lui-même. Ce dernier sera acquitté. Il parle ensuite des nombreux membres de sa famille tués en 1994, Hutu et Tutsi. Il exprime la souffrance qui l’habite: « Notre souffrance, dit-il, dépasse la vôtre qui n’avez vu des images qu’à la télévision ».
Monsieur le président reprend la main et lui demande de parler de l’association AMIZERO dont il a été le président, qui réunit Hutu et Tutsi et dans laquelle il a rencontré monsieur MANIER. De se lancer alors dans des louanges appuyées de l’accusé: très proche des enfants, il réglait les conflits entre les membres de leur communauté, toujours bienveillant. Il n’a jamais entendu dire du mal de son ami qui est « hypersensible ». Il ne l’a vu pleurer que lorsqu’il lui a fait part de l’affaire qui nous occupe. Il accuse un certain Epiphane, membre d’AMIZERO, qui serait l’auteur de la lettre anonyme adressée au CPCR, par vengeance.
Concernant l’accusé, ce dernier lui aurait confié qu’il regrettait de n’avoir pas pu sauver ses amis à NYANZA car il est parti trop tôt (NDR. Philippe MANIER base toute sa défense sur le fait qu’il n’était plus à NYANZA lorsque les massacres ont commencé, prenant le contre-pied de tous les témoins qui viendront l’accuser).
Lorsqu’il déclare que l’origine du procès est la plainte déposée par le CPCR suite à une lettre anonyme reçue par Alain GAUTHIER, monsieur le président intervient alors pour dire qu’on interrogera le CPCR et ses méthodes de travail. Le nom du témoin apparaît aussi dans cette lettre anonyme. Mais c’est un fax faussement attribué à l’association IBUKA qui va alerter le témoin. Et ce fax aurait été envoyé par l’Epiphane en question, condamné pour avoir détourné l’argent de l’association AMIZERO.
Monsieur le président lit alors le contenu de la lettre anonyme versée au dossier par le CPCR lors du dépôt de la plainte. C’est alors que monsieur MUNYEMANZI raconte son propre cheminement lors du génocide, son départ de KIGALI jusqu’à CYANGUGU, sa ville d’origine, dès le 12 avril 1994.
Sur questions de la défense à qui le président donne exceptionnellement la parole en premier, le témoin se déclare un parent de l’ancien premier ministre Faustin TWAGIRAMUNGU qui l’encouragera à ne pas revenir au Rwanda car « on y massacre les intellectuels ».
Maître DUKE interroge: « Massacrés vivants? » (NDR. On pourrait rire de cette question si le sujet n’était pas aussi grave!)
Au sein de l’association, le témoin n’a jamais entendu monsieur MANIER tenir des propos anti-Tutsi ou négationnistes. Il n’est jamais allé voir son ami en prison mais le souhaiterait. Il fait sienne la ligne de défense de l’accusé: si ce dernier a quitté NYANZA, c’est parce qu’il était menacé par des gendarmes extrémistes du Nord. On le soupçonnait d’être pro-FPR!
Toujours sur questions de la défense, le témoin revient sur son rôle d’enquêteur de la défense au TPIR. Occasion lui est donnée de dénoncer les témoins qui mentent lors des procès, sur pression du pouvoir rwandais.
Monsieur le président intervient pour signaler que madame HUSSON, le matin même, a dit tout le contraire. Il y a eu très peu de témoins condamnés au TPIR pour avoir menti.
Maître PHILIPPART revient sur ces témoins dont on aurait rejeté le témoignage pour avoir été jugés non crédibles et avoir été considérés comme des menteurs. L’avocate du CPCR déclare que l’association qu’elle représente ne dépose pas plainte uniquement sur lettre anonyme: « Monsieur GAUTHIER s’en expliquera! » Le témoin, qui a perdu récemment sa mère, n’a pu se rendre au Rwanda.
Maître QUINQUIS interroge le témoin sur les activités de l’association AMIZERO mais surtout sur la façon dont les membres commémoreraient le génocide des Tutsi. Monsieur MUNYEMANZI reconnaît que son association n’est plus active depuis 2019 et que la commémoration, il la fait « tous les jours, dans mon [son] cœur. »
Sur question de maître EPOMA, le témoin déclare que sa carte d’identité portait la mention « Hutu »[3] mais que dans sa famille il y avait des Hutu et des Tutsi.
Maître KARONGOZI revient sur le départ du témoin de KIGALI le 12 avril 1994. Son voyage vers CYANGUGU lui a pris 10 heures (4h15 en temps normal). Il a dû passer par la barrière de GITIKINYONI (NDR. Cette fameuse barrière tenue par le milicien Joseph SETIBA que le CPCR a interrogé dans certains dossiers). Cette barrière se trouvait à la sortie de KIGALI, à l’embranchement des routes BUTARE/RUHENGERI. L’avocat s’étonne que le témoin vienne témoigner en faveur d’un accusé qu’il n’a pas connu en 1994! Monsieur MUNYEMANZI déclare qu’il ne comprend pas qu’on puisse considérer l’accusé comme un monstre: « Il est impossible qu’il ait commis les crimes qu’on lui reproche. »
Sur question de maître TAPI, le témoin fait part de la « consternation » qui a été la sienne lorsqu’il a appris la condamnation de monsieur MANIER en première instance.
Madame l’avocate générale revient sur les pleurs de l’accusé lorsqu’il a évoqué le fax faussement attribué à IBUKA, dont « le logo a été piraté », ajoute-t-elle. Occasion donnée au témoin de préciser que Epiphane a été condamné pour avoir détourné 7000 euros de l’association AMIZERO.
Après son audition, monsieur MUNYEMANZI demande une faveur: pouvoir saluer son ami. Monsieur le président l’autorise à lui adresser un signe d’amitié. Le témoin s’approche alors du box des accusés et serre longuement la main de monsieur MANIER.
Audition du général Jean VARRET, cité par l’association SURVIE.
Bon pied bon oeil, le témoin, âgé de 88 ans arrive à la barre. Il refuse de s’assoir mais souhaite avoir l’aide de quelqu’un auprès de lui car il a des problèmes d’audition. Maître BERNARDINI se tiendra à ses côtés.
Le témoin était un général détaché au ministère de la Coopération qui a fonctionné de 1959 à 1999. Vingt-six pays, anciennes colonies, dépendaient de ce ministère. Il avait la responsabilité de 800 militaires répartis dans ces différents pays. C’est fin 1990 qu’il se rend au Rwanda, le colonel René GALINIE étant attaché de défense à l’ambassade de France au Rwanda (NDR. En 1991, il avait alerté les autorités françaises d’un risque de génocide au Rwanda. Il n’a pas été écouté et sa hiérarchie l’a sanctionné et a brisé sa carrière.)
Le général VARRET raconte alors sa rencontre avec Pierre-Célestin RWAGAFILITA, chef d’état-major de la gendarmerie qui, au sortir d’une réunion, lui réclame des armes lourdes: « Mon général, je vous demande cela parce que nous allons participer à la liquidation des Tutsi? Cela ira vite car ils ne sont pas très nombreux. » Refus du général qui, furieux, se confie au colonel GALINIE et demande à rencontrer aussitôt le président HABYARIMANA. « Il vous a dit ça, ce con? Je vais le virer », tonne le président. Le général s’en ouvre au chef d’état-major des armées, l’amiral Jacques LANXADE. Mais c’est le chef d’état-major particulier du président MITTERRAND qui prenait les décisions, le général Christian QUESNOT. Quand le général VARRET reviendra au Rwanda, RWAGAFILITA sera toujours en poste.
Le général VARRET savait qu’un massacre de masse était possible au Rwanda, mais il ne prononce pas alors le mot « génocide » qui aurait obligé la France à intervenir plus avant. Il fera plusieurs allers-retours au Rwanda jusqu’à sa démission en 1993 « à cause de la dérive des choix politiques français ». Il n’avait pas d’autre choix que de démissionner: « J’ai fermé ma gueule et j’ai démissionné ». Comme l’a fait le colonel GALINIE. À la lumière des conclusions du rapport DUCLERT[4] qui reconnaît « des responsabilités lourdes et accablantes de la France » dans ces événements, le général VARRET se félicite d’avoir démissionné.
Il évoque ensuite ses différents avec le gendarme Michel ROBARDEY, chargé de la réorganisation de la gendarmerie rwandaise. Ce dernier l’aurait traité de « menteur », ce dont il se défendra. (NDR. Le général ROBARDEY est venu témoigner au procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA en 2016 aux assises de Bobigny. Il s’était alors retourné vers nous, les parties civiles, en prétendant être celui qui avait perdu le plus d’amis dans le génocide. Propos que nous avons jugés indignes et insupportables.[5])
Sur question des parties civiles, le général VARRET revient sur les propos qu’il avait tenus en présence du journaliste de La Croix, Laurent LARCHER[6]. Il dénonçait « le clan des Hutu du Nord, le clan d’Agathe KANZIGA, épouse du président HABYARIMANA, dont faisait partie le colonel Laurent SERUBUGA » (NDR. Lui-même réfugié dans le nord de la France et visé par une plainte qui risque de ne jamais aboutir vu son âge avancé et une santé fragile[7]).
Concernant le soutien de l’état-major major particulier du président MITTERRAND: « Je connaissais la pensée du président que j’ai rencontré lors d’une de ses visites en République Centrafricaine. » Ce dernier lui assènera les propos suivants: « Mon général, vous n’avez rien compris à ma politique africaine. » MITTERRAND voulait contrer l’influence anglo-saxonne en Afrique et au Rwanda (NDR. A ce propos, on a souvent parlé du complexe de FACHODA. La crise de FACHODA est un incident diplomatique sérieux qui opposa la France au Royaume-Uni en 1898 dans le poste avancé de FACHODA au Soudan, aujourd’hui Soudan du Sud).
L’entourage du président MITTERRAND partageait la notion « d’ennemi » égale Tutsi!
Le témoin, sur question de maître SCIALOM, dit connaître la doctrine contre-insurrectionnelle utilisée par le Vietminh, mais il n’en a jamais entendu parler concernant le Rwanda.
Monsieur l’avocat général revient sur le rôle de Michel ROBARDEY. Il était chargé de la formation des gendarmes rwandais, rapporte le témoin: « Peut-être avait-il reçu des directives autres que les miennes? » Difficile de savoir s’il a refusé d’assurer la sécurité de sœur LOCATELLI à NYAMATA.
Audition de madame Michaela WRONG, citée par la défense, en visioconférence de Grande-Bretagne.
On peut regretter que le témoin n’apparaisse pas à l’écran, ou vraiment en toile de fond, le premier plan étant occupé par le juge britannique. Cette audition a été précédée d’un échange qu’on pourrait qualifier de « houleux ». La défense demandait en effet au président d’assurer la protection du témoin qui aurait reçu 3850 tweets depuis la veille pour s’opposer à son audition. Ce que la défense dénonce comme le moyen de faire pression sur elle. Devant le refus du président qui dit ne pas en avoir la compétence juridique, un brouhaha s’installe dans la salle. Il ne peut non plus la rassurer: « Vous me demandez une chose impossible. »
L’avocat général intervient: « Nous avons une confiance totale aux autorités judiciaires britanniques pour régler le problème en Grande-Bretagne ». Au président: « Vous n’avez pas à rassurer le témoin ni à donner acte de cet événement », comme le demandait la défense. Arguments que maître GUEDJ, pour la défense, ne peut partager.
Après cette cacophonie, madame WRONG, qui s’exprime en français, va pouvoir commencer son audition. Nous avons hésité à faire un compte-rendu de cette audition tant les propos tenus n’ont rien à voir avec le procès de Philippe MANIER.
En 1994, le témoin se trouvait à KINSHASA, comme correspondante de Reuter au Congo, pour la BBC. En juillet, elle prend un vol pour GOMA, l’Opération TURQUOISE étant sur le point d’arriver pour mettre fin à la violence. « Je ne savais absolument rien sur le Rwanda, confesse-t-elle, comme beaucoup de journalistes. Jene connaissais pas le contexte. Il y avait des traces de massacres partout, on essayait de cacher les corps.: autour et dans les églises, dans les écoles, beaucoup de victimes tutsi. Dans les champs, on trouvait des corps qui commençaient à pourrir (?). Il y avait une forte odeur de charogne. »
À plusieurs reprises, le témoin va retourner au Rwanda, rencontrer des membres du FPR, des anciens ministres d’HABYARIMANA, suivre les pérégrinations des réfugiés en Tanzanie et au Zaïre. Elle rencontrera Paul KAGAME, encore comme chef rebelle. « J’étais une fan du FPR, ajoute-t-elle, comme les diplomates et les ONG. On parlait beaucoup de réconciliation, les forces rebelles étaient très disciplinées. Nous étions pleins d’admiration. »
Alors pourquoi avoir écrit 27 ans plus tard un livre contre le régime de KAGAME. » J’étais un peu naïve à l’époque » reconnaît-elle. Mes opinions ont changé pour plusieurs bonnes raisons. »
Tout d’abord en ce qui concerne le démantèlement des camps de réfugiés au Congo en 1996 et 1997, attaqués par des milices congolaises soutenues par l’armée rwandaise. Le rapport Mapping, en 2010 rapportait que beaucoup de réfugiés s’étaient enfoncés dans les forêts du Congo où ils ont été pourchassés, tandis qu’un grand nombre avaient été rapatriés au Rwanda. 617 lieux « d’incidents » sont mentionnés dans ce rapport des Nations-Unies et on évalue à 20 000 personnes tuées par l’armée de KAGAME.
Deuxièmement, elle voyait que le FPR était en train de cibler et d’assassiner des politiciens de son gouvernement. Elle donne l’exemple de Seth SENDASHONGA, assassiné à Nairobi en 1998, ministre qu’elle avait interviewé à plusieurs reprises.
» KAGAME était devenu impopulaire, poursuit-elle, il avait des problèmes avec ses propres amis tutsi. KAYUMBA NYAMWASA a été attaqué en Afrique du Sud où il s’était réfugié. Il n’est pas mort mais il a été blessé: c’étaot un commandant tutsi. La situation au Rwanda était beaucoup plus complexe que je ne le pensais. »
En 2014, ce sera le tour de l’ancien chef de renseignements, KAREGEYA, lui aussi réfugié en Afrique du Sud, qui sera étranglé dans son hôtel par un escadron de la mort venu de Kigali. » De plus en plus de témoignages fuitaient du TPIR, concernant une campagne de purification ethnique par le FPR au nord du pays » pousuit-elle.
» C’est ce qui m’a fait changer d’avis. Le FPR était un mouvement rebelle qui avait commis beaucoup de massacres. Le FPR faisait croire que les Tutsi étaient les gentils et les Hutu les méchants. KAGAME avait une grande responsabilité dans cette présentation simpliste. »
De poursuivre: » Le gouvernement actuel du Rwanda donne toujours une vision simpliste de la situation en direction des pays étrangers. Le génocide est devenu un fond de commerce: les visiteurs sont toujours conduits au Mémorial de Kigali. KAGAME est un personnage très controversé. Si vous travaillez dans les droits de l’homme, vous risquez la prison. Au Rwanda, il est impossible de se présenter aux élections. Avec plus de 99% des voix, KAGAME est le représentant d’un régime pur et dur. Si on lui pose des questions concernant les droits de l’homme, il revient toujours au génocide et culpabilise les journalistes: » Où étiez-vous en 1994? »
« Au Congo, KAGAME soutient le M23 qui a envahi le KIVU avec la présence de 4 000 soldats rwandais à ses côtés. 2 400 000 réfugiés s’entassent dans des camps, victimes des maladies et de la faim. Chaque fois que le gouvernement américain d’arrêter son soutien au M23; KAGAME revient au génocide en disant qu’on veut éliminer les Tutsi congolais. Bien sûr que des génocidaires ont réussi à fuir le Rwanda, tous les responsables du génocide ne sont pas en prison. Si on regarde les procès qui ont lieu, on voit que les preuves sont fausses, que les témoins sont manipulés, que ces procès sont exploités par Kigali pour distraire de ce que fait le Rwanda (sic). Chaque procès est une diversion très subtile de la part du gouvernement rwandais. Beaucoup de Congolais, et d’autres personnes, pensent que KAGAME devrait être poursuivi pour les crimes commis au Congo en 1996 et 1997. »
Madame WRONG signale plusieurs cas de témoins qui ont été instruits et préparés par Kigali. Des cours sont donnés à ceux qui viennent témoigner pour accuser des génocidaires qui sont jugés dans des pays étrangers. On leur a dit tout ce qu’ils devaient déclarer. L’un d’eux a pris l’avion et il s’est enfui de l’hôtel; il a demandé l’asile dans un pays voisin (NDR. De qui le témoin veut-elle bien parler? L’homme qui devait témoigner lors du procès en appel du bourgmestre de Kabarondo, Octavien NGENZI, ou d’un autre témoin, dans un autre pays?)
Autre cas, celui de Eugène GASANA, diplomate rwandais et ancien ambassadeur permanent auprès des Nations-Unies, un proche de KAGAME, un pur et dur du FPR, qui a refusé de revenir au Rwanda où il était appelé à s’expliquer. Une femme l’avait accusé de viol. On lui a pris tous ses biens. L’enquête diligentée aux USA l’a reconnu innocent. Accusations qui avaient une dimension politique.
Monsieur le président demande au témoin d’arrêter ses propos pour pouvoir éclaircir certains points. Pour madame WRONG, les élections au Rwanda ont été « truquées« , la presse n’est pas du tout libre, des journalistes sont assassinés ou en fuite, la société civile est « écrasée« : « le Rwanda est bien une DICTATURE! »
Monsieur le président demande au témoin si elle met en garde la cour. Madame WRONG de citer le cas de Enoch RUHIGIRA, devenu citoyen néo-zélandais, accusé d’avoir distribué des machettes pendant le génocide alors qu’il n’était pas dans le pays. De faux témoignages dont il faut se méfier. « Tous les témoins ne sont pas manipulés, mais je trouve que les autorités rwandaises ont tellement corrompu les témoins! C’est pourquoi je ne sais jamais si un témoin dit ou non la vérité. » C’est la même chose avec RUSESABAGINA dont elle rappelle les mésaventures et son procès à Kigali. Devant se rendre au Burundi, il s’est retrouvé à Kigali. Jugé pour terrorisme, il a été condamné et a bénéficié d’une grâce du président rwandais. Pour madame WRONG, comme pour les autorités américaines apparemment, ce procès a été un « spectacle », sa défense n’a pas été respectée. On a utilisé le témoignage des autres détenus pour l’accabler! (NDR. Le personnage d’Hôtel Rwanda, une super production américaine n’a pas le héros que le témoin veut bien présenter).
Sur question de monsieur le président, madame WRONG reconnaît qu’elle ne connaît pas les témoignages à charge et à décharges dans le dossier BIGUMA. Une façon de lui faire comprendre que le témoignage qu’elle vient de donner est hors sujet?
Pour la défense, maître ALTIT va interroger le témoin. Il lui fait redire qui est monsieur RUSESABAGINA, un gérant de l’Hôtel des Mille Collines à Kigali qui aurait négocié avec les miliciens pour sauver « ses clients »(NDR. RUSESABAGINA n’était par le gérant de cet hôtel. il avait exigé qu’on lui remette les clés. Ses « clients », il leur faisait payer leur chambre… Ce n’est pas la version que donne le film en question. RUSESABAGINA a été plutôt un anti-héros. Mais à chacun sa vérité!)
L’avocat de la défense demande au témoin pourquoi le Rwanda soutient le M23 au Congo. « Officiellement, ils ne sont pas là. L’ONU dit tout le contraire. Kigali prétend que des Tutsi congolais sont menacés et qu’il y a un risque de génocide. En réalité, KAGAME veut mettre la main sur les richesses de son voisin » (NDR. Tiens donc! Même si c’est vrai, qu’en est-il des grandes nations qui lorgnent sur les richesses du Congo et pillent ses minerais sur une échelle beaucoup plus grande!).
Toujours sur question de la défense, madame WRONG rappelle que 2 400 000 réfugiés s’entassent dans des camps aux alentours de GOMA, sous la protection de l’armée congolaise. Elle redit que le FPR s’est bien rendu coupable de purification ethnique dans le nord du Rwanda. Et de citer à ce propos le livre de sa collègue Judi REVER, Rwanda. L’éloge du sang, Concernant NYAMWASA, ce très proche de KAGAME a bien fait l’objet d’une tentative d’assassinat alors que leurs enfants avaient fréquenté la même école primaire et que le président rwandais est le parrain d’un des fils de son ancien ami!
Les avocats des parties civiles finissent par renoncer à poser des questions au témoin. C’était bien la meilleure position à prendre. Qu’aurait bien pu apporter aux jurés des réponses sans aucun rapport avec le procès de monsieur HATEGEKIMANA?
Je ne suis toujours pas convaincu qu’il fallait rédiger un compte-rendu de cette audition. Peut-être sera-ce utile un jour pour les chercheurs qui s’intéresseront aux procès d’assises qui se déroulent en France? Ou utile aussi pour tous ceux qui ne peuvent suivre ce procès qu’avec les comptes-rendus que nous rédigeons?
Audition de monsieur Erasme NTAZINDA, maire du district de NYANZA, partie civile, en visioconférence du Rwanda.
Memorial de Muyira où sont enterrées les victimes de Nyamure et Karama.
Le témoin déclare qu’il s’est constitué partie civile parce qu’il a perdu des membres de sa famille sur les lieux concernant l’affaire: KARAMA et l’ISAR Songa[8]. Mais il avait fui au BURUNDI dès le 18 avril. Tout ce qu’il sait de l’accusé, il le tient d’un rapport qu’en tant que maire de NYANZA il avait commandité. Ce rapport a été rédigé sous la direction du professeur Déogratias BYANAFASHE, lui-même originaire de la région. (NDR. Monsieur BYANAFASHE a été mon collègue pendant deux ans, de 1970 à 1972 au petit séminaire de SAVE.)
Le témoin n’ayant pas été entendu au cours de l’instruction, et n’ayant pas de déclaration spontanée à faire, monsieur le président renonce à lui poser des questions et passe la main aux avocats qui l’ont fait citer.
Maîtres BERNARDINI, SIMON et SCIALOM vont poser leurs questions.
Maître BERNARDINI interroge le témoin sur la méthodologie utilisée pour la rédaction de ce rapport. Des témoins, restés anonymes pour assurer leur sécurité, ont donné leur témoignage: rescapés et prisonniers.
Il interroge ensuite monsieur NTAZINDA sur la mort du bourgmestre Jean-Marie Vianney GISAGARA. Mais l’accusé a bénéficié d’un non-lieu pour ce meurtre. En fait, l’avocat veut l’interroger sur l’assassinat du bourgmestre de NTYAZO, monsieur NYAGASAZA. Le témoin rapporte les conditions dans lesquelles le bourgmestre tutsi a été arrêté alors qu’il allait passer au BURUNDI et le rôle de l’accusé dans son exécution de retour à NYANZA.
Des barrières, il y en avait bien avant le génocide. Elles avaient été installées pour arrêter « les infiltrés« . S’il prend la fuite dès le 18 avril, c’est parce que la situation était tendue suite à la mort du député GATABAZI, fin février, et celle, en représailles, du président de la CDR[9], Martin BUCYANA.
Maître SIMON interroge le témoin à son tour. Occasion donnée au témoin d’évoquer ses années de jeunesse et la politique des quotas qui limitait l’accès des Tutsi à leur entrée en secondaire puis à l’université. À NYANZA, on dénombrera environ 150 000 victimes. On continue d’ailleurs de trouver le corps de victimes, en particulier lors de travaux. Ce qu’il attend de ce procès? Que justice soit rendue, que la vérité soit dite et que les génocidaires soient punis.
Maître Sarah SCIALOM interroge à son tour le témoin sur le rôle de la gendarmerie et permet au témoin de témoigner sur les conséquences du génocide. Et d’évoquer les pertes humaines et matérielles, mais surtout les problèmes de santé mentale, pour les rescapés et les bourreaux.
Sur question de l’avocat général, le témoin déclare qu’il y a eu des listes de Tutsi à éliminer, mais les gens se connaissaient. Cela suffisait pour les désigner aux tueurs.
Madame l’avocate générale demande s’il y a eu une volonté de dissimuler les corps. Bien sûr. On a même brûlé des cadavres, d’autres ont été jetés dans la rivière ou jetés dans des fosses communes. Tant qu’on n’a pas retrouvé les corps, on ne peut vivre en paix. On reste dans l’incertitude.
Étang de Nyanza où ont été jetés les corps.
Maître DUKE, pour la défense, va clôturer la série des questions.
Lecture de l’audition de monsieur Jacques SEMELIN qui a déjà été entendu dans plusieurs procès d’assises.
On peut se reporter à son audition du 11 mai 2022 lors du procès BUCYIBARUTA.
Coline BERTRAND, stagiaire du CPCR
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, notes et mise en pages
1. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
2. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
3. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[↑]
4. La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994 – Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021.[↑]
5. Voir l’audition du colonel Michel ROBARDEY dans le procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA, le 9 novembre 2016.[↑]
6. Rwanda, ils parlent – Témoignages pour l’histoire, Laurent Larcher, Éd Seuil, 2019[↑]
7. Laurent SERUBUGA : ex-chef d’état-major adjoint des FAR(Forces Armées Rwandaise), réfugié en France dans la région de Cambrai et visé par une plainte pour génocide déposée le 6/10/2000 par la CRF, la FIDH et Survie avant même la création du CPCR qui s’est depuis également porté partie civile.
Lire également notre article du 7/2/2019 : Attentat contre HABYARIMANA: une note de la DGSE qui accuse BAGOSORA et SERUBUGA[↑]
8. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
9. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 12 novembre 2024. J6
13/11/2024
• Audition du général Jean-Philippe REILAND, commandant de l’OCLCH.
• Audition d’Emilie CAPEILLE, directrice d’enquête à l’OCLCH.
• Audition de Christophe GONCELIN, enquêteur à l’OCLCH.
• Interrogatoire de l’accusé.
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Audition du général Jean-Philippe REILAND, commandant de l’OCLCH (Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine), cité à la demande de l’accusation.
Le général Jean-Philippe REILAND est venu présenter les fonctions et la mission de l’Office Central de police judiciaire qu’il dirige: enquêter, appuyer le travail des juges d’instruction, constituer un centre d’expertise, coopération judiciaire avec d’autres états.
Il évoque le Traité de Rome et la création de la CPI (Cour Pénale Internationale), tout en rappelant ce qu’est la compétence universelle[1]. Pour reconnaître la compétence de la CPI (124 pays signataires), il a fallu modifier la constitution, ce qui, chose rare, a été adopté à l’unanimité du Parlement. Il fallait doter ces organes de moyens concrets: création du Pôle crimes contre l’humanité au TGI de Paris en janvier 2012, création de l’Office central de police judiciaire l’année suivante.
Si cette mission a été confiée à la gendarmerie, c’est parce qu’elle avait déjà travaillé dans les affaires PAPON, TOUVIER ou BARBIE. Seuls les gendarmes sont habilités à conduire des missions à l’étranger.
En 2013, il y avait une seule division d’investigation au sein de l’OCLCH. Aujourd’hui, ce sont trois divisions qui travaillent, soit une quarantaine de gendarmes, formés au recueil des témoignages, aux écoutes téléphoniques… Pour pouvoir organiser des commissions rogatoires à des états souverains, il faut d’abord faire des demandes d’entraide judiciaires (Art.18, alinéa 4).
Concernant les enquêtes sur le territoire rwandais, le témoin souligne que les gendarmes bénéficient d’une grande liberté d’action: seul un interprète est présent lors des auditions. Aucun membre du parquet du Rwanda, aucun OPJ rwandais n’assiste aux rencontres, même lorsque ces auditions se déroulent dans les prisons. Ce qui n’existe nulle part ailleurs (NDR. C’est quand même original pour la dictature que nous décrit la défense!) Ce sont les autorités locales qui localisent les témoins que les enquêteurs souhaitent rencontrer.
Sur question de monsieur le président, le témoin confirme que les enquêteurs s’assurent que les personnes entendues ne subissent pas de pressions. « On croise nos informations, ce qui nous amène à écarter certains témoignages. On se méfie des témoignages soit trop discordants, soient trop concordants. » Toutes les informations judiciaires n’ont pas abouti à des procès: plusieurs non-lieux ont été prononcés. Si ce procès présente une particularité, c’est parce qu’on juge un gendarme, les enquêteurs étant eux-mêmes des gendarmes.
Sur questions de maître LOTH, pour la défense, le général REILAND répète que les gendarmes sont initiés à la culture rwandaise, au contexte dans lequel les crimes ont été commis. Et de revenir bien sûr sur « les crimes du FPR » au Congo. Le témoin reconnaît n’avoir jamais abordé cette question. Pas plus que de pressions sur les témoins. Il confirme, mais il l’avait dit clairement, que les auditions au Rwanda se déroulent en l’absence de tout représentant de l’autorité judiciaire locale. Si des témoins sont amenés à confondre les lieux, rien de plus normal. Les auditions sont organisées longtemps après les faits et beaucoup de témoins ont subi des traumatismes importants.
On pourra également se reporter à l’audition du général Jean-Philippe REILAND lors du procès en première instance, le 15 mai 2023.
Audition de madame Émilie CAPIELLE, directrice d’enquête en charge des premières investigations menées par l’OCLCH. Cité à la demande de l’accusation
La témoin décline son identité et prête serment. En septembre 2015, la témoin était gendarme à l’OCLCH dans une enquête concernant monsieur MANIER dans laquelle elle a été désignée directrice d’enquête. Cette enquête a été ouverte sur une plainte du CPCR. Pour les besoins de l’enquête, la témoin a procédé à l’audition d’une centaine de personnes au Rwanda.
Dans un premier temps, monsieur MANIER a rapidement été localisé en France. Le parcours de l’accusé est retracé par l’Office notamment son nom d’emprunt pour l’arrivée sur le territoire français HAKIZIMANA.
Colline de Nyabubare ©AG.
Les conclusions de l’enquête sont les suivantes: Israël DUSINGIZIMANA, le conseiller de secteur s’était déplacé à MUSHIRARUNGU pour prévenir que sur la colline de NYABUBARE s’étaient réfugiés 300 Tutsi protégés par un ancien militaire armé nommé Pierre. Israël monte dans un véhicule (Toyota blanche)? constate la présence de monsieur MANIER, du bourgmestre NYAGASAZA et de 5 Tutsi civils et de gendarmes.
Mortier de 60 mm – DR
L’accusé s’est saisi d’un mortier 60 qu’il a chargé dans le véhicule. Sur l’ordre du gendarme, les 5 Tutsi sont exécutés sur le bord de la route. Au second arrêt, l’accusé fait descendre le bourgmestre du véhicule et l’exécute également « Voilà ce qui il faut faire des Tutsi ».
Le véhicule part maintenant en direction de la colline de NYABUBARE sur laquelle 300 Tutsi sont réfugiés. La colline va être encerclée par la population et pilonnée par les gendarmes, sous la direction de monsieur MANIER. Les Tutsi qui tentent de s’enfuir sont massacrés par armes traditionnelles par des populations civiles réparties autour de la colline.
Sur ordre d’Israel DUSINGIZIMANA, la population va procéder à l’enterrement des corps sur place, quelques jours plus tard. C’est à partir de ce moment-là que les tueries et les actes de génocide ont commencé à NYANZA. Monsieur le président demande si ce récit résulte d’une accumulation de témoignages. La témoin répond qu’il s’agit effectivement d’un regroupement et recoupement des témoignages. S’agissant des témoins, Israël DUSINGIZIMANA a assisté à tout, tandis que les témoignages des survivants et des civils ayant participé aux massacres sont plus partiels. La témoin précise que les témoignages sont généralement concordants. Les victimes de la colline ont su que les gendarmes menaient l’attaque car ils ont vu les uniformes et reconnu Israël DUSINGIZIMANA.
Cependant, il y a une disparité entre les personnes qui l’identifient et ceux qui ne l’identifient pas. Mathieu NDAHIMANA à NYANZA a vu monsieur MANIER avec le bourgmestre dans le véhicule. Les autorités sur place et les témoins ont comptabilisé 10 000 victimes sur cette dernière attaque.
Plusieurs petites attaques ont lieu le 24 avril et une plus grosse attaque le 28 avril. Valens BAYINGANA, un survivant de NYAMURE, l’identifie aussi comme chef. Dans ces dernières attaques, les gendarmes n’étaient pas encore impliqués. Monsieur le président demande s’il y avait une résistance organisée sur cette colline, ce à quoi la témoin répond qu’elle ne sait pas vraiment. La témoin n’a pas mené d’enquête particulière au sujet des barrières.
La famille MANIER est placée sous surveillance téléphonique après la plainte déposée par le CPCR. Monsieur MANIER n’a pas de ligne attribuée et pas de contact avec sa femme. Lors de la conversation d’un des fils de l’accusé avec sa copine, il raconte que sa famille a fui le Rwanda par la RDC sous un faux nom. Jacqueline, l’épouse, fait par la suite un virement de 5000€ fin 2017 à leur fille Anita qui se trouve au Cameroun. Monsieur MANIER prend un vol aller-retour pour DOUALA sur la compagnie Brussels Airlines mais il « oublie » de revenir. Un mandat d’arrêt international est lancé. Lorsque madame MANIER se rendra à son tour au Cameroun, son mari qui est venu l’accueillir se fera arrêter par la police camerounaise.
Concernant la situation à NYANZA, madame MANIER dit que son mari a fui le 18 avril et qu’elle est partie après le génocide mais qu’elle n’a rien vu. Monsieur le président questionne la témoin sur les conditions d’interrogation des témoins. Ces derniers étaient convoqués dans un tribunal dans lequel ils étaient auditionnés en présence seulement d’un interprète. Si les témoignages collectés ne semblaient pas véridiques, ils n’étaient pas versés au dossier. Il s’agissait de cas isolés et le plupart étaient cohérents. Aucun fait ne laisse paraître que quelconque pression puisse être exercée sur les témoins.
Monsieur le président présente des pièces collectées par l’office notamment des vidéos des lieux réalisées par l’office en 2017. La première vidéo montre la gendarmerie, tandis qu’une deuxième retrace le parcours en voiture réalisé par l’accusé et Israël DUSINGIZIMANA. Maître PHILIPPART observe la proximité de la laiterie avec la gendarmerie. L’enregistrement suivant présente le lieu où auraient été fusillés les cinq Tutsi, en contrebas d’une piste. Le troisième fichier retranscrit le trajet entre l’assassinat des cinq Tutsi et l’assassinat du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA. Monsieur le président note qu’il n’y a pas beaucoup de voitures sur les pistes et demande si les habitants regardaient la voiture passer: ce que la témoin confirme. Ensuite, une vidéo avec une localisation des différentes personnes présentes au moment de l’exécution du bourgmestre est diffusée. La route est en contrebas.
Madame la juge assesseur notifie qu’il y a une maison à proximité. Puis le trajet de l’endroit de l’assassinat du bourgmestre jusqu’à la colline est diffusé. Monsieur Le président demande comment la population civile suit le véhicule et si elle a une idée du nombre de personnes. La témoin répond qu’ils suivaient à pied mais qu’elle ne saurait pas dire le nombre. Sur les videos, on aperçoit Israel DUSINGIZIMANA, Emmanuel UWITIJE (accompagnateur), et BAYAVUGE Obed (accompagnateur). Monsieur le président note que le détenu Israël se promène libre et la témoin précise même que les habitants venaient lui serrer la main à leur passage malgré sa participation au génocide. Sur la vidéo suivante, on voit les 3 personnes se diriger à pied vers la colline. Israël se sépare des deux accompagnateurs qui vont faire le tour de la colline pour achever les Tutsi à l’arme traditionnelle. La dernière vidéo retrace le trajet effectué par Israël DUSINGIZIMANA et MANIER pour atteindre le sommet de la colline. Des photos de la colline de NYAMURE sont ensuite présentées.
Colline de Nyamure qui domine la vallée ©AG.
Le président précise que le massacre de NYAMURE se serait produit le 27 avril. Présentation de la colline de NYAMURE: 1150 mètres de hauteur, route qui conduit au sommet, fosse commune en contrebas, pas de construction. Un membre du jury demande si on pourrait imaginer que Israël ait fait ce témoignage afin de réduire sa propre peine. Madame CAPELLE répond que non.
Sur questions des avocats des parties civiles, la témoin répond qu’elle est allée au Rwanda une dizaine de fois. Demande lui est faite si elle a eu l’impression que le peuple rwandais était particulièrement menteur. Elle répond que non, que ses auditions avec des témoins rwandais ne différaient pas de celles menées en France et qu’il est facile de savoir si des faits sont inventés ou exagérés. Au sujet de potentielles tortures dans les prisons, la témoin affirme qu’elle n’a pas ressenti cela et qu’elle a été surprise par la liberté des détenus. Elle a ressenti que le peuple était libre et qu’un fort intérêt était porté sur l’éducation.
C’est au tour de l’avocate générale de prendre la parole. Elle demande si l’office avait retrouvé un faux CV dans la saisie de documents de monsieur MANIER qui ne mentionne pas la commune de NYANZA. La témoin confirme. Sans écoutes téléphoniques, il est fort probable que l’accusé aurait « disparu des radars« .
M. le président revient sur des pièces versées par la défense en première instance. L’avocat commente: ce sont tous des rapports des Nations-Unies, de Médecins sans frontières ou de la FIDH qui dénoncent les exactions du FPR[2], le régime « autoritaire » de Kigali, la peur et l’autocensure, la torture, l’intimidation des témoins, les aveux obtenus sous la torture, l’omnipotence du FPR, le contrôle de la sphère politique par le FPR. Sans oublier le cas RUSESABAGINA que la défense continue de vouloir présenter comme un héros! La réalité est toute autre. Tout cela, on l’a bien compris: il s’agit de faire diversion et nous éloigner le plus possible de l’affaire qui nous occupe.
Un autre avocat des parties civiles évoque à son tour les trois pièces qu’il a versées au dossier dont une décision de la CEDH[3] concernant une extradition prononcée par la justice suédoise et le rapport GARSONI qui évoquait les exactions commises par le FPR en 1994, rapport jamais validé.
On pourra également se reporter à l’audition de madame Émilie CAPEILLE lors du procès en première instance, le 15 mai 2023.
Audition de monsieur Christophe GONCELIN, enquêteur à l’OCLCH, cité à la demande de l’accusation.
Le témoin décline son identité et prête serment. M. le président demande ce qu’est une barrière. Le témoin explique que ce sont des points de contrôle installés du 22 au 28-29 avril par la population civile encadrée par les gendarmes. Cela se matérialisait par des troncs d’arbres, morceaux de bois etc… Les témoins ont conduit le témoin sur les barrières en désignant les positions exactes de celles-ci. Une première photo montre la barrière localisée vers l’hôpital. D’autres photos témoignent d’une autre barrière installée vers en face du magasin TRAFIPRO.
Ancien bâtiment Trafipro ©AG.
D’autres photos montrent une barrière vers MUGONZI puis KAVUMU, le stade et autres lieux aux environs de NYANZA
Maître DUQUE s’adresse au témoin en lui demandant s’il confirmait la présence de monsieur MANIER sur les barrières. Le témoin répond qu’il ne l’a pas vu de ses propres yeux mais que ce sont les dires de témoins sur place. L’avocate lui demande de ne pas utiliser le présent pour décrire ce type de situation car il n’y a pas de certitude. Des photos de la reconstitution de l’arrestation du bourgmestre sont affichées. 9 témoins participent à une remise en situation de l’acheminement du mortier de 60 vers la colline de NYABUBARE.
François HABIMANA, rescapé de Nyabubare ©AG.
Un de ces témoins est Francois HABIMANA, un rescapé. Le témoin explique que dans le véhicule se trouvaient le chauffeur, le bourgmestre, BIGUMA et MUSONERA. Ainsi, des témoins auraient assisté à l’assassinat du bourgmestre, puis au massacre de la colline de NYAMURE. Monsieur le président relève que deux témoins font état de deux véhicules différents arrivés sur la même route. Une photo désigne l’endroit où BIGUMA est descendu de la voiture, dans une clairière. Une photo du sommet de la colline est affichée, recouverte de pierres. Monsieur le président demande un souvenir marquant du colonel. Le témoin raconte qu’un témoin (François HABIMANA) fait une crise de nerf de 10 min en reconstituant une scène au bas de NYABUBARE. Des armes sont présentées: le mortier, gourdins, massues, houes, machettes… Un membre du jury demande s’il y a eu d’autres gendarmes impliqués. Le témoin ne saurait pas répondre. Le témoin Mathieu et Valens concernent les massacres du 27-28 avril. L’avocat général demande si l’affaire MANIER présente une particularité au regard des autres dossiers. Le témoin répond que oui car c’est un des seuls à comparaître détenu. Il précise aussi qu’une remise en situation a été réalisée avec la participation d’Israel DUSINGIZIMANA. Ce dernier était connu par les populations civiles car les figures d’autorité étaient souvent reconnues dans un village.
Maître DUQUE prend la parole pour le contre-interrogatoire. Elle demande si l’on pouvait entendre les personnes parler d’une colline à l’autre. C’était tout à fait possible. Puis, à la question « Avez-vous une idée de la taille du Rwanda? » elle répond que oui et que le pays fait une taille comparable à la Bretagne. La défense demande au témoin s’il y a pu avoir une contamination des témoignages, ce à quoi il répond que ce n’est pas possible: les planches d’identification ont été présentées de telle sorte que les témoins n’auraient pas pu tricher sur l’identification de M. MANIER. Enfin, l’avocate de la défense interroge le témoin sur son impartialité: elle l’a vu s’entretenir avec monsieur GAUTHIER avant son audition. « Nous nous connaissons depuis longtemps, on s’est rencontrés plusieurs fois au Rwanda. Il n’y a rien d’anormal à ce qu’on ce soit salués. »
Interrogatoire de l’accusé.
Monsieur le président demande à l’accusé s’il a des commentaires à faire suite aux témoignages que l’on vient d’entendre. Réponse laconique de monsieur MANIER: « Je n’étais pas là, tout simplement. »
Pour la dernière fois, le président SOMMERER va interroger l’accusé sur la période qui va de son départ du Rwanda en juillet 1994, jusqu’à son arrivée en France. De GIKONGORO où il rejoint sa famille, l’accusé s’est dirigé vers CYANGUGU, la ville d’origine de son épouse. Après quelques jours passés dans une maison de location, il va traverser la frontière. A son passage, les militaires congolais lui confisquent sa voiture (NDR. Les premiers jours du procès, l’accusé avait donné une autre version. S’étant absenté quelques instants pour aller faire des courses, sa voiture avait disparu à son retour!)
Monsieur MANIER va ensuite parler de la vie difficile qu’il mène avec les siens dans le camp de KASHUSHA. Toutefois, il se lance dans le commerce de la viande qui va lui procurer des revenus non négligeables. C’est alors que des membres de sa famille le rejoignent: un oncle et ses enfants, sa mère, une demi-sœur et un demi-frère, sa sœur et ses trois enfants. Une partie d’entre eux va périr lors de l’attaque du FPR en 1996.
C’est à cette période qu’il va changer de nom, se disant menacé par des agents secrets du FPR qui se seraient infiltrés dans le camp: explication à peine crédible. Toujours est-il qu’il s’appelle désormais HAKIZIMANA, nom qu’il va garder à son arrivée en France. C’est le secrétaire de sa commune qui lui remet une nouvelle carte d’identité. C’est sous ce nom-là que son épouse est elle-même entrée sur le territoire français. Dans l’avion où elle avait réussi à monter avec les services d’un passeur, elle va déchirer ses papiers pour pouvoir demander l’asile.
Après l’attaque de l’armée rwandaise en novembre 1996, il va s’enfoncer dans les forêts du Zaïre pour atteindre KISANGANI et le Congo Brazzaville. C’est là qu’il trouvera de l’aide auprès d’une congrégation religieuse. Il effectue des petits boulots, jardinage, taxi, jusqu’à leur départ pour le Cameroun. Nouvel accueil dans des congrégations religieuses, les Frères de Saint Jean puis les Sœurs de Saint Joseph. Ces dernières permettront à son épouse et à leur plus jeune enfant de se procurer un billet d’avion pour rejoindre la France. Six mois plus tard, c’est au tour de leurs deux autres enfants de partir. Lui-même rejoindra sa famille en février 1999.
Monsieur le président aborde ensuite les démarches que l’accusé a faites auprès de l’OFPRA[4]. Ce qu’on retiendra, c’est qu’il va aligner mensonges sur mensonges pour pouvoir obtenir l’asile. Il ne pouvait pas déclarer qu’il était militaire. Sa femme le déclare comme professeur de sports. Il déclare qu’en 1994 il est resté terré dans sa maison de NYANZA: c’est FAUX! Il aurait quitté KIGALI le 10 mai 1994? C’est encore FAUX! Il se sentait menacé de mort aux barrages? Encore FAUX! Il a quitté le camp de KIBEHO en août 1994? Toujours FAUX! Il a dit qu’il avait perdu femme et enfants pendant deux ans? Encore FAUX! Même s’il ne reconnaît pas l’avoir écrit de sa main lors de sa demande auprès de l’OFPRA.
Tout ce discours, repris par son épouse, monsieur MANIER ne va cesser de répéter que c’était « improvisé« . Or, il est clair qu’il avait mis au point un discours et une stratégie bien élaborée pour obtenir l’asile. En tout cas, s’il a menti, ce n’était pas pour cacher son passé.
Lorsque les avocats des parties commencent à le questionner, l’accusé refuse soudain de répondre. À chaque question, il répond: « Silence ». Il ne consent à répondre à l’avocate générale que lorsque cette dernière rapporte les propos de son fils: « Vous buviez« ? Cette question lui délie la langue. Après avoir répondu par la négative, il retrouve la parole. Selon l’avocate générale, ce serait sa femme qui aurait pris la décision de partir. Son côté macho ressort: « Est-ce qu’une femme peut prendre la décision de partir? Quitter son mari? »
Concernant les déclarations divergentes contenues dans l’enquête de personnalité, l’accusé refuse de nouveau de parler. Et de redire, comme si on n’avait pas compris, que tout était « improvisé ».
Maître DUKE ne peut s’empêcher de revenir sur les massacres de femmes et d’enfants lors du bombardement des camps au Zaïre. Elle veut savoir si monsieur MANIER a gardé des contacts avec sa maîtresse et l’enfant qu’il a eu avec elle. L’accusé répond par l’affirmative. Tout cela probablement pour montrer que son client est un homme au grand cœur. il s’est d’ailleurs occupé aussi de ses neveux et nièces en finançant leurs études.
Deux collègues qui l’ont connu à Rennes décrivent l’accusé comme quelqu’un de « calme, capable d’empathie, pacifique, très croyant, obsédé par la notion du pardon« . L’une d’elle croit qu’elle est « un repenti« . On lui reproche quand même ses « blagues grivoises« !
L’association AMIZERO existe toujours. Apolitique, elle serait plutôt en sommeil. Au Rwanda, il n’a jamais adhéré à un parti politique. Son avocate lui fera dire qu’un gendarme ne pouvait adhérer à un parti. Proche des idées du PSD[5], il n’a jamais été encarté.
En France, il n’a jamais eu d’engagement politique. Il a une fois ou l’autre manifesté contre KAGAME « à cause de ce qui se passe dans mon pays« , dira-t-il. Tout opposant est éliminé, au Rwanda, c’est connu. »
Son procès est un « procès politique« . Les accords d’ARUSHA[6] ont été sabotés par le FPR.
Il sera fait remarquer à l’accusé qu’il a rarement parlé de son passé! (NDR. Ce n’est pas propre à monsieur MANIER. Toute personne soupçonnée d’avoir participé au génocide a intérêt à rester discret sur son passé et à se présenter sous son meilleur jour: meilleur voisin, meilleur médecin dévoué, meilleur parent, voire meilleur chrétien! ») Si on parle de lui comme d’un « repenti« , c’est parce qu’il « prêchait tout le temps le pardon« , lui fait-on remarquer!
On apprend, juste avant la suspension de l’audience, qu’un témoin que l’accusé aurait sauvé et qui était cité par la défense, ne veut plus témoigner: il s’agit de Fidèle MVUYIKURE. Il devait être entendu jeudi après-midi par visioconférence du Rwanda.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Compétence universelle: voir notre article « Pourquoi juger en France ? » dans la rubrique « Repères ».[↑]
2. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
3. CEDH : cour européenne des droits de l’homme[↑]
4. OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides[↑]
5. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
6. Accords de paix, signés en août 1993, à Arusha (Tanzanie), entre le gouvernement du Rwanda et le FPR (Front patriotique Rwandais). Ils prévoient notamment la diminution des pouvoirs du Président HABYARIMANA au profit d’un gouvernement « à base élargie » (cinq portefeuilles sont attribués au FPR), l’intégration des militaires du FPR dans la nouvelle armée gouvernementale, la nomination de Faustin TWAGIRAMUNGU au poste de Premier ministre et l’envoi d’un contingent de 2 500 hommes de l’ONU, la MINUAR, pour faciliter la mise en place des nouvelles institutions. Le président HABYARIMANA fit tout pour différer la mise en place de ces accords. L’attentat contre lui survint le soir du jour où il s’y résigna.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 13 novembre 2024. J7
14/11/2024
• Audition de Cyriaque HABYARABATUMA.
• Audition de Déogratias MAFENE.
• Lecture de la déposition de Laurent RUTAYISIRE.
• Audition d’Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef d’état-major de la gendarmerie.
• Interrogatoire de l’accusé.
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Audition de monsieur Cyriaque HABYARABATUMA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda. Détenu.
Le témoin décline son identité. Il travaillait dans la police nationale et a donc travaillé avec M. MANIER au cours de sa carrière.
Il explique qu’il a été condamné en 2015 à la prison à perpétuité pour ne pas avoir exercé sa responsabilité en tant que chef de la gendarmerie dans la province du sud à CYAHINDA. Il n’a pas plaidé coupable car il n’a donné aucun ordre de tuer. Il a été chef de la gendarmerie à BUTARE et son supérieur hiérarchique était directement le CEMA[1] de la gendarmerie Augustin NDINDILIYAMANA. Le chef de la compagnie de NYABISINDU était François BIRIKUNZIRA et avait sa propre autonomie. Le témoin explique qu’il quitte NYANZA le 19 avril en direction de KIGALI pour être muté sur le front. Le préfet HABYARIMANA[2] était une autorité administrative, lui de la gendarmerie. Il confirme que c’est grâce a sa présence et celle du préfet que la préfecture de BUTARE a résisté pendant deux semaines au génocide. Il explique que les gendarmes lui obéissaient jusqu’à ce moment.
Le préfet pacifiste a été destitué et remplacé par Sylvain NSABIMANA qui tenait de mauvais discours selon le témoin. Il confirme que ce sont sûrement ces événements qui ont fait basculer la préfecture de BUTARE dans le génocide. Les deux bourgmestres GISAGARA et NYAGASAZA auraient été tués par les Interahamwe[3]. Même s’il n’était pas présent durant les agissements du capitaine BIRIKUNZIRA, il sait qu’il a joué un rôle prépondérant en appuyant les massacres qui étaient commis. Le témoin était à Kigali au moment des massacres. Avant son départ, le capitaine obéissait toujours à ses ordres. Le témoin confirme que BIRIKUNZIRA indiquait dans ses rapports que tout était calme à NYANZA. Il infirme cependant les supposés liens de celui-ci avec l’Akazu[4], il ne s’agirait que d’un soupçon.
Le témoin connaît l’accusé, son surnom BIGUMA, son rôle à la compagnie de gendarmerie de NYANZA, son origine de GIKONGORO et sa formation. Il retire son témoignage et affirme avoir menti quant à la réputation de M. MANIER d’être un Hutu extrémiste. Il dit avoir été influencé par des gens sans qu’il s’agisse du gouvernement rwandais. M. le président essaie d’en savoir plus sur cette influence mais le témoin dit qu’il n’ajoutera rien à cela.
Me DUQUE demande que M. le président donne acte de sa rétractation. (NDR cela montre que les détenus sont libres de parler).
Le témoin reprend sa déposition. La gendarmerie s’occupe du maintien de l’ordre public mais des mortiers étaient disponibles pour que les gendarmes puissent partir au front avec si besoin [5]. À titre d’exemple, le témoin lui-même dut emporter un mortier afin d’aller sur le front le 19 avril. Il confirme son retour en tant que chef en 1997, son rôle dans la supervision de la fusion entre la gendarmerie et les forces armées en 2000 ainsi que son arrestation en 2004.
Me FALGAS pose des questions sur le mortier. Le témoin répond que ces derniers ont été donnés à la gendarmerie à la suite de la création d’une compagnie territoriale mais il ne saurait pas la dater précisément entre 1983 et 1984. L’avocat note qu’à ce moment-là, le front n’existe pas encore. Le témoin explique qu’il n’y avait pas encore de guerre mais que la gendarmerie pouvait être appelée pour d’autres occasions.
Me PHILIPPART prend la parole et pose des questions sur son départ à KIGALI le 19 avril. Il dit être parti avec une centaine de gendarmes de Butare. Selon lui, les gendarmes n’ont jamais été appelés sur le front. Il n’a pas non plus vu M. MANIER à Kigali à ce moment-là. Si des gendarmes de NYANZA avaient été mutés à Kigali à ce jour-là, il déclare qu’il l’aurait certainement su. Les gendarmes avaient pour ordre de maintenir l’ordre au sein de la population et éviter qu’ils se retournent les uns contre les autres. Après le discours du président SINDIKUBWABO qui incitait aux massacres, seulement quelques indisciplinés se sont livrés à des tueries, ce qui a créé une scission entre les gendarmes. Le témoin explique n’avoir jamais fui en RDC et être resté au Rwanda. Il dit qu’en tant que gendarme, il suffisait d’avoir été de bon comportement pendant la génocide pour être réintégré dans la gendarmerie après 1994.
Sur question d’un avocat de la partie civile, le témoin déclare que M. MANIER n’était pas extrémiste du tout et qu’il s’excuse devant la cour pour son faux témoignage.
Me KARONGOZI interroge maintenant le témoin. Ce dernier affirme que sa mutation n’était pas inéluctablement liée à la destitution du préfet ou bien à la mutation de M. MANIER. Il précise qu’il purge sa peine de prison à NYARUGENGE à KIGALI. (NDR. L’ancienne prison 1930, installée au coeur de la capitale, a été transférée hors de la ville, à MAGERAGERE). Sur questions de Me GISAGARA, le témoin dit avoir été jugé par le tribunal militaire, la Haute cour militaire puis par la Cour suprême. Il a été jugé pour les faits qui ont eu lieu avant son départ à KIGALI, pour ne pas avoir sanctionné les gendarmes qui avaient participé aux massacres.
C’est au tour de l’avocat général JUY-BIRMANN de poser des questions. Le témoin ne se souvient pas exactement du nombre de gendarmes qui étaient restés sous son commandement à BUTARE et ne pourrait pas confirmer le nombre d’une centaine donné par l’avocat général. Ce dernier demande au témoin s’il est impossible que M. MANIER ait déjà assuré la sécurité des différents meetings politiques mais le témoin ne répond pas à la question. Enfin, l’avocat général demande au témoin s’il se souvient que les instructions données pour combattre les Tutsi avaient été données avant le 19 avril, ce à quoi il répond que oui.
L’avocate générale interroge le témoin sur l’assassinat du bourgmestre NIAGASAZA. Ce dernier affirme qu’il n’a pas vu l’accusé tuer le bourgmestre de ses propres yeux mais que ce sont des faits qui lui ont été rapportés, notamment par Israël, le conseiller de secteur.
Me DUQUE prend la parole. Le témoin décrit M. MANIER à l’époque comme plutôt petit et jeune. Il estime son âge a environ 33 ans. Le témoin explique que lui-même a déjà été emprisonné à la prison de BUTARE, puis à la prison militaire de MULINDI, enfin à la prison de NYARUGENGE. La défense lui demande donc s’il se base sur les accusations de meurtre du bourgmestre pour affirmer que M. MANIER était extrémiste: il répond par l’affirmative. Il explique notamment que le camp est grand mais qu’il aurait quand même dû savoir si M. MANIER avait été muté à Kigali à ce moment-là aussi.
Audition de monsieur Déogratias MAFENE, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin, gendarme sergent tutsi, infirmier au camp de NYANZA, commence par dire qu’il n’est jamais sorti du camp pendant tout le génocide, jusqu’en juillet 1994. Cinq gendarmes Tutsi vivaient au camp. C’est BIRIKUNZIRA qui lui avait demandé de ne pas sortir.
Dans la compagnie de NYANZA, il y avait des problèmes à cause des gendarmes extrémistes. L’un d’eux lui a tiré dessus sur ordre de BIGUMA et l’a blessé au bras. Il sera conduit à l’hôpital. Il tient cela de ses amis gendarmes. Monsieur HATEGEKIMANA aurait dit que lorsqu’ils auraient tué tous les Tutsi, il s’occuperait d’eux. BIRIKUNZIRA, qui l’avait soutenu, n’a pas pris de sanction contre l’auteur des tirs.
Pourquoi dire qu’il était lui aussi extrémiste, génocidaire? Tout simplement parce que des Interahamwe[3] entraient dans le camp et participaient à des réunions régulièrement. S’il a pu savoir ce qui se passait à l’extérieur, c’est parce que lorsque les gendarmes revenaient au camp, ils se vantaient et rapportaient les biens qu’ils avaient pillés. Les gendarmes partaient de leur côté, les Interahamwe de l’autre, mais les réunions se tenaient bien à la gendarmerie.
Sur questions du président, le témoin confirme que tous les gendarmes qui sortaient à l’extérieur du camp étaient des extrémistes et BIGUMA était leur chef. Lui-même sortait du camp pour aller tuer, à bord du véhicule de la gendarmerie. Il était vraiment « méchant ».
Concernant la mort du bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA, le témoin n’a bien sûr pas été témoin de son exécution, mais les gendarmes qui étaient avec lui l’ont raconté. Il ne sait pas ce qui s’est passé sur la colline de NYABUBARE, mais il a entendu parler des massacres qui se sont déroulés sur la colline de NYAMURE. Des gendarmes ont témoigné de la présence de BIGUMA. Il a entendu parler aussi des tueries à l’ISAR Songa[6], mais le nom de MANIER n’a pas été prononcé devant lui. Il n’a pas vu non plus sortir l’accusé avec un mortier.
Le témoin confirme que les gendarmes hutu du Nord avaient pris l’ascendant sur ceux du Sud. BIGUMA, qui n’était pas menacé, était dans leur camp. L’accusé a bien été muté mais il ne se souvient pas de la date. Probablement pendant les attaques.
Toujours sur question du président, monsieur MAFENE dit n’avoir subi aucune pression pour témoigner contre BIGUMA.
Sur question d’un assesseur, le témoin déclare que l’accusé est devenu extrémiste lorsque les massacres ont commencé. On a remarqué que des gens « normaux » avaient subitement changé.
Maître Philippe HERBEAU, avocat du CPCR, revient sur la présence des Interahamwe dans le camp de gendarmerie. Mais ils n’étaient pas les seuls à entrer, en particulier ceux qui ravitaillaient les gendarmes. Quant aux réunions, elles étaient fréquentes, presque chaque jour. Une contradiction dans les propos du témoin: il dit voir été blessé sur ordre de BIGUMA en juin alors que ce dernier n’était plus là!
Sur question de maître Mathieu QUINQUIS, le témoin déclare qu’il soignait tous ceux qui étaient malades ou blessés, Des Tutsi venaient, les femmes de certains gendarmes.
Sur question de l’avocate générale, le témoin reconnaît qu’il ne connaissait pas très bien la famille de l’accusé. Il ne savait pas qu’il avait trois enfants. Mais il voyait parfois sa femme venir au camp.
Maître DUQUE, pour la défense demande à monsieur MAFENE quel âge pouvait bien avoir l’accusé en 1994. Il était encore jeune, « à peu près 33 ans« . Lors de son audition, il avait dit 55 ans! L’avocate lui fait remarquer qu’il n’avait jamais parlé des réunions avec les Interahamwe lors de ses auditions.
Ironiquement, monsieur l’avocat général demande à l’avocate si elle veut « donner acte« , comme elle a déjà fait la demande plusieurs fois.
Maître DUQUE fait aussi remarquer au témoin qu’il n’avait jamais dit que le bourgmestre NYAGASAZA avait été tué sur ordre de BIGUMA. En fait, il l’a appris par des gendarmes qui étaient revenus de leur mission à l’extérieur du camp.
Maître DUQUE, à ce moment de l’interrogatoire se prend les pieds dans le tapis. Elle lit des questions qui ont été posées au témoin lors de l’instruction mais elle donne des réponses qui ne correspondent pas aux questions. Maître HERBEAU le lui fait gentiment remarquer. Du coup, monsieur le président reprend la main et lit le compte-rendu de l’audition du témoin.
Lecture de la déposition de monsieur Laurent RUTAYISIRE, entendu par le juge belge. Il n’a pas daigné répondre à sa convocation. Comme il réside à l’étranger, le président de la cour d’assises ne pouvait pas délivrer un mandat d’amener.
Il a été entendu de multiples fois par le TPIR[7]. Avant 1992 il était directeur de la sécurité extérieure, relevé de ses fonctions le 10 avril 1994 par le colonel BAGOSORA. Il passe beaucoup de temps à Arusha au moment des négociations de paix. Il avait été désigné comme futur CEMA[1] adjoint de la gendarmerie et responsable de la fusion des forces armées et de la gendarmerie. Il quitte Kigali au moment où il est relevé de ses fonctions pour s’exiler avec sa famille, mais finalement il ne quitte pas le pays tout de suite et reste à GIKONGORO.
Le témoin a bénéficié d’une protection de quelques gendarmes après l’assassinat de GATABAZI. Sa sécurité est passé de 6 à 10 gendarmes à partir de la mi-août. Originaire du Sud, il est catégorisé comme peu fiable. Sur ses relations avec l’accusé, il se souvient avoir déjà joué au basket avec lui mais c’est tout. M. MANIER lui est recommandé comme membre de son escorte. À partir de la mi-mai 1994, l’accusé a été dépêché à sa protection dans la deuxième quinzaine du mois de mai. Le témoin ne sait rien de l’accusé quant à sa potentielle position dans des massacres. Le témoin écrit que l’accusé aurait pu se joindre à NYANZA entre mai et juillet au moment où lui-même se rendait à BUTARE et GIKONGORO.
Me GUEDJ, avocat de la défense, observe que le témoin ne sait pas dater précisément l’événement: « RUTAYISIRE donne des dates à un mois près! » Ce à quoi les avocats généraux et les parties civiles répondent qu’au contraire, le témoin est plutôt cohérent et précis sur le mois de mai. Il n’a jamais été question que BIGUMA ait été muté vers le 12 avril, date du départ du gouvernement intérimaire à MURAMBI/GITARAMA.
Le président reprend la lecture de la déposition. Il explique que le témoin envoie BIGUMA récupérer des Tutsi à KICUKIRO (NDR. Un quartier de KIGALI où résidaient beaucoup de dignitaires de l’ancien régime). De même, le témoin va aider une famille de Tutsi dont François MVUYEKURE, à se cacher à l’Hôtel des Mille Collines. Le convoi rencontre des difficultés sur la route, notamment à la barrière de GITIKINYONI supervisée par Joseph SETIBA, le chef redouté des Interahamwe, qui les identifie comme des traitres mais qui les laisse passer quand même.
L’accusé, qui était invité à réagir, avait repris le récit « romancé » qu’il avait commencé à raconter les jours précédents. Il semble bien le seul à croire à ce qu’il raconte.
Audition de monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef d’état-major de la gendarmerie, en visioconférence de Belgique, cité par l’accusation.
Qui a dit que « la vieillesse est un naufrage« ? En vieillissant, cet ancien chef d’Etat major de la gendarmerie au Rwanda, réfugié en Belgique tient des propos de plus en plus négationnistes.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il explique qu’il pense bien connaître le dossier rwandais et qu’il trouve que l’analyse de certains reste figée. Il affirme que le FPR[8] s’est fait patronner par des Français, des Américains etc… Il déclare qu’il existe des propagandistes du FPR dans la communauté internationale. Le témoin affirme que le génocide des Tutsi était en préparation suite à la guerre avec le FPR qui envoyait des armes contre le gouvernement de KIGALI. Il parle d’une fausse information qui a été véhiculée jusqu’à aujourd’hui.
Depuis 1982, le témoin occupe de hautes fonctions au Rwanda (état major de la gendarmerie), puis il se réfugie en Belgique, est condamné en première instance au TPIR puis acquitté en appel. Il réagit au livre d’Alison DES FORGES[9] en disant que c’est incorrect, qu’il n’y a pas de planification du génocide. M. le président le questionne sur le rôle des gendarmes dans le génocide. Le témoin répond que l’infiltration du FPR s’est faite au niveau des forces armées notamment de la gendarmerie et au niveau de la population. Ces infiltrés auraient incité les populations à commettre un génocide contre les Tutsi. Il ne nie pas que les gendarmes qui ont été réquisitionnés auraient pu tuer aussi. Au sujet de la destitution du préfet du BUTARE le 17-18 avril, il déclare que ce sont des « histoires ». Le préfet aurait été lui-même un infiltré, un membre du FPR.
Le témoin déclare que la justice internationale se serait trompée de coupable et interroge: « Qui a descendu l’avion du président, qui a déclaré le guerre? ». Le témoin estime le nombre de victimes à environ 400 000 (contre 1 million d’après les sources du président). Il estime que plus de Hutu auraient été assassinés. Il refuse de parler de génocide, il parle de massacres au Rwanda. Le président demande si en tant que chef de la gendarmerie, il peut expliquer qu’il n’y ait pas de rapport sur la protection de la population civile par les gendarmes. Il répond que les gendarmes se sont organisés pour défendre eux-mêmes les réfugiés avec des armes. Le témoin explique que le discours du président de la République incitant au génocide n’est pas explicite car la terminologie « travailler » ne signifie pas tuer selon certains experts. Il évoque une planification du génocide qui impliquait faussement les forces armées rwandaises. Le témoin déclare qu’il ne connaît pas M. MANIER mais qu’il connaît M. RUTAYSIRE qui a embauché le prévenu en 1994. Le témoin n’aurait pas été informé des massacres par le commandant local au moment de son déplacement.
La parole est donnée aux parties civiles.
Me SCIALOM questionne le témoin. Ce dernier explique que le général VARRET aurait donné de fausses informations, notamment sur l’implication de la France[10]. Me SCIALOM mentionne le rapport DUCLERT[11] sur la « responsabilité accablante » de la France dans le génocide des Tutsi et demande au témoin s’il n’imputerait pas des collaborations avec le FPR, à toute personne soutenant la thèse de la planification du génocide. Le témoin explique les barrières comme un moyen de contrôler l’entrée des infiltrés du FPR qui étaient identifiables par leur physionomie, selon lui. Me SCIALOM lui fait observer qu’il nie l’existence d’une extermination systématique des Tutsi aux barrières.
Me EPOMA pose à son tour des questions. Le témoin nie la corroboration des propos du général VARRET par certains documents qui mentionnent précisément la gendarmerie.
Me TAPI demande au témoin s’il confirme le massacre d’enfants, de femmes et de vieillards. « N’êtes vous pas gêné que votre institution n’ait pas été capable de protéger la population civile? ». Le témoin répond que cette théorie empêche que l’on regarde toutes les faces de l’histoire.
Me GISAGARA pose à son tour trois questions: L’accusé n’a pas parlé d’infiltrés mais plutôt de gendarmes extrémistes qui ont poussé à tuer. Le témoin répond que ce n’est pas ce qu’il a notifié. Comment expliquez vous les morts de NYANZA? Le témoin explique que les personnes qui ont été massacrées à NYANZA sont venues protéger des infiltrés.
Les avocats généraux ne posent pas de questions.
La défense est toute heureuse de faire observer que ce témoin a été cité par le Parquet.
Un témoin dont on finit par se demander pourquoi il a été acquitté par le TPIR vu ce qu’il ose affirmer. Il tient des propos choquants d’une extrême gravité. Lorsqu’il prétend que le président MACRON a reconnu, lors de son discours pour la trentième commémoration, que la France, comme d’autres puissances, savaient qu’il y avait un génocide mais que ces pays n’ont rien voulu faire, c’est FAUX. Ces propos étaient dans le communiqué de l’Elysée quelques jours avant, mais le président MACRON s’est abstenu de les prononcer. Grosse « boulette » dans la communication de l’Elysée.
Interrogatoire de l’accusé (suite et fin?)
« C’est un beau roman, c’est une belle histoire… »
Monsieur le président voudrait en finir avec l’interrgatoire sur le CV de l’accusé. Il revient sur son départ pour le Cameroun le 13 novembre 2014.
L’accusé: « Je voulais aider ma fille à installer son commerce à la fin de ses études (master en psychologie sociale et chef de projet en santé communautaire (sic). En 2012, elle avait choisi de faire un stage dans ce pays, elle décide donc d’y revenir en 2014. Elle souhaitait que je vienne l’aider à mieux s’installer. D’où mon départ en novembre 2017. J’avais obtenu un visa de trois mois, grâce à l’intervention du maître de stage de ma fille. J’ai fini par le faire prolonger car ma femme voulait venir nous voir. Elle arrivera le 30 mars 2018. Elle soufrait d’arthrose et voulait profiter du climat. Nous devions repartir ensemble. C’est à ce moment que j’ai été arrêté à l’aéroport. Je serai extradé vers la France le 15 février 2019. »
S’il a résilié son abonnement téléphonique, c’est parce qu’il était trop cher. Pendant son séjour, sa fille Anita va revenir en France (du 20 novembre au 18 décembre) pour faire renouveler son passeport, laissant son père seul au Cameroun. Si son père la rejoint, c’est pour l’aider à étendre son petit commerce.
Monsieur le président fait remarquer à l’accusé que sa femme, dans un entretien téléphonique avec une amie (NDR. On sait qu’il s’agit d’une certaine Catherine, femme de Aloys NTIWIRAGABO, réfugié depuis longtemps dans la région d’Orléans. Une enquête a été ouverte contre lui depuis[12]) a menti en disant que son mari était en voyage à NANTES! Par un SMS du 8 mars 2018, on saura qu’il est en fait bien parti en Afrique où elle compte le rejoindre. L’accusé, à ce stade de l’interrogatoire, dit ne pas se souvenir qu’il avait recherché un bien immobilier au Cameroun dès 2014.
« Ne serait-ce pas pour fuir la justice que vous êtes parti? » demande le président. (NDR. Tout le monde le pense, probablement, le récit de l’accusé ne tient pas la route). « Je n’ai jamais fui. Si j’avais voulu fuir, je l’aurais fait bien avant. La lettre anonyme qui m’a dénoncé date de 2015. » S’il a envoyé deux grosses sommes d’argent au Cameroun (10 800 euros au total) , c’était pour aider sa fille et pouvoir subvenir à ses besoins lors de leur séjour.
L’avocat général revient sur la plainte qui le vise. C’est par un article de la presse locale qu’il l’apprend. Il avait quand même bien l’intention de fuir, en utilisant sa fausse identité et en cachant le fait qu’il ait été gendarme. S’il a menti, c’est sur le conseil des assistantes sociales qui le suivent.
Monsieur le président révèle que, dans le dossier, à côté de l’article qui évoque la plainte, on trouve un document manuscrit dont on n’arrivera pas à savoir qui l’a écrit. Son titre: « Alibi« . Ce n’est ni l’écriture de sa femme, ni la sienne. Ce document se trouve près du communiqué du CPCR. Probablement pour préparer sa défense? L’accusé déclare que c’est monsieur GAUTHIER qui a déposé la plainte, « pour faire entrer de l’argent dans sa poche« .
L’avocate générale fera remarquer qu’à partir de l’été 2015, beaucoup de recherches avec le nom HATEGEKIMANA seront effectuées sur son ordinateur. Maître DUQUE tentera de voler à son secours en lui faisant dire qu’il n’est pas le seul à utiliser l’ordinateur familial.
L’interrogatoire, arrêté pour entendre monsieur NDINDILIYIMANA en visioconférence(voir ci-dessus), va reprendre un peu plus tard.
Monsieur le président interroge l’accusé sur sa détention, à partir de deux rapports. Il est souligné que monsieur MANIER est un prisonnier modèle, aucun problème de comportement. S’il a choisi d’être au quartier d’isolement, c’est parce que « c’est plus tranquille« . Il fait des promenades, du vélo de rééducation trois fois par semaines. Sa famille lui rend de rares visites car elle habite en Bretagne. Mais ils se téléphonent les week-end « Ca coûte moins cher! » Il n’a aucun contact avec les autres détenus, à la prison de la Santé. Sa rééducation, il la fait à la prison de Fresnes. Il dit être fier de ses enfants, est heureux d’avoir des petits-enfants. Il prend des cours d’anglais, reçoit la visite d’un aumônier et d’un visiteur de prison. Il finit par dire qu’il a un suivi psychologique une fois par semaine.
Monsieur le président évoque deux décisions judiciaires rendues au Rwanda. Dans une d’entre elles, il a été jugé en son absence avec 16 autres personnes. Il sera condamné à des peines lourdes mais ne veut pas faire de commentaire. Son avocat, maître GUEDJ, tentera bien de voler à son secours en disant que s’il a déjà été condamné pour les mêmes faits, on ne peut pas le rejuger, selon le principe « non bis ibidem« . En réalité, ce principe ne peut s’appliquer car il n’a jamais accompli la peine pour laquelle il avait été condamné. Le deuxième procès est un procès gacaca[13] dans lequel il a été jugé avec 5 autres personnes. Monsieur l’avocat général précise que si aucune motivation ne le concerne, c’est parce qu’il a été jugé en son absence.
Maître GUEDJ n’en démord pas malgré l’explication de l’avocat général: « On est en train de juger un homme deux fois pour les mêmes faits. » Maître PHILIPPART intervient pour expliquer de nouveau pourquoi la principe « non bis ibidem » ne peut s’appliquer. « Une démonstration brillante » fait remarquer malicieusement l’avocat général.
À la question de monsieur le président de savoir si l’accusé préfère être jugé au Rwanda ou en France, monsieur MANIER répond: « J’ai déjà été jugé! »
Un dernier sujet est abordé: la question du mandat d’arrêt émis par les autorités rwandaise en date du 25 juillet 2019. Un mandat d’arrêt qui n’a jamais été notifié à l’accusé.
Il est 19 heures 15. Monsieur le président suspend l’audience. Rendez-vous est donné au lendemain 9 heures.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. CEMA: Chef d’état major des armées[↑][↑]
2. Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné (à na pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA).[↑]
3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
4. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État, cf. Glossaire.[↑]
5. Voir l’audition du général Jean-Philippe REILAND, commandant de l’OCLCH, entendu la veille.[↑]
6. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
7. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
8. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
9. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[↑]
10. Voir l’audition du général Jean VARRET, le 8 novembre 2024.[↑]
11. La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994 – Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021.[↑]
12. Voir notre article du 26 juillet 2020 : Aloys NTIWIRAGABO dans l’oeil du cyclone.[↑]
13. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 14 novembre 2024. J8
15/11/2024
• Audition d’Angélique TESIRE, collègue de l’accusé à la gendarmerie de NYANZA.
• Réactions de l’accusé suite aux propos de deux témoins.
• Audition de Pélagie UWIZEYIMANA.
• Audition de Fidèle MVUYUKURE.
________________________________________
Audition de madame Angélique TESIRE collègue de l’accusé à la gendarmerie de NYANZA, citée par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin a été entendue plusieurs fois au cours de l’instruction, dont deux devant le TPIR[1]. Elle aussi été confrontée à l’accusé.
Avant de commencer, elle tient à rappeler un événement dont elle dit n’avoir jamais parlé. Ce qui n’est pas exact, puisqu’on en parle dans le dossier. Elle accuse monsieur MANIER de l’avoir conduite à l’hôpital de BUTARE pour vérifier qu’elle n’avait pas subi un avortement volontaire. L’accusé se défendra en disant qu’il ne faisait qu’obéir au commandant BIRIKUNZIRA. Le test s’est révélé négatif. Elle lui en veut pour l’avoir exposée de cette façon.
Monsieur le président demande au témoin de nous parler de la hiérarchie au sein de la gendarmerie de NYANZA. Philippe, comme elle l’appelle, était sous-officier d’unité en charge d’orgniser les missions des gendarmes. C’est lui qui distribuait les taches de chaque gendarme. Au sein de la gendarmerie, à cette époque, il y avait bien des difficultés entre Hutu du Nord et Hutu du Sud, mais « c’est difficile à expliquer« . Ils avaient plus facilement des promotions., dit-elle. En fait, les Hutu du Nord étaient favorisés par le commandant. Et d’ajouter, rapportant leurs propos: « Si le FPR[2] nous livre bataille, nous allons tuer tous les Tutsi. »
Avant même la chute de l’avion, des meetings incitaient la population à détester les Tutsi. De NYANZA, j’ai appris que des autorités avaient été tuées à KIGALI. À NYANZA, les massacres commenceront avec le discours du président SINDIKUBWABO, le 19 avril, à BUTARE et dans la région(Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).)). Au début, le commandant BIRIKUNZIRA n’était pas très enclin aux massacres. Il changera plus tard. C’est son second, NTAWILINGIRA Jean de Dieu, et le sous-préfet Gaëtan qui ont pris le pouvoir. C’est alors que des sous-officiers de l’ESO (Ecole de sous-officiers) de BUTARE sont arrivés à bord de plusieurs camionnettes: Philippe et le second leur ont donné des ordres.
Monsieur le président reprend la main: il craint que les jurés ne comprennent pas.
Le fonctionnement de la gendarmerie va alors être bouleversé. Les gendarmes extrémistes n’obéissaient plus à personne. NTAWILINGIRA était devenu le chef et agissait d’un commun accord avec Philippe. Comme le témoin l’avait dit devant le TPIR, dès la mort du président HABYARIMANA, les extrémistes hutu sont entrés dans une grande colère. Ils avaient peur que les Inyenzi[3] prennent le pouvoir. Ils ont alors pris les armes et sont sortis en ville en tirant en l’air. HAHUTU, NTIBAKUNZE et MANIRAGUHA, trois gendarmes extrémistes, se sont rendus auprès du sous-préfet et du directeur de la laiterie.
Autour du 8 avril, BIRIKUNZIRA a fait ériger des barrières pour assurer la sécurité et cela, sous la supervision de BIGUMA. Vers le 12 avril, par le secrétaire comptable de la gendarmerie, la témoin évoque une lettre qui aurait été écrite par le sous-préfet pour inciter la population aux massacres.
Comme beaucoup de gens, la témoin a entendu à la radio le discours du président intérimaire. Elle alors compris que les massacres allaient commencer. Les gendarmes extrémistes se lamentaient tout le temps: ils ont alors commencé à tuer. Ils se sont ralliés aux militaires de l’ESO qui arrivent le 21 avril.
Monsieur le président demande au témoin ce qu’elle éprouve quand on l’interroge: « Je remercie mon pays et ses partenaires qui m’ont permis de témoigner ».
Concernant NYAGASAZA, le bourgmestre de NTYAZO, elle dit avoir vu la voiture qui le ramenait ainsi que BIGUMA. Lors de son audition devant les enquêteurs français, elle avait dit qu’elle ne savait rien sur son exécution. En fait, c’est un de ses collègues, MVUKINYAMAJAMBERE qui lui parlera de l’assassinat du bourgmestre. Ce revirement mettre en colère maître GUEDJ, l’avocat de la défense, lorsque viendra son tour de poser des questions au témoin.
Pour l’ISAR Songa[4], madame TESIRE rapporte avoir entendu BIGUMA dire qu’il allait s’occuper des gens de l’ISAR. Elle l’aurait vu prendre un mortier dans le stock d’armes et le charger dans la voiture: « Je vais m’occuper de ces voyous de l’ISAR » aurait-il déclaré. Là encore, une contradiction apparaît. Le témoin avait parlé de mitraillettes et non de mortier!
HATEGEKIMANA était préoccupé par ce qui se passait à l’extérieur. Il mettait beaucoup de zèle à organiser son travail. Il lui tardait que ce qui se passait à KIGALI arrive à NYANZA! Il était en total accord avec les gendarmes extrémistes et il n’hésitait pas à le dire. Elle dit aussi que des miliciens venaient en nombre à la gendarmerie avec le sous-préfet Gaëtan KAYITANA. Quant à BIGUMA, s’il sortait relativement peu avant le génocide, il n’en a pas été de même pendant les massacres.
Madame TESIRE va parler ensuite de sa mutation à KIGALI vers le 14 ou le 15 mai 1994. BIGUMA était encore là. Il sera muté après elle. Elle a un repère précis pour l’affirmer. Alors qu’elle était déjà à KIGALI, BIGUMA a accepté de transporter sa sœur et sa nièce blessée jusqu’à GITARAMA.
Contrairement à ce qu’à prétendu MANIER lors de leur confrontation, ce n’est pas à cause de l’épisode de l’avortement clandestin qu’elle en veut à l’accusé. Elle ne le fait pas par vengeance. Lors du génocide, elle a perdu beaucoup de membres de sa famille.
Sur questions de maître PHILIPPART, le témoin confirme que les gendarmes se vantaient des actes qu’ils avaient commis dans la journée en rentrant le soir. Elle ne se souvient pas du nom du chauffeur de la voiture de la gendarmerie. L’avocate lui demande s’il ne s’agirait pas d’un certain NIYONZIMA: elle confirme. Son épouse se nommait Odoratta MUKARUSHEMA.
L’avocat général interroge le témoin sur l’établissement de listes de personnes à éliminer à partir des listes du fichier central. Il permet aussi à madame TESIRE de parler du stock d’armes de la gendarmerie et de rappeler que BIGUMA assurait lu aussi l’ordre lors des meetings politiques avant le génocide.
L’avocate générale demande au témoin si elle est sûre de la date de sa mutation. Elle est sûre à cause de l’épisode de sa sœur. En confrontation, elle a d’alleurs remercié BIGUMA pour ce geste d’humanité, même si ce dernier évoquait une date fin avril. En tout cas, BIGUMA n’a jamais rien fait pour empêcher les massacres. Si elle témoigne aujourd’hui, c’est tout-à-fait librement, sans avoir été préparée par qui que ce soit.
Maître DUQUE intervient pour la défense. Par les questions qu’elle pose, elle veut à tout prix prouver que son client ne faisait qu’obéir à son chef. Elle veut absolument dédouaner BIGUMA des faits qui lui sont reprochés. Elle conteste aussi la version que donne le témoin concernant NYAGASAZA. Elle fait ressortir les contradictions qui émanent des propos du témoin.
Maître GUEDJ, comme à son habitude, va se montrer plus incisif. Il finira par s’adresser au témoin, manifestement en colère: « Vous rapportez des propos attribués à BIGUMA, mais on ne sait pas ce qu’il a dit et on ne sait pas ce que vous dites. »
Monsieur le président invite ensuite l’accusé à réagir suite aux propos de deux témoins.
« Je n’ai pas grand-chose à dire. Je n’ai pas envie de commenter. Je n’étais pas un extrémiste. Le commandant l’a dit hier. Je conteste tout ce qu’elles disent. »
Le président: « Personne ne dit que vous étiez menacé? »
L’accusé: « J’étais menacé par les gendarmes extrémistes du Nord. Le discours de BUTARE est bien à l’origine des massacres. Les officiers de l’ESO, je ne les ai pas vus arriver à NYANZA. Je l’ai appris quand j’étais à KIGALI. Je n’étais pas à NYANZA ».
Monsieur le président fait remarquer à monsieur MANIER qu’aucun des témoins ne reconnait la date de son départ de NYANZA. « Vous maintenez la date du 19 avril 1994? »
En bon gendarme, comme il a l’habitude de répondre: « Affirmatif. » « Dire que je suis sorti du camp avec un mortier, c’est un mensonge. »
Le président: « Pourquoi ces trois témoins mentent-ils? »
L’accusé: « Ces témoins sont à charge. Ils se sont portés volontaires pour témoigner, pour me charger! Je suis sorti du camp pour organiser les relèves. Je distribuais la nourriture aux gendarmes. Quant à l’ISAR SONGA, je n’étais pas là. »
Le président: « Vous contestez tout? » Réponse: « Affirmatif. »
Concernant sa fuite au Zaïre, l’accusé précise que, après être passé par la ville de BUKAVU, on se rendait dans les camps de réfugiés. Il y avait celui de MPANZI, où était Pélagie UWIZEYIMANA, et celui de KASHUSHA, non loin de là, où lui-même se trouvait. « Je n’ai pas accusé Angélique d’avoir avorté: j’ai obéi au commandant d’unité qui m’a demandé de l’accompagner avec une brancardière. Pour les armes, stockées dans le camp, c’était des armes individuelles et un mortier. Il fallait être militaire pour en avoir une. Si des civils en avaient, c’est qu’une autorité lui en avait remis une. Par exemple, le colonel SIMBA » (NDR. Le colonel Aloys SIMBA était le responsable de l’auto-défense civile en résidence à GIKONGORO. Il est aujourd-hui décédé. Il avait été condamné à 25 ans de prison par le TPIR en 2005.)
Maître PHIPPART revient à la charge: « Vous avez sauvé la sœur d’Angélique TESIRE fin avril et vous continuez à affirmer que vous êtes parti de NYANZA le 19. Reconnaissez qu’il y a des contradictions! »
L’accusé n’en démord pas, il tente une nouvelle fois de s’expliquer mais finit par demander son droit au silence.
Monsieur l’avocat général, qui se fait préciser une nouvelle fois les types d’armes de la gendarmerie, fait remarquer à l’accusé que les témoins basent les dates quelles avancent sur des faits précis, ce qui n’est pas son cas. « Vous ne rattachez vos déclarations sur aucun événement! »
On s’en tiendra là. Monsieur MANIER, en affirmant une nouvelle fois qu’il a quitté NYANZA le 19 avril 1994, va se trouver confronté aux nombreux témoins qui l’ont vu pendant le génocide à NYABUBARE, à NYAMURE, à KARAMA, à l’ISAR SONGA. Il aura du mal à se dépêtrer de ses mensonges.
Audition de madame Pélagie UWIZEYIMANA, citée par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
La témoin décline son identité et prête serment. Elle commence ensuite sa déposition:
Elle a travaillé avec M. MANIER dans le groupement de NYANZA et jusqu’au début du génocide. Quand le génocide a commencé elle se trouvait avec lui à NYANZA avant qu’il soit muté au mois de mai à KIGALI. Pour sa part, la témoin part au mois de juin. Elle pense que M. MANIER était assez actif dans le génocide. Elle se rappelle trois chefs principaux: le commandant BIRIKUNZIRA, le sous-lieutenant NTAWILINGIRA et le sous-officier d’unité, M. MANIER. Ce dernier était en charge du personnel et de leur affectation. Au temps du génocide, c’est lui qui affectait les gendarmes qui allaient tuer à l’extérieur. Il s’occupait aussi de la partie logistique, du matériel et des fusils utilisés. Il faisait aussi de la ségrégation raciale entre les Tutsi et les Hutu et avait un langage assez méchant en les qualifiant de « chiens de Tutsi ». Elle ne l’a pas vu personnellement en train de tuer mais les équipes qui étaient parties avec lui revenaient en se vantant d’avoir tué et pillé.
M. le président lui demande de confirmer qu’elle était infirmière pour la gendarmerie, ce qu’elle fait. Elle confirme aussi qu’elle est partie à GIKONGORO plus tard lorsque la caserne a été évacuée. Elle se présente comme Hutu, d’un père hutu et d’une mère tutsi. Elle ne sortait pas de la gendarmerie à ce moment. Elle connaissait Didace qui était son collègue à l’infirmerie. Elle constate des problèmes entre les Hutu du Sud et les Hutu du Nord notamment au moment du génocide. Par exemple, sa collègue Angelique TESIRE a été persécutée par M. MANIER en tant que Tutsi. Quelqu’un a failli être tué, fusillé par un de ses collègues de la gendarmerie: monsieur MAFENE. « J’estime qu’il n’aimait pas les Tutsi ». Elle déclare qu’il était proche du lieutenant NTAWILINGIRA surtout au moment du génocide car elle les voyait notamment vers la barrière ou certaines personnes étaient tuées. Ce dernier ramassait des gens sur la barrière et lorsqu’ils étaient suffisamment nombreux il les amenaient pour les tuer plus loin.
Elle le sait car ses collègues qui travaillaient à la brigade leur donnaient ces nouvelles notamment par Fidèle NDAMYUGABE. M. le président demande si l’accusé était menacé dans le camp par des gendarmes extrémistes mais elle répond qu’elle ne sait pas. Au sujet du discours du 19 avril, des militaires et miliciens sont venus dans des camions tous mélangés. Elle a assisté à la sortie du camp de M. MANIER dans la Toyota blanche avec le bourgmestre NYAGASAZA. La témoin ne se rappelle pas la présence de civils mais est sûre de la présence du bourgmestre. Elle précise que c’est ce jour-là qu’il y a eu des massacres à NTYAZO et que deux gendarmes avaient été blessés et emmenés à l’infirmerie. Elle affirme n’avoir rien vu quant à l’attaque de la colline de NYABUBARE, ni de NYAMURE. Sur l’ISAR SONGA [5] elle se rappelle que des militaires, notamment MANIER, sont partis avec des armes de gros calibre avec un mortier. Elle pense qu’il est parti DE NYANZA vers le 15 mai en se basant sur le fait qu’elle l’ai vu en avril, mais qu’il était déjà parti en juin car les familles de militaires ont commencé à être ramenés dans le camp à ce moment-la.
M. le président observe que ces questions ne lui avaient pas été posées dans ses premières auditions et demande pourquoi elle n’avait rien mentionné elle-même. Elle répond qu’il arrive d’avoir des trous de mémoire avec le temps qui passe. Enfin elle déclare que personne n’a exercé de pression sur elle pour qu’elle témoigne.
La défense interroge la témoin.
Me GUEDJ demande confirmation des propos discriminatoires tenus par M. MANIER et souligne que ces propos n’étaient pas les mêmes en 2016. La témoin explique que ses idées n’étaient pas encore en ordre lors des premières interrogations. Me GUEDJ observe un manque de cohérence avec des propos encore tenus en 2019 quant aux propos discriminatoires de M. MANIER. S’agissant de la mort du bourgmestre NYAGASAZA, Me GUEDJ déclare que ses propos sont contradictoires avec une précédente audition dans laquelle elle déclarait qu’elle n’avait jamais entendu parler du bourgmestre NYAGASAZA. La témoin répond encore une fois que ses idées n’étaient pas ordonnées à ce moment-là. Elle déclare que personne ne l’a aidée à ordonner ses idées mais qu’elle s’est posée pour réfléchir à ce qu’elle avait vu.
C’est aux parties civiles de poser des questions au témoin.
Me MARIE interroge la témoin sur la direction de sa fuite en RDC. La témoin répond qu’elle se trouvait dans un camp de réfugiés avec des militaires avec leur famille. La témoin explique qu’elle n’a pas eu besoin de changer de nom à son enregistrement auprès du HCR dans le camp de réfugiés. Elle souligne que l’accusé avait notamment expliqué qu’il aurait eu des problèmes s’il se présentait comme un gendarme auprès du HCR, ce qui n’était pas le cas selon cette témoin qui a pu retourner au Rwanda sans aucun problème par la suite.
Me TAPI prend la parole quant aux souvenirs de la victime sur le génocide. La témoin explique qu’il lui arrive de se souvenir de tout, mais que parfois certains flous nécessitent réflexion pour les préciser.
L’avocate générale prend maintenant la parole. La témoin confirme que le surnom BIGUMA était attribué seulement à M. MANIER.
Me GUEDJ interroge à nouveau la témoin sur sa fuite en RDC. Elle exprime le flou autour de la date mais exprime qu’il s’agit sûrement de début juillet. Elle déclare aussi avoir vu M. MANIER à BUKAVU mais qu’il ne s’est pas arrêté et à continué sa fuite. Il ressemblait à un homme plutôt petit, de forte corpulence et souriant. Me GUEDJ observe que M. MANIER n’est pas allé au camp de BUKAVU mais de KASHUSHA. L’accusé explique qu’il est effectivement passé par BUKAVU pour aller au camp de KASHUSHA après la demande de Me GUEDJ. Quant à la contradiction de la témoin sur la mort du bourgmestre NYAGASAZA, la témoin réitère la véracité des propos d’aujourd’hui.
Audition de monsieur Fidèle MVUYUKURE, témoin cité par la défense, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité.
Il déclare qu’il connaissait M. MANIER à la gendarmerie de NYANZA sous son surnom BIGUMA. À ce moment-là il était chauffeur motard. Cependant il ne connaissait rien de ses fonctions ou de son grade en tant que gendarme. Entre avril et juillet 1994, pendant le génocide, il affirme qu’il ne l’a jamais rencontré à NYANZA. Le témoin a été condamné par les Gacaca[6] à 16 ans de prison pour avoir participé au fonctionnement d’une barrière à RWESERO. Il déclare l’avoir aperçu à bord d’un véhicule une fois à la barrière mais qu’il ne s’est pas arrêté et a continué sa route vers MUSHIRARUNGU. Quelques gendarmes se trouvaient à l’arrière de son véhicule mais ils ne se sont pas parlés et a tenu ses distances en raison du grade de l’accusé. Cette barrière avait été érigée à la demande du chef de la cellule RUDAHUNGA. Il avait entendu dire que le bourgmestre avait été tué mais n’a rien vu de ses propres yeux. Le témoin déclare qu’il était sur la barrière au mois de juin, avant sa propre fuite en juillet. Devant la Gacaca, le témoin affirme qu’il a plaidé coupable et qu’il vit désormais sans problème particulier à NYANZA. M. Le président le questionne sur la journée du 23 avril 1994 mais le témoin ne se souvient pas de cette date.
Me LOTTE, pour la défense, prend la parole pour questionner le témoin au sujet de ses liens avec plusieurs personnes. Il avait été informé de la mort du bourgmestre par Israël DUSINGIZIMANA. Edouard KABERA, son voisin, aurait été un menteur qui l’accusait. Le témoin connaît Matthieu NDAHIMANA qu’il aurait rencontré à la prison de NYANZA (NDR. Aujourd’hui MPANGA, prison financée par la coopération néerlandaise, construite aux normes internationales. Elle accueille des condamnés d’autres pays comme la SIERA LEONE ou le LIBERIA) . La défense n’a pas d’autres questions.
Les parties civiles et l’avocat général déclinent toute question.
M. le président fait lecture d’une déposition anonyme. Cette personne écrit que M. MANIER aurait été muté pour des infractions que M. MANIER aurait commise à MUYIRA.
L’audience est suspendue à 17h.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
2. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
3. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[↑]
4. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
5. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
6. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnels à partir de 2005 jusqu’en 2012, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réductions de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 15 novembre 2024. J9
17/11/2024
• Audition d’Odoratta MUKARUSHEMA, épouse du chauffeur de la gendarmerie.
• Audition de Didace KAYIGEMERA.
• Audition d’Eugénie MUREBWAYIRE.
• Audition de Françoise MUTETERI.
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Audition de madame Odoratta MUKARUSHEMA, citée par le CPCR, en visioconférence du Rwanda. Elle était l’épouse du chauffeur de la gendarmerie.
La témoin décline son identité et prête serment. Elle est agricultrice et fait du commerce ambulant. Elle déclare n’avoir pas de lien avec l’accusé mais avoir travaillé avec lui au moment du génocide.
La témoin désigne M. MANIER par son alias BIGUMA, c’est donc comme cela qu’il sera nommé dans le compte rendu de son audition.
L’adjudant chef BIGUMA était sous-officier d’unité dans la gendarmerie de NYANZA. Le mari de la témoin, Paul NIYONZIMA, était chauffeur de la gendarmerie et elle voudrait témoigner de ce que BIGUMA lui faisait faire. Elle a aussi été témoin elle-même de certains événements. À cette époque, elle était gendarme en congé maternité car elle venait d’accoucher. Elle explique qu’elle habitait près de la caserne avec son mari . Elle était Tutsi mais son mari était Hutu. Au moment du génocide, elle n’avait qu’un enfant et a réussi à se protéger et à cacher d’autres Tutsi chez elle. Elle était protégée car le capitaine BIRIKUNZIRA de la gendarmerie voulait protéger les femmes des gendarmes pendant le génocide. Ce dernier luttait au début du génocide pour maintenir la paix à NYANZA. Elle explique qu’elle n’avait aucun problème avec BIGUMA avant le génocide, et qu’il l’avait même aidée à emmener une femme enceinte jusqu’à l’hôpital avant le début du génocide.
Cependant il a changé de comportement à l’arrivée d’un Interahamwe[1] RUPANGU qui est venu lancer le génocide à NYANZA. Quand il est arrivé, des militants de la CDR[2] tenaient une réunion. Son mari venait de conduire des gendarmes qui avaient chassé des miliciens (Interahamwe) et RUPANGU lui demande pourquoi les gendarmes s’en prennent aux Hutu au lieu de tuer les Tutsi. Ainsi les chefs des Interahamwe envoient en renfort des militaires de l’école des sous-officiers.
Centre commercial près de le frontière du Burundi où NYAGASAZA a été arrêté. Le chemin descend vers la rivière AKANYARU.. Photo AG
Ces militaires arrivent dans la nuit du 21 avril et le lendemain le génocide a commencé. Ainsi le capitaine BIRIKUNIZIRA ne change pas de comportement mais BIGUMA se rebelle et commence à sortir pour aller tuer et piller. C’est son mari qui le conduit vers NTYAZO pour aller chercher le bourgmestre NYAGASAZA. Le sous préfet KAYITANA avait confié la mission à BIGUMA d’aller chercher le bourgmestre. Ce dernier a donc été arrêté à la frontière avec le Burundi alors qu’il aidait des réfugiés à fuir. Une fois arrivé à la gendarmerie, BIGUMA est sorti et est allé dans son bureau alors que son mari est resté à l’intérieur de la voiture. Ils se sont ensuite rendus à KIGARAMA dans un bois qui appartenait à NTASHAMAJE. Dans le bois, BIGUMA a ordonné au mari de la témoin de tirer sur le bourgmestre, ce qu’il a refusé de faire. BIGUMA est donc allé chercher un marteau mais le bourgmestre a supplié son mari de le tuer par balle, ce qu’un gendarme nommé MUSAFIRI a fait.
La témoin conteste l’enchaînement de l’assassinat du bourgmestre avec l’attaque de la colline de NYABUBARE. Elle dit que l’attaque a eu lieu le lendemain de cet événement. Cette attaque a été le point de départ des massacres dans MUSHIRARUNGU. Elle ne sait pas s’il y avait des civils dans la voiture. Son mari ne lui a pas précisé quelle arme avait été utilisée pour l’attaque de la colline mais elle a entendu des tirs de fusil et des grenades. Elle ne pense pas qu’un mortier ait été utilisé sur la colline de NYABUBARE, contrairement à l’ISAR SONGA[3].
Colline de NYABUBARE. Photo AG
Un autre jour, BIGUMA a demandé à son mari de tuer un Tutsi dans sa maison, ce qu’il a feint de faire en tirant en l’air. Tous ces faits lui ont été racontés par son mari mais elle a pu voir des camions passer sur la route de chez elle. À partir de NYABUBARE, son mari a arrêté de le conduire. Il ne s’est jamais rendu à NYAMURE lui-même mais la témoin a pu observer des choses. En passant devant chez elle pour aller sur la colline de NYAMURE, les gendarmes se sont arrêtés pour fouiller sa maison. Elle a empêché leur entrée chez elle en prenant un fusil. En revenant de cette attaque, ils se sont vantés d’avoir tué et pillé là-bas. Au sujet de l’ISAR SONGA, elle a entendu dire par des gendarmes qui y avaient participé qu’ils avaient utilisé le mortier. Elle déclare que c’est BIGUMA qui les a conduits là-bas.
En revenant de l’attaque de NYABUBARE, son mari a demandé à son commandant de ne plus l’autoriser à conduire BIGUMA car ils risqueraient de s’entretuer. Le sous-lieutenant NTAWIRINGIRA aurait joué un rôle prépondérant dans le génocide mais la témoin explique qu’il agissait indépendamment de BIGUMA. C’est François HABIMANA, rescapé de l’attaque de la colline de NYABUBARE, qui l’a désignée comme témoin.
M. le président demande à l’accusé s’il a quelque chose à répondre à ce témoignage. Il dit que la témoin n’était plus gendarme à ce moment-là, ce à quoi elle répond qu’elle était seulement en congé maternité. Il demande aussi à la témoin si elle sait à quel moment BIGUMA a quitté NYANZA. Elle répond qu’il est parti à la fin du génocide en mai et elle s’appuie sur un repère temporel particulier: elle dit que la femme de BIGUMA cachait une famille de trois Tutsi chez elle et que BIGUMA les a conduits en sécurité. Quand BIGUMA a été muté à KIGALI, sa femme a traversé une barrière et est allée les cacher chez quelqu’un vers la fin du mois de mai. Elle pense que BIGUMA a tué le père et a seulement laissé la vie sauve aux deux enfants. M. le président demande par quelle logique est-il possible qu’une personne tue et sauve des Tutsi. Elle explique qu’il s’agissait des enfants d’une famille d’amis. L’accusé prend la parole pour donner sa version de cet événement. Selon lui, cet ami d’enfance l’aurait appelé pour lui dire qu’il se sentait en danger. Au moment où il est arrivé chez lui, il avait déjà disparu et il a donc pris ses enfants pour les mettre en sécurité.
Me PHILIPPART prend la parole pour questionner la témoin. Elle répond qu’elle a changé sa carte d’identité avant d’entrer à la gendarmerie et qu’elle mentionnait l’ethnie Hutu[4]. Elle pouvait se promener pendant le génocide grâce à sa carte de service de la gendarmerie et se protégeait avec son fusil. Elle est passée par la barrière Akazu k’amazi, celle de KIGARAMA, des Burundais, de RWABUYANGE et celle des pygmées. Elle n’a jamais vu elle-même des assassinats à la barrière mais elle sait qu’elles étaient érigées pour tuer. Son mari a notamment récupéré une femme qui avait été jetée dans une fosse sceptique. Elle sait aussi que pas loin de la barrière de l’Akazu k’amazi, il y avait une maison dans laquelle on rassemblait les femmes Tutsi pour les violer.
Maison de Boniface sur la barrière Akazu k’amazi. Photo AG
La témoin et son mari étaient témoin des encouragements de BIGUMA aux personnes aux barrières. Elle-même a été témoin des agissements de CESAR, KATCHEUR, HAVUGIMANA. Elle a déjà vu BIGUMA chez elle au moment où il a reçu son ordre de mutation à la fin du mois de mai car il cherchait une bâche pour couvrir les biens qu’ils avait pillés pour les emmener dans sa région natale. C’est l’escorte de BIRIKUNZIRA qui l’ avait informé que BIGUMA avait été muté.
Me EPOMA questionne maintenant la témoin. Elle explique qu’elle appelle l’accusé « l’adjudant chef BIGUMA » car quand elle arrivée à la gendarmerie c’est comme cela qu’il était appelé par tout le monde. Elle ne connaissait pas son vrai nom avant son procès.
Me GISAGARA demande si au moment de l’arrestation du bourgmestre NYAGASAZA, son mari a pu voir d’autres Tutsi massacrés dans la zone. Elle répond qu’elle n’a pas d’autres informations.
C’est au tour de l’avocate générale de prendre la parole. Elle demande si son mari lui a parlé du conseiller de secteur Israel. Elle dit que non. La témoin confirme ensuite que l’attaque de la colline de NYABUBARE a eu lieu le lendemain de l’assassinat du bourgmestre mais qu’elle ne saurait parler d’une date exacte. L’avocate générale mentionne le témoignage de Justin MABANO et l’interroge sur leurs liens. La témoin explique que la famille de cette personne se cachait chez elle et que ce dernier attribuait l’assassinat du bourgmestre à BIGUMA et non à son mari (qui a finalement été gracié en 2000). Elle précise ensuite que les deux enfants Tutsi cachés par la femme de BIGUMA n’ont pas été conduits à KIGALI mais chez le comptable à NYANZA.
Me LOTTE, pour la défense, demande pourquoi la témoin n’aurait pas abordé, en première instance, l’attaque à son domicile par les Interahamwe avant de partir pour l’attaque de NYABUBARE. M. le président fait remarquer qu’il n’est pas correct de s’appuyer sur les transcrits du CPCR pour poser ce type de question car il n’y a pas de fondement tangible. Me LOTTE demande combien étaient les interahamwe lors de l’attaque et s’ils étaient armés. Elle répond qu’ils étaient nombreux mais armés seulement d’armes traditionnelles. Sur RUPANGU, la témoin affirme que personne ne pourrait témoigner à son sujet car beaucoup sont morts.
Audition de monsieur Didace KAYIGEMERA, cité par l’accusation.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin était gendarme à Nyanza en tant que caporal de semaine ce qui veut dire d’intendance de nourriture, propreté..
M. le président rappelle que le témoin avait été auditionné par le TPIR[5], la gendarmerie française en 2016, puis en 2019 pour donner des informations. Il se souvient être arrivé au camp de la gendarmerie en 1993. Il dit que les massacres n’ont pas atteint NYANZA pendant les deux premières semaines grâce aux efforts de BIRIKUNZIRA. Il précise que les nordistes étaient appelés les BAKIGA. Pendant cette période, il témoigne que BIGUMA était du côté des extrémistes mais n’a pas eu l’occasion de faire des massacres pendant ces deux premières semaines en raison du commandant BIRIKUNZIRA qui l’en empêchait.
Il se souvient que BIGUMA lui avait dit « j’espère que tu vas bien à la messe et pas autre part » sous-entendant des rassemblements politiques. Concernant le changement d’attitude de BIGUMA en avril, il explique que c’est l’arrivée du colonel MUVUNYI qui l’a provoqué. BIGUMA n’était pas menacé par sa hiérarchie car il était de leur côté. Avant mi-avril? le capitaine BIRIKUNZIRA avait fait ériger des barrières notamment celle de MUGANDAMERE pour contrôler les Interahamwe. Le témoin n’avait pas modifié sa carte d’identité pour entrer à la gendarmerie. Les militaires ont été accueillis par le capitaine BIRIKUNZIRA avec la présence de BIGUMA. Ces militaires ont déclenché les massacres et les gendarmes de Nyanza, notamment BIGUMA, ont pris le relais.
BIGUMA était souvent accompagné du sous-lieutenant Jean de Dieu et de nombreux autres. Le lieutenant DUSABE n’était pas très présent. Le témoin ne connaît pas RUPANGU. Il explique qu’aucun gendarme n’a été exécuté en raison de son appartenance tutsi. Durant le génocide il est resté dans le camp pour exercer ses fonctions. M. le président demande au témoin de revenir sur NYAGASAZA. Le bourgmestre a été pourchassé à NTYAZO puis emmené à la gendarmerie en voiture Toyota blanche et assassiné à REWESERO. Il ne se souvient pas de la présence d’autres Tutsi. Il explique que le bourgmestre GISAGARA aurait aussi été capturé. Il dit aussi que NYAGASAZA avait été tué car BIGUMA avait dit qu’on ne pouvait pas tuer un inyenzi[6] en en transportant un autre. Il ne sait pas exactement qui a tué NYAGASAZA mais il l’a vu partir et ne pas revenir. Le témoin n’a pas plus d’informations sur la suite des événements.
M. le président précise que la cour n’est pas saisie du meurtre du bourgmestre GISAGARA car l’accusé a bénéficié d’un non-lieu. Le témoin explique quand même ce qu’il aurait vu. BIGUMA l’aurait emmené en compagnie d’autres gendarmes, ligoté dans la voiture. Ils auraient fait le tour de la ville de NYANZA et MUSAFIRI lui aurait donné un coup de lance dans le ventre. Le témoin n’a pas d’information sur le rôle de BIGUMA sur les barrières. Dix Tutsi auraient été exécutés car il a vu les cadavres de dix hommes avec des impacts de balle. Ce serait KATCHEUR qui les aurait abattus après que BIGUMA les eut emmenés là-bas en quittant la gendarmerie. Ces corps ont été inhumés dans les bois.
Concernant les barrières, le témoin déclare que c’est BIGUMA qui aurait transformé les points de contrôle en barrières car il s’en vantait à la cantine de la gendarmerie.
S’agissant de l’ISAR SONGA[3], vingt gendarmes sont arrivés en voiture, encadrés par BIGUMA, ils ont pris un mortier et sont partis pour la colline. C’est BIGUMA qui a fait fonctionner le mortier en personne car ils s’en vantaient tous quand ils revenaient. Au sujet de la mutation de BIGUMA à Kigali, il dit qu’il est parti au mois de mai car il a été remplacé par un certain MUBANO qui était aussi arrivé au mois de mai.
M. MANIER a déclaré que ce témoin avait été préparé, ce que ce dernier conteste formellement. Il a témoigné de ce qu’il a vu..
Me MARIE, avocate du CPCR, prend la parole pour demander si le témoin distinguait bien BIGUMA de BIRIKUNZIRA, physiquement. Réponse affirmative du témoin. Ce dernier déclare ensuite être parti de la gendarmerie à la fin du mois de mai, au même moment que BIGUMA.
Madame l’avocate générale questionne maintenant le témoin. Elle demande si la fin du génocide mentionnée par le témoin fait référence à la fin du génocide à NYANZA, et il répond par l’affirmative. Ainsi c’est quand le FPR[7] est arrivé à NYANZA que le témoin a quitté son poste. C’est donc fin mai 1994 qu’il situe la mutation de l’accusé.
Me LOTTE, pour la défense demande au témoin s’il est possible que l’accusé ne se souvienne pas de lui. Ce qu’il répond quand c’est impossible. Le témoin déclare ensuite qu’il n’avait pas de relations avec TESIRE. Elle explique aussi qu’elle ne se souvient pas des dates exactes du début et de la fin des actes génocidaires à NYANZA. Le témoin déclare e pas avoir d’information sur des viols pendant le génocide.
Audition de madame Eugénie MUREBWAYIRE, citée par les parties civiles, en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.
Mémorial de Nyanza. Photo AG
Madame Eugénie MUREBWAYIRE, pendant trois heures, va raconter les journées qu’elle a vécues à NYANZA, dès le début des massacres. Son récit, entrecoupé de pleurs, entraîne le jury et les personnes qui sont dans la salle dans un monde marqué de tant d’horreurs dont on se demande comment une jeune fille de 12 ans a pu survivre. Elle va décrire dans le détail la mort des siens, les différents lieux où elle a pu trouver un refuge.
Toutefois, monsieur le président, au bout de deux heures, interrompt le témoin pour lui demander quel lien cela peut-il bien à voir avec l’accusé BIGUMA. Il rappelle que, lorsqu’un témoin n’a pas été entendu pendant l’instruction, il est obligé de jouer le rôle du juge.
Devant la longueur du récit et l’abondance des détails, l’avocat de la défense Alexis GUEDJ intervient en élevant la voix et en hurlant « Cinéma ». De tels propos choquent monsieur SOMMERER, les avocats, les parties civiles et l’assistance. Dans un brouhaha déclenché par cet incident malheureux, monsieur le président suspend l’audience. A la reprise, maître GUEDJ tentera bien de revenir à la raison en exprimant de la « compassion » pour le témoin et les victimes de sa famille. Cela ne suffira pas pour dissiper le malaise causé par un tel comportement.
Madame l’avocate générale ne prendra la parole que pour remercier le témoin. Son témoignage a permis de souligner le rôle de la gendarmerie.
Audition de madame Françoise MUTETERI, citée par les parties civiles, en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.
« Avant le génocide, je voulais poursuivre des études mais ce ne fut pas le cas. Mon père était enseignant et je ne comprenais pas la situation. Il m’a fait comprendre que c’était parce que j’étais Tutsi. Il m’a inscrite dans une école privée. En 1992, alors que je me rendais à la messe, j’ai été arrêtée à la barrière de KAVUMU, chez PREMIER. Comme j’avais oublié ma carte d’identité, les gendarmes m’ont fait assoir par terre. Un vieux monsieur est allé alerter ma mère qui m’a fait parvenir le document. »
« Après l’attentat du 6 avril 1994, mon père a demandé au directeur de l’école où il enseignait s’il pouvait nous héberger dans son établissement. Il a refusé, prétendant qu’il réservait les locaux aux femmes des gendarmes qui arrivaient de KIGALI. »
Le 21 avril, toute la famille se rend chez un ami de la famille, monsieur RUTAYISIRE, dont la femme était Hutu. Le 22, alors que la maîtresse de maison préparait le petit déjeuner, on frappe à la porte. Lorsque le témoin va ouvrir, des gendarmes se précipitent dans la maison. Ils ont demandé à tous ceux qui étaient là d’aller s’assoir dehors. Le témoin s’était couchée entre sa mère et sa sœur.
« Ma mère leur a demandé de nous laisser prier. J’avais dans la poche un nouveau testament. Ma mère s’est mise à genou: les gendarmes ont ouvert le feu et ma mère est tombée. J’ai personnellement reçu une balle dans le dos. J’ai été la seule à avoir la vie sauve. La population est entrée pour piller tout ce qu’elle pouvait dans la maison. Les gendarmes sont alors repartis. »
Les corps commençaient à enfler. « Le corps de ma mère contre laquelle j’étais devenait lourd. Une femme est arrivée et a dit qu’il n’y avait aucun survivant. Je me suis signalée et j’ai demandé à la femme de me sauver. Elle m’a soulevé en surveillant les alentours. Elle m’a d’abord cachée dans les toilettes puis m’a conduite chez elle. Mon corps était souillé de sang: le mien, celui de ma mère, celui de ma sœur. Les tueurs avaient fracassé la tête de ma mère. Le soir, son mari est entré, il ne voulait pas de Tutsi chez lui. Son mari lui a dit que ma mère était infirmière et qu’elle avait déjà soigné la famille. Le mari m’a indiquait un bois dans lequel d’autres Tutsi se cachaient.. »
Sur le chemin, le témoin rencontre un jeune Tutsi, Eric: elle lui demande de l’accompagner. Avec d’autres enfants, ils vont passer la nuit sous la pluie. Le lendemain, des Interahamwe[1] sont venus les attaquer; Françoise MUTETERI reste allongée sur le sol pour ne pas éveiller les soupçons des tueurs. Ayant réussi à se lever, elle va trouver refuge chez une vieille qui va la cacher sous son lit. Cette vieille femme hutu va se comporter comme une maman pour la jeune fille.
Lorsque des « chasseurs » sont revenus chez la vieille dame, cette dernière a eu l’idée de la cacher dans un trou qui avait été creusé pour faire mûrir les bananes (NDR. Pour fabriquer la bière de banane, urgwagwa, il faut creuser un trou dans lequel on va faire brûler des feuilles pour chauffer la terre. On enterre alors les bananes jusqu’à maturité. Mélangées à une herbe spéciale, elles vont être écrasées afin d’en extraire un jus qu’il faudra laisser fermenter quelques jours. On obtient de la bière ou du vin de bananes. »
Le témoin va rester là longtemps. La vieille dame venait la nourrir. Elle venait aussi s’assoir près d’elle, dans la journée alors que les tueries continuaient. A un moment, comme elle souffrait beaucoup à cause de la balle qu’elle avait reçue dans le dos, elle a souhaité quitter sa cachette, quitte à être tuée. Un serpent est même entré dans le trou: « Il aurait mieux valu que je meure sous sa morsure » ajoutera le témoin.
La nuit, les assaillants se reposaient aux barrières. « Lorsque les Inkotanyi[8] sont arrivés, la vieille femme a fui en me laissant sur place ». On entendait le crépitement des balles. Dans la soirée, la vieille dame est revenue. Comme elle n’avait pas pu fuir les soldats du FPR, elle leur avait dit qu’elle cachait une jeune Tutsi. « J’ai cru qu’elle était revenue avec des Interahamwe » dira le témoin.
Les soldats du FPR vont conduire Françoise au camp de MUGANDAMURE où elle va être soignée. Elle sera ensuite conduite chez un médecin chez qui elle va vivre. Ce dernier va la soigner et extraire la balle qu’elle avait encore dans le dos. Comme elle allait mieux, le témoin a été conduite là où on avait enterré les corps des siens. Elle retrouvera le corps de sa maman dans la position où elle avait été tuée: à genoux. Elle est la seule survivante de sa famille.
Son avocat lui demande comment elle va.
« Il est difficile de s’adapter à la vie d’après. Nous avons voulu avoir des enfants qui nous interrogent sur nos ascendants. Pourquoi cela a-t-il eu lieu? Mon fils a écrit un mémoire sur le génocide. Ces blessures, nous les porterons toute notre vie. Je suis suivie par un psychiatre israélien et un rwandais. Mon mari est décédé peu de temps après notre mariage. Nous avons de la chance parce que notre pays nous comprend. Un fond a été créé pour nous aider. » Et de terminer en remerciant la France qui aide les survivants.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Coline BERTRAND, stagiaire
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
2. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
3. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑][↑]
4. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[↑]
5. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
6. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[↑]
7. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
8. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 18 novembre 2024. J10
19/11/2024
• Audition de Jean-Baptiste MUHIRWA.
• Audition de Nathaniel NTIGURIRWA.
• Audition de Sabine UWASE, partie civile.
• Audition de Yvette NIYONTEZE, partie civile.
• Audition de monsieur MUNSI (NZAPFAKUMUNSI avant sa naturalisation).
• Interrogatoire de l’accusé.
________________________________________
Audition de monsieur Jean-Baptiste MUHIRWA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Avant l’audition du témoin, monsieur le président dit avoir versé au dossier une lettre de l’avocat de monsieur NZAPFAKUMUNSI qui sera entendu en fin de journée. Cet avocat prétend que le CPCR a déposé une plainte contre son client. Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, dit qu’il n’en est rien. Ce qu’elle redira lorsque monsieur MUNSI (son nom depuis sa naturalisation) sera entendu en fin de journée.
Le témoin a purgé une peine de 13 ans de prison pour avoir tenu une barrière à RWESERO. Il dit avoir vu BIGUMA une fois à cette barrière: il s’étonnait qu’aucun Tutsi n’ait été arrêté. Monsieur MUHIRWA commence son audition par ces mots: « Ce que je porte dans le cœur »: l’accusé continue de compliquer la tache de la Cour alors que je l’ai vu venir à la barrière Akazu k’Amazi à RWESERO ».
Maison de Boniface sur la barrière Akazu k’amazi. Photo AG
Le témoin, comme le rappelle le président, a plaidé coupable et demandé pardon pour la mort d’une vingtaine de Tutsi enfermés dans la maison de Boniface CYUMBATI, massacres commandités par BIGUMA. Monsieur MUHIRWA dit être resté trois jours à cette barrières après l’exécution des Tutsi. Il dit connaître l’accusé comme adjudant-chef de la gendarmerie: c’est lui qui délivrait les permis de conduire. BIGUMA ne faisait que passer aux barrières qu’il contrôlait. Il reprochait à ceux qui tenaient la barrière de ne pas avoir arrêté de Tutsi. C’est lui qui nous a ordonné de tuer les Tutsi enfermés chez Boniface. Le responsable de la cellule était Straton RUDAHUNGA.
Ils ont conduit les Tutsi hors de la maison et les ont tués à coups de gourdin et de bâton. Tout cedi en présence d’un gendarme qui frappait les victimes avec la crosse de son fusil. Si le témoin n’a évoqué cet épisode que lors de la reconstitution des faits, c’est, dit-il, que « cela (lui) avait échappé lors des deux premières auditions ». Propos qui ne manquent pas d’étonner monsieur le président: comment oublier un événement pareil!
Lors de l’exécution, BIGUMA n’était pas présent. Il était reparti après avoir donné l’ordre d’exécuter les Tutsi. Il avait même ajouté qu’il punirait le gendarme s’il retrouvait les Tutsi dans la maison à son retour. En réalité, c’est vingt-huit personnes qui ont été massacrées. Elles n’avaient ni mangé ni bu pendant toute la durée de leur détention. C’était des Tutsi de RWESERO, hommes, femmes, enfants et vieillards. Il connaissait lui-même un certain BUKOBA et sa famille. S’il n’a pas reconnu BIGUMA sur la planche photographique qui lui avait été présentée, c’est parce qu’il ne l’avait vu que deux fois.
Sur question de l’avocat général, le témoin dit que BIGUMA n’a pas distribué d’armes à cette barrière. Les Tutsi ne passaient plus par là, raison pour laquelle ils n’avaient arrêté personne.
Parole est donnée à la défense. Maître GUEDJ s’étonne que le témoin n’ait été condamné qu’à treize ans de prison pour le massacre d’autant de personnes. Ce dernier répond qu’il avait plaidé coupable. Condamné à treize ans par la gacaca[1] de RWESERO, il a été aussitôt libéré car il avait accompli sa peine au moment du jugement.
L’avocat de la défense s’étonne qu’on puisse oublier un tel crime quand on a tué des enfants. « Vous avez prêté serment. Vous avez compris ce que ça veut dire? Vous n’êtes pas gêné? » poursuit l’avocat.
Maître DUQUE interroge le témoin à son tour. Elle veut savoir si d’autres personnes étaient avec lui lors de la reconstitution des faits. Le témoin donne plusieurs noms: KABERA, MUSHITSI, LAMECK et d’autres. (LAMECK est cité par l’accusation fait remarquer maître GUEDJ)
À ce stade, monsieur le président lit l’audition de Elie MUSHITSI en date du 4 mars 2017. Maître GUEDJ fait remarquer au président qu’il regrette qu’on puisse lire l’audition d’un témoin à charge qui n’a pas été cité, mettant en doute l’objectivité du président.
Monsieur SOMMERER fait savoir que toutes les parties peuvent demander de citer cinq témoins. Il peut faire citer des témoins selon son pouvoir discrétionnaire. Personne ne lui a demandé de faire citer monsieur MUSHITSI.
Audition de monsieur Nathanaël NTIGURIRWA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment. BIGUMA aurait distribué des armes qui ont été utilisées pour tuer les Tutsi. En 1994, le témoin avait 15 ans. Il est hutu et a déjà été condamné à un an et demi de prison pour avoir participé aux attaques dans sa cellule, en ayant été aux barrières et tué des Tutsi. Le chef des Interahamwe[2] KARIEGE, son supérieur, aurait participé à une réunion et lui aurait raconté ce qu’il s’y était passé. Selon lui, Augustin NDINDILIYAMANA[3] avait déclaré que tous les Tutsi devaient être tués mais le plus virulent dans ces propos était BIGUMA.
Dans son témoignage pour le TPIR en 2003, le témoin explique que le 21 avril 1994, il a vu BIRIKUNZIRA et BIGUMA dans le stade aux côtés d’une camionnette rouge. Le témoin répond qu’il n’est pas allé directement à cette réunion au stade, contrairement à ce qu’il a dit dans ses anciennes dépositions. C’est Ildephonse KARIEGE qui a expliqué au témoin ce qui avait été dit pendant cette réunion. En 2019, il expliquait déjà que son témoignage devant le TPIR avait été mal traduit et qu’il était resté en dehors du stade. Il confirme que BIGUMA aurait donné une Kalachnikov à KARIEGE à la barrière de KAVUMU-GAHONDO.
Emplacement de la barrière de KAVUMU à l’entrée de Nyanza. Photo AG
Ce jour-là, BIGUMA ne serait pas sorti de son véhicule une seule fois et le témoin aurait vu cela alors qu’il était sur la barrière. M. le président rappelle à la cour que le témoin n’avait pas réussi à identifier BIGUMA, ce à quoi il réplique qu’il n’avait pas reconnu BIGUMA sur la photo car ce dernier avait vieilli. Le témoin n’avait pas reconnu BIGUMA directement sur le moment mais c’est KARIEGE qui lui avait dit qu’il s’agissait de BIGUMA. Ce dernier est arrivé par l’autre barrière à la recherche de son conseiller, il est allé à son domicile mais ne l’a pas trouvé ce jour-là. Par la suite, le conseiller s’est réfugié à BUTARE, BIGUMA l’a poursuivi jusque là et l’aurait assassiné à RUHANGO.
L’avocat général prend la parole pour interroger le témoin.
« Dans notre secteur, KARIEGE était le chef de la CDR[4] et on lui avait donné une arme pour tuer les Tutsi ». Le témoin avait une relation de confiance avec KARIEGE et faisait partie de son escorte. La réunion qui avait eu lieu avec BIGUMA au stade était audible de l’extérieur et le témoin a entendu les propos de BIGUMA, notamment la manière dont il fallait tuer les Tutsi. C’est KARIEGE qui lui aurait ensuite précisé qu’il s’agissait de BIGUMA.
Me DUQUE, pour la défense, demande si le témoin était libre lorsqu’il a témoigné pour le TPIR, ce qu’il confirme. Le témoin explique qu’il a été emprisonné 7 ans puis qu’il a été condamné à 1 an et demi devant le tribunal. Elle revient aussi sur la réunion et les détails apportés par le témoin au moment de ses premières auditions. Le témoin rappelle que c’est KARIEGE qui lui a raconté tous ces détails. Par ailleurs, le témoin dit n’avoir vu BIGUMA qu’une seule fois en face à face dans son village et qu’après cela il ne l’a plus revu. Me DUQUE souligne que le témoin a déclaré qu’il ne pourrait pas décrire BIGUMA car il était resté dans sa voiture, mais qu’il disait l’avoir vu plusieurs fois avant le génocide.
À la fin de cette audition, monsieur le président propose de lire les auditions de plusieurs témoins, dont monsieur KAMONYO à propos duquel le CPCR a fourni une attestation jointe à la plainte. Maître GUEDJ intervient alors et ose une remarque: « J’aurais aimé poser une question à ce témoin: est-ce que le CPCR vous a dicté votre réponse? » ( NDR. On soulignera une fois de plus l’état d’esprit de l’avocat de la défense qui ne manque pas une occasion de s’en prendre au CPCR!) Il ira jusqu’à reprocher au président de lire des témoignages qu’il a choisi lui-même. Cette remarque laisse monsieur SOMMERER incrédule.
Autres lectures: audition de monsieur KAMUGA entendu par le TPIR[5], de monsieur RUBAGUMYA, partie civile et une autre dont je n’ai pas retenu le nom. Tous mettent en cause BIGUMA.
Audition de madame Sabine UWASE, cité par les parties civiles, partie civile.
Ses parents habitaient à NYANZA avec ses cinq frères et sœurs. Son père RWABUYONZA Jean, était juge et sa mère NABANA Thérèse, enseignante à l’école primaire. En 1994, elle a 16 ans.
En 1990, les choses ont commencé à aller de plus en plus mal pour sa famille. Son père est notamment arrêté car il est accusé d’être un complice du FPR. Il sort de prison quelques mois plus tard. Un jour, il décide d’aller visiter sa famille en dehors de NYANZA et il est de nouveau arrêté. Il restera en prison une année entière.
Au déclenchement du génocide, le 21 avril, des gendarmes de NYANZA font une réunion dans laquelle ils déclarent qu’il faut tuer tous les Tutsi. Les habitants ont commencé à avoir peur, Hutu et Tutsi confondus ont quitté leurs maisons et les familles se sont séparées. La témoin va donc chez ses grands-parents. Son petit frère les rejoint une nuit car il fuyait les Interahamwe[2].
Le deuxième jour, les Interahamwe viennent dans la cour et son petit frère de 8 ans est emmené par un des miliciens. On lui donne gourdin et machette Après cela, elle va à la brigade avec ses grands-parents en pensant qu’ils y seraient protégés. En fait, ils sont emprisonnés sans eau et chaque demi-journée, des gendarmes viennent prendre des petits groupes pour les emmener au stade et les tuer. Un gendarme l’emmène sans explication dans un bureau un après-midi, après quoi toute la prison a été vidée et les Tutsi ont été emmenés au stade où ils ont été exécutés. Un gendarme prend pitié d’elle et décide de la faire sortir de la gendarmerie pour se cacher. Elle était cachée dans la maison de la femme d’un soldat dans laquelle elle a pu entendre beaucoup de choses. Elle a notamment entendu des gendarmes se vanter régulièrement des viols qu’ils avaient commis. Elle quitte cette maison après le départ de la femme du soldat qui l’accueillait et est cachée dans une autre maison. Elle est reconnue a MUHANGA (alors GITARAMA) mais elle nie être une enfant de NYANZA.
M. le président lui demande si elle est aujourd’hui la seule survivante de sa famille, ce qu’elle confirme. Sa mère est ses sœurs ont été tuées a Kavumu. Son petit frère de 8 ans est parti jusqu’à GIKONGORO où on lui a tiré dessus. Concernant ses grands-parents, ils ont été tués chez eux. La témoin ne se souvient pas avoir vu l’accusé.
Les grand-parents de Sabine UWASE : Aloys GAKUMBA et Costasie NYIRUMURINGA
Des photos de sa famille sont affichées. Le chemin qu’elle a parcouru à pied est retracé sur une carte.
Sur question des parties civiles, la témoin explique qu’elle n’a retrouvé que le corps de son père. Sa maison a été complètement détruite. La témoin est maintenant avocate.
L’avocate générale pose maintenant des questions sur le père de la témoin. Elle note que sa persécution correspond aux écrits sur la persécution du personnel de la justice dans les années 90.
La défense ne pose pas de question.
Audition de madame Yvette NIYONTEZE, cité par les parties civiles, partie civile.
Le témoin commence par dire qu’elle n’avait que dix ans en 1994. C’est à l’école qu’elle a appris qu’elle était Tutsi. Ses parents n’avaient jamais abordé la question pour protéger leurs enfants. Elle affirme que des gendarmes sont venus perquisitionner leur maison dans les années 1990, à la recherche des Inyenzi et de leurs complices. Avant le génocide, les gendarmes étaient présents lors des meetings politiques.
Dès l’attentat contre l’avion, des membres de sa famille leur apprend qu’à KIGALI on a commencé à tuer des Tutsi. À NYANZA, les massacres ne commenceront qu’autour du 20 avril. À partir de ce moment-là, ils ne dormaient plus chez eux, ne revenant que le matin. Pour éviter d’être tués ensemble, ils avaient pris la décision de se disperser. Le témoin s’est réfugiée chez sa marraine mariée à un Hutu. Mais des Interahamwe l’ont reconduite chez elle où elle est restée seule. Le soir des gendarmes et des Interahamwe ont frappé à la porte. A cause de la peur elle n’a pas pu ouvrir: un gendarme a tiré un coup de feu dans la serrure. Le gendarme ou le militaire voulait téléphoner: il recherchait les hommes de la famille. Il règlerait son compte après. Le militaire l’a confiée à un voisin, directeur d’une école. Il reviendrait pour la tuer.
Lors de son séjour dans cette maison, qui a duré deux semaines, madame NIYONTEZE dit avoir recueilli beaucoup d’informations. Une barrière était érigée en face de la maison où elle se trouvait. Elle entendait les Interahamwe raconter comment ils avaient tués des membres de sa famille.
À un moment, on a fait courir le bruit qu’on ne tuait plus les femmes et les filles: un leurre pour les faire sortir de leurs cachettes. Monsieur le président demande si cela correspond à ce qu’on a appelé « la pacification ». Le témoin dit qu’elle n’a jamais entendu parler de cela, qu’elle ne connaît même pas le mot.
Lorsque d’autres tueurs sont arrivés en renfort, on l’a cachée dans le faux plafond d’où elle pouvait voir ce qui se passait dans la maison. L’attaque était dirigée par des gendarmes. Un Interahamwe a prétendu que j’étais cachée dans cette maison, mais son protecteur a nié. « C’est lui qui m’a révélé le nom de BIGUMA » précise-t-elle. On parlait partout de lui, on disait que c’est lui qui avait fait ériger les barrières partout dans NYANZA. « C’est ce jour-là que ma grande sœur a été tuée, mais je ne sais pas par qui, ainsi que la tante de ma mère » révèle-t-elle. C’est ce jour-là qu’elleva quitter NYANZA. Aujourd’hui, elle ne peut pas reconnaître l’accusé.
On projette alors des photos des membres de sa famille, à la demande de son avocat, les quelques photos qui ont été sauvées. Madame l’avocate générale remercie madame NYONTEZE pour son témoignage.
Sur question de maître DUQUE, le témoin donne le nom du militaire qui voulait la tuer: il s’agissait de KAZUNGU. Elle fait remarquer au témoin que même si elle a vu BIGUMA à GUISHITSI, là où elle habitait, il n’est pas poursuivi pour ces faits. Elle s’étonne que le témoin puisse accuser BIGUMA alors qu’en première instance, elle avait dit qu’elle était « jeune malade, cachée dans un faux plafond« .
« Beaucoup de gens le connaissaient. J’ai beaucoup entendu parler de lui » conclut-elle.
Monsieur le président donne lecture de l’audition d’un autre témoin entendu lors de l’instruction: Callixte MUNYANGENYO. « Il parle souvent d’un certain BARAHIRA, mais pas de BIGUMA » fait remarquer la défense. L’avocat général lui fait remarquer qu’elle ne lit pas tout… ( NDR. Ce qui n’est peut-être pas très honnête!)
Puis lecture est faite du mail de l’avocat de monsieur MUNSI adressé le matin même au président. Occasion est donnée à maître PHILIPPART de redire que le CPCR n’a pas déposé de plainte contre lui.
Audition de monsieur MUNSI ( NZAPFAKUMUNSI avant sa naturalisation)
Le témoin connaît l’accusé depuis quarante ans car c’était un grand sportif connu de tous. Ce n’est pas son ami, une simple connaissance. D’évoquer ensuite les grandes étapes de sa carrière professionnelle. Il participe, entre autres à des réunions, dès le 6 avril au soir, avec BAGOSORA[6]. Il s’agissait de mettre en place un plan de défense pour le cas où le FPR[7] romprait le cessez-le -feu. Il n’a pas vu BIGUMA pendant le génocide, pas vu pendant « la guerre de 1994« dit-il.
Il n’a pas le souvenir que le colonel RUTAYISIRE ait été vraiment menacé. Ce qui l’étonne, par contre, c’est qu’un simple sous-officier ait pu être nommé comme membre de sa garde personnelle. Il ne conçoit pas non plus que la gendarmerie ait pu être mise en cause pour son comportement pendant le génocide. Pour lui, c’est FAUX! Peut-être que des membres isolés de la gendarmerie se sont mal comportés! Et puis, il y avait à NYANZA des gendarmes tutsi qui n’ont pas été tués. (NDR. CQFD)
Selon lui, la gendarmerie a probablement donné des ordres pour assurer la sécurité de la population. C’est ce qui a été fait à CYANGUGU. NDINDILIYIMANA a du le faire, d’ailleurs, en tant que chef d’État major de la gendarmerie. ( NDR. Affirmation totalement gratuite, sans preuve à l’appui). Quant à donner l’ordre d’arrêter les tueries, c’était de la responsabilité du gouvernement! Etonnant, il n’a pas entendu le discours du président SINDIKUBWABO, discours qui mettait à feu la préfecture de BUTARE[8]. ( NDR. Qui peut le croire? Comment peut-il dire qu’il a entendu parler de ce discours « longtemps après« ?)
Sur questions de plusieurs avocats des parties civiles, il dit qu’à RUHENGERI et KIBUNGO, deux places qu’il connaît bien, la gendarmerie n’avait pas de mortier. Du témoignage de Jean VARRET[9], il ne sait rien! Si des gendarmes ont été impliqués dans des tueries, « c’est grave« . D’ailleurs, il ne sait pas ce qui s’est passé à NYANZA.
Allusion ensuite à l’épisode de l’arrestation des « complices ». Il atteste l’attaque du FPR dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990 sur KIGALI (NDR. Tout le monde sait que c’était une fausse attaque pour organiser l’arrestation des supposés complices du FPR.)
S’il a changé de nom lors de sa naturalisation, c’est parce qu’on lui avait remarquer qu’il portait un nom compliqué à prononcer (NDR. On peut légitimement sourire). Lors de sa demande d’asile, il n’a pas jugé bon cacher le fait qu’il avait été gendarme, contrairement à l’accusé. D’autre part, s’il n’a pas signé la déclaration des officiers de KIGEME qui demandait le ralliement au FPR, c’est parce qu’il n’en a pas eu connaissance. Sinon, il l’aurait signée.
Les avocats généraux le questionnent sur NYANZA. Il ne peut rien dire, il ne sait pas ce qui s’est passé là-bas.
La défense lui fait dire qu’on le considérait comme un pro-FPR et qu’il était menacé. Il se considère comme un « modéré » dans le paysage politique de l’époque.
L’accusé sera ensuite amené à réagir aux témoignages du jour. Il les conteste tous, évidemment. Il déclare qu’« ils sont en mission pour moi » et qu’ils sont sous pression.
Sur le témoignage du dernier témoin et le « prestige » de sa fonction:
L’accusé affirme que c’est le commandant d’unité qui était à la tête des opérations et que lui-même n’avait qu’un rôle de secrétaire. M. Le président observe qu’il est étonnant que M. MANIER ait été affecté à la garde d’un colonel et non muté au front au vu de son expérience sur le front entre 1990 et 1993.
Au regard de la dissimulation de son rôle dans la gendarmerie dans son dossier OFPRA, l’accusé explique qu’à ce moment-là il avait été mis en garde et qu’il a suivi ce conseil. Au sujet de la responsabilité de la gendarmerie dans le génocide il affirme que c’était la « débandade » et que l’autorité militaire n’existait plus. Il dit aussi que c’est BIRIKUNZIRA qui aurait dû être responsable du maintien de l’ordre. Il explique enfin que le camp dans lequel il serait allé le 19 avril était tellement grand que cela explique que personne ne puisse l’avoir reconnu et attester de sa présence.
Coline BERTRAND, stagiare
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
3. Voir l’audition d’Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef d’état-major de la gendarmerie, le 13 novembre 2024.[↑]
4. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
5. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
6. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.[↑]
7. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
8. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
9. Voir l’audition du général Jean VARRET, 8 novembre 2024[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 19 novembre 2024. J11
20/11/2024
• Audition de Jacques MUSABYIMANA.
• Audition d’Olivier KAYITENKORE, partie civile.
• Audition de Straton RUDAHUNGA.
• Audition de Jean-Baptiste HABINEZA, partie civile.
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Audition de monsieur Jacques MUSABYIMANA, condamné pour génocide et témoin direct des crimes auxquels se serait rendu coupable l’accusé, cité à la demande du ministère public. Entendu en visioconférence depuis Kigali.
La journée s’ouvre tardivement par le témoignage de monsieur Jacques MUSABYIMANA. Chauffeur indépendant en 1994, il était auparavant électricien. Il connaissait l’accusé car il s’occupait du réseau électrique des bâtiments publics et civils à NYANZA, dont le camp de gendarmerie. Il y a effectué des réparations. Le témoin a été condamné à 25 ans de prison pour génocide par la gacaca[1] de NYANZA, notamment pour sa participation à des meurtres et aux attaques de MUGONZI et de l’église de NYANZA.
Monsieur le président SOMMERER insistera durant toute la déposition pour revenir sur les différents éléments de manière chronologique. Ainsi, le génocide débuta à NYANZA le 22 avril 1994. Le témoin dit avoir vu ce jour-là des militaires, dirigés par le commandant des gendarmes de NYANZA, BIRIKUNZIRA. Avec lui venait le commandant à la retraite BARAHIRA, qui lui aussi « travaillait ». Pour monsieur MUSABYIMANA, ce « travail » correspond surtout à une surveillance et une supervision des massacres. Après s’être réfugié chez des voisins, le témoin dit avoir été retrouvé par des militaires (ou des gendarmes), qui lui ont demandé de participer à la traquer des Tutsi. Il indique ne pas avoir pu faire la différence entre militaires et gendarmes, car ils ont le même uniforme et avaient retiré le seul élément les distinguant, à savoir leurs bérets (NDR. Les militaires portent des bérets noirs, les gendarmes des bérets rouges). Par la suite, le témoin a exposé les trois occasions au cours desquelles il a vu l’accusé, qu’il appellera tout le long par son pseudonyme BIGUMA (NDR. Il ne connaît pas son nom et prénom).
Le 23 avril, l’accusé, accompagné d’un certain Jacques MUDACUMURA, serait venu chercher MUSABYIMANA et d’autres pour participer à des massacres à MUGONZI. Le témoin explique que Jacques MUDACUMURA était inspecteur scolaire, qui s’était présenté pour être bourgmestre mais avait échoué. Il était armé d’un fusil, comme BIGUMA. Le témoin explique qu’à ce moment-là, il était lui-même armé d’un bâton. Dirigés par BIGUMA et MUDACUMURA, le groupe dont fait partie le témoin ratisse systématiquement toute les maisons (même celles des Hutu) à la recherche de Tutsi à massacrer. La famille de Charles KITUMVA est attaquée : lui n’était pas présent, mais sa femme et ses trois enfants sont tués sur place, et ses biens pillés. Ils s’en sont également pris au professeur MADANGANYA, qui a été capturé et séquestré dans un véhicule avec d’autres personnes. Parmi elles, figurait une certaine Chantal, une jeune fille qui vivait plus haut dans la rue. Le véhicule en question était conduit par un employé de la laiterie, un dénommé SEGEMA. Selon le témoin, toutes ces personnes ont été tuées ailleurs, mais il ne saurait dire où. Pendant ces massacres, l’accusé et MUDACUMURA étaient repartis. Ils ont en revanche pris part à l’attaque, plus tard dans la journée, du domicile de la famille d’Aloys BAHORE, à NYANZA. BAHORE lui-même, en tant que gendre du président intérimaire SINDIKUKWABO[2], aurait été épargné. Les personnes retrouvées chez lui n’ont pas eu cette chance, et ont également été tuées ultérieurement par des militaires.
Le témoin explique que le lendemain matin, il a été chargé – en tant que chauffeur – par le commandant BIRIKUNZIRA de se débarrasser d’une cinquantaine de corps. Ce dernier lui a donné un véhicule Toyota, stationné au magasin TRAFIPRO, où étaient entassés des cadavres.
Ancien bâtiment Trafipro, @AG.
Le commandant a escorté le témoin jusqu’au camp de gendarmerie, où des hommes (gendarmes ou militaires) armés sont montés à bord de son véhicule. Ils lui ont indiqué qu’il devait se rendre à la rivière MWOGO pour y jeter la cinquantaine de cadavres. En rentrant, ils sont tombés, au niveau de la colline de NYAMIYAGA, sur des réfugiés Tutsi, parmi lesquels un ou plusieurs possédai(en)t des armes. Des tirs sont échangés entre ces réfugiés et les militaires/gendarmes. Le témoin reçoit une balle à l’épaule droite. Un gendarme lui a donné à ce moment-là une grenade, qu’il gardera par la suite. Ils rentrent au camp. Le commandant BIRIKUNZIRA décide d’envoyer un grand nombre d’hommes armés pour tuer ces réfugiés de la colline de NYAMIYAGA. Mais MUSABYIMANA n’y participera pas, et ne saurait en dire plus.
Église du Christ-roi à Nyanza – DR.
Le même jour, le témoin dit avoir été dirigé dans une nouvelle attaque – de l’église de NYANZA cette fois-ci – par BIGUMA et Jacques MUDACUMURA. Ils étaient accompagnés d’un autre gendarme, armé d’un fusil. Le témoin et d’autres tueurs sont ainsi rassemblés par l’accusé alors qu’ils se trouvaient au niveau de la barrière de MUGONZI. Cette barrière se trouve très proche de là où vivait le témoin. Une nouvelle fois, BIGUMA et MUDACUMURA organisent l’attaque. Ils donnent les ordres, distribuent les rôles : le témoin, alors armé d’un arc et de la grenade obtenue plus tôt, est positionné à l’extérieur, face aux portes de l’église pour veiller à ce que personne ne tente de s’échapper par l’arrière. Les tueurs ont, sur ordre de l’accusé, encerclé l’église. L’abbé Mathieu est capturé au cours de l’attaque, et abattu par balle à l’extérieur. Le témoin indique ne pas avoir vu le meurtre, car un buisson lui barrait la vue. Mais il a entendu deux coups de feu. Il en a déduit que BIGUMA et l’autre gendarme – qui sont les seuls à être armés de fusils à ce moment-là – ont tué l’abbé Mathieu. Une autre personne, Maman AUGUSTIN, est abattue à l’extérieur. Le témoin a largement précisé que cette attaque avait été menée par trois groupes de tueurs, et qu’ils étaient donc très nombreux. Monsieur le président SOMMERER soulignera quant à lui que BIGUMA a bénéficié d’un non-lieu pour les meurtres de l’abbé Mathieu et de Maman AUGUSTIN.
Deux jours plus tard, le témoin indique se trouver sur la barrière TRAFIPRO. S’y tenait également BIGUMA, armé d’un pistolet. Ils ont vu un homme courir, poursuivi par une foule. Le voyant, BIGUMA aurait dégainé son arme et abattu directement l’homme. Il aurait ensuite déclaré aux autres occupants de la barrière qu’il connaissait cet homme et qu’il les aurait tous exterminés. Le témoin comprendra par la foule qu’il s’agissait d’un militaire, le major KAMBANDA. Il a été tué car Tutsi. Puis BIGUMA serait reparti. C’est la dernière fois que monsieur MUSABYIMANA l’a vu. Le témoin a continué à tenir les barrières, jusque mi-mai 1994, date à laquelle NYANZA est prise par le FPR[3].
De ce témoignage, on retiendra en particulier le rôle de supervision et de contrôle assumé par l’accusé sur les barrières de NYANZA. Comme les autres militaires et gendarmes, il se rendait sur les barrières pour demander des comptes et des nouvelles aux civils qui les tenaient. Selon le témoin, BIGUMA se rendait très régulièrement chez Jacques MUDACUMURA avant de revenir distribuer des ordres. Les questions du ministère public seront ainsi l’occasion de préciser le fonctionnement de ces barrières. La barrière de MUGONZI avait été érigée par Jacques MUDACUMURA. La barrière TRAFIPRO l’avait été par des militaires. Les deux étaient très proches l’une de l’autre pour s’assurer que personne ne puisse y échapper (entre 250 et 350m, environ 2 minutes à pied). Au témoin d’indiquer qu’aucun Tutsi n’a été abattu au niveau de la barrière de MUGONZI. Il a cependant vu de nombreux cadavres au niveau de la barrière TRAFIPRO, située à l’entrée de NYANZA. La barrière MUGONZI se situait au niveau d’un « carrefour stratégique » (selon les mots de monsieur le procureur), le quartier étant habité par de nombreux Tutsi. Le témoin a précisé qu’elle se trouvait sur la route desservant trois écoles (une école scientifique, une école primaire et une école catholique). Selon monsieur MUSABYIMANA, il n’y avait pas de roulement prévu pour tenir les barrières ; ils y sont restés tout le temps pour éviter qu’il ne se passe quelque chose en leur absence. Cette présence constante était seulement interrompue pour prendre les repas. On fera également remarquer que le témoin a reconnu l’accusé sur une photo.
Fidèle à ses habitudes, la défense cherchera à décrédibiliser la déposition de monsieur MUSABYIMANA. Me LOTTE n’arrivera pas à lui faire dire que des prisonniers ont bénéficié d’allègements de peine en échange de témoignages à charge : le témoin n’en a tout simplement jamais entendu parler! Puis, l’avocat s’acharnera sur des éléments contradictoires dans la déposition du témoin, entre son audition initiale, la confrontation avec l’accusé et la déposition de ce jour. Interrogé sur ces contradictions, le témoin maintiendra ce qu’il a dit plus tôt (et donc ce qui est reporté plus haut) en retournant la question à l’accusé. Ces échanges donneront lieu à une véritable cacophonie, obligeant monsieur le président à intervenir. La défense ira jusqu’à demander de donner acte des contradictions du témoin, ce à quoi s’opposera le président. Me GUEDJ déclarera que le témoin « ment », et s’étonnera que le ministère public n’engage pas de poursuite contre le témoin pour « faux témoignage ». Monsieur le procureur fera très justement remarquer que ces contradictions peuvent se comprendre par une erreur de traduction ou une compréhension différente de la question par le témoin (NDR. Ladite question porte sur le « rôle de BIGUMA », à laquelle le témoin ne sait pas répondre. Si le témoin ne sait pas indiquer le rôle officiel et hiérarchique de l’accusé, il a pu en revanche décrire sur des pages entières l’implication concrète de BIGUMA dans le fonctionnement des barrières et la direction des massacres). Il fustige les tentatives de « saucissonner » ce témoignage. Et fidèle à ses habitudes, la défense se rassied après avoir une nouvelle fois échoué à décrédibiliser le témoin.
Audition de monsieur Olivier KAYITENKORE, partie civile.
Le témoin décline son identité, il est partie civile au procès.
Il est né au Burundi en 1973. À sa naissance, les Tutsi étaient déjà persécutés. Ses parents étaient enseignants à NYAMASHEKE, une bourgade située entre CYANGUGU et KIBUYE. Son petit frère s’appelait Alain.
En 1975, sa famille est retournée au Rwanda et plus particulièrement à NYANZA. Il débute son école primaire à NYANZA en 1979, établissement dans lequel il commence à comprendre les problèmes entre les Hutu et les Tutsi. Il raconte la ségrégation que l’on établit entre les groupes. Il entendait de ses camarades de classe au collège, que les Tutsi étaient des « serpents », ce à quoi ils répondaient que les Hutus étaient des « éléphants« , tout cela sur le ton de l’humour.
En 1990, l’insécurité se fait vraiment ressentir et la guerre se déclenche au moment où il commence l’école des sciences. Sa famille et lui sont restés ici jusqu’en 1994 malgré la persécution des gendarmes et la distribution des tracts pour terroriser les Tutsi. Le matin de l’assassinat du président, elle est partie avec son frère dehors dans la rue et ils voient des groupes de personnes sur la route, notamment une personne avec un sac qui aurait pu contenir des armes. En appelant leurs proches à KIGALI, ils se rendent compte que beaucoup de personnes sont massacrées. Ils ont donc commencé à se cacher la nuit en dehors de leur maison.
Alors que les Hutu et les Tutsi vivaient ensemble, tout le monde se cachait ensemble en faisant des rondes communes. Vers la date du 15 avril, les Hutu avec lesquels ils se cachaient partent. Ils ont tellement peur que les parents et les enfants se séparent pendant la nuit. De leur cachette, le témoin pouvait entendre des coups de feu. Ils sont restés cachés jusqu’au 19 avril. Après le discours du président SINDIKUBWABO, incitant au génocide, les choses ont commencé à dégénérer à NYANZA[4].
Le 21 avril, sa mère et lui sont allés rendre visite à sa tante de NYANZA. Les gendarmes étaient présents, ils avaient des gourdins et des armes. Ils étaient 6 enfants et se sont enfermés chez eux. Le témoin sort quand même car il ne voulait pas mourir à côté des siens. Une dame l’accueille chez elle à 5 km de NYANZA. Le matin, ils retournent à NYANZA alors que tout le monde reste à NYABUBARE. Sur la route entre KIGALI et BUTARE, il entend de nombreux coups de feu. Il est recueilli par une autre membre de la famille. Le 22 avril, lui et d’autres jeunes Tutsi concluent qu’ils devaient partir au petit matin avec leurs vaches. Beaucoup sont partis en famille et certains sont resté en disant qu’ils se battraient jusqu’au bout.
À partir du 23 avril, le témoin a vu des barrières partout sur les routes. Au moment de la fuite vers le Burundi, ils ont croisé de nombreuses barrières. Le témoin précise qu’ils arrivent à traverser les barrières grâce à leur grand nombre. Arrivés à la frontière, beaucoup de personnes armées les attendaient et les ont attaqués. Mais des militaires burundais sont arrivés et ont commencé à tirer en l’air, ce qui a fait fuir les Interahamwe[5]. Ils ont levé les bras en l’air pour se faire identifier comme Tutsi.
De son côté, il a nagé à travers la rivière et les autres personnes ont traversé avec l’aide des militaires burundais.
Pirogues qui ont servi aux Tutsi pour traverser l’Akanyaru vers le Burundi , ©AG.
M. le président demande ce que sont devenus ses parents. Le témoin explique que dans le courant du mois de mai, il a appris que NYANZA était tombée. Donc il a décidé d’y retourner. Là-bas, il y a appris que son père avait été tué d’un coup de gourdin mais qu’aux dernières nouvelles sa mère était encore en vie, ce qui s’est révélé faux par la suite. Sa famille s’était cachée à GISI et à ce moment une femme qu’ils considéraient comme une amie de la famille, est venue les voir, sa mère, ses frères et ses sœurs. BIRIKUNZIRA aurait appelé cette femme pour lui dire que les Tutsi avaient été exterminés et cette femme aurait dénoncé sa famille. Les gendarmes et les Interahamwe sont arrivés, ont emmené sa mère et les enfants les plus grands, les ont emmenés sur une barrière. Les enfants ont chacun été tués devant leur mère avant qu’on lui assène un coup de gourdin et qu’on la jette sur le corps de ses enfants, sur lesquels elle a agonisé pendant plusieurs jours. Tout cela, il l’a entendu de personnes ayant vu la scène.
L’avocat demande si le quartier de MUKONZI était majoritairement habité par des Tutsi, ce qui aurait expliqué la présence d’une barrière précisément dans ce quartier. Le témoin répond qu’il y avait beaucoup de Tutsi effectivement.
Audition de monsieur Straton RUDAHUNGA , cité par la défense, en vertu du pouvoir discrétionnaire du président, en visioconférence du Rwanda.
Ce témoin, cité par la défense, tient à préciser, au début de son audition, que « ce monsieur », l’accusé, a tenu une réunion à RWESERO, le jour où une barrière a été érigée, celle de AKAZU K’AMAZI, tout près de la maison de Boniface. BIGUMA serait aussi repassé devant cette barrière avec le bourgmestre GISAGARA, attaché à l’arrière de son véhicule.
Emplacement de la barrière Akazu k’amazi, ©AG.
Cette déclaration préliminaire ne manque pas de surprendre monsieur le président dans la mesure où le témoin n’avait jamais évoqué ces faits lors de son audition par les gendarmes français le 12 mars 2017. Le témoin dit ne pas se souvenir de cette audition! Il avait toutefois déclaré qu’il n’avait vu l’accusé qu’une fois lorsque ce dernier est venu piller les biens du bourgmestre SEKIMONYO, le prédécesseur de monsieur GISAGARA.
Monsieur RUBAGUMYA, sur questions de monsieur le président, évoquera longuement son rôle sur cette barrière dont il était responsable, le massacre de la trentaine de Tutsi enfermés dans la maison de BONIFACE, puis la mort de quatre vieilles dames dont il donne les noms: Pauline MUKANKUNDIYE, Angéline NYIRABUJANGWE, Mélanie MUKAMIHIGO et Alivera KANKINDI.
Il ne manquera pas d’évoquer non plus comment trois groupes d’Interahamwe et de gendarmes vont encercler l’église du Christ-Roi pour exterminer ceux qui s’y étaient réfugiés, même s’il ne donne aucun détail sur ces massacres, lui-même ayant été posté à une porte, à l’extérieur.
La question reste posée: pourquoi le témoin n’a-t-il jamais parlé de ces faits plus tôt, alors que ce sont des événements d’une extrême gravité. Monsieur l’avocat général tentera bien de voler à son secours en évoquant la différence entre « une photo et un film » (NDR. Pas sûr d’ailleurs que tout le monde ait compris la subtilité de l’argumentation) pour montrer que dans un film il y a des ruptures, comme il y en aurait dans le récit du témoin. Mais moi-même ai-je bien compris?)
Ce qui n’empêchera maître GUEDJ de poser des questions qui montrent qu’il n’a pas toujours bien suivi les propos du témoin. Il cherche à savoir combien le témoin a tué de Tutsi: « Personnellement, je n’ai tué personne mais je suis coupable car j’étais en situation d’autorité, j’étais présent sur les lieux » dira le témoin. Toujours est-il, comme le fera remarquer monsieur le président, la défense croyait faire citer un témoin à décharge et c’est tout le contraire qui se produit.
Audition de monsieur Jean-Baptiste HABINEZA, partie civile, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin, actuellement secrétaire exécutif du secteur NYAGISOZI, donne son témoignage concernant la colline de NYAMYAGA où il s’est réfugié avec une partie de sa famille. Les gendarmes, sous la direction de BIGUMA, ont attaqué cette colline mais les faits ne font pas partie de ceux reprochés à l’accusé. Par contre, il est bien légitime à être partie civile pour avoir perdu sa belle-sœur et ses neveux et nièces sur la colline voisine de NYABUBARE. Tout ce qu’il sait de ces massacres, il l’a appris essentiellement en rencontrant à la prison de MPANGA (pas très loin de NYANZA) Israël DUSINGIZIMANA, un proche de sa famille, alors conseiller de secteur de MUSHIRARUNGU. Ce dernier sera entendu le 25 novembre. Monsieur le président, un peu perdu par le témoin, demandera à son avocat de reprendre la main. Ce dernier tentera bien de réorienter monsieur HABINEZA sur les faits reprochés à l’accusé mais son client ne pourra s’empêcher de revenir à sa fuite vers GATAGARA.
Maître GUEDJ, pour la défense, veut absolument que le BIGUMA dont parle le témoin n’est pas celui qui est dans le box des accusés. Il veut jeter le doute chez les jurés, ce qui va provoquer les protestations de monsieur le président. Il n’y a pas deux gendarmes, à NYANZA, qui étaient affublés de ce surnom. (NDR. Si l’avocat de l’accusé tente d’avancer un autre nom, NDAGIMANA, il ne sait pas que ce nom veut dire « qui a de grosses joues », ce qui, à l’époque, pourrait bien correspondre au physique de son client!)
Monsieur le président va lire quelques extraits de l’audition de monsieur Emmanuel RUBAGUMYA, puis un jugement gacaca[1] qui évoque à la fois un Philippe HATEGEKIMANA et un certain BIGUMA. Sur le premier, aucune motivation n’est fournie mais il n’a pas été acquitté, comme le prétend maître GUEDJ. Il a été décidé de sursoir à statuer en attendant de plus amples informations. BIGUMA, quant à lui, a été condamné, entre autre, à la réclusion à perpétuité.
Jules COSQUERIC, bénévole
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑][↑]
2. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
3. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
4. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 20 novembre 2024. J12
21/11/2024
• Audition de Lameck NIZEYIMANA.
• Audition d’Alfred HABIMANA.
• Audition de Hamza MINANI.
• Audition de Marie-Claire KAYITESI, partie civile.
• Audition d’Immaculée KAYITESI, partie civile.
• Interrogatoire de l’accusé.
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Audition de monsieur Lameck NIZEYIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin a été condamné par les Gacaca[1] à 8 ans de prison alors qu’il venait d’en faire 13 en préventive. Il avait plaidé coupable: condamné pour génocide, pour avoir tenu des barrières, tué, participé à des attaques… C’est parce qu’il a reconnu les faits et demandé pardon qu’il a été condamné à une peine aussi légère.
Il dénonce BIRIKUNZIRA et BIGUMA comme les principaux responsables du génocide à NYANZA. Son grand frère a été tué à la gendarmerie où il avait été emprisonné comme complice du FPR[2]. On l’avait attrapé en possession d’un tampon destiné à établir de fausses cartes d’identité pour les soldats du FPR, avec le bourgmestre GISAGARA. Il dit avoir témoigné contre une cinquantaine de personnes.
Concernant la réduction de peine qu’il a obtenue, monsieur le président précise que cette pratique existe aussi dans notre pays. « Ce qui n’autorise pas à mentir » intervient maître GUEDJ, avocat de l’accusé.
Le témoin a reconnu BIGUMA sur la planche photographique qui lui avait été présentée et « cru le reconnaître » en confrontation. Il le connaît bien comme un des responsables de la gendarmerie, avec BIRIKUNZIRA. « C’était un notable et il était méchant » avait ajouté le témoin.
Entendu par le TPIR[3], monsieur NZEYIMANA avait expliqué qu’avant le génocide il existait de bonnes relations entre Hutu et Tutsi. En 1991, une réunion avait été organisée pour appeler la population au calme. Deux partis haineux existaient alors: le MRND[4] et la CDR[5]. Les gendarmes patrouillaient. Lui-même avait été empêché d’y participer.
Le témoin rapporte ensuite l’attaque contre la maison du bourgmestre GISAGARA autour du 17 avril. C’étéit le président local du PSD[6] et s’opposait aux violences. Il sera tué. Lors d’une autre réunion en 1994, BIRIKUNZIRA s’était opposé au préfet HABYARIMANA[7].
Autour du 20 avril, les conseillers de secteur sont invités à ériger des barrières. On retrouve lors de ce rassemblement autour du sous-préfet Gaëtan KAYITANA tous les responsables de cellules également. On demande alors aux gens de se rendre à la barrière de RUKARI. Les Hutu s’y rendent avec leurs armes traditionnelles sous la responsabilité de MATABARO. BIGUMA passera le lendemain pour dire qu’il fallait tuer les Tutsi. Ce dernier demandera à ce qu’on aille chercher un Tutsi pour en faire un exemple. « Nous devons tuer tous ces serpents », dira BIGUMA une fois le Tutsi abattu. On leur a demandé ensuite d’aller chercher de l’essence.
C’est le 23 avril que le génocide commence véritablement à RUKARI, alors qu’il avait commencé la veille dans la commune. « Nous n’avions jamais tué, intervient le témoin, nous avons été encouragé à le faire en toute impunité dans la mesure où ceux qui étaient chargés de nous protéger avaient commencé à le faire. »
Le témoin avait expliqué ensuite comment fonctionnait la barrière de RUKARI. BIGUMA passait pour contrôler les barrières. Il y avait environ 80 hommes et jeunes gens sur cette barrière. Chacun s’éclipsait pendant une heure pour aller se restaurer mais tout le monde dormait là. A la mi-mai, BIRIKUNZIRA avait tenu une réunion pour dénoncer les Hutu qui cachaient des Tutsi: « Si un serpent s’enroule autour d’une baratte, il faut casser la baratte. » avait-il dit. Le témoin était présent à cette réunion qui s’est tenue en contre-bas du bureau communal. Les autorités avaient félicité les tueurs et avaient encouragé à continuer le ratissage des Tutsi. BIGUMA était bien bien présent à NYANZA à la mi-mai. On tuait aussi des gens à la gendarmerie, Tutsi et Hutu « modérés ».
Le témoin s’est rendu chez le conseiller de secteur pour obtenir une carte d’identité avec mention Hutu[8]. C’est là qu’il a vu des gendarmes tirer sur une trentaine de Tutsi (il avait dit une dizaine dans une précédente audition).
Témoigner contre BIGUMA et BIRIKUNZIRA, ça le soulage, dira-t-il. Ce sont eux les grands responsables du génocide à NYANZA. Le fait de les juger est le signe qu’on rend justice à tous ceux qui reposent dans les mémoriaux.
Maître PHILIPPART demande au témoin s’il connaît un certain FATIKARAMU. Il répond que son fils Olivier MUREKEZI est un rescapé de la famille. (NDR. FATIKARAMU était un joueur de foot célèbre. Il aurait été décapité au stade et les tueurs auraient joué au foot avec sa tête!) Toute la famille a été décimée. Mais il n’en sait pas plus. Toujours sur question de l’avocate, le témoin précise que la barrière des Burundais était aussi appelée la barrière des gendarmes.
Maître AUBLE demande où ont été jetés les corps tués sur la barrière RUKARI. Certains ont été enterrés tout près de la barrière, d’autres jetés dans des fosses sceptiques ou enterrés dans les caniveaux. Certains Tutsi ont été tués près de l’église ADEPR[9]. Tour les corps qui sont restés sur les collines seront enterrés à l’arrivée du FPR[10].
Maître EPOMA souhaiterait que le témoin raconte une journée sur la barrière. Difficile de raconter en peu de temps. Mais le témoin redit qu’ils s’absentait une heure dans la journée pour aller se restaurer. Il fallait tuer le maximum de Tutsi avant l’arrivée du FPR. D’autant qu’en échange, on les autorisait à piller les biens des victimes qui étaient équitablement partagés. Les biens de valeur étaient pris par les gendarmes.
Monsieur l’avocat général remercie le témoin pour la qualité de son témoignage. Comment se fait-il que c’est BIGUMA, qui n’était que sous-officier, qui dirigeait les tueries? s’étonne-t-il. « Les deux étaient très virulents » précise le témoin. Ce dernier confirme que des Interahamwe[11] ont bien été entraînés à la gendarmerie d’où ils revenaient avec une arme à feu. Ce qu’a toujours contesté BIGUMA. Lors de la remise en situation à la barrière du stade, il a été dit qu’il fallait empêcher les Blancs de venir voir ce qui se passait au stade pour s’opposer au plan qui avait été mis en place. Le témoin confirme que cette barrière avait été installée pour barrer la route aux Blancs et à tous ceux qui voulaient savoir ce qui se passait.
Maître GUEDJ veut poser des questions courtes pour obtenir des réponses courtes. « Vous êtes cité par l’accusation, dit-il au témoin, ce qui veut dire que ce que vous dites est considéré comme des preuves »irréfutables »? » Avant que le témoin ne réponde, monsieur l’avocat général précise que les jurés ont la liberté de croire ou ne pas croire les témoins.
Puis question concernant KAMONYO qui l’accuse d’avoir tué un pasteur pentecôtiste. Le témoin dit n’avoir jamais nié. Quant à NYAGASAZA, il n’a pas assisté à son arrestation ni à son exécution: c’est bien le conseiller Israël qui lui a raconté. l’avocat accuse le témoin d’avoir menti, qu’il y a des contradictions dans ce qu’il dit. Revenant sur KAMONYO, maître GUEDJ demande au témoin comment lui est venue cette idée de témoigner si souvent.
« J’ai été affligé par la manière dont on a tué les Tutsi. Je suis obligé de dire ce que j’ai vu et fait. Les Tutsi que nous avons tués étaient nos voisins, tout comme les tueurs. J’ai constaté que les responsables des tueries ne se repentaient pas. J’ai décidé de me désolidariser d’eux. »
À ce moment, il semblerait que l’avocat de la défense perde un peu les pédales. Il n’a pas dû bien suivre les déclarations du témoin. À aucun moment Lameck NIZEYIMANA n’a dit avoir été « approché » par des autorités pour préparer son audition. KAMONYO l’accuse d’être corrompu par le gouvernement pour témoigner contre lui et son frère? C’est vrai, s’insurge l’avocat.
« KAMONYO a nié et minimisé le génocide. J’ai témoigné à charge contre lui. Il s’en prend à moi parce que je connais beaucoup de choses. »
Réplique de l’avocat: « Pourquoi les jurés devaient vous croire plus que KAMONYO« ?
Le témoin: « J’ai plaidé coupable en 1994. »
L’audience se termine un peu dans la confusion. Les interventions de maître GUEDJ déclenchent toujours des réactions de la salle. Dès la suspension, souriant, il vient saluer ses collègues des parties civiles. On se croirait au théâtre. Le numéro n’était toutefois pas très probant.
Audition de monsieur Alfred HABIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda;
Le témoin décline son identité et prête serment. Il a déjà été entendu en 2017, 2019 et a participé à une remise en situation. La première fois, il disait que ses idées n’étaient pas très claires car il gardait des séquelles d’une blessure à la tête dans le camp de KIBEHO. Le témoin a été jugé pour le meurtre d’une femme sur la barrière de RUGARAMA (KUCYAPA). Il a été condamné à 9 ans de prison et 5 ans de travaux d’intérêt général.
Le témoin confirme ses propos quant à l’arrestation des Tutsi à cette barrière qui ont été enfermés dans une maison. Il ne se souvient pas de la date mais sait que quand les gendarmes sont arrivés, ils ont déclaré que les Tutsi s’étaient emparés du pays et qu’ils allaient tuer les Hutu.
Ce sont les militaires qui les ont obligés à rester sur la barrière et tous les jeunes Hutu qu’ils croisaient étaient emmenés sur la barrière pour la garder. Beaucoup de Tutsi habitaient dans cette zone. Une femme nommée Épiphanie a été emmenée à la barrière et tuée. Il y eu d’autres victimes qu’il ne connaissait pas. Il se souvient que BIGUMA et BARAHIRA étaient les chefs qui ordonnaient aux jeunes de rester sur la barrière.
Il se souvient aussi qu’il entendait parler de BIRIKUNZIRA avec un véhicule et d’autres militaires camouflés. Chaque fois que des militaires passaient, il se disait que c’était l’ordre de BIRIKUNZIRA. Le témoin pense avoir vu BIGUMA sur une barrière car il a vu des militaires passer mais ne peut pas être sûr car il ne le connaissait pas. Le témoin dit que RUDAHUNGA était le chef de l’Akazu k’Amazi, HABINIEZA le chef de NYABISINDU, KABERA, le chef de BUGABA.
Emplacement de la barrière Akazu k’amazi, ©AG.
Me GUEDJ, pour la défense interroge le témoin. Il aurait vu BIGUMA lorsqu’il était sur la barrière, puis annoncé le contraire en 2019. Il répond qu’il l’a vu arriver à bord d’un véhicule et que ce sont ses amis qui lui ont dit que c’était BIGUMA.
Audition de monsieur Hamza MINANI, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda
le témoin décline son identité et prête serment. Il est agriculteur/vendeur ambulant et habite dans le district de NYANZA.
Il connaissait BIGUMA en tant que gendarme à NYANZA, il était surnommé adjudant BIGUMA. Il se souvient de lui car BIGUMA allait boire des bières au bar sur le lieu où il était vendeur. Ce bar était tenu par BARIHUTA Apollinaire. Souvent, il y allait pour prendre un verre. Les deux premières semaines du génocide, une réunion a eu lieu là-bas pour préparer le génocide par la CDR[5] et BIGUMA y a assisté. Il dit même qu’il y a eu deux réunions.
Le 22 avril, le témoin explique qu’il entend des tirs qui venaient de chez le commerçant RUBANGURA. Il accourt sur place et constate que BIRIKUNZIRA et BIGUMA sont présents ainsi que CYISTO, un autre adjudant à la gendarmerie.
Il y avait aussi des militaires de l’ESO de Butare[12]. Il y avait des impacts de balle sur la porte de la maison. BIRIKUNZIRA et BIGUMA seraient entrés dans la maison et auraient fait sortir la sœur, sa fille et deux petits enfants d’Angelina. Les militaires les ont emmenés à la gendarmerie et on ne les a plus jamais revus.
Le témoin confirme aussi l’attaque de BASHUNGA et de sa fille. Il aurait vu BIRIKUNZIRA accompagné de BIGUMA dans une camionnette rouge. La victime avait deux femmes. Ils sont allés le chercher chez sa première femme, ne l’ont pas trouvé, ont enlevé sa fille pour leur indiquer la maison de la deuxième femme. Ils l’ont trouvé là et l’ont tué dans le jardin à 100 mètres de sa maison. Il est le témoin oculaire de cette action qui date du 22 avril. C’est BIGUMA qui aurait donné cet ordre, ils se connaissaient très bien car il travaillait dans une agence de télécommunications RWANDATEL.
Le 22 avril au soir, l’adjudant BIGUMA a ordonné d’aller sur une barrière à BIGEGA. Le 23 avril, il vient à la barrière au volant de la Toyota et nomme un réserviste nommé Moïse, responsable de la barrière. Il lui remet un fusil. Il donne l’ordre que tout Hutu doit tenir cette barrière pour tuer les Tutsi qui s’y présentent. Au moment où la barrière est érigée, il remet aussi un registre avec une liste des Tutsi morts et des Tutsi encore vivants à éliminer. Le témoin est resté un mois et demi sur cette barrière. Le fusil a été utilisé seulement pour tuer trois personnes et les autres ont été tués à l’arme traditionnelle.
Enfin, le témoin affirme aussi que BIGUMA aurait donné l’ordre d’abattre la femme du gérant BASHUNGA lors de l’attaque dans sa maison.
Le témoin confirme qu’il rentrait chez lui le soir. Il confirme aussi qu’il avait ordre de tuer les Tutsi qui passaient à la barrière selon la mention sur la carte d’identité[8]. Le témoin dit qu’il n’a personnellement tué personne même s’il avait le droit. Il dit qu’il était aux barrières car il cachait des Tutsi chez lui et que cela lui permettait d’être proche de l’information et donc insoupçonnable. Il dit avoir caché 6 Tutsi chez lui. On ne lui a pas reproché d’avoir été à la barrière car il n’avait pas tué. Il confirme que les corps des Tutsi étaient jetés dans des caniveaux ou des fosses. Certains encore étaient enterrés à la barrière. Ils seront exhumés pour être enterrés dans des sites mémoriaux. Les ordres donnés par BIGUMA étaient d’intensifier la chasse aux Tutsi. Le témoin était mal vu car il était inactif sur la barrière.
Colline de Nyamure qui domine la vallée. BIRIKUNZIRA aurait dit à Moïse « Maintenant nous allons travailler à NYAMURE car il y a des Tutsi » – ©AG.
Lors de sa dernière audition, il a évoqué la colline de NYAMURE. Il dit avoir vu passer une Toyota rouge dans laquelle se trouvait BIGUMA, BIRIKUNZIRA et CIYSTO avec d’autres gendarmes. Ils avaient des machettes et des gourdins. En passant à la barrière BIRIKUNZIRA aurait dit à Moïse « Maintenant nous allons travailler à NYAMURE car il y a des Tutsi ». Au retour il a vu repasser une seule des deux voitures uniquement avec BIGUMA dedans. M. le président relève qu’il avait dit la même chose dans son témoignage au TPIR[3]. Il observe aussi que le témoin n’avait pas reconnu BIGUMA sur des photos qui lui avaient été présentées. Le témoin aurait vu BIGUMA en 1993 pour la première fois et en mai 1994 pour la dernière fois. Aujourd’hui, il dit le reconnaître même s’il a vieilli.
Me TAPI demande au témoin si la fille de BASHUNGA a aussi été abattue sur l’ordre de BIGUMA. Le témoin confirme.
Le témoin réexplique qu’il connaissait BIGUMA car il travaillait à RWANDATEL, en face de la gendarmerie.
L’avocate générale prend la parole pour demander si la gendarmerie française avait questionné le témoin sur le comportement de BIGUMA avant le génocide. Il répond qu’en 1993 il a tenu des propos racistes lors d’un meeting de la CDR.
L’avocat général interroge maintenant le témoin sur ses déclarations sur la colline de NYAMURE. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une date postérieure au 23 avril. Le témoin confirme cela. L’avocat général demande si la date du 28 apparaît comme acceptable pour le témoin car un autre témoin a évoqué cette date. Le témoin répond que le jour de l’attaque de la colline était le même jour où il a vu les voitures.
Me DUQUE prend la parole pour demander ce que le témoin a à dire sur le fait qu’un jugement déclare que BIGUMA et CIYSTO sont les même personnes. Il nie cette information. Elle lui demande ensuite qui habitait à BIGEGA dans la famille de BIGUMA qu’il aurait visitée. Le témoin répond que c’était une connaissance seulement et non sa famille. Me DUQUE relève cette contradiction avec la précédente audition.
Sur les meurtres de Angelina, Anastasie et ses deux enfants. Me DUQUE demande au témoin comment il peut attester de tels faits sans avoir été présent sur les scènes car il a attesté qu’il ne participait pas à la chasse. Le 22 avril, le témoin a entendu des tirs de balle mais les barrières n’étaient pas en place. Le témoin répète qu’il assiste à ce qu’il s’est passé car il a accouru après avoir entendu les bruits.
Au sujet de l’enlèvement de la famille de RUBANGURA, le témoin réaffirme qu’il a vu la scène de ses propres yeux, notamment qu’ils ont été mis dans la voiture et sûrement emmenés à la gendarmerie.
Me GUEDJ questionne le témoin sur les types d’armes utilisées. Un fusil, des machettes, gourdins et bâtons. C’est un réserviste, Moïse NYANDWI, qui tenait le fusil. Me GUEDJ accuse le témoin de mentir car il n’a pas le même version sur la personne qui a donné l’arme à Moïse. Le témoin répond qu’il ne ment pas.
Audition de madame Marie-Claire KAYITESI, partie civile.
La partie civile décline son identité. Elle avait 20 ans au moment du génocide. Les familles d’origine de ses parents ont été persécutées car elles étaient de NYANZA. Elle a continué ses études en RDC car il était difficile de trouver une école en tant que Tutsi. Fin 1992, elle retourne au Rwanda et ne revient pas en RDC car ce n’était pas viable non plus. Elle reste à NYANZA en 1993 et sa sœur va à KIBEHO. Au mois de mars, le dirigeant de la CDR[5] est tué a BUTARE. Son père fait en sorte d’envoyer ses frères et sœurs vers NYANZA à Pâques. Vincent MUREKEZI les accueille dans un de ses locaux commerciaux en guise de maison. Ce local était en face du marché. Ils y ont vécu jusqu’au 7 avril.
Trois jours après le début du génocide, elle appelle à GIKONDO pour demander des nouvelles de son père. Elle apprend qu’il a été tué a KIGALI. On lui avait asséné des coups de couteau et on l’avait enterré vivant. Le petit frère de la victime est envoyé vers NYANZA dans la famille de son père à KINJA.
Quand il est arrivé là-bas, toute sa famille est assassinée et les maisons sont détruites. Un autre de ses petits frères est envoyé dans un orphelinat à NYANZA et survit.
La maison dans laquelle la victime se cachait appartenait à des gendarmes ( C’est eux qui le prétendaient) donc les Interahamwe[11] n’y allaient pas comme ils voulaient. Un jour, ils ont voulu piller les boissons et les gendarmes leur ont tiré dessus. Ces derniers remarquent donc leur présence et leur dit qu’ils viendraient s’occuper d’eux le lendemain. À la tombée de la nuit, les Hutu voisins viennent pour les emmener dans une autre maison. Ils les ont cachés dans le four à pain pendant environ 2 semaines. Ils étaient 6 à l’intérieur: sa mère et ses 4 frères et sœurs. Ils y ont appris la mort de sa petite sœur a KIBEHO.
La famille de sa mère était à BIGEGA (a côté de KAVUMU). A un moment, il est dit que les Hutu dénichés en train de cacher des Tutsi seraient tués. Ils sont donc obligés de partir du four à pain mais ne pouvaient pas se déplacer à cause des barrières. Ils décident donc de retourner dans la première maison de MUREKEZI. Ils ont trouvé les lieux saccagés par les gendarmes qui les avaient cherchés. Ils y sont restés jusqu’à que les Inkotanyi[13] les trouvent.
La famille de sa mère est assassinée a KIVUMU (30 personnes) alors qu’ils croient au piège de la pacification.
À KIBINJA, son petite frère est assassiné dans une maison où il y a 17 personnes.
L’avocate générale demande pourquoi sa mère avait choisi NYANZA pour la protéger alors qu’ils habitaient à KIGALI. La témoin répond qu’elle était originaire de NYANZA mais aussi que le préfet était Tutsi ce qui inspirait confiance. Elle est restée 2 à 3 semaines dans le four à pain et a pu sentir une intensification du génocide. Elle dit aussi que la traque était organisée.
Audition de madame Immaculée KAYITESI, partie civile
Le témoin se présente comme la présidente nationale de l’association AVEGA, association des veuves du génocide. Sa famille est originaire de GIKONGORO mais la plupart des membres ont été déportés dans le BUGESERA (NDR. Sud de KIGALI, région de NYAMATA) et vers KIBUNGO (NDR. À l’extrême sud-est du pays, à la frontière de la Tanzanie).
Madame KAYITESI commence par évoquer quelques événements de l’histoire du Rwanda mais monsieur le président lui demande d’aller plus droit au but. Elle raconte alors l’histoire de sa famille avant le génocide, déjà visée par les extrémistes. Son mari a été tué en octobre 1993, par des gendarmes de NYANZA. Ces persécutions ont continué après l’attentat.
De citer ensuite toutes les barrières érigées à RWESERO, autant d’éléments qui ont déjà été abordés depuis le début du procès. Lors de la « pacification », beaucoup de Tutsi sont sortis de leurs cachettes.
Monsieur le président reprend la parole pour signifier au témoin qu’elle aborde des faits dont la cour d’assises n’est pas saisie. Il demande à son avocat d’intervenir pour recadrer sa cliente mais il repose des questions sur les barrières. Il lui demande alors, pour conclure, de dire comment elle a survécu. De parler aussi de l’association AVEGA.
Monsieur le président: « BIGUMA se dit innocent. Il n’était pas là. Ceux qui témoignent sont des menteurs, ils sont préparés par les autorités pour l’accuser car il est un opposant à KAGAME. Le gouvernement manipule les témoins pour qu’ils fassent de fausses accusations. » Que pense-t-elle de tout cela?
Le témoin: « Aujourd’hui, la justice du Rwanda est droite, il y a la sécurité dans le pays, on ne complote contre personne, on dit ce qu’on a vécu. »
Maître BERNADINI pose une question au témoin concernant le viol comme arme du génocide. Monsieur le président ne comprend pas qu’on puisse aborder cette question, il n’en a jamais été question dans le dossier.
Madame l’avocate générale tente une question sur BIGUMA avant le génocide. Le témoin ne répond pas à la question. Elle dit simplement qu’on parlait de lui comme l’adjudant-chef. Elle évoque à nouveau la mort de son mari en octobre 1993. Les responsables n’ont jamais été identifiés ni punis. Et pourtant BIGUMA était là.
Interrogatoire de l’accusé sur les dépositions des témoins de la journée.
Lameck NZEYIMANA. « Que des incohérences dans son témoignage. C’est comme ça que je serai jugé? Je conteste tout, je n’ai pas assisté aux scènes qu’il décrit. Je n’étais pas à NYANZA. »
Alfred HABIMANA. « Je conteste tout ce qu’il dit concernant la barrière de KUCYAPA. »
Hamza MINANI. « Je conteste ». Le témoin le met en cause dans l’attaque de chez RUBANGURA, sur la barrière de BIGEGA et sur les massacres sur la colline de NYAMURE.
« Tous ces gens-là sont des menteurs. On leur met la pression. Je suis un opposant de l’extérieur. Le régime rwandais sème la terreur sur les opposants. Vous ne voulez pas me croire. J’ai participé à une manifestation à RENNES. Je suis allé à PARIS lors de la venue de KAGAME« . Monsieur le président lui fait remarquer que c’est FAUX, qu’il n’a jamais dit cela. L’accusé ne se démonte pas: « Mes enfants y sont allés. Quand mes enfants y vont, c’est moi qui y vais. » (NDR. Rires dans la salle).
Concernant la mort du mari de madame Immaculée KAYITESI, en octobre 1993, par les gendarmes de NYANZA, il n’en a pas entendu parler. Il était pourtant adjudant-chef de cette même gendarmerie.
Maître GUEDJ souhaite faire une observation. Concernant Lameck, « il a menti, c’est un témoin professionnel« . Au président: « BIGUMA est partout mais on ne sait pas ce qu’il a fait. Vous donnez aux témoignages une valeur qu’ils n’ont pas. »
Puis, théâtral, comme il sait bien le faire, il adresse une mise en garde aux jurés. Entendront-ils le message? C’est moins sûr.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
2. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais), cf. Glossaire.[↑]
3. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑][↑]
4. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[↑]
5. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑][↑][↑]
6. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
7. Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné (à na pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA).[↑]
8. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[↑][↑]
9. ADEPR : Association des Églises de Pentecôte au Rwanda[↑]
10. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
11. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
12. ESO : École des Sous-Officiers de BUTARE[↑]
13. Inkotanyi : combattants du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 21 novembre 2024. J13
23/11/2024
• Audition de Michel MBYARIYINGIMA.
• Audition d’Albert KABERA.
• Audition de François HABIMANA, partie civile.
• Audition d’Odetta MUKANYARWAYA, partie civile.
• Audition de Josias SEMUJANGA.
________________________________________
Audition de monsieur Michel MBYARIYINGIMA, témoin cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il a déjà témoigné devant les gendarmes français. Il a plaidé coupable pour sa participation à deux attaques à RWESERO, à l’Akazu k’amazi et a été condamné à 7 ans de prison. Mais il en avait fait plus avant son procès. À l’époque des faits, le témoin était à NYANZA. Il ne connaissait pas l’accusé avant 1994. Il a assisté à une réunion à la maison communale de NYANZA dans laquelle la population avait été réunie par Gervais TWAGIRIMANA sur demande du commandant BIRIKUNZIRA. RUDAHUNGA, le responsable de la cellule dans laquelle la réunion a eu lieu était présent. BIRIKUNZIRA s’était adressé à eux: « Vous les habitants cachés ici, sachez que l’ennemi contre lequel nous combattons est Tutsi. Sachez que la baratte est précieuse, mais que si le serpent s’enroule autour de la barrate, il faut casser les deux ». Le témoin explique que dans la culture rwandaise, on ne peut pas casser une barrate car cela porte malheur. La barrate désigne le Hutu et le serpent le Tutsi. Dans cette réunion, des instructions sont données pour ériger des barrières sur les carrefours. Il est notamment dit que les cartes d’identité doivent être contrôlées et que les Tutsi doivent être assassinés[1]. Les armes sont plutôt traditionnelles telles que des machettes et des gourdins. Le témoin confirme qu’il y avait le commandant BIRINKUNZIRA, ainsi que BIGUMA mais ne se souvient pas si le sous-préfet Gaëtan KAYITANA était présent. Il explique qu’il a reconnu BIGUMA car il habitait à côté du camp militaire et le croisait souvent sur la route mais n’entretenait pas de relation particulière avec lui. Il savait donc de qui il s’agissait mais ne le voit de près qu’à la réunion. Selon lui, seulement BIRIKUNZIRA a pris la parole lors de cette réunion.
Concernant les barrières, le témoin est affecté à l’Akazu k’amazi à côté de la maison d’un prénommé RWAKAZINA. Le témoin n’allait sur la barrière que le soir. Beaucoup de personnes de la population étaient sur la barrière et les gendarmes s’y relayaient jours et nuits. BIGIRIMANA et CATCHEUR circulaient sur toutes les barrières.
S’agissant de BIGUMA, le témoin ne l’a jamais vu à la barrière de l’Akazu k’amazi. Il revient donc sur une de ses déclarations dans laquelle il disait qu’il voyait occasionnellement l’accusé passer à la barrière en voiture mais qu’il n’en sortait pas. Il rectifie aujourd’hui en disant que c’est le commandant qu’il voyait passer dans un véhicule rouge. Le témoin avait d’ailleurs reconnu BIGUMA sur une planche de photographies présentée par la gendarmerie française.
Maison de Boniface sur la barrière Akazu k’amazi, @AG.
M. le président demande pourquoi y a-t-il une contradiction dans son récit. Le témoin répond qu’il est possible qu’il se soit trompé avec les années. M. le président lui demande s’il savait ce qu’il se passait la journée sur cette barrière. Le témoin répond par l’affirmative. Cependant il répète qu’il ne l’a jamais vu de ses propres yeux. Sur le massacre d’une trentaine de Tutsi enfermés dans la maison de Boniface, le témoin explique qu’il n’était pas assaillant ce jour-là mais il sait ce qu’il s’est passé et dit qu’ils étaient très nombreux.
La partie civile Me AUBLE demande au témoin si on lui a demandé de faire la chasse au Tutsi dans les alentours. Il répond que oui.
Me TAPI demande au témoin s’il est possible qu’au moment où il n’était pas à la barrière, BIGUMA passait. Le témoin répond que c’est tout à fait possible.
C’est au tour de l’avocat général de questionner le témoin. Il reprend des anciennes déclarations qui expliquent que les cadavres étaient enterrés car ils craignaient des surveillances satellite, notamment de la communauté internationale. Il précise que ce sont les autorités qui ont parlé de cela. Cela a aussi été corroboré dans le livre d’Alison DES FORGES[2] et d’autres témoignages.
Me DUQUE, pour la défense, relève qu’en première instance, le témoin était sûr d’avoir vu BIGUMA à la barrière et qu’aujourd’hui il ne l’est plus.
Audition de monsieur Albert KABERA, témoin cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin, sur question de monsieur le président, dit avoir été condamné à 10 ans de prison pour avoir participé au génocide sur ordre des chefs de la gendarmerie, pour avoir tué quelqu’un, avoir pillé les biens des Tutsi, avoir participé aux attaques et avoir tenu des barrières. Il a plaidé coupable et a été libéré pour encourager les autres tueurs à faire de même.
(NDR. Quand on interroge une personne qui a été condamnée pour génocide, ne serait-il pas bien de préciser, dès le début de leur audition, que ce n’est pas eux qu’on rejuge. Cela leur permettrait peut-être d’être parfois plus détendus et d’être plus enclins à dire la vérité! Remarque d’un béotien!)
Il confirme qu’il a témoigné contre des gendarmes, qu’il était membre de la jeunesse du MDR mais qu’on les a plus ou moins obligés à rallié les Interahamwe, miliciens du MRND. C’est KAMBANDA, premier ministre du gouvernement génocidaire qui les aurait rassemblés dans le courant extrémiste PAWA ( Power).
Toujours sur question de monsieur le président, le témoin précise que certains de ces miliciens portaient des feuilles de bananier, d’autres des lianes. A KIGALI, ils avaient leurs propres uniformes colorés. A NYANZA, ils ne portaient pas de signe distinctif: ils avaient seulement des armes traditionnelles. ( NDR. Dans certaines régions, les Interahamwe portaient ces signes distinctifs pour ne pas s’entretuer lors de combats corps à corps.)
Au début, le témoin tenait la barrière AKAZU K’AMAZI mais il a été muté sur celle de BUGABA par BARAHIRA: dans la nuit, leurs femmes lançaient des cris croyant être attaquées alors que c’était les Tutsi qui tentaient de trouver refuge auprès d’elles. Un certain Gervais était passé auprès de la population pour dire que les Tutsi avaient envahi le pays. L’ennemi, c’était le Tutsi avait-on précisé.
Un soir, Albert KABERA a vu passer un véhicule avec des gendarmes et des Tutsi à bord. Parmi eux se trouvaient BIGUMA avec d’autres gendarmes et un certain TWAHIRWA. BIGUMA a pris la parole pour demander aux hommes d’aller aux barrières pour arrêter les Tutsi. Ces gens portaient des armes traditionnelles (NDR: outils utilisés pour les travaux des champs).
Monsieur le président rappelle au témoin les propos qu’il avait tenu lors de son audition par les enquêteurs français. Ils ne correspondent pas à ceux qu’il tient aujourd’hui. Nous retiendrons que les propos attribués à BIGUMA ont été prononcés à son second passage, ce dernier étant resté dans sa voiture.
A la barrière, il y avait déjà d’autres personnes venues de RUGARAMA. BIGUMA a désigné les responsables de la barrière, dont le frère de sa femme, Esdras NTAKIRENDE. Le témoin désigne aussi Straton RUDAHUNGA, responsable pour la journée et GASIGIRI comme responsable pendant la nuit. Le témoin se tenait à la barrière jour et nuit, c’était obligatoire: « Personne n’a pris le risque de ne pas y aller, on aurait été considéré comme Tutsi. » Il fallait contrôler les cartes d’identité mais les Tutsi faisaient tout pour contourner ces barrières.
S’il connaît BIGUMA, c’est parce qu’il habitait près de la gendarmerie et que ce dernier rendait souvent visite à son beau-frère Esdras, son voisin. Questionné sur la planche photographique qu’on lui avait montré pour voir s’il reconnaissait BIGUMA, le témoin dit avoir hésité entre deux photos mais qu’il avait finalement désigné la N°4, celle de l’accusé.
Monsieur le président interroge ensuite le témoin sur l’arrestation et l’exécution des 28 Tutsi enfermés dans la maison de Boniface, juste au-dessus de la barrière. Albert KABERA explique ce qui s’est passé: » BIRIKUNZIRA et BIGUMA sont passés sur notre barrière et ont constaté qu’elle ne servait à rien car nous n’avions pas tué de Tutsi. Nous sommes aller en chercher dans leur habitation et les avons enfermés dans la maison de Boniface pour les montrer aux gendarmes. Nous étions sûrs qu’ils allaient les fusiller. Ils sont restés enfermés là pendant une journée. Parmi eux, il y avait GASHUMBA, KABERUKA, MUNYEMANA, Michel BUKUBA, NYIRIKINDI, STRATO et le clan des BAYORA. Tous étaient avec leurs familles. Quand BIRIKUNZIRA et BIGUMA sont arrivés, ils nous ont donné l’ordre de les tuer. Le lendemain, BIGUMA est revenu et à demander à ce qu’on enterre les corps. »
Monsieur le président va s’agacer lorsque le témoin rapporte des faits dont il n’avait jamais parlé avant. Il lit toutefois les déclarations faites par le témoin sur des faits dont il a été le seul à parler, faits non retenus au dossier, pour bien montrer les contradictions dont fait preuve le témoin: « Je ne veux rien cacher« , ajoute-t-il.
Monsieur l’avocat général s’étonne que BIGUMA ait eu avec lui des petites haches: » Il n’avait pas d’armes à feu? » Le témoin précise que c’était des petites haches que possédaient les militaires. L’avocat général demande au témoin qui avait eu l’idée de tuer la nuit pour ne pas être vus par des satellites: » J‘ai entendu dire par les autres que BIGUMA l’avait dit! »
La parole est donnée à la défense. Maître DUQUE revient sur la reconnaissance de BIGUMA sur la planche photographique. Le témoin avait désigné le N°7 et aujourd’hui il dit la N°4? Le témoin de répondre: « J’ai dit que la N°4 ressemblait à BIGUMA et la N°7 aussi. J’avais précisé qu’il était noir! »
Maître DUQUE signale que ses propos ne correspondent pas à ce qu’a dit Michel, le témoin précédent: » Je ne suis pas d’accord avec Michel qui ne dit pas la vérité. A la prison, il n’a jamais avoué ses crimes. Il invente ses accusations. » L’avocate demande des précisions sur la façon dont on été tués les Tutsi enfermés dans la maison de Boniface. Le témoin répète ce qu’il a déjà dit. Il donne aussi le nom des quatre gendarmes qui étaient présents, dont HAVUGIMANA, César et Catcheur.
L’avocate de l’accuse doute de la crédibilité de ce témoin qui redit dans quelles conditions il a été libéré. Il n’a témoigné que dans la Gacaca de RWESERO. Mais il n’a pas été libéré pour ses témoignages à charge. La condamnation qu’on avait prononcée contre lui était inférieure au nombre d’années qu’il avait passées en prison.
Monsieur l’avocat général reprend la parole pour expliquer comment s’est déroulée la reconstitution des faits. Il y avait effectivement Michel MBYARIYINGIMA, un procureur rwandais, la juge d’instruction et sa greffière, un substitut français, deux gendarmes et l’interprète désigné par l’ambassade de France. Tout cela pour rassurer maître DUQUE que les choses se sont bien déroulées comme elles devaient l’être.
Audition de monsieur François HABIMANA, témoin cité par le CPCR, partie civile.
François HABIMANA, rescapé de Nyabubare
La victime décline son identité et remercie la cour de le recevoir.
Il déclare connaître l’accusé et demande à M. MANIER s’il le reconnaît. Il déclare avoir vu l’accusé au début et à la fin du génocide. Au début du génocide, les gens participaient à des réunions clandestines réservées aux Hutu. Ces réunions avaient pour objectif le massacre des Tutsi. Un vendredi soir de 1994, la victime était avec sa mère et constate que des gens commencent à incendier certaines maisons. Il décide de s’enfuir avec elle et sa nièce. Il traverse la vallée pour se réfugier sur la colline de NYABUBARE. Se trouve là Pierre NGIRINSHUTI, un ex-militaire des FAR[3]. Ce dernier les encourage à résister et à se défendre face aux assaillants, des habitants de MUSHIRARUNGU et Israël DUSINGIZIMANA, le conseiller de secteur. Ils passent donc une nuit sur la colline. Les gens étaient inquiets toute la nuit mais le militaire conseille de rester unis.
Vers 9h30-10h, ils voient un véhicule blanc en bas de la colline. Sept ou huit gendarmes sortent de la voiture, se cachent à travers une bananeraie pour s’approcher. Ils ont commencé à tirer sur les Tutsi réfugiés sur la colline. Ceux qui essayaient de s’échapper se faisaient massacrer par les attaquants munis d’armes traditionnelles. Le témoin s’est caché dans la végétation, avant de se présenter aux gendarmes, les mains en l’air. Il arrive à leur hauteur et voit le caporal MUSAFIRI, un ami de son beau-frère. Il explique à ce dernier que la situation était très grave et MUSAFIRI lui propose d’aller parler à BIGUMA sans révéler qu’il était Tutsi. Il quitte MUSAFIRI et rencontre un autre gendarme qui le dépouille de son argent et des documents qu’il porte avec lui. Puis il va voir BIGUMA, lui dit qu’il connaît bien son beau-frère Vincent MUNYALIYONGA, sans révéler leurs liens familiaux. BIGUMA lui répond: « Si tu es Tutsi, Vincent te tuera lui-même« . BIGUMA lui ordonne de s’asseoir par terre.
Voyant que François HABIMANA s’était approché de BIGUMA, les rescapés sont sortis des broussailles en levant les bras en l’air. Ils pensaient que le gendarme serait clément. Ce dernier a aligné tout le monde sur la route et leur a demandé pourquoi ils étaient là. Ils répondent tous ensemble: « Pardonnez-nous, nous ne seront plus Tutsi ». Il a alors demandé à un des gendarmes de les mitrailler. Une jeune fille échappe au massacre, malgré une balle qui lui avait coupé le sein. Elle demande à être tuée convenablement. BIGUMA ordonne aux gendarmes et aux Interahamwe[4] de s’occuper d’elle.
BIGUMA se rend au domicile de Pierre NGIRINSHUTI et lance une grenade dans la parcelle. Les assaillants se ruent à l’intérieur de la maison en défonçant le portail à coup de pieds et se mettent à la piller. Pierre avait fui peu avant.
BIGUMA décide alors de repartir vers la gendarmerie. François HABIMANA est installé à l’arrière de la voiture, au milieu des chèvres qui ont été volées. L’adjudant a l’intention de se rendre ensuite à NYAMYAGA mais il veut d’abord aller se reposer à la gendarmerie. Ils continuent donc leur route et vers l’AKAZU K’AMAZI, il ordonne l’érection d’une barrière. Certaines maisons de Tutsi brûlaient. À ce moment-là, il dit que personne ne lui échapperait. Il s’arrête en contrebas de la gendarmerie où il croise le capitaine BIRIKUNZIRA. Il lui annonce qu’il a très bien travaillé. BIGUMA conduit le témoin chez son beau-frère, un grand Interahamwe, qui habite près du camp. Arrivés là, François HABIMANA demande à son beau-frère d’aller voir BIGUMA et de lui dire qu’il est Hutu; ce qu’il va faire.
Le témoin s’adresse à l’accusé pour savoir s’il connaît Vincent, son beau-frère, et Israël, le conseiller de secteur. BIGUMA répond par la négative.
M. le président demande si durant l’attaque les gendarmes ont lancé des grenades. Il répond que oui. Concernant un mortier, il ne l’a pas vu lui même mais l’a entendu d’Israel DUNSINGIZIMANA.
M. le président demande confirmation sur sa rencontre avec MUSAFIRI qui lui a dit « voilà notre chef » en parlant de BIGUMA. C’est la première fois qu’il le voit. Il dit aussi qu’il n’est pas sûr du nombre de personnes sur la colline, cela peut être des centaines ou des milliers. Au sujet de la grenade sur la maison du militaire, il répète que c’est BIGUMA qui l’a lancée.
M. le président fait une lecture du rapport de la remise en situation à la victime et de ses réactions à ce moment-là.
M. le président demande au témoin ce que sont devenues sa mère et sa nièce car lors de sa confrontation, il a dit que les membres de sa famille n’étaient pas rentrés. Il confirme.
M. le président demande à l’accusé de prendre la parole pour répondre à ces accusations.
M. MANIER lui répond qu’il ne peut pas commenter des déclarations qui ont été préparées. Et puis, il n’était pas à NYANZA au moment des faits. (NDR. C’est le leitmotiv de sa défense).
Me HERBEAU prend la parole pour expliquer que la victime a perdu une vingtaine de membres de sa famille, plus précisément sur la colline de NYABUBARE: sa mère, ses frères, ses neveux, ainsi que sa belle-mère qui a été jetée dans une rivière.
Il interroge la victime sur l’ampleur de l’attaque sur la colline de NYABUBARE et si cette dernière a été décisive face à la résistance des réfugiés Tutsi. Il répond que si BIGUMA n’était pas venu avec ses armes à feu, les Interahamwe n’auraient pas eu le dessus sur eux, ils se seraient défendus.
Me HERBEAU demande pourquoi la victime a levé les mains en l’air pendant l’attaque. Il répond qu’ayant travaillé avec des élèves de l’école militaire, il savait que l’on n’était pas tué lorsqu’on levait les mains.
Me HERBEAU lui rappelle ensuite qu’il a croisé quatre personnes qui lui avaient laissé la vie sauve durant cet événement (MUSAFIRI, SINGIYIMANA Vincent, son beau frère et BIGUMA). Il lui demande s’il est reconnaissant envers BIGUMA qui lui a laissé la vie sauve. La victime répond formellement que BIGUMA ne l’aurait jamais épargné s’il avait qu’il était Tutsi. BIGUMA était sans pitié.
Me BERNARDINI questionne la victime sur les différences d’uniforme entre les militaires et les gendarmes. Il répond que les gendarmes portaient des bérets rouges.
Nyabubare, @AG.
L’avocate générale propose de revenir sur des repères géographiques afin de situer le discours de la victime. Elle observe que son témoignage se recoupe avec des témoignages de la semaine dernière, notamment avec celui d’Eugenie MUREBWAYIRE[5]. En effet, cette dernière avait expliqué qu’elle aussi avait dû dire qu’elle était Hutu et que son père et ses frères réfugiés sur la colline de NYABUBARE avaient été tués. De même, la gendarme infirmière, Pélagie, avait confirmé certains des éléments de ce témoignage. L’avocate générale souligne que BIGUMA traitait les Tutsi de « cafards, serpents » mais aussi de « chiens de Tutsi », ce que la victime confirme. Monsieur HABIMANA REDIT ce qu’il a pu dire aux enquêteurs: c’était BIGUMA qui était à la tête de l’attaque car tout le monde lui obéissait au doigt et à l’œil. Elle finit par le remercier pour le chemin parcouru pour donner son récit devant la cour.
Me GUEDJ, pour la défense, souhaite revenir sur l’arrivée d’une voiture, la veille de la grande attaque. Le témoin évoque une voiture blanche conduite par un certain Alexandre. C’est ce qu’on lui avait dit. Mais comme c’était des gens venus d’ailleurs, il ne les connaissait pas
Sur un deuxième point, Me GUEDJ demande si l’accusé portait une arme. La victime dit qu’il portait un pistolet à la ceinture ainsi que des grenades. À une deuxième audition, il avait répondu qu’il ne savait pas si BIGUMA était armé car cela faisait longtemps.
Me GUEDJ lui rappelle ses déclarations devant l’organe rwandais en 2015 selon lesquelles c’est BIGUMA qui aurait exécuté les Tutsi en ligne devant la colline. La victime répond que ce n’est pas ce qu’il a dit, que BIGUMA avait demandé à un gendarme de les fusiller.
Enfin, il lui demande de confirmer qu’il ne l’avait vu qu’une fois alors qu’il a dit dans une déposition qu’il « portait toujours un chapeau ». La victime répond qu’il s’agissait d’un béret. (NDR. En kinyarwanda, on utilise le mot « ngofero » pour désigner tout couvre-chef. On doit préciser alors le « ngofero » des militaires que l’on traduit dans ce cas par béret.)
Me GUEDJ termine en revenant sur sa marotte: ne pourrait-il pas y avoir un autre BIGUMA? La victime affirme qu’il est formel sur le fait que BIGUMA est bien Philippe HATEGEKIMANA, qu’il n’en connaît pas d’autre.
On pourra également se reporter à l’audition de François HABIMANA lors du procès en première instance, le 5 juin 2023.
Audition de madame Odetta MUKANYARWAYA, témoin cité par le CPCR, partie civile.
L’audition de madame Odetta MUKANYARWAYA a été interrompue par une audition en visioconférence du Canada, du professeur Josias SEMUJANGA, cité par le CPCR. Difficile d’en faire un compte-rendu dans la mesure où son audition s’est terminée tard et qu’à la fin l’écoute était difficile. Je choisis de faire référence à son audition en première instance.
Madame MUKANYARGWAYA commence par remercier le gouvernement français et le président de la république, ainsi que la justice française.
Dans un récit chargé d’émotion mais tout en retenue, le témoin porte à la connaissance de la cour que pratiquement toute sa famille a été exterminée sur la colline de NYABUBARE. Sur une centaine de personnes, moins d’une dizaine ont survécu.
Sur la propriété de Pierre Ngirinshuti, policier tutsi tué à Nyabubare.
Évoquant le souvenir de Pierre NGIRINSHUTI, madame MUKANYARWAYA révèle qu’il s’agit du frère de son père. BIGUMA était venu chercher Pierre, le militaire. Il a envoyé un gendarme avec le message suivant: « Va, et dis-lui que s’il ne veut pas faire exterminer sa famille, il faut qu’on se voie! » La réponse: « Qu’il vienne lui-même! »
Le jour suivant, le vendredi, BIGUMA est revenu et a rassemblé la population. Personne encore n’avait été tué. Les réfugiés ont ramassé des pierres, ont poussé des cris, et la voiture des gendarmes est repartie.
Le samedi, les gendarmes sont revenus: beaucoup de Tutsi s’étaient rassemblés sur la colline d’en face. Ordre a été donné d’encercler la colline de NYABUBARE sur tous les côtés. Les réfugiés ont commencé à fuir et à se disperser. Le témoin est partie en compagnie de sa petite soeur. Un obus est tombé sur la maison de son oncle Pierre. Le témoin, qui a perdu presque toute sa famille n’a jamais su qui était mort, et où.
Monsieur le président reprend alors les déclarations du témoin, lui fait préciser la composition de sa famille. Certains des membres de sa famille, apprendra-t-elle plus tard, seront tués à la paroisse de CYANIKA (NDR. Sur les massacres dans la préfecture de GIKONGORO, se reporter aux comptes-rendus des audiences du procès de Laurent BUCYIBARUTA, le préfet de GIKONGORO).
Madame MUKANYARWAYA parle alors de sa petite fille de deux ans qu’elle avait confiée à sa marraine et qui sera entraînée au Zaïre. Elle ne la retrouvera que plusieurs années plus tard: l’enfant avait désormais dix ans. C’est la Croix-Rouge qui l’a lui a ramenée.
BIGUMA? Des « voix » disaient que c’était lui qui incitait à tuer. Et le témoin de revenir sur l’histoire de son oncle Pierre, quelqu’un de vaillant qui, suite à de nombreuses mutations inexpliquées, avait décidé de quitter l’armée après avoir ramené sa famille à NYANZA.
Les obus? Elle a entendu le bruit des obus tirés sur le sommet de la colline, mais elle avait déjà fui. Impossible pour elle de reconnaître des assaillants. Il s’agissait de « sauver sa vie« . Lors de son retour, elle tombera sur les corps des siens dévorés par les chiens. Avant ces trois journées de malheur, les gens s’entendaient bien. Ce sont surtout les gens venus de GIKONGORO, au-delà de la MWOGO, qui sont venus les tuer.
Après le génocide, lors des Gacaca[6], certains tueurs ont plaidé coupable, ont présenté des excuses aux rescapés: « Nous nous sommes pardonnés mutuellement. Aujourd’hui, nous essayons de reconstruire la société rwandaise. »
Invitée par le président à ajouter quelque chose, le témoin: « BIGUMA, qui a exterminé notre famille, lui a vu la sienne s’agrandir, contrairement à la nôtre. Nous demandons à être indemnisés. Nous sommes invalides, nos biens n’ont pas été épargnés, nos chèvres, nos vaches, tous nos biens ont été volés. J’étais la plus âgée des enfants rescapés. Personne n’avait encore vingt ans. »
La justice? « C’est pour nous une forme de thérapie. »
Maître PHILIPPART demande au témoin d’évoquer les circonstances du retour de son oncle Pierre à NYANZA. Les gendarmes voulaient le prendre pour qu’il retourne au camp de GAKO qu’il avait quitté. Mais c’était un mensonge: il sera tué. Si les gendarmes n’étaient pas intervenus, les réfugiés ne seraient pas morts. Ils ont fait front avec leurs voisins hutu. Sur question de l’avocate, le témoin évoque son passage par NYAMURE avec sa sœur Bernadette MUKANGAMIJE qui a été entendue dans la procédure. De tous leurs biens pillés, elle n’a rien récupéré.
Madame AÏT HAMOU fait préciser au témoin que Odetta est son prénom en Kinyarwanda. Elle parle aussi d’un certain KAYIRANGA qui serait parti en moto chercher les gendarmes pour tuer son oncle.
La défense terminera l’audience par une série de questions auxquelles on est maintenant habitués: le témoin a-t-elle témoigné dans d’autres affaires, quelle voiture les gendarmes ont-ils utilisée, sa couleur, sa marque, l’identité des gendarmes… Des questions qui peuvent paraître désuètes dans la mesure où BIGUMA, depuis toujours, dit avoir quitté NYANZA vers le 20 avril! Dans son box, l’accusé semble peu concerné par ce qui se passe dans la salle. Il ne répond à aucune question, n’a jamais pris de notes. Restent encore plus de trois semaines de témoignages pour permettre aux jurés de se construire une intime conviction.
Audition de monsieur Josias SEMUJANGA, témoin cité par le CPCR, en visioconférence du Canada.
Josias SEMUJANGA est professeur/membre de la Société Royale du Canada (l’Université de Montréal). Il a écrit de nombreux livres sur les littératures francophones d’Afrique et de la Caraïbe et sur le génocide des Tutsi du Rwanda.
Génocide? Organisation des massacres d’une partie de la population par un État pour des raisons politiques ou raciales
Thèse : le génocide des Tutsi ne relève pas d’antagonismes séculaires. Les massacres sont le résultat de choix politiques successifs depuis 1959 par les autorités coloniales, d’abord, ensuite par celles de la 1ere et de la 2e république. Il s’agit de montrer comment la tutelle belge, le drame de l’indépendance (où l’ancien colonisateur oppose pour la première fois les Hutu aux Tutsi), la prise de pouvoir de Grégoire KAYIBANDA, la dictature de Juvénal HABYARIMANA et la préparation du massacre de 1994 ont joué leur rôle.
Le Rwanda précolonial : unité sociale et politique autour du roi, depuis le 14e siècle.
Hutu, les Twa et Tutsi formaient une seule nation dont les habitants parlaient la même langue, partageaient la même religion, le même système d’interdits et reconnaissaient l’autorité d’un roi sacré.
Le Rwanda colonial et le Rwanda de 1959 à 1994.
Génocide : découle de l’introduction d’une culture de la violence par l’État, d’abord par les autorités belges (1959-1962), pour changer les autorités administratives nommées par la même colonie. Voir les mémoires des anciens colonisateurs, 20 ans après l’indépendance : expliquer de façon cynique comment la guerre civile a été organisée : Jean-Paul HARROY : Rwanda. De la féodalité à la démocratie (1984). Colonel Guy LOGIEST : Mission au Rwanda (1988) : premier ambassadeur belge au Rwanda pour rassurer les KAYIBANDA qui ne voulait pas de l’indépendance, seulement chasser les chefs et les sous-chefs tutsi ; Louis JASPERS : Rwanda, ma vie d’administrateur (2021) : la mission consistait à suivre les réfugiés et à les déstabiliser (infiltration de l’association Abadahemuka, regroupant des Hutu et des Tutsi rwandais en Ouganda, en 1960-1961, puis au Burundi et en Tanzanie).
Un autre livre récent sur cette violence populaire par la colonisation belge : Ludo de Witte : Meurtre au Burundi. La Belgique et l’assassinat de Rwagasore (2021) : idée centrale : Bruno RÉGNIER, ancien résident de Kigali est chargé de semer les troubles au Rwanda. HARROY y décrète un état d’urgence et y envoie un résident militaire spécail : le colonel Guy LOGIEST. Bruno RÉGNIER est envoyé au Burundi pour y réaliser les mêmes exploits. Il échoue : le Prince RWAGASORE gagne les élections législatives. Il est assassiné. HARROY et RÉGNIER son chassés du Burundi sur demande du roi MWAMBUTSA. Cette information ne figurait pas dans les autres livres cités.
1959-1962 : objectif politique (chasser le maximum de Tutsi pour que le parti Parmehutu puisse gagner les élections et arriver au pouvoir.
1963-1967 : les rebelles exilés attaquent : répression sur les Tutsi de l’intérieur.
1973 : organisation des violences et chasse au Tutsi dans les écoles secondaires et les enseignements supérieurs, ainsi que dans l’administration publique et privée : objectif politique de l’armée pour renverser le président KAYIBANDA.
1990-1994 : planification du génocide au cas où la victoire sur le FPR deviendrait impossible.
Grégoire KAYIBANDA: 1963-1964 ; 1966-1967. Chaque fois que les exilés tutsi ont attaqué le Rwanda, la violence populaire contre les Tutsi s’est organisée, comme s’ils n’étaient pas des citoyens comme les autres.
– Juvénal HABYARIMANA (1990-1993) : idem, le FPR attaque, les Tutsi et les opposants sont emprisonnés et les paysans tutsi sont massacrés dans le Bugesera, le Kibuye et le Bigogwe.
– Jean KAMBANDA[7] et Isidore SINDIKUBWABO (avril-juillet 1994)[8]. KAMBANDA a plaidé coupable.
– Organisation : médias, milices interahamwe, armée, police, autorités administratives et religieuses (certaines situations : Paroisse de Nyange)[9]))
Conclusion : depuis les violences organisées en 1959 par les autorités belges dans le but politique de remplacer l’élite tutsi par l’élite hutu, la culture de la violence populaire s’est enracinée.
Éliminer la culture de la violence populaire par l’État rwandais : un État responsable de ses citoyens!
Maitre BERNARDINI fait préciser au témoin que le discours négationniste est bien consubstantiel au génocide. L’État rwandais avait bien signé les grandes conventions internationales mais avait refusé de les intégrer dans la loi ( NDR. Ce qui justifie le refus de la Cour de cassation d’extrader les génocidaires rwandais au non de la non-rétroactivité des peines. Ce n’est qu’après le génocide que le Rwanda va prévoir les peines concernant le génocide. Cette position a été contestée par le professeur Damien ROETS de l’Université de Limoges)[10]
Une autre forme de négation consiste à dire que Hutu et Tutsi s’étaient entretués. Il y aurait une sorte d’endémisme africain. Monsieur SEMUJANGA dit que cela correspond à ce qu’on appelle « la notion du bien conscient ». On applique des stéréotypes dans la lecture de ce qui se passe ailleurs. Le témoin rappelle que « le génocide vient de la modernisation d’un État » et pose la question : « Comment décoloniser la pensée« ?
À maître TAPI qui demande au témoin comment il appréhende la situation, Josias SEMUJANGA répond: « Le génocide est un acte politique. On force les élites africaines à marcher au rythme des démocraties européennes. Il est difficile de fonder une société. Il a fallu longtemps, en France, pour arriver à la situation actuelle depuis 1789. Il faut laisser le temps aux sociétés africaines. On ne peut pas imposer le modèle de notre démocratie. Le génocide n’est pas une menace pour les Africains. C’est une période où les élites perdent la tête. Aujourd’hui, le discours négationniste de 1995 devient plus politique. »
(NDR. Il faudrait beaucoup plus de temps pour appréhender les propos du témoin. Cela pourrait faire l’objet de plusieurs conférences ou colloques.)
Maître TAPI reconnaît le rôle de l’État mais il insiste sur le rôle des autorités locales dans le génocide.
Josias SEMUJANGA: « Un gendarme, c’est un commis de l’État ». Rôle, bien sûr des bourgmestres dont certains, qui refusaient de participer au génocide, ont fini par le commettre. Exemple du bourgmestre de TABA, AKAYESU, qui a été condamné au TPIR.
Monsieur SEMUJANGA sur question d’un autre avocat, évoque la situation du MAYAGA, dont la commune de NTYAZO fait partie. Il a fait toute une étude sur le rôle de la gendarmerie dans cette région. Le fait que des autorités se soient opposées au massacres pour protéger les Tutsi a entraîné ces derniers à faire le choix de ne pas fuir. Ils ont été pris au piège. Les Interahamwe qui ont tué au MAYAGA sont venus du BUGESERA car il n’y avait pas d’Interahamwe dans la région. Est évoqué alors le cas d’Adalbert MUHUTU dont l’avocat général dit qu’on en reparlera. Ce dernier remercie le témoin pour son intervention.
Maître GUEDJ, dans une série de questions, veut à tout prix faire dire au témoin que le Rwanda actuel est une dictature. Monsieur SEMUJANGA veut s’en tenir à l’objet de son intervention et refuse de répondre à cette question.
« Et Michaela WRONG? » interroge l’avocat. (NDR. Journaliste anglaise qui a écrit un ouvrage intitulé Rwanda: assassins sans frontières. Enquête sur le régime KAGAME. Elle a été cité par la défense[11]).
Josias SEMUJANGA: « J’ai critiqué son livre. »
Maître GUEDJ insiste : « Votre avis sur le Rwanda d’aujourd’hui? » et les 99,16% des voix obtenues par le président KAGAME (NDR. Une question qui n’a évidemment rien à voir avec le procès qui nous occupe aujourd’hui, sauf si, comme le font tous les défenseurs des accusés, on veut nous faire croire que c’est un procès politique. Ce que monsieur HATEGEKIMANA ne cesse de dire quand il accepte de répondre aux questions qui lui sont posées).
Josias SEMUJANGA: « Cette question sort de mon domaine de compétence. Je n’ai pas à donner mon opinion personnelle. »
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[↑]
2. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[↑]
3. FAR : Forces Armées Rwandaises[↑]
4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
5. Voir l’audition d’Eugenie MUREBWAYIRE, le 15 novembre 2024[↑]
6. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
7. On pourra également se reporter à l’audition de Jean KAMBANDA dans le procès Eugène RWAMUCYO, le 11 octobre 2024. Il avait été Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir également Focus – L’État au service du génocide.[↑]
8. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
9. Voir REPÈRES : LES MÉDIAS DE LA HAINE[↑]
10. Voir Refus d’extrader: l’avis de Damien Roets, professeur de droit, 20 mars 2014.[↑]
11. Voir l’audition de Michaela WRONG le 8 novembre 2024.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 22 novembre 2024. J14
25/11/2024
• Audition d’Emmanuel UWUTIJE.
• Audition d’Obed BAYAVUGE.
• Audition de Primitive MUJAWAYEZU, partie civile.
• Audition de Geneviève GAHONGAYIRE, partie civile.
________________________________________
Le compte-rendu de la veille a été revu et complété. On pourra y relire les témoignages de François HABIMANA et Josias SEMUJANGA.
Audition de monsieur Emmanuel UWUTIJE, cité par l’accusation, en visioconférence de depuis le Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin avait déjà été entendu par les gendarmes français en 2017. Il évoquait des faits du 23 avril 1994 concernant le bourgmestre NYAGASAZA. A une date entre le 21 et le 22 avril, il voit un véhicule arriver à MUSHIRARUNGU à côté de la colline de NYABUBARE. Des militaires arrivent et commencent à massacrer des Tutsi et manger leurs vaches. C’est son conseiller de secteur, Israel DUNSINGIZIMANA, qui les aurait fait venir. Il dit que le meurtre du bourgmestre serait intervenu avant l’attaque. Le président souligne que lors de son audition, il déclarait que la mort du bourgmestre était postérieure à l’attaque. À cela il répond que les militaires sont arrivés les premiers, sûrement un vendredi. Ils portaient un béret rouge, donc le béret des gendarmes. La population a été convoquée et les militaires ont ordonné au conseiller de secteur de déclencher le génocide.
La journée du 23 avril, un véhicule de type Toyota blanc est arrivé vers 8h du matin avec le bourgmestre NYAGASAZA et le conseiller de secteur DUSINGIZIMANA. Ils descendent tous à l’exception du chauffeur. Le bourgmestre est tué de deux balles. Le témoin se tenait à environ 30 mètres de la scène. Quand ce véhicule est arrivé, les Tutsi étaient déjà réfugiés sur la colline car c’est Israel qui leur avait ordonné de monter sur la colline d’en face. Un militaire était présent avec eux, Pierre NGIRINSHUTI.
Au regard du meurtre de NIAGASAZA, Emmanuel UWUTIJE ne saurait pas dire qui a tiré ni qui a donné l’ordre. Le témoin ne connaissait pas BIGUMA à ce moment-là, il ne pouvait pas attester de ses actes. Après le meurtre, les Tutsi se sont réfugiés sur la colline et les villageois ont suivi les gendarmes. Le témoin pense qu’ils étaient très nombreux, des centaines sûrement.
Mortier de 60 mm – DR
Il atteste avoir vu une arme longue portée être utilisée par les gendarmes. Il décrit cette arme comme étant sur un trépied, de couleur verte/grise. La photo d’un mortier lui est montrée mais il ne confirme pas l’exacte similitude de l’arme qu’il a pu voir sur la colline. Il confirme cependant que les gendarmes ont « pilonné » la colline de 9h à 12h. Il décrit l’arme comme envoyant de petits obus qui faisaient sauter de la matière et tomber les gens. Après cela, les personnes encore vivantes étaient achevées à la machette. BIGUMA demande au militaire PIERRE de se rendre, ce qu’il refuse. Les gendarmes ont tiré sur sa maison (Pierre NGIRINSHUTI avait réussi à fuir). L’ordre a été donné d’encercler la colline et de tuer tous les Tutsi qui échappaient aux tirs. Après l’attaque, le chef des gendarmes remercie les assaillants d’avoir bien travaillé.
Ce chef des gendarmes, il a su que c’était BIGUMA parce qu’Israel DUNSIGIZIMANA l’a présenté comme tel aux tueurs. M. le président souligne que le témoin n’a pas reconnu l’accusé sur la planche de photos. Il se serait d’abord trompé avant de déclarer qu’il ne se souvient pas. Le témoin répond qu’il n’a vu l’accusé qu’une seule fois sur la colline de NYABUBARE et que c’est pour cette raison qu’il ne peut pas le reconnaître.
À la remise en situation, il dit avoir vu BIGUMA tirer sur la maison de Pierre. Il a positionné le bourgmestre au même endroit que le conseiller de secteur Israel. Il affirme ne pas s’être concerté avec lui pour placer l’événement. Il infirme aussi avoir parlé d’un discours. (NDR. Sûrement défaut de traduction). Sur la demande du président, il dit avoir été condamné à 15 ans de prison, en avoir effectué 8 ainsi que 5 ans de travaux d’intérêt général. Il a plaidé coupable pour sa participation à l’attaque de NYABUBARE.
Madame l’avocate générale questionne maintenant le témoin sur le déroulement des faits. Il confirme que le 23 avril au matin, c’est le conseiller de secteur qui a réuni les habitants au sujet du militaire Pierre. Il confirme aussi que le véhicule avançait très doucement pour que les habitants puissent suivre. Ce sont les gendarmes qui ont demandé de les suivre en masse et leur ont expliqué le mode opératoire lors d’une réunion quelques jours avant. Le gendarme leur aurait dit que s’il ne déclenchaient pas l’attaque ce sont eux qui mourraient. Il confirme que les gendarmes avaient énormément de pouvoir.
Me GUEDJ, pour la défense prend la parole sur quelques points de la déclaration du témoin.
Au sujet du meurtre de NYAGASAZA, le témoin affirme que le bourgmestre avait vu qu’on avait tiré sur une de ses épaules avec un fusil « à main ». Cependant, il n’a pas su qui a tiré car il ne connaissait pas BIGUMA. L’avocat est repris par le président sur une de ses questions qui reposait sur une fausse information. Il se voit obligé de répondre: « Je m’accroche à ce je peux ». (NDR. Signe manifeste de son désarroi). Il demande ensuite au témoin s’il est certain que ce sont les gendarmes qui ont tué le bourgmestre, ce qu’il confirme.
Au regard maintenant de l’attaque contre Pierre, Me GUEDJ demande des précisions sur l’attaque de la maison. Le témoin confirme les propos qu’il a déjà tenus.
Me GUEDJ reprend le sujet de la reconnaissance sur la planche de photos. Le président reprend le détail de l’audition. Menée en 2016 par les gendarmes français, le témoin répond qu’il n’est pas sûr de reconnaître BIGUMA car cela fait trop longtemps et suggère une photo qui n’est pas la bonne en précisant qu’il n’est vraiment pas sûr. L’audition dure 10 minutes. Le témoin ne se souviens même pas qu’on lui ait présenté une planche photographique. Me GUEDJ observe: « Je pense, Monsieur, qu’on vous a dicté le nom de BIGUMA ».
Emmanuel UWUTIJE affirme avoir été présent lors de l’attaque de NYABUBARE, lors du meurtre du bourgmestre NYAGASAZA et de l’attaque de la maison de Pierre NGIRINSHUTI. Cependant, le meurtre du bourgmestre ne fait pas partie des FAITS pour lesquels il a été condamné, contrairement à l’attaque de la colline.
Enfin Me GUEDJ fait référence à une audition faite par des Belges au cours de laquelle on lui a demandé comment il avait pu témoigner à l’encontre de son frère (NDR. Obed BAYAVUGE, qui va témoigner après lui). Le témoin répond que ces Belges avaient été envoyés par les autorités rwandaises et le responsable de sa cellule. Me GUEDJ déclare qu’il s’agissait donc d’Israel.
M. le président le reprend encore une fois sur la mauvaise interprétation qu’il fait régulièrement des propos des témoins.
La défense n’a plus de questions.
M. MANIER, invité à prendre la parole, affirme qu’il ne peut pas commenter car il n’était pas là.
Audition de monsieur Obed BAYAVUGE, cité par l’accusation, en visioconférence de depuis le Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il s’agit du frère du premier témoin.
Il a été condamné par la Gacaca[1] à une peine de 13 ans de prison. Il est sorti pour faire des travaux d’intérêt général après 8 ans et quelques mois pour une durée finale de 13 ans. Il a plaidé coupable pour avoir participé à l’attaque de NYABUBARE. Il est entendu par les gendarmes en 2017, puis participe à une remise en situation en 2019. Le témoin affirme qu’il a pas été témoin de la mort du bourgmestre car il était chez lui à ce moment-la. Avant l’attaque du 23 avril, il n’y avait pas eu de Tutsi tué sur la colline, ni d’autres attaques contre les réfugiés à NYABUBARE.
Au sujet du 23 avril, il confirme avoir entendu des coups de feu, être sorti de chez lui, qu’il a vu arriver un véhicule dans lequel il y avait BIGUMA et le conseiller de secteur Israel DUSINGIZIMANA. C’était la première fois qu’il voyait BIGUMA et il a su qu’il s’agissait de lui car avant l’attaque, le conseiller Israel DUSINZIGIMANA et KAIYRANGA (conseiller de cellule) avaient dit qu’ils le feraient venir. Le conseiller de secteur Israel aurait fait descendre toute la population après la mort du bourgmestre. Le vendredi 22 avril, la barrière de MUSHIRARUNGU est érigée, et c’est le lendemain que l’attaque contre les Tutsi commence à NYABUBARE. Il parle d’un véhicule à double cabine blanc. Au sujet des repères temporels, il donne différentes dates et se reprend sur remarque du président. Le témoin explique maintenant que les gendarmes ont utilisé des petits fusils et une arme lourde qui avait été installée en contrebas de la route où étaient installés les gendarmes et BIGUMA. Il ne saurait pas nommer cette arme mais il la décrit comme noire avec un canon dirigé sur la colline. Il reconnaît l’image de mortier présentée[2].
Il explique que le rôle de la population qui avait encerclé la colline était de tuer les Tutsi qui échappaient aux balles et aux obus. D’autres attaquants arrivaient de NYABINYENGA. BIGUMA avait un rôle déterminant dans l’attaque car après cela, il a fait arriver chez le témoin l’épouse de Pierre, Jacqueline NYIRANDEGEYA et ses deux enfants. Le président observe que c’est la première fois qu’il dit cela. Le témoin précise que cela a eu lieu après l’attaque. BIGUMA amène Jacqueline chez le témoin, c’est donc la deuxième fois qu’il le voit. Il donnait des ordres au conseiller, qui en donnait lui même à la population. Le témoin confirme qu’après l’attaque, BIGUMA avait dit qu’ils avaient bien travaillé. Il ne sait pas le reconnaître sur photo car il ne l’avait vu qu’une seule fois mais le président observe qu’il a mentionné son passage chez lui avec Jacqueline, la femme de Pierre.
Le président parle de deux remises en situation avec Israël et Emmanuel UWITIJE. Il note qu’aujourd’hui le témoin est capable de donner les caractéristiques de l’arme lourde contrairement à ses auditions. Le témoin répond qu’il a dit la vérité.
Me MARIE prend la parole pour demander qui leur a demandé de coopérer avec les gendarmes. Il affirme que DUSINGIZIMANA organisait cela pendant les réunions et qu’il a été forcé de participer à l’attaque par le capitaine et ses militaires.
Me GISAGARA demande si c’est seulement Israel DUSINGIZIMANA qui donnait des ordres ou bien aussi ses gendarmes. Il répond que des gendarmes aussi ont donné des ordres au moment de l’attaque sur la colline et qu’ils leur ont montré par où passer pour encercler la colline.
Madame l’avocate générale interroge maintenant le témoin sur l’emplacement du mortier.
Au sujet de famille RUGEMA, le témoin dit qu’elle comprenait 5 membres et que le père était OPJ. Elle demande s’il se rappelle avoir dit que la famille avait été tuée par les gendarmes. Il confirme et explique qu’effectivement, le responsable de la cellule avait fait part de ce meurtre le jour-même, ce qui avait ameuté la population. Il confirme enfin que les gendarmes avaient beaucoup de pouvoir.
Me ALTIT, pour la défense questionne le témoin sur son emprisonnement. Ce dernier affirme avoir été condamné le 3 juin 2005 puis libéré tout de suite pour faire des travaux d’intérêt général. Il était en prison depuis le 27 mai 1997. Il n’a rien eu à négocier avec les autorités pour pouvoir sortir. Il a plaidé coupable car sa présence à l’attaque impliquait sa responsabilité.
Me ALTIT essaie de faire dire au témoin qu’il a tué des personnes sur la colline. Le président le reprend en disant, encore une fois, que ce n’est pas qu’il a dit. Me ALTIT reprend sa question et demande pour quels faits il a été condamné. Le témoin répond que c’est pour avoir participé à l’attaque.
Pendant les 4 ans de Travaux d’intérêt général, le témoin a participé à la reconstruction des maisons qui avaient été incendiées.
Me ALTIT demande s’il a participé à d’autres Gacaca. Le témoin répond qu’il a témoigné pour des faits à MUSHIRARUNGU. Il explique aussi avoir répondu aux questions d’enquêteurs pour la Gacaca de son frère notamment, en présence d’enquêteurs belges.
Me ALTIT l’interroge maintenant sur la deuxième fois que le témoin voit BIGUMA avec Jacqueline la femme de Pierre. Le témoin répond que c’est possible que les gendarmes français n’aient pas pris cet élément dans sa déposition.
Au sujet de l’attaque du 23 avril, le témoin se rappelle avoir vu environ 8 gendarmes dans la voiture blanche. Il montre que l’arme lourde correspondant à environ la longueur d’un bras et une vingtaine de centimètres, c’est à dire environ 1 mètre. Cependant, il ne pouvait pas savoir à quoi ressemblaient les munitions car il ne les a pas manipulées lui-même. Me ALTIT demande s’il a vu les gendarmes faire l’action de tirer avec cette arme. M. Le président, encore une fois, fait remarquer à Me ALTIT qu’il essaie de faire dire au témoin quelque chose qu’il n’a pas dit. Il reformule donc la question: « Combien de personnes faisaient fonctionner l’arme. Le témoin répond qu’il ne sait pas et qu’il ne l’a pas vu.
Me ALTIT demande s’il y avait un autre gradé au cours de cette attaque. Le témoin répond que oui. Il explique aussi qu’il n’a pas vu BIGUMA sur le versant de la colline où il était lors de l’attaque, mais qu’il pense qu’il était resté près du mortier.
Me ALTIT en est réduit à poser des questions inutiles. On a l’impression qu’il interroge le témoin comme on le faisait à ARUSHA, lorsque l’instruction se faisait au cours du procès. Il voudrait absolument faire dire au témoin que BIGUMA n’était pas là.
M. le président donne la parole à l’accusé qui dit qu’il n’a pas de commentaire.
La séance est suspendue à 13h15 puis reprend à 14h30.
Audition de madame Primitive MUJAWAYEZU, partie civile.
Pierre NYAKARASHI
Elle souhaite demander à l’accusé s’il connaît le bourgmestre NYAGASAZA, NAKARASHI et MUSORA. Il répond qu’il connaissait l’existence du bourgmestre mais pas des deux autres. Elle demande alors comment peut-il ne pas les connaître alors qu’il les a enlevés. Le président précise qu’elle est la fille de Pierre NAKARASHI, un policier tutsi de la police communale de NTYAZO. Il était responsable de la sécurité des gens et de leurs biens. Elle ne connaissait pas NYAGASAZA qui est venu par la suite. Son père travaillait dans la police avant l’arrivée de NYAGASAZA au poste de bourgmestre et ne travaillait plus après sa nomination.
Après cela, il a eu des fonctions à GATUNA en charge des sorties à la frontière. Lorsqu’il a été capturé, la victime était avec son père et non loin de sa mère. Étaient aussi présents des cousins, neveux et nièces. C’était un samedi matin, NYAGASAZA était devant eux. Ils étaient très nombreux à suivre le bourgmestre. Au moment où le bourgmestre proposait d’aider à travers la rivière, Primitive MUJAWAYEZU voit un véhicule blanc avec trois gendarmes à bord. Ces derniers ont pris NYAGASAZA, l’ont jeté dans le véhicule. Puis ils leur ont tiré dessus en rafales. La victime est touchée à la hanche par une balle . Elle avait un bébé de huit jours sur le dos et était encore faible de son accouchement. Son bébé est tombé: quelqu’un l’a ramassé et le lui a remis sur le dos. Elle est accompagnée à ce moment-là de ses cousins. Aucun d’eux n’a pu traverser à part elle, son bébé de huit jours, sa fille de 18 mois et son mari. Sa mère n’a pas pu traverser.
Quand BIGUMA les a mitraillés, des Interahamwe étaient présents pour achever les survivants, notamment sa mère. Quand les soldats burundais ont essayé de les faire traverser, BIGUMA est revenu sur les lieux pour dire: « Le sang des vaches se mélange au sang des humains ». Le président précise le contexte. À ce moment-là, la famille de la victime tentait de fuir le Rwanda en traversant pour le Burundi. Trois gendarmes sont à bord de la Toyota. Elle identifie BIGUMA dedans. À l’époque, elle ne savait pas qui c’était mais elle se souvient de son visage, elle ne peut pas oublier ce qu’il lui a fait. En 2015, elle l’a rapidement reconnu sur des planches photos. Elle le reconnaît aussi formellement aujourd’hui, 30 ans après les faits.
Le bourgmestre Narcisse NYAGASAZA arrêté et emmené par BIGUMA.
M. le président revient sur l’enlèvement de son père. Elle explique de nouveau que trois gendarmes sont arrivés en voiture, ils ont pris NYAGASAZA, puis son père NAKARASHI pour les jeter dans la voiture. Elle ne se souvient plus si c’est BIGUMA qui conduisait mais se souvient que c’est lui qui a tiré. Apollinaire MUSONERA est ensuite kidnappé à son tour. Elle affirme qu’un Emmanuel aurait été kidnappé plus tard à KIBIRIZI. Les gendarmes auraient arrêté son père car il aurait été un grand Inyenzi[3] qui aurait travaillé pour le gouvernement rwandais. Des photos de son père sont montrées , une de NYAGASAZA et une de son fils qui est maintenant devenu policier.
La victime souffre encore de ses sévices et de handicap, elle bénéficie du Fond d’Aide aux Rescapes du Génocide (FARG).
Me HERBEAU interroge la victime sur la potentielle inscription de son père sur une liste des Tutsi à éliminer. Elle confirme.
Me BERNADINI lui demande aussi si elle connaît des personnes nommées Innocent SAFARI, Pacifique… elle répond par la négative.
Me GISAGARA demande aussi si elle connaît MUKAKIBIBI Cécile. Elle répond que oui. Elle dit avoir laissé les deux vieilles dames de cette famille qui auraient été tuées à KARWICO selon ce qu’elle a entendu.
Madame l’avocate générale demande à la victime si elle pensait qu’elle-même et sa famille pouvaient être considérées comme complices du FPR[4]. Elle répond que oui car elles étaient Tutsi et que c’était leur seul crime.
Au moment où BIGUMA dit qu’il faut « mélanger le sang des Tutsi avec le sang des vaches« , la victime en comprend que c’était le signal pour les Interahamwe pour tuer les survivants à la machette. Elle confirme que les vaches représentaient la richesse des Tutsi et qu’elles étaient tuées au même titre que les Tutsi.
M. le président prend la parole. La témoin confirme que les génocidaires voulaient tuer tous les Tutsi et même les empêcher de fuir au Burundi.
Me LOTH, pour la défense. « Comment savez-vous que c’était des gendarmes? »
« J’ai reconnu leur tenue. »
Me DUQUE pour la défense. « Comment savez-vous que c’est BIGUMA qui a prononcé la phrase que vous rapportez concernant les sang des Tutsi et le sang des vaches? ». Elle le reconnaît car il était très fort avec la peau très foncée. Me DUQUE souligne qu’elle ne l’a pas reconnu sur la planche photographique. L’avocate générale vole au secours du témoin et souligne qu’à ce moment-là, elle a dit qu’elle n’était pas sûre.
Audition de madame Geneviève GAHONGAYIRE, partie civile.
Le témoin commence par dire que c’est à l’école qu’elle a pris conscience qu’elle était Tutsi. Ses parents ne lui avait rien dit, probablement pour la protéger, elle et ses frères et sœurs. Ses parents n’avaient pu faire des études, les Tutsi étant écartés pour leur entrée dans l’enseignement secondaire.
En 1994, madame GAHONGAYIRE dit s’être rendue à MBUYE, chez sa grand-mère, Cécile MUKAKIBILI. C’était les vacances de Pâques. Ils passaient la nuit chez des voisins à cause des rumeurs qui circulaient. Son frère avait été conduit par sa mère chez son grand-père paternel, près de l’Akanyaru, à la frontière avec le BURUNDI.
Une cousine, venue de BUTARE, parle d’une situation qui s’est dégradée. Elle souhaiterait qu’ils puissent se réfugier au Burundi, mais sa mère refuse. Le bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA, avait lui aussi refusé de partir pour rester avec ses concitoyens. Le témoin raconte alors sa fuite vers le Burundi, en direction de NTYAZO. Dans la vallée qu’ils traversent, ils sont encerclés par la population. C’est KADOMA qui dirigeait l’attaque. Le groupe auquel elle appartenait s’est alors dispersé. Le témoin laisse à l’arrière sa grand-mère et sa tante. Par un éclaireur, ils apprennent que le bourgmestre NYAGASAZA a été arrêté. Arrivés près de KAZARUSENYA, un petit centre commercial juste au-dessus de l’Akanyaru, deux jeunes gens les arrêtent mais décident de les laisser continuer: « Vous serez tués plus loin » disent-ils. Elle est séparée de sa cousine.
Centre commercial près de le frontière du Burundi où Nyagasaza a été arrêté. Le chemin descend vers la rivière Akanyaru.. Photo AG
Arrivés à KAZARUSENYA, des Interahamwe[5] grillaient des brochettes tout près d’un champ de sorgho: ils les ont arrêtés et leur disent qu’ils allaient les tuer. À ce moment, des bruits de balles se font entendre. Dans les champs gisent de nombreux cadavres. Passe alors une voiture avec NYAGASAZA à bord et trois ou quatre gendarmes.
Des militaires burundais effectuent des tirs à leur tour pour permettre leur fuite. Les plus âgés pouvaient passer en pirogue. l’Akanyaru charriaient des corps. Le témoin réussit à monter à bord d’une pirogue pour arriver au Burundi. Les rescapés vont alors marcher jusqu’à KAYONZA où se trouve un camp de réfugiés. Le témoin retrouve un oncle qui habitait au BURUNDI. Elle restera là deux semaines.
Sur question de maître PARUELLE, elle dit n’avoir pas bénéficié de soins psychologiques. Le souvenir le plus marquant qu’elle garde en mémoire, c’est lorsque elle a perdu de vue sa tante et sa grand-mère. C’est la première fois qu’elle témoigne. Si elle a accepté de le faire, c’est parce qu’elle a grandi, dit-elle, qu’elle comprend mieux les choses maintenant. Pour rendre aussi justice à ses parents.
Madame l’avocate générale la remercie pour avoir eu le courage de témoigner.
Coline BERTRAND, stagiaire du CPCR
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
2. Voir ci-dessus un exemple de mortier en illustration du témoignage précédent.[↑]
3. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[↑]
4. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 25 novembre 2024. J15
26/11/2024
• Audition d’Israël DUSINGIZIMANA.
• Audition de Foibe MUHIGAYANA, partie civile.
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Audition de monsieur Israël DUSINGIZIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Avant l’audition du témoin, monsieur le président annonce que la défense a fait verser au dossier plus d’une trentaine de documents, dont la pièce 9, un article daté du 12 décembre 2017, pris sur le site internet RWANDAN. Maître GUEDJ est incapable de dire quelle est la ligne éditoriale de ce site, ni qui est l’auteur de l’article dans lequel il est dit que James KABAREBE, ancien chef d’État major de l’armée, aurait envoyé des émissaires dans plusieurs prisons du Rwanda pour demander aux prisonniers, dont Israël DUSINGIZIMANA, qui va être entendu, de mentir et de témoigner en faveur de KAGAME (NDR. Je n’ai pas tout compris n’ayant pas encore eu le document sous les yeux. Mais ce site est connu comme propagateur de propos anti-KAGAME, soutien de Michaela WRONG…. négationniste à souhait, nostalgique de HABYARIMANA. La défense va fouiller dans les poubelles, signe de son désarroi). Interrogé sur la réalité de cette accusation, le témoin dira que ce ne sont que des mensonges, qui ne connaît pas James KABAREBE. Le témoignage qu’il donne s’appuie sur des faits connus de tous: « Même les oiseaux le savent. »
Le témoin, conseiller du secteur de MUSHIRARUNGU, a été condamné pour plusieurs actes de génocide. Il a plaidé coupable mais reste toujours en prison bien qu’il ait effectué la peine de 24 ans de réclusion. En fait, Israël DUSINGIZIMANA déclare ne plus être en prison mais dans une sorte de camp de rééducation où les conditions de vie sont bonnes. Il a bien connu BIGUMA avant le génocide car c’est à lui qu’il avait affaire lorsqu’un problème se passait dans son secteur. Il l’a d’ailleurs très bien reconnu sur les photos qui lui ont été présentées. Au moment du génocide, c’est lui qui est allé avertir l’accusé qu’un certain Pierre NGIRINSHUTI se trouvait sur la colline de NYABUBARE armé du fusil qu’il avait gardé en tant qu’ancien militaire des FAR[1]. Les gendarmes ont fait le contraire de ce pour quoi ils étaient faits. Au lieu de protéger la population, ils ont participé au génocide. Sans leur participation, les massacres n’auraient pas connu l’ampleur qu’ils ont pris.
Le témoin, sur question de monsieur le président, reconnaît que le discours du président SINDIKUBWABO le 19 avril à BUTARE l’a beaucoup affecté[2]. » J’ai compris que nous devions lutter contre l’ennemi, les Tutsi: tuer, piller, manger leurs vaches… »
Plusieurs questions porteront ensuite sur les différentes réunions qui seront organisées. Un incident va détérioré la situation à NYANZA. Abel BASABOSE, qui s’en était pris à des Tutsi avec ses compères, avait été arrêtés par le bourgmestre GISAGARA. Le sous-préfet KAYITANA les avait aussitôt fait libérer: « Vous, conseillers, avait-il dit, vous ne savez pas qui est votre ennemi? » BIRIKUNZIRA a alors mis à la disposition du témoin, une dizaine de gendarmes. Par peur d’être tué lui-même, le témoin explique ainsi le fait qu’il ait basculé dans le génocide alors qu’il était du PSD[3]. Il s’est mêlé aux massacres. (NDR. Ne pas oublier que tous les partis d’opposition se sont scindés en deux, dont une partie est devenue extrémiste, Pawa[4].) Cette peur est venue aussi, sur question de l’avocate générale, de l’assassinat de RUGEMA.
Maître GUEDJ conteste la version que le témoin fait de l’arestation et du meurtre du bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA, ainsi que la narration qu’il fait de l’exécution des Tutsi qui se trouvaient dans la voiture de BIGUMA, avant celle de NYAGASAZA. C’est alors que BIGUMA aurait tenu les propos suivants: « Je viens de vous donner l’exemple de ce que vous devez faire aux Tutsi qui se trouvent là sur la colline de NYABUBARE. Allons les tuer de la même façon, que personne ne reste. »
Concernant les massacres sur la colline de NYABUBARE, le témoin explique que la population est partie avec les gendarmes, que ces derniers ont installé un mortier auprès duquel DUSINGIZIMANA serait resté en compagnie de BIGUMA à la commande. Pierre NGIRINSHUTI dont la maison sera détruite par une grenade, réussira à fuir mais sera tué plus tard sur la colline de MURAMA par un militaire du nom de GAKUBA. Les Tutsi qui n’ont été tués par les tirs de mortier seront poursuivis et achevés par la population. Le lendemain, le témoin organisera l’ensevelissement sommaire des corps. Les quelques survivants seront achevés.
La défense va alors se lancer dans une série de questions pour contester, une nouvelle fois, les propos du témoin. Ce dernier maintient tout ce qu’il a dit, en particulier sur l’exécution du bourgmestre NYAGASAZA, maître GUEDJ voulant lui faire dire que c’était la population qui l’aurait exécuté. Un télégramme envoyé par Gaëtan KAYITANA au TPIR[5] prétendait que NYAGASAZA avait été tué sur les bords de l’Akanyaru, alors qu’il voulait passer au Burundi. Monsieur DUSINGIZIMANA conteste cette version. L’avocat de la défense choisit bien évidemment la version qui arrange son client.
Sur la colline de NYABUBARE, le témoin reconnaît qu’il a participé aux massacres, armé de son gourdin: « J’avais un gourdin, pas un gourdin d’ornement. Je l’ai utilisé, j’ai tué » ajoutera-t-il. Concernant le nombre de victimes, si les déclarations du témoin ont varié, il parle aujourd’hui de 300 morts environ.
La vue des cadavres, quelle impression sur lui? « Nous avions perdu notre humanité. On n’était plus humains. C’est pourquoi j’ai demandé pardon, que je suis résolu à ne rien cacher, à tout mettre à nu. » Par contre, il n’a pas assisté aux faits dont a parlé François HABIMANA[6]: l’exécution de Tutsi qui souhaitaient se rendre comme l’avait fait la partie civile entendue quelques jours plus tôt. DUSINGIZIMANA dit n’avoir vu HABIMANA qu’après les massacres, près de la voiture de BIGUMA. Maître GUEDJ reprend la parole pour signifier au témoin qu’il en rajoute pour enfoncer davantage son client.
« En accusant les gendarmes, vous ne cherchez pas à atténuer votre propre responsabilité? » demande l’avocat de la défense. Le témoin redit qu’il a plaidé coupable pour les massacres de NYABUBARE car il était présent sur la colline. (NDR. Inutile de rendre compte de toutes les questions de la défense. Soit parce que les réponses y ont été déjà données, soit parce qu’elles sont tout simplement sans intérêt concernant la responsabilité de l’accusé.)
Et puis la question qu’on sentait venir de loin, maître GUEDJ fixant le représentant du CPCR depuis un petit moment :
« Qui vous a informé qu’un procès contre BIGUMA allait se tenir en France? La plainte déposée par le CPCR contient une de vos déposition en date du 13 août 2013! Vous connaissez monsieur et madame GAUTHIER? »
« Je les connais, je les ai rencontrés en prison. »
Monsieur le président précise que monsieur GAUTHIER est dans la salle et qu’on l’interrogera sur la façon dont le CPCR travaille lors de ses enquêtes.
Sur question de la défense, le témoin explique le rôle qu’il a tenu en prison pour inciter les autres détenus à dire la vérité pour soulager leur conscience. Membre des Adventistes du 7ème jour, il œuvre pour aider le Rwanda à se reconstruire. Il n’a jamais obligé qui que ce soit à parler. Et l’avocat de BIGUMA de donner les noms de plusieurs témoins déjà entendus qui ont dit avoir presque tout appris de DUSINGIZIMANA.
La dernière partie de l’audition sera consacrée au rôle que le témoin a pu jouer sur les barrières à MUSHIRARUNGU et ailleurs. S’il a beaucoup participé à leur érection, c’était toujours sur ordre de BIGUMA qui restera sur place jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi[7], début ou mi-mai.
La parole est donné à l’accusé. On connaît les réponses qu’il va faire: il n’était pas là. Il tente de rétablir l’agenda de son emploi du temps mais monsieur le président l’arrête car on connaît déjà tout cela par cœur. Selon lui, tous les témoins ont été préparés en prison. Il ne connaît pas Israël DUSINGIZIMANA.
L’audition aura duré plus de six heures. Il ne sera pas possible d’entendre les deux parties civiles ce soir. Seule sera entendue madame MUHIGAYANA.
Audition de madame Foibe MUHIGAYANA, partie civile.
Née en 1980, elle habite à NYANZA et n’a encore jamais été entendue.
Lorsqu’elle était à l’école dix ans avant le génocide, on a commencé à séparer les Hutu, les Tutsi et les Twa, chacun d’un côté : « Si on ne se mettait pas du bon côté, on nous réprimandait et on nous tapait. Nos parent ne nous avait jamais parlé de cela. Quand on leur racontait, ils nous disaient : ce n’est pas important ». Puis peu à peu un climat de ségrégation se développe. « À la mort du président HABYARIMANA, des gens arrivent de KIGALI, Ils disent que c’est pour tuer des Tutsi. Les tueurs disent qu’il viennent de Kigali faire ce qui se fait là-bas.
On habitait à NYAMIYAGA, secteur RWADICUMA, commune de MURIYAMA. Nous étions une fratrie de 8, 6 garçons et 2 filles. Comme nous revenions d’une récolte de patates douce, notre maman dit que la situation est grave, il faut se réfugier. Il y a des domiciles incendiés en contrebas de chez nous. Maman nous dit d’aller à NYAMUBARE, ma sœur et moi, pour retrouver d’autres Tutsi, pour être protégée. Mes frères et nos parents restent sur place car d’autres personnes convergent là. Mais c’est plus sûr là où nous allons ma sœur et moi, croit-on, car il y a déjà beaucoup de monde et les gendarmes pourront nous protéger.
On passe par la brousse pour ne pas se faire repérer et tuer comme Tutsi.
20 minutes après notre arrivée, les Interahamwe[8] et des gendarmes arrivent , on entend deux détonations.
Un véhicule arrive, les gens disent : « Voilà BIGUMA qui arrive, personne ne va survivre. »
Moi je ne le connaissais pas, mais j’entends les gens en parler.
Ils avaient des feuillages et des serre-têtes, ils ont commencé à couper et à tuer les gens.
Alors ma sœur et moi on a repris le chemin de la maison. On voyait les gens se faire tuer.
À la maison, personne. Tout le monde était allé sur l’autre colline. Donc ma sœur et moi sommes parties les chercher.
Là, maman avait préparé à manger. Mais on n’a pas pu manger car un véhicule est arrivé. Il y avait beaucoup d’Interahamwe mais on les a repoussé. Puis des gendarmes sont arrivés. Ils demandent à l’un d’entre eux comment il faut faire pour tuer… »
Maître DUQUE, l’avocate de la défense, l’interrompt soudainement : « on parle de NYAMIYAGA qui ne fait pas partie de la prévention! » Imperturbable, Foibe MUHIGAYANA reprend son témoignage :
« Les gendarmes tiraient, et la population passait derrière pour nous découper.
J’ai été découpée au cou, au dos, aux jambes, et poussée dans un ravin, laissée comme morte. Je pouvais entendre les gens qui disaient « tuons-le, tuons-le, tuons-le … ». Ensuite la pluie s’est mise à tomber, alors les Interahamwe sont partis se protéger.
Il y avait un enfant tout seul qui marchait en pleurant, découpé lui aussi. Il m’a aidé à me relever. Nous avons quitté les lieux. On est rentré dans une maison où il y avait des gens qui agonisaient.
L’enfant et moi nous avions très soif, nous sommes sortis pour essayer de boire de l’eau de pluie, en vain ».
Les gendarmes cherchaient les survivants. Elle entends : « Voici BIGUMA, voici BIGUMA!. Avec les Interahamwe, ils voulaient « nous achever sans gaspiller de balles. Ils nous ont battus et ils ont dit : de toute façon ils ne vont plus vivre ».
L’enfant est mort. Moi j’ai patienté, puis je suis retournée au milieu des cadavres.
Ma mère respirait encore. On était en train de la violer. C’était une terrible scène. Elle était mourante. Après l’avoir violée, ils lui ont enfoncé une lance, là elle est morte.
Notre maison était incendiée, alors je suis retournée à la colline de NYAMIYAGA d’où ma mère était. J’ai trouvé là un de mes frères, jambes coupées, encore vivant. Je l’ai appelé… Il ne pouvait pas parler, mais il a fait un geste pour que je reparte.
J’ai repris le chemin pour me cacher. J’ai commencé à vivre ainsi dans les brousses. Les Interahamwe passaient me dire que j’allais mourir.
Je suis arrivée dans la maison de ma tante où elle était avec deux de ses enfants encore en vie. Nouvelle attaque. Ma tante me prend et me jette derrière la clôture où je reste cachée. Tous sont tués ».
Elle retourne chez elle. On parle du « bus vers l’Abyssinie » c’est-à-dire la rivière où l’on jette les corps des Tutsi. « Les interahamwe voient un véhicule arriver et disent : « C’est BIGUMA ». Nous étions alignés. BIGUMA dit : « Ne les tuez pas , amenez-les là-bas… »
Maître DUQUE, l’interrompt à nouveau, exaspérée : « Cela fait 35 minutes que nous écoutons ce témoin. Ce sont des faits dont on n’est pas saisis ». Remous dans la salle. Monsieur le président intervient : « C’est juste, on n’a jamais entendu parler de ces faits, on n’en a pas été saisis, on ne pourra pas les juger. Je suis désolé, madame. Pourquoi ne pas en avoir parlé à l’instruction? J’espère que votre avocat vous a prévenu. Nous vous écoutons, mais il faut que vous ayez conscience de cela. »
Foibe MUHIGAYANA reprend son récit jusqu’à la fin de son « chemin de croix » après un mois d’errance avec l’arrivée des inkotanyi à NYANZA.
De sa famille « il ne reste plus qu’un seul frère ». Son avocat maître GISAGARA projette des photos de sa famille élargie. Il n’en reste aucune de sa famille directe, la maison ayant été incendiée. Tous les gens sur ces photos ont été tués. Des photos de ses blessures sont également présentées. 30 ans plus tard, elle en garde toujours des séquelles : « Je suis encore suivie pour elles. Il arrive qu’elles gonflent et que je doive encore mettre des bandages ».
Pour la défense, Maître DUQUE relève que l’acte de notoriété versé en première instance, le 24/1/2024, « dit qu’ils sont morts ailleurs, à un autre endroit, à NYABURARE. Il y a un problème de noms et de lieux qui ne correspondent pas ».
Audition de madame Jocelyne UWICYEZA, partie civile.
Il est déjà presque 21h30. L’audition de Jocelyne UWICYEZA est reportée au lendemain.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Coline BERTRAND, stagiaire
Myriam RAMBACH, bénévole
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
1. FAR : Forces Armées Rwandaises[↑]
2. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
3. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
4. Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[↑]
5. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
6. Voir l’audition de François HABIMANA, 21 novembre 2024[↑]
7. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
8. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 26 novembre 2024. J16
26/11/2024
• Audition d’Augustin NZAMWITA.
• Audition de Silas SEBAKARA.
• Lecture d’auditions – 1ère partie.
• Audition de Célestin NIGIRENTE.
• Lecture d’auditions – 2ème partie.
• Audition de Jocelyne UWICYEZA, partie civile.
• Lecture d’auditions – 3ème partie.
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Audition de monsieur Augustin NZAMWITA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
La défense demande au président que soit fait lecture du premier procès verbal d’audition du témoin. Il résume donc que le témoin a fui au Burundi le 25 mai 1994. Il aurait vu l’enlèvement du bourgmestre NYAGASAZA et le début des massacres à NTYAZO. Il disait ne pas connaître BIGUMA ou Philippe HATEGEKIMANA.
A 10h40, le témoin décline son identité et prête serment.
Il avait 14 ans au moment des faits et habitait à côté de la frontière avec le Burundi, à 300 mètres de la rivière Akanyaru(NDR. en fait plutôt à environ 100 mètres), secteur MBUYE, centre de négoce AKAZARUSENYA. Le bourgmestre est arrivé à pied et cherchait à traverser pour aller au Burundi. Le témoin ne le connaissait pas encore et ce sont des passants qui lui ont dit qu’il s’agissait du bourgmestre NYAGASAZA. Un véhicule Toyota double cabine blanc est arrivé avec trois gendarmes à son bord. Cela faisait déjà 30 minutes que le bourgmestre était là. Il se souvient du surnom du chef des gendarmes: BIGUMA. Ce surnom a été prononcé par SEBISHWI. Il a entendu BIGUMA dire qu’il cherchait le bourgmestre NYAGASAZA alors que ce dernier passait vers la maison du témoin. Le bourgmestre s’est donc levé pour le saluer mais BIGUMA l’a fait tomber à terre avec une balayette, craché à la figure et ligoté. Les deux autres gendarmes l’ont aidé à le mettre dans le véhicule.
Ensuite ils sont allés capturer Pierre NYAKARASHI (le père de la partie civile Primitive[1]). Le témoin a donc assisté à l’arrestation de cette deuxième personne au niveau de chez Jérôme. Au départ de la voiture, le témoin entend BIGUMA mettre en garde la population: « N’acceptez ni argent, ni les vaches pour les faire fuir au Burundi. Ne soyez pas corrompus, c’est maintenant que la guerre commence. »
Le témoin est Hutu et affirme ne pas avoir été condamné pour le génocide.
Il confirme qu’à l’arrestation du bourgmestre, la population a pris peur et a compris qu’ils ne pouvaient pas compter sur les gendarmes.
Le témoin explicite ses hésitations sur le nom de BIGUMA. Il avait entendu des personnes l’appeler avec la syllabe « bi » et qu’ étant enfant il avait confondu BIGUMA avec HABIMANA et HATEGEKIMANA, mais il est maintenant formel.
Les militaires burundais attendaient sur l’autre rive. Ils ont lancé des cordes pour aider les Tutsi à traverser. Il n’a cependant pas vu de gendarmes ou de miliciens tirer sur les personnes pour les empêcher de traverser car il est parti s’occuper de ses vaches. BANKUNKIYE a tenté de s’opposer au passage de ces Tutsi mais les vaches l’ont piétiné et il en est mort.
Il affirme que c’est le seul à être décédé ce jour.
À la demande de Me LOTTE, le témoin confirme son surnom familial KANYOTA. Quant à l’uniforme des gendarmes, le témoin affirme que deux des gendarmes portaient un béret vert et un n’en portait pas. L’avocat général précise que les gendarmes portaient des bérets rouges ou camouflage. Il n’a pas fait attention au béret à cause du mouvement de foule mais à leur uniforme. Me LOTTE demande pourquoi le témoin ne se souvenait plus du nom de BIGUMA à la première audition, puis à nouveau plus tard.
Me LOTTE observe qu’il y a une contradiction avec ce qu’avait affirmé le témoin en première instance, ainsi que sur ses PV d’audition. Madame l’avocate générale intervient pour déclarer qu’il n’est pas possible de se baser sur les souvenirs de première instance car c’est une violation du principe du contradictoire. Le témoin réaffirme que ce sont les villageois qui lui ont appris le nom de BIGUMA. Après lecture du PV d’audition, M. le président observe que la question se base sur de fausses informations et que cela semble devenir une habitude pour la défense.
Au sujet de la neutralisation du bourgmestre, Me LOTTE relève une contradiction entre les auditions sur le fait qu’il ai été frappé ou non. Le témoin confirme qu’il a été frappé et que cela va de soi puisqu’il a été neutralisé.
Me DUQUE prend la parole. Le témoin confirme à nouveau que le bourgmestre est placé dans la caisse arrière du véhicule. M. le président a encore une fois dû reformuler les questions des avocats de la défense.
Audition de monsieur Silas SEBAKARA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin a été condamné dans une Gacaca[2] en 2010 pour le crime de génocide à KIBIRIZI. Il a plaidé coupable pour des faits de meurtres et a été condamné à perpétuité.
Il confirme avoir vu de très nombreux Tutsi fuir en direction de la rivière alors qu’il était sur la colline MUKONI. Le groupe de Tutsi était poursuivi par un véhicule blanc à double cabine. Quand le véhicule les a rejoints, le témoin a vu le bourgmestre NYAGASAZA. Ce dernier était assis entre BIGUMA et un autre gendarme à l’avant. Le témoin ne connaissait pas BIGUMA mais c’est Jérôme NDIKURYAYO, arrivé en moto après, qui leur a dit que le véhicule était conduit par BIGUMA. C’est la seule fois où le témoin a vu BIGUMA. Apollinaire MUSONERA et Pierre NYAKARASHI alias SANASANA étaient aussi dans le véhicule.
Dans la voiture, il voit une moto et d’autres personnes non identifiées, environ 5 civils qu’il ne connaissait pas, entourés par des gendarmes. Le bourgmestre tente de saluer le témoin mais BIGUMA intervient pour l’en empêcher Il avait l’air triste et angoissé. Il confirme que BIGUMA aurait dit à la population: « Les Tutsi s’enfuient avec vos biens, vos chèvres et vos vaches. Allez prendre des gourdins, des lances et des machettes pour les tuer et récupérer leurs biens. ». Il désigne ensuite NYAGASAZA et déclare: « Même celui-ci, nous allons le tuer ». Il demande aussi à la population si certains savaient manier des fusils ou jeter des grenades. La population répond que non. Les massacres n’avaient pas encore commencé à ce moment-là. Les Tutsi du lieu ont été conseillés parla population de fuir, sentant le danger arriver. Les massacres auraient commencé trois jours plus tard, par le meurtre du conseiller municipal RUSANGANWA par Jérôme NDIKURYAYO. Le jour où Mathieu NDAHIMANA a remplacé le bourgmestre NYAGASAZA, le major SIMBA est venu distribuer des fusils.
En instruction, le témoin avait déjà identifié BIGUMA sur photos. Il l’identifie à nouveau lors de la confrontation. M. le président relève deux contradictions soulevées par la défense en première instance sur les dépositions du témoin. La première sur la nature des armes que BIGUMA aurait demandé à la population de prendre, ce à quoi le témoin réaffirme qu’il s’agissait d’armes traditionnelles. Quant à la deuxième contradiction, sur la couleur du véhicule, il affirme aujourd’hui qu’elle était blanche.
M. le président lui parle maintenant de l’attestation du CPCR. Il raconte qu’en 2013, le couple GAUTHIER est venu à la prison de NYANZA accompagné du représentant d’IBUKA du district de NYANZA. Ils ont demandé si le témoin savait quelque chose sur la mort du bourgmestre NYAGASAZA et d’en faire un témoignage écrit. Il est formel et dit qu’il n’a obtenu aucun avantage en échange de cette attestation.
M. le président demande si en prison il a participé à des groupes de parole ou des causeries sur ce qu’il s’est passé, avec Israël DUNSIGIZIMANA[3]. Il répond par la positive, notamment pour la commémoration des 30 ans du génocide.
Il date les faits au 21 avril. Il dit qu’un véhicule avait suivi les civils et était descendu jusqu’à la rivière avant de revenir sur leur colline. Le véhicule se serait arrêté environ 15 minutes en bas. Il refait la même chronologie que pour son témoignage.
Me MARIE, avocate du CPCR, prend la parole. Le témoin certifie qu’il a rédigé son attestation seul, basé sur ce qu’il savait et avait vu ce jour-là. De plus, il ne retire aucun avantage à témoigner ce jour.
M. le président précise aussi que pendant la remise en situation, le témoin avait situé les événements et avait mentionné qu’il était rare de voir passer une voiture dans ce coin à ce moment-là.
Madame l’avocate générale observe maintenant qu’entre l’enlèvement du bourgmestre et le passage devant le présent témoin, cinq Tutsi ont été enlevés.
Me DUQUE, pour la défense lui demande s’il a passé 15 ans en détention provisoire.
Sur la collecte des éléments d’information en prison: les détenus formaient des groupes par village et s’échangeaient des informations sur ce qu’il s’était passé sous la direction de quelqu’un. Israël DUSINGIZIMANA a été un de ces dirigeants.
À propos de Jérôme, le témoin dit: « Lui aussi il voulait tuer le bourgmestre, et c’est comme si BIGUMA l’avait devancé ».
Le témoin dit qu’il était accompagné de Sosthène et la défense note que ce dernier dit qu’il n’était pas là, qu’il avait déjà fui. Il avait dit aussi que les massacres avaient commencé le 11 avril alors que le témoin les place au 22 avril.
Monsieur le président va donner lecture de quelques auditions de témoins qui ne seront pas entendus pendant ce procès.
Lecture de l’audition de l’audition de monsieur Assiel BAKUNDUKIRE. Concerne le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA et l’attaque de la colline de NYABUBARE.
Lecture de l’audition de l’audition de monsieur Canisius KABAGAMBA, partie civile. Ce témoin qui avait témoigné en première instance, avait remis une attestation au CPCR au moment du dépôt de la plainte. Il a connu BIGUMA pendant le génocide.
Lecture de l’audition de l’audition de monsieur Claver KANUMA, partie civile. Il s’agit du frère de Narcisse NYAGASAZA. Il a lui-même réussi à traverser l’Akanayru pour échapper aux tueurs.
Audition de monsieur Célestin NIGIRENTE, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
L’audition du témoin va être interrompue par une coupure internet. Elle ne pourra être reprise avant le lendemain. Nous reprenons les propos qu’il a tenus lors de ses auditions en présence des enquêteurs français en 2017 et 2019. Il les a confirmés.
Le témoin a été condamné en appel à 12 ans de prison. Il a été détenu de 1995 à 2005. Il a été reconnu coupable pour les massacres de la colline de NYABUBARE dirigés par BIGUMA.
« Un véhicule de gendarmes, de couleur blanche, de marque Toyota, double cabine est arrivé. À l’intérieur, il y avait les gendarmes et le conseiller de secteur de MUSHIRARUNGU, Israël DUSINGIZIMANA. Ils nous ont retrouvés dans notre village où nous étions rassemblés en groupes de six ou sept personnes. Il s’agissait du village de MPINGA, cellule de GISORO. Ils nous ont demandé de les suivre. Nous sommes partis à pieds et le véhicule était conduit lentement de manière à ne pas nous laisser derrière. Nous sommes allés jusqu’en bas du bureau de secteur de MUSHIRARUNGU, en face de la colline de NYABUBARE pour tuer le bourgmestre de NTYAZO, Narcisse NYAGASAZA qui était à bord du véhicule. Il a été fusillé par un gendarme qui était avec BIGUMA. Nous avons continué notre route pour alles vers la colline de NYABUBARE. Près de la maison d’Israël, il y avait un rassemblement de gens qui nous ont suivi vers la colline. Arrivés près de la maison de KAYIRANGA, nous nous sommes arrêtés et les gendarmes ont commencé à tirer.
« Dans la cabine arrière du véhicule il y avait des gendarmes que je ne connaissais pas. BIGUMA, je l’ai connu ce jour-là. »
« Comment j’ai connu son nom? BIGUMA est devenu célèbre et connu dans notre village à partir du 22 avril 1994, le jour où il est venu organiser une réunion au Centre Bleu Blanc pour dire à la population de commencer à tuer les Tutsi. C’était dans l’après-midi du 22 avril. Personnellement, je travaillais dans les champs et quelqu’un est venu me dire que nous devions nous rendre à cette réunion.: c’était NZABANDORA, alias RUSHINZIKOBE. On devait s’y rendre avec nos armes. Je m’y suis rendu mais j’étais en retard et BIGUMA n’était plus là. On m’a dit que c’est lui qui avait organisé la réunion mais je ne l’ai vu que le lendemain.
« Concernant la mort du bourgmestre NYAGASAZA, c’est BIGUMA qui l’a sorti du véhicule. Il nous l’a présenté comme le bourgmestre de NTYAZO. Il a dit qu’il venait de le surprendre dans son bureau en train d’écrire une feuille de route pour faire échapper les Tutsi. BIGUMA lui a demandé d’enlever tout ce qu’il avait dans ses poches et de jeter ses affaires par terre. Il lui a demandé ensuite de lui tourner le dos et un des gendarmes qui se trouvait là a tiré sur lui alors qu’il était encore debout. Et cela, sur ordre de BIGUMA. Un groupe a alors été désigné pour enterrer le corps dans un caniveau.
« J’ai revu BIGUMA par la suite, lorsqu’il passait de temps à autre à MUSHIRARUNGU. Il était à bord de son véhicule Toyota, un véhicule de couleur blanche semblable a celui qu’il a utilisé le jour de l’attaque de la colline de NYABUBARE. Il passait souvent, s’arrêtait parfois au Centre Bleu Blanc pour parler avec le conseiller Israël DUSINGIZIMANA. »
La communication ne pouvant être rétablie, monsieur le président demande aux parties, dans la mesure où ce témoin a été tout de même longuement entendu, si on peut passer outre. Même décision pour le témoin qui aurait dû être entendu un peu plus tard, Eliaza NSENGIYOBIRI. Monsieur l’avocat général est d’accord, tout comme les parties civiles. Mais la défense s’y oppose. Il faudra donc aménager le calendrier, ce qui ne plaît pas vraiment à monsieur le président. Les deux témoins seront donc entendus le lendemain, l’un à 11 heures et l’autre en début d’après-midi.
Audition de monsieur Eliaza NSENGIYOBIRI, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Cette audition n’a pu avoir lieu dans la mesure où il n’yavait plus de connexion avec KIGALI. L’audition est reportée au lendemain.
Faute de pouvoir auditionner les témoins prévus en visioconférence, monsieur le président poursuit la lecture de quelques auditions de témoins qui ne seront pas entendus.
Lecture de l’audition de l’audition de monsieur Yobo KAYIRANGA. Concerne le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA, ordonné par « Philipo BIGUMA » selon ce témoin. Il a été fusillé debout, dans le dos. Selon Me GUEDJ, rien ne prouve que c’est l’accusé.
Lecture de l’audition de l’audition de Charles NKOMEJE. Concerne le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA et l’attaque de la colline de NYABUBARE où une « arme lourde » avait été installée.
Audition de madame Jocelyne UWICYEZA, partie civile.
Au début du génocide, la victime avait 18 ans, elle habitait à NGOMA (dans BUTARE-VILLE) et y vivait avec ses grandes sœurs. Son voisin était le préfet HABIYARIMANA[4].
Après l’attentat de l’avion du président, elle n’a plus dormi chez elle jusqu’au 21 avril quand elle a pris la fuite vers la rivière Akanyaru pour se réfugier au Burundi. Elle franchit la barrière de SAVE où sa sœur enceinte de jumeaux et son beau-frère sont tués. Elle a continué jusqu’à un endroit appelé ARETE puis vers NTYAZO. À cette barrière, des militaires des FAR[5] l’ont frappée avec la crosse de leurs fusils et l’ont piétinée.
En marchant, elle décide de passer par MBUYE et revenir à son domicile pour demander à ses parents de fuir aussi, ce qu’ils refusent tout en l’encourageant à se sauver, elle seule. Elle rencontre des enfants de son âge sur le chemin de la rivière Akanyaru. Au moment de la traverser vers le Burundi, elle se retrouve nez à nez avec un interahamwe[6], un nommé SEBAKARA décidé à la tuer. Mais un voisin qui la connaissait parvient à l’en empêcher en lui offrant 1000 FRW.
En arrivant à la rivière, elle voit 4 gendarmes qui étaient arrêtés à bord d’un véhicule et qui empêchaient les gens de traverser vers le Burundi. Les gendarmes se saisissent du bourgmestre NYAGASAZA et lui ligotent les mains, ainsi POUR Pierre NAKARASHI, Emmanuel NSENGYUMVA, Michel NSENSGIMA et Cassien NKUNDIYE, son voisin. Les gendarmes les ont fait monter dans le véhicule et les autres personnes ont commencé à fuir vers la rivière. Elle dit avoir vu les gendarmes, BIGUMA inclus, tirer dans leur direction. De l’autre côté, les soldats burundais ont lancé une grande corde pour les aider à traverser.
Cette attaque lui a laissé des séquelles qui subsistent toujours aujourd’hui : elle doit encore suivre des séances de physiothérapie, mais les blessures ne sont pas que physiques : « Je dis à BIGUMA : nous n’avons pas su où on a enfoui nos proches. » Monsieur le président se tourne vers l’accusé sans se faire d’illusion sur la réponse à sa question : « Savez-vous où ses parents ont été enterrés? ». Et l’accusé de répondre froidement : « Monsieur le président, non. »
Jocelyne UWICYEZA poursuit : BIGUMA portait un uniforme avec un béret rouge. Il disait aux Hutu de tuer les Tutsi. Des photos de sa famille sont affichées. Une dizaine de membres de sa proche famille ont été tués.
L’avocate générale lui demande si elle a revu sa cousine Geneviève avec qui elle avait voulu traverser l’Akanyaru vers le Burundi. Elle répond qu’elle l’a retrouvée au Burundi avec un de ses oncles.
Me GUEDJ prend la parole. La victime certifie que ces événements ont eu lieu après le 20 avril. Il y avait de nombreux Interahamwe mais elle ne saurait dire combien. Il était visible que BIGUMA était le chef car il donnait les ordres aux personnes qui les attaquaient. Elle ne saurait pas reconnaître BIGUMA car elle ne l’a vu qu’une seule fois. Au sujet de la Gacaca[7] elle confirme y avoir témoigné vers 1998 pour les même faits qu’aujourd’hui. Comme Me GUEDJ s’insurge – les tribunaux gacaca n’existaient pas encore à cette époque – il sera préciser qu’il s’agissait alors de collecte d’informations pour de futurs procès.
Me GUEDJ compare ce témoignage avec celui d’Augustin NZAMWITA et observe une différence entre les deux. M. le président le reprend et rappelle les dires du témoin précédent : ce dernier n’a pas assisté à toute la scène car il a dû partir s’occuper de ses vaches.
Monsieur le président propose alors de procéder à un certain nombre de lecture d’auditions concernant des témoins ou parties civiles qui ne seront pas entendus.
Lecture de l’audition de monsieur Pierre GAFARANGA, cité par la défense mais décédé depuis. Maître GUEDJ précisera qu’il avait fait citer ce témoin pour disculper son client. Le témoin parlait militaires et de véhicule kaki. Pas de chance, monsieur BIGUMA reconnaît que la gendarmerie possédait un camion kaki. Cette lecture donnera à l’interprète d’expliquer « umusirikare » en kinyarwanda, mot générique pour parler d’homme en armes, militaire ou gendarme.
Lecture de l’audition de madame Bernadette MUKANGAMIJE, partie civile.
Lecture de l’audition de madame Vestine MUKANGOGA, partie civile.
Lecture de l’audition de madame Marie-Jeanne MUKASONEYE, partie civile. Très long témoignage qu’elle avait remis au président du CPCR lors du dépôt de plainte. Elle avait été entendue aussi par les gendarmes français.
Lecture de l’audition de monsieur Morodokaï NTIWIRIZWA.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Voir l’audition de madame Primitive MUJAWAYEZU, partie civile, le 22 novembre 2024.[↑]
2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
3. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024[↑]
4. Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA) : le préfet de BUTARE qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné (à na pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA).[↑]
5. FAR : Forces Armées Rwandaises[↑]
6. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
7. Gacaca : (se prononce « gatchatcha ») Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 27 novembre 2024. J17
28/11/2024
• Lecture d’auditions.
• Suite de l’audition de Célestin NIGIRENTE.
• Audition d’Eliazar NSENGIYIBIRI.
• Audition d’Esdras SINDAYIGAYA.
• Audition de Callixte GASIMBA.
• Audition de Festus MUNYENGABE.
• Audition d’Etienne SAGAHUTU.
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En attendant de pouvoir reprendre la connexion avec le Rwanda, monsieur le président procède à de nouvelles lectures d’audition de témoins qui n’ont pas été entendus: A.N.F., témoin anonyme entendu devant le TPIR, puis Théophile GAKARA, un gendarme entendu en Belgique et que l’accusé connaît: il était gendarme G1, chargé de la gestion du personnel.
Suite de l’audition de monsieur Célestin NIGIRENTE, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Malgré la panne persistante du système de visioconférence du Palais de justice, la connexion avec KIGALI est rétablie avec un ordinateur de secours et l’audition de monsieur NIGIRENTE peut reprendre tant bien que mal. Monsieur le président reprend là où on avait laissé le témoin[1].
Le témoin confirme avoir revu l’accusé lorsqu’il était passé au Centre Blanc Bleu. En passant, il s’était entretenu avec Israël DUSINGIZIMANA[2].
Colline de Nyabubare
Sur l’attaque de NYABUBARE. « Nous sommes tous allés chez le conseiller de secteur: il y avait là beaucoup de gens. BIGUMA est arrivé et a garé son véhicule près de l’école protestante. Les gendarmes ont tiré sur la colline en présence de la population qui avait des armes traditionnelles. Les gendarmes avaient installé une arme lourde qui tirait sur la colline de NYABUBARE. Je l’ai vue quand on la déchargeait du véhicule. Elle avait un canon qui tirait des munitions qui faisaient beaucoup de dégâts: bruits d’explosion, terre soulevée… C’est après que les gendarmes et la population ont attaqué les Tutsi. Je suis resté un peu en arrière. Les tirs ont duré environ 40 minutes ». Les Tutsi se défendaient avec des pierres, certains se sont enfuis dans les bananeraies. Avant l’attaque, BIGUMA, auprès de qui le témoin se tenait, avait lancé un appel à Pierre NGIRINSHUTI qui n’a pas répondu. S’en sont suivis des pillages auxquels NIRIGENTE a participé.
Sur questions de maître MARIE, le témoin dit avoir participé aux rondes de nuit après le 23 avril. Il avoue même le meurtre d’un certain Augustin MUNYENTWALI. Il souligne aussi le rôle du conseiller de secteur qui a obéi aux ordres des gendarmes. BIGUMA, il le voyait parfois dans la journée.
Mortier de 60 mm – DR
Sur question de madame l’avocate générale, le témoin confirme qu’il n’a pas participé à l’installation du mortier 60. On comprend bien qu’il ne s’agissait pas d’un pistolet comme l’avait déclaré le témoin lors d’une audition.
Sur questions de maître GUEDJ, le témoin confirme qu’il n’a pas vu BIGUMA lors de la réunion du 22 avril: il était lui-même arrivé en retard et BIGUMA était déjà parti (NDR. Ce que le témoin avait déjà dit mais il arrive souvent à maître GUEDJ de ne pas très bien écouter et de poser des questions posées par d’autres). Quant à la barrière de Blanc Bleu, il a appris par la population que c’est BIGUMA qui avait demandé son érection. Il confirme que NYAGASAZA a été tué d’une seule balle dans le dos par un gendarme. Monsieur NIRIGENTE confirme qu’il a a témoigné en gacaca[3] contre BIGUMA, Israël et autres membres de la population, dont un policier communal.
Maître GUEDJ demande au témoin de dire en quoi consistent les TIG (Travaux d’Intérêt Général) en prison. Monsieur NIRIGENTE explique que cela consiste en travaux sur les routes ou au profit des rescapés. Le témoin précise qu’il n’a pas échangé des informations avec Lameck en prison. Il n’avait par reconnu l’accusé sur la planche photographique: c’est Israël qui, après l’attaque, avait dit qui était BIGUMA. Par contre, contrairement à ce que voudrait sous-entendre l’avocat, le témoin n’a reçu aucune rétribution financière pour avoir donné son témoignage. Lui-même n’a jamais fait partie des « formateurs » dont a parlé DUSINGIZIMANA.
Audition de monsieur Eliazar NSENGIYIBIRI, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il a été condamné pour le génocide à une peine de 12 ans de prison. Il a effectué 8 ans en prison et a réalisé le reste en travaux d’intérêt général. Il avait plaidé coupable pour les faits de participation aux attaques contre les Tutsi sur la colline de NYAMIYAGA.
Le président le questionne au sujet de la mort du bourgmestre NYAGASAZA.
Il revenait de l’église et habitait à côté du bureau de secteur à MPINGA. Il a assisté à l’exécution du bourgmestre. Ce dernier était à bord d’un véhicule à double cabine de couleur blanche, à coté de gendarmes. Il déclare qu’Israel DUNSINGIZIMANA n’était pas présent. Le témoin ne connaissait pas BIGUMA avant cet événement mais ce dernier s’est présenté à lui en lui donnant son grade et son nom. BIGUMA a ensuite ordonné à un gendarme de tuer le bourgmestre au-dessus de la route. BIGUMA lui a demandé de s’allonger et un des gendarmes lui a tiré dans le dos. Il n’a pas entendu de discussion entre le bourgmestre et BIGUMA. Il confirme que ce n’est pas BIGUMA qui a tiré mais qu’il a donné l’ordre. Il réfute avoir dit précédemment que c’est BIGUMA qui aurait tiré. Le gendarme aurait donc tué le bourgmestre d’une seule balle. Avant de tirer, BIGUMA aurait dit: « vous voyez cet homme, c’est un ennemi du pays, il a été attrapé en train de fuir vers le Burundi ».
Le témoin affirme qu’il pense se souvenir de toute la scène du meurtre du bourgmestre car on lui a demandé de l’enterrer par la suite. BIGUMA est ensuite parti à NYABUBARE. Le témoin a entendu des bruits de tirs, cris, et grenades. M. le président rappelle que le témoin a su placer avec succès tous les événements au cours de la remise en situation.
Le président évoque aussi l’attaque de NYAMIYAGA pour laquelle BIGUMA n’est pas mis en cause devant ce tribunal.
Le témoin affirme que l’accusé ne conduisait pas le véhicule et il n’est pas sûr si c’est BIGUMA qui dirigeait l’attaque.
Me GUEDJ prend la parole. Il relève une contradiction dans les déclarations précédentes sur l’auteur du tir sur le bourgmestre. Il demande au président de donner acte sur les divergences de la déposition du témoin.
Il souligne aussi que le témoin affirmait ne pas pouvoir le reconnaître lors d’une précédente audition, mais qu’aujourd’hui il semble le reconnaître. Le témoin répond qu’il l’avait vu en première instance.
Audition de monsieur Esdras SINDAYIGAYA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il dit ne pas avoir été condamné mais avoir réalisé 10 ans de détention et avoir été libéré. Le témoin affirme avoir participé à une attaque mais n’avoir tué personne. Il a été condamné à réparer les biens endommagés par la guerre. Il dit que personne ne réclame d’indemnisation au Rwanda pour le temps passé en prison malgré son innocence, même s’il considère que c’est une injustice.
Selon lui, une réunion aurait été organisée par un militaire à NYABISINDU le 6 avril 1994. Ce dernier aurait annoncé « Quand le serpent s’enroule autour de la cruche, il faut tuer le serpent, et la cruche avec » ce qui veut dire que si un Hutu cache un Tutsi, il faut tuer les deux. Il n’a pas plus d’information sur l’identité du militaire en question. Il explique qu’il ne savait pas faire la différence entre un gendarme et un militaire au moment de la guerre. Le président lui suggère le nom BIRIKUNZIRA, ce qu’il confirme. Il n’a pas vu BIGUMA à la réunion mais plus tard dans les attaques.
Le président relève que le témoin nommait l’accusé Philippe BIMENYIAMANA.
Le témoin dit qu’il sait que BIGUMA est bien P. HATEGEKIMANA, fils de NGARUKIYE. Il le connaissait avant le génocide car il était originaire de GIKONGORO et passait souvent à pied vers chez lui. Le président précise que le témoin l’a bien reconnu sur photo.
Au regard de l’attaque de la colline maintenant, le témoin affirme qu’il a vu le véhicule de couleur blanche arriver avec Israël DUNSINGIZIMANA et BIGUMA. Ils sont descendus avec une autre personne et les ont trouvés en contrebas. Il pensait que c’était Israel DUNSINGIZIMANA qui les avait appelés en renfort. Il ne sait pas si les Hutu avaient tenté d’attaquer les Tutsi avant cet épisode. Il connaît le militaire Pierre alias PETERO qui était un de ses voisins. Il raconte qu’un militaire aurait lancé une grenade contre sa maison.
Il raconte qu’au début de l’attaque, il avait commencé à courir mais qu’il avait rejoint les attaquants lorsque les militaires, notamment BIGUMA, avaient dit qu’il fallait séparer les Hutu des Tutsi. Tout le monde avait une arme traditionnelle, et lui personnellement, une machette. Les gendarmes ont tiré avec les fusils et des grenades. Il affirme qu’Israël DUNSINGIZIMANA dirigeait la population car c’était leur conseiller, et BIGUMA, les gendarmes. Il ne saurait pas estimer le nombre de victimes et d’attaquants.
Le témoin évoque François HABIMANA. Ce dernier se serait approché des attaquants en levant les mains et aurait déclaré être Hutu. Le témoin a confirmé cela auprès de BIGUMA. Le témoin confirme la présence de MUSAFIRI à ce moment ainsi que la suite des événements, BIGUMA emmenant François dans sa voiture.
Le témoin assure que son témoignage est libre et qu’il n’a pas subi de pression.
M. le président demande s’il a vu des personnes suivre Francois au moment où il a levé les mains. Il confirme qu’une dizaine de personnes sont effectivement sorties, incluant les personnes suivantes : NGIRISHUTI, KALISA, Joseph, sa femme et sa fille ainsi que d’autres personnes en provenance de GIKONGORO. L’ordre a été donné par BIGUMA de les exécuter. Il atteste que les munitions tirées par l’arme lourde explosaient à leur impact. Des photos de mortier lui sont montrées, il ne la reconnaît pas vraiment.
Me EPOMA prend la parole afin de demander si les interprètes peuvent traduire les noms de BIMENYIAMANA et HATEGEKIMANA. Un interprète explique que les deux noms ont attrait à Dieu tout puissant. (NDR. En kinyarwanda, IMANA veut dire Dieu)
Madame l’avocate générale prend la parole. Elle demande si les Hutu et les Tutsi étaient mélangés car ils craignaient une attaque du FPR. Il confirme qu’un climat de terreur était entretenu par les autorités à ce moment-là.
Me GUEDJ pour la défense questionne maintenant le témoin.
Au sujet de l’attaque de la colline de NYABUBARE, le témoin explique qu’il a vu Israel porter un uniforme qui ressemblait à celui des FAR. Les Interahamwe portaient des feuilles de bananier sur la tête pour faire peur aux gens. Il témoigne que c’est Israel qui dirigeait. Le témoin ne peut pas estimer le nombre de victimes à la demande de Me GUEDJ. Ce dernier demande au témoin comment si peu de gendarmes peuvent tuer autant de personnes en si peu de temps. Le témoin répète le modus operandi.
Au sujet du véhicule, le témoin explique qu’il ne connaît pas la marque, qu’il s’agissait peut-être d’une Toyota. Il précise que le véhicule s’est garé à l’orée de la forêt et qu’il ne s’est pas approché pour aller voir.
Au sujet des armes, le témoin ne sait pas si les gendarmes utilisaient des fusils FAR. Me GUEDJ demande donc de donner acte de cette divergence dans le témoignage.
Au regard de son arrestation, le témoin dit avoir été arrêté le 22 mai 1995 et relâché le 18 mai 2007. Il confirme avoir été le co-détenu d’Israel DUSINGIZIMANA.
Concernant l’accusé maintenant, le témoin affirme seulement avoir répondu à des questions mais n’a pas témoigné directement contre lui car ce dernier ne lui a rien fait personnellement. Il reconnaît le nom de P. HATEGEKIMANA aujourd’hui même s’il reconnaît avoir hésité avec BIMENYIAMANA. Il affirme qu’il souffre de l’injustice d’avoir fait de la prison pour rien mais que son cœur n’a pas de haine.
M. le président reprend la parole pour demander au témoin s’il est conscient qu’il met en cause l’accusé dans ses déclarations. Il répond qu’il ne témoigne pas à charge mais qu’il témoigne seulement de ce qu’il a vu.
Audition de monsieur Callixte GASIMBA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin a été condamné à 12 ans de prison devant la Gacaca[3] pour avoir participé à l’attaque de NYABUBARE dans laquelle il a tué plusieurs personnes notamment Astérie MBEBA et Wellars. Le témoin habitait à environ 150 mètres de la colline de NYABUBARE. Les réfugiés étaient très nombreux, il estimerait leur nombre à 500. Cela faisait peu de temps qu’ils étaient la. Ils s’étaient réfugiés tous ensemble Hutu et Tutsi sur la colline avec le militaire Pierre.
Les gendarmes étaient arrivés à bord d’un pickup blanc. Des Hutu de MUSHIRARUNGU supportaient Israel, ils étaient nombreux et armés de machettes et de gourdins. Les gendarmes, quant à eux, était armés de fusils. Une arme lourde pilonnait la colline et était maniée par un gendarme tandis que la population encerclait la colline. Il dit que trois obus ont été lancés. Le témoin se trouvait sur un point en hauteur où il pouvait voir les personnes qui tiraient et les personnes qui se faisaient tirer dessus.
Il confirme n’avoir jamais vu BIGUMA de sa vie. Il rapporte donc qu’au sujet de la colline, il raconte ce qu’il a vu, et qu’au sujet de BIGUMA il rapporte ce qu’Israel, DUSINGIZIMANA, Obed BAYAVUGE et JP UWIRINGIYIMANA lui ont dit.
Me GUEDJ questionne maintenant le témoin.
Au sujet du mortier, le témoin explique qu’il a été déchargé d’un pickup blanc, installé par trois gendarmes à 5 mètres en contrebas de la route. Le témoin était à environ 500 mètres et la vue était dégagée.
Maître GUEDJ va alors déclarer qu’aucun humain ne peut voir à 500 mètres! (NDR. Personne ne sait d’où l’avocat tient cette « vérité scientifique« ).
Audition de monsieur Festus MUNYENGABE, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin reconnaît avoir été condamné et avoir plaidé coupable. Il a fait 12 ans et 2 jours de prison.
Monsieur le président donne lecture de son audition devant les enquêteurs français en date du 7 septembre 2016. Il avait été entendu par le TPIR[4] en mai 2001. Les déclarations ne concordent pas sur tous les points.
Lecture de l’audition de 2016 qui concerne l’attaque de NYABUBARE que le témoin date au 11 avril 1994, ce qui n’est pas crédible. « Le 6 avril, nous avons eu des informations disant que l’avion du président avait été abattu. Nous sommes restés à la maison. Le 11 avril (?) 1994, j’ai quitté la maison pour aller aux champs. Quand j’y suis arrivé il y avait des gens qui disaient que tout près de là, ils avaient vu des cadavres. Je suis allé voir, c’était dans le secteur de RWESERO, juste en bas de la route, tout près de chez GATANANZUZI Athanase. Quand je suis arrivé, j’ai été surpris de voir tous ces cadavres, une dizaine à peu près. Parmi ces corps, il y avait un certain RUGEMA qui travaillait au Parquet. J’ai été très choqué, je ne suis pas retourné cultiver, je suis rentré chez moi.
Vers 14 heures, le même jour, j’ai vu des maisons en train de brûler sur le secteur de RWABICUMA qui se trouve en face de chez moi. J’ai entendu quelqu’un crier: « Les Tutsi doivent être tués » mais je n’ai pas su qui avait dit cela. Nous avons commencé à fuir. Je suis allé sur la colline de NYABUBARE. Il y avait beaucoup de monde, des Hutu et des Tutsi. Il s’est dit plus tard que les Tutsi étaient recherchés. Cettenuit-là je suis rentré chez moi, ma femme et mes enfants étant restés sur la colline. Le lendemain, un samedi, je suis retourné sur la colline et j’ai dit à ma femme de rentrer à la maison car c’était les Tutsi qui étaient recherchés.
En retournant sur la colline, j’avais croisé le conseiller de secteur, Israël DUSINGIZIMANA qui m’a confirmé que seuls les Tutsi étaient recherchés. Ma femme et mes enfants, nous sommes rentrés. Vers 10 heures du matin, j’ai vu des gendarmes marcher sur la colline et je les ai rejoints. Ils parlaient de la présence, sur la colline de NYABUBARE, d’un militaire armé. Les gendarmes ont décidé d’aller chercher une arme puissante pour attaquer la colline. Ils sont repartis à pieds jusqu’à leur véhicule stationné sur la route près de chez le conseiller de secteur. les gendarmes sont repartis et je suis resté sur place avec beaucoup d’autres (il cite les noms).
Vers 13 heures, les douze gendarmes sont revenus avec une arme puissante, je ne sais pas ce que c’était mais ce n’était pas un pistolet (On lui montre une photo de mortier tel que celui affiché plus haut sur cette page). Un des gendarmes a tiré en direction de la maison du militaire NGIRINSHUTI qui avait déjà fui. On nous a alors demandé d’encercler la colline. Nous avons commencé à tuer les Tutsi à coups de machettes et de gourdins. Les gendarmes nous ont dit ensuite que nous pouvions aller piller les biens des Tutsi. Partis avec les gendarmes jusqu’à leur voiture, ces derniers nous ont dit qu’on pouvait manger leurs vaches.
Si j’ai témoigné contre BIGUMA devant le TPIR, c’est à cause de la réunion qui s’était tenue au bureau de secteur de la commune de NYABISINDU. Une réunion qui a eu lieu en mai 1994 (cette date fera l’objet de nombreuses questions de la défense). Au cours de cette réunion, BIGUMA avait dit que celui qui avait caché des Tutsi serait également tué. C’est ce jour-là que j’ai entendu le nom de BIGUMA, par Israël. »
À ce stade de l’audition, l’enquêteur évoque une audition du témoin devant le TPIR. Il lui fait remarquer qu’il y a de « grosses incohérences » dans ses déclarations. Le témoin dit que ce qui a été transcrit par le TPIR est faux, qu’il a bien dit qu’il avait connu BIGUMA lors de la réunion dont il a été question.
Madame l’avocate demande au témoin s’il connaissait plusieurs BIGUMA. Ce dernier répond par la négative.
Maître ALTIT, pour la défense, revient sur les nombreuses contradictions du témoin. Les questions qu’il pose manquent parfois de clarté ce qui oblige monsieur le président à lui poser des questions courtes, plus simples. D’ailleurs, à plusieurs reprises, monsieur le président se doit de reformuler les questions de l’avocat pour qu’elles soient plus compréhensibles. Ce dernier demande au témoin s’il avait été incarcéré avec le conseiller de secteur Monsieur MUNYENGABE déclare qu’il y avait deux sortes de prisons, une pour ceux qui plaidaient coupables et une seconde pour les autres. Le conseiller de secteur a rejoint le témoin plus tard. Le témoin explique le fonctionnement du plaider coupable en prison avant les gacaca.
Audition de monsieur Etienne SAGAHUTU, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Au bout de 15 minutes, monsieur le président se voit obligé d’arrêter les échanges avec le témoin. Ses propos sont trop confus. L’audition est remise au lendemain matin.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
1. Voir le début de l’audition de Célestin NIGIRENTE, 26 novembre 2024[↑]
2. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024[↑]
3. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑][↑]
4. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 28 novembre 2024. J18
29/11/2024
• Audition d’Etienne SAGAHUTU.
• Audition de Martin IYAMUREMYE.
• Audition de Samson MATAZA.
• Audition de Valens BAYINGANA, partie civile.
• Audition de Julienne NYIRAKURU, partie civile.
________________________________________
Audition de monsieur Etienne SAGAHUTU, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Cette audition avait été brutalement interrompue la veille par le président SOMMERER dans la mesure où le témoin disait un peu « n’importe quoi ».
Monsieur le président demande au témoin de reprendre son récit sur NYABUBARE interrompu la veille.
« Au commencement, je me tenais au sommet de la colline de NYABUBARE en compagnie des Tutsi, mes voisins avec lesquels nous gardions nos vaches. Nous y avons passé la nuit du vendredi: l’attaque a eu lieu le samedi.
Je connaissais Petero, mon voisin. Il était encore chez lui à l’arrivée des assaillants. Personnellement, j’étais retourné à la maison pour traire ma vache. J’ai vu des gendarmes et des assaillants sur l’autre colline. Les gendarmes ont installé leur arme. Le véhicule, une Toyota blanche, qui était venu le vendredi soir et qui avait fait demi-tour est revenu le samedi entre 10 et 11 heures. La voiture était garée à MUNYINYA, là où l’arme a été installée. »
Mortier de 60 mm – DR
On présente au témoin une photo de mortier. Ce dernier précise qu’il était trop loin pour la voir. De cette colline, les gendarmes ont tiré sur celle où il se trouvait. Les obus soulevaient la terre, on entendait des explosions. De leur côté, les gendarmes avaient encerclé la colline et lançaient des grenades.
« Nous avons pris la fuite, continue le témoin. Les gendarmes accompagnaient la population qui machettait les fuyards. Il y avait beaucoup de morts mais je me suis enfui, Petero nous ayant signalé que les assaillants avaient des armes puissantes. J’ai couru à travers les buissons et me suis rendu sur la colline en face, celle de NDUZI. J’ai entendu le message selon lequel nous devions nous séparer des Tutsi, mais j’en cachais à la maison. Si je suis resté avec les Tutsi sur la colline c’est parce que je ne savais pas que c’était les Tutsi qui étaient menacés. Après l’attaque, j’ai participé à l’enterrement des corps: cette opération a duré deux jours. Il y avait des centaines de cadavres, hommes, femmes, enfants. »
Quant à Israël DUSINGIZIMANA[1], je le connaissais. Il nous a demandé pourquoi nous n’allions pas aider les autres. C’est alors que je me suis rendu sur la barrière de KABUGA. Chez nous, il n’y avait pas de gendarmes. Je ne connaissais le nom d’aucun. C’est ce samedi-là que nous avons, appris que c’est BIGUMA qui avait mené l’attaque. C’est le conseiller de secteur et toute la population qui le disaient. »
Le témoin confirme qu’il n’a jamais vu BIGUMA, que c’est Israël qui a désigné l’emplacement du mortier lors de la remise en situation. Monsieur SAGAHUTU dit avoir effectué huit ans de prison et cinq ans de TIG, travaux d’intérêt général.
Madame l’avocate générale rapporte les propos de BIGUMA selon lequel les gendarmes avaient assuré la sécurité de la population. Le témoin n’est pas d’accord. Il précise que, entre la colline de NYABUBARE et l’endroit où avait été installé le mortier il y avait environ 500 mètres.
Maître ALTIT, pour la défense, met en lumière ce qu’il nomme des contradictions. Monsieur le président lui demande de poser des claires plus courtes pour permettre au témoin de répondre avec précision. Si les réponses du témoin sont parfois confuses, monsieur le président reconnaît que les questions des enquêteurs sont parfois aussi confuses. L’avocat de la défense s’étonne que le témoin soit remonté sur la colline alors qu’il savait qu’il devait y avoir une attaque.
Maître DUQUE s’étonne que le témoin affirme ne pas avoir participé à l’attaque de la colline de NYABUBARE alors qu’Obed BAYAVUGE a déclaré que « vous étiez bien là ». Pour monsieur SAGAHUTU, ce témoin ment.
Audition de monsieur Martin IYAMUREMYE, cité par la défense sur pouvoir discrétionnaire du président, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité.
Il déclare ne pas connaître BIGUMA/P. HATEGEKIMANA. Il est détenu car condamné à une peine de 30 ans de prison pour des faits pour lesquels il a plaidé non coupable: participation à des attaques à KAYANZA et surveillance de barrières. Il est en prison depuis 1995.
Il a entendu beaucoup de choses sur BIGUMA notamment qu’il est l’auteur du meurtre du bourgmestre NYAGASAZA. C’est Israel DUNSINGIZIMANA[1] qui lui en aurait parlé. Ce dernier disait que BIGUMA avait emmené en voiture le bourgmestre et qu’on l’avait tué à MUSHIRARUNGU.
Me ALTIT à la défense prend la parole. Le témoin est Tutsi. Il n’a pas été témoin direct de la mort du bourgmestre. Il se trouvait à l’hôpital lorsqu’il a entendu le récit de ce meurtre par Israël DUNSINGIZIMANA et Mathieu NDAHIMANA.
Me DUQUE interroge ensuite le témoin. Elle soulève qu’il aurait été arrêté et mis au cachot pendant 5 jours puis il aurait assisté à une réunion le 3 mai. Il précise qu’il était encore libre le 30 avril. Pendant son séjour au cachot, il a seulement entendu le récit du meurtre par Israël qui était à la tête des causeries des Gacaca[2]. Le chef de ces causeries, Mathieu NDAHIMANA, sensibilisait les détenus à passer aux aveux, à plaider coupable et à demander pardon. Ce dernier était le président du groupe Gacaca à la prison. Le rôle d’Israel dans ces groupes en prison était de seconder Mathieu NDAHIMANA. Il était une autorité officielle dans la prison, capita, responsable des prisonniers. Il avait été désigné par les autres pour remplir ce rôle mais n’obtenait aucun avantage matériel à faire cela. Il était gratifié par la discipline qu’il apprenait aux détenus et transmettait les doléances des prisonniers à la direction. Dans le système Gacaca, il y avait un système à charge et à décharge, donc tous les témoins étaient entendus à la même enseigne. Même si plaider coupable était avantageux sur la peine prononcée, le témoin ne l’a pas fait car il trouvait qu’il n’avait rien fait de répréhensible.
Audition de monsieur Samson MATAZA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin a été condamné à 15 ans de prison et a plaidé non coupable pour des faits de meurtre. Il a purgé toute sa peine et a été libéré en juin dernier.
Il a délivré un témoignage sur la mort du bourgmestre NYAGASAZA qui a eu lieu un samedi matin à la fin du mois d’avril. Il habitait à cette époque dans le village de KARAMBI à côté de la rivière Akanyaru et à la frontière du Burundi. À ce moment-là il était au cabaret, assis à l’extérieur avec son conseiller de secteur, avec une vue sur la rivière. Il voit le bourgmestre NYAGASAZA essayer de fuir vers le Burundi. Les gendarmes sont arrivés dans un gros pickup blanc, une Daihatsu et ils étaient armés. Il dit aujourd’hui que les militaires étaient deux et le président lui rappelle qu’il avait dit quatre précédemment. Il ne les connaissait pas mais ils étaient coiffés de bérets rouges. Le bourgmestre a salué le conseiller, est passé entre deux cabarets en allant vers les gendarmes qui étaient assis. Ils les a salués mais ces derniers l’ont saisi sans particulière violence et mis dans la cabine du véhicule.
Le président précise qu’à la remise en situation, le témoin avait parlé de deux hommes en uniforme et une personne en civil. Le bourgmestre aurait été poussé pour entrer dans le véhicule, cela ressemblait à une arrestation. NAKARASHI est apparu devant le véhicule, il a aussi été arrêté par les gendarmes et installé derrière le chauffeur dans la double cabine. Ce dernier était un habitant ordinaire qui avait exercé comme policier sous la présidence de KAYIBANDA[3]. Il ne pourrait pas reconnaître les gendarmes aujourd’hui. Il a entendu dire que BIGUMA était présent par le conseiller qui l’accompagnait au cabaret. Il explique aussi qu’en prison, il avait entendu Israel DUNSINGIZIMANA en parler pendant la commémoration du génocide et dire qu’il avait été tué à MUSHIRARUNGU. Le président lui demande si son témoignage a été influencé par celui d’Israel. Le témoin répond que non et qu’il témoigne uniquement de ce qu’il a vu.
Après l’arrestation du bourgmestre, des Tutsi ont tenté de traverser la rivière et de fuir. Quand le véhicule a démarré, un des gendarmes a ordonné à la population: « Ne permettez pas que ces Tutsi s’échappent, il faut manger leurs vaches ». Il n’a pas vu ces gendarmes ni personne tirer sur les Tutsi qui essayaient de traverser. Il n’a pas vu non plus des personnes les empêcher de traverser. Il explique qu’avant cette journée, beaucoup de Tutsi avaient déjà traversé, mais il n’a rien vu le jour-même de l’arrestation du bourgmestre. Il dit avoir quitté le lieu vers 11h. Le témoin explique que l’attaque contre les Tutsi qui tentaient de traverser a eu lieu plus tard après l’arrestation du bourgmestre. Il a notamment vu CYIMVUZO et GISASA tenter de fuir. Il atteste que les militaires burundais tiraient pour protéger les Tutsi qui tentaient de traverser. Ils les ont aidé en lançant des cordes tandis que d’autres Tutsi nageaient. Cependant il affirme que personne ne tirait sur la population du côté rwandais.
Me Philippart questionne le témoin sur l’attaque. Elle lui soumet les propos de Primitive[4], la fille de NYAKARASHI qui dit que les gendarmes tiraient sur les civils qui tentaient de traverser. Elle a même été blessée. Il insiste en disant que personne ne tirait, que tout était calme et que personne n’a tenté de traverser.
Me TAPI lui demande des précisions sur les horaires de chaque événement. La réponse est confuse.
Me GISAGARA prend la parole pour rappeler au témoin que ce n’est pas lui qui est jugé aujourd’hui et qu’il doit parler librement. Ce dernier répond que NYAKARASHI et NYAGASAZA ont été emmenés vers 9h et qu’il a croisé les réfugiés descendre vers la rivière vers midi en partant du lieu. Un peu plus tard il entend des bruits de tir mais n’a pas assisté directement à la scène.
Madame l’avocate générale interroge le témoin sur la propagande génocidaire sur les radios. Le témoin raconte qu’il entendait des phrases de type « l’ennemi du pays est le Tutsi » passer sur des radios. Ils se souvient que l’arrestation et le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA a causé de la tristesse dans la population mais a aussi incité le début du génocide.
Me ALTIT, pour la défense. Le témoin affirme qu’il n’avait pas de radio en 1994. En première audition, le témoin déclarait que des attaquants de MUHIRA sont arrivés à NTYAZO pour chasser les réfugiés sur la colline et manger leurs vaches. Il ne s’agissait pas des personnes de la commune. Face à ce danger, les Hutu et les Tutsi ont lutté ensemble contre ces groupes. A ce moment il n’y avait pas de scission ethnique.
Me ALTIT invoque un télégramme envoyé par le sous-préfet Gaetan KAYITANA dans lequel ce dernier dit que le bourgmestre est mort noyé par la population dans la rivière en tentant de traverser la rivière. Le témoin répond que ce télégramme est un mensonge.
Il réexplique aussi que la première fois qu’il a vu et entendu le nom de BIGUMA était le jour de l’enlèvement du bourgmestre. Puis il en a de nouveau entendu parler en prison par Israël DUNSINGIZIMANA. Il a déjà témoigné devant le tribunal d’instance de KIMURURA. Il rappelle qu’en prison il a déjà pu témoigner des mêmes faits.
Me GISAGARA demande de donner acte de la déclaration du témoin: « Si le bourgmestre n’avait pas été tué, aucun Tutsi de chez nous n’aurait été tué ».
Me DUQUE pose maintenant une question sur la différence de témoignage entre le témoin et Augustin NZAMWITA[5]. Ce dernier dit que le bourgmestre aurait été mis à terre avec une balayette, se serait fait cracher dessus et giflé. Me DUQUE relève donc une différence avec la déclaration de ce témoin.
M. le président interroge Philippe HATEGEKIMANA sur ce qu’il a à dire à propos de ces témoignages.
L’accusé répond que les témoins ne sont pas libres, qu’ils sous pression ou cherchent à réduire leur peine.
Audition de monsieur Valens BAYINGANA, partie civile.
Valens et Appolonia à NYAMURE, haut lieu de la résistance des Tutsi. Valens est un des rares rescapés de NYAMURE.. Photo AG
Il va témoigner sur les faits de génocide sur la colline de NYAMURE. À cette époque, les Hutu et les Tutsi vivaient ensemble sur la colline.
Le 22 avril 1994, la population a entendu dire que sur la colline voisine de KAYANZA, les maisons étaient incendiées. Ils sont donc allés à NYABUGOGO pour voir ce qu’il se passait. Ils ont vu des gens aller de maisons en maisons et trier les habitants. Un voisin, NGEZAMAGURU, leur dit que ce sont les Tutsi qui sont recherchés et que ces derniers doivent être tués coûte que coûte. Les Hutu sont donc rentrés chez eux, les Tutsi ont compris que quelque chose se tramait, donc sa famille n’est pas rentrée chez elle la nuit et s’est réfugiée sur la colline de NYAMURE. La famille se composait du témoin, ses 4 frères et ses 2 sœurs. Le témoin pense qu’il y avait environ 15 000 Tutsi réfugiés sur la colline le jour de l’attaque. Il y avait une source d’eau en contrebas de la colline dont les Hutu ont rapidement coupé l’accès. Lui et ses frères sont arrivés le 22 avril et l’attaque a eu lieu le 27.
Le jour de l’attaque, des habitants Hutu ont été aidés par des miliciens interahamwe[6] en provenance du BUGESERA. Ils étaient là pour aider les habitants Hutu à tuer et étaient pris en charge par le centre de santé dont le directeur était Mathieu NDAHIMANA. Avant l’attaque finale, entre le 22 et le 27 avril, les habitants ont lancé plusieurs attaques auxquelles les Tutsi ont résisté. Les femmes et les enfants faisaient des stocks de pierre et les hommes les jetaient sur les assaillants. Les attaques avaient lieu tous les jours à des moments différents et tout autour de la colline. Ils portaient des armes traditionnelles, et certains du centre de santé avaient des grenades.
Le jour de l’attaque, le 27 avril, la victime a vu un véhicule avec des policiers de MUYIRA venir. Ils avaient un uniforme camouflage et un béret jaune. BINENYANDE, responsable du comité de cellule de GASAVE, s’adressait aux populations et leur disait que des hommes allaient arriver avec des fusils. Un véhicule de la police stationné à l’école primaire a été rejoint par un autre véhicule rempli de militaires. Le véhicule des policiers était une Toyota Hilux rouge. Le véhicule des gendarmes était caché par des arbres et la forêt empêchait de reconnaître le type de véhicule des gendarmes. Il voit des policiers et des gendarmes monter à pied la colline et se séparer pour l’encercler. Personne ne pouvait descendre et passer par là où ils étaient.
Les gendarmes ont commencé à avancer en tirant. Un groupe de femmes entourait une femme qui était en train d’accoucher pour leur assurer un peu d’intimité. Le gendarme qui avait tiré le premier, a tout de suite visé ce groupe de femmes et les a toutes tuées. C’est à partir de ce moment-là que les fusillades ont commencé. Ceux qui n’étaient pas tués par balle, étaient découpés à la machette. Le témoin arrive à descendre un peu la colline vers des broussailles et tombe sur un homme en train de découper un garçon et une fille. Il a donc sorti sa machette pour lui faire peur et a réussi à passer entre les meurtriers. Il s’est caché dans une bananeraie. Il s’est mis dans un trou et a mis des feuilles de bananiers au dessus de lui. Il a compris que tout le monde avait été exterminé quand le silence s’est fait. Il pense être resté trois jours dans ce trou. Il est ensuite parti se cacher dans la brousse où il est resté jusqu’à l’arrivée du FPR.
Toute sa famille a été exterminée dans cette attaque du 27 avril. Il pense qu’environ une trentaine de jours se sont écoulés avant d’avoir été retrouvé par le FPR[7].
M. le président demande des informations sur son retour sur la colline deux mois après l’attaque. Il déclare que deux mois plus tard, les corps gisaient encore sur la colline. Ils étaient très abîmés et mangés par les chiens. Le bourgmestre les a aidés à enterrer ces corps. Il pense que sa mère a été tuée a KARAMA et non à NYAMURE. Il est le seul survivant de sa famille dans cette attaque et a reconnu les corps des siens grâce à la couleur de leurs vêtements.
M. le président revient sur la question des voitures: dans un précédente audition devant les gendarmes français, il disait que les gendarmes montaient sur la colline dans une voiture rouge ce qui diffère de ce qu’il dit aujourd’hui.
Le témoin estime le nombre d’assaillants à environ 5000 et le nombre de victimes entre 10 000 et 15 000. En retournant sur la colline quelques mois après le massacre, ils ont compté 14 700 têtes sur la colline et 3000 dans les alentours.
Sur questions du président, il répond que les policiers étaient dirigés par GATERA et les gendarmes par BIGUMA. La victime connaissait bien BIGUMA, sous le nom de P. HATEGEKIMANA car il venait souvent dans sa région avant le génocide. Il s’était présenté une fois à NTYAZO alors qu’un homme avait été tué par des malfaiteurs, pour récupérer son corps. Il confirme que pendant l’attaque, il portait un uniforme marron, un béret rouge, un fusil, et il a tiré, et donné des ordres. Il confirme aussi que BIGUMA était le gendarme qui a tiré le premier sur le groupe de femmes.
Le président rappelle que la victime avait annoncé qu’il lui semblait reconnaître BIGUMA sur planche photos, ainsi qu’en confrontation. Aujourd’hui, il le reconnaît encore.
Au sujet de Mathieu NDAHIMANA, il l’a vu s’avancer et donner le signal pour tirer mais il ne l’a pas entendu donner des ordres directement.
M. le président revient sur son audition par les autorités rwandaises. Quand le témoin a fait sa première rencontre avec BIGUMA, ce dernier s’était présenté comme Philippe HATEGEKIMANA. C’est pour cela qu’il ne savait pas qui était BIGUMA avant l’audition.
Le chiffre de 23 000 corps représente tous les corps qui ont été trouvés à NYAMURE et autour sur les secteurs environnants, trouvés dans les buissons.
M. Le président rappelle qu’après la confrontation, le témoin a participé à une remise en situation et a aussi été entendu par la justice suédoise.
M. le président rappelle à la victime la gravité des charges qu’il porte contre l’accusé – avoir commis le crime des crimes – et lui demande s’il maintient son témoignage et s’il reconnaît cet homme. Le témoin répond qu’il n’aurait aucune raison d’accuser BIGUMA et qu’il veut seulement dire la vérité. Il veut servir la justice pour que plus jamais les uns ne se retournent contre les autres.
Madame la juge assesseur demande au témoin s’il a perçu des choses lorsqu’il est resté trois jours dans le trou. Le témoin explique qu’il est sorti du trou car il avait peur que les propriétaires reviennent et qu’il avait faim.
Me JULIEN le questionne sur la présence d’un hélicoptère. La victime se souvient l’avoir vu survoler la colline de NYAMURE. Il ne sait pas quel type d’arme utilisait BIGUMA.
Au sujet des auditions en Suède, l’avocate de la partie civile note que plusieurs fois il a annoncé qu’il pouvait donner le nom de plusieurs assaillants mais qu’on ne le lui a pas demandé.
La victime rajoute que si les militaires et les policiers n’avaient pas participé à l’attaque, les Interahamwe seuls n’auraient pas pu les vaincre.
Me GISAGARA et AUBLÉ prennent la parole pour établir la présence de partie civiles sur la colline.
Monsieur l’avocat général demande à la victime si l’arme que tenait BIGUMA était plutôt grande ou petite. Le témoin explicite que l’arme était imposante et faisait des bruits sourds et rapprochés. Il a aussi vu des grenades être jetées.
La victime garde de profonds traumatismes de ce massacre.
Me DUQUE à la défense interroge maintenant la partie civile. Les gendarmes sont d’abord montés par les bois puis se sont répandus autour de la colline aux côtés des Interahamwe. Il a notamment interprété son tir comme étant le signal de départ pour les autres. Le témoin est formel sur la date et l’heure de l’attaque ainsi que sur le détail du premier coup de feu. Au sujet des auditions en Suède, il dit ne pas avoir mentionné BIGUMA car ce n’était pas le sujet. Me DUQUE insiste sur certains noms qui ont été donnés lors de ces auditions qui ont fait l’objet d’un PV de 50 pages. Me JULIEN intervient pour remettre en contexte les propos de la partie civile.
Une nouvelle fois, le témoin explique qu’il connaissait Philippe HATEGEKIMANA mais pas BIGUMA.
Audition de madame Julienne NYIRAKURU, partie civile.
Madame NYIRAKURU va faire le récit de ses errances pendant le génocide. Comme beaucoup de témoins, elle affirme que c’est à l’école qu’elle a appris qu’elle était Tutsi. Ses parents n’avaient jamais abordé cette question.
« Après l’attentat, nos familles vivaient dans l’insécurité. Nos voisins hutu se sont sentis obligés de tuer les Tutsi. Un voisin est venu dire à mon père qu’on lui avait donné une machette pour le tuer. Il lui conseille de fuir. Nous passions les nuits dans la brousse, des voisins lançaient des pierres sur nos maisons. Nous avons pris la décision de fuir au moment où les attaques commençaient. Avec des membres de ma famille, nous avons pris la direction du BURUNDI. Nous avons marché jusqu’au centre commercial de KAZARUSENYA, à la frontière avec le BURUNDI.
Nous avons rencontré une barrière où se trouvaient beaucoup d’Interahamwe[6]. Ils ont tués beaucoup de personnes dont mon père. et deux de mes frères. Nous avons eu peur et nous avons rebroussé chemin. »
Madame Julienne NYIRAKURU va alors raconter le long chemin de croix qui va la conduire d’abord à SHARI, dans la famille de sa mère avant de rejoindre NYAMURE avec sa tante. C’est là, alors qu’elle n’est qu’un enfant, qu’elle va faire la connaissance de BIGUMA. Elle s’était rendue auprès des véhicules des policiers et des gendarmes, près de l’école. Un chef Interahamwe, SEMAHE, a distribué des machettes aux habitants, sous la direction de BIGUMA qui s’était présenté ainsi: « Moi, afande (chef) alias BIGUMA, je voudrais vous dire que vous devez tuer ces chiens de Tutsi » Elle raconte ensuite l’attaque que les Tutsi ont subi, la mort de sa tante et des siens. Elle dit s’être allongée contre le corps de sa tante qui était morte et avoir attendu la fin des massacres.
Lorsqu’elle n’a plus entendu de bruits, elle s’est levée, a bu de l’eau mélangé au sang des victimes et est partie en direction de SHARI où habitait sa tante. Après avoir passé la nuit dans un champ de sorgho, elle a retrouvé un oncle maternel qui lui a dit de le suivre jusqu’à KARAMA. Une nouvelle attaque se déclenche sur cette colline, un « avion » survole les réfugiés. Des gendarmes sont arrivés en Daihatsu: elle reconnaît BIGUMA. Elle échappera miraculeusement à la mort et sa fuite la conduira jusqu’à SONGA où elle va devoir se cacher après la mort de sa cousine. Elle-même va être précipitée dans une fosse commune d’où elle réussira à sortir.
Après avoir obtenu de quoi manger auprès d’une famille, elle va continuer sa fuite pour rencontrer un chef Interahamwe qui va la protéger chez lui: Ce dernier menace ses congénères: « Que personne ne tue cette enfant. » Tout en disant cela, alors qu’il me tenait par le bras, il a tuée un autre enfant qui était là. Son « sauveur » l’a conduite chez lui où elle est restée jusqu’à l’arivée du FPR[7].
Monsieur le président a laissé le témoin raconter son histoire sans trop l’interrompre. Maître PHILIPPART, son avocate, lui posera quelques questions pour obtenir des précisions. Elle aura l’occasion de nommer les membres de sa famille proche qui sont morts à NYAMURE: Dominique BAYINGANA, son grand frère, ses sœurs Françoise et Gaudence, un autre frère, Fiacre, ainsi que sa tante Concessa. Elle précise qu’à KARAMA s’est déroulé le même scénario qu’à NYAMURE. Elle retrouvera sa mère qui avait réussi à fuir au BURUNDI. Elle a eu la chance de refaire sa vie, se marier et avoir des enfants.
Maître GUEDJ, pour la défense, va tenter de mettre en doute le témoignage de madame NYIRAKURU, d’ironiser sur le fait qu’elle puisse connaître les marques des voitures alors qu’elle n’avait que dix ans. Il s’étonne aussi, qu’à son âge, elle ait pu estimer l’âge de son client. Il va passer beaucoup de temps sur un personnage tout à fait secondaire, le milicien SEMAHE. Il questionnera ensuite le témoin sur un combattant tutsi célèbre, habile à manier l’arc et les flèches: monsieur MBIRINGI. Il va souligner les contradictions qu’il relève dans les déclarations du témoin. Autant de questions qui ne permettent pas de lever le doute sur la responsabilité de son client dans les massacres de NYAMURE et KARAMA.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024[↑][↑]
2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha ») Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnels à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
3. Grégoire KAYIBANDA : premier président du Rwanda indépendant, le 1er juillet 1962. En 1957, il avait déjà publié le « Manifeste des Bahutu » qui désigne le Tutsi comme étant d’une race étrangère avant de créer en 1959 le parti Parmehutu qui proclame que la masse Hutu est constituée des seuls «vrais Rwandais». voir Repères – les origines coloniales du génocide.[↑]
4. Voir l’audition de Primitive MUJAWAYEZU, partie civile.[↑]
5. Voir l’audition d’Augustin NZAMWITA, 26 novembre 2024[↑]
6. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
7. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑][↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 29 novembre 2024. J19
01/12/2024
• Audition de Mathieu NDAHIMANA.
• Audition d’Appolonia CYIMUSHARA, partie civile.
• Audition de Charlotte UWAMARIYA, partie civile.
________________________________________
Le compte rendu du lundi 25 novembre a été complété avec l’audition de madame Foibe MUHIGAYANA, partie civile.
Audition de monsieur Mathieu NDAHIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin, détenu et condamné à 30 ans de prison par une gacaca[1] pour avoir participé aux massacres de NYAMURE, KARAMA et RWEZAMENYO. Il était le responsable du Centre de Santé de NYAMURE. Assistant médical, on l’appelait aussi « Muganga » (docteur). Il avait été nommé bourgmestre en remplacement de Narcisse NYAGASAZA, le 22 mai 1994. Il n’occupera ce poste que pendant trois jours, chassé par l’arrivée du FPR[2]. Il a fui alors vers le Zaïre puis le Congo Brazzaville. Dès son retour en 1997 (il dit être rentré volontairement), il sera incarcéré.
Le témoin dit avoir connu l’accusé avant le génocide. Ils s’étaient rencontrés lors de l’élection d’un nouveau bourgmestre de NTYAZO, en février/mars 1993. C’est Narcisse NYAGASAZA (PL[3]) qui avait été élu. Mathieu NDAHIMANA appartenait au parti PSD[4]. BIGUMA était superviseur de ces élections dont il devait assurer la sécurité. Ses relations avec BIGUMA n’étaient que professionnelles.
Une anecdote. Philippe HATEGEKIMANA l’avait aidé à arrêter quelqu’un qui l’avait escroqué et ils avaient partagé un repas en guise de reconnaissance.
Monsieur le président fait remarquer au témoin qu’il avait hésité entre la photo 1 et 4 lorsqu’on lui avait présenté une planche photographique. Il est vrai que 22 ans s’étaient écoulés. En 2019, en confrontation, il avait dit que celui qui lui faisait face « ressemblait » à BIGUMA. Il reconnaît aujourd’hui BIGUMA dans son box: par contre l’accusé dit ne pas le connaître!
Rôle de Mathieu NDAHIMANA en prison. Monsieur le président interroge le témoin sur le rôle qu’il aurait joué en prison en incitant les prisonniers à plaider coupable, comme lui l’avait fait. C’est ce qu’avait déjà dit Israël DUSINGIZIMANA[5]. Des magistrats étaient venus en prison pour organiser ces rencontres. Un « comité gacaca/vérité » avait été mis en place et le témoin avait été élu président de ce comité, parce qu’il avait été un des premiers à avoir plaidé coupable dès son retour et qu’il était un intellectuel qui pouvait écrire la déposition des prisonniers illettrés. Pour avoir exercé cette responsabilité, il n’aperçu aucun avantage, aucune réduction de peine. Ce fut pour lui un soulagement d’avoir avoué ses crimes.
À la question de savoir si les témoins qui viennent à Paris ou qui sont entendus en visioconférence, le témoin est formel: « Je n’ai jamais vu un détenu être forcé de dire ce qu’il avait envie de dire. » Il ne peut donner aucun exemple de témoins qui auraient inventé ce qu’ils ont déclaré! (NDR. Ce que la défense ne cesse de claironner depuis le début du procès, sans jamais pouvoir le prouver, si ce n’est en produisant des articles d’associations qui ont toujours dénoncé le régime en place au Rwanda.)
L’avaocate générale demande à l’accusé s’il n’a pas reconnu le témoin. Ce dernier répond: « Peut-être que je le connais mais je ne me souviens pas. » Mathieu NDAHIMANA intervient pour dire que, lors de l’élection de Narcisse NYAGASAZA, BIGUMA « avait applaudi méchamment » (sic). Il n’approuvait pas l’élection d’un Tutsi.
La parole est donnée à la défense et c’est maître GUEDJ qui s’y « colle ». Une petite question sur « le poulet » partagé après l’arrestation de la personne qui l’avait escroqué: il y eu des témoins? « Il y avait d’autres gendarmes! D’ailleurs, tout le monde y a assisté. »
Puis une autre question sur le physique de l’accusé: « Taille moyenne, peu de cheveux, béret rouge… »
L’avocat revient sur le rôle joué par l’accusé en prison. La question a déjà été posée mais il arrive assez souvent à maître GUEDJ de ne pas être très attentif.
Allusion ensuite au fait que l’accusé avait mis BIGUMA hors de cause concernant le Centre de Santé de NYAMURE. L’avocat s’étonne que l’accusé soit allé chercher des renforts à la gendarmerie pour lutter contre les Hutu qui tuaient des Tutsi (on lui avait donné trois gendarmes) et qu’ensuite il avait participé à l’attaque contre les Tutsi. Comment expliquer cette bascule? Le témoin se contente de dire qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres de BIRIKUNZIRA et de BIGUMA.
Le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA.
Le bourgmestre Narcisse NYAGASAZA arrêté et emmené par BIGUMA.
Monsieur le président rapporte les propos du témoin lors de ses auditions. Alors qu’il prenait un verre dans un bar du centre commercial de GATI, en compagnie de Martin IYAMUREMYE et François NTAKIRUTIMANA, il a vu une voiture blanche double cabine arriver. C’était le samedi 23 avril 1994. BIGUMA est sorti de la voiture et, s’adressant aux consommateurs, il aurait dit : « Voilà ce grand ennemi du pays. On l’emmène à NYANZA pour l’exécuter. Nous devons agir ainsi compte tenu de la situation actuelle du pays. » Le bourgmestre était assis dans la cabine entre deux gendarmes. Derrière, il y avait des Tutsi parmi lesquels Mathieu NDAHIMANA a reconnu MUSONERA et NYAKARASHI. Pour le témoin, cette arrestation est bien l’élément déclencheur des massacres dans la commune de NTYAZO.
Maître PHILIPPART demande comment le témoin avait reconnu les deux Tutsi dans l’arrière de la voiture. NDAHIMANA répond qu’il savait qu’ils étaient Tutsi et que MUSONERA, il le connaissait comme motard. L’avocate fait remarquer au témoin qu’il avait une femme Tutsi: « Et vous participez au massacre des Tutsi » s’étonne-t-elle. « Ma conscience me l’a reproché« , avoue-t-il. Mais ils sont partis en semble au Zaïre. Et puis, « toutes les autorités avaient des femmes Tutsi, et ils ont participé au génocide! »
Madame l’avocate générale rappelle les propos de Martin IYAMUREMYE qui disait avoir été malade ce jour-là[6]. Le témoin précise qu’il avait bien été malade mais que c’est lui qui l’avait soigné. Ce jour-là, il était bien là.
Maître GUEDJ. Il cite un document dans lequel il est dit: « Après avoir tué le bourgmestre, NDAHIMANA… » laissant entendre que c’est bien le témoin qui aurait tué le bourgmestre. (NDR. Voilà une faute de français qu’on retrouve dans toutes les copies d’élèves et ailleurs. Ce n’est pas ainsi qu’il fallait écrire mais: « Après la mort du bourgmestre, NDAHIMANA…, tout simplement. La défense joue sur cette mauvaise interprétation pour tenter de disculper son client. Tous les témoins disent bien que BIGUMA est allé chercher NYAGASAZA à NTYAZO!)
Maître GUEDJ, une nouvelle fois, revient sur ce fameux télégramme du sous-préfet Gaëtan KAYITANA au ministre de la défense. Ce dernier affirme que NYAGASAZA a été tué par la population alors qu’il cherchait traverser l’Akanyaru. Le témoin: « C’est FAUX! »
Attaque de NYAMURE. Le témoin dit ce qu’il sait de ces massacres. Alors qu’il était en route, il a été doublé par une voiture dans laquelle se trouvent des gendarmes et beaucoup d’armes. Alors qu’il était à CYEGERA, il a vu les gendarmes monter accompagnés d’une centaine de Hutu portant des armes traditionnelles. Les gendarmes ont tiré des coups de feu et les assaillants ont achevé les survivants.
Il est question ensuite de la lettre que Mathieu NDAHIMANA a écrite au député Adalbert MUHUTU, en date du 27 avril 1994. L’auteur signalait qu’il y avait beaucoup de Tutsi à KARAMA et qu’il avait besoin qu’on envoie des gendarmes.
Une partie civile, Valens BAYINGANA, accuse le témoin d’avoir participé à l’attaque de NYAMURE[7]. Ce dernier s’en défend: « Je ne suis jamais allé à NYAMURE. J’ai plaidé coupable pour les meurtres de MUSENYI où est situé le Centre de Santé ».
Maître Sarah SCIALOM fait préciser au témoin que KARAMA et NYAMURE sont bien sur la commune de NTYAZO. La distance entre les deux collines? « Environ 5 kilomètres« , répond le témoin.
Sur question de monsieur l’avocat général, le témoin affirme qu’aucun hélicoptère n’a survolé les lieux, contrairement à ce qu’ont dit plusieurs témoins.
Maître GUEDJ. Il demande la lecture de l’audition de monsieur Dieudonné NGIRUWONSANGA qui déclare que l’attaque était conduite par NDAHIMANA et MUHUTU. Le témoin conteste.
Maître GUEDJ. Le témoin conduisait. Si l’avocat avait été attentif, il aurait su que monsieur NDAHIMANA n’était pas encore bourgmestre à cette date-là! Même remarque concernant les déclarations d’une partie civile, Colette MUKARUGEMA. Le témoin reconnaît qu’il était armé, d’abord d’une épée, puis une Kalachnikov AK 47 lorsqu’il a été élu bourgmestre. Mais il n’a jamais utilisé cette arme qu’il a remise au colonel MUVUNYI de l’ESO[8] avant de fuir.
Monsieur l’avocat général revient sur la lettre manuscrite que le témoin a adressée a Adalbert MUHUTU le 27 avril 1994. Monsieur NDAHIMANA s’explique: « Adalbert MUHUTU, ex-bourgmestre et député MRND[9], était une autorité politique qui, le 23 avril, avait envoyé un message pour inciter les Hutu à se séparer des Tutsi. C’est lui qui coordonnait les activités liées au génocide. Les renforts sont arrivés le 30 seulement. J’ai participé à l’attaque. Par contre, il nie que BIGUMA ait participé à l’attaque de KARAMA. Ce sont les gendarmes de NTYAZO qui ont attaqué KARAMA. « KARAMA et NYAMURE n’ont aucun rapport« , déclare le témoin en réponse à une question de maître Sarah MARIE.
La réunion au stade de NYANZA le 22 mai 1994. La parole est donnée au témoin. « Cette réunion s’est tenue le jour de mon investiture. J’étais à la recherche de Nicodème, le bourgmestre intérimaire. Je me suis rendu au stade où j’ai reconnu le colonel NDINDILIYIMANA et BIRIKUNZIRA. Il y avait là beaucoup de jeunes qui cherchaient à se faire enrôler dans l’armée. BIGUMA supervisait une distribution d’armes. Ces armes étaient dans des caisses, sur la pelouse. Mais il n’y en avait pas suffisamment: on allait en ramener d’autres. BIRIKUNZIRA encourageait les recrues à aller combattre au front et à s’attaquer aux complices de l’intérieur ».
Madame l’avocate générale évoque une mutation au camp KACYIRU à KIGALI que l’accusé prétend avoir reçue. C’est aussi ce que mister BLACK, avocat au TPIR[10], avait affirmé: BIGUMA avait été muté le 10 mai. Le témoin est affirmatif. « C’est faux, je n’ai jamais eu connaissance d’une mutation de BIGUMA! »
Maître GUEDJ veut savoir si le témoin a vu son client fin mai à NYANZA. « Affirmatif, comme a l’habitude de répondre l’accusé, BIGUMA n’a jamais quitté NYANZA. »
Monsieur le président lit quelques phrases extraites de l’attestation que le témoin a fait remettre aux responsables du CPCR. L’avocate en profite pour demander au témoin qui lui avait demandé cette attestation. « C’est Alain GAUTHIER« . Et d’expliquer dans le menu détail dans quelles conditions cela s’est passé. Ce qu’il dit correspond tout à fait à la réalité.
Le témoin a bien témoigné dans les gacaca, mais il n’a pas suivi les procès. Personne n’est venu le voir en prison, personne n’a fait pression sur lui, pas de tortures…
Comme s’il n’avait pas écouté les réponses du témoin, maître GUEDJ revient à la charge: « Vous connaissez le couple GAUTHIER? »
Avant de poser sa dernière question, l’avocat revient sur l’article du site RWANDAN en date de 2017 ( NDR. Dont nous avons dit voici quelques jours ce que nous pensions de ce site.) Article dont le titre était, de mémoire: » Le régime KAGAME s’enfonce« . (NDR. N’ayant pas eu accès au document, il m’est difficile d’en dire plus. Mais si cette prédiction s’était révélée vraie, il est étonnant que, depuis 2017, le bateau n’ait toujours pas coulé!« ) Dans cet article, il aurait été dit que le témoin avait subi des pressions pour mettre en cause la France dans l’attentat! Le témoin ne connaît pas du tout ce site internet et il n’a jamais subi la moindre pression.
Concernant le témoin qui devait être entendu en fin de matinée, monsieur Jean Damascène MUNYESHYAKA, la cour décide de « passer outre », c’est-à-dire qu’elle renonce à son audition.
Audition de madame Appolonia CYIMUSHARA, partie civile.
Avant le début de l’audition de madame CYIMUSHARA, un débat s’engage concernant les témoignages qui portent sur les attaques sur la colline de KARAMA, ses faits ne faisant pas partie de ceux qui sont reprochés à l’accusé. Il est clair que monsieur le président ne prendra pas le risque de les inclure: il le dit sans ambiguïté. Maître DUQUE, pour la défense, demande tout simplement d’exclure ce témoignage, contestant en particulier les distances que le témoin précise entre les collines de NYAMURE et celle de KARAMA. Madame CYIMUSHARA indique quand même qu’elle a perdu sa mère, Suzana NYIRABUKARA et une sœur sur la colline de NYAMURE. Le témoin sera entendu.
Apollonia raconte la mort du fils du bourgmestre et la prise de son fusil que les réfugiés vont casser. Cette mort va provoquer la réplique des tueurs. @AG
Après avoir remercié la Cour, le témoin commence à raconter son chemin de croix sur la colline de KARAMA. « Le génocide a commencé bien avant 1994. À l’école déjà, on séparait les Hutu des Tutsi. Plus tard, j’ai exercé le métier d’enseignante, mais comme je n’avais pas de diplôme, je suis partie à KIGALI où j’ai fait du commerce. On nous a attaqués, on a pillé nos maisons, tué ceux avec qui j’étais, et cela avant même l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA[11].)).
J’ai quitté KIGALI le 5 avril, ai pu traverser la Nyabarongo ( NDR. Rivière que l’on rencontre à la sortie de la capitale en direction de BUTARE.) En passant à KIRUHURA où j’avais enseigné, je rencontre Augustin SEKAMONYO, une personne que j’avais connue quand j’enseignais: ce dernier m’a giflé en disant: « Nous la retrouverons dans son clan des ABAJIJI. »
En arrivant chez moi, j’ai demandé aux miens de fuir mais ils ont tous refusé. Les ABAJIJI avaient la réputation d’être de grands combattants. Ils ont beaucoup résisté à KARAMA, se sont organisés en se répartissant les rôles. Il y avait là, sur la colline, beaucoup de réfugiés venus d’ailleurs dès le 9 avril. Nous avons subi plusieurs attaques de la part des Interahamwe[12]. Des réfugiés burundais étaient venus aussi en provenance de NTYAZO. (NDR. Beaucoup de ces réfugiés ont participé au génocide dans la région). Une femme nous a signalé que le bourgmestre NYAGASAZA avait été arrêté par BIGUMA. Les ABAJIJI étaient bien décidés à se battre.
Est alors arrivé le véhicule d’un commerçant, monsieur MUSHUMBA: sa femme et ses enfants l’accompagnaient. Une bagarre s’est déclenchée, nous avons arraché le fusil d’un assaillant mais comme personne ne savait s’en servir, nous l’avons enterré. Le véhicule a été incendié. Nos combattants ont arrêté la femme du commerçant, l’ont interrogée. Elle a révélé que des gendarmes de BIGUMA avaient l’intention de venir éliminer les Tutsi de KARAMA. Le fils de l’ex-bourgmestre de NTYAZO, monsieur NZARAMBA, faisait partie des assaillants et il a été tué. Après chaque attaque, chaque camp enterrait ses morts.
Emplacement de l’incendie de la voiture du commerçant MUSHUMBA à KARAMA.@AG
Karama Shari @AG
Pendant que NZARAMBA était allé chercher du renfort à BUTARE, nous avons connu deux jours de calme. C’est un dimanche vers 10 heures que nous avons connu l’apocalypse. C’était le 1er mai. Nous avons vu arriver trois bus avec des militaires et des réfugiés burundais. La population avait encerclé la colline. Les gendarmes ont tiré beaucoup de balles sur nous, causant beaucoup de morts, même les vaches tombaient sous les tirs. Un véhicule empli de caisses de bières est arrivé pour remercier les tueurs. On décomptera entre 27 000 et 30 000 morts. Les massacres ont cessé avec l’arrivée de la pluie et de la nuit. Les assaillants ont dépouillé les cadavres, même des femmes mortes ont été violées.
BIGUMA, accompagné d’un groupe d’intellectuels, a fait éventrer une femme enceinte. Je suis alors tombée et BIGUMA, me croyant morte, m’a piétiné l’épaule. J’en garde une grosse cicatrice. Je remercie BIGUMA d’avoir dit que j’étais morte, car s’il ne l’avait pas dit, je ne serais pas là aujourd’hui. »
Le témoin va évoquer ensuite ce qu’elle appelle son « calvaire ».
« Mes parents avaient déjà été tués. On a été confrontés à des problèmes indescriptibles. Enfermée dans une maison où je suis restée deux semaines, j’ai été violée, « violée du sexe au cerveau » (sic). C’était comme si j’étais morte. (NDR. A ce moment-là, on sent l’émotion s’emparer de certains jurés et des rares personnes du public). Je vous sais gré de m’avoir écoutée. Il avait été convenu entre nous, au sein des ABAJIJI, que celui qui survivrait devait témoigner.
Monsieur le président demande alors au témoin de citer les noms de ses proches qui ont été tués à NYAMURE. Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, remercie madame CYIMUSHARA pour son courage et lui fait préciser quelques éléments de son témoignage. Madame l’avocate générale, à son tour, remercie le témoin.
Les quelques questions de maître DUQUE, pour la défense, porteront sur le bourgmestre NYAGASAZA dont elle a appris la mort par la femme de monsieur MUSHUMBA. L’avocate de l’accusé conteste les indications géographiques données par le témoin. La distance entre les collines de NYAMURE et celle de KARAMA ne correspond pas à ce que les cartes peuvent indiquer.
Audition de madame Charlotte UWAMARIYA, partie civile.
Le témoin commence son témoignage en précisant qu’une grande partie de sa famille a été exterminée pendant le génocide des Tutsi, dont plusieurs à l’ISAR SONGA[13].
« J’habitais la région du MAYAGA où le génocide a commencé le 20 avril 1994. Autrefois, cette région était habitée par beaucoup de Tutsi, il n’y avait jamais eu de troubles si bien que beaucoup de ces Tutsi étaient installés là sans avoir fui. D’autres réfugiés étaient arrivés d’un peu partout.
Les 21 et 22 avril, beaucoup d’entre nous ont voulu traverser l’Akanyaru pour se réfugier au Burundi. Notre groupe a été arrêté en route, alors que ceux qui nous précédaient avaient pu passer. Nous avons rebroussé chemin. Nous nous sommes rassemblés sur la colline de RWEZAMENYO et le 23 avril au matin, des Interahamwe[12] ont encerclé la colline et ont lancé des attaques. On a entendu des clameurs et des balles qui sifflaient au-dessus de nous.
Ceux qui pouvaient courir ont été sauvés, les autres ont été tués. Ma grande sœur, Mathilde UWIMPUHWE, capturée par les Interahamwe a été torturée. Au procès en première instance, j’ai appris que c’est Mathieu NDAHIMANA, auprès de qui se tenait BIGUMA, qui lui a arraché les yeux et la peau du visage.
Nous avons quitté RWEZAMENYO pour nous rendre à KARAMA. En route, nous avons rencontré beaucoup d’autres personnes, environ 30 000 réfugiés. Nous sommes restés là quatre ou cinq jours, le visage de ma sœur MATHILDE était mangé par des asticots.
Karama @AG
Une rumeur a circulé que les femmes et les jeunes filles pouvaient rentrées chez elles. Nous nous sommes regroupés dans deux maisons différentes que des Interahamwe sont venus attaquer. Mais comme il n’y avait pas d’hommes, ils sont repartis. Le 28 avril, ils ont de nouveau encerclé la maison: c’est ce que nous avons constaté alors que j’étais sortie avec ma cousine chercher de l’eau. Ma mère, ma tante, ma petite soeur Dative, une voisine de ma tante avaient été tuées. Les Interahamwe sont revenus et ont violé les femmes et les grandes filles. Ils portaient les vêtements des nôtres, souillés de sang, machettes et gourdins en main. Mon père est revenu avec d’autres personnes et les Interahamwe ont fui.
J’ai voulu aller voir où ma mère avait été tuée. La maison était remplie de sang. J’ai accouru vers ma petite sœur: comme elle avait les yeux ouverts, j’ai cru qu’elle était encore vivante. Je l’ai soulevée et une partie de son cerveau est tombée dans mes mains. C’est la première fois que je voyais des morts: j’ai hurlé pour que quelqu’un vienne. Une personne est arrivée et nous sommes repartis à KARAMA. Nous sommes restés là plusieurs jours. Nos hommes étaient armés d’arcs et de flèches, ils lançaient des pierres sur les assaillants.
Des Interahamwe sont venus en compagnie du fils de NZARAMBA à bord d’un véhicule qui sera incendié. Le fils de l’ex-bourgmestre sera tué, ce qui a mis les assaillants en colère. C’est le lendemain que la grande attaque a eu lieu, avec la présence de gendarmes et de militaires. Vers 9 heures, nous avons essuyé une pluie de balles. Nous nous sommes dispersés en courant. Les gens tombaient autour de nous. C’est là que ma sœur MATHILDE, mon père et mes oncles sont morts. Seules une trentaine de personnes survivront.
Nous nous sommes cachés dans les buissons, pourchassés par des chiens. Je suis repartie à la maison pour voir si les miens avaient été enterrés. Des chiens et des rapaces se repaissaient des corps. J’ai continué à me cacher jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi[14], que je remercie. Nous étions seuls, il n’y avait plus personne pour s’occuper de nous, il n’y avait plus rien dans la maison, tout avait été pillé. Les Inkotanyi nous ont aidés à survivre sans vengeance. Ils nous ont aidés à nous reconstruire ».
Madame Charlotte UWAMARIYA termine son témoignage en remerciant la Cour pour son œuvre de justice.
Sur question de monsieur le président concernant la cohabitation entre bourreaux et victimes, le témoin précise: « Nous habitons ensemble. Tous les Hutu n’ont pas tué. Ceux qui ont tué ont parfois demandé pardon. Nous avons besoin les uns des autres pour reconstruire notre pays. Aujourd’hui, nous sommes tous des Rwandais, loin des « ethnies » qui sont à l’origine de tous nos maux ».
Toujours sur questions du président, le témoin dit que beaucoup de membres de sa famille sont morts à NYAMURE, à l’ISAR SONGA. BIGUMA était présent avec Mathieu NDAHIMANA.
Maître PHILIPPART remercie madame UWAMARIYA et lui fait nommer les proches de sa famille qui sont morts: sa grand-mère Adèle MUKANDUGUJE, Innocent NYOMBAYIRE et Jean NYAMIRA. Le témoin est bien restée 5 jours à KARAMA, sa maman et autres membres de sa famille ont bien été tués le 28 avril. Les gendarmes portaient des tenues kaki, les Interahamwe avaient mis des feuilles de bananier autour de la tête. Par contre, elle n’a pas vu les tueurs, ils n’entendaient que le bruit des balles.
À son tour, madame l’avocate générale remercie madame UWAMARIYA pour son témoignage.
Monsieur le président demande à l’accusé s’il veut réagir à ce que les témoins du jour ont pu dire.
Mathieu NDAHIMANA? « Aucune vérité dans ce qu’il dit. »
Appolonia CYAMUSHARA? « C’est douloureux pour eux, ça fait mal, moi qui suis père et grand-père. Mais je n’y suis pour rien. »
Charlotte UWAMARIYA? Même réaction: « Elle était jeune, elle a perdu ses proches, ce n’est pas facile pour elle. Mais je n’y suis pour rien. »
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Coline BERTRAND, stagiaire
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
2. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
3. PL : Parti Libéral. Le Parti Libéral va se scinder en deux fin 1993 : la tendance de son président, Justin MUGENZI, rejoint le Hutu Power qui traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. L’autre tendance sera anéantie le 7 avril 1994, voir glossaire[↑]
4. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
5. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024[↑]
6. Voir l’audition de Martin IYAMUREMYE, jeudi 28 novembre.[↑]
7. Voir l’audition de monsieur Valens BAYINGANA, partie civile, jeudi 28 novembre.[↑]
8. ESO : École des Sous-Officiers de BUTARE[↑]
9. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[↑]
10. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
11. Juvenal HABYARIMANA : Président de la République rwandaise de 1973 jusqu’à son assassinat le 6 avril 1994. Juvénal HABYARIMANA a instauré un régime à parti unique, le MRND, discriminatoire à l’encontre des Tutsi et marqué par un favoritisme à l’égard des Hutu originaires de la préfecture de Gisenyi (Nord), région dont il était originaire. Il a introduit des quotas ethniques dans l’administration et l’enseignement pour limiter le poids des Tutsi et laissa la propagande et la haine anti-Tutsi se développer massivement sous son pouvoir, cf. glossaire[↑]
12. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
13. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
14. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 2 décembre 2024. J20
03/12/2024
• Audition d’Éric MUSONI.
• Audition de Télesphore NSHIMIYIMANA.
• Audition de Damascène BUKUBA.
• Dépôt de conclusions au sujet de l’inclusion des faits sur la colline de KARAMA.
• Audition d’Anne-Marie MUTUYIMANA, partie civile.
• Audition de Cyriaque NYAWAKIRA, partie civile.
________________________________________
Audition de monsieur Eric MUSONI, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin est détenu depuis 1994 à la prison de MPANGA (NYANZA). D’abord condamné à 15 ans de prison par la gacaca[1] de GATONDE, il a ensuite été condamné en appel en 2010 à perpétuité par la gacaca de NYAMURE. Il a plaidé coupable.
Il ne se plaint pas de ses conditions de détention même s’il dit que chaque détenu dispose d’1 m2 pour étendre son matelas. Il participe aux travaux des champs, s’occupe du petit bétail, porcs, chèvres, poules. Il reconnaît avoir mené des attaques à NYAMURE, en ajoutant que les réfugiés ont repoussé les assaillants à coups de pierres. Ce qui les a obligés de rentrer chez eux. C’est alors que certains de leurs chefs sont allés chercher des gendarmes à NYANZA. Il dit avoir été influencé par ses chefs dont un certain Zachée, Pascal, tous deux enseignants, et Jean NDAYAMBAJE, gérant de banque à Kigali.
Comme armes, les assaillants disposaient de machettes, de gourdins et de lances. Ils ont été repoussés à deux reprises. NYAMURE est une grande et haute colline dont le sommet est recouvert de pierres. Les réfugiés étaient très nombreux. C’est Samuel NSENGIYUMVA, un enseignant et le surnommé Compagnie, gérant d’une boutique, qui sont allés chercher les gendarmes de NYABISINDU. Dans la voiture, il y avait un mégaphone que leurs chefs utilisaient pour appeler les tueurs.
Les gendarmes et les militaires, au nombre d’une quinzaine environ, disposaient d’une Daihatsu. En arrivant, ils ont laissé les voitures près de l’acole primaire ou NSENGIYUMVA enseignait. Ils ont commencé ensuite à tirer et eux tuaient les réfugiés qui fuyaient. Le témoin n’a pas le souvenir qu’une réunion se soit tenue, les assaillants savaient ce qu’ils avaient à faire: l’ennemi, c’était les Tutsi qui avaient attaqué le pays. Ils devaient les tuer. La population devait encercler la colline et abattre les fuyards. C’est la consigne qu’ils avaient reçue. L’attaque a duré environ une heure. Les gendarmes disposaient de fusils R4, de petits mortiers qui lançaient des obus, et des grenades. Impossible de dénombrer les victimes, probablement entre 4000 et 5000.
Sur la colline de Nyamure qui domine la vallée. Éric MUSONI affirme que BIGUMA était avec eux pendant l’attaque, il avait « un appareil » pour communiquer avec les autres. Le second témoin, Télesphore NSHIMIYIMANA, ajoute qu’il était le dirigeant de cette attaque et que c’est lui à qui a tiré en l’air pour donner le signal du début de l’attaque. @AG
Le témoin avoue avoir tué, comme les autres, il n’a jamais nié. Lui-même avait un gourdin. Après l’attaque, ils sont rentrés chez eux. Parmi les assaillants, il y avait Godefroid NGIRABATWARE qui a beaucoup tué: il avait volé un fusil à un gendarme. Des pillages ont été organisés après l’attaque. Monsieur MUSONI affirme que BIGUMA était avec eux pendant l’attaque. Les gendarmes marchaient devant, suivis des assaillants. Ce sont les gendarmes qui dirigeaient l’attaque. BIGUMA avait « un appareil » pour communiquer avec les autres. Le témoin connaissait l’accusé qu’il avait vu passer à NYANZA.
Entre NYAMURE et GATONDE, le témoin estime qu’il y avait environ 30 minutes de marche.
Monsieur le président se dit surpris par les réponses du témoin. Il n’avait jamais dit tout ce qu’il vient de déclarer: « Toutes les questions que je vous ai posées ne vous ont jamais été posées. Vous avez dit aux gendarmes français que vous n’aviez jamais participé à l’attaque de NYAMURE. Il est vrai qu’ils ne vous avaient pas posé de questions. »
Monsieur le président dit au témoin qu’il a été accusé par Valens BAYINGANA, un rescapé entendu la semaine précédente[2]. « Il a menti, rétorque le témoin. J’ai plaidé coupable pour la mort d’un petit garçon, pourquoi je ne l’aurais pas fait pour ce qui s’est passé à NYAMURE si j’y avais participé. »
Quant à BIGUMA qui dit que les témoins mentent, qu’ils sont corrompus, achetés, qu’on fait pression sur eux, serait-ce son cas? » Ce sont des mensonges » répond monsieur MUSONI.
Concernant le mégaphone, le président dit que c’est la première fois qu’on en entend parler. Monsieur l’avocat général va dire le contraire. C’est pourtant bien dans dans un véhicule Stout marron clair ( peut-être se trompe-t-il de couleur) que BIGUMA est venu les sensibiliser le 20 avril. Dans la voiture, il y avait un mégaphone, insiste le témoin. MUSONI dit qu’il connaissait BIGUMA avant le génocide: il avait dit le contraire lors de son audition!
NDAHIMANA[3] et DUSINGIZIMANA[4], il les a connus en prison.
Maître PHILIPPART demande au témoin si le Compagnie dont il a parlé s’appelait Vincent SINDAYIGANA: il ne sait pas.
Maître ALTIT, pour la défense, interroge le témoin sur ses conditions de détention, et longuement sur les gendarmes et leur armement. Sur le positionnement des gendarmes et des réfugiés.
Monsieur le président prend la main en précisant bien que les réfugiés se trouvaient au sommet de la colline: « L’avocat veut conclure de vos déclarations que vous racontez n’importe quoi! » Toute cette partie de l’interrogatoire se déroule dans une grande confusion.
Audition de monsieur Télesphore NSHIMIYIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Monsieur Télesphore NSHIMIYIMANA, a été condamné pour l’attaque de NYAMURE, GISEIKE et SHARI en 2008. Il est en prison depuis 1997 et sera remis en liberté dans 3 ans.
Le témoin avait déclaré lors d’une précédente audition qu’il n’avait jamais vu BIGUMA avant les attaques de NYAMURE et GISEKE.
Il explique qu’au moment des faits en 1994, il était militaire à GITARAMA dans le bataillon RUTARE. Il a vu BIGUMA venir chercher du renfort à GITARAMA pour la colline de NYAMURE. Il raconte qu’entre 40 et 50 militaires sont partis en renfort. Ces militaires ont été accompagnés par leur responsable NDINDABAHIZI qui a supervisé leur action lors de l’attaque de la colline. Ils ont rencontré les civils assaillants de la colline vers 11h30, ont attaqué à leurs côtés, sont repartis à 18h et sont arrivés au camp le même jour vers 21h.
Le président fait remarquer que le témoin ne disait pas être militaire dans ses précédentes auditions, seulement qu’il avait reçu une formation militaire. Le témoin répond que la question ne lui a pas été posée.
Le sous-préfet NYARANDA Esdran a été nommé pendant le génocide en guise de récompense. Il était originellement le bourgmestre de la commune de RUSATIRA.
Il y avait trois véhicules, une Daihatsu jaune de la gendarmerie de NYANZA empruntée à la laiterie avec BIGUMA. Une autre Daihatsu blanche au bord de laquelle le témoin était arrivé de GITARAMA et qui avait servi à transporter les militaires. Un dernier véhicule d’ancien modèle Toyota pickup blanc avec des interahmwe[5] surnommés les combattants de NYANZA.
Mortier de 60 mm – DR
Ils étaient armés de différents fusils. Des R4, avec des cartouches de 30 balles et deux pieds sur lequel on peut les fixer, des MGL qui servent à lancer des grenades, des lances roquettes ainsi qu’un mortier 60. Il ajoute que les gendarmes utilisaient des fusils FAR et des G3.
Le sous-préfet NYARANDA a fait une distribution d’armes aux jeunes interahamwe de la ville. Le témoin lui-même a reçu 3 chargeurs de 90 cartouches.
Il explique que la raison de la demande de renfort était que les réfugiés de l’école de NYAMURE auraient tenté de mener des attaques contre les civils Hutu. Les véhicules étaient garés à l’école de NYAMURE. Le président précise que cela correspond aux propos d’autres témoins.
Les militaires sont passés par le côté droit tandis que les gendarmes sont passés par la côté gauche. La population les suivait de derrière, pas à pas. Les militaires ont utilisé des bombes alors que la population derrière utilisait des machettes. Il pense qu’il y a eu environ 4000 victimes mais il ne les a pas comptées.
Après l’attaque, le témoin confirme que les assaillants se sont retrouvés dans un bar pour boire. Le sous-préfet les avait tous invités et se tenait avec BIGUMA. Après l’attaque le témoin est passé chez lui et ses voisins ont compris qu’il était présent lors de l’attaque.
Le président évoque rapidement le sujet de l’attaque de GISEKE.
Puis il demande au témoin quel était le rôle de BIGUMA dans l’attaque de NYAMURE. Le témoin dit qu’il était le dirigeant de cette attaque et que c’est lui qui a tiré en l’air pour donner le signal du début de l’attaque. Il savait que BIGUMA était gradé adjudant à la gendarmerie quand il l’a vu pour la première fois au moment où il est venu demander des renforts. C’est seulement le lendemain qu’il a appris son nom. Le président souligne une petite divergence avec sa précédente audition dans laquelle il disait avoir appris son nom au bar le soir même.
Sur la chronologie des événements, M. le président rappelle que le témoin avait situé l’attaque de GISEKE début avril lors d’une première audition. Puis il avait changé d’avis et désignait ensuite le 3 mai.
Le témoin dit au sujet de l’attaque de GISEKE que BIGUMA a seulement envoyé des gendarmes et c’est le sous-préfet qui a distribué des armes aux civils. M. Le président note des différences de témoignages entre son audition devant les autorités rwandaises, françaises et aujourd’hui. Le témoin confirme la version d’aujourd’hui, BIGUMA a seulement envoyé les gendarmes.
Le témoin ne se souvient pas de la date de l’attaque de NYAMURE.
Me JULIEN demande au témoin s’ils se rappelle la présence d’un groupe de femmes lors du premier tir. Le témoin répond qu’il ne se souvient pas particulièrement de cela.
Me EPOMA lui demande la signification de l’invitation au bar le soir suivant l’attaque. Le témoin répond qu’il s’agissait d’un remerciement.
L’avocat général intervient après une confusion pour résumer les faits:
Le jour où il participe à l’attaque de NYAMURE, le témoin se gare devant l’école et croise Esdras NYARANDA. Il a connu Mathieu NDAHIMANA seulement plus tard en prison. Il n’a pas vu ou entendu d’hélicoptère le jour de l’attaque. Il conclut que ce n’est pas le jour de l’attaque finale que le témoin aurait été présent mais sur une attaque précédente.
Me ALTIT prend maintenant la parole. Le témoin a connu Mathieu NDAHIMANA à la prison de MPANGA à NYANZA. Il confirme qu’il y avait trois groupes, les gendarmes, les militaires et les civils qui étaient venus de NYANZA.
Arrivés sur le lieu de l’attaque, ils ont aussi rencontré d’autres civils qui attendaient. Le mortier de 60 a été utilisé et installé à l’école qui se situe à 400m de la colline. Environ 15 bombes ont été lancées. Il était sous les ordres du sergent Emmanuel NDINDABAHIZI.
Il lui demande maintenant pourquoi il n’a pas raconté tout cela lors de l’audition devant les gendarmes français. Le témoin répond qu’il avait peur que cela se répercute sur lui. Me ALTIT insiste que le témoin avait dit être commerçant à un officier de police judiciaire rwandais.
Audition de monsieur Damascène BUKUBA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
M. le président lui rappelle les faits pour lesquels il est auditionné.
Le témoin n’a pas fait de prison avant d’être jugé et a été innocenté. En 1994, il habitait déjà à RWESERO et il explique qu’après l’attentat, une barrière y est érigée. Il avait déclaré que la barrière avait été érigée le 8 avril et le président lui rappelle que les Tutsi n’étaient pas encore massacrés dans la préfecture de BUTARE à ce moment-là. Le témoin explique qu’il ne se souvenait pas des dates quand il a été auditionné. La barrière était appelée RUGARAMA et était sous la direction du conseiller de secteur à proximité de l’AKAZU K’AMAZI. Il ne connaît pas son initiateur et n’a jamais assisté à des réunions.
Emplacement de la barrière Akazu k’amazi, ©AG.
Lors de son audition, il avait cité les noms des personnes avec lesquelles il gardait cette barrière. Elles avaient été érigées pour arrêter les Tutsi. À la tombée de la nuit, les populations venaient chercher les Tutsi arrêtés pour les tuer plus loin. Lui-même ne tenait la barrière que la journée donc il ne voyait pas ce qu’il se passait de ses propres yeux. Il dit n’avoir jamais arrêté de Tutsi et que beaucoup de personnes ont été arrêtées mais il n’était pas présent. Il explique aussi que les gens parlaient de BIGUMA et disaient que ce n’était pas quelqu’un de bon. Ce dernier est passé une seule fois à la barrière, s’est arrêté pour déposer deux gendarmes, mais le témoin ne se souvient plus s’il a dit quelque chose. Il le connaissait de vue.
Le président rappelle que lors de cette audition, le témoin avait affirmé ne pas être en mesure d’être auditionné car il était trop perturbé par le décès de sa mère, la veille.
Il n’était pas présent au moment du meurtre des 28 Tutsi de l’AKAZU K’AMAZI mais il sait que cela a eu lieu. Les deux gendarmes qui avaient commis les meurtres avaient été déposés par BIGUMA la veille sur le lieu.
Me GISAGARA demande au témoin s’il peut confirmer le fait que BIGUMA supervisait les barrières. Ce dernier confirme.
Me GUEDJ prend la parole. Le témoin dit avoir fui avec sa famille le 15 avril devant les gendarmes français. Il s’est réfugié sur la colline de RURANGAZI. Le témoin rappelle qu’il ne se souvient plus exactement des dates. Me GUEDJ observe qu’il y a une différence de témoignage entre son audition et aujourd’hui sur le fait que BIGUMA se soit arrêté à une barrière ou non. Il demande de donner acte de cette divergence.
Me GUEDJ finalement lui demande s’il a peur de quelque chose car il ne regarde pas la caméra en face. Le témoin répond simplement qu’il a mal voyagé et qu’il ne se tient pas droit.
M. le président demande au témoin s’il reconnaît l’accusé. Me GUEDJ fait observer que cela n’a aucune valeur car son visage est partout dans la presse rwandaise. Me GISAGARA note qu’il attend les pièces justificatives de tels propos.
Le témoin affirme reconnaître l’accusé et ne l’avoir jamais vu dans la presse.
Dépôt de conclusions au sujet de l’inclusion des faits sur la colline de KARAMA
Me PHILIPPART prend la parole pour présenter ses conclusions quant à l’inclusion des massacres de KARAMA dans les faits saisis devant la Cour.
Corps des victimes de Karama/Nyamure. @AG
Elle souligne que KARAMA n’a jamais été totalement exclu de l’ordonnance de mise en accusation car les faits étaient traités de manière enchevêtrée avec d’autres événements.
Elle souligne aussi que si la Cour devait juger de l’inadmissibilité des faits qui se sont passés à KARAMA, les témoins devraient quand même être entendus car ils peuvent participer aux chefs d’accusation d’entente en vue de commettre un génocide.
Me BERNADINI soutient les conclusions de Me PHILIPPART et rajoute que les différents lieux devraient être considérés par la Cour comme un seul lieu de crime.
Monsieur l’avocat général prend maintenant la parole. Il demande de rejeter ces demandes au motif que les droits de la défense ne seraient pas respectés car l’ordonnance de mise en accusation n’explicitent pas clairement ce chef d’accusation.
Me GUEDJ rejoint les demandes de M. l’avocat général arguant de nouveau que cela ne respecte pas les droits de la défense notamment celui d’être informé des charges portées à son encontre.
(NDR. Monsieur le président a déjà clairement dit qu’elle était sa position. Il n’inclurapas les faits de KARAMA dans l’accusation dans la mesure où l’accusé n’est pas poursuivi pour ces faits. Il ne prendra pas le risque de donner à la défense un moyen de cassation.)
Audition de madame Anne-Marie MUTUYIMANA, partie civile.
Long témoignage au cours duquel monsieur le président dit qu’on s’est perdus. Son avocat dit qu’il rencontre son client aujourd’hui pour la première fois. Jusque-là, ils avaient échangé par téléphone. On peut reprendre l’audition du témoin du 12 juin 2023:
Anne-Marie MUTUYIMANA, qui s’est constituée partie civile, habitait dans le secteur de NYAMURE, à côté de l’établissement scolaire de NYAMURE. Elle faisait partie d’une famille composée de ses parents et de cinq enfants, un garçon et quatre filles dont la plus jeune âgée de 2 ans. Son père était secrétaire de la paroisse de NYANZA, il travaillait aussi pour la Caritas et dirigeait la succursale paroissiale de NYAMURE.
Quelques jours après le début du génocide, son père a vu que des barrières avaient été érigées. Dans les jours qui ont suivi, Anne-Marie a vu la situation se dégrader. Elle et sa famille se sont réfugiées sur la colline de NYAMURE pendant plusieurs jours. Son père a eu des informations sur une éventuelle attaque des gendarmes de NYANZA. Il a donc éloigné sa famille de la colline, et l’a emmenée au domicile d’une connaissance à lui. Une fois réfugiés dans cette maison, Anne-Marie et le reste de sa famille ont entendu des tirs et des gros bruits qu’elle décrit en disant : « C’est comme si la colline allait s’effondrer ». Ils entendaient des bruits de pas et des cris. Durant cette attaque, la témoin a perdu ses grands-parents paternels, plusieurs de ses oncles et de ses cousins.
L’homme qui les a hébergés leur a demandé de partir pour ne pas se mettre lui-même en danger. Au moment de la tombée de la nuit, la famille a été séparée et Anne-Marie s’est retrouvée avec seulement deux de ses sœurs et son frère. Ils ont ensuite essayé de rentrer chez eux, mais ont vu en arrivant que leur maison avait été détruite. Ils se sont ensuite cachés dans un champ voisin et ont pleuré ensemble. Un groupe d’attaquants les a trouvés et Anne-Marie et le reste de sa fratrie se sont dispersés.
La témoin explique qu’elle a passé ensuite plusieurs jours cachée dans des buissons et dans des champs avant de tenter de finalement retourner à l’endroit où elle avait vu son père en dernier. Elle l’a ainsi retrouvé, puis a aussi retrouvé l’une de ses sœurs. Ils se sont dirigés vers la maison d’un ami de son père, mais ce dernier en tant que secrétaire de la paroisse faisait partie des Tutsi qui étaient activement recherchés.
Ne pouvant rester chez leur ami plus longtemps, Anne-Marie et sa famille se sont rendus dans la région d’origine de sa mère à KIRUNDO. Arrivés sur place, ils ont été saisis par un groupe de Hutu qui ont reconnu le père de la témoin et qui les ont conduits à une barrière près du centre de KIRUNDO. À cette barrière, les Hutu ont torturé le père d’Anne-Marie avant de le tuer avec son oncle. Ils ont dit à la grand-mère d’Anne-Marie, qu’ils avaient retrouvée quelques jours plus tôt, de marcher jusqu’à NYAMURE afin qu’elle soit tuée là-bas.
Quelques jours après, les Inkotanyi[6] sont arrivés dans la localité dans laquelle ils se trouvaient et des combats entre eux et des Interahamwe[5] ont commencé. Anne-Marie et sa famille ont fui. Enfin, le FPR[7] a pris le contrôle de la région et a offert des soins et de la nourriture aux rescapés dont Anne-Marie faisait partie. Elle a pu retrouver sa mère et le reste de sa fratrie intacte.
Audition de monsieur Cyriaque NYAWAKIRA, partie civile.
Le témoin n’a jamais été entendu mais il y a son témoignage dans le dossier. Après avoir demandé à monsieur NYAWAKIRA les raisons pour lesquelles il avait accepté de venir devant la Cour d’assises, le président va lire le témoignage remis lors de sa constitution de partie civile et qu’il soumet au témoin.
Avant le génocide, avait dit le témoin, il régnait un climat de de tension, tension qui s’est aggravée avec l’attentat: d’où une grande inquiétude chez les Tutsi. Certains Hutu menaçaient les Tutsi. À l’école qu’il fréquentait, de jeunes extrémistes du Nord menaçaient les Tutsi.
Après l’attentat, Hutu et Tutsi ont participé à des rondes communes, mais lui était jeune et il n’a pas participé. La maison familiale avait été incendiée. Comme beaucoup de Tutsi qui fuyaient vers le Burundi, la famille du témoin décide de se diriger vers NYAMURE. Un voisin, Daniel SEMAKWERE, avait averti sa mère: « Vous savez ce qui s’est passé en 1959, votre sort est scellé. Votre mère s’est levée et vous l’avez suivie. La famille se sépare et vous vous retrouvez seul avec votre petite sœur Charlotte, âgée de treize ans.
Vous avez fui dans la brousse pour vous retrouver chez votre oncle Straton KABERA et vous êtes partis vers NYAMURE, malgré les barrières et les rondes qu’il fallait affronter ».
Monsieur le président pose une question au témoin: « Pourquoi ne pas fuir vers le Burundi? »
Monsieur NYAWAKIRA: « La frontière du Burundi était proche, c’est vrai mais il y avait beaucoup de militaires. Le seul passage sûr, c’atait de se diriger vers NYAMURE où il y avait un bourgmestre Tutsi à NTYAZO, monsieur NYAGASAZA[8]. Là-bas, les tueries n’avaient pas encore commencé. »
Sur question de maître HERBEAUX, le témoin reconnaît avoir rejoint des membres de sa famille paternelle et des oncles maternels en grand nombre. Après cette rencontre, ils se sont rendus compte que tout le monde était parti au centre de GATI, au carrefour de trois routes. À NYAMURE, ils vont retrouver une trentaine de membres de leur famille. Arrivés près de la rivière Nyarugongo, ils ont rencontré Mathieu NDAHIMANA[3] qui les accueille avec un lance-grenades. Les réfugiés se sont alors dispersés. Certains ont été tués. De là, ils ont réussi à rejoindre NYAMURE. C’était dans la nuit du 14 au 15 avril. ( NDR. Le témoin déclare ne pas être très sûr des dates).
Les réfugiés se sont défendus à coups de pierres mais beaucoup souffraient de faim et de soif. Les pierres se trouvaient au sommet: près de l’école, c’était la forêt. C’est le 20 avril que les assaillants auraient reçu le renfort des gendarmes. Le témoin évoque la présence de NDAHIMANA et celle d’un hélicoptère qui a survolé la colline. C’est deux jours après que la grande attaque aurait eu lieu. Le témoin, qui se trouvait en contre-haut de l’école, a vu arriver les gendarmes qui se sont garés près de l’école primaire. Il n’a pas vu de militaires. Ces derniers viendront à KARAMA et à SHARI.
À NYAMURE, le témoin dit que les gendarmes tiraient des roquettes. Précision qui surprend le président. Mais monsieur NYAWAKIRA avoue ne pas bien connaître les armes. Peut-être des grenades qui explosaient. Quant à NDAHIMANA, le témoin redit qu’il le connaissait bien, que c’est lui qui l’avait soigné: il était bien présent. BIGUMA, il en a simplement entendu parler. Raison pour laquelle il n’en parle pas dans sa plainte. Ce n’est qu’après l’attaque qu’il a su qui il était.
C’est la pluie qui a fait cesser l’attaque. Dans l’attaque, le témoin a perdu beaucoup de membres de sa famille proche : sa mère, trois frères, des oncles maternels. Peut-être une soixantaine de sa famille éloignée.
Sur question de monsieur l’avocat général, le témoin confirme les dates des deux attaques: le 25 et le 27 avril.
Maître DUQUE va à son tour tour poser toute une série de questions: la présence de NDAHIMANA, la couleur des voitures, le nombre de gendarmes…
L’attaque de KARAMA.
Avant d’aborder les faits, maître DUQUE, une nouvelle fois, s’oppose à ce que le témoin évoque ces faits qui ne sont pas reprochés à son client. Monsieur le président répond qu’une partie civile a le droit de donner le témoigner qu’elle veut.
C’est monsieur le président qui va résumer les propos du témoin. En se rendant sur cette colline, le témoin retrouve sa sœur Charlotte. Entre les deux collines, beaucoup de membres de sa famille vont périr. De nombreux réfugiés sont rassemblés là. C’est le même scénario qu’à NYAMURE, mais les réfugiés sont mieux organisés: ils vont manifester une grande résistance, en particulier grâce à la présence des ABAJIJI[9]. Pendant trois jours, les attaques seront repoussées avant que les gendarmes, les militaires et les policiers municipaux ne soient appelés en renfort. Le fils du bourgmestre NZARAMBA sera tué et une voiture incendiée. « Quand je pense à KARAMA, précise le témoin, ça me rend fou. »
Et il y a de quoi. Il va raconter la grave blessure qu’il va avoir au ventre, après laquelle il se cache sous les cadavres. La pluie va le sauver mais c’est surtout grâce à son cousin, Jean de Dieu, qu’il va survivre. Ce dernier va tenter de le soigner, va s’occuper de lui jusqu’à ce que Cyriaque lui demande de l’abandonner car il risquait lui aussi sa vie. Grâce à son courage, le témoin va réussir à se traîner jusqu’à son village où les Inkotanyi[10] le trouveront.
Quant à sa sœur Charlotte, il va la retrouver mais elle va rapidement tomber malade (le témoin pleure à l’évocation de son souvenir) et finir par mourir quelques années après, victime de viols et du SIDA.
Madame l’avocate générale remercie le témoin qui remercie la Cour à son tour. Il souhaite poser une question aux avocats de l’accusé. Il ne comprend pas pourquoi ces derniers ne veulent pas qu’on évoque l’attaque de KARAMA. Maître DUQUE explique calmement à Cyriaque qu’elle comprend sa souffrance, mais que c’est une question de procédure pénale: son client n’est pas poursuivi pour ces faits.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
2. Voir l’audition de Valens BAYINGANA, partie civile, 28 novembre 2024.[↑]
3. Voir l’audition de Mathieu NDAHIMANA, 29 novembre 2024[↑][↑]
4. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024[↑]
5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
6. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑]
7. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
8. Narcisse NYAGASAZA : bourgmestre de NTYAZO, arrêté et emmené par BIGUMA. Voir les comptes-rendus du 25 novembre 2024. J15 et jours suivants. [↑]
9. Voir l’audition d’Appolonia CYIMUSHARA, partie civile, 29 novembre 2024.[↑]
10. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 3 décembre 2024. J21
03/12/2024
• Audition de Jean-Baptiste MUSABYIMANA.
• Audition de Silas MUNYAMPUNDU.
• Arrêt de la Cour concernant les massacres de KARAMA.
• Audition de Grâce BYUKUSENGE, partie civile.
• Audition de Florence NYIRABARIKUMWE, partie civile.
• Audition de Gloriose MUSENGAYIRE, partie civile.
• Lecture d’auditions.
________________________________________
Audition de monsieur Jean-Baptiste MUSABYIMANA, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment.
Il explique qu’il a déjà témoigné en juin dernier[1] et qu’il va redire la même chose. Il a été condamné par la Gacaca[2] à 30 ans de réclusion depuis 1994 après avoir plaidé coupable pour l’attaque de NYAMURE et avoir tenu la barrière de NYAGACYAMO (située à 1 km de l’école de NYAMURE).
Cette barrière a été érigée sur demande du conseiller de secteur, les gendarmes n’y ont pas joué de rôle particulier et il n’a jamais vu BIGUMA dessus. Il a vu un véhicule une fois avec des gendarmes à son bord le jour où la colline de NYAMURE a été attaquée. Il s’agissait d’un 4×4 Toyota Hilux rouge qui se dirigeait vers l’école de NYAMURE et contenait 3 gendarmes à son bord. Il n’a pas vu d’autres véhicules. Ces gendarmes ont donné l’ordre aux villageois qui étaient sur la barrière avec le témoin de les accompagner. Ces derniers avaient des machettes et des gourdins et ont suivi à pied le véhicule jusqu’à l’école.
À leur arrivée, les combats avaient déjà commencé, il y avait déjà des tirs mais il n’a pas fait attention s’il y avait des explosions. Les Tutsi qui s’échappaient étaient achevés à la machette et au gourdin. Il n’a personnellement pas tué ce jour-là. Il pense qu’il y avait au moins 5 000 Tutsi sur la colline mais ne saurait pas estimer le nombre de victimes. Lorsqu’il a été entendu par les autorités suédoises, il avait estimé le nombre de victimes à 6 000.
M. le président l’interroge sur le statut des personnes de la voiture. Il avait dit en premier lieu qu’il s’agissait de militaires, puis des gendarmes, ce qu’il répète aujourd’hui. Il répète aujourd’hui qu’il ne savait pas bien les distinguer à ce moment-là et qu’ils ne portaient pas de béret.
Il confirme qu’il ne connaît pas les noms HATEGEKIMANA, BIRIKUNZIRA, BIGUMA.
Monsieur l’avocat général prend la parole. Le témoin répond que le véhicule est passé en fin de matinée. Sur la barrière, il n’y avait pas d’horaires fixes. Il a vu passer un véhicule que ce jour-là. Il n’a ni entendu d’avion, ni des explosions. Il ne connaît pas Mathieu NDAHIMANA[3]. Il n’est pas au courant que l’hôpital avait subi une attaque à ce moment. L’avocat général conclut que cette attaque est sûrement liée à une attaque précédant la grande attaque pour laquelle la Cour est saisie.
Me ALTIT interroge maintenant le témoin.
La collecte d’informations dans laquelle il avait appris le nom de BIGUMA date d’il y a longtemps. Il ne saurait pas la restituer dans le temps. Les collectes d’information avaient lieu par secteur dans les prisons. Les conseillers de secteurs ou responsables de cellule étaient désignés pour présider les groupes. À défaut de cela, c’était quelqu’un qui savait lire. Dans son cas il s’agissait de leur conseiller MUHINDAHABI qui avait demandé l’erection des barrières.
Me ALTIT suggère que cette collecte d’information a été réalisée entre 2014 et 2018 ce qui n’est pas possible car les Gacaca étaient terminées à ce moment-là, depuis 2012[2]. Le témoin dit que c’était sûrement vers 2003-2004. Me ALTIT relève que si tel est le cas, il est curieux que le témoin n’ait toujours pas su la différence lors de sa première audition en 2014. Le témoin réexplique qu’il a déjà dit qu’il ne savait pas la différence entre militaires et gendarmes à ce moment-là.
Audition de monsieur Silas MUNYAMPUNDU, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda.
Le témoin décline son identité et prête serment. Il avait aussi déjà été entendu lors du procès en première instance[4].
Il est un ancien juge de canton et bourgmestre de NTYAZO jusqu’en 2000, puis vice bourgmestre de NYAMURE jusqu’à 2006. Aujourd’hui il n’exerce pas de fonction politique, il est à la retraite. Il habitait à MUYIRA dans la sous-préfecture de NYABISINDU. Étant Tutsi il s’est caché dans la brousse jusqu’au 29 avril, date à laquelle il a réussi à fuir au Burundi avec sa famille. Il n’a donc lui-même été témoin d’aucun fait car il se cachait à NYAMIYAGA et n’est pas allé à NYAMURE.
Le président l’interroge au sujet de ce qu’il a pu voir en rentrant.
Quand il est rentré, il a trouvé les corps qui se décomposaient sur la colline et dit avoir inhumé 11 000 corps. Il a comptabilisé uniquement les têtes car beaucoup de corps étaient démembrés. Certaines victimes avaient été fusillées et d’autres avaient la poitrine entièrement déchiquetée, ce qui faisait penser à une grosse explosion. Il n’a pas vu de groupement particulier de femmes car il n’a pas fait le travail tout seul et c’est possible que les corps aient été déplacés avant qu’il ne les voie. Il a aussi observé des traces d’explosion d’obus sur le terrain et la pierre.
Le président l’interroge maintenant au sujet de ce que les habitants lui ont dit après son retour.
Il a donc appris que les Interahamwe[5] encerclaient la colline et tuaient toutes les personnes qui descendaient de la colline. C’est Mathieu NDAHIMINA[3] qui est allé chercher du renfort pour attaquer la colline. C’est ce dernier lui-même qui le lui a dit.
Il confirme que plusieurs attaques ont eu lieu. Mathieu a dirigé une première attaque, puis BIGUMA a dirigé une autre attaque aux côtés de BIRIKUNZIRA. Il a recueilli ces informations entre autre auprès des personnes en prison, notamment NTETEYABATWA mais aussi des rescapés comme Valens BAYINGANA.
Au sujet maintenant de ses liens avec BIGUMA, le témoin explique qu’ils ont été à l’école ensemble à NYANZA. Il dit qu’il avait la haine des Tutsi déjà à ce moment et qu’il avait participé à des troubles contre des écoliers Tutsi en 1973. C’est BIGUMA qui dirigeait ces troubles en collaboration avec les élèves du collège du Christ-Roi. À cette époque, les Tutsi avaient été renvoyés de l’école, le témoin inclus, alors qu’il avait 15 ans. BIGUMA était à la tête des attaques des élèves Hutu contre les élèves Tutsi. À son retour à l’école, ils étaient redevenus amis et jouaient beaucoup au foot ensemble. Ils se sont revus régulièrement à NYANZA alors qu’il était juge et BIGUMA gendarme, jusqu’au début de 1994. Il explique qu’il se comportait normalement dans leurs relations et ne le persécutait pas en raison de son appartenance Tutsi.
M. le président demande à BIGUMA s’il se souvient du témoin. Il répond par la négative et que cela fait trop longtemps. Il dit en revanche que c’est possible que le témoin le connaisse lui car il était vice-doyen à l’école et un très bon footballeur, ce qui lui donnait une certaine notoriété notamment auprès des plus jeunes. Il affirme que le témoin n’était pas bon footballeur. Le président lui dit alors que cela signifie qu’il le connaissait. Il répond qu’il sait cela uniquement parce qu’il se souviendrait de lui s’il avait été bon joueur.
Plus tard, BIGUMA dit qu’il ne se rappelle pas l’avoir croisé dans le cadre professionnel.
Au sujet des massacres de 1973, il dit qu’il n’aurait pas pu y participer alors qu’il était si jeune. Il confirme l’existence de ces troubles dans les écoles mais il nie son implication.
Le témoin répond que BIGUMA avait une position d’autorité de son statut de vice-doyen et s’occupait des petits.
Me PHILIPPART fait observer à BIGUMA qu’il avait dit lors des premiers jours d’audience qu’il y avait une bonne entente entre les Tutsi et les Hutu à l’école. Il disait qu’il n’y avait aucune discrimination contre les Tutsi. Aujourd’hui l’accusé reconnaît les périodes de troubles à l’école.
Monsieur l’avocat général demande à BIGUMA de préciser ses propos sur les troubles contre les Tutsi. Il répond que les persécutions ont servi d’alibi et de mascarade au coup d’état d’HABYARIMANA. Il affirme notamment que les Tutsi n’ont pas vraiment été frappés et persécutés en 1973 et que les troubles ont été exagérés pour faciliter le coup d’état. (NDR. Personne ne comprend vraiment cette réflexion).
Me GISAGARA interroge le témoin sur ce qu’il a personnellement subi en 1973. Le témoin répond qu’il a été frappé et a été chassé de l’école, ce qui lui a fait perdre une année. Il précise que BIGUMA était vice-doyen du tronc commun qui comprend les classes du collège de la 6ème à la 3ème.
S’agissant de leurs relations professionnelles plus tard, il n’y avait qu’un seul magistrat et le témoin affirme que BIGUMA devrait le reconnaître.
BIGUMA intervient pour corriger les dires du témoin pour déclarer qu’il était le numéro 3 de la gendarmerie et non le numéro 2.
Il confirme aussi avoir été en charge de représenter le tronc commun en tant que vice-doyen.
C’est au tour de Madame l’avocate générale de prendre la parole maintenant.
Le témoin confirme que l’accusé s’appelle HATEGEKIMANA et avait plusieurs surnoms, notamment « ngurube », « cochon ». Cela n’a cependant pas de lien avec la signification de BIGUMA, cela désigne simplement que c’est lui qui était en charge de découper et distribuer la viande de porc. Il confirme que BIGUMA était connu pour des actes de méchanceté. Il confirme aussi que tous les témoins lui ont parlé de BIGUMA et que ce surnom désigne seulement Philippe HATEGEKIMANA.
BIGUMA intervient pour demander aux interprètes de donner la signification de son surnom.
Le premier interprète explique que cela veut dire donner quelque chose à quelqu’un et lui retirer de la bouche juste avant qu’il ne le mange.
Cela peut être péjoratif. Cela peut aussi désigner un objectif presque atteint et qui échoue au dernier moment. Ou bien une personne à qui on allait donner une chance et à qui on la refuse au dernier moment.
BIGUMA explique qu’il a été surnommé après un professeur qui faisait passer les examens et qui les faisait échouer.
Un interprète ajoute qu’un autre sens peut être donné qui voudrait dire des grandes blessures. Le mot est polysémique et c’est l’origine qui doit en éclairer le sens. Le témoin rajoute que cela fait référence à la méchanceté.
Monsieur et madame les avocats généraux précisent qu’on l’avait prénommé comme cela car il avait le même nom HATEGEKIMANA qu’un de ses professeurs surnommé BIGUMA et que c’est pour cela qu’il a été surnommé de la même manière.
Ils reviennent au témoin. Il y a eu plusieurs attaques avec des pierres et c’est ensuite que l’attaque avec des armes a eu lieu. Le jour de l’attaque par les gendarmes, un hélicoptère aurait été dirigé pour rassembler les réfugiés au sommet de la colline.
Me GUEDJ prend la parole pour interroger le témoin.
Il pense que les informations de Mathieu NDAHIMANA sont fiables car il a fait des aveux et plaidé coupable. Dans une autre audition il avait dit qu’il était menteur. (NDR. Maître GUEDJ n’est pas à une contradiction près).
Au sujet des corps, aucune expertise n’a été faite avant l’inhumation. De même il n’y a pas eu d’expertise balistique réalisée sur la colline à ce moment pour évaluer le type d’arme et l’origine des tirs.
Au regard de l’hélicoptère, y en avait-il un? Il répond que c’est possible que Mathieu n’ai pas été là à l’exacte attaque avec l’hélicoptère. Il confirme que seulement l’armée possédait des hélicoptères.
Concernant leurs relations à l’école, le témoin explique qu’ils n’étaient pas amis mais qu’ils jouaient au foot et puis qu’ils avaient eu des relations professionnelles par la suite.
Arrêt de la Cour concernant les massacres de KARAMA.
Memorial de Muyira où sont enterrées les victimes de Nyamure et Karama.
Monsieur le président rappelle l’étendue de sa saisie. La Cour est tenue de juger les faits tels qu’ils apparaissent dans les débats. Elle ne peut reconnaître d’autres faits. NYAMAURE, KARAMA et l’ISAR SONGA[6] sont trois sites différents. De plus, l’accusé n’a pas été interrogé sur les massacres de KARAMA. Aucune remise en situation n’a été faite à KARAMA.
La cour rejette donc les conclusions des parties civiles essentiellement développées par maître PHILIPPART[7].
Elle rejette aussi la demande de la défense qui demandait de ne plus entendre de témoignages sur les faits de KARAMA.
Comme nous l’avons dit précédemment, cette décision ne surprend personne. Monsieur le président s’était déjà largement exprimé sur les faits de KARAMA. En prenant cette décision, il évite probablement de donner l’occasion à la défense de déposer un pourvoi en cassation.
Audition de madame Grâce BYUKUSENGE, partie civile.
Nous reprenons le long compte-rendu du témoignage de première instance.
« Quand le génocide a commencé, j’avais déjà atteint un âge de discernement, j’avais 15 ans. Quelque temps avant, une de mes tantes habitait à Gitarama. Cela ne faisait pas longtemps qu’on avait tué son mari dans le cadre de la chasse aux Ibyitso, les complices[8], qui avait eu lieu avant le génocide. Juste avant le génocide, je me trouvais chez cette tante paternelle. Comme la situation à Gitarama n’était pas bonne, j’ai dû lui dire que j’avais envie de rentrer pour retourner chez moi à NYAMURE. Nous sommes donc parties. En cours de route nous avons croisé une vieille femme qui lui a demandé où elle emmenait cette gamine. Je souhaitais retourner chez moi, car si je devais mourir, je meure avec mes propres parents.
Ma tante a décidé de renoncer à me conduire à NYAMURE et a décidé de rentrer chez elle. Après avoir moi-même hésité, j’ai décidé de continuer ma route. J’ai pris un bus à la gare routière qui m’a conduite jusqu’à BIGEGA. De là, j’ai continué mon chemin à pied. Elle arrivera chez elle dans la nuit. Beaucoup de gens pensaient que j’étais à GITARAMA pendant le génocide.
Comme nous étions une grande famille, quand je suis arrivée à la maison, j’ai trouvé beaucoup de gens, des membres de la famille et d’autres personnes qui ne faisaient pas partie de la famille. Nous y avons passé la nuit. La situation ne s’était pas beaucoup détériorée là-bas. Le lendemain, des attaques des Interahamwe ont commencé à sévir dans notre localité. On disait que les Interahamwe venaient du Bugesera. Les gens de chez nous, Hutu comme Tutsi, sont allés barrer la route du côté de la rivière de NYARUBOGO. Les gens de chez nous disaient qu’ils ne voulaient pas que ces choses-là qui se passaient ailleurs arrivent et se reproduisent dans le secteur. Les femmes et les enfants restaient à la maison, ce sont les hommes et les jeunes gens qui allaient combattre les attaquants.
Les attaquants se sont rendu compte qu’il était impossible de franchir la rivière pour arriver à NYAMURE. Ils ont appelé certains Hutu en leur demandant d’aller vers eux car ils avaient des choses à leur dire. Ces Hutu sont partis et sont revenus. Probablement que les attaquants leur avaient dit qu’ils ne visaient que les Tutsi. Ils leur ont dit : « C’en est fini pour vous ».
Après avoir entendu que c’en était fini pour nous, nos proches ont jugé opportun de dire que nous devions nous rendre à NYAMURE, sur la colline, où d’autres gens avaient trouvé refuge.
Je reviens un peu en arrière. À la fin de ma 6ème année de primaire, j’avais réussi le concours d’admission à l’école secondaire mais ma place a été prise par quelqu’un d’autre qui s’appelait comme moi, BYUKUSENGE. Il y avait un enseignant prénommé Jean-Pierre, parrain d’un de mes frères, qui a dit qu’il n’était pas concevable qu’une enfant Tutsi aille étudier. Mon père, après avoir entendu cela, a dit que c’était fini pour nous. Cela lui a rappelé ce qu’il lui était arrivé à lui et à son propre père en 1973.
Mon père disait qu’il fallait absolument fuir. Nous, nous disions non, que rien n’allait nous arriver. Je dois préciser que ma mère était originaire de Kibuye. Mon frère RUDASINGWA vivait dans cette région natale de ma mère. Ma mère a dit qu’elle devait aller ramener son fils, en parlant de mon frère, pour que, s’il faut mourir, il meurt avec les autres. Ma mère se faisait régulièrement frapper. Elle avait un nom qui ne plaisait pas, NYINAWUMWAMI (« la mère du roi »), les gens lui demandaient comment cela pouvait se faire qu’elle soit la mère du roi. Ils demandaient si c’étaient nous ses enfants les rois.
Quand le génocide a eu lieu, ma mère se trouvait dans sa région d’origine, à Kibuye. C’est dans ce contexte que nous avons escaladé la colline pour nous rendre à NYAMURE. C’est à dire nous et la famille élargie, notamment la famille de mes oncles paternels. Je me rappelle que, probablement à cette date-là du 22, que nous sommes arrivés à NYAMURE. C’est à partir de cette date-là du 22, 23 et ainsi de suite jusqu’au 26 que les attaques des Interahamwe[5] ont eu lieu. Il se peut que ces Interahamwe soient allés demander des renforts. Le 27 est arrivé un véhicule avec des gendarmes et des policiers. Ils sont venus en provenance de MIGINA et ils étaient à bord d’une Toyota Bleu-Rouge. Ils sont arrivés jusqu’à l’école de NYAMURE, enfin la route se terminait à cette école-là. Je dois préciser que plus tard, la route a été prolongée jusqu’à NYAMURE pour que les cérémonies de commémorations puissent se dérouler.
Ils ont tué des gens, y compris les vaches de ceux qui avaient pu se réfugier là avec du bétail. Il y avait là-bas des Tutsi de toutes les catégories, y compris les femmes et les enfants. Tous les Tutsi de NYAMURE étaient là, y compris d’autres venus d’ailleurs, notamment de Gikongoro et Gitarama. Je me rappelle qu’il y avait une femme qui était sur le point d’accoucher. Les autres femmes avaient entouré cette femme et elles avaient étendu leurs pagnes pour la protéger de la grande foule qui se trouvait là. En tant que petite fille très curieuse, je m’étais approchée pour voir comment une femme accouche. Alors que nous étions là, les gens ont vu le véhicule de gendarme et ont commencé à dire que probablement, pour nous, ce jour-là allait être le dernier. Ceux qui priaient ont commencé à prier, d’autres ont commencé à entonner des chants de louange pour qu’au moins, s’il fallait mourir, on meure dans cette présence divine. Les gens se disaient qu’il n’allait plus être possible de se battre avec les balles. Avant, nous les enfants et les femmes nous rassemblions des pierres pour les donner aux autres qui les lançaient. Mais on se disait que cette fois-ci cela n’allait pas être possible.
Le véhicule s’est arrêté, les gendarmes sont descendus. Mais avant qu’ils ne nous atteignent, ils se sont arrêtés un peu pour se concerter. Dans le temps, au Rwanda, on avait peur de tout ce qui portait un uniforme. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous nous sentons à l’aise vis-à-vis d’eux. À leur vue, chacun a commencé à reculer pour fuir. Moi, petite que j’étais, je me suis faufilée vers l’arrière. Ce qui m’a poussé à savoir que c’était BIGUMA, c’est que lui a marché devant les autres. Il a fait 2-3 pas et c’est lui qui a tiré en premier comme pour dire « Allez-y ». À l’époque je ne savais pas si ce qu’il a tiré était une balle ou autre chose, en tout cas cela est tombé là où les femmes entouraient celle qui accouchait. Quand les gens ont entendu cette balle, ils ont pris la fuite. Sinon les autres sont restés sur place. D’autres gens sont venus par après achever les blessés avec des machettes. Je figure parmi ceux qui ont fui. J’ai descendu la colline en direction de notre maison. Une fois sur place, j’ai constaté qu’il n’y avait plus rien, que la maison avait commencée à être détruire.
Comme on était à la mi-journée, aux environs de 14 heures, j’ai cherché à me cacher. Je me suis cachée quelque part jusqu’à la tombée de la nuit. Durant cette période, les tueurs marchaient en se vantant. Je me souviens que quand ils sont passés par là où j’étais, ils parlaient de mon père qui s’appelait RUSATSI. Quand ils descendaient, ils parlaient aussi du nom de ma grande-sœur qui s’appelait Claudine et d’une cousine germaine Clotilde. Ils sont descendus en citant ces noms. Lorsque ces gens descendaient, ils disaient qu’ils allaient faire de ma sœur et de ma cousine germaine des femmes des jeunes gens et d’une certain BUDIBAWEHO. J’ai entendu cela et j’en ai déduit que ces gens les avaient prises pour aller les violer. Je suis allée voir ces filles. J’allais à peine m’approcher d’elles lorsque ma sœur Claudine m’a dit : « Va-t-en, vas te cacher ». Je suis partie aussitôt pour aller me cacher de nouveau. Peu de temps après, je me suis rendue à GATARE qui se trouve dans la même cellule mais ce n’est pas tout à fait à coté de notre domicile. Une de mes tantes paternelles avait épousé un Hutu prénommé Eliab. Il était à la tête des Interahamwe en sa qualité de responsable du MDR[9].
Mes deux oncles paternels sont passés à son domicile, ainsi que ma grand-mère paternelle. Je me suis dit qu’il fallait que j’aille moi aussi à cet endroit. Pour finir, j’ai vu une attaque sur l’autre rive de la rivière. Je suis restée sur place. Le jour s’est levé. Jusque-là, je ne savais pas que mon père se cachait lui aussi dans cette localité. Ce qui me l’a indiqué, c’est que mon père a été trouvé et attrapé par une attaque qui provenait d’un lieu-dit NYARUBUNGA. Directement, ces gens ont dépouillé mon père de l’argent qu’il avait dans sa poche. Mon père a demandé de ne pas le tuer et qu’il allait montrer l’endroit où se trouvait ma grand-mère. Cela s’est produit à trois reprises ».
Le témoin continue son récit en disant que son père sera finalement repris et tué un peu plus loin , chez un certain SEFIGI. Un jeune homme va les conduire dans une propriété appartenant à des religieux, à KABUBARI. Souhaitant rejoindre NYABISINDU, le témoin va rencontrer des Interahamwe à une barrière. Avec ceux qui l’accompagnaient, elle a dû se coucher par terre et ceux qui étaient autour d’elle ont été tués.
Un des tueurs lui demande alors qui elle est et où elle va. Elle ment en disant qu’elle va chez sa tante qui a épousé un Hutu. Elle reçoit un coup de gourdin et finit par se rendre compte qu’elle a fait un mauvais choix de s’être réfugiée à cet endroit. Sous la conduite de militaires, elle se rend dans un centre religieux mais le portail est fermé. Après avoir forcé l’entrée, elle se dirige dans une pièce d’où elle ressort aussitôt. Femmes et filles se font violer. Le témoin restera dans cette situation jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi[10].
Audition de madame Florence NYIRABARIKUMWE, partie civile.
Nous reprenons le compte-rendu du témoignage de première instance.
Florence est une partie civile au procès. Elle avait neuf ans au moment du génocide et vivait avec ses parents et ses quatre frères et sœurs dans la cellule de GATARE, en contre-bas de la colline de NYAMURE.
Un jour, Florence a vu arriver chez elle la famille de sa mère, originaire du district de RUHANGO. Ils sont arrivés en disant qu’une guerre avait commencé chez eux. A partir de ce moment, la situation a évolué de mal en pis et les gens ont commencé à brûler les maisons. Florence et sa famille se sont réfugiés sur la colline de NYAMURE. Après quelques jours sur la colline, sont arrivés des Hutu qui portaient des feuilles de bananiers sur leurs têtes. Pour se défendre, les enfants et les femmes, y compris Florence, rassemblaient des pierres et les donnaient aux hommes qui les lançaient sur les assaillants. Un jour, vers 14h, Florence et sa mère ont vu arriver une voiture en contrebas. A ce moment, sa mère a dit à Florence que s’en était fini pour eux, parce que les gendarmes venaient d’arriver.
Florence a entendu des bruits de balle et a vu des bouts de corps tomber près d’elle. Elle n’a ensuite plus rien vu jusqu’à ce qu’elle se réveille dans la nuit. Elle a alors vu des gens qui venaient dépouiller les corps des Tutsi. Plus tard dans la nuit, elle entendit une voix l’appeler. C’était un de ses voisins. Il lui a conseillé de faire la morte. Pendant plusieurs jours, Florence est restée près des corps de sa mère et de sa fratrie qui avaient été découpés pendant l’attaque. Florence, elle, avait reçu des coups au niveau des tempes et des poignets.
Après être restée longtemps sur cette colline, Florence a décidé de partir de la colline. Elle est arrivée chez sa grande tante, la femme de l’oncle paternel de son père. Après qu’elle y fut restée plusieurs jours, un homme est venu pour leur dire de partir. Il leur a dit que si elles n’étaient pas parties quand il reviendrait, il les tuerait. La dame est partie de son côté et Florence s’est cachée dans des buissons et y a vécu pendant plusieurs semaines jusqu’à la fin du génocide.
Florence finit sa déclaration spontanée en disant qu’aujourd’hui, elle est seule, elle n’a plus personne pour demander conseil et pour parler quand elle a du chagrin. Seulement un de ses frères a survécu. Elle a pu terminer ses études et se faire en partie appareiller grâce au FARG[11], mais elle n’a jamais réussi à fonder une famille.
Audition de madame Gloriose MUSENGAYIRE, partie civile.
Nous reprenons le compte-rendu rédigé en première instance.
Gloriose, qui est aussi partie civile au procès, est la sœur de Marie, la témoin que nous venons d’entendre. Elle avait 15 ans en avril 1994. Son récit commence ainsi un peu de la même manière que celui de sa sœur. Elle précise cependant que deux de ses frères n’étaient pas avec eux au moment où le génocide a commencé, l’un avait notamment rejoint les Inkotanyi.
Après s’être cachée pendant plusieurs jours, Gloriose et le reste de sa famille ont été séparés de Marie et de leur mère et sont allés sur la colline de KARAMA. Arrivés à KARAMA, elle s’est séparée de sa famille le 28 avril, jour de l’attaque et est arrivée à l’ISAR SONGA[12] avec une de ses sœurs et sa cousine. Une grande partie de sa famille est morte à KARAMA.
Gloriose raconte ensuite qu’elle a vécu environ une semaine à SONGA. Un jour, elle a vu un hélicoptère passer au-dessus de la colline et, le jour suivant, a eu lieu la grande attaque de l’ISAR SONGA. Au moment de fuir, Gloriose a été retenue par une voisine qui était enceinte. Toutes deux se sont cachées dans des marécages, d’où elles entendaient les tirs et les explosions. Une fois la nuit tombée, des tueurs sont arrivés avec des chiens pour débusquer les derniers survivants. Après plusieurs jours à rester dans les marécages, la femme avec laquelle elle se cachait, Yvette MUKAWERA a senti des contractions arriver. Elles sont parties de leur cachette et sont arrivées dans la maison d’un homme qui a reconnu Yvette et qui leur a dit d’aller au centre de santé. C’est donc ce qu’elles ont fait, en suivant la route qu’il leur avait indiquée et, en passant une barrière, grâce à l’argent que le père de Glorieuse lui avait donné, elles ont pu continuer leur chemin.
Yvette a pu accoucher au centre de santé de RUYENZI et s’y reposer quelques jours. Puis, des Interahamwe sont venus dénicher les réfugiés au centre de santé, les ont fait sortir et descendre dans une fosse pour les tuer. Gloriose a alors levé la main pour se faire entendre et a prétendu être une Hutu pour que les Interahamwe ne la tuent pas. Elle a donné le nom de son voisin Hutu et a dit qu’elle était sa fille et qu’Yvette était la femme de son frère. La supercherie a fonctionné puisque les deux jeunes femmes ont pu retourner au centre de santé.
Après encore plusieurs jours, un nouveau groupe d’Interahamwe est arrivé pour se choisir des femmes Tutsi. Un des Interahamwe a choisi Yvette. Avant de partir avec lui, cette dernière a reconnu un assistant médical qu’elle connaissait et lui a demandé de prendre Gloriose avec lui. C’est ainsi que, pendant plusieurs semaines, Gloriose a vécu chez cet assistant médical et sa femme qui, elle, était hostile à l’idée d’abriter une Tutsi et a voulu la tuer plusieurs fois.
Une nuit, elle a entendu les militaires venir au domicile de l’assistant médical et dire que les Inkotanyi arrivaient. La famille a fui dans les jours qui ont suivi et Gloriose a été sauvée par les Inkotanyi. En revenant chez elle à la fin du génocide, elle a retrouvé les seuls survivants de sa famille, deux de ses frères, et deux de ses sœurs, dont Marie.
L’avocate générale, après quelques questions des avocats des parties civiles, souhaite qu’on se penche sur les cartes dans la mesure où on vient d’aborder les massacres de l’ISAR SONGA[6].
Monsieur le président propose de faire la lecture de l’audition de plusieurs personnes entendues lors de l’instruction.
Lecture de l’audition de monsieur Jean de Dieu BUCYIBARUTA.
Condamné à perpétuité pour les massacres de NYAMURE et KARAMA, il accuse Mathieu NDAHIMANA d’avoir orchestré les massacres sur ces deux collines.
Il signale qu’en 1973 Philippe HATEGEKIMANA avait été exclu de l’école où il était inscrit pour avoir fomenté des troubles contre les Tutsi ( NDR. 1973 est l’année où de nombreux Tutsi ont été chassés des collèges, des lycées, des universités et de l’administration. Philippe HATEGEKIMANA a nié avoir été un meneur. Et pourtant!)
Lecture de l’audition de monsieur Ildephonse KAYIRO.
Le témoin met en cause BIGUMA ainsi que Mathieu NDAHIMANA pour les massacres des collines de NYAMURE et de KARAMA. Il signale, lui aussi, l’utilisation d’un mégaphone pour appeler la population à pourchasser les Tutsi.
Maître GUEDJ, une nouvelle fois, veut imposer sa lecture concernant la mort de NYAGASAZA: le bourgmestre aurait été tué par la population au bord de l’Akanyaru. Il se réfère une fois encore au télégramme du sous-préfet KAYITANA et à une expression dont on a déjà dénoncé la retranscription en français: « Après avoir tué NYAGASAZA, NDAHIMANA… » [13]Nous avons bien signalé que la lecture qu’en fait l’avocat de la défense est erronée. Il s’agit là d’une réelle mauvaise fois pour jeter le doute chez les jurés. Maître GUEDJ n’en est pas à sa première tentative.
Lecture de l’audition de monsieur Azaria MBARUSHIMANA.
NDAHIMANA a organisé l’attaque de NYAMURE avec les gendarmes de NYANZA. Des policiers communaux ont aussi participé à cette attaque, ce qui pourrait justifier le fait que des témoins aient entendu des coups de feu lors des premières attaques, avant la grande attaque du 27 avril.
Lecture de l’audition de madame Madeleine MUKESHIMANA, partie civile.
Le témoin avait treize ans au moment des faits. À NYAMURE, elle évoque d’abord des petites attaques avant la grande. Les gendarmes de NYANZA ont encerclé la colline et des tirs ont été effectués du bas de NYAMURE. Comme une autre enfant, Julienne NYIRAKURU, elle s’atait approchée des véhicules par curiosité. Les Interahamwe chantaient tout en attaquant. Elle a perdu trois frères et sœurs à NYAMURE et sa mère à l’ISAR SONGA.
Lecture de l’audition de monsieur Révérien NGENDAHIMANA.
Ce témoin a été entendu par les gendarmes français et des enquêteurs suédois. Avant la grande attaque du 27 avril, il y a eu deux autres a eu deux autres attaques repoussées par les réfugiés de la colline de NYAMURE. Elle a entendu parler de la présence de BIGUMA.
Lecture de l’audition de monsieur Théophile NYIRIMURINGA, partie civile.
Le grand frère de son beau-frère chez qui il se cachait s’est vanté d’avoir participé à l’attaque de NYAMURE et il a accusé BIGUMA.
D’autres lectures d’auditions devront être faites d’ici la fin du procès, probablement une douzaine. Ce sont des personnes dont les noms figurent dans l’OMA des juges d’instruction.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Voir l’audition de Jean-Baptiste MUSABYIMANA lors du procès en première instance, le 9 juin 2023.[↑]
2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑][↑]
3. Voir l’audition de Mathieu NDAHIMANA, 29 novembre 2024.[↑][↑]
4. Voir l’audition de Silas MUNYAMPUNDU lors du procès en première instance, le 8 juin 2023.[↑]
5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
6. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑][↑]
7. Voir Dépôt de conclusions au sujet de l’inclusion des faits sur la colline de KARAMA, le 2 décembre 2024.[↑]
8. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.[↑]
9. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[↑]
10. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
11. FARG : Fonds d’assistance aux rescapés du génocide[↑]
12. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
13. Une faute de français qu’on retrouve dans toutes les copies d’élèves et ailleurs. Ce n’est pas ainsi qu’il fallait écrire mais: « Après la mort du bourgmestre, NDAHIMANA..., tout simplement. La défense joue sur cette mauvaise interprétation pour tenter de disculper son client. [↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 4 décembre 2024. J22
05/12/2024
• Audition de Jean-Marie Vianney KANDAGAYE.
• Audition de Tharcisse SINZI, partie civile.
• Audition de Philippe NDAYISABA, partie civile.
• Audition d’Albert MUGABO, partie civile.
• Audition de Marie INGABIRE, partie civile.
• Lecture d’auditions.
________________________________________
Audition de monsieur Jean-Marie Vianney KANDAGAYE, détenu, cité à la demande du ministère public, en visioconférence depuis KIGALI.
Le témoin décline son identité et prête serment. Il a été condamné à la prison à perpétuité par la Gacaca[1].
Après avoir témoigné en première instance, quelqu’un lui a dit que cela allait avoir des conséquences pour lui, qu’il souffrirait toute sa vie. Il a aussi entendu dans l’actualité nécrologique que sa femme était décédée. Le 6 décembre, son fils est venu lui rendre visite en prison pour lui dire qu’effectivement sa femme était décédée, qu’on l’avait étranglée et qu’on lui avait crevé les yeux.
M. le président lui demande si cela pourrait avoir un lien avec son témoignage du 14 juin 2023. Il dit ainsi subir des pressions car ses co-détenus lui reprochent d’enfoncer les leurs, notamment HATEGEKIMANA. Il dit: « Je ne sais pas si je suis un témoin à charge ou à décharge » car je dis seulement ce que l’on m’a raconté.
M. le président lui parle des causeries, groupes de parole en prison, mais il ne connaît pas.
Il dit avoir a plaidé coupable pour l’attaque de l’ISAR SONGA[2] et pour sa présence sur une barrière, mais il a plaidé non coupable pour avoir érigé une autre barrière, participé à des réunions et fait des listes de personnes à éliminer. Au moment du génocide, il était enseignant à KINAZI dans l’ancienne commune de RUSATIRA, à 1km de l’ISAR SONGA.
Me GUEDJ lui pose des questions. La barrière était sur la route asphaltée. Il déclare qu’il n’a reçu aucune consigne avant de témoigner. Il était au cabaret d’ARETE, un samedi vers 15h. Deux véhicules avec des gendarmes sont arrivés et les ont rassemblés. Il suppose qu’il s’agissait d’une Daihatsu bleue et blanche mais n’en est pas sûr. Il estime que le nombre de gendarmes n’était pas supérieur à 20. Il sait qu’il s’agissait de gendarmes car ils s’occupaient de la sécurité de leur région. Il n’a pas fait attention à la couleur de leur béret. Ils ont demandé que la population se joigne à eux pour aller chasser les Tutsi de l’ISAR SONGA. Ils sont donc venus avec des armes traditionnelles. À leur arrivée, l’attaque avait déjà commencé car il y avait déjà des tirs.
Il n’a pas vu BIGUMA et ne le connaît pas. Le conseiller de secteur de KINAZI lui a dit que BIGUMA dirigeait cette opération juste après l’attaque mais avant la prison. On lui a également dit une fois en prison.
D’après ses estimations, il y avait environ 1000 réfugiés Tutsi. M. le président lui dit que certains parlent de 30 000. Il répond que c’est une exagération. La barrière érigée avait pour but d’arrêter les Tutsi mais le témoin affirme que personne n’a été tué.
Il était président local du MRND[3], le parti présidentiel mais il ne faisait pas parti du Hutu Power[4]. Il a été nommé bourgmestre par le conseiller NDAYISABA du 22 au 30 juin 1994. C’est ce jour-là qu’il a fui.
Il a été entendu par des enquêteurs du TPIR[5] au sujet de l’attaque de l’ISAR SONGA. Il avait parlé d’une Daihatsu bleue et il avait vu un gendarme s’entretenir avec le conseiller. Il ne savait pas qu’il s’agissait de BIGUMA à ce moment-là. Il confirme que les gendarmes ont utilisé la route et les populations civiles ont emprunté les sentiers pour aller sur le site du massacre. Après l’attaque, chacun est rentré chez soi et le conseiller à ce moment-là lui a dit que ce sont les gendarmes dirigés par BIGUMA qui avaient mené l’attaque.
Me PHILIPPART lui demande de confirmer que son épouse MUKAMUVARA Xaverina cachait une jeune femme nommée NTAGUGURA chez eux pendant le génocide. Le témoin confirme.
Me EPOMA lui demande de confirmer la date de l’attaque entre le 27 et 28 avril 1994, ce que le témoin fait. Lorsqu’il a été nommé bourgmestre le 17 juin, le génocide était terminé.
Madame l’avocate générale prend la parole au sujet de son audition devant le TPIR. Il avait évoqué deux événements : le premier le 24-25 avril, le bourgmestre de RUSATIRA avait reproché au conseiller de secteur de ne pas avoir commencé à travailler, c’est-à-dire à tuer les Tutsi qui étaient rassemblés chez Félicien TWAGIRAYEZU. Ces gendarmes venaient de NTYAZO et ont demandé aux civils de le suivre, ont tiré en l’air et les pillages ont commencé. Le deuxième événement, entre le 24 et 28 avril : une camionnette de gendarmes qui ont demandé aux civils de les suivre. Il répond que sa mémoire n’est pas intacte et qu’il a du mal à se souvenir de tout.
Me GUEDJ, pour la défense, interroge le témoin. Il y avait des affrontements entre le FPR[6] et les FAR[7] à MAYAGA? Il confirme être resté sans sa famille entre juin 1994 et 1996 dans le camp de KASHUSHA dans le Sud-Kivu. Il est revenu au Rwanda après le démantèlement du camp de réfugiés par le FPR entre le 2 et le 3 novembre 1996. Le camp a été attaqué par le FPR à l’aide de fusils et il y a perdu son cousin.
Au sujet des barrières, la première dans son secteur a été érigée vers le 17 avril, avant le début des massacres.
Me GUEDJ veut savoir si les « congénaires et consanguins » qu’il a peur d’enfoncer peuvent être des conseillers ou des bourgmestres. Il répond par la négative.
Au sujet du nombre de gendarmes dans la voiture, il demande si ce chiffre lui a été soufflé avant son audition, ce que le témoin nie. Concernant la couleur du béret des personnes à bord de la voiture, il dit que c’était gris.
Il a témoigné en 2001 devant les enquêteurs du TPIR dans l’affaire NDINDILIYIMANA (CEMA) mais il ne s’en souvient pas.
Il n’a pas vu d’hélicoptère survoler la colline.
Le président demande à l’avocat de ne pas contribuer à l’allongement des débats par ses questions parfois difficiles à comprendre. Me GUEDJ repose des questions sur la collecte d’information. Le président insiste de nouveau pour avancer et aller droit au but « Vous perdez la Cour ».
Israël DUNSINGIZIMANA[8] et Lameck NIZEYIMANA[9] étaient ses co-detenus, pas des personnes qu’il a fréquentées mais il sait qu’ils font partie de ceux qui ont plaidé coupable. Enfin Me GUEDJ fait remarquer qu’il n’a pas reconnu BIGUMA sur les planches photos.
Audition de monsieur Tharcisse SINZI, partie civile (CPCR), assisté par maître Domitille PHILIPPART.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
Tharcisse Sinzi. Photo AG
« Je commence par la définition de mon nom. SINZI signifie « je ne sais pas ». Je suis né en tant que Tutsi dans la zone de BUTARE. Les Hutu de GIKONGORO étaient venus dans la zone de BUTARE en 1963. Un ami de mon père avait retrouvé mon père dans la forêt et lui avait demandé s’il pouvait me donner un nom. Il lui avait dit « SINZI ».
J’ai fait l’école primaire. Comme j’étais Tutsi, en 1974, je ne pouvais pas faire l’école secondaire. Je suis resté à la maison pendant 3 ans, chez mon père. En 1977, je suis parti au BURUNDI. Une fois là-bas, comme je venais de faire trois ans sans étudier, on m’a placé en 5e année de primaire.
J’ai commencé l’école secondaire quand ma promotion au Rwanda la terminait. J’ai fait le secondaire au Collège Saint-Albert, collège qui avait été fondé par et pour les Tutsi réfugiés au BURUNDI afin de leur permettre de pouvoir étudier..
En 1988, je suis rentré au Rwanda diplômé. J’avais commencé le karaté en 1978 au BURUNDI. J’ai eu la ceinture noire en 1984. Quand j’ai regagné mon pays, j’ai eu la chance d’avoir du travail à l’université nationale du Rwanda. Ils avaient un club de karaté et recherchaient un entraineur. J’ai eu ce poste. Je travaillais aussi en tant que laborantin dans le centre de recherche sur les plantes médicinales financé par les Belges.
Comme j’étais Tutsi, on m’avait fait signer un document comme quoi je n’avais pas le droit d’entrainer un Tutsi. Je ne pouvais entrainer que les Hutu et je ne pouvais pas ouvrir mon propre club en dehors de l’université. De manière générale, l’ethnie des athlètes était précisée sur leurs cartes d’identité[10].
En 1990, j’ai été considéré comme un Ibyitso[11], comme un complice du FPR. J’avais donné des cours d’orientation à l’école belge et à l’école française. Je n’ai pas été mis en prison car les familles des enfants sont venus manifester au parquet.
En 1994, quand l’avion d’HABYARIMANA est tombé, j’ai regagné ma colline natale, chez mon père. J’avais une femme et un enfant. J’ai quitté BUTARE pour aller chez mon père à SONGA. J’arrive chez mon père la nuit du 12 avril. Comme en 1959, 1963, 1973 et 1990, BUTARE n’a jamais été touchée par les massacres à la différence des autres préfectures. En 1959, GIKONGORO était séparé par la rivière MUWOGO et était proche de BUTARE.
Les massacres avaient commencé à GIKONGORO. La nuit où je suis arrivé chez mon père, des réfugiés tutsi arrivaient. Nous avons construit une barrière. La population, hutu et tutsi, était unie. La résistance a commencé le 13 avril sur la rivière de MWOGO. Parce que j’étais assez fort, j’ai organisé des réunions avec la population. Je leur ai expliqué que nous avions des bras, des jambes, le même sang, et que nous avions les mêmes armes traditionnelles. J’ai expliqué que nous allions lutter contre eux (les Interahamwe[12] de GIKONGORO). Nous avons résisté du 13 au 21 avril. Nous étions environ 300 personnes, solidaires.
Un groupe de gendarmes est arrivé du côté de GIKONGORO. Ils ont tiré avec des fusils. Le groupe dans lequel j’étais a fui (moi également) car c’était la première fois qu’on entendait des tirs. Nous sommes allés sur la colline SAZANGE, qui est la colline voisine de SONGA. Le premier groupe a pu traverser la route principale en direction de KIGALI et passant par BUTARE. Le second groupe a été repoussé. Le groupe qui a traversé la route principale s’est rendu à SONGA. Comme les attaques étaient fortes, nous avons décidé de continuer vers le BURUNDI. J’étais dans le premier groupe.
Arrivés de l’autre côté de SONGA, nous avons continué vers le BURUNDI. Nous avons été repoussés, et nous sommes revenus vers ISAR SONGA[13]. Nous sommes retournés à SONGA à 4h du matin, le 22 avril.
Une fois arrivé à SONGA, (je précise que je n’avais plus les membres de ma famille), j’ai réalisé qu’il fallait que je lutte pour ma vie. J’ai rassemblé tout le monde. Nous avons choisi un placement entre trois collines. De là nous avions une bonne visibilité sur les alentours.
Nous nous sommes organisés pour résister. Chaque jour, à partir de 8h du matin, nous avions des attaques des Interahamwe. Comme eux, nous avions des armes traditionnelles. Nous avons résisté du 22 au 27. Un hélicoptère est arrivé le 27. Il a survolé toute la masse et s’est rapproché de cette masse. Nous sentions l’air. Ils ont sorti leur tête et ont utilisé leur jumelle. Le 28 nous avons été massacrés.
Le 28, ils ont fait semblant de ne pas attaquer. Ils se déguisaient, enroulaient et cachaient leur fusil d’une nappe, ils avaient quelques choses sur la tête. Ils se rapprochaient de nous puis disparaissaient. A 16 heures, nous avons reçu des tirs qui faisaient beaucoup plus de bruit. On pouvait voir une centaine de personnes sauter. Ils ont bombardé les collines pendant 30 minutes, une seconde nous paraissait une année. J’avais une montre. Nous sommes partis en débandade, les oreilles bouchées, nous ne savions pas où aller.
Nous sommes partis dans l’une des vallées entre les collines que j’ai citées. Il n’y avait qu’un seul chemin. Les Interahamwe étaient placés sur une colline mais ils n’étaient pas assez nombreux pour nous arrêter. Il fallait donc qu’ils nous séparent. Nous étions tellement nombreux que si quelqu’un tombait, il était piétiné.
La nuit du 28, nous sommes arrivés sur une barrière qui était forte. Les Interahamwe avaient des arcs. Ils nous tiraient dessus. Nous les avons bombardé avec des pierres. Ils ont cru que nous étions armés mais ce n’était pas le cas. Nous avons pu les faire fuir.
Ensuite, nous sommes arrivés vers MUYAGA. Nous avons perdu le chemin. Il y avait un enfant de 13 ans qui nous expliquait que l’on pouvait voir le BURUNDI depuis la colline de MUYAGA. Il avait l’habitude de s’y rendre car sa tante vivait sur la colline. Nous avons décidé d’aller sur cette colline vers 9 heures pour y faire une pause.
On s’est séparé en deux groupes. Le groupe qui est passé sur la droite a été surpris par une barrière des Interahamwe et s’est fait tirer dessus. Nous, nous étions passés par la gauche, mais nous avons été stoppés par la clôture des champs du propriétaire. Après plusieurs heures de marche, nous avons atteint la rivière Akanyaru.
Il y avait beaucoup d’eau. Nous devions nager pour traverser. J’ai pu traverser, j’ai enlevé mes vêtements et je suis retourné vers mon groupe. Nous avons fait une corde avec les vêtements de tout le groupe. L’un des membres du groupe a voulu se pendre. J’ai tenté de le raisonner. Mon groupe n’avait pas compris qu’il fallait qu’il tienne le bout de la corde. Il pensait que j’allais les tracter.
Une fois de l’autre côté de la rivière, on s’est dit qu’il fallait trouver de l’aide. Il n’y avait pas de chemin. Cela nous a pris deux heures pour nous frayer un chemin à travers les papyrus. Nous pensions atteindre le BURUNDI. Nous avions perdu notre boussole. Nous sommes tombés sur deux chiens, quatre hommes et une femme et je les ai salués en burundais. Le problème était qu’ils m’ont répondu en kinyarwanda. Nous n’étions donc pas sûrs d’être arrivés au BURUNDI. J’ai alors fait un signe aux autres membres du groupe pour qu’ils s’apprêtent à attaquer au cas où les quatre hommes se montreraient hostiles. Ils avaient des machettes.
Ces quatre hommes nous ont dit qu’ils devaient nous conduire au chef du village. MATHIEU. Ce dernier voulait de l’argent en échange de son aide. Une station militaire a dit à MATHIEU que s’il manquait l’un des membres de notre groupe, son village allait en subir les conséquences. Après une heure, nous sommes revenus avec les militaires burundais. Il était quatre heures du matin. Nous avons retrouvé mon équipe. Mon groupe, qui en réalité n’avait pas d’argent, a dû céder des vêtements, des chaussures pour payer.
Je me suis remarié en 1998. J’ai eu des enfants, j’ai pu aller à l’université ».
Questions.
Maître PHILIPPART remercie le témoin en ajoutant qu’il est « l’image de la résistance à ISAR SONGA. » Ce dernier précise bien ensuite que si les assaillants n’avaient pas reçu le renfort des gendarmes, ils auraient pu se défendre plus longtemps. L’avocate demande alors à monsieur SINZI de préciser quelques points de son témoignage.
Maître AUBLE s’inquiète du sort réservé aux corps laissés sur la colline ou tout au long du chemin. Le témoin, qui n’est pas revenu, sait simplement que les cadavres ont été rassemblés au Mémorial de l’ISAR SONGA. Question lui est ensuite posée concernant le survêtement qu’il porte aujourd’hui devant la Cour. Il s’agit en fait du même vêtement qu’il a porté pendant tout le génocide. Il a simplement fait inscrire au dos: « Survivre par la grâce de Dieu. ISONGA Avril 1994. » Monsieur le président lui demande de se retourner pour que le jury puisse voir l’inscription.
Madame l’avocate générale demande au témoin comment s’est fait le recensement des victimes (Rappel: sur les 3480 Tutsi présents sur la colline, seuls 118 ont pu traverser la frontière).
Le témoin répond qu’ils avaient besoin de savoir si, parmi les réfugiés, ne se cachaient pas des « infiltrés » hutu. Ils demandaient alors la carte d’identité à tous ceux qui arrivaient. C’est ainsi qu’ils ont pu connaître le nombre de personnes présentes.
Maître GUEDJ, pour la défense, s’étonne que le témoin ait pu dire qu’il trouvait injuste que BIGUMA ait fait appel alors qu’il ne l’a même pas vu sur le terrain et qu’il ne le connaissait pas. Il va même lui reprocher de « prendre partie ». Ce n’est pas tout à fait ce que monsieur SINZI avait dit mais il ajoute: « D’ailleurs, je n’ai pas envie de le connaître », propos qui irritent fortement l’avocat.
Monsieur le président intervient: « Une partie civile peut prendre partie« , pas la Cour!
ISAR SONGA et autres lieux évoqués par les témoins. Cliquez sur la carte pour agrandir (un bouton apparaîtra alors en haut à gauche pour l’afficher en plein écran sur les navigateurs compatibles).
Audition de monsieur Philippe NDAYISABA, partie civile (CPCR) assisté par maître Domitille PHILIPPART.
Philippe NDAYISABA. Photo AG
Avant 1994, les Tutsi ont été beaucoup persécutés et privés de leurs droits. Quand l’attentat a eu lieu, Philippe NDAYISABA se situait à GITOVU secteur de KINAZI, à côté de l’ISAR SONGA. Vers le 21-22 avril il a vu des personnes fuir et se faire arrêter aux barrières. Ces personnes se sont donc réfugiées vers les habitations mais on les a arrêtées à ARETE et fusillées. Il a entendu les bruits de balle. Des personnes qui fuyaient sont arrivées dans leur famille et des Interahamwe[12] ont attaqué leur maison. Ils les ont repoussés et ces derniers ont dit qu’ils appelleraient les gendarmes. La famille a fui dans un endroit à l’écart vers la route qui descendait vers NTYAZO.
Le conseiller de secteur Samuel NDAYISABA avec des gendarmes et le bourgmestre NYAMWENDA étaient présents. Le président note qu’il avait précédemment mentionné des policiers municipaux aux côtés des Interahamwe. Aujourd’hui il précise qu’il y avait des gendarmes et un policier. Lors des petites attaques, les gendarmes n’étaient pas nombreux. Il voit un hélicoptère la veille de la grande attaque, le 27 avril, qui va tournoyer au-dessus de leurs têtes. Ils se sont couchés par terre. Ils pensaient qu’il s’agissait de secours.
Le matin du 28 aucune attaque ne s’est produite. Puis un véhicule de type pickup blanc n’ est arrivé. Les réfugiés ont cru qu’il s’agissait d’Interahamwe. Ces personnes sont allées au sud de l’ISAR SONGA sur la colline d’en face, BUREMERA. Des gendarmes sont arrivés et ont tiré avec un fusil sur un de ses cousins et les personnes autour de lui. A l’arrière, des obus étaient tirés pour tuer les gens et les vaches et creusaient des trous dans la terre.
Les Interahamwe qui venaient de derrière tuaient à l’arme traditionnelle les personnes qui tentaient de s’échapper. Il a réussi à fuir dans la cohue avec un groupe de réfugiés. Puis il est arrivé à MOBUSA où il y avait beaucoup de barrières, puis la commune de MUYAGA. Ici, ils ont trouvé le même véhicule des gendarmes qui les attendait. Les gendarmes ont tué les réfugiés qui arrivaient et lui a fui. Il faisait partie du groupe de SINZI[14].
Après le génocide, il est retourné à l’ISAR SONGA et a retrouvé les corps qui gisaient. Ils ont été inhumés en octobre 1994. Un site mémorial y est maintenant érigé. Il a retrouvé et compté 44 630 corps dans la commune de RUSATIRA, dont 4 à 5 000 de l’ISAR SONGA.
La victime estime que 7 jours se sont écoulés entre la première et la dernière attaque. Il a perdu ses 4 enfants de 13 ans à 2 mois, son épouse, sa mère et 4 de ses frères et sœurs ce jour-là. Ses neveux, nièces et belle-sœur ont également été tués. Le reste de ses frères et sœurs ont été tués à NYAMURE. Il est l’unique survivant de toute sa famille.
Le jour de la grande attaque le 28, il n’a pas pu distinguer exactement le type de véhicule. Il dit aujourd’hui que le véhicule était venu repérer les lieux le matin-même et non la veille comme il avait dit dans une précédente audition.
Parmi les « gens d’armes », certains avaient des bérets rouges comme les gendarmes, et d’autres verts comme les militaires. Cependant il confirme que les tirs d’obus venaient des gendarmes[15].
Me HERBEAUX demande à la victime d’expliquer l’importance du mémorial dont il est responsable.
Madame l’avocate générale reprend un élément de chronologie.
Les attaques de l’ISAR SONGA ont commencé le 22 avril après que les Tutsi s’y réfugient.
Le 23 avril, un policier municipal nommé Michel était venu sur la colline avec un mégaphone pour dire aux Hutu de rentrer chez eux car ils n’étaient pas menacés. Des bourgmestres avaient reproché au conseiller de secteur de ne pas avoir assez travaillé.
Dans un second temps, lors des attaques de l’ISAR SONGA, il voit à nouveau des conseillers de secteur avec des gendarmes. À ce moment-là, le conseiller de secteur lui dit qu’il s’est entretenu avec BIGUMA.
Pas de question de la défense.
Audition de monsieur Albert MUGABO, partie civile (CPCR) assisté par maître Domitille PHILIPPART.
Albert Mugabo Photo AG
Jusqu’au 11 avril, Albert MUGABO se sentait en sécurité dans son village. À partir de ce jour il entend que des gens en provenance de NTYAZO venaient attaquer les Tutsi. Son beau-frère Hutu, NSABIMANA, lui dit que les Tutsi étaient visés après avoir visité KAREMERA qui avait vu son nom sur la liste.
La victime avait donc préparé son départ avec ses trois frères pour le Burundi mais sa femme Hutu décide de rester.
En route, il est arrêté par des gendarmes et on leur intime l’ordre de rentrer chez eux car la situation est calme. « Nous fuyions la guerre… mais où est la guerre? ». Un des gendarmes lui rappelle qu’ils ont joué au ballon ensemble, et qu’ils sont en sécurité: on leur demande de rentrer chez eux, ils doivent se battre contre ces gens qui veulent manger leurs vaches.
En rentrant chez eux, ils tombent sur la barrière de MUYENZE où on leur dit d’aller à l’ISAR SONGA. Il va donc s’y réfugier avec plusieurs membres de sa famille élargie.
À leur arrivée le 22 ou le 23 à l’ISAR SONGA, ils y trouvent beaucoup de Tutsi. Ils passent la nuit à RUYENZI. C’est le lendemain matin qu’ils vont sur la colline de GITOVU où il trouve SINZI et NDAYISABA.
Pas une seule journée ne passe sans attaque. Il y a des tirs mais en s’organisant, ils réussissent à résister quelques jours en jetant des pierres. Ils apprennent de SINZI qu’il faut se coucher lorsque des balles sont tirées. La semaine passe avec une attaque tous les jours. Un jour, un hélicoptère passe faire un repérage et repart. Le lendemain, pas d’attaque le matin mais vers 15h commence la grande attaque finale.
Pendant cette attaque, les gendarmes les avaient encerclés avec les Interahamwe. Une grande arme à feu était posée à BUREMERA et tirait en direction de GITOVU. Les réfugiés étaient tués dans leur fuite.
Ses frères sont morts à l’ISAR SONGA. Il a retrouvé sa femme après le génocide à GIKONGORO. C’est un long chemin de croix depuis, il doit prendre des médicaments. Il lui arrive souvent aujourd’hui de croiser des assaillants.
Il ne connaissait pas BIGUMA et n’en a pas entendu parler.
Me MARIE l’interroge sur l’uniforme des assaillants. Il répond qu’il s’agissait d’uniformes militaires avec des bérets rouges. L’ensemble des membres du clan HABAGUNGA a été assassiné.
Me PHILIPPART demande comment il sait que les gendarmes venaient de NYANZA. La victime répond qu’il avait vu leur véhicule à la laiterie. Il avait déjà vu les gendarmes de NYANZA car ce sont eux qui intervenaient à RUSATIRA.
Il n’est plus avec sa femme aujourd’hui car elle l’a abandonné pendant le génocide.
Madame l’avocate générale précise que la gendarmerie de NYANZA était bien compétente pour intervenir dans la commune de RUSATIRA.
Me LOTTE, pour la défense interroge maintenant la partie civile.
Ce dernier dit qu’il ne pourrait pas estimer le nombre de gendarmes le jour de l’attaque. Il a aussi vu des militaires, au moins trois, mais il ne les a pas comptés.
Concernant la Gacaca[16], il dit ne pas avoir témoigné à KINAZI.
Audition de madame Marie INGABIRE, partie civile.
Madame INGABIRE avait 7 ans en 1994. Elle habitait la commune de NTYAZO, à CYIMVUZO. Elle était la cadette d’une fratrie de dix enfants.
Quand l’avion du président HABYARIMANA est tombé, elle a vu arriver beaucoup de monde à la maison. en provenance du BUGESERA. Les voisins hommes étaient venus voir son père en toute discrétion pour évaluer la situation. À partir de ce jour, les adultes ne dormaient plus dans leurs maisons. Tout près de chez eux se trouvait la colline de RWEZAMENYO vers laquelle se dirigeaient beaucoup de réfugiés.
« Mon père nous a rassemblés, il fallait que nous nous séparions pour ne pas tous mourir au même endroit. Je suis partie vers RWEZAMENYO avec ma mère qui ne voulait pas me laisser partir avec mes frères. En cas d’attaque, ils auraient couru et n’auraient pas pu attendre leur soeur. Mon père et mes frères sont partis vers KARAMA. Nous nous sommes battus en lançant des pierres sur les assaillants. Les Interahamwe sont alors allés chercher des renforts auprès d’autres miliciens.
Les massacres ont commencé. Je me suis cachée dans la brousse avec ma mère mais des agresseurs sont arrivés. Alors que j’étais assise sur les genoux de ma mère, ils m’ont arraché de là et ont découpé ma mère en morceaux sous mes yeux. »
Le témoin évoque alors la présence d’un jeune homme aveugle que les Interahamwe lui ont demandé d’accompagner jusqu’à KIBILIZI alors qu’elle ne connaissait pas le chemin. Arrivée tout près de chez elle, elle a laissé le garçon et s’est cachée dans un champ de sorgho avant de se rendre chez un voisin qui refuse de la cacher malgré les supplications de la vieille maman: le père du témoin avait en effet fait beaucoup de bien à leur famille, il ne fallait pas faire de mal à la fille de Joseph. Le lendemain matin, ses hôtes lui ont montré le chemin de KARAMA.
À KARAMA, il y avait beaucoup de réfugiés et elle reconnaît ceux de sa colline qui lui ont demandé de les suivre. Ils l’ont conduite auprès de son père et de sa grande sœur Gloriose MUSENGAYIRE[17]. Deux de ses frères étaient là aussi. Elle annonce à son père que la maman avait été tuée. Ce dernier lui annonce à son tour la mort d’autres frères à NYAMURE.
Les réfugiés vont subir des attaques fréquentes mais ils vont se défendre en lançant des pierres sur les assaillants. En se tenant au devant des combattants, son père est tué sous ses yeux. Ils se sont alors dispersés: c’est la dernière fois qu’elle a vu sa famille. Elle va errer dans plusieurs endroits, personne pour l’aider. Elle va rester dans la brousse jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi.
Monsieur le président intervient pour rappeler que le témoin a perdu sa mère sous ses yeux et son père à KARAMA. Madame INGABIRE déclare que seuls quatre membres de sa fratrie ont survécu: deux frères et deux sœurs ont été tués à NYAMURE. Quant à BIGUMA, elle était trop jeune pour le connaître.
Ni les avocats généraux, ni la défense ne posent des questions.
Monsieur BIGUMA tient à réagir suite au témoin de la première heure, monsieur KANDAGAYE. « Il a osé dire que le camp de KASHUSHA, au Zaîre avait été attaqué par les militaires congolais. C’est faux. Ce sont les militaires du Rwanda. » ( NDR. Personnellement, je cois avoir entendu le témoin dire que KASHUSHA avait été attaqué par les militaires rwandais. C’est en tout cas ce que j’ai retrouvé dans mes notes).
Lecture d’auditions de témoins cités dans l’OMA[18].
Lecture de l’audition de monsieur Alexis RUYOMBYANA.
Il a été entendu par des enquêteurs suédois dans une affaire jugée en Suède. Il met en cause le gouvernement rwandais dans la commission du génocide: la population a été trompée. Il se rendra lui-même à NYAMURE dont il raconte les attaques.
Lecture de l’audition de monsieur Jean-Pierre RUZINDANA.
Il met en cause BIGUMA dans les massacres et d’autres comme Mathieu NDAHIMANA: l’accusation concerne RWEZAMZENYO, NYAMURE et KARAMA. Il a fui au BURUNDI et est revenu en juin. Il a alors été nommé conseiller de secteur. Il était absent, mais c’est la population qui lui apprend la participation active de BIGUMA dans le génocide.
Lecture de l’audition de monsieur Michel NKURUNZIZA.
Son audition porte sur les massacres de l’ISAR SONGA. Il a été condamné à trente ans de prison. En 1994, il était un des neuf policiers communaux de RUSATIRA. Il ne connaît que BIRIKUNZIRA parmi les gendarmes de NYANZA.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha ») Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
2. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
3. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[↑]
4. Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) qui traduisait la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et une autre dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[↑]
5. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
6. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
7. FAR : Forces Armées Rwandaises[↑]
8. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[↑]
9. Voir l’audition de Lameck NIZEYIMANA, 20 novembre 2024.[↑]
10. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[↑]
11. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.[↑]
12. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
13. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
14. Voir l’audition de Tharcisse SINZI ci-dessus.[↑]
15. On pourra également se reporter à l’audition de monsieur Philippe NDAYISABA en première instance, pour quelques précisions concernant cette attaque.[↑]
16. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
17. Voir l’audition de Gloriose MUSENGAYIRE, partie civile, 3 décembre 2024.[↑]
18. OMA : Ordonnance de mise en accusation.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 5 décembre 2024. J23
06/12/2024
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Audition de Léonard PFUKAMUSENGE.
Audition d’Appolinarie GAKURU, partie civile.
Audition de Pierre LAURENT, expert en balistique.
Audition de Sapientia RUGEMANA, partie civile.
Audition de Laurence DAWIDOWICZ, représentante de SURVIE.
Lecture d’auditions.
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Audition de monsieur Léonard PFUKAMUSENGE, cité par l’accusation, en visioconférence du Rwanda
Le témoin décline son identité et prête serment.
Le témoin était chez lui quand il a constaté dehors des personnes prenant la fuite en direction de l’ISAR SONGA[1]. Il se joint à eux et observe que les Hutu et les Tutsi étaient mélangés dans la fuite. Un militaire originaire de RUHENGERI est arrivé, il était le gendre de GAKERI. Il a demandé à un Hutu d’informer les autres Hutu de se rassembler et de rentrer chez eux car ce n’était pas eux qui étaient visés. Les Hutu sont donc partis de l’ISAR.
Dans les jours suivants, plusieurs autres militaires sont arrivés et sont passés à côté du domicile du témoin. Ils lui ont demandé de les suivre et l’ont chargé de porter une caisse. Ils sont montés sur une colline avec une vue sur les réfugiés et se sont arrêtés près de chez RUSHINGADODO. On lui a demandé de s’assoir et certains militaires sont partis en direction des réfugiés. Les 4 militaires qui sont restés prenaient une munition qui ressemblait à une bouteille, la chargeaient dans l’arme, et le tir arrivait au milieu des réfugiés. En tombant, l’objet explosait et dégageait beaucoup de fumée (sic).
M. le président lui fait remarquer qu’il avait précédemment dit dans une audition que les militaires étaient 3. Aujourd’hui il dit 4 mais le témoin explique que sa mémoire lui joue des tours depuis toutes ces années.
Le témoin décrit leur uniforme et dit qu’ils avaient un béret rouge. Le président fait remarquer qu’il s’agit de l’uniforme des gendarmes et non des militaires.
Le témoin ne connaît pas BIGUMA mais parle d’un autre BIGUMA qui a fait de la prison à BUTARE. Il s’agissait d’un paysan comme lui, qui a été libéré plus tard. Lui-même a passé 17 ans en prison, dont 2 ans à cause de sa participation à l’attaque de l’ISAR SONGA.
Me TAPI demande au témoin des informations sur le BIGUMA qu’il connaît. Son père est prénommé NKUBA et est originaire de NYANZA. Ils jouaient au football ensemble quand ils étaient adolescents. Ce dernier était emprisonné à MPANGA après le génocide. Pour lui, BIGUMA signifie une situation difficile. Il n’a pas revu cette personne après sa libération.
Entrée de la prison de MPANGA. @AG.
M. le président reprend la parole au sujet des véhicules. Le témoin dit que les militaires de l’ISAR étaient arrivés à bord d’une Daihatsu bleue, contrairement à une précédente audition dans laquelle il disait qu’il s’agissait d’une Toyota rouge. Il parlait également d’autres militaires dans un véhicule vert, ainsi qu’une camionnette Daihatsu blanche. Le président relève une divergence.
Madame l’avocate générale intervient pour souligner que le véhicule rouge est dans le premier temps de l’attaque de l’ISAR, tandis que le véhicule bleu est dans un deuxième temps aux abord de la grande attaque.
Me PHILIPPART interroge maintenant le témoin. L’attaque a commencé vers 15h et a duré environ jusqu’à 17h. Il est rentré avec les militaires qui tiraient au canon.
Madame l’avocate générale prend maintenant la parole. Le témoin affirme que la situation était calme jusqu’au 21 avril à peu près. À partir de cette date, il croise les militaires dans la voiture rouge qui lui demandent à qui appartenaient les vaches. Ces derniers lui disent que si elles avaient appartenu à des Tutsi, il aurait pu les manger gratuitement. C’est aussi à partir du 21 avril que la barrière a été érigée et que les civils ont été poussés à arrêter les Tutsi par les militaires. Avant la grande attaque, il avait accompagné un ami Tutsi à l’ISAR SONGA. Il est parti de l’ISAR SONGA car il a été mis en garde par un militaire qui lui a dit qu’il était en danger s’il restait.
Le 28 avril, il voit un premier véhicule chargé de caisses, puis un autre véhicule blanc qui le suivait.
Le témoin soutient que la voiture est bleue.
Elie RWIGAMBA qui a assisté à la même scène que le témoin, témoignait qu’il avait vu un véhicule Daihatsu blanc occupé par des gendarmes et incitant les civils à attaquer les Tutsi. Dans ce véhicule blanc, il voyait des personnes en uniforme avec des bérets rouges. Elle insiste en disant que ce véhicule blanc avec des gendarmes a été vu plusieurs fois le jour de la grande attaque.
Me LOTTE à la défense répond qu’il n’est pas possible de savoir s’il s’agissait de gendarmes de NYANZA.
Il interroge maintenant le témoin au sujet de sa déposition. Il a été condamné par une Gacaca[2]. Il n’avait pas parlé de béret rouge précédemment car on ne lui avait pas encore demandé.
Il n’a jamais rencontré personne des autorités rwandaises pour lui expliquer les procédures.
Le surnom BIGUMA n’est pas commun dans le secteur
Audition de madame Appolinarie GAKURU, partie civile.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
Après avoir remercié le président, la cour et les personnes présentes dans la salle, Apollinarie GAKURU dénonce les agissements de l’accusé dans le génocide des Tutsi à KARAMA en 1994.
À cette époque, le témoin avait 15 ans et habitait en famille. Très vite, elle a vu arriver beaucoup de gens chez eux et ils ont commencé à passer la nuit dehors, avec les Hutu. Réfugiée à KARAMA, elle doit subir, avec tous les autres, des attaques de la part de la population, attaques souvent repoussées par les réfugiés.
Appolinarie raconte les attaques à KARAMA @AG
Un jour, est arrivé à SHARI (KARAMA) un véhicule qui appartenait à un commerçant dont la femme était présente, ainsi que BIGUMA. Une nouvelle fois, les réfugiés se sont défendus avec des pierres et ont mis le feu au véhicule après l’avoir aspergé d’essence. Pendant ce temps, les gendarmes continuaient à tirer.
Le lendemain, alors que les gendarmes étaient partis, les réfugiés ont enterré la première victime, un jeune homme nommé BIKINGA. Lors d’une autre attaque, le fils du bourgmestre NZARAMBA est tué d’une flèche et les réfugiés s’emparent de son fusil qu’ils vont briser en plusieurs morceaux et l’enterrer.
Après la dernière attaque, le témoin décide de quitter KARAMA. Dans sa fuite, avec sa mère et ses sœurs, elle rencontre des Interahamwe[3] mais réussit à leur échapper. Sa mère, par contre, tombera sous les coups des tueurs. Cachée dans de hautes herbes, elle rencontre le fils de sa marraine qui sera tué un peu plus tard par des Interahamwe.
Famille d’Appolinarie GAKURU
Sur une barrière, elle va subir plusieurs viols. La suite de son récit est un vrai calvaire. Conduite à la barrière de RUSATIRA par un de ses violeurs, elle décide d’avouer qu’elle est Tutsi pour qu’on la tue. Par miracle, elle échappera à la mort, se réfugie dans une famille où elle retrouve sa sœur qui décide de partir se cacher ailleurs. Elle sera cachée jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi[4]. Pourtant, elle fuira avec les Hutu jusqu’à GIKONGORO.
Le témoin termine son audition en remerciant de nouveau la cour de l’avoir écoutée. Le fait de parler lui apporte un peu de paix.
Questions.
Me PHILIPPART interroge la partie civile. Quand elle quitte définitivement KARAMA, elle était avec les membres de sa famille. Son frère NTABANDA Innocent se fait tuer sur la colline.
À l’ISAR SONGA, elle retrouve beaucoup de réfugiés de KARAMA. Il restait des attaquants quand elle est arrivée. Elle s’est rendue compte que ce sont les attaquants de KARAMA qui les avait poussé volontairement vers l’ISAR SONGA pour que les attaquants d’ici les achèvent.
Me PHILIPPART remercie la victime pour son témoignage et souligne que c’est l’une des premières femmes à avoir le courage de témoigner des violences sexuelles et des viols qu’elle a subi pendant la génocide. Elle s’est mariée depuis et à fondé sa famille ce qui lui a permis de se reconstruire.
Sur question de Me GIRONGONZI, la victime précise que le curé lui avait dit d’aller se réfugier à l’ISAR. Elle explique aussi qu’à cette époque elle n’avait pas encore de carte d’identité à 15 ans. Elle pense que les viols qu’elle a subi était une manière de détruire les Tutsi.
Madame l’avocate générale prend la parole pour remercie la partie civile pour son témoignage.
Me LOTTE à la défense interroge le témoin (NDR. On peut se demander pourquoi, dans la mesure où les événements de KARAMA ne sont pas reprochés à l’accusé).
Elle n’a pas pris le temps de regarder les uniformes de ceux qui lui tiraient dessus. Un gendarme l’a aidé à sortir de la bananeraie mais ne se rappelle pas de son nom.
Audition de monsieur Pierre LAURENT, expert en balistique.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
Mortier de 60 mm – DR
Monsieur Pierre LAURENT se présente comme ingénieur en expertise balistique. Il commence par expliquer ce qu’est un mortier 60, arme mentionnée sur les sites de NYABUBARE et de l’ISAR SONGA[5]. Il s’agit en fait d’un tube lisse, fixé sur un trépied posé sur le sol. Cette arme est facile à installer. Une journée de formation suffit, nous apprendra-t-il plus tard, pour manier cet engin qui tire des obus de 60 mm. La portée peut aller de 100 mètres à 1km200. Chaque obus pèse entre 1kg 200 et 1kg 400. Il n’explose qu’au moment où il touche le sol.
Le témoin va ensuite s’intéresser à chacun des deux sites concernés. Pour faire ses calculs, il s’est appuyé sur les coordonnées GPS fournis par les juges d’instruction. Comme le lui fera confirmer la défense et qui semble le lui reprocher, monsieur LAURENT ne s’est jamais déplacé au Rwanda.
A NYABUBARE, le témoin estime que le mortier avait été placé à moins de 500 mètres à vol d’oiseau de la colline où s’étaient massés les réfugiés. Il semblerait que ce soit la présence du militaire Pierre NGIRINSHUTI, lui-même armé, qui ait justifié l’intervention des gendarmes. Les villageois n’étaient pas arrivés à bout de la résistance des Tutsi. Les tirs ont été effectués à flanc de colline: les tireurs pouvaient voir ainsi ce qu’ils faisaient. Chaque obus mettait environ 8 à 10 secondes pour atteindre son but. Les rescapés qui n’avaient été que blessés ont été achevés par la population armée de machettes et de gourdins.
A l’ISAR SONGA, comme à NYABUBARE, les réfugiés se tenaient à flanc de colline, à environ 650 mètres du mortier. Si militaires et gendarmes sont intervenus, un seul mortier avait été installé sur la colline d’en face.
Le mortier est placé en face de la colline où sont les réfugiés de l’ISAR SONGA, juste au-dessus des marécages, de l’autre côté de le route. Photo AG Schéma de l’attaque à l’ISAR SONGA. Selon une photo projetée précédemment à l’audience, le mortier était plus à droite sur la colline.
L’audition du témoin va se poursuivre par la projection d’un certain nombre de types d’armes.
Lance grenades évoqué par le témoin. Fusil Vektor R4 utilisés par les militaires et les gendarmes.
Monsieur LAURENT commente, explique. Il précise en particulier qu’il n’y a pas eu de tirs intensifs car il aurait fallu un camion d’obus. Par contre, la taille des obus confirme le fait qu’un témoin ait pu les transporter dans une boîte de 40 cm sur 20 cm. Les tirs étaient effectués à vue.
Questions:
Me PHILIPPART interroge l’expert. Il dit que les traces laissées dans le sol sont quasiment nulles après plusieurs années. De plus, les conditions météorologiques ont peu de conséquences sur les tirs.
Me BERNADINI demande des précisions sur la formation à avoir pour utiliser un mortier. L’expert explique qu’il est facile à opérer mais que cela nécessite effectivement une formation.
Me GUEDJ, pour la défense, prend la parole.
L’expert répond qu’il connaît le génocide des Tutsi au Rwanda comme tout le monde. Il s’est renseigné sur le Rwanda mais ne s’est pas rendu sur place. 30 ans plus tard, les traces de cratère ne sont plus visibles. Cela s’explique par la taille et le poids des obus. Le mortier de 60 mm est une arme de guerre et non de gendarmerie.
L’expert explique qu’on lui a confié la tâche de donner un avis sur la compatibilité des déclarations des témoins avec les donnés.
M. le président intervient pour rappeler le rôle de l’expert dans la procédure suite aux questions de Me GUEDJ.
Au sujet de l’attaque de la colline de NYABUBARE, Me GUEDJ lui reproche d’utiliser la forme affirmative pour décrire le rôle de BIGUMA dans l’utilisation du mortier. Il reproche notamment à l’expert d’avoir pris position au travers de son rapport.
L’expert précise qu’il a basé son travail sur les pièces du dossier qu’on lui a communiquées, les témoignages ainsi que les coordonnées GPS. Il n’avait évidemment pas accès à tout le dossier. Maître GUEDJ semble être le seul à ne pas comprendre une telle évidence
Me GUEDJ qualifie son travail d’une « expertise de salon »: ce qui est un manque total de respect pour le témoin. Il avoue sans vergogne qu’il donne bien à cette expression un sens péjoratif.
NDR. L’avocat de la défense continue à parler de « génocide rwandais », comme si on parlait du génocide turc ou du génocide allemand. Dans un génocide, on nomme les victimes. Il s’agit donc bien du « génocide des Tutsi ».
Audition de madame Sapientia RUGEMANA, partie civile.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
Sapientia RUGEMANA commence son témoignage en parlant des discriminations dont elle a été témoin et qu’elle a subi au cours de ses études. En apprenant l’attentat contre l’avion du président à la radio le 7 avril 1994, Sapientia et sa famille se sont vite inquiétés parce que la, veille, son père était parti à KIGALI. Sa famille était composée de ses parents et de neuf jeunes enfants.
Quatre jours après l’attentat, Sapientia a vu des gens venir fouiller leur maison. Un jeune homme qui travaillait dans le commerce de sa mère est venu leur donner des informations sur la situation. Pendant plusieurs jours, Sapientia et sa famille passaient leurs journées couchées, et les nuits cachées dans les brousses. Un mercredi matin, le même jeune homme leur a dit que leurs noms étaient sur une liste de personnes qui allaient être tuées. La mère de Sapientia a décidé d’emmener ses enfants à NTYAZO d’où elle était originaire. Ils ont réussi à arriver à destination en passant par un marché dans la ville de NYANZA et en se fondant dans la foule.
Arrivés à NTYAZO, Sapienta et sa famille se sont réfugiés chez un oncle paternel qui leur a conseillé de fuir au BURUNDI. Alors qu’ils tentaient de suivre son conseil et de fuir, ils ont été arrêtés à une barrière et se sont dispersés. Sapienta et l’une de ses sœurs sont retournées chez leur oncle tandis que le reste de sa famille a réussi à rejoindre le BURUNDI. Le lendemain, les deux sœurs qui s’étaient retrouvées avec un grand groupe de réfugiés Tutsi se sont dirigées vers la colline de RWEZAMENYO.
Le lendemain matin vers 6h, des Interahamwe[3] armés de fusils ont attaqué la colline. Le groupe a fui vers la colline voisine, la colline de KARAMA. Dans l’attaque, la petite sœur de Sapienta, alors âgée de neuf ans, avait reçu des coups de pierre dans les côtes. La témoin raconte qu’elle s’est sentie très impuissante face à sa sœur qui lui demandait des soins et de la nourriture.
Dans la nuit, Sapienta a été réveillée par les cris des Interahamwe qui s’appelaient entre eux en disant « GP » et « Pawa ! Pawa ». C’était leur signe de ralliement. En fuyant, elle a été séparée de sa sœur, et après quelques jours de fuite, Sapienta s’est retrouvée à suivre un groupe de Tutsi qui se dirigeait vers l’ISAR SONGA[5]. Elle y a alors passé quatre jours pendant lesquels les Interahamwe tentaient régulièrement des petites attaques à la machette. La témoin raconte ensuite qu’elle a vu un hélicoptère de couleur kaki militaire passer au-dessus d’eux. Elle dit avoir cru que c’était un hélicoptère de l’État qui venait les aider. Elle et les Tutsi autour ont crié à l’aide, en vain.
Colline où sont les réfugiés de l’ISAR SONGA. Photo AG
Le jour de la grande attaque de l’ISAR SONGA vers 15h, Sapienta et sa cousine étaient en train de se laver. En entendant les bruits de tirs de balles et d’explosions, elles se sont couchées au sol comme on leur avait dit de le faire. Elles sont montées un peu plus haut sur la colline mais se sont retrouvées au milieu d’Interahamwe et de gendarmes en train de tuer. A ce moment, elle a été témoin d’une scène qui la hante encore aujourd’hui. Elle a vu un père et ses deux fils se faire dépouiller de leurs vêtements, se faire émasculer et être tués. Sapienta a couru pour leur échapper.
La témoin décrit les explosions, les bouts de chair humaine et des vaches qui mouraient dans ces explosions. Dans sa fuite, elle a suivi un groupe qui se dirigeait vers le BURUNDI. Ce groupe a été arrêté sur le pont de MYIRAMAGELI par des Interahamwe. Les tueurs ont dit aux Hutu de se lever et de rentrer chez eux. Plusieurs d’entre eux avaient suivi les Tutsi sans savoir qu’ils n’étaient pas recherchés. Les Interahamwe ont séparé les hommes des femmes et ont choisi des femmes à épouser parmi les Tutsi. Une femme qui avait des liens de parenté avec Sapienta et qui avait été choisie pour épouser un des Hutu a insisté pour qu’elle vienne avec eux. Les deux jeunes filles ont donc été emmenées chez cet Interahamwe et y ont passé plusieurs semaines pendant lesquelles elles s’occupaient des tâches domestiques.
Quand le FPR[6] s’est emparé de la région, elles ont accompagné l’Interahamwe et sa famille dans leur fuite vers GIKONGORO. Quand le groupe a été arrêté par des Inkotanyi[4], Sapienta leur a fait savoir qu’elle était Tutsi et a été ramenée chez elle quelques semaines après, une fois les combats terminés. Elle a pu alors retrouver sa famille qui est revenue du BURUNDI.
Comme tous les Rwandais, elle a essayé de se reconstruire. Elle travaille aujourd’hui pour son compte afin d’offrir un futur à sa famille. Elle raconte son histoire à ses enfants petit à petit.
Audition de madame Laurence DAWIDOWICZ, représentante de l’association SURVIE[7].
Je m’appelle Laurence DAWIDOWICZ, je suis kinésithérapeute et adhérente de l’association Survie qui s’est portée partie civile dans ce procès et que je représente ici.
Je remercie nos avocats, présents dans la salle qui ont travaillé gracieusement pour porter notre voix, nous les remercions de leur engagement à nos côtés.
Je vais tout d’abord vous présenter SURVIE et ensuite les raisons qui nous ont conduits, en tant qu’association, à nous porter partie civile dans ce procès.
I – QUI EST SURVIE ?
SURVIE, c’est une association qui regroupe 900 adhérents répartis en 20 groupes locaux présents dans différentes régions de France. Nous avons trois salariés, qui sont financés par nos fonds propres, issus des cotisations des adhérents et de dons de personnes privées.
Survie a été créée au début des années 80, pour lutter contre les causes structurelles de la misère dans les pays du Sud.
Ses membres fondateurs ont lancé le « manifeste-appel contre l’extermination par la faim », une pétition signée par 55 prix Nobel à l’époque, et par de nombreux parlementaires français mais, sans que cela ne débouche sur des actes, contrairement aux mobilisations en Italie ou en Belgique…
Cette interpellation internationale plaidait en faveur d’une réforme de l’aide publique au développement pour que cette aide s’attaque véritablement aux racines de l’extrême misère et la famine dans les pays du Sud.
Et en France ?
Assez rapidement et dans la suite logique du manifeste, Survie a milité pour assainir les relations entre la France et les pays d’Afrique francophone, ce qu’on appelle la lutte contre la Françafrique.
C’est l’époque où le public a commencé à découvrir, notamment grâce à notre action, que des partis politiques français de premier plan bénéficiaient, pour leur financement, de fonds détournés par des dictateurs africains. Autant d’argent qui échappait aux besoins criants des citoyens de ces pays et aggravait leur misère.
II – COMMENT SURVIE EN EST-IL VENU A S’INTERESSER AU RWANDA ?
Le Rwanda en 1993, c’est « Silence on tue »
• En 1992-93 les exactions contre les Tutsis ont pris une tournure massive.
• Les associations rwandaises de défense des droits de l’Homme ont beau être actives, leur travail de documentation des massacres n’a aucun effet sur le pouvoir en place.
• Réunies en un collectif, (le CLADHO), elles décident alors d’alerter leurs supports internationaux du risque de survenue d’un génocide des Tutsis du Rwanda.
• Là au moins, elles sont entendues. Par la Fédération Internationale des droits de l’Homme, la branche africaine de Human Right Watch et l’Union africaine des Droits Humains, qui envoient une mission d’enquête sur place.
• Jean CARBONARE, qui était à l’époque président de Survie, fait partie de la délégation.
Jean Carbonare au JT de France 2 le 28 janvier 1993 (archive INA)
• Il a témoigné au JT de France 2[8], à son retour, des enquêtes des associations rwandaises, de ce qu’elles leur avaient montré mais aussi du soutien du gouvernement français au gouvernement en place au Rwanda. Bouleversé par ce qu’il a vu, il ne s’en est jamais remis.
• Jean CARBONARE a rencontré la cellule africaine de l’Élysée pour lui remettre un pré-rapport de mission.
Mais là encore : silence radio, aucune réaction et pire, comme l’a bien montré le rapport DUCLERT[9], l’exécutif français continue à soutenir le régime Habyarimana, puis le Gouvernement Intérimaire Rwandais, responsable du génocide.
Quelle a été l’action de Survie pendant le génocide ?
D’avril à juillet 1994, les adhérents de Survie et leurs amis se sont mobilisés, dans les groupes locaux comme à Paris. Ils ont multiplié les conférences de presse, les communiqués, mais aussi des manifestations symboliques, comme la marche en rond : ils tournaient en rond pendant des semaines pour dénoncer un monde qui ne tournait pas rond à être ainsi indifférent au pire.
Ils n’étaient pas nombreux ceux qui s’intéressaient au Rwanda en 94.
Et depuis ?
Le génocide des Tutsis a marqué un tournant pour notre association : depuis 1994, nous en avons fait un combat fondateur. L’association a pris conscience du risque que ce génocide soit occulté, nié, et avec lui la mémoire des victimes, la culpabilité des auteurs et complices.
C’est pourquoi nous avons introduit la lutte contre la banalisation du génocide dans nos statuts.
… et nous l’avons traduit en actes
Dès octobre 94 François-Xavier VERSCHAVE qui succédera à Jean Carbonare comme président de Survie, a écrit un premier livre « Complicité de génocide ? », moins de trois mois après la chute du régime génocidaire. En 200 pages cet ouvrage de synthèse réussissait la prouesse de raconter avec précision les racines et la perpétration du génocide et à rassembler et analyser un nombre conséquent de faits susceptibles de caractériser la complicité des autorités françaises.
En toile de fond, François-Xavier VERSCHAVE décrivait avec minutie les rouages de la Françafrique et les dérives de la politique de la France en Afrique, et celle menée au Rwanda a représenté un paroxysme mais qui selon lui partout pouvaient causer les mêmes effets. À plusieurs reprises, il alertait avec beaucoup de clairvoyance sur le soutien français à MOBUTU et sur le risque d’une extension de la politique du pire au Zaïre voisin (la RDC d’aujourd’hui). Un certain nombre des protagonistes des dossiers judiciaires d’aujourd’hui étaient déjà présents au fil des pages, auteurs, complices et victimes, rescapé-es. Pour VERSCHAVE, et pour l’association Survie il ne s’agissait pas de remplacer les institutions, la recherche scientifique, les médias, la justice mais de les convaincre de se saisir du sujet et de mettre à profit leur capacité d’action.
Parallèlement, la déléguée du président, Sharon COURTOUX recevait des témoignages de rescapés et de leurs familles vivant en Europe.
Depuis 1994, le combat des militants se poursuit sur nos heures de liberté, de sommeil, nos weekends, nos soirées. Des milliers de personnes se sont relayées, certains qui connaissaient le Rwanda, d’autres qui avaient rencontré des rescapés, mais aussi des personnes qui portaient parfois dans leur histoire personnelle le refus de l’impunité.
Beaucoup de nos membres n’avaient pas 20 ans en 1994. Ils ont décidé, tout comme moi, que ce combat était le leur. Et qu’il fallait agir.
Avec d’autres associations nous avons créé la Coalition Française pour la Cour Pénale Internationale, et multiplier les pressions pour que partout la justice s’applique contre les bourreaux qui ont commis ou facilité des crimes contre l’humanité.
Nous avons en 2004 contribué à une Commission d’Enquête Citoyenne sur les responsabilités de la France au Rwanda en 1994, avec de nombreux partenaires.
Nous avons continué à écrire, à publier, à rencontrer les simples citoyens lors de projections débats pour partager avec eux ce que nous avions appris, mais aussi nos questions, nos indignations. Pour documenter notre travail, certains membres de l’association ont cherché à avoir accès aux archives, par exemple à celles de la présidence de la république comme François Graner en a parlé devant vous. Une longue bataille juridique a été nécessaire mais la décision du Conseil d’État stipule que l’accès aux archives doit être ouvert à tous les chercheurs, et pas seulement à ceux accrédités par l’État [10].
Nous avons également changé les statuts de l’association pour pouvoir ester en justice.
III – POURQUOI SURVIE SE CONSTITUE-T-ELLE PARTIE CIVILE ?
Vous l’aurez compris, notre raison d’être à Survie, c’est de lutter contre l’impunité, l’impunité des pouvoirs publics comme celle des individus.
C’est cette même impunité qui a permis que le génocide d’avril 94 soit possible, car les meurtriers des tueries précédentes n’avaient été ni arrêtés, ni jugés, ni condamnés.
Nous sommes petits mais obstinés. Nous voulons que la justice soit rendue. Pour que le « Plus jamais ça » ne soit pas que des mots.
Les mots… on vous a parlé du travestissement des mots pendant le génocide, quand « travailler » signifiait « tuer », par exemple. Aujourd’hui encore, en dénaturant les faits, en inversant les responsabilités dans la survenue et l’exécution du génocide, en invoquant un double génocide, le crime se poursuit par sa négation.
Nous avons, avec d’autres associations, porté plainte en 2020 contre Charles ONANA et son éditeur pour contestation de crime de génocide, dans l’ouvrage Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise, paru en 2019 aux éditions de l’Artilleur, dans lequel M. ONANA affirme par exemple que « la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un « génocide » au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle. » ; le verdict sera rendu le 9 décembre, quelques jours après cette intervention devant la cour.
La France est hélas une terre d’accueil pour un grand nombre de personnes suspectées d’avoir commis ou d’avoir été complices de crime de génocide. Nous avons été parties civiles dès le premier procès d’un accusé rwandais en France, celui de Pascal SIMBIKANGWA mais aussi celui des deux bourgmestres Octavien NGENZI et Tito BAHARIRA, puis, plus récemment, celui de Laurent BUCYBARUTA, celui de Sosthène MUNYEMANA, celui d’Eugène RWAMUCYO, aujourd’hui procès en appel de Philippe MANIER.
Notre présence à ce procès n’est ni une revanche ni une vengeance mais une étape nécessaire pour faire avancer la vérité, pour obtenir justice, pour que les enfants des victimes ne tremblent plus au moindre son de sifflet, comme ceux des Interahamwe[3] qui les pourchassaient, pour que les enfants des tueurs sachent que l’impunité s’est arrêtée là.
Peut-être aussi pour l’association avons-nous besoin de savoir que nous ne nous sommes pas mobilisés en vain. Que ce génocide restera dans la conscience de nos concitoyens et que maintenant, c’est un à jury citoyen que nous pouvons nous en remettre.
Au cours de la journée, plusieurs lectures ont été effectuées par monsieur le président, parfois à la demande des parties.
Lecture de l’audition de monsieur Faustin MANIRAGUHA.
Cette audition porte sur la colline de NYABUBARE. Pour lui, les « militaires » étaient dirigés par BIGUMA.
Lecture de l’audition de madame Francine MUKANGIRA, à la demande de l’avocate générale.
Cette audition concerne l’ISAR SONGA Cachée pendant trois jours chez sa cousine Jacqueline, mariée à un militaire hutu, cette dernière lui révèle que BIGUMA recherche les Tutsi.
Lecture de l’audition de monsieur Justin BUTARE.
Condamné à 16 ans de prison pour avoir tenu la barrière de GIKONI et avoir participé aux attaques de l’ISAR SONGA, il dit n’avoir vu aucun gendarme.
Madame l’avocate général fait un bref exposé sur les Gacaca et leur fonctionnement, afin d’éclairer les jurés sur cette justice participative[2]. Elles avaient pour but de vider les prisons en favorisant le plaidé coupable qui sera rarement utilisés pour les crimes les plus graves, ceux de la catégorie 1. Elles seront clôturées en 2012. (NDR. Cette procédure permettra parfois aussi de retrouver les corps des victimes, les tueurs révélant le lieu où ils les avaient ensevelies).
Maître GUEDJ, un peu plus tôt dans la journée a demandé à monsieur le président de pouvoir lire des documents qu’il dit avoir versés (NDR. Ce qui n’est pas le cas et qu’il s’empressera de faire photocopier à la pose méridienne). Il souhaite que ces documents soient lus avant l’audition de monsieur GAUTHIER. ( NDR. On se demande pourquoi dans la mesure où il s’agit, entre autres, d’un article de Reporters sans Frontières sur la liberté de la presse au Rwanda depuis le génocide.)
Il sera donné droit à l’avocat de la défense de lire l’article ci-dessus mentionné, plus deux articles de messieurs GUICHAOUA et REYTJENS tirés du site de Rwanda Info, non datés, non signés! Il aura beau vouloir expliquer les raisons pour lesquelles il a en plus versé un nombre considérable de pièces dont certaines, lui fera remarquer monsieur l’avocat général, n’ont aucun lien avec le dossier BIGUMA, il ne convaincra personne.
Une autre pièce versée par la défense se rapporte à un extrait du script du documentaire Rwanda, à la poursuite des génocidaires, de Thomas ZRIBI[11], dont mettre GUEDJ donne lecture. Monsieur GAUTHIER aura l’occasion de s’en expliquer, comme sur beaucoup d’autres points, lors de son audition de lundi matin.
Monsieur le président évoque deux arrêts que la Cour doit rendre. Le premier concerne une demande de nouvelle expertise balistique par la défense ( NDR. On a envie de sourire!) Le second concerne la recevabilité ou non des parties civiles dans ce dossier. Toutes les parties sont d’accord pour que cette question soit renvoyée à l’audience sur intérêt civil.
Ces deux demandes sont mises en délibéré.
L’audition de monsieur GAUTHIER, prévue en fin de journée est reportée au dernier moment à lundi matin 9 heures. Nous considérons qu’il s’agit là d’un manque de respect pour les initiateurs de la plainte qui sont là dans la salle tous les jours depuis le 4 novembre, à toutes les audiences, sans oublier les quatre semaines consacrées au procès RWAMUCYO.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
1. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑][↑]
3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑][↑]
4. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑][↑]
5. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑][↑]
6. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
7. https://survie.org[↑]
8. Jean Carbonare prévient à la fois l’Élysée et le public au JT de 20 heures de France 2 du Le 28 janvier 1993: « On sent que derrière tout ça, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité dans le pré-rapport que notre commission a établi. Nous insistons beaucoup sur ces mots. »[↑]
9. La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994 – Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021.[↑]
10. Lire sur le site SURVIE : Le Conseil d’État ordonne l’ouverture immédiate des archives de l’Élysée sur le Rwanda, publié le 12 juin 2020[↑]
11. Rwanda, à la poursuite des génocidaires, un documentaire réalisé par Thomas Zribi et Stéphane Jobert, accessible en ligne sur LCP [↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 6 décembre 2024. J23
09/12/2024
•
o Audition de Longine RWINKESHA, partie civile.
o Audition de Chantal MUKAYIRANGA, partie civile.
o Lecture d’auditions.
o Audition d’Eugène HABAKUBAHO, partie civile.
o Audition d’Innocent MUNYANKINDI, partie civile.
o Audition de Dafroza GAUTHIER MUKARUMONGI, membre fondateur du CPCR.
o Audition de Marcel KABANDA, président d’Ibuka France.
________________________________________
Audition de madame Longine RWINKESHA, partie civile, en visioconférence du Rwanda.
À noter que le témoin partie civile est entendue en visioconférence de KIGALI, sans la présence de ses avoctas à ses côtés. Ils sont au Palais de justice de Paris.
« Ma famille a été décimée à l’ISAR SONGA[1]. Ce qui représente plus de 160 personnes. Depuis 1994, je suis handicapée car j’ai été tabassée par des Interahmwe[2]. À ce moment-là, des gendarmes venus de NYANZA ont tiré sur nous et il y a eu beaucoup de victimes. Avant l’arrivée des gendarmes, un hélicoptère a survolé l’endroit où nous nous trouvions.
À l’époque, j’avais 22 ans, j’habitais à KINAZI , chez mes parents, près de l’ISAR SONGA. J’avais six frères et sœurs. Je suis allée vers cet endroit où il y avait un établissement d’élevage de vaches, vaste et protégé. Le terrain était clôturé, on ne pouvait pas y accéder sans autorisation. Beaucoup de réfugiés, venus de partout, s’étaient rassemblés là. Je suis restée plus d une semaine et après les fusillades, je suis restée handicapée. Ce sont les gendarmes qui m’ont évacuée. Avant la grande attaque, des Interahamwe, armés de machettes et de gourdins se sont rués sur nous mais ils ont été repoussés.
Le 28 avril 1994, il y a eu des tirs d’armes lourdes qui faisaient sursauter des corps (sic) qui tombaient sur nous. On disait qu’il s’agissait d’une arme lourde, j’entendais les explosions et les corps tombaient sur moi. Il y a eu aussi des tirs par balles et grenades. Les tireurs étaient surtout des gendarmes, ils portaient un uniforme différent de celui des militaires: habits kaki et béret rouge. Les Interahamwe étaient arrivés avant les gendarmes. Ils sont revenus pour achever les survivants. »
Sur question de monsieur le président, le témoin continue le récit de son chemin de croix.
« J’avais été frappée par les Interahamwe, des coups de gourdins dans le dos et sur les jambes et ils m’avaient demandé de creuser ma tombe. Ce sont les gendarmes qui m’ont sortie de là. »
Monsieur le président s’étonne d’entendre le témoin révéler que ce sont les gendarmes qui l’ont sauvée. « L’un d’eux voulait me faire sa femme (sic). Il s’agissait du gendarme MAYOMBO. J’ai eu un enfant. Nous avons cohabité à BIGEGA, près d’une barrière. »
Le président: « Et vous étiez d’accord pour être sa femme? »
Longine RWINKESHA: « Ils faisaient de moi ce qu’il voulait« .
Le président: « Il vous a violée? »
Longine RWINKESHA: « Oui, c’est violée, dit-elle en haussant la voix, c’est violée, c’est violée. »
Le président: « Il vous a pris comme une esclave? »
Le président: « Oui, il partait et, de retour, il se vantait d’avoir mené des attaques et il louait BIGUMA en disant qu’il était mieux que le commandant du camp de gendarmerie qui restait dans son bureau. BIGUMA venait parfois dans cette maison et il contrôlait la barrière de BIGEGA en donnant ses instructions. Nous avons fui ensemble à GIKONGORO, avec d’autres gendarmes, et là, il m’a abandonnée. Ils partaient pour le Congo.
Cette fuite a eu lieu vers la fin mai, ou tout près du mois de juin. « J’étais enceinte quand il m’a abandonnée. L’enfant est née, une fille qui a survécu.
Lors de l’attaque, j’ai vu un véhicule avec des gendarmes: si mes souvenirs sont bons, c’était une Toyota double cabine, d’une couleur légèrement verte. Plusieurs militaires accompagnaient BIGUMA. En partant avec les militaires, ils m’ont remis un sac qui contenait des grenades. C’est par les autres gendarmes que j’ai appris que BIGUMA dirigeaient les attaques. Je serais tout à fait capable de le reconnaître, même si je ne l’ai pas vu pendant l’attaque. »
Le témoin cite alors les noms des victimes de sa famille proche, sur demande de monsieur le président:
Son papa, RUZINDANA, sa maman Floride MUKABALISA, ses frères Dieudonné RUTABINGWA Léopold RUDAHUNGA et Credo RUZIGANA, ses trois sœurs, Georgette MUKAYIZIGA, Marietta UMUHIRE et Grâce MUKANDUHUYE. Tous sont morts à l’ISAR SONGA. Elle est la seule survivante de sa famille. Elle appartenait au clan des ABANIGA, un clan très important de 164 membres. Il y a eu seulement dix rescapés.
Maître PHILIPPART remercie le témoin dont elle est avocate. Elle n’éprouve pas le besoin de lui poser des questions.
Sur question de madame l’avocate générale qui la remercie, le témoin redit que BIGUMA avait dirigé la barrière de BIGEGA et qu’il a distribué des armes. Après l’attaque, il circulait partout.
Maître GUEDJ, pour la défense, va assaillir le témoin de questions plus ou moins pertinentes dans la mesure où il a l’habitude de poser des questions qu’on a déjà entendue.
Exemple de question à côté de la plaque: « Pourquoi le témoin Léonard parle du 28 avril concernant l’attaque de l’ISAR SONGA? » C’est exactement la date qu’avait donnée le témoin! Et si Longine RWINKESHA ne rapporte pas les mêmes événements, c’est tout simplement que le site de l’ISAR SONGA est extrêmement vaste et qu’elle ne se trouvait pas au même endroit. Le témoin dit ce qu’elle a vu.
Puis les éternelles questions sur la couleur des véhicules, des habits des gendarmes. D’autres témoins avaient dit ou diront que leur priorité était de fuir et non de compter les gendarmes ou de s’attarder sur leur tenue. Et puis ce sont des souvenirs qui datent de trente, concernant des événements extrêmement traumatiques.
Interrogé, BIGUMA reconnaît, et il l’a déjà dit, qu’il y avait bien un camion kaki à la gendarmerie, un camion, pas un véhicule léger, mais il était en panne ( NDR. Rires dans la salle. En panne, comme par hasard!)
On s’en tiendra là.
Réponse de la Cour concernant trois demandes de la défense.
La demande d’une nouvelle expertise balistique sur place au Rwanda est rejetée, ce transport n’étant pas jugé utile.
La demande d’obtenir les jugements gacaca[3]: la Cour se dit suffisamment éclairée sur ce sujet.
La demande concernant la recevabilité ou non des parties civiles: il est décidé de sursoir à statuer.
Audition de madame Chantal MUKAYIRANGA, partie civile.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
Le témoin commence par dire que leur domicile a été attaqué par des Interahamwe[2] le 21 avril 1994: ils voulaient s’emparer de leur bétail. Les habitants des lieux se sont défendus. La maison familiale s’était remplie de personnes venues d’ailleurs: plus de 25 personnes s’étaient rassemblées. S’étant présentée à la paroisse du père canadien SIMART, ce dernier leur aurait savoir qu’il ne pouvait les accueillir. Chantal et sa famille décident donc de rejoindre l’ISAR SONGA[4].
Les réfugiés vont vivre là plusieurs jours difficiles: faim, soif, insécurité, pluie abondante. Ceux qui se hasardaient à aller chercher de quoi manger se faisaient tuer par les Interahamwe. Sa maman était devenue gravement malade et des jeunes hommes l’ont conduite dans un centre de santé.
Quelques jours après, un avion a tourné au-dessus des réfugiés. Le témoin précisera plus tard qu’il s’agissait d’un hélicoptère.
Le lendemain, les enfants de l’âge du témoin sont partis se laver dans la vallée. Ils ont entendu des tirs: les enfants s’étaient mis à pleurer.
Des gendarmes sont arrivés à la laiterie de l’ISAR SONGA. Les adultes leur lançaient des pierres mais les réfugiés commençaient à se sentir de plus en plus faibles.
« Nous nous sommes mis à courir, poursuit Chantal, avons traversé les collines en passant par MAYAGA pour tenter de rejoindre le BURUNDI ». Des Interahamwe[2] sont arrivés à bord d’un véhicule et ont tiré en l’air. Les réfugiés se sont scindés en deux groupes: un prenant la direction du bureau communal, l’autre sous la conduite de SINZI[5].
Les Interahamwe promettent aux enfants qu’ils ne leur feront pas de mal. Une femme qui avait perdu son enfant remet une robe à son jeune frère. Le lendemain, les hommes vont être déshabillés et ont leur attachera les bras derrière le dos. Ils seront alignés…
Quant aux femmes et aux jeunes filles, il n’était pas question de les tuer. Il fallait les sauvegarder pour les violer ensuite. Sur question du président, Chantal avouera qu’elle était présente lors des viols. Les enfants, eux, étaient pris pour servir dans les maisons des Hutu. Placée chez une vieille femme qui va la maltraiter, elle sera ensuite confiée à une autre qui s’est bien occupée d’elle et de sa nouvelle compagne. Son frère, confié à un enseignant, sera aussi maltraité et finira par la rejoindre.
Cette vieille femme hutu s’occupera d’eux jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi[6]. Sa mère sera prise par des Interahamwe et violée.
Questions
M. le président l’interroge sur la présence d’un hélicoptère : elle l’a vu une seule fois le jour avant l’attaque. Elle dit aussi qu’elle a entendu des gros tirs et qu’elle voyait les gens tomber au même endroit. Elle reconnaît les gendarmes à leur béret rouge et leur uniforme kaki. Elle se rappelle seulement qu’il y avait plusieurs véhicules mais ne se souvient plus de leur nombre ni de leur couleur.
En parlant de BIGUMA, elle connaît son nom. Elle dit qu’elle n’est pas sûre mais qu’elle pensait qu’il était militaire car les militaires de l’ISAR semblaient le connaître.
Me HERBEAUX prend la parole pour questionner la partie civile. L’église était une église catholique de RWENZI avec un prêtre canadien. Sa maison était située en contrebas de cette église. Son grand-père est décédé avant le génocide, et le reste de sa famille est décédé à l’ISAR SONGA. Elle est restée en contact avec la femme qui l’a protégée avec son frère et ils font les commémorations ensemble tous les ans.
Son mari, Léopold NSHIMUREMYE qui est aussi partie civile, a perdu toute sa famille à NYABUBARE.
Me GUEDJ interroge la victime. L’hélicoptère était un hélicoptère de couleur verte. Il insiste pour savoir si elle a vu de ses propres yeux des véhicules et les gendarmes. Elle répond que oui, elle était là. Elle affirme qu’elle n’a jamais témoigné dans une Gacaca[7]. Me GUEDJ souligne qu’elle disait avoir entendu son nom dans une Gacaca et qu’elle pensait qu’il s’agissait d’un militaire génocidaire. Elle précise qu’elle a effectivement assisté à une Gacaca mais n’a pas témoigné.
Me GUEDJ finit ses questions en accusant le récit de la victime d’être stéréotypé et insinue que les victimes se mettraient d’accord sur leur récit près de la machine à café qu’il qualifie d’ « antichambre de ce procès ».
Les avocats de la partie civile réagissent en précisant que c’est le droit strict des parties civiles de communiquer avec leurs avocats et entre elles contrairement aux témoins. Cela ne remet absolument pas en cause la validité de leur récit.
Lecture de l’audition de madame Florence MUKANKUBABA dont le nom figure dans l’OMA.
Cette audition concerne la colline de NYAMURE où elle dit avoir vu les gendarmes de NYANZA.
Lecture de l’audition de madame Immaculée KANKUYE dont le nom figure également dans l’OMA.
Cette audition se rapporte aussi à la colline de NYAMURE. Elle signale que plusieurs attaques d’Interahamwe ont été repoussées par les réfugiés avant que n’intervienne la grande attaque des gendarmes. Elle se trouvait près de l’école et de l’église.
Audition de monsieur Eugène HABAKUBAHO, partie civile.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
Eugène habitait avec sa famille de six enfants dans la commune de NTYAZO, secteur de GISASA en 1994. Il avait alors 11 ans et était en 4ème année d’école primaire. Environ une semaine après la chute de l’avion du président HABYARIMANA, lorsque les massacres ont commencé dans la région, Eugène et sa famille ont fui plus loin dans la commune de NTYAZO. Ils ont appris que le bourgmestre NYAGASAZA venait d’être tué par des gendarmes. Le père d’Eugène est allé voir un de ses amis qui était prêtre. Il lui a conseillé d’aller se réfugier à l’ISAR SONGA[4]. Au moment de partir, la famille d’Eugène a été dispersée.
Eugène, son père et son petit frère sont restés à l’ISAR SONGA pendant à peu près trois jours au cours desquels plusieurs petites attaques ont eu lieu. Eugène dit avoir vu un hélicoptère passer au-dessus du site. Les Tutsi arrivaient à les repousser en lançant des pierres sur les assaillants. Eugène explique que le 28 avril, aux alentours de 15/16h, sont arrivés des gendarmes et Interahamwe[2] en provenance de NYANZA. Ils ont tiré sur les Tutsi présents sur la colline. Eugène a vu des explosions et a été touché par des éclats. Il voyait les gendarmes en uniformes kaki avec des bérets rouges, armés et mélangés aux Interahamwe, qui eux portaient des feuilles de bananier à la ceinture et autour du cou. C’est ce jour-là que le père et un frère du témoin ont été tués, ainsi que ses tantes maternelles. La mère d’Eugène est morte plus tard sur une colline non loin de là, celle de CYOTAMAKARA.
Eugène a alors fui avec d’autres Tutsi vers le BURUNDI. Il a échappé de justesse à des Interahamwe qui tuaient les Tutsi dans un marécage. Eugène est arrivé jusqu’à l’ancienne commune de MUYEGA. Il a alors été intercepté et a reçu un coup en bas du cou, dont il garde encore la cicatrice aujourd’hui, par un Hutu qui marchait derrière lui. Il a perdu connaissance et s’est réveillé le lendemain. Un homme l’a trouvé et l’a pris chez lui, il l’a soigné et lui a donné de l’eau. Eugène est resté chez cet homme jusqu’à l’arrivée des soldats du FPR[8].
À la fin du génocide, Eugène a pu retrouver deux grands-frères qui avaient été séparés du reste de la famille et appris comment était morte sa mère. Il explique, au cours des questions du président, qu’à la fin du génocide, les personnes qui avaient survécu étaient pauvres, elles n’avaient pas de maisons. Eugène a dû attendre trois ans avant de pouvoir retourner à l’école primaire, quand le FARG[9] a pu financer ses études. Il est aujourd’hui commerçant à KIGALI, il est marié et a deux enfants.
Madame l’avocate demande au témoin s’il faisait partie du groupe conduit par monsieur SINZI. Il répond par l’affirmative. Elle révèle au témoin les propos de la défense ( NDR. Propos iniques) qui déclare que les témoignages des parties civiles sont « stéréotypés« . Monsieur HABAKUBAHO ne partage évidemment pas ce point de vue. Il déclare que chacun s’exprime avec ses mots et avec le souci de bien témoigner.
Audition de monsieur Innocent MUNYANKINDI, partie civile.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance. Nous avons pris aussi le parti de reproduire sa déposition spontanée telle qu’elle a été dite, sans chercher a en faire une synthèse.
« Mes parents étaient enseignants à NYANZA, une des rares professions que les Tutsi pouvaient exercer. Quelque chose m’a surpris à la fin du génocide. Certains membres de ma famille qui s’étaient réfugiés à l’étranger m’ont dit que c’était étonnant de voir que mon père avait eu la même mort que celle de son propre père. Mon grand-père était mort en 1959, lui aussi tué par les Hutu. Mon père m’avait caché ça.
Mes parents étaient salariés, leur situation leur avait permis d’acheter une maison et deux voitures. Hier, on a parlé d’un véhicule qui transportait les cadavres, le camion en question nous appartenait. Nous menions une vie convenable. Comme nos parents nous cachaient certaines choses, on n’était pas convenablement informés des menaces qui pesaient sur nous.
Les problèmes ont éclaté avec l’attaque du FPR le 1er octobre 1990. C’était deux mois après que mon père soit retourné en France. Il était venu suivre une formation. Et on le soupçonnait d’être allé rencontrer des Inkotanyi[10] en Europe. De plus, il souffrait du diabète. Il a été arrêté et mis en détention pendant trois mois comme « Ibyitso », complice[11]. Puis il a été libéré. Mais cela n’a pas empêché qu’on continue à le poursuivre et à suivre de près ses faits et gestes.
Nous étions une fratrie de sept membres. J’étais le fils aîné. J’avais cinq sœurs et un petit frère, le benjamin. Mon père l’avait engendré à sa sortie de prison. Il y avait à NYANZA une gendarmerie, il n’y avait pas un autre organisme, tout ce qui se passait à NYANZA était de la responsabilité de la gendarmerie. C’était eux qui venaient perquisitionner notre domicile parce qu’il y avait des fouilles à cette époque-là. La gendarmerie c’était le seul organe de sécurité à NYANZA.
Le 7 avril, ma mère est venue me voir dans ma chambre et m’a demandé si j’avais su que HABYARIMANA était mort. J’ai vu que la situation avait changé et que les parents avaient peur. À NYANZA, il y a eu des instructions comme quoi tout le monde devait rester à la maison. On ne pouvait sortir que deux jours par semaine. C’est ces jours-là que les magasins étaient ouverts et que nous pouvions aller faire les courses. Cela a perduré du 7 au 21 mai, mais personnellement je ne pouvais pas pu continuer à rester tout le temps à la maison.
À l’époque, un ami passait parfois la nuit chez nous. Durant deux semaines, la peur était immense. Les parents nous dispersaient dans les familles de Hutu. Je n’ai pas pu continuer à changer de domicile chaque nuit et j’ai demandé à cet ami de me conduire chez lui. J’ai dit à mon père et ma mère que j’allais partir avec BARUSHYA : c’était son surnom, son vrai nom c’était Jean-Pierre SEBASHI. Quand j’ai dit à mes parents que je partais avec cette personne, mon père a été soulagé. On voyait qu’il était dépassé. Il ne voyait pas de solution au problème.
Ma mère m’a demandé où m’emmenait cet individu. C’était un « gamin des rues » et maman me demandait pourquoi je lui faisais confiance. Elle se demandait même s’il avait une famille. Mon père nous a dit de partir mais avant, il devait nous donner de l’argent. Nous sommes ainsi partis à une douzaine kilomètres de NYANZA, vers une petite colline qui se trouve en face de SONGA. Nous sommes partis à pied jusqu’au domicile de ce garçon. Son père était décédé. Ils nous ont bien accueillis mais c’était des conditions inférieures à ce que je connaissais à la maison. Je dormais à même le sol.
Nous sommes restés quelques jours puis nous voulions retourner à NYANZA chercher de l’argent. C’est à ce moment-là que le fameux discours a été prononcé[12]. Et la population a commencé à fuir. De là ou j’étais, je pouvais voir sur les collines d’en face que les maisons étaient incendiées. Cette situation devenait de plus en plus critique. Les gens se faisaient tuer. La situation a changé. Je n’ai pas su où aller. On a réfléchi. Je me suis faufilé dans une cachette. J’ai quitté leur maison pour aller vivre dans un trou. J’ai entendu des bruits de massacres toutes la journée. Je suis resté caché là où j’étais.
Le soir, les bruits de balles se sont arrêtés. Le jeune homme est venu me voir, il m’a dit que la situation était critique et que les Tutsi étaient tués. Que les bruits de balles venaient de SONGA. Les balles ont cessé mais le lendemain elles ont repris. Il m’a expliqué qu’on achevait ceux qui étaient encore en vie. L’extermination des Tutsi a pris deux semaines encore.
SONGA. Lieu de rassemblement des réfugiés qui tentaient de fuir au Burundi. Seuls une centaine y parviendront. Photo AG
Je suis retourné dans la maison, mais je suis tombé malade, je pense que j’avais attrapé la malaria. Quand le jeune homme voyait que mon état de santé empirait, il a voulu aller chercher des médicaments à NYANZA. Il est parti chez un ami de mon père pour chercher ces médicaments. Entre temps, il a demandé des informations sur mes parents. Il m’a dit que ma mère était cachée. On m’avait menti, on avait dit que rien n’avait pu arriver aux femmes et aux enfants. Plus tard j’allais apprendre que ma famille était allée à MWENDO où résidait une tante paternelle.
J’ai essayé de savoir quelle était la situation là-bas et on m’a dit que cette famille-là avait été exterminée. On a dit que même les enfants qui s’étaient dispersés avaient été tués vers SONGA. La personne m’a ramené des médicaments. Elle m’a dit qu’il ne restait plus personne. Je gardais un peu d’espoir puisqu’une de mes sœurs était scolarisée à l’école d’infirmière. Je suis resté au même endroit, grâce aux médicaments je me suis remis de la maladie. J’ai attendu pour revenir à NYANZA vers la fin du mois de juin.
La famille de mon « ami » m’a aidé et m’a fait passer pour le chef de ce ménage. On avait un mot de passe. Quand quelqu’un venait, on parlait du chef de famille. J’ai regagné NYANZA fin juin, j’ai trouvé notre domicile incendié. Les informations que les gens nous ont fournis indiquaient que les gendarmes avaient lancé un obus chez nous.
Plus tard, j’ai vu des militaires du FPR[8], dans un garage, je leur ai dit que j’étais en 4ème année d’étude de mécanique. A 19 ans, du jour au lendemain, je suis devenu responsable de ma famille. Par chance, toutes les maisons n’avaient pas été détruites. J’ai appris que ma sœur était encore vivante et était dans la Zone Turquoise[13] : les Français avaient retrouvé les élèves infirmiers et étaient partis avec ma sœur.
À la fin du génocide, dans une famille de neuf membres, nous n’étions plus que deux. Mes parents avaient été tués dans la ville de NYANZA, je voulais les inhumer dignement. Je me disais que c’était déshonorant de s’imaginer que mes parents gisaient dans les latrines. C’est en novembre 1995 que j’ai procédé à leur inhumation. J’ai abandonné les études. Le rêve de devenir ingénieur, j’ai dû l’abandonner car je devais chercher de l’argent en vue d’assurer notre survie. Je suis allé chercher, en guise de ressource, la pension à laquelle mes parents avaient droit. Il y avait des documents à remplir, mais je devais avoir 21 ans ou venir accompagné d’un membre de la famille. Je me suis adressé au procureur, il m’a dit de solliciter une émancipation. Je devais déposer une requête au tribunal. C’est à partir de là que j’ai réfléchi et que j’ai vu que ma situation devenait une affaire judiciaire.
Je me suis résolu à étudier le droit. C’est ainsi que j’ai introduit cette demande d’émancipation judiciaire, je l’ai obtenue. J’ai pu récupérer la pension de mes parents. Mon père n’avait pas encore procédé à l’enregistrement sous son nom. Des gens ont tenté de m’escroquer des immeubles. J’ai vu que pour faire face à cette vie on devait connaître le droit. Ma sœur a pu terminer sa scolarité.
À chaque période des commémoration, je ne vois pas où il faut rechercher ces enfants, s’il faut que j’aille du côté de SONGA. Je me demande si ces enfants sont encore en vie. Mais ce n’est pas possible. Une question importante que je me pose, c’est celle concernant le rôle des gendarmes. À NYANZA, il n’y avait pas d’autre organe qui devait assurer la sécurité de la population. Je me pose une question : est-ce que la personne qui allègue que ce ne sont pas les gendarmes qui les ont tués, est-ce qu’il dit que c’est quelqu’un d’autre qui a fait ça ? On dirait qu’on raconte une fiction, quelque chose qui n’aurait pas existé. La nuit, les tueurs allaient se reposer, ils laissaient des barrières pour continuer à tuer les gens. Les informations qui me sont parvenues, je n’ai jamais entendu que quelqu’un a été tué la nuit, c’est arrivé en pleine journée, à la vue de tout le monde. Nous autres, victimes, nous n’arrivons pas à comprendre la situation à laquelle nous devons faire face après toutes ces années. Nous sommes reconnaissants à la justice française et à ce processus qui nous a offert cette opportunité de nous constituer partie civile. Nous pensons que chacun doit porter sa pierre à l’édifice pour que cela ne se reproduise plus jamais ».
Localisation des barrières à Nyanza. Cliquez sur la carte pour agrandir (un bouton apparaîtra alors en haut à gauche pour l’afficher en plein écran sur les navigateurs compatibles).
Questions
Sur question du président, il répond que son père était enseignant mais n’avait pas de fonction politique.
Des photos de la famille sont montrées. La victime précise qu’il a pu reconnaître les corps des membres de sa famille grâce aux vêtements.
Me EPOMA demande à la victime: « Y a t il des Hutu qui ont fait le choix de ne pas tuer? ». Il répond par l’affirmative et ajoute qu’il ne pourrait pas y avoir des rescapés autrement. Il ne sait pas si la gendarmerie de NYANZA a joué un rôle dans le massacre des Tutsi.
Sur question de son avocat, le témoin ne prétend pas qu’il y ait un lien entre le fait que son père ait fait un séjour en France en 1989 et son arrestation comme « complice » en 1990: » C’est peut-être un prétexte, mais s’il a été arrêté, c’est parce qu’il était Tutsi. »
Madame l’avocate générale remercie la partie civile pour son témoignage.
Me LHOTE demande à la partie civile si il comprend bien que la défense ne nie absolument pas le génocide et certines de ses composantes et cherche seulement à établir la vérité sur la responsabilité de BIGUMA. La victime affirme que les accusations de concertation des témoignage lui font de la peine car il parle de ce qu’il a vécu. Me LHOTE réaffirme très clairement que la défense ne nie pas les actes de génocide et qu’il s’agit seulement de remettre en cause la crédibilité de certains témoins.
Monsieur MUNYANKINDI souhaite demander à l’accusé comment le camion de son père a pu se retrouver à la gendarmerie après le génocide.
Réponse de BIGUMA: » Il y avait un commandant à la gendarmerie. Ce n’est pas à moi de répondre. »
Après avoir donné le nom des victimes de sa famille proche, le témoin termine son audition: « Ce qui est difficile, c’est qu’il nous revient de chercher à savoir comment les nôtres ont été tués. Ceux qui ont tué, et qui savent, ne disent rien.« Et puis, en réaction aux questions de la défense, il manifeste son étonnement: « Comment demander à un enfant de dix ans, qui court pour échapper à la mort, de dire quelle est la couleur de la voiture? »
Audition de madame GAUTHIER MUKARUMONGI, membre fondateur du CPCR.
Portrait © Francine Mayran, collection « PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA »
Je m’appelle Mukarumongi Dafroza-GAUTHIER
Je suis co-fondatrice du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) créé en novembre 2001.
Je suis aussi co-fondatrice de l’association IBUKA-France, crée en 2002
J’aime dire aussi que nous (le couple Gauthier), sommes de petites mains de la justice. Nous ne sommes animés par aucune haine, aucune vengeance envers les accusés avec qui je partage la même histoire, l’histoire du Rwanda, cette histoire qui s’écrit dans cette cour d’assises et qu’il faut écrire à l’endroit. Nous ne sommes animés que par une quête de justice, une quête de vérité.
Je suis née au Rwanda le 04/08/1954 à Astrida, devenue Butare, après l’indépendance. Je suis retraitée, ingénieur chimiste de formation. Je suis née dans une famille d’éleveurs Tutsi à l’ouest de Butare à une dizaine de kilomètres du Burundi voisin dans une région qui s’appelle NYARUGURU. Mes parents sont arrivés dans la région peu de temps avant ma naissance, sur cette colline de Rwamiko qui se trouvait dans l’ex-préfecture de GIKONGORO. Une partie du berceau familial de mon grand père habitait cette région. C’était de grandes familles d’éleveurs qui habitaient ces collines, non loin des uns des autres, beaucoup de tantes et oncles, beaucoup de cousins et cousines, ils aimaient se retrouver pour des événements familiaux.
Quant à ma mère, elle était native de Butare. Sa famille habitait dans un rayon de 2 à 3 km autour de Butare, sur les collines de Mbazi et Sovu. La dernière demeure de ma mère se situait sur la localité de Cyarwa, à quelques 500 mètres de l’université de Butare.
Ce bonheur de l’enfance fut éphémère car, très vite et très tôt la violence s’est invitée dans ma vie de petite fille et dans nos familles dès cette année 1959.
Et, aussi loin que remontent mes souvenirs de petite fille, deux événements restent gravés dans ma mémoire :
Je me souviens de cet instant où mon père vient annoncer à la maison la mort du roi Mutara III Rudahigwa, je devais avoir autour de cinq ans. Je vois les grandes personnes bouleversées et ma mère qui s’essuie les yeux… mais ce n’est que plus tard que je comprendrai la portée de cet événement…
Un deuxième événement, plus proche de nos familles, et qui doit se situer dans le courant de l’année 1960, fut l’assassinat de mon instituteur de l’école primaire, à coups de hache, décapité, (on apprendra cela plus tard) : il s’appelait Ludoviko, en français Louis. Il était très aimé sur notre colline. Un voisin est venu souffler quelque chose à l’oreille de ma mère. Je la vois paniquée, catastrophée, déstabilisée, et cachant ses larmes…
Depuis cet assassinat, un premier regroupement familial avec les familles tutsi les plus proches dont celle de mon cousin RUHINGUBUGI qui habitait au-dessus, va avoir lieu. La peur était perceptible, le monde semblait s’être arrêté ! En début de soirée, deux employés de chez ma tante paternelle sont arrivés. Je vois encore ma mère ramasser quelques petites affaires et les mettre dans de grosses malles. Je comprends avec mes yeux d’enfant que la situation n’est pas normale. Pendant la nuit, nous sommes partis à pied chez mon oncle NGENZI à environ trois Kilomètres, avec tous les occupants de la maison. Un deuxième regroupement familial venait de commencer.
Dès le lendemain, ou le surlendemain, notre maison et celles des familles voisines tutsi furent pillées et brûlées. Nous avons tout perdu! Je ne suis jamais retournée à Rwamiko jusqu’à ce jour… !
Une grande période d’errance commençait pour nous et pour les Tutsi de notre région.
Et c’est en ces années-là, de 1959 à 1962, que nos familles tutsi de la région vont fuir en masse et se réfugier au Burundi, voisin, nous habitions à peine à vingt kilomètres de la frontière.
L’année 1963 fut une année meurtrière et sanguinaire dans notre région de Gikongoro. Au moins 10 000 morts. Bertrand RUSSEL, philosophe, parle du « petit génocide de Gikongoro », dans le journal Le Monde daté du 6 février 1964 :
« Le massacre d’hommes le plus horrible et le plus systématique auquel il a été donné d’assister depuis l’extermination des Juifs par les nazis ».
À 9 ans, je dois la vie sauve à l’église de Kibeho où nous avons trouvé refuge avec ma mère, ma famille proche et d’autres Tutsi de notre région. Les miliciens ne massacraient pas dans les églises à l’époque, ce qui ne fut pas le cas en 1994 où ce tabou a volé en éclat et où les églises sont devenues des lieux de massacres de masse, et des lieux d’exécution.
À la suite de ce massacre de la région de Gikongoro, beaucoup de rescapés de nos familles ont été déplacés dans la région du Bugesera, au sud-est de Kigali. C’était à l’époque une région peuplée de bêtes sauvages, une région inhospitalière, sans eau potable, une région où sévissait la mouche tsé-tsé. Des familles entières ont été décimées sans possibilité de soins. Il a été question du Bugesera devant cette Cour d’assise à propos du massacre de 1992.
Les Tutsi, contraints à l’exil en 1963, ayant survécu à la mouche tsé-tsé, ayant survécu aux massacres de 1992, vont périr en masse en 1994. Il n’y a presque pas eu de survivants dans la région du Bugesera. Le génocide les a emportés en masse. Les survivants se comptent sur les doigts d’une main.
Nous avons même été réfugiés à l’intérieur de notre propre pays.
Je suis allée en pension très jeune, de la 3ème à la 6ème primaire, chez les religieuses de la congrégation BENEBIKIRA de KIBEHO, avec d’autres enfants tutsi dont ma cousine Emma. Nos parents nous avaient mis à l’abri, pensaient-ils. Nous avons appris à nous passer d’eux très tôt, trop jeunes… à nous passer de la douceur familiale.
Nous étions des citoyens de seconde zone, nous Tutsi, avec nos cartes d’identité sur lesquelles figurait la mention « Tutsi ».
Nous étions des étrangers chez nous.
Plus tard, après mes années de collège à Save, à 10 kilomètres de Butare, quand j’entre au Lycée Notre-Dame des CITEAUX à Kigali à environ 130 kilomètres, je devais me munir d’un « laisser passer » délivré par la préfecture. Je n’étais pas la seule. Au fameux pont de la Nyabarongo, au pied du Mont Kigali, nous devions descendre du bus pour y être contrôlés et présenter nos laisser-passer, nous les Tutsi, au vu de notre faciès…. Cette opération pouvait prendre des heures. Nous étions insultés, voire brutalisés, parfois, humiliés, et tout cela reste gravé dans nos mémoires…
Nous avons grandi dans cette ambiance de peur et d’exclusion, avec la révolte au fond de nous … ! Enfant, notre mère nous a appris à nous taire, à nous faire petit, pas de vague : à l’école, au collège, au lycée, dans la rue, à l’église, partout, il ne fallait pas se faire remarquer, il fallait se taire, baisser les yeux, essayer de passer inaperçu!…
J’ai eu la chance d’aller à l’école et de poursuivre une scolarité normale. Beaucoup de Tutsi, surtout des garçons, ne pouvaient pas accéder à l’école secondaire de l’Etat et à l’université. C’était la période des quotas. Le témoignage de SINZI devant cette cour d’assises est un exemple parmi beaucoup d’autres, il a dû s’exiler au BURUNDI pour pouvoir faire ses études secondaires.
Et c’est en ce début 1973 que j’ai quitté mon pays pour me réfugier au Burundi après la période des pogroms de cette époque. Cet épisode a été évoqué devant cette Cour d’assises. Chassés des écoles, des lycées, des universités, de la fonction publique d’État, et autres emplois du secteur privé, les Tutsi vont de nouveau se réfugier dans les pays limitrophes et grossir les effectifs de réfugiés Tutsi des années précédentes, ceux de nos vieilles familles d’exilés depuis 1959.
J’entends encore notre mère nous dire, en ce début février 1973, avec ma sœur, qu’il fallait partir et le plus vite possible. Elle avait peur de nous voir tuées ou violées sous ses yeux, nous dira-t-elle plus tard… Ce fut une séparation très douloureuse, j’ai hésité… Je me souviens de ces moments si tristes, si déchirants… à la nuit tombée, où il fallait partir si vite, sans se retourner, les yeux pleins de larmes!
Après notre départ, notre mère fut convoquée par le bourgmestre de notre commune, un certain J.B. KAGABO, et mise au cachot communal. On lui reprochait son manque de civisme, à cause de notre fuite. Elle en sortira le bras droit en écharpe, cassé, nous dira-t-elle plus tard. Je me sentais coupable d’avoir fui, et de l’avoir abandonnée !
Je vous épargne le récit de ce périple en pleine nuit à travers les marais de la KANYARU, le fleuve qui sépare le Rwanda et du Burundi. Vous en avez entendu parler dans ce procès. Nous avons quitté BUTARE à deux véhicules, entassés, 6 par 6 par véhicule. Nous avons longé la piste en terre sous les collines du MAYAGA, le long de l’AKANYARU qui mène jusqu’au lieu de passage. Une traversée interminable en deux jours, où le groupe de nos amis de Butare, nous ayant précédés, n’aura pas la chance d’arriver, ils ont été sauvagement assassinés par les passeurs, ces piroguiers qui voulaient prendre leur maigre butin… Nous avons eu de la chance, les hommes de notre groupe étaient plus forts et plus nombreux et nous avons pu regagner le nord du BURUNDI, près de KIRUNDO, au bord de l’épuisement, mais sans trop de dégâts. Cette traversée revient souvent dans mes rêves ou mes cauchemars, nous avons vu la mort de très près. Nos corps en portent encore les stigmates.
Au BURUNDI, un camp du HCR nous attendait près de KIRUNDO avec ses bâches bleues comme seul abri de fortune. Nous n’avons pas été accueillis les bras ouverts par nos frères burundais, je m’en souviens. Vivre un exil forcé est une expérience unique dont on ne sort jamais indemne. Elle conditionne le reste de votre vie !
Après quelques jours au camp de KIRUNDO, environ six semaines, un premier tri est effectué parmi les réfugiés pour rejoindre la capitale Bujumbura. Je fais partie du premier voyage avec ma sœur. Je ne resterai à Bujumbura que sept mois, pour ensuite rejoindre mon frère aîné, François, réfugié en Belgique depuis le début des années 60. J’ai pu poursuivre mes études.
Mon statut, depuis le Burundi, est celui de réfugiée politique, « Titre de voyage » délivré par le HCR et les restrictions que ce document imposait à l’époque. J’obtiendrai en 1977 la nationalité française après notre mariage.
De 1977 à 1989 ce sont des années sans histoires, une vie de famille ordinaire avec nos trois enfants. Nous avons pu retourner au Rwanda régulièrement voir ma mère et les familles qui s’y trouvaient encore avec mon passeport français.
Notre dernier voyage en famille, à Butare, date de l’été 1989, notre plus jeune, Sarah, avait un an. Au cours de cet été 89, nous avons profité de ces vacances à Butare pour visiter nos familles réfugiées au Burundi. Je me souviens encore de cet incident où lorsqu’on arrive à la KANYARU, au poste frontière avec le BURUNDI, la police va nous arrêter. Elle va laisser passer tous les véhicules, sauf le nôtre. Ils nous ont fait attendre une journée presque entière, avec nos jeunes enfants ! Nous avions des papiers en règle, des passeports en règle, tout était en ordre, mais ils vont trouver le moyen de nous humilier, une fois de plus, sans autre explication, j’étais révoltée ! Cela me rappelait mes années lycée au pont de la NYABARONGO, mais je n’étais plus seule, nos enfants subissaient sans rien comprendre!
La guerre éclata entre le FPR et le gouvernement de HABYARIMANA le 1er octobre 1990 et nous ne pouvions plus aller au Rwanda visiter ma mère.
Le FPR attaque par le nord du pays. Les nouvelles du pays nous arrivaient des différentes sources, notamment par les rapports des ONG. Certains ont été évoqués par les témoins de contexte dès les premières semaines de ce procès. Mon frère suivait de très près l’évolution politique du pays via le front. Il avait aussi beaucoup d’amis militants des droits de l’homme sur place, entre autres Fidèle KANYABUGOYI et Ignace RUHATANA, ses amis, membres fondateurs de l’association KANYARWANDA. Ils seront tous les deux sauvagement assassinés en 1994 avec la quasi-totalité des membres de l’association KANYARWANDA.
En cette fin février 1994, je pars seule au Rwanda pour voir ma mère qui se reposait en famille à Kigali chez Geneviève et Canisius, mes cousins. Ils habitaient Nyamirambo, près de la paroisse St-André. Ils avaient une pharmacie. Canisius et Geneviève, sa femme, avaient fui comme moi en 1973. Nous étions au Burundi ensemble. Ils avaient ensuite quitté le Burundi pour regagner le Zaïre à la recherche de meilleures conditions de vie. Ils reviendront ensuite au Rwanda dans les années 80 lorsque le Président Habyarimana a incité les réfugiés tutsi à revenir pour reconstruire le pays. Certains de nos amis et membres de notre famille sont rentrés d’exil à ce moment-là, et ils n’échapperont pas au génocide de 1994. Ils ont été emportés en masse.
Je me rends donc au pays, en cette fin février 94, ce fut : « un voyage au bout de la nuit » ! J’arrive à Kigali le jour du meeting du parti MDR[14] qui avait lieu au stade de Nyamirambo, sur les hauteurs de notre quartier, sous le Mont Kigali. À la sortie du stade, c’était des bagarres entre milices de la CDR[15], du MRND[16], du MDR[14], et du PSD[17], mais on s’en prenait surtout aux Tutsi, les boucs-émissaires de toujours ! C’est une période où la RTLM[18], la Radiotélévision des Mille Collines, était à l’œuvre. Elle diffusait nuit et jour ses messages de haine, d’horreur et d’appel aux meurtres en citant des listes de Tutsi à tuer ainsi que leur quartier de résidence.
À Kigali, durant cette période, des Tutsi étaient attaqués à leur domicile, et étaient tués, sans aucun autre motif si ce n’est être des complices du FPR!
Dans la nuit du 21 février 1994, le ministre des Travaux publics, GATABAZI Félicien, le président du parti PSD, est assassiné. Il était originaire de Butare. On a évoqué cet assassinat devant cette Cour d’assises. En représailles, les partisans de GATABAZI ont assassiné BUCYAHANA, le leader de la CDR, le parti extrémiste, près de Butare, à MBAZI exactement, alors qu’il partait à Cyangugu d’où il était originaire. Très rapidement, certains quartiers de Kigali étaient quadrillés et attaqués. Je pense au quartier de GIKONDO où habitait BUCYAHANA mais aussi ma tante Pascasie et ses enfants et petits-enfants. Ils ont subi des représailles, ainsi que les autres Tutsi du même quartier. Les Interahamwe[2] de GIKONDO étaient connus pour être des plus extrémistes, réputés aussi pour leur cruauté. En ces mois de février et mars, et dans la ville de Kigali, des Tutsi ont fui dans les églises, et dans d’autres lieux qu’ils croyaient sûrs, comme au Centre Christus, le couvent des Jésuites. Beaucoup de nos familles tutsi et amis y ont trouvé refuge : ils y passeront quelques jours. Cette semaine fut particulièrement meurtrière à Kigali alors qu’ailleurs, dans le pays, il y avait un calme relatif. A Nyanza, les témoins-rescapé-e-s nous ont parlé des menaces et des intimidations qu’ils ont subies à la suite de l’assassinat de BUCYANA, le leader de la CDR. Les Tutsi ont dû quitter leur domicile pour trouver des cachettes en attendant le calme.
J’évoque toujours cette période avec beaucoup de tristesse. J’aurais aimé faire exfiltrer ma famille, certains d’entre eux, ceux que je pensais être les plus exposés, comme Canisius, pour qu’ils puissent quitter Kigali ! Mais il était déjà trop tard… ! Moi, comme d’autres, nous avons échoué… Kigali était bouclée par toutes les sorties, on ne passait plus quand on était Tutsi! La tension était à son maximum!
Nous ne sortions pas de la maison, cette semaine-là, sauf une fois, au petit marché de Nyamirambo, tout prêt, avec ma cousine, pour un petit ravitaillement. Mon cousin dormait à l’extérieur quelque part et rentrait au petit matin…. C’est une semaine où on entendait des cris, des hurlements, des attaques à la grenade dans le quartier qui rythmaient ces journées sans fin!
Tous les jours on subissait des provocations de miliciens, avec des projectiles sur le toit de la maison. De gros pneus brûlaient à longueur de journée devant la pharmacie, dans le caniveau, sur le boulevard. Je me souviens de la quinte de toux que cela provoquait chez ma mère qui était asthmatique, et nos yeux étaient irrités par cette fumée épaisse d’hydrocarbures et de plastiques.
Je me souviendrai toujours des conseils trop naïfs de ma cousine Geneviève qui me disait de ne porter que des pantalons, on ne sait jamais, car elle et les autres femmes portaient des caleçons longs sous leur pagne! Comme si cela pouvait éloigner les violeurs!…
L’insécurité était totale dans le quartier de St-André et ailleurs dans Kigali. Nyamirambo était réputé pour être habité par beaucoup de Tutsi. Ma mère était très inquiète, et elle me dira qu’il faut partir le plus vite possible, comme en 1973. « Cette fois-ci, tu as ton mari et des enfants, il ne faut pas que la mort te trouve ici et que l’on périsse tous en même temps » ! Elle ne se faisait plus d’illusion! Par l’aide d’un ami, j’ai pu avancer ma date de retour!…
Moi, j’ai sauvé ma peau, mais pas eux!
Avant de quitter le pays, j’ai appelé ma famille de Butare et leur ai conseillé de fuir le plus vite possible. Dans leur naïveté, ils m’ont répondu que ce sont des histoires politiciennes de Kigali et que ça ne pouvait pas se produire à BUTARE où le calme régnait. Ils étaient confiants grâce à la bonne gouvernance du préfet J.B. HABYARIMANA. La préfecture de Butare n’avait pas connu de massacres depuis 1959.
Le retour en France en ce mois de mars 1994 fut très dur, avec ce sentiment de culpabilité qui ne me quittait jamais. Je me sentais coupable et lâche de les avoir laissés, de les avoir abandonnés dans ces moments critiques!… Nous prendrons des nouvelles régulièrement par l’intermédiaire d’un ami. Au vu de l’insécurité grandissante, ma famille a fini par se réfugier à la paroisse St-André pendant la semaine qui a suivi mon retour.
Alain, se met à alerter de nouveau : il écrit à François Mitterrand, mais c’est un cri dans le désert! Il ne sera pas entendu à l’image de l’appel de Jean Carbonare sur France 2, après son retour de mission avec les ONG des droits de l’homme ayant enquêté sur le massacre des BAGOGWE, cette communauté des éleveurs Tutsi du nord-ouest du Rwanda.
Le 6 avril 1994, je ne me souviens plus exactement de cette soirée en famille. Je me souviens surtout de la matinée du 7 avril, très tôt, le matin, où Alain qui écoutait RFI m’a annoncé la chute de l’avion et la mort du président Habyarimana. Dans la foulée, je téléphone à mon frère à Bruxelles pour avoir des nouvelles fraîches. Mais avant même de quitter la maison pour aller au travail, je reçois un coup de fil d’une compatriote journaliste, Madeleine MUKAMABANO, qui m’annonce l’attaque du couvent des Jésuites à Remera, à Kigali, et de la famille Cyprien RUGAMBA, un historien, ami de la famille. Mon frère m’apprend également le sort incertain des personnalités de l’opposition dont celui de Madame UWILINGIYIMANA Agathe, Premier ministre. Je connaissais Agathe jeune, nous étions sur les mêmes bancs au lycée notre Dame et elle était de la région de BUTARE comme moi, on prenait le même bus ensemble pour aller au Lycée.
Avec le voyage que je venais de faire, j’ai compris que la machine d’extermination était cette-fois ci en marche !
Le 7 avril 1994, une journée maudite qui a duré 100 jours. Il y aura un avant et un après le 7 avril. Nous avons commencé ce jour- là une année zéro, une nouvelle ère.
Au matin du 7 avril, peu avant 6 heures, nous apprendrons que des militaires ont investi la maison à Nyamirambo. La pharmacie est pillée et tous les occupants sont priés de sortir, les mains en l’air, dans la cour intérieure entre la maison d’habitation et la pharmacie. Ils devaient être autour d’une douzaine avec les amis et visiteurs qui n’avaient pas pu repartir chez eux au vu de la situation. Ils vont réussir en ce matin du 7 avril à rejoindre l’église Charles LWANGA, de l’autre côté du boulevard, moyennant une somme d’argent! D’autres Tutsi du quartier les rejoindront. Ils passeront cette première journée du 7 ainsi que la nuit dans l’église.
Le 8 avril, dans la matinée, peu avant 10 heures, des miliciens accompagnés de militaires attaquent l’église. Ils demandent aux réfugiés de sortir. Des coups de feu sont tirés, des grenades explosent, des corps tombent et jonchent le sol de l’église, tandis que d’autres réfugiés tentent de s’enfuir vers l’extérieur en empruntant les escaliers pour rejoindre les habitations!
Ma mère, Suzana MUKAMUSONI, âgée de 70 ans, est assassinée de deux balles dans le dos au pied de ces escaliers, dans la cour de l’église. Notre voisine, Tatiana, tombera à ses côtés aussi avec son petit-fils de deux ans qu’elle portait dans le dos. Les trois sont mortellement touchés, ils ne sont pas les seuls, d’autres victimes sont allongées dans la cour, tuées ou grièvement blessées, comme Gilberte, plus connue dans la famille sous le petit nom de Mama Gentille, la femme d’un de mes cousins, l’une des occupants de la maison au matin du 7 avril : elle sera évacuée par la Croix-Rouge vers l’hôpital de Kabgayi.
Nous apprendrons plus tard que grâce à une pluie abondante qui s’est mise à tomber, les miliciens et les militaires se sont éloignés pour se mettre à l’abri. Pendant ce temps-là, les survivants de l’église parviendront à atteindre le presbytère et à s’y réfugier. Ce jour-là, mes deux cousins en font partie.
C’est en fin de journée du 8 avril que j’apprendrai la mort de ma mère. Alain a réussi à joindre au téléphone un des prêtres de la paroisse, le père Otto MAYER, qui lui demande de rappeler en fin de journée. C’est le curé de la paroisse, le Père Henry BLANCHARD, qui lui apprendra le décès de maman. Mon corps m’abandonne en apprenant la nouvelle : je ne me souviens plus de la suite de cette soirée du 8 avril.
Des quatorze occupants de la maison de Nyamirambo, seule Gilberte, alias mama Gentille, survivra à l’attaque du 8 avril avec des blessures par balle. Mon cousin Canisius KAGAMBAGE sera fusillé chez les frères Joséphites le 6 juin 1994 chez qui il était parvenu à se cacher avec plus de soixante-dix autres Tutsi dont cinq frères Joséphites. Nous avons retrouvé sa dépouille lorsque la fosse de chez les Frères a été ouverte, grâce à sa carte d’identité dans la poche de son pantalon. Quant à ma cousine Geneviève, elle sera tuée le 10 juin, à quatre jours d’intervalle, avec la centaine de réfugiés de la paroisse St-André! Elle sera jetée dans une fosse commune d’un quartier de Nyamirambo, avec les autres, dont une centaine d’enfants. Et lorsque la fosse a été ouverte en 2004, on n’a pas trouvé de corps, juste des bouts de rotules et quelques mâchoires ! Nous avons même été privés de leurs dépouilles.
Devant cette Cour d’assises, vous avez écouté beaucoup de rescapé-e-s qui cherchent à savoir où se trouvent les restes de leur famille, comme Primitive, la fille de Pierre Nyakarashi, qui a interpellé l’accusé pour lui demander où se trouvent les restes du corps de son papa. Difficile d’entamer un travail de deuil..
Je me souviendrai toujours de ce mois de juin 2004, 10 ans après le génocide, où nous avons dû repartir précipitamment, au Rwanda, lorsqu’une amie nous a annoncé qu’une fosse commune avait été identifiée à la paroisse St-André. D’après certains récits, ma mère pouvait se trouver dans celle-là avec ceux qui avaient été assassinés le même jour. Nous partons tous les deux pour Kigali sans nos enfants. Nous y étions pour les commémorations quelques semaines auparavant. L’ouverture de la fosse s’est faite en présence des familles venues de partout : du Canada, d’Afrique du Sud, des USA et d’ailleurs. Quelques rescapés de Nyamirambo et amis proches étaient là également.
Ce sont des moments difficiles pour les familles et les proches : difficile de contenir ses émotions. C’est un stress bien particulier entre des cris et des crises de nerfs. Il arrive même que l’on se chamaille autour de ces fosses du désespoir où chacun croit reconnaître ses proches Chacun va scruter le moindre signe distinctif, un habit, un bijou, une chaussure…. Des odeurs qui ne vous quitteront plus jamais, elles restent imprimées pour toujours dans votre cerveau!
De cette fosse de la paroisse St-André, deux corps seulement ont été formellement identifiés, il s’agit d’un jeune joueur de basket de 20 ans, Emmanuel, je crois, reconnu par son frère. Son corps entier va apparaitre, en tenue de sport, maillot orange fluo, numéro 14 : il semblait dormir d’un sommeil profond, la tête enfoncée dans le sol rouge sableux de cette terre de la paroisse St-André. L’autre corps était celui d’un jeune enfant de 7 ans, identifié par son cousin, grâce aux habits qu’il portait ce jour- là.
Pour ma part, je me contenterai d’un bout de bracelet en cuivre et d’un chapelet comme unique signes distinctifs, en espérant que c’étaient ceux de ma mère. Je les ai ramenés à Reims pour les montrer à nos enfants!
En 1994, au RWANDA, les Tutsi n’ont pas été enterrés, ils ne sont pas morts sereinement, ni paisiblement, ils sont morts dans des souffrances atroces, affamés, assoiffés, humiliés, décapités, brûlés vifs, découpés, chassés comme des gibiers, leurs corps dépecés ont été jetés à moitié vivants ou à moitié morts dans des énormes trous, dans des latrines, dans la rivière MWOGO, des corps mangés et déchiquetés par des chiens, par des rapaces, des corps profanés et niés. Les TUTSI de Nyanza, de NYABUBARE, de NYAMURE, de KARAMA, de l’Isar-SONGA et partout dans cette région du MAYAGA ont subi le même sort.
Tous ces lieux martyrs, tous ce sang versé, le sang des innocents qui n’avaient commis d’autre crime que d’être nés TUTSI.
Nos morts hantent toujours nos esprits, en particulier certains, les enfants surtout, emportés dans leur innocence, emportés sans rien comprendre. Difficile de les oublier. Souvenez-vous de ce bébé qui n’a pas eu le temps de voir le jour à NYAMURE, souvenez-vous de ces enfants dépecés de NYABUBARE sous les yeux hagards de François HABIMANA qui a du mal encore aujourd’hui à parler de cet épisode traumatique de sa vie!…
Du côté de ma mère, près de BUTARE, aucun survivant retrouvé à ce jour ! Ma mère, avait une fratrie de cinq, ils avaient des enfants et de nombreux petits enfants Des familles disparues à jamais, vous en avez entendu parler devant cette cour d’assises. ! Des lieux méconnaissables, des maisons complètement rasées, des herbes qui ont poussé, des arbres arrachés, rien n’a survécu et toute trace de vie a été effacée…c’est le génocide! Compter nos morts, c’est s’exposer au vertige et à ce gouffre toujours prêt à nous engloutir!
Il est impensable d’imaginer que de toutes ces vies qui ne demandaient qu’à vivre, il ne reste rien!…
Le génocide c’est la mal absolu. Le mal dont on ne guérit jamais.
Chacun essaie d’y survivre à sa manière, à sa façon, pour éviter de disparaître à son tour.
Après le génocide, pourtant, une seconde vie a commencé avec ce « passé qui ne passe pas ». Notre première vie s’est arrêtée brutalement un jeudi 7 avril 1994 nous laissant un héritage très lourd. Notre seconde vie, chaotique parfois, est peuplée de nos fantômes familiaux, de nos êtres si chers ; et de ces immenses vides abyssaux. Elle sera celle d’une « mémoire trouée », celle de l’ « abîme et du néant » nous laissant dans un silence assourdissant.
Le génocide nous a définitivement abîmés.
Aujourd’hui, nous célébrons leur souvenir. Nous célébrons leur mémoire. Nous sommes les héritiers de cette mémoire, nous sommes les témoins de cette histoire, que nous devons écrire à l’endroit. Nous sommes les passeurs de cette mémoire, notre « Mémoire » , la mémoire du génocide.
« Ibuka, souviens-toi! »
Souvenez-vous de la joie d’Apollonia CYIMUSHARA, venue déposer devant cette cour d’assises, une promesse qu’elle a faite à son clan, les ABAJIJI, ces résistants de KARAMA. Elle est venue honorer leur mémoire en tant que survivante de cette hécatombe.
Avec cet héritage, nous sommes devenus des êtres singuliers.
Pour ma génération marquée par plus de 30 années de lutte contre l’impunité, nous avons une énorme responsabilité. Au Rwanda, on a pu tuer les Tutsi sans être inquiété de 1959 à 1994. L’impunité était la norme. Des rescapé-e-s sont venus ici demander la justice. Cette justice qui contribue à réhabiliter les victimes, à honorer leur mémoire et à leur donner une sépulture digne. Cette justice est salutaire pour nous tous. Elle est une arme contre l’oubli, une arme contre le négationnisme dont nous avons été témoins devant cette cour d’assises.
« Survivre au génocide et survivre ensuite au déni de nos existences, c’est devoir survivre une deuxième fois ».
Les témoignages donnés devant cette cour sont une démonstration, ils sont une preuve indélébile de ce qui s’est passé à Nyanza et sur ces collines martyres de NYABUBARE, de NYAMURE, de KARAMA, de SONGA et aux alentours. Nul ne pourra le nier, nul ne pourra dire que cela n’a pas eu lieu. C’est aussi le rôle de ces procès d’assises.
Pour terminer, je voudrais me souvenir de deux familles de Nyanza, celle de Raphaël MUREKEZI alias FATIKARAMU, un de mes nombreux cousins, et celle d’Antoine NTAGUGURA, ses voisins et amis, les deux ont été évoqué lors des débats devant la cour.
Je voudrais aussi me souvenir d’un petit garçon de la famille, Olivier MURENZI, 10 ans, tué à la barrière de l’hôpital de Nyanza.
Évoquer leur vie pour qu’ils retrouvent leur visage, évoquer leur vie pour les habiller un peu et rassembler tous ces morceaux éparpillés, désarticulés, démembrés, souillés et dénudés.
Evoquer leur vie, c’est les sortir de l’anonymat de ces fosses communes où les tueurs les ont jetés, ces tombes sans noms , pour les ressusciter un peu.
Ces victimes sont restées silencieuses pendant ce procès, et elles ne viendront pas à la barre pour réclamer justice, faute d’avoir survécu, faute d’avoir pu être identifier dans ces nombreux charniers dont celui du stade de Nyanza où a été jeté Raphaël et ses trois enfants : Régis, Muriel et Solange.
Josepha et Fatikaramu
Raphaël MUREKEZI alias FATIKARAMU a fait ses études secondaires au Groupe scolaire de BUTARE. Il aurait bien voulu aller à l’université mais c’était la période des quotas. Il est allé ensuite enseigner au Collège des Humanités Modernes de Nyanza devenu l’école des Sciences de Nyanza par la suite. Grand joueur de football au Club Rayon Sports de NYANZA, c’est ici qu’il fut surnommé FATIKARAMU, littéralement : « prend un crayon ». Prendre un crayon pour noter le nombre de buts marqués (il en marquait beaucoup) de peur de les oublier…
(photo de FATKARAMU seul )
En 1973, il se maria, et comme beaucoup de Tutsi intellectuels, il a dû quitter le pays pour se réfugier au BURUNDI.
C’est après le coup d’état de Habyarimana en juillet 1973 que FATIKARAMU est rentré au pays.
Plus tard, les professeurs du secondaire comme lui qui n’avaient pas fait des études universitaires ont été reclassés pour enseigner dans les écoles primaires. Josépha, sa femme, était aussi institutrice. Raphaël, le sportif, était très aimé à Nyanza, il était l’ami des jeunes et des moins jeunes. Il était membre fondateur, avec d’autres, comme Antoine NTAGUGURA, son ami, de l’école ESPANYA, une école secondaire des parents de NYANZA.
La famille NTAGUGURA Antoine et la famille FATIKARAMU étaient très amies et voisines. Elles habitaient dans le quartier dit « GAKENYERI » près de l’orphelinat de Nyanza pour ceux qui connaissent ces lieux.
Au début du génocide vers le 22/04/1994, les familles d’Antoine et de FATIKARAMU sont allées se cacher à RUSATIRA. FATIKARAMU était avec trois de ses cinq enfants (Régis-Murielle-Solange) et Antoine également avec trois des cinq leurs (Pascale- Pascal- Eugène). Ils ont été dénoncés et ce sont les gendarmes de Nyanza qui sont venus les chercher en compagnie du grand Interahamwe KANDAGAYE. Ils ont été emmenés à Nyanza pour y être tués près du stade. Pascaline qui était cachée par la femme de KANDAGAYE (à l’insu de ce dernier), l’a entendu se vanter de leur exploit le soir, disant que « les chefs des cafards de Nyanza étaient morts ».
Chez les FATIKARAMU, seuls ont survécu les deux garçons, Olivier qui était à Kigali et le petit dernier, Pacifique, caché par une voisine hutu de Nyanza.
Antoine NTAGUGURA était avec ses deux plus jeunes fils, Pascal et le cadet Eugène ainsi que Jean Paul, le fils de leur voisin, Enoch.
Josépha serait parvenue à aller jusqu’à BUTARE où elle a été tuée le jour de la libération de Butare, le 4 juillet, par ceux-là mêmes qui l’avaient cachée avant de fuir.
Quant à Anastasia NTAGUGURA, elle a continué à travailler à l’hôpital et on ne sait pas quand elle a été tuée. Chez les NTAGUGURA, seule Pascale a survécu après un long périple!
Anastasia et Antoine Ntagurura. Les quatre garçons : Pascal, Eugène, Placide et Pacifique. En bas à droite : Pascale dite Pascaline et sa maman.
Je voudrais aussi rendre un hommage à un petit garçon de la famille : Olivier MURENZI. La famille habitait Kigali. Mais comme le génocide avait commencé à Kigali, la maman, Justine, en compagnie de ses quatre enfants, est allée se mettre à l’abri à Nyanza, chez des amis, pensait-elle… Le petit dernier, Benjamin, n’avait que deux mois, et était sur le dos de sa maman pendant toute cette errance. Comme les autres, Justine a dû chercher refuge ailleurs et son long chemin de croix l’a conduite à l’orphelinat du Père SIMONS à CYOTAMAKARA. C’est lors d’une opération où le FPR est venu libérer cet orphelinat, en pleine nuit, qu’Olivier, et un autre petit garçon, ne sachant pas ce qui se passait, ont eu peur et se sont enfuis vers Nyanza où ils seront tués à une des barrières, celle de l’hôpital de Nyanza.
Olivier était un petit garçon de dix ans, très aimant, très peureux ; peur de la punition, peur du noir, raconte sa sœur. Il aimait partager, surtout dans cet orphelinat où il n’y avait plus grand-chose à partager et où la famine s’était installée durablement…le peu d’eau qu’il pouvait trouver, il en partageait les moindres gouttes, se souvient sa sœur ADUHIRE. C’était un petit garçon très pieux. Il fut enfant de chœur à la cathédrale St-Michel de KIGALI. Durant leur fuite, quand il croisait les tueurs, il ouvrait sa bible et se mettait à dire son chapelet, raconte sa maman, et elle a eu l’impression que ce geste anodin d’Olivier les a protégés longtemps… Aîné des quatre enfants, il se sentait déjà responsable de sa fratrie dès son jeune âge. Très protecteur, surtout avec sa petite sœur qu’il allait attendre à la sortie de sa classe tous les jours en attendant que les parents arrivent. Nous nous souvenons du petit Olivier, de cette vie fauchée avant d’éclore!…
Je n’oublie pas, ô combien j’ai été bouleversée de voir le couple GAKUMBA Aloys, dont les photos ont été projetées par Sabine UWASE, leur petite fille qui a survécu. La tante de Sabine, Germaine BENEGUSENGA, était une amie d’enfance et je connaissais très bien ses parents, les GAKUMBA, chez qui je suis allée en vacances lors de nos années de collège.
Ibuka , ibuka, ibuka, souviens-toi…
Quelques victimes des familles des Parties Civiles :
NYANZA-NYABUBARE-NYAMURE-KARAMA-ISAR/SONGA
Ont été assassinés
MUREKEZI Raphaël alias FATIKARAMU
MUREKEZI Régis
MUREKEZI Murielle
MUREKEZI Solange
Ont été assassinés
NTAGUGURA Antoine
MUKAMPORANYI Anastasia
NTAGUGURA Pascal
NTAGUGURA Eugène
Jean-Paul
MURENZI Olivier 10 ans
Ont été assassinés
MUKARUBAYIZA Siforo, 48 ans,
MUKAMWIZA Rebecca, 25 ans,
MUGISHA Obed, 22 ans,
SEBERA Maurice, 20 ans
MUKANEZA Judith, 18 ans
MUKAMANZI Christine,16 ans
MUSHUMBA Elisha, 14 ans,
MAZIMPAKA Eliel, 12 ans
MUKANGEYO
Ont été assassinés
SEMANA Gérémie, sa femme et ses deux enfants
MUBILIGI Zéphania, 54 ans
MUBANDAKAZI Valérie, sa femme et leur 7 enfants et deux petits-enfants
BIZIMANA Charles
KAYIHURA Sosthène
UWIMANA Ereda, sa femme et 2 enfants
NICYORIBERA Michel
MUKAMUDENGE Speciosa, son épouse et leur 7 enfants
NYIRABAGENZI Eliane
NYIRAHABIMANA Pélagie et ses 3 enfants
WISHAKA Dativa
Spéciosa et ses 5 enfants
UWIMANA Rosa
KAMALI Innocent
Ont été assassinés
NYIRAMONDO Concessa
NYAKARASHI Pierre,
USENGUMUREMYI Vincent
KANIMBA Charles
MUKARURANGWA Gloriosa
KANAMUGIRE
MINANI
KIBIBI
MUKANDOLI Francina
MUREKEYISONI Laetitia
Ont eté assassinés
UWANTEGE Médiatrice
NYIRANKUSI Pascasie
MULISA Spéciosa
NTABANA Innocent
MUKABALISA Espérance
RUZINDANA Claude, son mari et leurs 2 enfants
NYIRANKUNDWA Devota
BUHIGA Maurice
KANGABE Xavier, et
MUKAMUDENGE, son épouse
SINZINKAYO Sostène, et
NYIRABAGENI son épouse
FORTUNATE et ses 3 enfants
MUNYANKINDI Damascène
MUKAGASANA et ses 2 enfants
MUKARURANGWA Anita et ses 4 enfants
RURANGWA
NYIRAMANA et son fils RUBAYIZA Félicien
MUKAKALISA Mariguerite et son mari et 2 enfants
MUKANTABANA et ses 4 enfants
Ont été assassinés
NYAGATARE François,
MUKAGASANA Geneviève,
MUKANKWIRO Thérèse,
MUKESHIMANA Françoise, 26 ans
NKORABIKINA Dominique, 24 ans
FIACRE, 21 ans
NTUKABUMWE, 20 ans
BAYINGANA, 19 ans
Niyonagira, 16 ans
Madibiri, 14 ans
Rukuturi,12 ans
Nyirinkindi Célestin
Mukaruganji Clotilde et ses 2 enfants
Concessa et ses 6 enfants
Madende et toute sa famille
Forodo, sa femme et leurs 7 enfants
Mathieu, sa femme et leurs 6 enfants
Valens, sa femme et leurs 7 enfants
Nyiridandi, sa femme et leurs 2 enfants
Ont été assassinés
NKURIYABEGA Joseph,son père
NYIRABUKARA Suzana, sa mère
RUTAYISIRE Innocent, 38 ans
RUDASINGWA Marcel, 30 ans
MUKAYISIRE Marie Chantal, 28 ans
MUHIRE Vincent,12 ans
RUDAHABA Léon, 11 ans
KANAZAYIRWA Léonce, 10 ans
UMURERWA, 8 ans
UMULISA Yvonne, 5 ans
Ont été assassinés
KABERUKA Félicien, 49 ans
MUKANKUSI Xavière, 47 ans
GAHUNGA Gaspard, 9 ans,
KAMONGI Charles, 6 ans,
MUTEMBAYIRE Philibert, 3 ans
Ont été assassinés
RWABUYONZA Antoine et Léa
BIKUGURU François,
NZIRAGUSESWA Jean Berchmans
KABERA Straton, 62 ans,
RWAGASORE Léonard, 67 ans
MUKASAMURAGWA Anastasia, 66 ans
Ont été assassinées
NIMUGIRE Marciana, 43 ans, et son mari Evariste
MUKAREMERA Médiatrice, 40 ans
MUKAMBUGUJE Madeleine, 37 ans
UWIMANA Dativa, 35 ans
MUKAGATARE Donatille
Ont été assassinés
GASHUMBA Joseph, 47 ans et sa femme Pauline
KAJAMAGE Claver, 34 ans
GAKUMBA Gaspard,32 ans
KAGONYERA, 31 ans
NTIGURIRWA,29 ans
HABYARIMANA Pilote,
SIMPUNGA Felix
Jason,
KAYUMBA Cyriaque, un frère religieux
KAYIGAMBA Antoine
NAMUHUNGU Alexis, 32 ans
MUKAMA
MUTIGANDA
Ont été assassinées
MADAMU, 45 ans
NYIRIBAMBE Marie, 43 ans
KANYUNDO Josée, 42 ans
MUKARUBEGA Triphine,29 ans
MUKARUHIMA Faustine,18 ans
UMULISA Jeanine,16 ans
MUKAKIGELI Pascasie
MUZIRANKONI Spéciosa
Annonciata
UWANTEGE et sa fille
MUKAMANA
KABEGA Pacaline
MUKARUKAKA Marguerite
« …N’oubliez pas cela fut, non, ne l’oubliez pas… »
Mukamugema Judith
Mes remerciements vont à la cour,
Mes remercîments à nos avocats, Philippe HERBEAUX, Sarah MARIE, et Domitille PHILIPPART, qui nous accompagne depuis toutes ces années, elle a porté ce dossier de bout en bout, Elle s’est rendue à NYANZA à plusieurs reprises, et ces collines du MAYAGA n’ont aucun secret pour elle !
À tous les membres du CPCR, sans qui ce travail ne serait pas possible.
Aux rescapés de notre famille qui ont compris très tôt l’indispensable travail de la justice, et son exigence. Leur contribution dès 1996 a été déterminante.
Je voudrais remercier tout particulièrement, « by’umwihariko » Canisius KABAGAMBA, responsable d’IBUKA à Nyanza, à l’époque, pour sa disponibilité, pour son dévouement sans faille, il n’a pas ménagé ses efforts pour que justice soit faite.
Et, pour finir, comme à chaque fois, ma profonde affection à nos enfants dont l’immense générosité nous a aidés à poursuivre ce travail de Mémoire et de Justice. Il n’est pas facile d’avoir des parents comme nous. Ils nous ont acceptés sans jamais nous juger, sans jamais nous rejeter, bien au contraire, ils nous ont entourés de leur soutien, de leur amour. Nous ne les remercierons jamais assez.
Questions:
Me LHOTE, pour la défense, prend la parole. Il commence par affirmer qu’il est touché par son témoignage et demande si elle comprend sa démarche. Elle répond que oui et qu’elle fait confiance au travail de la justice.
Me LHOTE lui pose des questions sur le CPCR. Elle répond que M. GAUTHIER en est le président et qu’elle en est membre actif. Elle le corrige sur le mot « traque » des génocidaires « Nous ne sommes pas des juges. C’est un devoir citoyen d’aller chercher la vérité ». Les victimes sont à la recherche des assassins de leur famille.
Sur questions de Me LHOTE, elle répond que le CPCR a participé à la constitution du dossier en collectant des témoignages. L’association a rencontré beaucoup de rescapés et quelques tueurs. Les visites en prison ont toujours été obtenues sur autorisation écrite du directeur de prison pour chaque détenu. Aucune demande de visite n’a jamais été refusée.
Le régime rwandais serait un régime autoritaire sous lequel les prisonniers peuvent être soumis à la torture? Elle ne l’a jamais constaté lors des visites. Les prisons sont visitées par la Croix-Rouge une fois par mois. « Vous avez le droit de le penser, mais je ne pense pas que ce soit la vérité ».
Me LHOTE demande si elle pense qu’une condamnation sur des témoignages imparfaits serait juste. Elle répond qu’elle a confiance en la justice et que ce n’est pas à elle de juger. Heureusement que les témoignages divergent, si tout le monde disait la même chose exactement 30 ans après les faits, ce serait inquiétant. Les couleurs des bérets, des voitures etc… ces détails sont insignifiants dans les souvenirs des rescapés.
Me LHOTE la questionne maintenant sur la crédibilité des témoignages de personnes qui ont participé au génocide. Elle explique qu’il faut se rendre compte dès le départ qu’ils ne disent pas toute la vérité. Il faut recueillir ce que l’ont peut. Ils disent ce qu’ils veulent dire. Elle précise qu’elle ne pose pas de question dirigée et qu’ils disent ce qu’ils ont bien envie de dire. Le CPCR n’est d’ailleurs pas avec les prisonniers lorsque ces derniers écrivent leur témoignage. Elle précise que pour ceux qui ne savent pas écrire, elle a déjà prêté sa main.
Me LHOTE l’interroge maintenant au sujet du tournage du documentaire Rwanda, à la poursuite des génocidaires de Thomas ZRIBI [19]. Elle explique que le tournage a eu lieu avant le premier procès et a été diffusé après. Il s’agissait d’une scène tournée pour une remise en situation pour les besoins du documentaire. Thomas ZRIBI leur avait demandé de faire un documentaire sur le travail du CPCR. Tous les témoignages ne sont pas retenus par le CPCR car certains sont inutiles
M. le président interrompt les questions pour dire que 10 témoignages ont été versés au départ à l’appui de la plainte. Tous les témoignages ont été entendus à nouveau.
Audition de monsieur Marcel KABANDA, président de IBUKA France[20].
Cérémonie du 7 avril 2018 à Paris (photo : ibuka-france.org – D.R.)
Le témoin fait part à la Cour qu’IBUKA France est une section indépendante d’IBUKA au Rwanda. Chaque association fonctionne selon l’ordre juridique du pays dans lequel elle existe. La fonction première est la mémoire du génocide. Le deuxième volet c’est la justice. La justice c’est aussi la mémoire. Le troisième volet c’est les rescapés. Il y en avait 300 000 au Rwanda en 1994. Il y en a moins aujourd’hui à cause des maladies et des blessures. Les rescapés vieillissent, il faut s’en occuper. En 1995, il fallait s’occuper de leur éducation, maintenant il faut s’occuper des personnes âgées.
Pour le volet de la mémoire: IBUKA organise les cérémonies de commémoration le 7 avril de chaque année et anime des rencontres dans des lycées.
Pour le volet de la Justice: IBUKA ne va pas sur le terrain pour enquêter. L’association apporte un soutien aux rescapés qui ont le courage de porter plainte. Il remercie l’institution de la justice qui a commencé avec quelques années de retard mais qui le fait. Il exprime son inquiétude car, depuis peu, les témoins cités par la défense ont tendance à avoir des propos négationnistes.
Aujourd’hui encore, il arrive que des rescapés soient tués par un prisonnier qui a été libéré!
La difficulté du témoignage : beaucoup de rescapés étaient des enfants. L’instinct de survie, c’est chercher à s’en sortir, pas à vérifier la couleur de la voiture. « On ne fait pas 6000 km pour qu’on vous raconte une histoire que l’on partagerait à la machine à café ». (NDR. Allusion à une remarque de la défense qui dénonce des témoignages stéréotypés partagés dans l’antichambre de la machine à café. Réflexion qui a soulevé les protestations de l’avocate générale, des parties civiles et de la salle.)
On ne dit pas à une victime qui vient de témoigner du viol de sa mère, que son discours est stéréotypé.
L’accusé est interrogé par le président, mais il n’a pas de commentaire à faire.
Sur les questions de Me AUBLE, il répond que IBUKA France est financé par les cotisations et les dons, que le budget annuel de l’association est de l’ordre de 50 000 euros. Il rappelle que IBUKA est régulièrement accusée d’être « un syndicat de délateurs », spécialisé dans la préparation des témoignages dans les procès. (NDR. Un des grands promoteurs de cette notion est un certain Joseph MATATA qui intervenait souvent à Bruxelles lors de colloques. Je crois me souvenir qu’il est venu aussi témoigner pour la défense d’une personne jugée en France). Ce sont des inepties car d’une part les témoins et les parties civiles ne sont pas tous connu d’IBUKA et d’autre part, personne ne peut mettre dans la tête d’une femme qu’elle a été violée. Il faut beaucoup de courage pour venir témoigner devant une Cour.
Madame l’avocate générale précise que la négation du génocide des Tutsi est un délit qui a été introduit dans la loi GUEYSSOT en 2017.
M. MANIER ne veut pas réagir ce soir.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑][↑][↑][↑]
3. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
4. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑][↑]
5. voir l’audition de Tharcisse SINZI, 15 juin 2023.[↑]
6. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
7. Gacaca : (se prononce « gatchatcha ») Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnels à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
8. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑][↑]
9. FARG : Fonds d’assistance aux rescapés du génocide[↑]
10. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑]
11. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.[↑]
12. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
13. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[↑]
14. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[↑][↑]
15. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
16. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[↑]
17. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
18. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[↑]
19. Rwanda, à la poursuite des génocidaires, un documentaire réalisé par Thomas Zribi et Stéphane Jobert, accessible en ligne sur LCP [↑]
20. https://www.ibuka-france.org[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 9 décembre 2024. J24
10/12/2024
• Décision concernant des demandes de la défense.
• Audition d’Alain GAUTHIER, président du CPCR.
• Audition de Gaspard BIZIMANA.
• Audition de Daniel ZAGURY, expertise psychiatrique.
• Audition de Philippe OUDY, psychologue expert.
• Lecture de l’audition du fils de l’accusé, Philibert.
________________________________________
Décision concernant des demandes de la défense.
Monsieur le président rend une décision concernant la demande de la défense de pouvoir faire citer deux nouveaux témoins: un témoin au Rwanda et un autre qui a témoigné anonymement au TPIR[1]. La décision est négative dans la mesure où la défense aurait pu faire cette demande lors des réunions préparatoires. Monsieur le président signale qu’il a fait droit à toutes les demandes à ce moment-là.
D’autre part, il faudrait faire une demande auprès des autorités rwandaise concernant le premier témoin et une démarche pour faire lever l’anonymant du témoin du TPIR, ce qui reviendrait à ajourner le procès. Cette demande est dilatoire.
Concernant une demande de transport sur les lieux, là encore le président émet un refus catégorique. Même si maître GUEDJ se plaint de n’avoir pu se rendre au Rwanda par manque de financement, cela ne fera pas changer le président d’avis. Quant à « l’expertise balistique de salon » que dénonce la défense, une nouvelle expertise sur les lieux n’apporterait rien de plus. De toutes façons, « c’est juridiquement impossible. »
Monsieur l’avocat général fait remarquer à maître GUEDJ que la défense avait tout loisir de faire des demandes d’actes au cours de l’instruction.
De guerre lasse, et à court d’arguments, maître GUEDJ n’a rien de plus à dire que « l’accusation est bâtie sur du sable. »
Audition de monsieur Alain GAUTHIER, président du CPCR, association à l’origine de la plainte contre monsieur Philippe HATEGEKIMANA.
Avant de commencer son audition, monsieur GAUTHIER fait remarquer à monsieur le président qu’il a été contrarié par le report de son audition qui devait avoir lieu jeudi dernier. En effet, sa nièce, sœur de victime et partie civile avait fait le déplacement de Liège pour être à nos côtés. (NDR. Son petit frère, Olivier, ans, a été tué à la barrière de l’hôpital de NYANZA alors qu’il tentait de rejoindre l’orphelinat). Aujourd’hui, son épouse n’a pas pu être présente dans la mesure où elle avait d’autres activités qu’elle ne pouvait annuler à la dernière minute.
Le témoin fait remarquer aussi que son épouse et lui-même ont élu domicile dans la salle Vedel de la cour d’assises de Paris depuis le 1er octobre, ce qui représente 46 journées de présence au cours desquels il prend des notes à partir desquelles il fait des comptes-rendus, la nuit venue. ( NDR. Merci aux deux étudiants, Jules et Coline qui l’ont secondé dans ce travail). Comptes-rendus d’ailleurs souvent copiés sans citer les sources!
Si on peut se réjouir de la tenue de procès en France, le CPCR a toujours dénoncé la décision de la Cour de cassation qui a toujours refusé de répondre positivement aux mandats d’arrêts internationaux lancés par le Rwanda. Ce refus d’extrader encombre la cour d’assises de Paris et, vu le nombre restreint des juges d’instruction, entraîne des retards insupportables pour les familles de victimes. D’autant que ce refus d’extrader, qui se base sur le principe de la non-rétroactivité des peines, est contestable juridiquement. À plusieurs reprises, le CPCR a fait valoir que la France a jugé PAPON, TOUVIER et autres Klaus BARBIE en s’appuyant sur les grandes conventions internationales.
Il s’élève contre le fait qu’on utilise encore l’expression « génocide rwandais » et non « génocide des Tutsi« .
Ces remarques préliminaires faites, le témoin va évoquer ses liens qui l’unissent au Rwanda depuis plus de 50 ans.
Portrait © Francine Mayran, collection « PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA »
J’interviens en tant que président du CPCR. L’association a été créée en 2001 et a pour but de poursuivre les personnes suspectées d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui vivent sur le sol français. La France a la possibilité de juger au vu de la loi de compétence universelle. J’interviens aussi en tant que famille de victimes puisque la famille de mon épouse a été exterminée. Je tiens à remercier nos avocat(e)s, Domitille PHILIPPART Philippe HERBEAUX et Sarah MARIE, qui nous ONT aussi assistés dans ce procès et dans d’autres affaires.
Je commence ma déposition assez loin dans le temps, en 1961. J’étais en 5ème, et un missionnaire Père Blanc est venu projeter un documentaire « Charles LWANGA et les martyrs de l’OUGANDA ». À la fin de la projection, j’ai griffonné sur un papier ces quelques mots :« Je veux être comme vous ». Il m’a répondu : « Tu es en 5ème, passe ton bac et on verra ». Si je rapporte cette anecdote qui peut vous paraître banale, c’est parce que, en 1994, c’est dans la paroisse « Charles LWANGA et les Martyrs de l’OUGANDA » à NYAMIRAMBO que ma belle-mère, Suzana MUKAMUSONI, sera assassinée le 8 avril au matin.
Plus tard en 1968, je rentre à la faculté de Théologie catholique de STRASBOURG. Après deux ans d’études, c’est l’heure de faire mon service militaire. Je m’engage pour deux années. L’évêque de BUTARE, monseigneur Jean-Baptiste GAHAMANYI, avait besoin de coopérants. Quand j’arrive à BUTARE, l’évêque me nomme professeur de français à SAVE, c’est une colline à dizaine de kilomètres au nord de BUTARE. SAVE est la première paroisse du Rwanda fondée en 1990. Le roi avait envoyé les missionnaires sur cette colline car les habitants avaient une mauvaise réputation.
Je passe deux années dans cet établissement en tant que professeur de Français. J’entraîne aussi l’équipe de football. Là-bas, je me trouve dans une situation assez bizarre, il y un groupe de professeurs rwandais dont Straton GAKWAYA, un jeune prêtre qui sera assassiné le 7 avril au Centre Christus à KIGALI, et Boniface NKUSI aussi tué pendant le génocide. Et il y avait aussi un Hutu royaliste, Xaveri NAYIGIZIKI. A côté de ce groupe il y avait une congrégation de frères flamands, les VANDALES (c’est leur vrai nom) qui avaient été chassés du CONGO, ils se mêlaient peu aux autres. A la fin de 1971, l’un d’eux va écrire une lettre anonyme à mes parents pour dénoncer mon mauvais comportement. L’auteur, finalement dénoncé, sera expulsé du Rwanda par l’évêque de BUTARE. J’apprendrai plus tard que l’évêque m’avait placé dans cet établissement pour créer des liens entre les groupes, ça n’a pas été possible.
La seule distraction sur cette colline où étaient implantés de nombreux établissements scolaires, c’était le football. On avait créé une équipe d’enseignants qui sillonnait la région pendant le week-end : on m’avait d’ailleurs affublé d’un surnom : KANYAMUPIRA. Le 1er mai 1972, on part au BURUNDI pour jouer deux matchs. Mon passeport était périmé, donc je pars accompagné d’un commerçant grec de BUTARE qui me dit : « Ne t’en fais pas, je connais tout le monde ». Effectivement, on passe la frontière sans problème. Après quelques kilomètres, on est arrêté par des militaires lourdement armés qui finissent par nous laisser passer. Cela se produira plusieurs fois avant d’arriver à BUJUMBURA, sans que personne ne nous donne d’explication. On apprendra, à notre arrivée, qu’un coup d’état s’est produit dans la nuit : des camions de cadavres sillonnent la ville. Comme je n’avais pas de papiers, on s’est caché au Grand séminaire et après avoir obtenu un laisser passer de l’ambassade de France, nous sommes partis en convoi, huit jours plus tard, escortés par les militaires burundais, jusqu’à la frontière du ZAÏRE, près de la ville d’UVIRA, pour rentrer au RWANDA par CYANGUGU. Mon retour à SAVE a été bien fêté.
En juillet 1972, je dois quitter le RWANDA et je reprends mes études à Nice, en Lettres modernes, et l’année suivante à l’Université de Grenoble, mon académie d’origine. En 1973, les Tutsi sont chassés de l’administration, des collèges, des universités, dont mon épouse qui se réfugie au BURUNDI. À l’été 1974, Henri BLANCHARD, curé de SAVE quand j’étais au RWANDA, et qui est venu en congés, me dit qu’une jeune demoiselle vient le voir à Ambierle, près de Roanne, dans la Loire. Je l’avais connue à SAVE et, de mon ARDÈCHE voisine, je vais voir DAFROZA. Après lui avoir rendu sa visite le Noël suivant à BRUXELLES, nous commençons notre histoire commune. Nous nous marions en 1977 et nous aurons trois enfants. Nous avons passé plusieurs séjours au Rwanda jusqu’en 1989. Les attaques du FPR rendaient les visites difficiles. Sur les photos de cette année-là, nous sommes les seuls encore en vie.
En février 1993, après l’intervention sur France 2 de Jean CARBONARE[2], c’est la date de notre premier engagement. J’écris à François Mitterrand pour lui demander ce que la France fait au Rwanda. Je reçois une lettre de l’Élysée, une autre du Ministère des Affaires Etrangères pour dire qu’ils font le maximum pour ramener la paix au RWANDA. Le 4 aout 1993, nous fêtons les accords d’Arusha à BRUXELLES. En février 1994, mon épouse part rendre visite à sa mère qui lui dit, alors que la situation est tendue à KIGALI, de rentrer au plus vite en France en France. On ne la reverra plus.
Le 7 avril 1994, il y a l’attentat contre l’avion du président. Je l’apprends par la radio, je réveille mon épouse, elle a au début une réaction enthousiaste mais je lui dis : « Attention, les Tutsi peuvent en faire les frais ». Le lendemain, je téléphone au Père BLANCHARD à la paroisse où ma belle-mère et ses cousins se sont réfugiés et j’apprends que ma belle-mère a été assassinée dans la matinée, dans la cour de la paroisse. Le soir, rentré à la maison, je dois annoncer la terrible nouvelle. DAFROZA se met à hurler au point que je dois aller expliquer la situation à nos voisins. Notre fils EMMANUEL, onze ans, lancera ces mots : « Maman, je te vengerai ».
Commence alors notre combat quotidien. Dans la presse, j’écris aux journaux pour dénoncer ce qui se passe au RWANDA. Le journal La Croix publie un de mes appels au secours. Je suis le premier à annoncer l’accueil d’Agathe HABYARIMANA en France avec de l’argent et un bouquet de fleurs. Nous répondons aux fax des rescapés de l’hôtel des Milles collines. Pendant cette période, nous organisons une manifestation à Reims avec un slogan : « Rwanda, la honte ».
Deux enfants du cousin de mon épouse, Jean-Paul et Pauline, sept et onze ans, sont retrouvés par la Croix Rouge à BUJUMBURA et nous mettons tout en œuvre avec le Ministère des Affaires étrangères pour les accueillir. Ils arrivent le 14 août. La famille passe de trois à cinq enfants. Leur père ayant été retrouvé, ils retourneront au Rwanda l’année suivante.
En aout 1996, on retourne au Rwanda, on trouve peu de survivants, le silence s’impose, les seules personnes de notre famille, ce sont des réfugiés qui étaient au CONGO. Au cours de cette année, nous allons commencer à réunir des premiers témoignages, à titre individuel. Mon épouse avait une cousine rescapée de la Sainte-Famille à KIGALI qui nous as permis de récupérer des témoignages de rescapés. On les remet à un avocat qui était sur l’affaire MUNYESHYAKA qui était visé par une plainte depuis 1995. Après plus de vingt ans de procédures, il finira par bénéficier d’un non-lieu définitif, au grand désespoir des rescapés.
Au printemps 2001, c’est le premier procès à BRUXELLES : les Quatre de BUTARE, parmi les accusés, il y a un ancien ministre et chef d’une entreprise d’allumette à BUTARE, un professeur d’université et deux religieuses. Nos amis à l’initiative de la plainte, à la fin du procès, nous interpellent : « Et vous, qu’est-ce que vous faites en France ? » Dès la fin du procès nous réunissons un certain nombre d’amis et nous créons le CPCR. Nous allons nous constituer partie civile dans six plaintes qui « dormaient » sur le bureau de la juge d’instruction: l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA, le docteur Sosthène MUNYEMANA qui sera jugé en novembre, Laurent BUCYIBARUTA, ancien préfet de GIKONGORO, jugé et condamné l’an dernier[3], Fabien NERETSE, que nous avions retrouvé à Angoulême sous un faux nom et qui sera extradé vers la Belgique et condamné, Cyprien KAYUMBA et Laurent SERUBUGA.
Rapidement nous avons travaillé sur de nouvelles plaintes. Chaque fois que nous apprenions la présence en France d’une personne suspectée d’avoir participé au génocide des Tutsi, nous nous rendions sur place et nous allions à la recherche de témoins dont les témoignages allaient servir à nourrir la plainte que nous soumettions à des juges d’instruction. La première, c’est celle contre Agathe HABYARIMANA, le 13 février 2007 : elle vit toujours en France, sans avoir eu de titre de réfugié ou de séjour et vit à COURCOURONNES, dans la banlieue de parisienne. Nous avons déposé une trentaine de plaintes, elles ont toutes été suivies d’une information judiciaire. Les juges d’instruction ont toujours pris très au sérieux les plaintes que nous avons déposées. Cinq affaires se sont terminées par des non-lieux.
Nous nous rendons souvent au Rwanda. Les témoins sont des rescapés, mais les rescapés ne sont pas toujours les meilleurs témoins parce, souvent, ils se cachaient. Nous rencontrons des prisonniers, soit libérés, soit nous nous rendons en prison pour recueillir leurs témoignages. Ce n’est pas une faveur que l’on nous fait, tous ceux qui souhaitent rencontrer des prisonniers demandent l’autorisation au parquet général de KIGALI et au directeur des prisons. C’est ce qu’on fait et c’est ce qu’on a fait dans le cadre de cette affaire. Maintenant, le parquet préfère les extraire de la prison et les amener au parquet où ils peuvent nous donner leurs témoignages. Voilà le travail qu’on fait.
Une autre date me revient en mémoire, c’est juin 2004. On est averti qu’une fosse commune va être ouverte à NYAMIRAMBO, à la paroisse. Ma belle-mère a été tuée près de là, nous y allons, ils ouvrent la fosse devant nous. Les gens qui creusent doivent aller doucement quand on voit des os.. On voit rapidement apparaître le corps d’un jeune homme en tenue de basketteur, puis des os, des crânes que mon épouse va observer attentivement pour tenter de trouver des indices qui lui permettraient de reconnaître sa maman. En vain. On enlève les corps, ils sont lavés, on met des bassines d’eau, on les nettoie avec des brosses à dents, on les fait sécher au soleil et ensuite on les met dans des cercueils : on pourra les inhumer dignement au mémorial de GISOZI, à KIGALI.
Photos des victimes au mémorial de Gisozi à Kigali.
En 2012, il y a la création du pôle crimes contre l’humanité au TGI[4] de Paris. Avant, il fallait déposer les plaintes au domicile des accusés. Par exemple, nous avions retrouvé les traces de l’ancien sous-préfet de GISAGARA, Dominique NTAWUKURIRYAYO, à CARCASONNE, où il travaillait au service du diocèse. On nous avait dit qu’il n’était pas à l’adresse que nous avions indiquée et un an après, il a été arrêté à cette adresse précise. Dans mon établissement scolaire, je faisais partie d’une commission qui donnait des réductions aux familles nécessiteuses. Je tombe sur le nom d’un Arsène NTEZIRYAYO, je me rends compte qu’il s’agit du fils du dernier préfet de BUTARE. Sa femme était venue s’installer dans la banlieue rémoise et avait déclaré, au moment de l’inscription, que son mari était « prisonnier politique » à ARUSHA alors qu’il y avait été condamné pour génocide.
Pour l’affaire HATEGEKIMANA, en 2013, nous trouvons dans notre courrier une lettre anonyme qui disait que ce monsieur travaillait à l’université de Rennes 2. Des détails précis nous permettaient de commencer notre enquête. Il y avait aussi un deuxième nom, celui de monsieur Ignace MUNYEMANZI qui a été entendu lors de ce procès. Le gros de nos activités, c’est de nous consacrer à la poursuites des personnes qui vivent en France. Et nous avons aussi des activités en rapport avec l’éducation, nous intervenons régulièrement dans des collèges, lycées, et universités. Les professeurs ont maintenant le droit de choisir le génocide comme point d’approche. Je regrette l’absence de madame MANIER, parce que j’aurais aimé qu’elle explique ce qu’elle a dit sur nous dans les écoutes téléphoniques. Elle prétend que je connais celui qui aurait trahi son mari et que je l’aurais payé grassement. Nous recevons beaucoup d’attaques sur les réseaux sociaux.
Comme le temps passe, les enquêtes sont de plus en plus difficiles, beaucoup de témoins sont morts. La mémoire est défaillante. Certains témoins ont encore peur de témoigner. On doit prendre beaucoup de précautions pour recueillir les témoignages des rescapés qui souhaitent nous rencontrer dans des lieux secrets. De plus en plus de tueurs sortent de prison, et rejoignent leurs collines, ce qui inquiète les rescapés. Se pose aussi au Rwanda un gros problème de santé mentale.
Nous ne cessons aussi de dénoncer les lenteurs de la justice qui ne sont pas seulement dues à la rupture des relations diplomatiques entre nos deux pays (2006-2009) suite à l’ordonnance du Juges BRUGUIERE qui lançait un mandat d’arrêt contre neuf personnes proches du président KAGAME à propos de l’attentat contre l’aviondu président HABYARIMANA. Ce rapport sera contredit par celui des juges POUX et TREVIDIC.
En plus des nombreuses plaintes que le CPCR a déposées, il faut noter que le Parquet a pris l’initiative d’ouvrir des informations judiciaires dans une dizaine d’affaires: le CPCR s’est constitué partie civile dans certaines.
A noter que la justice est passée à une vitesse supérieure en 2012 avec la création du Pôle crimes contre l’Humanité au TGI de Paris. Ce que l’on peut regretter, c’est le nombre trop peu important de juges d’instruction qui ont a traiter beaucoup de dossiers concernant plusieurs pays et tous les crimes en lien avec l’anti-terrorisme.
Concernant le financement du CPCR, nous vivons essentiellement grâce aux adhésions et aux donateurs. Nous avons bénéficié à une reprise d’une aide du gouvernement rwandais. Une fondation danoise basée à Londres, OAK Foundation nous a aussi aidé à deux reprises.
La défense reviendra certainement sur les liens familiaux qui nous unissent à James JABAREBE, ancien chef d’Etat major de l’armée. Inutile d’épiloguer, c’est ainsi: une cousine de mon épouse est effectivement mariée à ce proche du président KAGAME.
En 2017, nous avons été décoré de la médaille IGIHANGO par le président KAGAME. Il semblerait que la défense se soit aussi intéressé à cet événement.
Je voudrais évoquer aussi les nombreux message de haine que nous recevons depuis des années. J’au porté plainte auprès du TGI de Reims qui a classé l’affaire sans suite. Je pensais que la justice pouvait retrouver le ou les auteurs de ces messages envoyés sur le courriel du CPCR.
Plusieurs documentaires ont été tournés sur notre travail. Les deux derniers ont été réalisés par Thomas ZRIBI: Rwanda: A la poursuite des génocidaires ( NDR. Un roman graphique du même auteur porte le même titre) et par Patrick SERAUDIE, Rwanda 1994: année zéro. Ce dernier documentaire évoque le recours que le CPCR a déposé, avec l’associatiation Rwanda avenir devant le Tribunal administratif afin de faire condamner la France pour complicité dans le génocide des Tutsi. Une autre plainte contre la BNP Paribas est aussi en cours à l’initiative de l’association SHERPA. IBUKA France y est aussi partie civile.
Je voudrais soumettre à l’accusé, avant de conclure, la lecture du poème de Victor HUGO, La Conscience, dans lequel, reprenant le mythe biblique de CAÏN et ABEL. Après avoir tué son frère qu’il jalouse, CAÏN fuit avec sa famille: un oeil le regarde sans cesse. Il aura beau construire des murailles, lancer des flèches aux étoiles, l’oeil est toujours là. De guerre lasse, il décide de se faire enfermer dans une « fosse ». Et le poème se termine par ces vers: » Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn. »
Pour conclure, il me reste toujours une question à laquelle je ne peux pas répondre: POURQUOI? Et plus le temps passe, moins on oublie. Je vous remercie.
.Questions
En réponse aux questions de M. le président, M. GAUTHIER explique qu’il n’a jamais eu le sentiment que les personnes entendues par l’association étaient sous pression. Lorsqu’un témoin ne voulait pas parler, sa décision était respectée. Les allégations de torture sur les témoins sont une fable.
La défense veut toujours transformer les procès en procès politique, c’est distraire l’attention de la responsabilité de BIGUMA. La sécurité au Rwanda est totalement assurée. La défense se trompe de combat.
Le CPCR est une association qui compte environ 150 adhérents. Ce qui permet au CPCR de vivre, ce sont les dons et particulièrement celui d’une fondation danoise nommée the Foundation. La défense des intérêts du CPCR par ses avocats est pro bono. La différence d’objectif social avec IBUKA France est que le combat principal est de trouver les personnes qui se sont soustraites à leur responsabilité en France.
Madame l’avocate générale rappelle une conversation téléphonique entre Jacqueline MANIER et Aloys NTIWIRAGABO de février 2018. Ce dernier a été retrouvée par à Orléans. C’est l’ancien chef des renseignements militaires rwandais (le « G2»), accusé d’avoir participé au génocide[5]. Madame l’avocate générale note une phrase qui est dite au cours de la conversation par Aloys « d’autant plus que j’ai entendu que Philippe aussi on lui court après ».
Au sujet de la lettre anonyme à l’origine de l’affaire MANIER, elle interroge M. GAUTHIER sur ce qu’il en sait. Il répond qu’il A cru qu’il s’agissait d’étudiants mais qu’il ne peut pas en être sûr. Il dit aussi ne pas connaître cet Epiphane dont Philippe MANIER a pu parler. Madame l’avocate générale observe qu’il y avait déjà un fax donnant des informations similaires et précises, qui avait été adressé à la fac en 2012 accusant Philippe MANIER des même faits.
Sur la diaspora rwandaise au Cameroun, il répond que cela n’est pas du ressort de l’association. Tout récemment, le CPCR a reçu un courriel dénonçant la présence au Cameroun d’un génocidaire rwandais. Le CPCR n’en sait pas plus pour l’instant.
Me GUEDJ à la défense prend maintenant la parole. Il l’interroge sur le courrier anonyme.
M. GAUTHIER explique qu’il ne peut pas savoir qui l’a vraiment écrit. C’est la seule lettre anonyme que le CPCR ai jamais reçue. C’est donc le point de départ de tout. La lettre lui paraît digne de confiance: « Le procès en première instance nous montre qu’on ne s’est pas trompés ».
Au sujet du budget. Me GUEDJ évoque des « sommes » inconnues dont aurait bénéficié le CPCR. M. GAUTHIER rappelle qu’il a donné les montants précis de toutes ces sommes lors de sa déclaration et qu’il fallait écouter. S’ensuit un échange tendu.
« D’accord monsieur l’instituteur ». « Je ne suis pas instituteur, je suis professeur. » Me GUEDJ cherche manifestement à le déstabiliser en lui intimant : « Regardez la Cour quand vous parlez ».
Me PHILIPPART intervient pour demander à son confrère de rester courtois. Le président intervient, il ne voit pas de problème au fait que la partie civile regarde Me GUEDJ quand il s’adresse à lui car il répond ensuite à la Cour.
Afin d’avancer, M. GAUTHIER répète à nouveau les montants déjà énoncés.
Me GUEDJ aborde maintenant le sujet des Gacaca. Pourquoi ne pas avoir demandé de fournir les extraits des jugements. M. GAUTHIER répond que ce n’est pas le travail du CPCR et que l’affaire est passé devant un juge d’instruction. De toutes façons, les informations contenues dans les jugements Gacaca sont très parcellaires et ne donnent que peu d’éléments, si ce n’est la condamnation et le nom de la Gacaca.
Me GUEDJ demande si l’objet du CPCR est vraiment une quête de justice ou de « trouver un coupable à tout prix. » M. GAUTHIER répond que c’est une question déplacée. « Ce qui nous importe, c’est la justice. Est-ce que nous sommes des juges d’instruction? ».
Me GUEDJ lui coupe la parole de manière incessante.
M. GAUTHIER affirme à nouveau qu’après avoir déposé les plaintes grâce à des témoignages, c’est le travail des juges d’instruction d’enquêter à charge et à décharge.
M. le président, sur la remarque de M. GAUTHIER, demande effectivement à Me GUEDJ de préciser ses questions pour ne pas le faire répéter.
M. GAUTHIER évoque son regret que les accusés ne puissent être extradés au Rwanda. La peine de mort n’existe plus depuis 2017. C’est au nom du principe de la non rétroactivité des peines que la demande d’extradition a été refusée, c’est purement procédural.
Me GUEDJ oppose à cela un arrêt de la Cour Africaine des droits de l’Homme qui condamne le Rwanda pour traitements inhumains dans ses pratiques d’extradition. M. le président remarque que la France aussi a été condamnée de multiple fois par la CEDH pour des conditions inhumaines de détention.
Au sujet du témoin clé Israel DUNSINGIZIMANA[6], M. GAUTHIER précise qu’il l’a rencontré au même titre que les autres prisonniers et dans aucun autre contexte.
Il n’a pas non plus de lien avec le FPR.
Au sujet de RSF sur la liberté d’expression, il ne partage pas les conclusions de ce rapport. The Rwandan est un site négationniste selon lui. Il évoque les caricatures du couple Gauthier qui y sont publiées.
Finalement, Me GUEDJ demande s’il reconnaît que les témoins mentent. M. GAUTHIER reconnaît certaines contradictions dans les témoignages, ce qui n’enlève rien à leur crédibilité. Il répond qu’il n’a absolument jamais parlé de mensonges, que les contradictions sur des détails sont normales dans un procès.
Audition de monsieur Gaspard BIZIMANA, cité par la défense.
Un témoin qui n’a pas grand-chose à dire sur l’accusé dans la mesure où ils ne se sont pas vus pendant le génocide. Ils ont fréquenté les mêmes écoles pour devenir professeurs d’éducation physique; l’ESO à BUTARE[7] et une école à KIGALI. Ils ont également fait une formation de moniteur sportif en Belgique. Le témoin était militaire et enseignait le sport à l’École supérieure militaire de KIGALI.
Sur la personnalité de monsieur HATEGEKIMANA, il déclare que depuis qu’il le connaît c’était « un homme bon, sage, mesuré, donnant de bons conseils aux jeunes dans le cadre sportif. » Comme lui, c’était un athlète de haut niveau et ils se rencontraient lors de compétitions militaires. Il n’a jamais entendu l’accusé tenir des propos discriminatoires à l’égard des Tutsi, il ne pouvait pas faire de mal à son prochain. Il ne faisait aucune différence entre Hutu, Tutsi et Twa.
Sur question de monsieur le président, monsieur BIZIMANA dit avoir été surpris d’apprendre que l’accusé était visé par une plainte pour génocide: « Je ne pouvais pas le soupçonner de telles choses » (sic). Le témoin dit avoir quitté le Rwanda à cause de la « guerre » en 1994, courant juillet, pour se rendre au Zaïre voisin avec sa famille. Il intègrera un camp proche du camp de KASHUSHA. Ce camp sera bombardé par le FPR[8] en dates des 1er et 2 novembre 1996. Ce qui l’obligera à s’enfoncer à l’intérieur du Zaïre.
Lorsqu’il a demandé l’asile en France, il n’a pas caché qu’il avait été militaire au Rwanda, ni changé de nom (NDR. Ce qu’a fait BIGUMA). « Je n’ai rien caché, j’ai dit tout ce que j’avais vécu, sous ma propre identité. » Il évoquera ensuite sa fuite de KIGALI, chargé de ravitailler la nouvelle promotion d’abord stationnée à NYANZA puis à KIGEME. À NYANZA, il récupèrera des vivres au collège du Christ Roi qu’il livrera à la nouvelle promotion: riz, haricots, matelas et autres denrées. Sur la route, il a bien rencontré des barrières mais n’a vu aucun mort. Des massacres perpétrés à NYANZA, il ne sait rien, ne sait pas qui y a été tué. Il finira toutefois par dire que c’était les Tutsi qui étaient visés.
Maître EPOMA s’étonne qu’il se soit présenté comme un « mélangé » alors qu’il avait une mère Tutsi mais un père Hutu. Il finira par dire qu’au Rwanda on gardait l’ethnie du père. Il était donc Hutu!
Les avocats généraux n’ont pas de questions. La défense une seule qui avait déjà été posée.
Conclusion: un témoin utile à personne. Avant de quitter la salle d’audience, monsieur le président l’autorise à serrer la main de l’accusé: « un geste d’humanité » dont personne ne s’offusque, bien sûr.
Audition de monsieur Daniel ZAGURY, expertise psychiatrique de l’accusé.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
Le témoin dit avoir rencontré l’accusé à la prison de NANTERRE. Malgré sa détention à l’isolement, il ne se plaignait pas de sa situation. Il niait tous les crimes qu’on lui reproche. Selon sa version des événements, ce sont les gendarmes qui empêchaient de tuer. Lui-même était en danger car on le considérait comme un « homme modéré, trop mou » et il était donc menacé. Comme il l’a toujours prétendu, il a été muté 15 jours après l’attentat.
Monsieur HATEGEKIMANA supporte mal ces accusations. Il ne présente aucun antécédent judiciaire. Il raconte à l’expert sa vie au Congo, sa traversée de la forêt vers le Congo Brazzaville où il trouvera de l’aide dans un couvent.
À Rennes où il a fini par s’installer, il a été agent de sécurité, pratique le football et le footing. Il a créé avec d’autres une association « culturelle », AMIZERO au sein de laquelle il a eu des problèmes avec un certain Épiphane.
Il évoque sa formation de gendarme et dénonce les responsables politiques dans ce qui s’est passé au Rwanda. Il aurait été menacé pour sa bienveillance envers les Tutsi.
L’entretien qu’il a eu avec le psychiatre s’est bien passé, le contact a été bon. Selon monsieur ZAGURY, le détenu semblait prendre son mal en patience.
Monsieur ZAGURY fait remarquer, en s’appuyant sur son expérience (il a rencontré une dizaine de Rwandais) que le récit de l’accusé se superpose à celui de ceux qui sont dans son cas: « Ils racontent tous la même histoire, mènent une vie tranquille en France, ont vu leurs enfants poursuivre leurs études. » Il ne présente aucun trouble psychiatrique, manifeste peu d’affect (un homme, ça pleure à l’intérieur!).
Questions
M. le président le questionne maintenant. L’accusé est quelqu’un qui a connu la guerre, a perdu sa mère lors d’une attaque, il subirait de fausses accusations etc… est-ce que l’on décèle les conséquences de traumatismes chez l’accusé?
L’expert répond que c’est quelque chose de commun aux personnes interpellées plusieurs années après les faits. Il parle d’un « élément culturel de passivité et de pudeur ». L’accusé n’exprime pas de déstabilisations particulières mais il s’agit peut-être d’un écart culturel.
Sur une quinzaine d’accusés expertisés, tous nient les faits. Ce n’est pas possible d’aller plus loin. Tous disent que c’est de la manipulation politique et sont bien insérés en France sur le plan social avec un métier et une famille stables. Les discours sont stéréotypés, banals.
Il explique que l’action génocidaire est toujours un acte de « légitime défense anticipée ». Il s’agit d’un clivage fonctionnel, l’ennemi est réifié, chosifié.
Les rescapés souffrent dans leur survie.
Au contraire, les génocidaires n’ont jamais été chosifiés ou exclus de la condition humaine. Ils vieillissent et meurent sans culpabilité sauf quand la justice vient mettre son nez dedans.
Il existe un tel écart entre l’horreur commise et la banalité des personnes qui ont commis ces actes.
La juge assesseur fait remarquer que d’autres témoins entendus ont eu des réactions contraires à ce que l’expert a conclu. Ils sont revenus, se sont confrontés à la justice, ont plaidé coupable. Il répond que c’est tout à fait possible aussi mais qu’il n’en a pas rencontré. (NDR. Monsieur l’expert n’a travaillé qu’auprès d’accusés qui ont été retrouvés en France).
Sur questions des avocats des parties civiles, il rajoute:
La cruauté dans la mort en rajoute à la chosification de l’autre. Il en va de même pour la façon dont sont traités les corps des morts.
Un génocide se prépare en avance, il faut un travail de plusieurs années pour arriver à déshumaniser tout un peuple.
Il ajoute que plus les crimes sont atroces et systématisés, plus on remarque une manque de culpabilité. Il dit « le stade ultime de la haine, c’est l’indifférence. »
Madame l’avocate générale interroge l’expert sur son entretien avec Philippe MANIER.
Ce dernier n’a pas évoqué de relation amoureuse avec une femme Tutsi, ni d’avoir sauvé des enfants Tutsi.
Question est posée au témoin sur la notion du tueur-sauveteur.
C’est au tour de Monsieur l’avocat général.
L’utilisation de la machette est révélatrice que le meurtre doit devenir un acte de la vie courante.
Me GUEDJ, pour la défense.
L’expert confirme que l’écart culturel avec le Rwanda peut être une difficulté dans une expertise psychiatrique. Il ne sait pas combien des personnes qu’il a expertisées ont été condamnées.
Audition de monsieur Philippe OUDY, psychologue expert.
Nous reprenons le compte-rendu de l’audition du témoin lors du procès en première instance.
« J’ai examiné M. MANIER le 16 octobre 2019 à la maison d’arrêt de Nanterre. Il était en bon état général sur le plan somatique, il avait une hypertension artérielle. Lors de sa fuite au Rwanda il a eu peur à plusieurs reprises. Le contact s’est établi facilement, sans réticence. Climat de coopération. Le discours est correctement organisé, suffisant pour qu’il puisse s’exprimer. Il fait preuve d’une intelligence qui fonctionne harmonieusement. Il a connu un cursus sans à-coups majeur. Il a poursuivi sa carrière jusqu’à sa fuite précipitée du Rwanda en 1994.
Il décrit des interactions familiales conformistes, décrit des interactions chaleureuses avec ses parents. Il ne mentionne aucune doléance envers son environnement familial. Il semble être correctement intégré. Il s’est marié quand il avait 36 ans. Il décrit une vie de couple et une vie familiale harmonieuse. Pas de thématique ou de processus dissociatif sous-jacent.
Sur les faits, je peux lire la déclaration qu’il a faite et qui résume bien son propos : « Je ne reconnais pas du tout les faits ». Il donne un récit dans lequel il s’exonère de toute responsabilité. Il déclare ne pas avoir pris parti et se présente en victime d’agresseurs du FPR[8] qui l’auraient poursuivi, lui et sa famille.
Sur le plan psychologique, il se décrit comme un homme intelligent. L’analyse date de 25 ans après les événements qui se sont déroulés dans un contexte particulier dans lequel les effets de groupe ont pu jouer.
Concernant justement les effets de groupe, il ressort des analyses qu’il y avait des groupes en conflit. La situation émotionnelle et le comportement agressif s’alimente par une perception de groupe qui définit l’autre comme le mauvais objet à éliminer, comme l’objet d’une légitime réformation et agression.
En conclusion, l’examen psychologique m’a mis en présence de quelqu’un qui ne présente pas d’aliénation. Il est capable de donner et de répéter un récit spécifique et détaillé. Sa personnalité ne montre aucune discordance. Malgré un récit dans lequel il a perdu des proches, je ne trouve pas de syndrome psycho traumatique. Il nie toute participation aux faits, donc l’étude de ses éventuelles motivations est impossible ».
Questions
Sur question de Me TAPI, l’expert explique que Philippe MANIER semble considérer l’affect comme un danger de déstabilisation.
Me GUEDJ demande à l’expert s’il a pris en compte de manière concrète l’écart culturel. L’expert répond qu’il l’a gardé en tête mais qu’il n’est pas anthropologue. On trouve effectivement différentes psychologies en fonction des cultures.
Lecture de l’audition du fils de l’accusé, Philibert, âgé de dix ans en 1994.
Ce n’est qu’à la cinquième convocation que le fils de Philippe HATEGEKIMANA finira par accepter d’être entendu. Mais il semble avoir été bien briffé par son père dans la mesure où il dit à son tour que ce dernier a quitté NYANZA deux semaines après l’attentat. Il n’a vu aucun massacre, dit avoir été menacés par des gendarmes au sein du camp.
Il présente son père comme quelqu’un « d’exceptionnel, d’exemplaire« . Il ajoute que son père « n’a rien à voir avec tout ça » (sic) et qu’il « ne ferait pas de mal à une mouche. »
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
2. Le 28 janvier 1993, Jean Carbonare prévient à la fois l’Élysée et le public au JT de 20 heures de France 2: « On sent que derrière tout ça, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité dans le pré-rapport que notre commission a établi. Nous insistons beaucoup sur ces mots. »[↑]
3. voir Procès Laurent BUCYIBARUTA[↑]
4. TGI : tribunal de grande instance[↑]
5. Aloys NTIWIRAGABO, responsable des renseignements militaires rwandais (le « G2») de juin 1993 à juillet 1994, est poursuivi par une plainte de février 2022. Il avait été débouté d’une plainte qu’il avait lui-même déposée contre Maria MALAGARDIS, une journaliste responsable Afrique au journal Libération. Voir notre article du 18/1/2023 : Poursuivi pour génocide, il porte plainte contre une journaliste. [↑]
6. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[↑]
7. ESO : École des Sous-Officiers de BUTARE[↑]
8. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑][↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 10 décembre 2024. J25
11/12/2024
Journée consacrée à l’interrogatoire de l’accusé.
Sur le génocide au niveau national et local.
Corps des victimes de Karama/Nyamure.
Philippe HATEGEKIMANA admet qu’un génocide a eu lieu au Rwanda. M. le président rappelle que le TPIR[1] a reconnu le génocide contre les Tutsi comme un événement de notoriété publique. M. MANIER déclare que c’est quelque chose d’insupportable pour toute personne normale. Il pense que c’est arrivé à cause des dirigeants politiques qui ont incité les gens à tuer. Il parle du président intérimaire, SINDIKUBWABO, qui a prononcé son discours à la radio[2], du premier ministre, Jean KAMBANDA[3]. Pour lui, le 19 avril a été un point de bascule. Cependant, Il n’admet pas que les persécutions contre les Tutsi avaient commencé avant cela.
M. le président rappelle le développement d’une culture de la violence contre les Tutsi avec une impunité totale au Rwanda depuis les années 60. Il conclut que le génocide n’a pas commencé le 19 avril. M. MANIER pense que la haine du FPR[4] a commencé en 1990.
Le président reprend l’accusé sur le FPR en disant qu’on parle de civils, de femmes et d’enfants, pas de soldats.
M. MANIER réplique que selon lui, le FPR « a trahi ses frères et sœurs de l’intérieur du Rwanda » en attaquant en octobre 1990. On s’est rendu compte seulement après que les Tutsi n’y étaient pour rien. Inscrire l’ethnie sur la carte d’identité, c’était la volonté du colonisateur belge. Il accepte aussi qu’il y a eu des massacres. Pour lui, le génocide commence le 6 avril dans le pays, le 19 avril dans la région de BUTARE.
L’accusé déclare qu’au front il combattait un seul ennemi: le FPR.
Il dit qu’il n’aimait pas la Radio des Mille Collines et qu’il ne l’écoutait pas. Le président affirme que l’on retrouve un mode opératoire qui s’est vu dans tout le pays; ce qui suggère une préparation.
BIGUMA répond que si les instances internationales disent cela, alors il est d’accord. Le président lui demande ce qu’il pense réellement, il répond que, pour lui, le génocide a été improvisé. Si cela avait vraiment été organisé, il n’y aurait plus un seul Tutsi rescapé au Rwanda. Le président lui fait remarquer qu’on parle quand même d’un million de morts en 100 jours.
L’accusé se considère lui-même comme un Hutu modéré car il n’était pas extrémiste, qu’il s’est fait menacer et qu’on lui a signalé plusieurs fois qu’il n’était même pas un vrai Hutu.
M. le président fait remarquer que cela fait plusieurs années qu’il est poursuivi pour génocide et qu’il est étrange qu’il ne se soit pas plus intéressé à la question des causes du génocide. Il a du fuir son pays et s’installer en France, n’a-t-il pas regardé les nouvelles, réfléchi sur cet événement traumatisant?
Les autorités administratives telles que le préfet, sous-préfet et bourgmestres ont participé au génocide: comment sait-il cela puisqu’il n’était pas là? Il sait cela de ce qu’il a entendu au procès, il n’y a pas assisté lui-même.
La juge assesseur demande à l’accusé d’expliquer avec ses propre mots ce qu’était le génocide. « Les Tutsi au Rwanda ont été exterminés à cause de leur appartenance ethnique par les Hutu extrémistes » répond ce dernier.
« Les Tutsi étaient potentiellement tous en lien avec le FPR à cause de leur appartenance ethnique. Ça ne veut pas dire que tous les Tutsi étaient pour le FPR. C’est très compliqué de distinguer les Tutsi qui sont pour le FPR et ceux qui ne le sont pas. »
Une autre juge assesseur prend la parole. Que veut-il dire par « Si j’avais été la, j’aurais été avec eux » en parlant de la gendarmerie de Nyanza. Il reprend qu’il n’aurait pas commis le génocide même s’il était resté la.
Me PHILIPPART demande à M. MANIER de faire appel à ses souvenirs pour répondre à la question de la préparation du génocide. Il ne se souvient pas de grand chose, à part la ségrégation dans les écoles.
Sur question de Me SCIALOM, il dit que la réaction à l’attentat de l’avion du président a provoqué un génocide spontané. Ce n’était pas quelque chose d’organisé. Me SCIALOM reprend que 70 à 80% des Tutsi ont été exterminés et pose le paradoxe d’une telle « efficacité » pour un événement spontané.
Sur question de Me KARONGOZI, Il dit que son statut de gendarme le protégeait malgré le fait qu’il soit un Hutu modéré.
Sur question de madame l’avocate générale . l’accusé déclare que les responsables du génocide sont les politiciens et il rajoute tous ceux qui y ont participé.
Action de la gendarmerie au niveau national.
L’accusé assume avoir été gendarme pendant tout le génocide. Il ne peut pas nier ce qu’il s’est passé et la responsabilité de la gendarmerie dans le génocide.
Il n’a rien vu lui-même.
Le président observe qu’on peut avoir l’impression que l’accusé n’a pas assisté au génocide, pas de son, pas d’image.
Après le discours du président intérimaire, il était dans un peloton de 33 personnes avec des missions de combat. Il a du passer plusieurs semaines à la sécurité du colonel RUTAYISIRE et a été retiré du front. Ce colonel aurait été sur la liste des personnes à éliminer.
Selon M. MANIER, « il ne faut pas mettre tous les gendarmes de NYANZA dans le même sac. » Certains ont participé à des massacres malgré leur rôle supposé de protéger la population, d’autres ont essayé de s’y opposer comme BIRIKUNZIRA. Il le sait car c’était comme cela avant son départ. À NYANZA, il y avait deux camps entre les gendarmes du sud et les gendarmes du nord. Les gendarmes Hutu du sud étaient moins zélés. Ils ont agi sur les ordres de leur supérieur pour commettre le génocide.
Le président lui demande: « Imaginez qu’un sous lieutenant vous demande d’exécuter un civil » quelle serait votre réaction?
« Mon supérieur doit m’expliquer pourquoi il me demande cela, parce que je suis gradé aussi »
Personne ne parle du sous-lieutenant car il était arrivé seulement depuis 10 mois. Le président fait remarquer que lui-même n’était arrivé que 12 mois plus tôt ce qui ne fait pas une grande différence. Pourtant tout le monde se souvient de lui.
M. MANIER dit que BIGUMA semblait être un slogan. Son nom a été instrumentalisé. Le président observe que les témoins utilisaient souvent le terme d’adjudant chef BIGUMA, non pas seulement BIGUMA.
L’accusé remet aussi en cause le fait qu’on a systématiquement soumis le nom de BIGUMA aux témoins pendant leur récit.
Me TAPI interroge l’accusé. Ce dernier explique qu’il a vu que BIRIKUNZIRA s’opposait au génocide avant son déclenchement car il le disait à la réunion.
Me EPOMA insiste, comment l’accusé sait-il que BIRIKUNZIRA a basculé dans le génocide à un moment puisqu’il dit qu’il est parti avant. Pas de réponse de l’accusé.
Me LHOTE interroge son client. M. MANIER n’a pas vu de scènes horribles mais il a vu des morts et des barrières.
Gendarmerie de Nyanza.
Gendarmerie de Nyanza en rénovation.
Le président rappelle que l’accusé parlait de gendarmes extrémistes au sein de la gendarmerie de NYANZA.
M. MANIER précise qu’effectivement il y avait des gendarmes du nord qui sortaient toute la journée et ne respectaient pas les règles de la gendarmerie.
Comment le capitaine qui a le soutien de toutes ses autorités ne sanctionne -t-il pas ces gendarmes extrémistes? Ils auraient menacé des enfants et même ses propres enfants. M. MANIER n’a pas de commentaire.
Sur les témoignages au sujet de sa présence à Nyanza, M. MANIER affirme que les témoins ont rejoint le FPR et qu’ils sont tous à charge.
La juge assesseur demande pourquoi on n’a pas retiré les armes aux gendarmes Hutu extrémistes qui ne respectaient pas les règles et menaçaient la population. Il répond qu’il ne fallait pas diviser la gendarmerie. Ils ont eu des blames.
Plusieurs gendarmes de NYANZA l’accusent:
– Déogratias MAFENE[5]
– Angélique TESIRE[6]
– Pélagie UWIZYIMANA: [7]
– Odoratta MUKARUSHEMA: [8]
– Didace KAYIGEMERA: [9]
Pour l’accusé, tous ces témoins à charge ont été sélectionnés par le FPR pour venir l’accabler.
Me PHILIPPART demande s’il insinue qu’il y a une culture du mensonge au Rwanda. Il répond que les Rwandais sont intelligents, qu’ « ils peuvent te montrer leur bon côté et puis en réalité être un traître. » En revanche, il ne ne parle bien sûr pas de lui..
Me SCIALOM demande alors: « Fait-on partie du FPR à partir du moment où on vous met en cause? » Il affirme que non et qu’il est difficile de savoir.
Sur les questions de Me TAPI et EPOMA, il refuse de répondre.
Monsieur l’avocat general interroge maintenant l’accusé et reprend des questions des avocats de la partie civile.
Me LHOTE interroge maintenant l’accusé.
M. MANIER faisait la relève du camps de réfugiés burundais une fois par semaine, le ravitaillement des gendarmes une fois par jour à la brigade. Cependant, il maintient que la majorité de son travail était à l’intérieur du camp.
Présence ou absence de l’accusé au moment des faits.
MANIER aurait été muté car des habitants se seraient plaints de son comportement. Il ne peut fournir aucun ordre de mutation. S’il a été muté, c’est parce qu’il subissait des menaces au camp de NYANZA. Il fallait renforcer la gendarmerie à KIGALI et puis, le sous-préfet KAYITANA lui faisait des reproches! C’est BIRIKUNZIRA qui aurait demandé sa mutation, mais personne ne confirme son départ pour KIGALI le 19 avril!
Le seul témoin qui le voit fin avril début mai dans le camp KACYIRU, c’est le témoin anonyme du TPIR que la défense voulait faire citer à la dernière minute. Fin avril-début mai? Cela convient à l’accusation.
Me EPOMA interroge l’accusé. Il relève une contradiction avec ce qu’il a déclaré devant le juge d’instruction. Il avait en effet déclaré qu’il se souvenait du début du génocide, ce qu’il nie aujourd’hui.
Les barrières
M. MANIER affirme avoir vu trois barrières : TRAFIPRO, l’Hôpital et le stade. Il ne saurait pas dire exactement quand elles ont été érigées mais c’est probablement dans les jours suivant l’attentat. Elles ont été installées par des civils. On pouvait contrôler les infiltrés du FPR avec la mention Tutsi sur la carte d’identité.
Au rappel des témoignages des personnes qui l’ont accusé de tenir les barrières, il répond qu’il n’était pas là.
Le bourgmestre Narcisse NYAGASAZA arrêté et emmené par BIGUMA.
Arrestation de NYAGASAZA, le bourgmestre de NTYAZO.
Plusieurs témoins parlent de l’accusé pour avoir été témoins de l’arrestation.
– Primitive MUJAWAYEZU, partie civile[10]
– Jocelyne UWICYEZA, partie civile[11]
– Samson MATAZA[12]
– Augustin NZAMWITA[13]
– Canisius KABAGAMBA[14], partie civile, entendu lors du procès de première instance.
Pour chacun de ces témoins, l’accusé rejette leurs accusation car il n’était pas à NYANZA. Ce sont tous des témoins qui mentent et qui ont été envoyés pour témoigner contre lui.
D’autres témoins l’ont vu sur le trajet.
– Geneviève GAHONGAYIRE[15]
– Silas SEBAKARA, condamné à perpétuité[16]
– Mathieu NDAHIMANA, condamné à perpétuité[17]
Pour BIGUMA, « ces témoins à charge font leur travail ».
Les témoins qui ont vu NYAGASAZA et BIGUMA à la gendarmerie.
– Angélique TESIRE, gendarme[6]
– Pélagie UWIZEYIMANA, gendarme [7]
– Odoratta MUKESHIMANA, épouse du chauffeur [8]
– MABANO, caché chez Odoratta MUKESHIMANA.
– Didace KAYIGEMERA[9]
– Déogratias MAFENE[5]
– Israël DUSINGIZIMANA, détenu[18]
Concernant tous ces témoins, l’accusé n’a rien à commenter. Quant à Israël, étonnamment, il ne le connaît pas. Ce dernier a été témoin de l’exécution du bourgmestre de NTYAZO. Il a plaidé coupable pour ce crime en tant qu’autorité. Pour BIGUMA, ce témoin est « un menteur« , « il cherche des faveurs pour faire atténuer sa peine« . Et s’adressant au président: « Comment pouvez-vous croire ce monsieur? »
Maître GUEDJ revient à la charge concernant les déclarations du témoin NTAKIRUTIMANA dont on a lu l’audition et la fameuse expression: « Après avoir tué le bourgmestre, Mathieu NDAHIMANA est nommé bourgmestre…« , voulant laissé entendre que c’est ce dernier qui a tué NYAGASAZA. ( NDR. On a déjà expliqué qu’il s’agit d’une erreur de traduction. On doit comprendre: « Après la mort de NYAGASAZA, Mathieu NDAHIMANA...) L’avocat de la défense n’en démord pas, il veut à tout prix imposer son interprétation à la cour.
Suivront plusieurs lectures de témoins de l’assassinat du bourgmestre: Assiel BAKUNDUKIZE, Célestin NIGIRENTE, Yobo KAYIRANGA, un certain Charles NKOMESE, Emmanuel UWITIJE et un certain Eliazer NSEGIYOBIRI. BIGUMA n’a rien à dire sur « toutes ces incohérences. »
Maître GUEDJ reprend la parole. Il revient, pour la énième fois, sur le télégramme du sous-préfet Gaëtan KAYITANA adressé au TPIR dans lequel il accuse Mathieu NDAHIMANA de la mort de NYAGASAZA[17],. Il cite alors Eric MUSONI qui a déclaré au TPIR que le bourgmestre de NTYAZO a été arrêté à la frontière et qu’il a été tué à MUSHIRARUNGU. Pas de chance pour l’avocat, c’est bien là que de nombreux témoins situent l’assassinat de NYAGASAZA. Mathieu NDAHIMANA n’y est donc pour rien. À trop vouloir prouver, maître GUEDJ se prend les pieds dans le tapis.
Si un témoin impute le meurtre de NYAGASAZA à NDAHIMANA, c’est parce que ce dernier avait été battu aux élections pour le poste de bourgmestre: un acte de vengeance! Ce n’est pas crédible d’autant que ce témoin, selon maître PHILIPPART, est le seul à le dire.
Maître EPOMA demande à l’accusé s’il connaît Antoine NTASHAMAJE; ce dernier répond par la négative puis réclame son droit au silence car sa « tête est fatiguée« . Cette question l’embarrase car il aurait eu un enfant avec la fille de NTASHAMAJE.
Madame l’avocate générale reprend les propos de l’accusé qui disait ne pas pouvoir être partout (à NYANZA et au camp KAKYIRU). Et pourtant, beaucoup de gens qui le connaissent le reconnaissent dans la sous-préfecture!
Maître GUEDJ intervient sèchement, manifestement irrité: » J’ai demandé à mon client de ne pas répondre. »
L’avocate générale revient à la charge. » Vous avez dit que témoigner à charge est un travail? C’est choquant! »
Maître GUEDJ se lève et proteste vivement. La défense n’a jamais nié le génocide. L’accusé profite de l’occasion pour dire qu’il souhaite exercer son droit au silence.
La journée va se terminer. Monsieur le président donne des indications aux parties concernant les questions qu’il compte poser à la cour lors des délibérations.
L’interrogatoire de l’accusé se poursuivra demain.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page
1. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
2. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
3. Voir dans le procès RWAMUCYO l’audition de Jean KAMBANDA, Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir également Focus – L’État au service du génocide.[↑]
4. FPR : Front Patriotique Rwandais[↑]
5. Voir l’audition de Déogratias MAFENE, 13 novembre 2024[↑][↑]
6. Voir l’audition d’Angélique TESIRE, collègue de l’accusé à la gendarmerie de NYANZA, 14 novembre 2024[↑][↑]
7. Voir l’audition de Pélagie UWIZEYIMANA, 14 novembre 2024[↑][↑]
8. Voir l’audition d’Odoratta MUKARUSHEMA, citée par le CPCR, en visioconférence du Rwanda. Elle était l’épouse du chauffeur de la gendarmerie. 15 novembre 2024[↑][↑]
9. Voir l’audition de Didace KAYIGEMERA, citée par le CPCR, en visioconférence du Rwanda. Elle était l’épouse du chauffeur de la gendarmerie. 15 novembre 2024[↑][↑]
10. Voir l’audition de Primitive MUJAWAYEZU, partie civile, 22 novembre 2024[↑]
11. Voir l’audition de Jocelyne UWICYEZA, partie civile, 22 novembre 2024[↑]
12. Voir l’audition de Samson MATAZA, 28 novembre 2024[↑]
13. Voir l’audition de Augustin NZAMWITA, 26 novembre 2024[↑]
14. Voir l’audition de Canisius KABAGAMBA, partie civile, entendu lors du procès de première instance le 2 juin 2023[↑]
15. Voir l’audition de Geneviève GAHONGAYIRE, 22 novembre 2024[↑]
16. Voir l’audition de Silas SEBAKARA, 26 novembre 2024[↑]
17. Voir l’audition de Mathieu NDAHIMANA, 29 novembre 2024[↑][↑]
18. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mercredi 11 décembre 2024. J26
13/12/2024
La journée commence par l’annonce du versement, par l’accusation, d’une nouvelle pièce : une capture d’écran concernant le site The Rwandan dont nous avons déjà eu l’occasion de dire tout le mal qu’on en pensait.
Il s’agit du traitement de la condamnation récente de monsieur Charles ONANA selon qui « La France et le système judiciaire sont manipulés par KIGALI »[1]. (NDR. Monsieur ONANA avait été cité pour être entendu par la Cour d’assises de Paris lors du procès RWAMUCYO. Il a donné de « bonnes raisons » pour ne pas se présenter). Madame l’avocate générale fait la synthèse de la condamnation:
« Charles ONANA est coupable des faits de complicité de contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce, crime de génocide ayant donné lieu à une condamnation française ou international commis le 30 octobre 2019 à PARIS; » (Extrait de la condamnation)
Réaction de maître GUEDJ, pour la défense. « L’accusation, par sa présentation, foule aux pieds la présomption d’innocence. ONANA a fait appel, il est donc toujours innocent. L’article de The Rwandan cite les noms de témoins du procès MANIER qui sont présentés comme corrompus, dont Israël DUSINGIZIMANA »[2]. (NDR. On peut se demander qui a fourni ces noms issus des auditions de ce procès).
Il est fait remarquer à la défense que c’est elle qui a versé au dossier une pièce concernant ce site.
Réaction de monsieur MANIER. « Au cours de ce procès, des témoins disent que je suis un extrémiste. Or, le major Cyriaque HABYABARATUMA s’est excusé de l’avoir dit. Je ne suis pas un extrémiste: ma soeur a épousé un Tutsi et c’était avec mon accord. » ( NDR. Ma petite nièce de dix avait dit: « Je ne suis pas raciste, mon tonton va épouser une noire »).
Le président: « Imaginons que mon frère épouse une pro-nazi, je serais pro-nazi? » Il poursuit en s’étonnant que l’accusé soit seul dans ce procès: ni sa femme, ni ses enfants! Comment se fait-il que ses avocats n’aient pas demandé que l’un ou l’autre soit entendu?
Monsieur MANIER: « J’ai un fils en Angleterre, ma femme est malade, ma fille au Cameroun. Mon autre fils travaille dans le Morbihan. C’est moi qui suis poursuivi. »
Au président qui dit à l’accusé que beaucoup de témoins l’ont vu à NYANZA lors du génocide, monsieur MANIER répète qu’il n’a pas assisté aux scènes dont ils parlent. Tous ces témoins font leur travail, ce sont ses « détracteurs« . C’est bien un complot.
Le président SOMMERER: « Comment les autorités rwandaises peuvent-elles organiser un tel complot? »
Monsieur MANIER: « Je suis un opposant au gouvernement de KIGALI. L’association AMIZERO que nous avons créée est détestée et ses membres aussi. »
Le président: « Tout cela fait de vous un opposant dangereux? »
Le dialogue va s’arrêter avec une question d’une assesseure qui dit qu’on parle aussi beaucoup de BIRIKUNZIRA. « Vous concernant, les témoins mentent?
Monsieur MANIER: « Oui, ils mentent. Ils accusent BIRIKUNZIRA? C’est normal, c’était le commandant. » Il ajoute qu’il a travaillé un an avec le commandant de la gendarmerie et qu’il n’a gardé aucun contact avec lui.
Suite de l’interrogatoire de l’accusé. Seront abordés les événements suivants:
– les massacres sur la colline de NYABUBARE
– les massacres sur la colline de NYAMURE
– les massacres à l’ISAR SONGA
– la tenue des réunions
– les témoignages concernant l’homonymie invoquée par la défense
– le sauvetage de Tutsi par l’accusé
– Philippe HATEGEKIMANA après le génocide
Interrogatoire de l’accusé sur les événements concernant la colline de NYABUBARE.
Sur François HABIMANA, partie civile, entendu le 21/11[3]:
Le président rappelle qu’il avait fait une crise pendant la remise en situation et qu’il a montré beaucoup d’émotions pendant son témoignage devant la Cour. Il demande à l’accusé s’il pense qu’il a menti. M. MANIER dit qu’il est un « comédien » puis s’excuse d’avoir utilisé ce terme. Il maintient en revanche qu’il a été « préparé à l’avance. »
Me HERBEAUX intervient pour notifier à l’accusé qu’en contestant son récit, il conteste sa souffrance.
MANIER confirme que tout le monde ment.
Me BERNADINI insiste: « 50 témoins de fait ont été « coachés« ? »
M. le président demande à Me GUEDJ d’arrêter de répondre à la place de son client.
Me LHOTE fait observer que son client a du mal à s’exprimer.
Sur Eugénie MUREBWAYIRE, partie civile entendue le 15/11[4], Vestine MUKANGOGA (audition lue), Morodokaï NTIBWIRIZWA audition lue, Odette MUKANYARWAYA, PC entendue le 21/11, Faustin MANIRAGUHA audition lue :
Au rappel de ces témoins et de leurs dires, M. MANIER n’a rien à répondre.
Israël DUNSINGIZIMANA, témoin entendu le 25/11.
M. MANIER répond que ce monsieur fait un grand travail en prison contre lui et influence tous les autres témoins.
Madame l’avocate générale demande pourquoi des enfants qui avaient 10 à 12 ans au jour de l’attaque entendent déjà son nom.
Pas de réponse.
Emmanuel UWITIJE, frère du suivant, témoin entendu le 22/11.
Obed BAYAVUGE, témoin entendu le 22/11.
KAYIRANGA, témoin décédé.
M. MANIER ne fait pas de commentaire.
« Je dirais qu’au Rwanda, il y a une école pour préparer les témoins »
Madame l’avocate générale rappelle les dires de M. MANIER « Les témoins récitent leur témoignage comme le Norte Père ».
Me GUEDJ parle de « leçon mal apprise ».
Me LHOTE précise la ligne de la défense: parmi les témoignages stéréotypés, il y a des menteurs professionnels et des ouï dires.
Me PHILIPPART intervient pour dire que la défense sous-entend que tous les témoins et parties civiles entendues ont été préparés, ce qui diffère de leur position maintenant. Ils n’ont pas souligné des contradictions éventuelles mais ont dénoncé des mensonges.
Célestin NIGIRENTE, témoin entendu le 25/11.
Pas de commentaire pour BIGUMA.
Esdras SINDAYIGAYA, témoin entendu le 27/11.
Charles NKOMEJE, audition lue.
Callixte GASIMBA, témoin entendu le 27/11.
Festus MUNYENGABE, témoin entendu le 27/11.
Etienne SAGAHUTU, témoin entendu le 27/11.
Assiel BAKUNDUKIZE, audition lue.
Expert balistique Pierre LAURENT, entendu le 5/12
MANIER répond qu’il n’était pas formé pour utiliser un mortier.
M. le président observe que lors de son interrogatoire de personnalité, l’accusé avait dit avoir été formé au mortier pendant sa formation militaire.
La défense réfute la validité de cette expertise qu’il qualifie « d’expertise de salon« . Me AUBLE fait remarquer que la défense aurait pu demander une contre-expertise beaucoup plus tôt.
Interrogatoire de l’accusé sur les événements concernant la colline de NYAMURE.
Valens BAYINGANA, PC entendue le 28/11/24.
Julienne NYIRAKURU, PC entendue le 28/11/24.
Grâce BYUKUNSEGE, PC entendue le 3/12/24.
Madeleine MUKESHIMANA, audition lue.
Rév2rien NGENDAYIMANA, audition lue.
Mathieu NDAHIMANA, entendu le 29/11/2024
M. MANIER n’a pas de commentaire à faire.
Interrogatoire de l’accusé sur les événements concernant l’ISAR SONGA.
Dix-sept témoins sont cités. A noter que ces faits ont fait l’objet d’un non-lieu mais le CPCR ayant fait appel, ils ont été réintégrés dans l’accusation.
Monsieur MANIER: » Je n’étais pas là. Je ne sais pas ce qu’on me reproche. C’est la même stratégie que pour les autres scènes: on fait appel à la gendarmerie, aux militaires ou aux policiers communaux pour soutenir les assaillants qui ont été repoussés par les réfugiés. »
– Tharcisse SINZI, partie civile, entendu le 4/12/2024
– Philippe NAYISABA, partie civile, entendu le 4/12/2024
– Albert MUGABO, partie civile, entendu le 4/12/2024
Aucun de ces témoins ne désigne BIGUMA. Ils ont traversé l’AKANYARU pour atteindre le BURUNDI, laissant derrière eux plus de 3500 morts.
– Léonard PFUKAMUSENGE, entendu le 5/12/2024
– Jean-Marie Vianney KANDAGAYE, bourgmestre de RUSATIRA du 22 au 30 juin 1994, entendu le 5/12/2024
– Michel NKURUNZIZA, lecture de son audition
– Justin BUTARE, lecture de son audition
– Sapienta RUGEMANA, partie civile, entendue le 5/12/2024
– Longine RWINKESHA, partie civile, entendue le 6/12/2024. Pas crédible pour BIGUMA
– Chantal MUKAYIRANGA, partie civile, entendue le 6/12/2024
_ Gloriose MUSENGAYIRE, partie civile entendue le 3/12/2024
– Eugène HABAKUBAHO, partie civile, entendu le 6/12/2024
– Innocent MUNYANKINDI, partie civile, entendu le 6/12/2024
– Julienne NYIRAKURU, partie civile, entendue le 28/11/2024
– Angélique TESIRE, gendarme, entendue le 14/11/2024
– Pélagie UWIZEYIMANA, gendarme, entendue le 14/11/2024
– Didace KAYIGEMERA, gendarme, entendu le 15/11/2024
Pour l’accusé, ces trois gendarmes se sont certainement concertés.
L’expertise balistique de monsieur Pierre LAURENT sur l’ISAR SONGA.
Monsieur Pierre LAURENT a été entendu le 5/12/2024.
Maître BERBARDINI pose une questions auxquelles l’accusé a décidé de ne pas répondre concernant l’intervention de la gendarmerie à l’ISAR SONGA. Monsieur BIGUMA ne conteste finalement pas que la gendarmerie de NYANZA ait pu intervenir sur ce site.
Réunions sur l’entente (6 témoins).
– Lameck NIZEYIMANA: réunion à l’école ESPANYA. L’accusé déclare n’avoir pas participé à cette réunion. Il n’a jamais vu le préfet HABYARIMANA à NYANZA.
– Israël DUSINGIZIMANA, entendu le 25/11/2024
– Hamza MINANI, entendu le 20/11/2024
– Mathieu NDAHIMANA, entendu le 29/11/2024
Monsieur le président évoque un extrait de la deuxième audition devant le juge d’instruction. L’accusé avait dit: » Quand les tueries ont commencé, c’était ingérable (…) » « Vous étiez donc là? continue le président. Vous avez dit qu’il fallait faire les massacres sur ordre du sous/préfet de soutenir les miliciens! »
A plusieurs reprises, l’accusé s’est contredit concernant sa présence à NYANZA. Il aurait reçu sa mutation le 19 avril et serait parti pour KIGALI le 25. Il précise que quand il est arrivé au camp KACYIRU, c’était la paye. Or la paye était effectué le 30 du mois!
Existence d’un second BIGUMA? Il n’y a jamais eu un autre BIGUMA adjudant-chef. Le seul BIGUMA connu par le témoin Léonard PFUKAMUSENGE est un paysan de ses voisins. Depuis le début du procès, la défense veut que le BIGUMA qui est derrière le box des accusés n’est pas le bon.
La question des faux témoignages.
Là aussi, c’est une obsession de la défense et de leur client. Tous les témoins, témoins ou parties civiles, seraient des « menteurs ». Madame Laetitia HUSSON, juriste au TPIR, avait noté que les menteurs ont été extrêmement rares devant le tribunal international. Un témoin a été démasqué et condamné, et c’était un témoin de la défense.
Madame Régine WAINTRATER, entendue le 7 novembre, avait bien apporté son éclairage concernant ce sujet. Quant au responsable de l’OCLCH, Jean-Philippe REILAND, entendu le 12 novembre, il a dit que le Rwanda était le seul pays où les enquêtes se faisaient en l’absence des autorités locales.
Monsieur le président décide de projeter l’organigramme de la gendarmerie de NYANZA établi par les gendarmes français.
Sauvetage de Tutsi.
L’accusé donne la liste des Tutsi qu’il dit avoir sauvés.
– monsieur François MVUYEKURE et sa famille sur ordre du colonel RUTAYISIRE. Il les a conduit de GITARAMA à l’Hôtel des Mille Collines sur la colline de Kiyovu, à Kigali.
– monsieur Charles MPORANYI, « un Hutu modéré« , pris à KICUKIRO, toujours sur ordre du colonel RUTAYISIRE.
– quatre enfants tutsi réfugiés chez lui, deux remis à leur maman et deux conduits à KIGALI.
– monsieur Emmanuel HABIMANA, un Hutu dont il n’a jamais parlé, petit frère du secrétaire du MRND, Bonaventure HABIMANA.
– les quatre enfants de sa soeur mariée à un Tutsi, tué au début du génocide.
– des oncles de son épouse.
Monsieur le président fait remarquer à l’accusé que les gens qu’il avait sauvés auraient pu signer des attestations! » C’est grâce à ma famille que je suis là aujourd’hui » déclare monsieur HATEGEKIMANA, laissant entendre qu’il est soutenu par les siens. On se demande pourquoi le colonel RUTAYISIRE, qui devait être entendu le 13 novembre, a refusé de se présenter.
Il est fait remarquer à l’accusé qu’un témoin, Silas MUNYANPUNDU, entendu le 3 décembre, avait évoqué le rôle de BIGUMA lors des troubles de 1973, rôle confirmé par monsieur Jean de Dieu BUCYIBARUTA ( l’accusé aurait été renvoyé de son établissement lors de ces « troubles ». ( NDR.A cette époque, tous les intellectuels, les fonctionnaires, les étudiants, les lycéens tutsi avaient été chassés des établissements où ils se trouvaient).
Pourquoi a-t-il menti, en cachant son passé de militaire, pour faire sa demande de réfugié? lui demande-t-on. Le colonel NZAPFAKUMUNSI, entendu le 14 novembre, n’a pas usé de ce stratagème pour faire sa demande? C’est sur le conseil de deux amis de Rennes, le colonel Alphonse et Epiphane, lui auraient conseillé d’agir ainsi. Il est fait remarqué à monsieur MANIER qu’il a usé d’une fausse identité pour se déclarer, Philippe HAKIZIMANA, nom qu’il avait déjà choisi lors de son arrivée au camp de KASHUSHA au ZAÎRE, en 1994.
Monsieur le président demande à l’accusé pourquoi il n’était jamais retourné au Rwanda depuis son arrivée en France.
Monsieur MANIER: » Le monsieur du CPCR avait commencé des enquêtes! » Il lui est fait remarqué que les enquêtes du CPCR le concernant n’ont commencé qu’en 2013.
Monsieur MANIER: » J’avais créé une association ( association culturelle!) et j’étais un opposant. Je ne voulais pas me jeter dans la gueule du loup. » Quant à son départ pour le CAMEROUN, madame l’avocate générale lui fait remarquer qu’il s’y est rendue sur attestation d’une association qui lui avait permis d’obtenir son visa. Ce qu’il n’avait jamais dit. ( NDR. Monsieur MANIER était parti au CAMEROUN mais il avait » oublié » de revenir. Il sera arrêté lorsque sa femme viendra le rejoindre.)
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page
1. Voir la rubrique « À travers les médias » et notamment sur le site de Survie : Charles Onana et son éditeur condamnés pour contestation du génocide des Tutsis au Rwanda : le tribunal de Paris condamne un « déploiement sans frein de l’idéologie négationniste »[↑]
2. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[↑]
3. Voir l’audition de François HABIMANAN, 21 novembre 2024) témoin cité par le CPCR, partie civile.[↑]
4. Voir l’audition d’Eugénie MUREBWAYIRE, 15 novembre 2024[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : jeudi 12 décembre 2024. J27
13/12/2024
La journée est consacrée aux plaidoiries des avocats des parties civiles. Dans un premier temps, nous donnons la liste des avocats. Nous publierons les plaidoiries de ceux qui nous les feront parvenir.
Avant le début des plaidoiries, monsieur le président revient sur la liste des questions qui seront soumises au jury lors des délibérations de mardi prochain, jour du verdict. Il y apporte quelques modifications sur propositions des parties.
• Maître Gilles PARUELLE, avocat de personnes physiques parties civiles.
• Maître Sabrina GOLDMAN, avocate de la LICRA
• Maître Mathilde AUBLE, avocate de l’association IBUKA France et de personnes physiques parties civiles.
• Maître Hector BERNARDINI, avocat des associations SURVIE et CAURI et de personnes physiques parties civiles.
• Maître Sarah SCIALOM, avocate de SURVIE.
• Maître Julia CANCELIER, avocate de Valens BAYINGANA, partie civile témoin de NYAMURE.
• Maître Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR et de personnes physiques parties civiles.
• Maître Philippe HERBEAUX, avocat du CPCR et de personnes physiques parties civiles.
• Maître Sarah MARIE, avocate du CPCR et de personnes physiques parties civiles.
• Maître Martin KARONGOZI, avocat de personnes physiques parties civiles.
• Maître Richard GISAGARA, avocat de la CRF et de personnes physiques parties civiles.
• Maître Sylvain TAPI, avocat de personnes physiques parties civiles.
• Maître EPOMA, avocat de personnes physiques parties civiles.
• Maître Jean SIMON, avocat des associations SURVIE et CAURI et de personnes physiques parties civiles.
Maître Sabrina GOLDMAN, avocate de la LICRA
« Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d’ici. Nous voulons sauver la dignité humaine ».
Ces mots sont d’Arie WILNER pour décrire cet acte de dignité que fut l’insurrection du ghetto de Varsovie en Pologne auquel il prit part le 19 avril 1943.
Lorsque des hommes et des femmes résistèrent pendant presque 1 mois aux hommes du SS Jürgen STROOP venus chercher les derniers survivants pour les emmener vers les camps de concentration.
Une résistance clandestine organisée à l’intérieur du ghetto, menée par de jeunes hommes, avec à leur tête, Marek EDELMAN 23 ans, ou encore Mordechaï ANIELEWICZ 24 ans.
Les combattants choisirent leur sort : debout, les armes à la main. Le premier jour, les Allemands, surpris par la résistance, battent en retraite, avant de faire appel à des renforts, 2000 soldats et chars.
Le 16 mai 1943, le soulèvement est écrasé, la résistance est brisée.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, Mesdames et Messieurs les Jurés,
Voilà le moment d’Histoire auquel m’a fait penser le témoignage de Tharcisse SINZI mercredi dernier, lorsqu’il a décrit la résistance menée sur les terres de l’ISAR Songa.
Quand pendant 7 jours, ces hommes et ces femmes ont résisté aux miliciens interhamwe et à une population Hutu assoiffée de sang, avec de simples pierres.
Jusqu’au 28 avril. Vers 16 heures. Quand les bérets rouges, les hommes de BIGUMA, appelés en renfort, vont en un trait de temps, écraser, torturer, mutiler, violer, achever plusieurs milliers de Tutsi, qui ne sauront résister aux armes à feu, aux grenades et au mortier.
À l’ISAR Songa comme sur la colline de Nyabubare ou de Nyamure, le même mode opératoire.
BIGUMA, commandant de la compagnie de gendarmerie de Nyanza, celui qui est le chef des gendarmes, qui gère le personnel de la compagnie, qui a autorité sur eux, qui donne l’accès aux armes et munitions nécessaires. C’est lui qui donne les instructions.
BIGUMA, Philippe HATEGEKIMANA, est un maillon indispensable de la chaîne génocidaire.
Cette efficacité inouïe dans l’exécution des massacres, dont l’ampleur et l’horreur vous ont été décrits, n’a pu être atteinte qu’en raison d’une organisation collective.
Un génocide, c’est est un tout.
C’est la conjonction d’une pensée génocidaire, d’une population endoctrinée à tuer « les cafards », et de tout un appareil d’État transformé en machine à exterminer.
Qui dit crimes de masse n’exclut pas, bien au contraire, la responsabilité personnelle et individuelle de chacun des bourreaux de cette chaîne meurtrière.
C’est celle de Philippe HATEGEKIMANA dont vous aurez à décider dans quelques jours.
Je représente aujourd’hui une association, la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme, la LICRA, qui est partie civile dans ce procès. Pourquoi une association antiraciste est-elle partie civile
Avant tout parce que le procès d’un génocide, c’est le procès du racisme dans sa forme la plus extrême, la plus aboutie, la plus achevée.
Le racisme, c’est même la définition légale du génocide.
Selon le Code pénal, un génocide c’est l’exécution « d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Cela veut dire : tuez-les tous!
Tuez-les tous pour ce qu’ils sont! pas pour ce qu’ils ont fait!
Des hommes, des femmes, des enfants qui n’avaient commis d’autre crime que celui d’être nés Tutsi.
800 000 à 1 million, morts en 3 mois!
Peut-on réaliser ce gouffre?
Un million de visages, un million d’histoires, un million de peines, un million de nostalgies, un million de joies, un million d’espoirs.
Le vide absolu… c’est vertigineux…
Ils n’avaient pas le droit d’exister, ils n’ont même pas eu le droit à une sépulture.
L’historien Stéphane AUDOIN ROUZEAU a expliqué en visio conférence aux premiers jours de ce procès :
Ce génocide a les mêmes racines que les génocides qui ont meurtri l’Europe au 20e siècle, le génocide des arméniens et le génocide des Juifs d’Europe ; c’est la même pensée raciste et racialiste qui s’est développée en Europe à la fin du 19e siècle, celle d’une hiérarchie entre les races.
Cette prétendue hiérarchie a justifié une tentative d’éradication totale de la population Tutsi (épuration raciale) : ce qui signe ce projet, c’est le sort réservé aux femmes et aux enfants, même aux nourrissons, tués de manière systématique ; les historiens disent que ce massacre de la filiation c’est la signature d’un génocide (comme pour le génocide des arméniens ou la Shoah), lorsqu’on essaye d’empêcher tout avenir biologique à la communauté dont on considère qu’elle doit être exterminée.
Stéphane Audoin ROUZEAU a aussi, lors de son témoignage, fait son mea culpa: en 1994, jeune universitaire, il n’a pas prêté intérêt à ce génocide, il ne l’a pas vu et a cru à une simple guerre tribale: c’est un regret qui le suivra toute sa vie
Il en parle mieux dans son livre « Une initiation » où il dit :
« Je crois que dans ce refus de voir il y a forcément une forme de racisme inconscient ; le racisme on accuse toujours les autres d’en être porteur, jamais soi-même ; avant de dénoncer le racisme des autres, il faudrait se demander comment ses propres réactions peuvent être guidées par une forme de racisme à son insu »
J’ai toujours été très touchée par cette remise en question, par ce regard sur son propre cheminement car je crois qu’il peut parler de chacun de nous. De cette incapacité à parfois considérer que ce qui se passe ailleurs a la même valeur.
J’y vois comme illustration le désintérêt total, il faut le dire, de l’opinion publique pour ce génocide, que vous avez peut-être vous-mêmes, jurés, découvert dans sa vraie réalité, à cette audience.
Le génocide commis contre les Tutsi au Rwanda n’intéresse pas, en dehors des victimes et des associations qui militent pour que justice soit rendue.
On juge dans l’indifférence générale.
Combien de journalistes? combien d’articles de presse sur ce procès? et sur ceux qui l’ont précédé?
En juin 1994, Charles PASQUA, interviewé lors d’un journal télévisé, alors ministre de l’Intérieur, avait dit à propos de ce qu’il se passait au Rwanda :
« Il ne faut pas croire que le caractère horrible de ce qui s’est passé là-bas a la même valeur pour eux et pour nous ».
En 1994, le Président de la République François MITTERRAND avait quant à lui dit :
« Que peut bien faire la France quand des chefs africains décident de régler leurs problèmes à la machette ? après tout, c’est leur pays ».
Cette défaillance des Etats occidentaux à considérer que c’était un génocide qui avait lieu a d’ailleurs donné de la légitimité aux génocidaires.
Dans un documentaire que nous n’avons pas eu le temps de voir, qui est en accès libre et que je vous recommande, qui s’appelle « Confronting Evil », une historienne, Alison DES FORGES, parle de la propagande de la funestement célèbre RTLM, la radio des 1000 collines qui non seulement relayait de violentes incitations à la haine contre les Tutsi, mais aussi donnait des indications précises pour commettre les massacres (à tel barrage, se trouve telle voiture de telle couleur, telle marque, dans laquelle se cache une famille Tutsi), et c’était tragiquement très efficace.
Alison DES FORGES raconte qu’en 1994, le sénateur KENNEDY a fait remonter au Pentagone sous l’administration Clinton, l’idée de brouiller les ondes de la RTLM (pour interrompre les instructions et montrer que le gvt était illégitime).
Il n’y avait pas besoin de troupes militaires, il suffisait d’un avion.
Le Pentagone a considéré que 8 000 dollars de l’heure, c’était trop cher pour stopper un génocide.
Alors voilà, si la LICRA est présente à ce procès sur le banc des parties civiles, c’est parce qu’elle est une association universaliste,
Et que le génocide des Tutsi au Rwanda, ce n’est pas l’affaire des Tutsi, ce n’est pas l’affaire des rwandais, c’est l’affaire de tous.
C’est d’ailleurs même ce qui justifie que la France juge des crimes commis à près de 10 000 km d’ici.
Peut être vous l’êtes vous demandé ; pourquoi juge t on ici en France, ce qui s’est passé là-bas?
C’est au nom d’un principe de Droit, très beau, qui s’appelle la compétence universelle.
C’est un principe qui donne compétence à un État de juger un crime alors qu’il a été commis à l’étranger et alors même que ni son auteur ni ses victimes ne sont françaises.
Pour que la France soit compétente, il faut que la personne soupçonnée ait été arrêtée sur le territoire français.
Mais si la France peut juger, et doit juger ces crimes, c’est surtout parce que l’on considère que le crime commis est si grave qu’il porte atteinte à l’humanité toute entière.
Et que chaque État a pour responsabilité de juger ces crimes.
Parce que c’est toute l’Humanité qui est concernée à travers un crime contre l’Humanité.
A travers le génocide des arméniens, à travers la Shoah, à travers le génocide des Tutsi du Rwanda, c’est l’Humanité dans son ensemble qui est visée.
Dans le village de BREGNIER-CORDON, dans l’Ain, une stèle commémore la rafle des 44 enfants juifs et de leurs 7 éducateurs, le 6 avril 1944, à la maison d’enfants d’Izieu.
Cette stèle comporte une phrase du poète John DONNE qui pourrait très bien justifier pourquoi l’on juge ces crimes commis si loin de nous :
« Tout homme est un morceau de continent, une part du tout. La mort de tout homme me diminue parce que je fais partie du genre humain ».
Alors, pour cette communauté des Hommes, vous rendrez la Justice.
Maître Hector BERNARDINI, avocat des associations SURVIE et CAURI et de personnes physiques parties civiles.
Le 28 janvier 1993, plus d’un an avant la survenue de l’attentat qui va mettre le feu aux poudres, Jean Carbonare lance l’alerte au journal télévisé de France 2 et interpelle les Français sur le risque d’un génocide au Rwanda… Il évoque les massacres systématiques des populations civiles…
Le lendemain, il réitère ses mises en garde à l’Élysée auprès de Bruno DELAYE, le conseiller Afrique du Président MITTERRAND, en vain… La France poursuivra son soutien au régime en place… Jean CARBONARE ne s’en remettra jamais…
L’association SURVIE qu’il présidait alors et pour laquelle j’ai l’honneur de prendre la parole aujourd’hui en sera à jamais bouleversée…
M. le Président, Mmes les assesseurs, Mmes et M.M. les jurés,
Ma consœur Sarah SCIALOM, mon confère Jean Simon et moi-même sommes devant vous – plus de 30 ans après ces faits – pour porter la voix de l’association Survie, de l’association Cauri et de 14 personnes physiques victimes du génocide perpétré contre les Tutsis avec le concours de la compagnie de gendarmerie de NYANZA…
Prendre la parole pour Survie, c’est lire ces faits à travers la plume de François-Xavier VERSCHAVE qui – dès décembre 1994 dans son livre « Complicité de génocide ? » – analysait déjà le rôle de la France dans ces faits avec beaucoup d’acuité.
Prendre la parole pour Survie, c’est aborder ces faits, comme un citoyen français, fier des valeurs de la République, mais sans aveuglement chauvin, avec, au contraire, la lucidité courageuse de Laurence Dawidowicz et la précision chirurgicale de François Graner… (pause)
Prendre la parole pour CAURI, la petite sœur girondine de SURVIE, c’est rendre hommage à ses militants et à sa présidente Adélaïde MUKANTABANA, qui écrit pour la mémoire des victimes ses tourments de rescapée, accompagnée par les fantômes de ses proches et de tous les disparus que nous refusons d’oublier.
Prendre la parole pour Erasme NTATSINDA (l’actuel maire de district de Nyanza) – pour sa famille – pour sa cousine Gloriose MUSENGABIRE – 15 ans au moment du génocide – qui va fuir sa colline pour se réfugier à KARAMA, survivre au massacre et fuir vers l’ISAR SONGA. Pour sa sœur Marie INGABIRE – 6 ans au moment du génocide – qui a vu sa mère mourir sous ses yeux avant de rejoindre une partie de sa famille à KARAMA et d’y voir ensuite son père et ses frères mourir sous ses yeux.
Prendre la parole pour eux, c’est se souvenir de Stéphanie DUKUZEMARYA dont il ne reste aucune photo, la cadette de la famille d’Erasme massacrée à l’âge de 10 ans, de tous les enfants noyés dans les fosses septiques, des femme enceintes éventrées et des bébés jetés comme des déchets.
Prendre la parole pour Yvonne MUKANTAGANDA, c’est tenter de reconstruire le récit perdu d’un jeune Tutsi, Innocent SAFARI qui aurait été enlevé par la gendarmerie alors qu’il tentait de traverser l’Akanyaru. C’est aussi prendre la parole pour son autre frère, mon ami et confrère, Diogène BIDERI. Avec eux et des bribes de témoignages, nous essayons péniblement de retracer les circonstances de la mort d’Innocent SAFARI à NYANZA. Il aurait été enlevé par des gendarmes en même temps que le bourgmestre avec un groupe de jeunes, fut-il été assassiné sur la barrière de Bugaba à moins que ce fut sur la barrière de l’Akazu K’Amazi.
Un récit perdu et une preuve impossible.
Monsieur HATEGEKIMANA n’est pas mis en accusation pour le massacre de KARAMA, ni spécifiquement pour les assassinats d’Innocent Safari et de Stephanie DUKUZEMARYA, mais ces exemples de crimes sans coupable, sans cadavres, sans sépulture dignes, doivent apporter une conviction à la cour et aux jurés :
Les faits que vous avez à juger ne sont que la pointe émergée d’un iceberg.
Comme ces femmes que nous représentons, qui ne nous disent pas tout et qui n’arrivent pas à évoquer les atteintes sexuelles dont elles ont souffert.
… Vous jugez ce que les rares survivants ont pu dire sur une toute petite partie des faits…
Prendre la parole pour eux, c’est arpenter des sentiers noirs avec nos compagnons de route : les époux Alain et Dafroza GAUTHIER, les historiens Jean-Pierre CHRÉTIEN et Marcel KABANDA, des journalistes engagés comme Jean-François DUPAQUIER, Jacques MOREL l’informaticien archiviste extraordinaire et tant d’autres militants, chercheurs dont l’opiniâtreté forcent le respect et l’admiration.
Tous ces sentiers convergent.
L’impératif de Justice – la lutte contre l’impunité – pour la mémoire des disparus et pour la reconnaissance des responsabilités de la France sont un seul et même combat pour la vérité.
Mesdames et Messieurs les jurés, je n’ai qu’une seule ambition – C’est anéantir l’idée que le génocide serait le résultat d’un conflit tribal, de la sauvagerie atavique des africains, la manifestation d’une fureur spontanée… Idée instillée dans l’opinion française par certains communicants…
La vérité historique a été convoquée à cette audience où se sont succédés des témoins de contexte afin que la cour d’assises accouche d’une vérité judiciaire.
Cette vérité historique se précise À chaque procès et ENTRE chaque procès.
Comme un dialogue permanent entre historiens, journalistes, juristes et citoyens – cherchants de tous horizons qui chacun monte sur les épaules du précédent, comme chaque cour d’assises s’appuie sur la jurisprudence qui la précède.
Nous sommes ici en matière de crimes internationaux et la jurisprudence des juridictions étrangères et internationale doit nous éclairer.
Souvenez-vous de Laetitia HUSSON qui est venue évoquer les travaux du TPIR qui a dressé le 11 décembre 2006 dans son arrêt rendu dans l’affaire KAREMERA le constat judiciaire de l’existence d’attaques généralisées et systématiques dirigées contre la population civile en raison de son appartenance au groupe Tutsi…
Le génocide des Tutsi est un fait historique de notoriété publique devenu un fait judiciairement établi, une vérité judiciaire.
Depuis le 26 mars 2021, et la publication du rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi dit « Rapport DUCLERT », il est désormais une vérité historique que la France porte des « responsabilités lourdes et accablantes » dans la perpétration du dernier génocide du XXe siècle.
Pourquoi est-ce que cette conclusion historique m’intéresse et doit intéresser la Cour ?
Plus qu’un élément de contexte, le rôle de la France au Rwanda est désormais un prisme à travers lequel la Cour doit examiner les faits qui la saisissent.
Elle nous intéresse, cette vérité historiquement établie, car elle vient percuter les arguments de la défense employés par certains des témoins dits « à décharge » :
J’aimerais maintenant revenir brièvement sur les témoignages des hauts gradés de la gendarmerie rwandaise : Messieurs Jean-Marie Vianney NZAPFAKUMUNSI et Augustin NDINDILYIMANA.
Le général Augustin NDINDILYIMANA. C’est l’ancien chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise.
Il nous a dit, le 13 novembre et – intéressant comme ces procès se télescopent – le 2 octobre dernier exactement, la même chose dans le cadre du procès d’Eugène RWAMUCYO.
Oui les tueries de masse ont bien eu lieu, oui il y avait des barrières et des exécutions sommaires, mais c’est le FPR qui a infiltré les Forces armées, les milices Interahamwe et incité la population à commettre les tueries sur les barrières.
La thèse fantasmée du témoin serait donc que les Tutsi ennemis « de l’extérieur » auraient organisé et provoqué le génocide pour semer le chaos et s’emparer du pouvoir… Sacrifiant au passage les Tutsi « de l’intérieur »… C’est une forme de négationnisme. C’est historiquement faux. J’y reviendrai en conclusion.
Le général NDINDILYIMANA évoque également l’oeuvre les propagandistes du FPR dans la communauté internationale et je suis convaincu que, si on lui posait la question, il dirait volontiers que l’association Survie en fait partie et que j’en suis un…
Il est des critiques qu’on peut porter en médaille…
La réponse implacable à ce narratif nous a été donnée par le général Jean VARRET, lorsqu’il relate la réunion avec l’État-major des armées et son entrevue avec le colonel Pierre-Celestin RWAGAFILITA, chef d’état-major de la gendarmerie en janvier 1991 lors de sa deuxième visite au Rwanda. `
Le général VARRET le relate la première fois en 2018, vingt ans après avoir quitté l’armée et qu’il s’estime délié de son devoir de réserve, puis il le répète dans un livre intitulé : « Souviens-toi, mémoire à l’usage des générations futures ».
Le colonel de gendarmerie RWAGAFILITA demande des mortiers, des bazookas, des fusils mitrailleurs, des grenades, des obus, etc. VARRET cite : « La gendarmerie va se joindre à l’armée pour résoudre le problème – Ah bon mais quel problème ? aurait répondu Varret – « Nous avons besoin de ces armes pour liquider tous les Tutsi : les femmes, les enfants, les vieillards dans tout le pays ! Et vous savez ce ne sera pas long car ils sont peu nombreux! » rétorque son interlocuteur.
Il est central, ce témoignage du général VARRET, car il démontre que les extrémistes sont à la tête de la gendarmerie et de l’armée, qu’un programme d’épuration a été décidé. On a décrété la « solution finale » et on a besoin d’armes pour la mettre en œuvre.
Les nazis n’ont pas décrété l’holocauste sans avoir préalablement procédé à des massacres de masse de communautés juives. Mais c’est le 20 janvier 1942 qu’à la conférence de Wannsee des hauts dignitaires du parti nazi se réunissent pour discuter de ce qu’ils appelaient la « solution finale à la question juive »…
Le témoignage de Jean VARRET est crucial du point de vue historique car il permet de dater le moment où l’élimination de l’ennemi Tutsi a été décrété en haut lieu… Pour exécuter leur plan macabre, les planificateurs ont besoin de l’aide de la coopération militaire.
Cette planification du génocide, dès 1991, par le chef d’état-major de la gendarmerie, est totalement incompatible avec la version de l’accusé, celle du Général Augustin NDINDILYIMANA (le successeur du colonel RWAGAFILITA) et celle du lieutenant-colonel de gendarmerie Jean-Marie Vianney NZAPFAKUMUNSI.
Pour ce dernier, le comportement de la gendarmerie pendant le génocide aurait été exemplaire. Mis à part quelques éléments isolés… La gendarmerie faisait du maintien de l’ordre et assurait la sécurité de la population.
D’ailleurs, pour celui-ci, le « travail » ne veut pas dire tuer et il n’a pas entendu d’appel à la haine et aux massacres dans le discours du 19 avril du président Théodore SINDIKUBWABO.
On nage en plein délire négationniste et sa déposition aurait pu donner lieu à des poursuites immédiates pour contestation de crime de génocide.
L’éclairage de François Graner vient compléter le récit du général VARRET et achever le narratif négationniste de la défense. François GRANER évoque un télégramme diplomatique signé du chef de la coopération, le colonel CUSSAC, et de l’ambassadeur MARTRE du 9 octobre 1992. Le télégramme relate que la gendarmerie rwandaise a été « totalement désorganisée » à partir d’octobre 1990 par son chef d’état-major adjoint « le colonel RWAGAFILITA qui a choisi d’envoyer la totalité de ses effectifs au combat » et de « remettre à après la victoire contre le FPR l’exécution des missions spécifique de l’arme ».
C’est-à-dire que fin 1990-début 1991 l’entièreté de la gendarmerie était assignée à la guerre contre le FPR. Quand on sait que le Tutsi est assimilé au FPR dans la définition de l’ennemi par la doctrine militaire rwandaise, ça fait froid dans le dos.
Ce télégramme évoque aussi le « fichier central aux méthodes archaïques et brutales » et l’évocation des « vieux démons de la gendarmerie rwandaise ».
François GRANER a par ailleurs démontré que le commandement militaire des Forces Armées Rwandaises intégrait à la fois la gendarmerie et l’armée régulière. La gendarmerie est statutairement une composante des FAR…
Son témoignage permet de mieux comprendre comment l’accusé a très vraisemblablement été entraîné à Ruhengeri au maniement du mortier – made in France – par des instructeurs français du détachement d’assistance militaire et d’instruction de la gendarmerie (DAMI).
On comprend mieux aujourd’hui comment la gendarmerie de Nyanza a probablement pu bénéficier du soutien de l’un des quatre hélicoptères Alouette et des deux hélicoptères Gazelle, gracieusement mis à la disposition de l’armée par la France dans le cadre de la coopération militaire.
Hélicoptère utilement mis à profit lorsqu’il a fallu faire une mission de reconnaissance à l’ISAR SONGA, un repérage de l’organisation de la résistance menée par Tharcisse Sinzi.
Un repérage pour positionner au mieux le mortier de 60mm qui sera utilisé le lendemain par les gendarmes pour pilonner la colline.
* * *
Monsieur le Président, Mesdames de la Cour, Mmes et M.M. les jurés, au moment de vous retirer pour délibérer, vous emporterez avec vous des fragments de cette page de l’histoire africaine de la France.
La France, pays des Droits de l’Homme et des Lumières, aurait dû être un phare dans la Nuit rwandaise. Mais au lieu de cela, elle a choisi délibérément l’aveuglement et les ténèbres.
Mais les temps ont changé !
Il y a trois jours, le 9 décembre 2024, Charles ONANA était condamné par la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris pour contestation de crime de génocide dans son livre « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. »
Dans sa motivation le Tribunal énonce la chose suivante :
« La contestation de l’existence du génocide des Tutsi est perceptible à travers l’usage d’une rhétorique laissant ourdir l’existence d’un complot ayant abouti à la reconnaissance officielle de ce crime. L’idée défendue par l’auteur consiste à avancer que la mise en avant de l’existence d’un génocide des Tutsi permettrait opportunément de dissimuler la vérité qui consisterait, pour lui, en la conduite, par le FPR, d’une lutte armée ayant amené à la commission de divers massacres dont certains commis au préjudice des Tutsi, un tel sacrifice, par le FPR, de la population qu’il était censé protéger, s’expliquant par le souhait de ce dernier de s’emparer du pouvoir. »
Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il s’agit du même narratif employé par la défense prenant appui sur les témoignages des hauts gradés dont j’ai parlé… Je n’ose pas envisager que, comme le site « The Rwandan », la défense osera vous dire que la justice française est manipulée par Kigali, que vous-mêmes êtes manipulés par le régime de KAGAME, vous qui qui incarnez la justice française…
Le plus grave dans tout cela, c’est que de tels discours attisent des conflits très actuels dans la région du Kivu dans l’est de la RDC qui est aujourd’hui le théâtre d’affrontements sanglants dont les conséquences sur les populations civiles sont d’une extrême gravité.
La lutte contre l’impunité et contre toutes les formes de négation et de banalisation de ces crimes est un combat permanent, un flambeau que nous portons avec les associations et les rescapés que nous portons avec tous mes confrères de la partie civile.
Une lumière que nous vous transmettrons et qui, je l’espère, éclairera vos travaux lorsque la Cour se retirera pour délibérer.
Et j’espère qu’après avoir rendu la Justice vous emporterez chacun un peu de cette lumière dans vos maisons et dans vos familles…
Maître Jean SIMON, avocat des associations SURVIE et CAURI et de personnes physiques parties civiles.
J’ai l’honneur de clôturer les plaidoiries des avocats de partie civile.
Avant toute chose je veux avoir un mot pour les parties civiles, les associations SURVIE et CAURI ainsi que leurs militants, ceux qui sont venus à l’audience, et les 14 personnes physiques qui nous ont demandé, à mon confrère et ami Hector BERNARDINI et à ma consœur Sarah SCIALOM de porter leur voix devant votre Cour.
Plus largement je veux avoir un mot pour toutes les parties civiles et pour tous mes confrères intervenant dans ce dossier sur les bancs des parties civiles, et à ceux qui se sont régulièrement investis dans ces audiences traitant du génocide des Tutsi au Rwanda entre avril et juillet 1994. Cette pensée amicale va notamment à mes confrères Patrick BAUDOIN, Simon FOREMAN et Michel LAVAL.
Dans un précédent procès, le procès ayant concerné Eugène RWAMUCYO qui s’est achevé juste avant que notre procès ne commence, Michel LAVAL, avocat du CPCR, se trouvait dans cette même situation et présentait les confrères sur les bancs des PC comme ces compagnons d’arme, je les salue ici comme mes compagnons de lutte.
• Lutte pour la mémoire et la lutte contre la banalisation du génocide,
• Lutte pour la justice et donc la lutte contre l’impunité.
J’ai donc la tâche de clôturer les plaidoiries de parties civiles.
Depuis ce matin beaucoup de choses ont été dites et naturellement je m’y associe et totalement.
Avant de venir devant vous je me suis posé la question de savoir ce que je pouvais vous dire de plus, d’original et d’intelligent qui n’ait pas été développé devant vous.
Alors je ne sais pas si ce sera intelligent. Mais je peux vous garantir que ce ne sera pas original.
Mais cela correspond à ce que j’ai envie de vous dire.
Voilà maintenant presque 15 ans aujourd’hui que j’interviens dans ces dossiers d’instruction qui concernent les poursuites des faits de génocide et crimes contre l’humanité commis contre les Tutsis du Rwanda d’avril à juillet 1994.
J’ai commencé à travailler avec Laurence DAWIDOWICZ de l’association SURVIE en 2011, à une époque où le pôle crimes contre l’humanité n’avait pas encore vu le jour, et nous avons traversé ensemble quasiment tous les dossiers des personnes qui ont été accusées devant la cour d’assises depuis la toute première procédure jugée par la France au premier trimestre 2014 qui concernait Pascal SIMBIKANGWA pour les 20 ans du génocide.
M. Le bâtonnier Gilles PARUELLE vous disait ce matin intervenir pour la 9ème fois devant une cour d’assises dans le cadre de ces dossiers, je partage cette expérience avec lui.
L’expérience me fait dire que la lutte pour la justice et contre l’impunité n’est jamais finie et mérite de rappeler avec force un certain nombre de principes essentiels après ces longues semaines d’audience.
Pourquoi ce procès est essentiel
Sabrina GOLDMAN vous a rappelé ce qu’est la compétence universelle.
Le génocide est couramment appelé le crimes des crimes, génocide et crimes contre l’humanité sont les crimes les plus graves prévus par le code pénal français
À tel point que ces crimes ont entraîné la distorsion de deux principes majeurs du droit :
On peut poursuivre ces crimes quel que soit le lieu où ils ont pu être commis et quel que soit le temps écoulé depuis leur commission.
Pour que la France soit compétente pour de tels faits commis au Rwanda par des personnes de nationalité rwa, contre des victimes de nationalité rw, il faut que la personne suspectée ait trouvé refuge sur le territoire national.
Il est nécessaire d’insister sur l’importance de la compétence universelle et de l’imprescriptibilité pour ces incriminations car elles permettent d’assurer la justice tant pour les survivants que pour les morts du crime des crimes.
Parce que les valeurs qui sont en jeu dans un tel procès nous concernent tous
C’est l’humanité toute entière qui est concernée que les faits soient commis contre les juifs, les arméniens, les tutsis ou tout groupe visé en fonction de ce qu’il est.
La génocide cherche à nier l’existence du groupe cible à le faire purement et définitivement disparaitre.
La dernière partie civile qui est venue témoigner à cette barre est venue nous expliquer qu’on quand on trouve une nouvelle fosse commune, on cherche à reconnaître les membres de sa famille par les vêtements que portaient les victimes.
On s’accroche à des ossements, on cherche à les retrouver pour pouvoir les enterrer dignement pour leur permettre de matérialiser leur absence.
Parce que le crime de génocide et les abominations qu’il provoquent sont et doivent rester inacceptables et doivent entraîner une réponse judiciaire
La justice n’est pas une vengeance.
La justice n’est pas un règlement de comptes.
La justice n’est pas un jeu de manipulations et d’influences politiques.
La justice c’est redonner du sens et de l’humanité.
Parce que faire œuvre de justice c’est faire œuvre de mémoire.
Faire œuvre de justice c’est faire œuvre de mémoire.
À ce stade, je veux avoir un mot amical pour le CPCR et pour Dafrosa et Alain GAUTHIER parce que leur combat pour la justice (Dafrosa GAUTHIER se présentait comme des petites mains de la justice) réalisé avec la plus grande abnégation mérite l’admiration tant ce travail d’investigation de terrain est aussi titanesque qu’indispensable.
Ces dossiers existent grâce à leurs efforts depuis plus de 20 ans qui sont venus devant la Cour d’assises de Paris et qui ont donné lieu à des condamnations lourdes de la Cour d’assises de Paris.
Aux côtés de SURVIE et CAURI, je veux également saluer les associations que nous croisons régulièrement à ces audiences la LICRA, la FIDH, le CRF et IBUKA France qui
Faire œuvre de justice c’est faire œuvre de mémoire et il reste essentiel à chacune de ces audiences de rappeler que :
Le génocide des Tutsis n’est pas le résultat d’une fureur populaire.
Il n’a ni été spontané, ni improvisé.
Il a débuté bien avant le matin du 7 avril 1994.
Le génocide des Tutsis est le fruit de l’ethnicisation de la société rwandaise, articulée à une logique coloniale.
Nous savons que la haine du Tutsi est née d’une entreprise de propagande marquée par l’emploi du double langage et d’un discours de haine exacerbée visant directement les Tutsi,
À cette culture de la haine s’est ajoutée la culture de l’impunité.
Le génocide des Tutsis est l’aboutissement d’un projet de déshumanisation des Tutsis devenus des objets.
Ce processus de réification, de chosification les témoins de contexte intervenus à cette barre ou encore Monsieur Daniel ZAGURY l’expert psychiatre vous en ont parlé
« je peux infliger ce que je veux à tous les membres du groupe cible car ce ne sont plus des humains mais des cafards ou des objets »
La définition de l’ennemi est ce glissement sémantique dangereux entre les forces armées du FPR identifiées aux Tutsis de l’intérieur qui seraient des espions, des agents infiltrés de dangereux, armées faites alors qu’ils n’étaient en réalité que des enfants, de vieillards, des femmes, de paysans qui faut exterminer, humilier, faire disparaitre, soustraire à l’Humanité, jusqu’à faire disparaitre les cadavres dans des fosses communes qu’on continue à chercher, à trouver et à ouvrir, et tout cela dans le cadre de prétendus actes de légitime défense préventive.
C’est l’idée qu’il faudrait exterminer pour survivre,
Ce sera eux ou nous ;
le mal absolu devenant une nécessité afin de le transformer ce mal de prétendus actes de défense survivaliste.
Rappelez-vous les propos de Philippe HATEGEKIMANA auprès de l’expert psychiatre ou devant cette cour quand il soutenait sur interrogations multiples du président et des avocats de partie civile que le génocide aurait été improvisé avec cet argument terrible suivant lequel s’il avait été préparé ces résultats macabres auraient été encore plus élevés
Non Monsieur HATEGEKIMANA le génocide des Tutsi du Rwanda n’a été ni spontané, ni improvisé.
Non Monsieur HATEGEKIMANA, le génocide des Tutsi au Rwanda n’est pas la guerre entre le FPR et les FAR et nous pouvons comprendre ce qu’il s’est passé au Rwanda durant les mois d’avril à juillet 1994 même si le génocide des Tutsi n’a pas été commis chez nous.
Ces rappels et la répétition de ces rappels sont plus que jamais nécessaires.
Question 1 et votre Cour y répondra OUI :
Est-il constant que sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butare, entre le 6 avril 1994 et juillet 1994, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partiel du groupe Tutsi des atteintes volontaires à la vie ont été commises?
Vous répondrez oui.
Il est important de le rappeler haut et fort mais ce constat qui est d’ailleurs un constat judicaire doit s’accompagner de l’exigence de justice.
Cette exigence de justice doit permettre la libération de la parole des victimes.
Mon confrère Hector BERNARDINI a cité Marie INGABIRE et Gloriose MUSENGAYRE venues à la barre raconter leur chemin de croix dans ces trois mois de tueries massives.
Pour toutes les parties civiles, l’exercice de venir à la barre est compliqué.
Cette parole des parties civiles est essentielle.
Madame WAINTRATER, psychologue clinicienne, a évoqué les efforts gigantesques réalisés par ces personnes afin de trouver la force de dire, de raconter, de décrire l’ensemble de leur chemin de croix, de leur calvaire humain à travers les visions d’émasculation, d’éventration pour tuer les bébés Tutsi, de supplication d’une mère pour qu’on l’achève et sauve sa fille en bas âge regardant sa mère agoniser dans une mare de sang.
Madame WAINTRATER, psychologue clinicienne qui est venue témoigner et qui a beaucoup été citée par mes confrères apporte un témoignage important en ce qu’elle explique à quel point le récit, la formulation des faits subis, la parole apparaissent comme essentiels, non seulement pour caractériser les faits mais aussi pour libérer les rescapés.
Cette parole des victimes est essentielle.
La parole des témoins l’est tout autant.
En effet, comme vous l’avez compris, le dossier repose sur des témoignages.
Quelle méthode la Cour devra employer pour juger de la valeur probante de ces témoignages ?
La défense vous propose une méthode que vous rejetterez.
Au travers des questions qui ont pu être posées par la défense de l’accusé, on a parfaitement compris que la défense allait tout faire pour tenter d’écarter les témoignages à charge qui viennent mettre en cause l’accusé des crimes les plus graves.
Ce qui est intéressant c’est surtout le fait qu’on va essayer de vous faire considérer que dans l’hypothèse où un témoignage serait affecté du début de la moindre contradiction, il faudrait écarter ce témoignage dans son intégralité, il faudrait le rejeter, ne pas le prendre en compte, l’annuler et non pas chercher à le traiter.
• Cela supposerait que vous preniez chaque témoignage seul, indépendamment des autres, sans le recouper avec les autres dépositions qui peuvent justement permettre de confirmer ou de corroborer des éléments factuels, de trouver une cohérence.
• Ce serait aussi admettre que la Cour ne remplit pas son devoir, sa mission qui réside justement dans le fait d’écouter, de poser des questions, de soupeser, de recouper, d’analyser, et, au final de retenir, de filtrer ou d’écarter.
Non, votre cour ne se laissera pas entraîner dans un tel raisonnement simpliste et remplira sa mission d’examen, de recoupage, de mise en perspective, d’interprétation et de volonté de cohérence.
Votre méthode d’analyse sera celle de l’analyse cinématographique en fonction des éléments relevés dans les témoignages ; vous devrez chercher à reconstituer une chronologie, une scène de crime en fonction des témoignages qui vous permettront de fixer des éléments grâce à une convergence, une cohérence, un faisceau d’indices qui permet de fixer des certitudes et de démontrer.
Vous devrez rejeter la méthode qui consiste à décortiquer les témoignages pour tenter de trouver la moindre contradiction aussi minime soit-elle afin de rejeter d’évacuer l’intégralité des déclarations d’un témoin.
C’est l’exemple de la couleur du pick up qui à en suivre nos débats pouvait tout à coup revêtir une importance démesurée.
Cela nous amène à s’attarder en quelques mots sur la défense de l’accusé.
Cette défense qui le plus souvent a été l’adoption de postures.
Deux grandes tendances dans sa défense :
• Prétendre ne pas avoir été présent malgré les témoignages et donc de ne pas pouvoir se mettre à la place de ceux qui étaient présents
Combien de fois avons-nous entendu
« je ne peux pas vous répondre Monsieur le Président je n’y étais pas »
Avantage majeur : cette posture permet de ne pas avoir à répondre aux arguments objectés, aux témoignages
et / ou
• De critiquer non plus les déclarations en elles-mêmes mais les déclarants, les témoins pour jouer la carte de la prétendue manipulation des témoins.
La prétendue manipulation des témoignages
Cette théorie mérite quelques réflexions :
Première observation : ainsi que Domitille PHILIPPART vous l’a précédemment parfaitement exposé, cette théorie entraîne une inversion des rôles inacceptable.
On vous a répété que tout témoin à charge serait un envoyé du pouvoir de Kigali qui aurait été coaché, briefé, conditionné pour venir accabler, l’accusé et selon ce dernier il ne faudrait pas même prendre en compte ces témoignages.
Les témoins mentiraient et refuseraient de reconnaître l’innocence.
On inverse les rôles ceux qui accusent deviennent ceux qui auraient quelque chose à se reprocher, les victimes deviennent les mis en cause.
Les victimes deviennent de prétendus persécuteurs.
Encore une fois, cette posture est celle de celui qui préfère se cantonner à critiquer la parole de l’autre plutôt que de tenter de se défendre en apportant ses explications et une réelle contradiction.
On est sur une position de principe qui ne va pas au fond des choses et qui permet de répondre de façon stéréotypée ou plutôt de ne pas répondre aux accusations portées.
La prétendue manipulation des témoignages – suite
Deuxième observation :
Cet argument systématique d’une prétendue manipulation des témoins n’est étayée par aucun motif valable.
• Mathilde AUBLE est revenue sur ce point en soulignant qu’on ne comprenait ni les motifs ni les moyens de cette prétendue manipulation.
• Devant l’expert psychiatre, l’accusé a invoqué des jalousies et des manipulations politiques, explication aussi imprécise que gratuite qui d’ailleurs n’a ni pu être étayée ni développée.
• Une tentative de justification incompréhensible : en quoi un prétendu « hutu modéré » qui serait parti avant les massacres de la commune de Nyanza serait une cible pour le pouvoir FPR?
• Pour son activité associative en France des années plus tard ? Monsieur HATEGEKIMANA a vécu pendant de longues années en toute tranquillité en France sans que personne ne le dérange ; son association est apolitique : qu’il soit une prétendue cible du pouvoir de Kigali n’a aucun sens.
• Il a également développé l’idée suivant laquelle tout opposant politique serait une cible pour le FPR : question mais en quoi Monsieur HATEGEKIMANA manifesterait son opposition au pouvoir de Kigali ? aucun écrit particulier, aucune prise de parole particulière, aucune manifestation publique et politique à son actif.
En réalité, la tentative de la décrédibilisation systématique de la parole des témoins et des rescapés :
« celui qui m’accuse, ment »
n’est rien d’autre qu’un mécanisme de défense,
C’est d’ailleurs, un mécanisme de défense classique pour ne pas dire systématique de ceux qui sont accusés des crimes les plus graves et qui n’ont rien à mettre en face des accusations, qui n’ont aucune réponse sur le fond à apporter.
Ce mécanisme je l’ai constaté dans toutes affaires de personnes à qui on reprochait une participation au génocide des Tutsi au Rwanda.
On accusé les témoins d’être manipulés par le pouvoir rwandais?
On accuse les détenus d’êtres préparés pour venir témoigner?
L’accusé nous parlait hier encore de comédie, d’orchestration et même de coaching des témoins.
Ce qui est gênant pour l’accusé est qu’en général les témoins apparaissent assez mesurés et vous n’avez pas dans ce dossier des séries de témoignages qui seraient strictement identiques ce qui serait étonnant au regard du chaos qui a régné, de la violences des épisodes traumatiques subis et du temps qui a passé
Les témoins ne jouent pas tous la même partition justement parce qu’ils ne sont pas orchestrés
Troisième observation :
• Devant le TPIR, le seul cas de condamnation pour faux témoignage a concerné un témoin de la défense qui avait menti en accusant les autorités rwandaises.
Le TPIR applique un raisonnement simple : pas de condamnation en l’absence d’élément de preuve du conditionnement du témoin.
« Il est nécessaire de caractériser des éléments de preuve établissant qu’un témoin a EFFECTIVEMENT été conditionné ».
On agite le spectre du complot, de la préparation des témoins, de l’orchestration des témoignages mais sans apporter le début de la moindre preuve qui permettrait d’établir que les témoins aient été coachés, entraînés ou conditionnés pour témoigner contre l’accusé.
Mais il n’y a rien derrière.
Quatrième observation :
Ces accusations infondées et systématiques portant sur les témoins passent mal pour les parties civiles.
Ces accusations passent d’autant plus mal quand on rappelle les éléments apportés par l’expert psychiatre.
• Daniel ZAGURY qui est venu à la barre lundi dernier et qui vous a expliqué que dans le discours de Monsieur HATEGEKIMANA les affects étaient absents que les propos étaient stéréotypés et que d’ailleurs c’était un grand classique des personnes accusées des crimes les plus graves.
• De cette expertise ressort un autre élément qui mérite d’être souligné c’est celui suivant lequel la souffrance reste du même côté de la barre.
Ce sont les victimes qui souffrent avant pendant et après tandis que les accusés mis en examen ou condamnés semblent couler des jours heureux construire des familles et suivre les études de leurs enfants développer un lien social sans apparemment que leurs pensées soient assaillies par les souvenirs marqués au fer rouge de ceux qui ont vu leurs familles entières se faire déchiqueter humilier tuer disparaître.
Souvenez-vous des experts psychiatre et psychologue qui excusaient presque de la vacuité de lueur expertise venant nous dire que malgré les épisodes marquants de sa vie : la guerre le génocide les camps puis la détention pas de traits psychodramatiques chez l’accusé et pas de traits saillants de personnalité.
Tout ça glisse sur lui dans la pire des banalités et comme vous l’a dit, Monsieur ZAGURY, le stade ultime du génocide c’est l’indifférence.
Quel contraste quand on repense par exemple à cette partie civile venue à la barre avec sa photo déchirée, seul et unique vestige de ce qu’il reste de sa famille.
Et évidemment c’est son droit le plus strict, Monsieur HATEGEKIMANA qui lui n’est pas sous serment quand il témoigne a le droit d’exercer sa défense comme il l’entend.
Quelques observations plus générales sur l’accusé et les droits de la défense.
Un mot sur l’accusé qui était présent sans être présent qui a cherché à fuir son procès comme il cherche à fuir les éléments qui le mettent en cause dans ce dossier.
Comme tous les accusés dans le discours est fermé, dénué d’affects avec un point commun en ce que tous comme Monsieur Philippe HATEGEKIMANA.
Un accusé qui est apparu très seul (aucune citation de personnalité), et comme l’un de ses avocats l’a indiqué à la Cour, perdu.
C’est un homme dans toute sa banalité qui s’est présenté à la cour face à l’immensité de la cruauté de la violence et de l’inhumanité de ce qu’on lui reproche.
Rappelons également que lorsqu’on écoute l’accusé sur des points aussi essentiels que son positionnement par rapport au génocide force est de reconnaître qu’il s’exprime mal ou plutôt qu’il accepte la réalité de ce génocide mais que le naturel revient au galop.
Un exemple sur la reconnaissance du génocide : oui il y a eu un génocide ne pouvant s’empêcher de rajouter que les instances internationales comme l’ONU ou le TPIR (de même que des juridictions nationales françaises, belges, suédoises ou canadiennes) l’ont reconnu alors il est bien obligé de faire de même et de rajouter très vite quand on gratte un peu la surface de cette déclaration de principe et qu’on le questionne plus précisément sur la planification de ce génocide : il affirme à plusieurs reprises que le Génocide aurait été improvisé ou encore spontané que ce génocide aurait été improvisé ou spontané.
La cour n’aura d’ailleurs pas manqué de remarquer que mes excellents confrères de la défense mettaient beaucoup plus de cœur et d’enthousiasme à bien définir leur ligne de défense et à rappeler que les atrocités du génocide des Tutsi au Rwanda ne sauraient à aucun moment être remis en cause.
Et d’ailleurs si Monsieur MANIER avait été un tant soit peu plus clair ces mises au point n’auraient pas eu lieu d’être.
L’exercice des droits de la défense.
À cette audience comme lors de l’instruction, la défense a pu exercer ses droits : par la production de pièces, le dépôt de conclusions afin de formaliser toute demande, les observations, les contre-interrogatoires, les observations ou plaidoiries, le fait d’avoir toujours la parole en dernier.
Interrogé depuis quelques jours en détails sur chacun des thèmes de ce dossier sur chaque accusation portée contre lui, l’accusé a pu exercer l’entièreté de ses droits :
Il est libre de répondre ou de ne pas répondre.
De dire ou de ne pas dire.
D’oublier.
Comme c’est son droit de ne pas se souvenir de ses déclarations devant le Juge quand elles le mettent en difficulté devant la cour.
De se contredire.
De mentir.
De refuser de répondre.
On a pu voir qu’il avait décidé de ne pas répondre à certains de mes confrères en charge des intérêts de partie civile.
C’est son droit le plus strict.
Comme c’est même son droit de mentir, s’il le souhaite.
Il a également le droit au silence.
Un droit réside dans la faculté qu’on laisse à celui qui en bénéficie de l’exercer ou non.
C’est encore son droit le plus strict de se défendre en brandissant la thèse du complot, de l’orchestration des témoignages, du fait que des gens coachés par KIGALI et ce même si cette défense n’est étayée par aucun élément probant sérieux.
C’est son droit le plus strict, et il est central, majeur, fondamental de pouvoir exercer ses droits.
Il faut bien comprendre et rappeler qu’il s’agit d’un choix de l’accusé.
Cette défense est hors sol et ne répond pas aux exigences d’un tel procès.
Fort de l’épouvantail de la prétendue manipulation des témoignages, la défense a même déjà plaidé que l’accusation reposerait sur du sable.
Ce n’est pas l’accusation qui repose sur du sable mais la défense de l’accusé qui repose sur du sable et du sable mouvant dans lequel l’accusé s’est un peu plus enfoncé chaque jour et bien profondément quand depuis lundi et qu’il a été interrogé en détails sur chaque thème de ce dossier.
Ces postures de défense sont encore plus frappantes quand il affirme n’avoir jamais participé aux actes qu’on lui reproche, qu’il n’avait rien à se reprocher dans les faits pour lesquels il est accusé, que son innocence allait bientôt être révélée au grand jour!
Il est même allé plus loin en indiquant avoir sauvé des personnes Tutsi, révélant pour la première fois avoir entretenu une relation extraconjugale avec une femme Tutsi qui lui aurait donné un enfant qu’il aurait essayé de sauver également…
OU encore je vous rappellerai ses propos délirants sur le fait qu’il avait donné sa bénédiction à sa petite sœur pour se marier avec un Tutsi ce qui démontrait bien qu’il n’était pas anti-Tutsi.
C’est affligeant.
Les postures de la défense de l’accusé intégreront vos réflexions au moment où vous devrez délibérer.
L’article 304 du Code de procédure pénale qui est à mon sens le plus beau des textes de notre loi et qui détermine votre tâche, votre mission, votre devoir et qui vous demande notamment de vous décider d’après les charges et les moyens de défense suivant votre conscience et votre intime conviction.
La question sera celle de savoir comment la Cour interprétera ces choix, Mesdames et Messieurs les jurés, Monsieur Le Président, Mesdames et Monsieur de la Cour, vous aurez vous à déterminer ce que ce moyen de défense inspire à votre raison conformément aux dispositions de l’article 304 du Code de procédure pénale.
L’ensemble des parties civiles est totalement confiant dans le fait que votre Cour sera à la hauteur de l’exigence de justice qui vous est réclamée.
La journée du vendredi 13 décembre sera consacrée au réquisitoire des avocat(e)s généraux.
Coline BERTRAND, stagiaire
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, notes et mises en page.
Procès en appel HATEGEKIMANA : vendredi 13 décembre 2024. J28
14/12/2024
Journée consacrée au réquisitoire des avocats généraux, madame Aude DURET et monsieur Rodolphe JURY-BIRMANN.
« Raconter la nuit ». C’est par ces mots du président MACRON au Mémorial de GISOZI à KIGALI en 2021 que monsieur JURY-BIRMANN, avocat général, commence son intervention. Pendant ces six semaines, nous avons rencontré des charniers, des massacres, la déshumanisation des Tutsi, l’ignominie des crimes de monsieur MANIER, dit-il en substance. « Mais le temps n’a pas accompli son oeuvre. Nous saluons la dignité des victimes qui sont venues pour raconter la nuit, pour comprendre. Nous saluons leur courage: elles n’abandonnent jamais. »
Monsieur l’avocat général rend ensuite hommage aux associations de parties civiles, remercie l’association qui est chargée d’accueillir les rescapés qui viennent témoigner et le colonel CHEVALIER, à KIGALI, qui a assurer la bonne marche des auditions en visioconférence. Il remercie enfin sa collègue, madame Aude DURET, qui a systématiquement remercié les rescapés qui avait fait ce si long voyage pour être entendus à la barre.
Monsieur JURY-BIRMANN adresse quelques mots aux jurés et pose une question importante: « Pourquoi juger monsieur MANIER en France? » Plusieurs raisons à cela:
• La France n’extrade pas ses nationaux et Philippe MANIER a obtenu la nationalité française.
• Il n’est pas possible de lui faire purger sa peine au Rwanda, peine prononcée en 2002 dans ce pays.
• le 22 mai 1996, il y a eu la transposition d’une loi du TPIR dans le droit français. ( Pas sûr que ce soit clair!)
• cette cour est composée de jurés tirés au sort et non de magistrats professionnels seul, comme c’est le cas pour des crimes liés au terrorisme (NDR. Pourquoi ne pas envisager la même chose pour les crimes de génocide commis au Rwanda pour accélérer les procédures?)
• il existe la loi de compétence universelle qui permet de juger des crimes qui ont été commis à l’étranger, par des étrangers, sur des étrangers, à condition qu’ils soient domiciliés en France au moment de la plainte.
« Nous ne jugeons pas le génocide des Tutsi mais un homme, pour ses actes. Le reste n’est que du contexte, voire un écran de fumée« , assène-t-il (NDR. Allusion aux tentatives incessante de la défense de vouloir faire le procès du président KAGAME et de son régime qu’elle ne cesse de présenter comme une dictature. Ces arguments seront certainement repris par les avocats de BIGUMA lundi prochain, dans leurs plaidoiries).
Et l’avocat de rappeler les dernières paroles de Klaus BARBIE à la fin de son procès: « C’était la guerre, et la guerre c’est fini », manière de dire qu’on aurait tord de le juger?
« Le temps est le principal obstacle dans ces affaires de génocide au Rwanda. Mais nous avons affaire à des crimes imprescriptibles. Il faut que la justice passe! » Ce temps qui ne facilite pas l’accusation dans la mesure où nous n’avons que des témoignages sur lesquels nous appuyer.
Les témoignages? La preuve parfaite n’existe pas. Les témoignages « indirects », dénoncés par la défense, seraient irrecevables? « Ils ne sont pas moins valables que les témoignages directs ». Les témoins tiendraient des propos incohérents? « Même un témoignage imparfait compte. »
Et s’adressant aux jurés, l’avocat général termine sa longue introduction: « C’est à vous de construire une vérité judiciaire. »
Madame l’avocate générale, prend la parole à son tour pour aborder le sujet peut-être le plus difficile: l’explication de la loi. (NDR. Je vais essayer de transcrire en substance ce que je crois avoir compris.)
« La terre ne veut pas être complice »**. C’est par ces mots de Vassili GROSSMAN, journaliste et écrivain russe né en 1905, que madame Aude DURET commence son intervention. Elle évoque l’ouverture des fosses, décrite par Dafroza GAUTHIER, la nécessité d’écrire l’histoire à l’endroit car le négationnisme est constitutif du génocide. Elle rappelle alors les propos des rescapés et leurs traumatismes.
** « La terre rejette des fragments d’os, des dents, divers objets, des papiers. Elle ne veut pas être complice. » Vassili GROSSMAN, dans L’Enfer de Treblinka.
En 2006, au procès KAREMERA, devant le TPIR[1], il a été reconnu le constat judiciaire du génocide des Tutsi, comme cela a été le cas en France lors des procès de Pascal SIMBIKANGWA[2] et des bourgmestres de KABARONDO, Octavien NGENZI et Tite BARAHIRA[3] .
Monsieur MANIER est poursuivi, rappelle-t-elle, pour crime de génocide, crimes contre l’Humanité et entente. Et d’expliquer la différence entre crime de génocide et crimes contre l’Humanité, ces derniers visant des civils et non des combattants.
Le plan concerté n’est pas la planification: dans le génocide des Tutsi, il n’y a pas de feuille de route. Pas question de parler de « génocide spontané » ou « improvisé » comme veut bien le laisser entendre l’accusé. De souligner alors le rôle de l’État, l’établissement de listes de Tutsi à éliminer, des contrôles systématiques aux barrières, l’interdiction de traverser la frontière vers le BURUNDI, la séparation entre Hutu et Tutsi avant les attaques, et la traque finale. Et pas d’attaques « improvisées ». Philippe MANIER est coupable de crime de génocide et de crimes contre l’humanité. Auteur ou complice? C’est la même peine qui s’applique. Les donneurs d’ordre sont tout aussi coupables que les exécutants. Pas de différence entre « commettre » ou « faire commettre ». (NDR. Pardon si cette partie du compte-rendu est moins claire pour les lecteurs. Je n’avais pas l’intention de rédiger un compte-rendu au départ, même si j’avais pris quelques notes. Les propos de l’après-midi seront plus concrets dans la mesure où on va s’intéresser aux faits, aux massacres des différents lieux de la sous-préfecture de NYANZA)
Monsieur JURY-BIRMANN.
Les barrières.
Les barrières ont montré leur efficacité. Seulement treize ont été retenues dans l’OMA (Ordonnance de Mise en Accusation) des juges d’instruction. Mais il y en avait beaucoup plus. Leur érection avait pour objectif d’empêcher les Tutsi de fuir. Entre BUTARE et la frontière du BURUNDI, soit une distance de trente kilomètres environ, des ONG en avaient dénombré près d’une trentaine.
À chaque barrière, il y avait un responsable, un secrétaire et on s’y relayait. BIGUMA en minimisera le nombre, barrières qu’il ne faut selon lui pas confondre avec les points de contrôle tenus pas les militaires. La barrière de l’hôpital avait pour but de contrôler les gens qui venaient se faire soigner, les blessés. Celle du Stade, empêcher les Blancs de voir ce qui ce passait dans cet enclos sportif. D’autres barrières ont été souvent évoquées: la barrière de BIGEGA, de RWESERO, de MUSHIRARUNGU, de KAVUMU, la barrière des Burundais, près de l’école ESPANYA, non loin du stade, celle d’Akazu k’Amazi près de laquelle une vingtaine de Tutsi ont été exécutés. BIGUMA a supervisé les barrières, il avait une autorité effective sur les gendarmes, il quittait souvent la gendarmerie pendant le génocide. Il a incité les tenants des barrières à tuer. L’ensevelissement rapide des corps avait pour objectif de les cacher. BIGUMA devra être déclaré coupable pour ces faits.
Madame Aude DURET.
La mort du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA.
Cette attaque a eu lieu le même jour que l’arrestation et l’exécution du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA. De son arrestation au bord de l’AKANYARU, sur la commune de NTYAZO, jusqu’à l’exécution de NYAGASAZA, monsieur HATEGEKIMANA est présent à toutes les étapes. Il est l’unique chef. Ce qui vient contredire le télégramme du sous-préfet KAYITANA auquel s’accroche la défense et qui affirme que le bourgmestre a été tué par la population.
Madame l’avocate générale rappelle les cinq étapes de ces événements:
• Arrestation de Narcisse NYAGASAZA, de Pierre NYAKARASHI, de MUSONERA et autres Tutsi près de la frontière avec le BURUNDI.
• L’itinéraire: deux témoins voient le bourgmestre conduit par BIGUMA, Silas SEBAKARA et Mathieu NDAHIMANA.
• Arrivée à la compagnie de NYANZA: témoignages de plusieurs gendarmes et d’Isaraël DUSINGIZIMANA, le conseiller de secteur.
• À RWESERO: exécution des Tutsi qui étaient transportés à l’arrière de la camionnette.
• Exécution programmée de NYAGASAZA à MUSHIRARUNGU, le signal, l’appel à tuer les Tutsi, sur ordre de BIGUMA.
Les massacres sur la colline de NYABUBARE, le 23 avril 1994.
La gendarmerie va jouer un grand rôle lors de ces massacres. Le témoignage du conseiller de secteur, Israël DUSINGIZIMANA est capital[4]. C’est lui qui va chercher les gendarmes car, sur la colline, est présent un militaire armé, Pierre NGIRINSHUTI. L’intervention des gendarmes va être déterminante: ils vont installer un mortier sur la colline d’en face et c’est BIGUMA qui donne ses directives. Plusieurs étapes :
• Séparation des Hutu et des Tutsi.
• Encerclement de la colline par les gendarmes et les assaillants.
• Utilisation du mortier 60.
• Traque des Tutsi qui ont échappé aux obus ou aux balles.
• Jet de grenade sur la maison de Pierre NGIRINSHUTI.
• Ratissage des survivants exécutés à coups de machette et de gourdins.
Il faut souligner le caractère généralisé de cette attaque avec l’utilisation du mortier 60 contre des civils désarmés. Se référer aux conclusions de monsieur Pierre LAURENT, expert en balistique[5]. De nombreux témoignages de rescapés corroborent les dires d’assaillants comme Israël DUSINGIZIMANA qu’on ne peut soupçonner d’avoir été soumis à des pressions du pouvoir.
De plus, ces massacres sont encouragés par la promesse de récompenses issues des pillages. Le témoignage de François HABIMANA[6] est éclairant: il est emmené dans la voiture de gendarmes au milieu de chèvres qui urinent sur lui. Ce témoin fait des déclarations des plus éloquentes: « Il s’est passé des choses innommables! » Son sauvetage inespéré, l’exécution de Tutsi, femmes et enfants, qui lèvent les bras pour qu’on les épargne, comme avait fait François. Tous seront exécutés sur ordre de BIGUMA, même la seule jeune fille qui avait échappé à la fusillade après avoir eu un sein coupé!
BIGUMA est donc auteur du génocide et de crimes contre l’humanité.
Les massacres sur la colline de NYAMURE.
C’est le lieu qui verra tomber le plus de victimes, où des viols seront commis: illustration de la notion de crime de masse. Les témoignages factuels sont crédibles à condition d’en circonscrire le lieu et la date. Il y a aussi nécessité de recouper les témoignages, les témoins se trouvant sur des lieux différents, sur la colline. Sans oublier la présence d’un mégaphone qui sera utilisé aussi à l’ISAR SONGA[7]. À noter qu’il y a bien eu des attaques avec des armes avant la grande attaque qui a vu la participation des gendarmes de NYANZA: des policiers communaux, armés, ont participé à ces attaques. Noter enfin le survol d’un hélicoptère comme à l’ISAR SONGA.
Les lieux. Les massacres sont partis du sud de la préfecture de BUTARE pour monter vers le nord, les Tutsi se réfugiant sur la colline de NYAMURE pour plusieurs raisons:
• Les Tutsi ont été chassés de chez eux par des Interahamwe[8] venus du BUGESERA, ou par les autorités locales. Des scènes de pillages sont organisées avec la participation des gendarmes, une distribution d’essence est effectuée pour brûler les maisons des Tutsi. Ces derniers se regroupent sue la colline de NYAMURE où ils vont souffrir de faim et de soif, même si certains réfugiés ont pu venir avec leur cheptel. Certains d’entre eux iront arracher des racines de manioc dans les champs voisins.
• La frontière avec le BURUNDI est fermée. Les Tutsi sont donc refoulés vers NYAMURE. D’autres disent être venus là « parce qu’il s’y sentaient en sécurité. »
La temporalité. Difficile de dire quand arrivent les réfugiés. Le 17 avril? Le 19 ou le 20? Les réfugiés ont des parcours différents, d’où des témoignages qui divergent. Difficile aussi de donner le nombre des réfugiés présents sur la colline: 20 000? 30 000? Ils sont arrivés les uns après les autres mais il ne faut pas les confondre avec le nombre des victimes: 3000? 6000? 15 000 selon Valens BAYINGANA[9] Lors de l’inhumation des corps, il sera compté 11 000 têtes!
Trois constats toutefois.
• Les attaques se sont succédées pendant plusieurs jours. À partir du 22 avril? Le 24 ou le 25? selon Valens BAYINGANA. Il est difficile de dénombrer ces attaques, tout dépend du jour de l’arrivée des témoins.
• Les premières attaques ont été menées par des Interahamwe: 2000? 3000? venus de la région, habillés de feuilles de bananier pour se reconnaître entre eux. Ils ont participé au vol du bétail, étaient armés d’armes traditionnelles: outils agricoles, machettes (NDR. L’avocat général se trompe quand il dit que les machettes n’étaient pas des outils de tous les jours, faisant référence à l’achat massif de ces outils avant le génocide). Ces attaques se sont déroulées sous l’autorité des responsables locaux.
• Le renfort des gendarmes de NYANZA: cette intervention a été déterminante pour la réussite des tueries le 27 avril 1994. Difficile de savoir si les gendarmes ont participé à plusieurs attaques, difficile aussi d’en déterminer le nombre. Mathieu NDAHIMANA est bien désigné comme celui qui va chercher les gendarmes dès le 23 avril. Il obtiendra trois gendarmes de BIGUMA qui vont loger au Centre de Santé et participer aux attaques du 24 avril. Les gendarmes font usage de leurs armes: ils ont été vus par certains témoins, entendus par d’autres. Quant aux armes lourdes, certains n’entendent que des explosions, parlent de rafales: obus? grenades? Un mortier a bien été installé près de l’école, au pied de la colline. Autant d’armes que possède la gendarmerie de NYANZA.
La grande attaque du 27 avril.
Cette attaque est surtout décrite par Valens BAYINGANA[10] qui habitait au bord de la route qui mène à l’église et à l’école. Il situe cette attaque entre 13 et 15 heures. De nombreux autres témoins parlent aussi de ces événements. Des gendarmes ont tiré sous le regard des assaillants postés en haut de la colline. Les réfugiés répliquaient par des tirs de pierres. Un hélicoptère a survolé la colline. De nombreux réfugiés ont été massacrés, de nombreuses femmes violées.
Implication de BIGUMA. On peut faire l’hypothèse de sa présence avant le 27 avril. Il avait donné l’ordre d’ériger la barrière de BIGEGA le 22 avril. Il a remis une arme à un assaillant le 23. Plusieurs gendarmes ont participé à cette attaque. La présence de l’accusé sur place est probable.
Le 27 avril, BIGUMA a galvanisé les assaillants, il a accompagné les autres gendarmes au pied de la colline. Plusieurs véhicules se sont garés près de l’église et de l’école. BIGUMA dirigeait les gendarmes. Certains témoins l’ont identifié, d’autres ont entendu parler de lui: « BIGUMA arrive, nous sommes morts » se seraient écrié des réfugiés. Ce qui nous renvoie à sa personnalité. La simple évocation de son nom crée la panique.
BIGUMA, armé, a déclenché l’attaque en tirant en l’air, puis a tiré sur le groupe de femmes dont une était en train d’accoucher. (NDR. Contrairement à ce qui a été dit, les femmes n’étaient pas restées en bas de la colline: celles qui ont été tuées près de la femme qui accouchait étaient à moins de cent mètres du sommet. Constatations que nous avons faites lors de notre visite à NYAMURE en présence de Valens).
BIGUMA est donc bien auteur du crime de génocide et de crimes contre l’humanité.
La commune de RUSATIRA.
Refoulés de la paroisse de RUYENZI par un prêtre canadien, les Tutsi vont se diriger vers l’ISAR SONGA, un vaste domaine agricole. Deux collines sont concernées par les massacres qui vont y être perpétrés: la colline de GITOVU et celle de BUREMERA au pied de laquelle est installé le mortier. On situe l’attaque au 28 avril 1994.
Le bourgmestre de RUSATIRA, Vincent, s’était inquiété de la passivité du conseiller de secteur de KINAZI: d’où l’érection de barrières et le rassemblement de la population à l’ISAR SONGA. Le 23 avril, les Hutu ont été encouragés à rentrer chez eux: un message adressé par mégaphone leur faisait savoir qu’ils n’étaient pas visés par les massacres. La résistance des Tutsi s’est organisée autour de Tharcisse SINZI, « un résistant tutélaire« [11]. Les assaillants seront tenus à distance par des jets de pierres. Le 27 avril, on signale le survol d’un hélicoptère: sentant la menace, SINZI organise le départ de ceux qui acceptent de le suivre. Dans l’après-midi du 28 avril, une grande attaque se déclenche à partir de la colline de BUREMERA où est installé le mortier. D’autres assaillants, dont certains sont armés de fusils, attaquent à partir du haut de la colline de GITOVU. Les tirs de mortier font beaucoup de dégâts et provoquent la panique généralisée. Ceux qui fuient avec SINZI sont systématiquement attaqués par l’arrière de la colonne qui fuit vers le BURUNDI. C’est le même mode opératoire qu’à NYABUBARE et NYAMURE.
BIGUMA est impliqué dans l’attaque de l’ISAR SONGA: il doit être considéré comme responsable.
Quelques rappels:
• On signale la présence de militaires qui portent des bérets rouges, donc des gendarmes.
• Les réfugiés vivent des scènes traumatiques, ils fuient: difficile pour eux de décrire la présence de gendarmes.
• Des véhicules sont utilisés pour transporter des armes et des caisses d’obus: difficile d’en préciser la couleur.
• L’ISAR SONGA, dans la commune de RUSATIRA, fait bien partie du secteur territorial de la gendarmerie de NYANZA.
Trois gendarmes du camp de NYANZA voient partir BIGUMA et d’autres gendarmes le voient charger le véhicule. Intervient le témoignage capital de Longine RWINKESHA[12], sauvée par des gendarmes au moment où on s’apprête à l’enterrer vivante dans la fosse qu’elle vient de creuser. L’un des gendarmes la prend « pour femme ». Elle est transportée dans la maison de ce dernier, près d’une barrière. Elle va reconnaître BIGUMA lors de son audition. (NDR. Pas anormal car ce dernier venait dans la maison où elle était séquestrée.)
BIGUMA sera tenu pour responsable de cette offensive et de la mort de milliers de victimes. Il doit être considéré comme auteur de génocide pour avoir fait commettre les crimes et en qualité de complice qui a usé de son autorité et permis l’utilisation des armes.
Impressions d’audience par madame l’avocate générale.
Faisant référence au témoignage de monsieur Alain VERHAAGEN qui avait été frappé par la résignation des victimes tutsi[13], madame DURET reprend la parole: « En écoutant les rescapés, j’ai pensé à leur environnement: trous qu’il faut creuser, vaches qu’on se partage, chiens qui participent à la chasse des Tutsi et qui dévorent les cadavres, serpent qui cohabite avec une rescapée qui se cache dans un trou creusé dans un champ. J’éprouve indignation et colère à l’égard des bourreaux. »
« Il faut tenir compte de l’attitude de MANIER, poursuit-elle. Il s’est déclaré quelque peu compatissant, étant lui-même père et grand-père. Il défend son innocence, il se dit victime de KAGAME. Pour lui, tous les témoins sont corrompus. Il est victime d’Alain GAUTHIER qui a été décoré par le président KAGAME, il dénonce le discours stéréotypé des rescapés. Au TPIR, on a relevé un seul cas de faux témoignage (NDR. Et encore, un témoin de la défense?) Il se dit victime d’un complot, et les témoins, ses bourreaux. Opposant politique? Ce n’est pas crédible. Il avait bien préparé sa défense, ce qu’on a pu voir lors des perquisitions effectuées à son domicile ».
« Il avait bien préparé sa défense depuis 2015. Entre 2015 et 2017, il envoie de l’argent au CAMEROUN. Lorsqu’il parle, rien ne peut être vérifié. Il a donné quatre dates différentes concernant sa mutation à KIGALI. Ses alibis sont fragiles. Le colonel RUTAYISIRE, qui pouvait témoigner en sa faveur, a refusé de se présenter au procès. BIGUMA éprouve une haine ancienne pour les Tutsi: « chiens de Tutsi ! Moi, afande, je voudrais que vous tuiez ces chiens de Tutsi », dira-t-il. Il se dit « bon de naissance », il a sauvé des Tutsi, il a eu une maîtresse tutsi... »
« BIGUMA, c’est un surnom péjoratif. Et il y a bien un seul BIGUMA. Il manifeste de la pudeur mais il y a chez lui une réelle volonté de dissimilation. À KASHUSHA, parce qu’il se prétend menacé, il prend une fausse identité qu’il gardera lors de sa demande d’asile. Il cache son passé de gendarme. Il reprend une vie sociale, a une personnalité « normale ». Il parle tellement de pardon qu’une de ses collègues le prenait pour un repenti. Il investit au CAMEROUN d’où il a oublié de rentrer lors d’une visite qu’il rend à sa fille. Il y a une réelle velléité de fuite qui signe sa culpabilité. Pourquoi MANIER a choisi de tuer? Il refuse de penser ses actes. »
« Il n’y a pas de refuge en France pour les génocidaires, assène l’avocate générale. Pas d’impunité! »
La peine. C’est monsieur l’avocat général qui se charge de conclure le réquisitoire.
Monsieur MANIER encourt la réclusion criminelle à perpétuité ( NDR. C’est la peine prononcée lors du procès en première instance).
Monsieur MANIER a été « le grand absent de ce procès… Un monstre? Une bête? Un fou? ». Et citant Jacques SEMELIN, « c’est l’énigme de notre barbarie ». « Pas des monstres, avait dit Primo LEVI, ils avaient notre visage. »**
« Vous condamnerez cette absence de contrition. Il n’y aura pas de déclic. Il ne changera pas. Et c’est le dossier dans lequel il y a le plus de victimes. Que fera Philippe MANIER si vous le remettez en liberté? Il n’a pas mis de point final à son récit inventé de toute pièce.
La peine de crime contre l’humanité a un caractère exemplaire. Elle pourra dissuader d’autres de la commettre. Vous prononcerez une peine qui tienne compte du comportement global de Philippe MANIER. Il a souillé l’uniforme qu’il portait. Il a basculé dans le crime. Vous sanctionnerez l’absence de remord: « Je suis père et grand-père… Je n’y suis pour rien » a-t-il déclaré ».
Et l’avocat général de rappeler les mots émouvants et naïfs à la fois, de ces femmes de NYABUBARE qui implorent une pitié dont elles ne bénéficieront pas: « Pardonnez-nous, nous ne serons plus Tutsi. »
« Dites au survivants que vous les avez crus. Dans le procès de NGENZI et BARAHIRA, la peine de perpétuité a été prononcée en 2018, pour les crimes commis dans la petite église de KABARONDO. Que ce précédent, vous serve de repère. Une peine de perpétuité peut être assortie d’une peine de sûreté de 18 ans, vous pourrez aller jusqu’à 22 ans ».
** Primo LEVI refuse le nom de bourreaux pour désigner les gardiens des camps car « ils font penser à des individus moralement marqués à la naissance d’une malformation morale, sadiques, affligés d’une tare originelle. Ils étaient au contraire de la même étoffe que nous, c’étaient des êtres humains moyens, moyennement intelligents, d’une méchanceté moyenne, sauf exception, ce n’étaient pas des monstres. Ils aveint notre visage mais ils avaient été mal éduqués. » Primo LEVI in Naufragés et rescapés.
« Nous requérons la peine de réclusion criminelle à perpétuité. »
PS. J’ai tenté de transcrire au mieux le réquisitoire implacable de l’accusation. J’espère avoir été fidèle au moins à l’esprit. J’ai toutefois essayé de retranscrire au plus près les propos de l’accusation que, en mon nom et au nom des victimes, je tiens à remercier.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page.
1. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
2. Voir procès Pascal SIMBIKANGWA[↑]
3. Voir procès Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA [↑]
4. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[↑]
5. voir l’audition de Pierre LAURENT, expert en balistique.[↑]
6. Voir l’audition de François HABIMANA, partie civile, 21 novembre 2024.[↑]
7. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
8. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
9. Voir l’audition de Valens BAYINGANA, partie civile, 28 novembre 2024.[↑]
10. Voir l’audition de Valens BAYINGANA, partie civile, 28 novembre 2024.[↑]
11. Voir l’audition de Tharcisse SINZI, partie civile, 4 décembre 2024.[↑]
12. Voir l’audition de Longine RWINKESHA, partie civile, 6 décembre 2024.[↑]
13. Voir l’audition d’Alain VERHAAGEN, 6 novembre 2024.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 16 décembre 2024. J29
17/12/2024
Plaidoiries de la défense.
Maître Emmanuel ALTIT.
L’avocat de la défense demande d’avoir une pensée pour les victimes de « cette tragédie ». Il rejette en bloc les affirmations des avocats généraux concernant le nombre des gendarmes à NYANZA, les armes dont ils disposent, l’aide d’un hélicoptère et enfin la place de BIGUMA au sein de la gendarmerie: il n’a jamais été le n°2.
Tous ces points sont « soupçonnés, non démontrés. » Il rappelle les incohérences dans les témoignages, « tous les témoins se sont contredits ». Aucun élément solide dans le réquisitoire des avocats généraux. « Ce procès n’est fondé que sur des témoignages et les témoins ne sont pas fiables. »
S’il est des contradictions, ce n’est pas à cause du temps qui passe. Au contraire, les témoignages sont de plus en plus précis. Pourquoi ces changements? Tout simplement parce que les témoins n’ont pas le choix, qu’ils sont soumis à des pressions, celles du conseiller Israël DUSINGIZIMANA[1] et de Mathieu NDAHIMANA[2]. Et de dénoncer une nouvelle fois les conditions de détention déplorables au Rwanda où la torture y serait pratiquée aujourd’hui comme hier. D’où la peur des témoins.
L’avocat reproche aux avocats généraux de prendre pour parole d’évangile tout ce que disent les témoins. Il rappelle que le TPIR[3] a manifesté de la prudence à l’égard des témoins détenus au Rwanda. Seize acquittés devant le Tribunal Pénal International et plus de 700 témoins à charge écartés, « sans doute beaucoup plus » ajoute maître ALTIT.
Et puis, « les deux témoins stars » des avocats généraux, Israël DUSINGIZIMANA et Mathieu NDAHIMANA, ne sont pas crédibles. les témoins à charge répètent ce qu’on leur a dit. Philippe HATEGEKIMANA n’était pas présent sur les scènes des crimes. L’accusation aurait dû s’appuyer sur des documents, pas seulement sur des témoignages. Quant à l’hélicoptère, « il faut prendre les témoignages avec des pincettes. » De même concernant le mortier de la gendarmerie de NYANZA: rien n’est prouvé.
De revenir sur l’expertise balistique de monsieur Pierre LAURENT[4] toujours contestée. Comment la gendarmerie de NYANZA aurait-t-elle pu posséder des lances-roquettes qui sont des armes anti-chars? Il n’y a pas eu d’enquête digne de ce nom: « Sans enquête, pas de preuve, pas de preuve, pas de condamnation. Et s’il y a doute, il doit profiter à l’accusé. » Pour l’avocat de l’accusé, « l’accusation aurait dû présenter un vrai dossier solide. » Le rôle de la défense, c’est bien de pointer les failles des arguments de l’accusation.
S’adressant aux jurés:« Votre rôle? Juger, passer ce qui a été dit au tamis de votre esprit critique, faire appel à votre bon sens. Rapportez-vous aux faits, uniquement aux faits, et vous ne vous tromperez pas. » Quant à l’accusation, dire que tous les témoins disent la vérité, « ça n’a pas de sens. »
Maître ALTIT revient sur l’organigramme de la gendarmerie. Faire de BIGUMA « le N°2 de facto de la gendarmerie », ne correspond pas à la réalité. Il n’était pas un officier supérieur, simple adjudant. Quant aux gendarmes tutsi, ils auraient été marginalisés? Certains étaient gradés! Sur la centaine de gendarmes présents à NYANZA, seuls une trentaine pouvaient être en même temps sur le terrain. Ils ne pouvaient pas être partout! (NDR. Beaucoup de témoins évoquent entre vingt et trente gendarmes lors du soutien qu’ils apportent à la population. Où est la contradiction? Une démonstration un peu faible!)
Maître ALTIT reprend la chanson de la défense concernant le régime rwandais: « un régime normal et démocratique? » interroge-t-il. Un régime qui organise des assassinats à l’étranger! Michela WRONG, un témoin qui a reçu des milliers de messages de menace avant son audition[5], elle qui est « une journaliste célèbre, qui a reçu de nombreux prix internationaux et qui est familière des anciens chefs du FPR! » De dénoncer « la brutalité du régime de KIGALI et l’occupation du CONGO! » Pire, « le régime de KAGAME instrumentalise la justice des pays occidentaux et pour instrumentaliser, il faut des cibles comme Philippe MANIER avec l’intervention de faux témoins. Cette instrumentalisation est connue de tous ceux qui s’occupent du Rwanda. Philippe MANIER est le jouet d’événements qui le dépassent. »
Maître Alexis GUEDJ.
À maître GUEDJ revient la tâche de revenir les faits reprochés à son client. Il commence par dire qu’il a entendu des récits « de faits prétendument attribués à Philippe MANIER. »: des récits « rocambolesques, fantasques » dans lesquels on présente son client comme « un monstre sans regrets ni remords. Il y a là un acharnement, une campagne de diabolisation qui risque de déboucher sur une erreur judiciaire si on le condamne. »
« Philippe MANIER n’a joué aucun rôle dans les faits reprochés.»
Rôle de Philippe MANIER et de la gendarmerie de NYANZA. « On ne nous a pas montré le vrai Philippe MANIER: il aime le sport, le football, il a été un formateur de jeunes pendant de longues années. C’était un éducateur, pas un guerrier. Il a été muté au camp KACYIRU dans la deuxième quinzaine d’avril 1994, sur demande du colonel RUTAYISIRE! » (NDR. Une thèse pas du tout crédible à laquelle s’accroche désespérément la défense!)
Pour l’avocat, il y aurait « un rôle fantasmé de la gendarmerie de NYANZA dans le génocide. » Et de répéter que Philippe MANIER a quitté NYANZA le 19 avril 1994 et qu’il n’a participé à aucun massacre à NYANZA. « La gendarmerie de NYANZA n’a pas pu jouer le rôle qu’on lui attribue. Vingt gendarmes ne peuvent pas être partout comme on nous le dit: quatre ou cinq gendarmes au maximum au même endroit » précise-t-il.
Les armes? En avril 1994, le Rwanda était sous embargo! (NDR. L’avocat fait-il semblant de ne pas savoir que l’embargo a été violé en mai 1994. La Banque BNP Paribas est visée par une plainte pour avoir financé un achat d’armes à cette époque.)
Le mortier? Selon maître GUEDJ, il ne fonctionnait pas. (NDR. C’est nouveau!) et Philippe MANIER n’était pas habilité à le sortir. Quant à la cadence des tirs, un témoin a parlé de quatre à cinq tirs toutes les vingt ou trente minutes!
L’expertise balistique? Tout le monde s’y réfère alors que l’expert n’a pas utilisé des méthodes actuelles telles que la télédétection par le système LIDAR[6]. Et de requalifier l’expertise, « d’expertise de salon. » D’ailleurs, « l’expert n’a pas pu répondre aux questions de la défense. »
Le rôle des autorités administratives? Il s’agit des conseillers de secteur, comme Israël et des bourgmestres, comme Mathieu NDAHIMANA (NDR. Ce dernier n’a été nommé bourgmestre que fin juin, et il a occupé ce poste pendant une semaine).
Les véhicules de la gendarmerie? « Est-ce que deux ou trois véhicules pouvaient suffire pour transporter des hommes? » Encore un argument bien faible!
L’hélicoptère? « Il fallait poser la question sur la couleur de l’appareil car on ne sait pas à quel corps il appartenait. En tout cas, pas à la gendarmerie de NYANZA. »
Et l’avocat de souligner la pudeur de l’accusé, la difficulté qu’il a à parler des faits. « Vous ne connaissez pas la culture rwandaise dit-il à l’adresse du jury. « BIGUMA s’est beaucoup exprimé, peut-être mal. Ce n’est pas un littéraire, c’est un officier de la gendarmerie, il fait du sport. Philippe MANIER n’était pas le numéro 2 de la gendarmerie, simplement le numéro 4, il avait deux lieutenants au-dessus de lui. Il était sous-oficier, adjudant-chef, sans pouvoir de décision. »
Meurtre du bourgmestre NYAGASAZA et des autres Tutsi.
Philippe HATEGEKIMANA n’a joué aucun rôle dans la mort du bourgmestre: il n’était plus à NYANZA depuis le 19 avril. Il ne s’est jamais contredit sur la date (NDR. Il n’y a que lui pour affirmer cela!). Comme tous les témoins se sont contredits, c’est normal que la défense les interroge. On est en présence de quatre versions différentes:
– celle d’Angélique TESIRE[7], qui évoque le visage enflé du bourgmestre, ce qui laisserait entendre qu’il a été battu.
– celle d’Israël DUSINGIZIMANA[1], qui parle d’un homme qui avait peur, mais qui n’avait pas été battu.
– celle d’un autre témoin qui dit que le bourgmestre était vêtu d’un costume.
– celles de ceux qui parlent de la position de Narcisse NYAGASAZA lors de son exécution: couché, debout, tué d’une ou deux balles!
Quant à savoir qui a tiré sur le bourgmestre, les témoignages se contredisent: BIGUMA? Un autre gendarme? Philippe MANIER n’a pas tué le bourgmestre de NTYAZO: d’autres sont accusés ou s’accusent. Israël en particulier. (NDR. Si mes souvenirs sont bons, Le conseiller de secteur a plaidé coupable pour avoir été présent lors de l’exécution, pas de l’avoir fait lui-même.) Eric MUSONI[8] a même dit que le bourgmestre a été tué sur place, près de l’Akanyaru, « là où Israël est conseiller ». (NDR. Il est pourtant assez clair que NYAGASAZA a été attrapé près de la rivière mais qu’il a bien été transporté dans la voiture de BIGUMA. Plusieurs témoins l’ont vu passer. Là où Israël est conseiller? C’est à MUSHIRARUNGU, tout le monde le sait.)
(NDR. Lorsque l’avocat cite Dafroza GAUTHIER qui affirme que « les tueurs ne disent jamais la vérité », il faut rétablir le sens de ses propos. Pour avoir rencontré nombre d’entre eux dans la préparation des plaintes, il est vrai que les tueurs ne disent qu’une partie de la vérité, ils minimisent toujours leur propre participation. C’est ce qu’il faut comprendre.)
Pour l’avocat de la défense, « Philippe MANIER est accusé de faits qu’il n’a jamais commis lui-même ». Israël DUSINGIZIMANA est ce qu’on appelle « un témoin complice », une notion essentielle, définie par le TPIR: il y aurait deux façons de comprendre ce dossier, qu’on soit en France ou devant une juridiction internationale (NDR. Que veut faire comprendre l’avocat?) Israël DUSINGIZIMANA et Mathieu NDAHIMANA sont des « témoins complices ».
Et de revenir à ce « fameux télégramme » que l’on trouve dans le livre de « Régine DEFORGES » (NDR. Lapsus qu’on veut bien pardonner à l’avocat. Il s’agit bien sûr d’Alison DES FORGES[9]). Télégramme du sous-préfet KAYITANA qui affirme que NYAGASAZA a été tué par la population (NDR. Argument auquel la défense s’accroche comme à une bouée de sauvetage, contre toute évidence). Pour maître GUEDJ, les gendarmes ne sont pour rien dans cette exécution: « Ce télégramme n’est pas un faux. » Quant au témoignage de NDAHIMANA[2], qui a vu passer BIGUMA alors que lui-même était en train de boire une bière dans un bar, c’est un témoignage qu’il faut prendre avec circonspection: il est contredit par un autre témoin, Martin IYAMUREMYE[10].
« Vous acquitterez l’accusé concernant le meurtre de NYAGASAZA. »
L’attaque de NYABUBARE.
Concernant cette attaque, il faut souligner le rôle essentiel du conseiller DUSINGIZIMANA. C’est lui qui a mobilisé la population. Il a répandu la rumeur de l’implication de BIGUMA. Même chose concernant les pillages. Les témoins étaient en prison ensemble, ils se sont donc parlé. Et de se plaindre une nouvelle fois de n’avoir pas pu obtenir le jugement Gacaca[11] de MUSHIRARUNGU (NDR. Il lui a été déjà répondu qu’il aurait pu en faire la demande au cours de l’instruction. Pourquoi avoir attendu le procès? De plus, on peut s’étonner que l’avocat passe sous silence le témoignage de François HABIMANA[12], un témoignage qui doit gêner la défense!)
« Vous acquitterez l’accusé pour ces faits ».
Maître Fabio LHOTE.
Me LHOTE prend maintenant la parole et remercie la Cour et les jurés, ce que ses collègues ont oublié de faire.
Il commence : « Les innocents sont toujours ceux qui se défendent le plus mal » en parlant des contradictions de l’accusé aux questions de la Cour. « Et BIGUMA se défend mal. »
Il dénonce la mention des massacres de la colline KARAMA, de la mort de l’abbé Matthieu et du bourgmestre GISAGARA dans les débats. Faits pour lesquels leur client n’est pas poursuivi. Cela pourrait vicier les délibérés et créer un effet de masse: « Il n’y a pas de fumée sans feu. »
Il commence par les massacres de NYAMURE:
Il indique que quatorze personnes ont témoigné. Parmi elles, neuf sont des parties civiles et n’ont pas prêté serment, il ne s’agirait donc pas de preuves mais seulement d’indices. Trois n’ont jamais entendu parler de BIGUMA. Les autres sont des témoins par ouï-dire. Ils ne sont donc pas irrecevables en soit mais n’auraient pas de force probante. Concernant le témoignage des enfants à l’époque des faits, il pense qu’il ne faut pas en tenir compte.
L’avocat va passer en revue chaque témoignage pour en dénoncer la faiblesse. Il s’en prend surtout au témoin principal, Valens BAYINGANA[13] dont il déclare le témoignage sujet à caution. Certains témoins sont « des énormes menteurs », comme Eric MUSONI, Israël ou Mathieu. D’autres, les rescapés, sont « des gens traumatisés« . Aucun n’est digne de foi.
Tous ces témoignages qui mettent en cause BIGUMA ne sont pas crédibles.
Il parle ensuite des massacres commis à l’ISAR SONGA[14].
Treize personnes sont venues témoigner dont onze parties civiles, autant de témoins qui, eux aussi, n’ont pas prêté serment (NDR. Ils se sont tout de même engagés à dire la vérité). Il déclare que sept d’entre eux n’ont pas entendu parler de l’accusé ou mentionné son nom dans leurs premières dépositions.
Maître LHOTE reprend de nouveau l’argument selon lequel il y aurait potentiellement plusieurs BIGUMA à NYANZA. Et d’ajouter que parmi tous les témoins de l’ISAR SONGA, aucun n’a vu BIGUMA. Aucun n’est donc crédible à ses yeux, que ce soit SINZI[15], Philippe NDAYISABA[16] ou d’autres rescapés qui ont donné des témoignages épouvantables. L’accusation passerait tout aux rescapés: « C’est la mémoire traumatique » semble-t-il ironiser.
Il plaide que M. MANIER s’exprime mal, qu’il a des trous de mémoire, comme tout le monde, mais que cela ne suffit pas à le condamner. « Les incohérences sont tellement importantes qu’elles doivent vous interroger » dit-il aux jurés. « Il y a des gens honnêtes, les parties civiles, qui se trompent. » Et de revenir sur les « syndicats de délateurs », une notion peu abordée lors de ce procès. Il est faux de dire que les gens témoignent sans pression. Un président élu avec 99% des voix! Certains témoins sont corrompus, le Rwanda, une dictature. On est en présence de témoins qui se parlent, qui sont « contaminés. »
Il affirme encore que l’accusation n’a pas la preuve parfaite que MANIER est coupable. Et « dire que BIGUMA est parti le 19 avril n’est pas moins crédible que le reste. »
Il souligne enfin que les faits sur l’ISAR SONGA n’ont pas toujours été inclus aux différents stades de la procédure. (NDR. Il est vrai que les parties civiles avaient demandé que ces faits soient réintégrés dans l’acte d’accusation. Ce qui n’enlève rien à leur valeur.)
« Pour condamner à perpétuité, il faut des témoins irréprochables » conclut l’avocat. « Prenez votre temps, soupesez et ayez le courage d’acquitter BIGUMA qui n’a rien à voir avec les faits de l’ISAR SONGA »
« Vous acquitterez l’accusé pour ces faits ».
Après-midi. Maître LHOTE revient à la barre.
Pour continuer les plaidoiries de la défense, maître LHOTE évoque les supposées contradictions de monsieur HATEGEKIMANA concernant la date de son départ pour le camp de KACYIRU à KIGALI. « Il a toujours dit fin avril », date qui est confirmée par son épouse. (NDR. Ils ont eu le temps de se mettre d’accord! Il n’a pas toujours dit cela: n’a-t-il jamais dit fin avril-début mai?)) La date du 19 avril correspond au discours du président SINDIKUBWABO[17] qu’il aurait entendu alors qu’il était à KIGALI, « date dont il se souvient et qu’il a des raisons de s’en souvenir » précise l’avocat. (NDR. L’argument est peu convaincant).
Maître GUEDJ.
« Concernant les erreurs de dates, on a versé des pièces » commence l’avocat de monsieur MANIER. Il revient alors sur la réunion du 22 mai 1994 au stade de NYANZA, réunion à laquelle BIGUMA aurait participé en présence de Laurent NDINDILIYIMANA. Or, selon l’avocat, cette réunion n’a jamais eu lieu. Pour l’affirmer, il fait référence à l’affaire NDINDILIYIMANA au TPIR et Pauline NYIRAMASUHUKO[18]: à aucun moment il n’est fait mention de cette réunion. De plus, Mathieu NDAHIMANA a été considéré comme un témoin qui n’est pas crédible. (NDR. On peut noter qu’à cette date le génocide était pratiquement terminé à NYANZA. Même si ce que déclare l’avocat est vrai, rien n’empêche que l’accusé ait été présent jusqu’à la mi-mai.)
Mêmes remarques concernant la réunion d’avril 1994 au cours de laquelle BIGUMA aurait prononcé le proverbe suivant: « Quand le serpent s’enroule autour de la calebasse, il n’y a pas d’autre solution que de casser la calebasse. » Selon le témoin Jotham KAMONYO, ce proverbe aurait été rapporté par BIRIKUNZIRA, le commandant de la gendarmerie. Et l’avocat de rajouter: « BIGUMA n’a jamais participé à cette réunion. »
« Le génocide est une abomination qu’aucune prière ne pourra jamais réparer » dit l’avocat en substance. « Mais il faut un procès équitable. […] Je vous demande, au nom du serment qui est le vôtre, de ne pas condamner cet homme sans que sa parole ne fût jamais crue. Prenez vos responsabilités en votre âme et conscience. Monsieur MANIER est un homme bien, meurtri. J’espère que justice sera faite. Je vous demande de l’acquitter. » (NDR. Maître GUEDJ voudrait rendre les jurés coupables d’une injustice s’ils venaient à condamner son client! Une défense désespérée, indigente. Enfin, comment interpréter le fait qu’aucun avocat de la défense n’ait abordé la question des barrières et de l’entente?)
Un sentiment général dans le public: KO debout, la défense a jeté l’éponge. Tout le monde a été surpris de voir les plaidoiries s’interrompre subitement. On a également noté l’absense de maître Andrea Margarita DUQUE URIBE, elle qui semblait la plus dynamique au sein de l’équipe de la défense.
Coline BERTRAND, stagiaire.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.
1. Voir l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA, 25 novembre 2024.[↑][↑]
2. Voir l’audition de Mathieu NDAHIMANA, 29 novembre 2024.[↑][↑]
3. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
4. voir l’audition de Pierre LAURENT, expert en balistique.[↑]
5. Voir l’Audition de Michaela WRONG, 8 novembre 2024[↑]
6. LIDAR : télédétection par laser (acronyme de « light detection and ranging » ou « laser imaging detection and ranging », cf. Wikipedia). Parmi les nombreuses applications de cette technologie complexe à mettre en œuvre, maître GUEDJ évoque la possibilité d’analyser la manière dont la végétation a repoussé en fonction du type d’armes utilisées. Cependant, 30 ans après le génocide, la nature a repris ses droits de telle manière qu’il serait illusoire d’en déduire l’usage ou non d’un « mortier de 60 » et autres grenades, suffisamment puissants pour tuer mais pas assez pour bouleverser l’environnement de façon lisible, à la manière des bombes actuelles.[↑]
7. Voir l’audition d’Angélique TESIRE, collègue de l’accusé à la gendarmerie de NYANZA, 14 novembre 2024.[↑]
8. Voir l’audition d’Eric MUSONI, 2 décembre 2024.[↑]
9. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison DES FORGES, Éditions Karthala, 1999[↑]
10. Voir l’audition de Martin IYAMUREMYE, 28 novembre 2024[↑]
11. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]
12. Voir l’audition de François HABIMANA, partie civile, 21 novembre 2024.[↑]
13. Voir l’audition de Valens BAYINGANA, partie civile, 28 novembre 2024.[↑]
14. ISAR SONGA : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[↑]
15. Voir l’audition de Tharcisse SINZI, partie civile, 4 décembre 2024.[↑]
16. Voir l’audition de Philippe NDAYISABA, partie civile, 4 décembre 2024.[↑]
17. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑]
18. Pauline NYIRAMASUHUKO : ministre de « la Famille et du Progrès des femmes » à partir de 1992 jusqu’à la fin du génocide, n’hésite pas à inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Jugée au TPIR et condamnée à perpétuité en 2011, peine réduite à 47 années de prison en 2015. Voir également: Madame Pauline, la haine des Tutsis, un devoir historique, podcast de France Culture, 28/4/2023.[↑]
Procès en appel HATEGEKIMANA : mardi 17 décembre 2024. J30. Verdict
17/12/2024
Avant les délibérations qui se prolongeront toute la journée à huis clos, monsieur le président donne la parole est donnée à l’accusé : « Monsieur MANIER souhaitez vous dire quelque chose à la Cour? »
« Oui merci M. le président. J’ai quelque chose à dire à la Cour.
Monsieur le président, la situation au Rwanda était un cauchemar sans fin. Toutes les familles rwandaises ont été touchées, toutes les familles ont souffert, croyez moi, j’ai pleuré en entendant les victimes qui sont venues ici. Le génocide à l’encontre des Tutsi a été une réalité atroce. Nous ne pouvons que nous incliner devant la souffrance et travailler à la réconciliation. C’est ce que j’ai essayé de faire à ma mesure, à initier les rwandais autour de leur patrimoine culturel et en essayant de les rendre fier de ce patrimoine qui nous appartient à tous, quelle que soit notre origine.
Aujourd’hui en ce qui me concerne, le cauchemar continue. On m’accuse de tout mais je n’étais qu’adjudant. J’avais une hiérarchie au dessus de moi […]. Jamais je n’aurais pu faire ce dont on m’accuse.
En avril, je suis parti à KACYIRU à KIGALI et j’ai sauvé des gens. Vous savez, quand on passait aux barrières avec les personnes que nous devions sauver, c’était effrayant. Nous pouvions être tués à tout moment si nous étions découverts, j’avais peur, très peur, mais je l’ai fait.
Mes sentiments à l’égard des Tutsi? tout ce qu’on a dit est faux. Ma femme est d’une famille Tutsi, je les ai aidés pendant le génocide. J’ai aussi une fille Tutsi.
Aujourd’hui je suis un homme brisé car je suis innocent de ce dont on m’accuse. Ma famille est détruite, ma vie est ruinée. J’ai confiance en votre jugement, je sais que vous écouterez votre raison et votre cœur, merci. »
Monsieur le président rappelle aux jurés l’article 353 du Code de procédure pénale:
« Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ? ». »
VERDICT rendu à 22h50 : Philippe HATEGEKIMANA, MANIER depuis sa naturalisation est condamné à la peine de réclusion criminelle à perpétuité pour génocide et crime contre l’humanité.
Le détail des motivations de cette décision sera publié ultérieurement. Monsieur le président en a donné un aperçu en précisant notamment :
« Vous avez été le bras zélé du génocide […] certes pas le seul, mais sans vous, monsieur, les faits n’auraient pas pris une telle ampleur. »