Fiche du document numéro 34803

Num
34803
Date
Mardi 21 janvier 2025
Amj
Auteur
Taille
758393
Titre
Vincent Duclert : « Au Rwanda, Mitterrand a écarté les contrôles et intimidé les opposants »
Sous titre
Vincent Duclert a enquêté sur le rôle de la France dans le génocide au Rwanda, en 1994. L'historien, qui dénonce le rôle joué par François Mitterrand dans la mort de 800 000 à un million de Tutsi*, donne une conférence à Lannion le 23 janvier.
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L’historien Vincent Duclert a dirigé la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi. Il est l’auteur de « La France face au génocide des Tutsi », publié aux éditions Tallandier. (Photo Vincent Duclert)

Ancien président, de 2019 à 2021, de la Commission française d'historiens sur le rôle de la France au Rwanda, pourquoi avez-vous sous-titré votre livre sur le génocide des Tutsi, en 1994, « Le scandale de la Ve République » ?

La compromission des institutions par le président de la République François Mitterrand a eu des conséquences inqualifiables, une grande puissance devenue la caution d'un régime génocidaire. Quand on pratique l'illégalité en matière de politique publique, les conséquences peuvent être de cette nature, vertigineuses.

Pourquoi les alertes lancées entre 1990 et 1993, pendant la guerre civile, sur les risques génocidaires, n'ont-elles rien changé ?

Le président Juvénal Habyarimana, auteur d'un coup d'État en 1973, persécute la minorité tutsi et criminalise l'opposition hutu. De 1990 à 1994, les alertes sont systématiques. Plus d'un an avant, Jean Carbonare enquête pour la Fédération internationale des droits de l'Homme. Interrogé au 20 heures d'Antenne 2, en janvier 1993, il emploie le mot de génocide, c'est saisissant ! Officiers, diplomates, représentants des Nations unies alertent en vain. L'ancienne colonie belge est vue comme une prise de guerre de la diplomatie de Mitterrand. Il mène au Rwanda une politique avec de gros moyens financiers, diplomatiques et militaires.

Comment un seul homme, le Président, peut-il concentrer tant de pouvoir dans une démocratie ?

La Ve République instaure un régime présidentiel et l'impunité du Président. François Mitterrand écarte les contrôles et intimide les opposants. Le ministre de la Défense, de 1991 à 1993, Pierre Joxe, veut remettre de la régularité dans la décision présidentielle. Il échoue. En 1990, quand Mitterrand accepte de protéger militairement Habyarimana, Michel Rocard, Premier ministre, l'apprend dans la presse.

Les historiens ont-ils accès à tous les documents ?

La Commission avait une habilitation secret-défense, dans le cadre du mandat de recherche accordé par le Président Emmanuel Macron. On y a vu une possibilité d'ouvrir des milliers d'archives. Les archives du rapport, celles de François Mitterrand ou d'Édouard Balladur, alors Premier ministre, de l'ambassade de France et de nouvelles archives militaires sont publiques. On a obtenu des éléments assez incriminants sur la responsabilité politique pour établir des conclusions solides.

Absente au début du génocide, qui se déroule du 7 avril au 17 juillet, l'armée française arrive le 8 avril. Pouvait-elle arrêter les massacres ?

Le 8 avril, les forces spéciales viennent évacuer les Français. Les militaires ont obéi à des ordres silencieux sur la réalité du génocide. Sur ce sujet, nos conclusions sont accablantes. Face à un génocide qui pouvait être arrêté, les troupes étaient présentes pour agir !

Mais Mitterrand estimait que l'Afrique, ce n'était que massacres de tribus. Or, les alertes parlent d'une entreprise génocidaire. Le jour de la création du tribunal pénal international pour le Rwanda, Mitterrand répète que ce sont des tribus qui se massacrent à la machette.

Les pratiques politiques ont-elles évolué ?

Les leçons ont été tirées par Emmanuel Macron. Des procédures de contrôles ont été installées. Il faut continuer à établir les responsabilités politiques pour montrer l'importance des institutions démocratiques.

Il est possible de réparer le passé. C'est une période honteuse pour la France officielle mais on peut sortir de ce traumatisme en faisant un travail de lucidité et de vérité.

Comment le Rwanda a-t-il réagi à votre rapport ?

Quand le président français est allé à Kigali présenter le rapport, son homologue rwandais Paul Kagame a déclaré que les paroles de Macron étaient la vérité et que l'expression de la vérité est plus forte que des excuses. La société rwandaise a été soulagée. Quand je suis revenu au Rwanda après la remise du rapport, un policier de l'immigration, voyant Duclert sur mon passeport, le nom public de la commission, m'a remercié d'avoir redonné leur histoire aux Rwandais.

* Selon l'usage universitaire, Hutu et Tutsi sont invariables.

Pratique



Espace Sainte-Anne, 2, rue de Kerampont, Lannion. jeudi 23 janvier, à 20 h, entrée libre.

Le même jour, de 17 h 30 à 18 h 30, Vincent Duclert sera à la librairie Gwalarn, rue des Chapeliers, à Lannion, pour échanger autour de textes inédits d'Albert Camus publiés aux éditions Gallimard.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024