Fiche du document numéro 34791

Num
34791
Date
Vendredi 10 janvier 2025
Amj
Taille
0
Sur titre
Le Grand Reportage
Titre
Rwanda : la justice français peut-elle refermer les plaies du génocide ?
Sous titre
Avec Hélène Dumas, historienne, chargée de recherches au CNRS au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron et Aurélia Devos, magistrate, ancienne responsable du pôle “crimes contre l’humanité” du tribunal judiciaire de Paris.
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Type
Émission de radio (son)
Langue
FR
Citation
L’année 2024 a été marquée par les commémorations des 30 ans du génocide des Tutsi au Rwanda. Depuis 1994, le pays a entrepris un processus ambitieux de justice et de réconciliation, pour permettre aux Rwandais de surmonter le profond traumatisme laissé par les massacres, et vivre à nouveau en paix les uns à côté des autres. Ce travail de justice a été mené par le Tribunal pénal international pour le Rwanda par les tribunaux nationaux rwandais, et par des juridictions populaires, appelées tribunaux Gacaca. Au titre de la compétence universelle, les justices belge et française ont, elles aussi, entrepris de juger des génocidaires venus trouver refuge en Belgique et en France. "Qu’aucune personne soupçonnée de génocide ne puisse échapper à la justice" : c’est l’engagement pris en 2021 par le Président Emmanuel Macron. Mais sur les 30 plaintes déposées par le Collectif des partis civiles pour le Rwanda auprès de la justice française, 9 personnes seulement ont été jugées de manière définitive. Les autres, soupçonnés d’avoir livré des machettes, tué des Tutsi, planifié et orchestré le génocide ou dirigé des opérations d’enfouissement de corps, attendent d’être fixés sur leur sort. Les années passent, les preuves s’effacent, les accusés et les témoins vieillissent, mais la douleur demeure.

22h30, à la cour d'assises de Paris. Les jurés délibèrent depuis bientôt douze heures, quand les membre du CPCR - collectif des parties civiles pour le Rwanda - entre enfin dans la salle d'audience. Après sept semaines de procès, Philippe Manier est reconnu coupable de crimes et complicité de crimes contre l'humanité.

Ce soir là, chacun rentre chez soi fatigué, mais le cœur un peu plus léger : "Merci à la France !" s'exclame une rescapée. "Grâce à la justice, nous sommes en train de réparer les erreurs du passé". Elle s'appelle Kibezi, et en avril 1994, elle a perdu vingt-deux membres de sa famille sur la colline de Nyanza. Tous, assassiné sous les ordres de Philippe Manier. 30 ans plus tard, Kibezi pense à son pays : "Comment voulez-vous reconstruire ce pauvre pays, avec autant de génocidaires à l'intérieur ?".

À la poursuite des génocidaires



Depuis 2001, le CPCR a déposé une trentaine de plaintes contre des génocidaires réfugiés en France. Toutes ont déclenché l'ouverture d'une information judiciaire, mais seules sept ont pour l'heure abouti à des procès. Le premier, en 2014, concerne Pascal Simbikangwa, un militaire proche du président Habyarimana. Après un second procès en appel, et un pourvoi en cassation rejeté, il est condamné à 25 ans de réclusion criminelle. "Dès que nous apprenons la présence d'un potentiel génocidaire sur le territoire français, nous prenons notre bâton de pèlerin et partons à la recherche de témoignages" raconte Alain Gauthier, co-fondateur et président du CPCR. "Si les rescapés ont parfois pardonné, comme le leur a demandé l'Etat rwandais et l'Eglise, les tueurs incarcérés dans les prisons rwandaises ont souvent soif de justice. Ce sont des petites mains du génocide, et ils trouvent injuste d'avoir été condamnés alors que ceux qui ont donné les ordres ont pu fuir".

"Cette justice rendue par la France, elle ne suffit pas"



25 ans, 30 ans, perpétuité. Les condamnations ont beau être lourdes, elles ne valent rien si les coupables ne reconnaissent pas leur crimes. Autour d'une tasse de thé, cet hiver, Viviane et sa famille se souviennent du procès d'Eugène Rwamucyo, un médecine et idéologue rwandais : "Il y avait tellement de tension dans la salle, tellement de haine !" Le jour du verdict, l'entourage du prévenu remplit le tribunal, se lève, proteste, insulte les jurés. "On se serait cru sur les barrières à Butare" raconte encore Viviane, "peut-être que s'ils étaient rentrés dans la salle avec des machettes, ils auraient fini le travail". "C'est comme s'ils étaient plus victime de nous" ajoute Joël, son mari, "ils retournent la situation, accusent les Tusti d'avoir tué en retour, comme si le génocide avait été réciproque. C'est ça qui est terrifiant : ils essaient de réécrire l'histoire !"

Des discours négationnistes, l'historien Marcel Kabanda en entend quasiment à chaque procès. "Pour les témoins de la défense de Philippe Manier, rien ne s'est passé" s'agace-t-il au sortir de l'audience, "quand j'entends ça, j'ai peur que la cour d'appel soit le dernier endroit où l'on puisse tenir des propos négationnistes sans risquer de poursuites". Une tendance qui, selon lui, fait écho à ce qui se passe actuellement au Rwanda : "Le génocide est terminé, mais ça ne veut pas dire que l'idéologie selon laquelle il faudrait exterminer les Tutsi n'existe plus. Le Rwanda a jugé, condamné, pardonné... Mais le mal n'est jamais tout à fait déraciné, il faut le surveiller".

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024