Fiche du document numéro 34766

Num
34766
Date
Mardi 16 avril 2024
Amj
Taille
360551
Sur titre
Point de vue
Titre
« Rwanda : retour sur une commémoration »
Sous titre
Il y a 30 ans, le Rwanda était le théâtre de l’un des massacres les plus sanglants du XXe siècle : il a coûté la vie à environ 800 000 personnes, en grande partie des Tutsis mais aussi des Hutus modérés. Un massacre que la France aurait pu empêcher. L’analyse de l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De jeunes rwandaises tiennent des bougies le 7 avril 2024 à Kigali durant l’hommage solennel aux plus de 800 000 victimes du génocide rwandais perpétré en 100 jours en 1994. | AFP/ LUIS TATO

Stéphane AUDOIN-ROUZEAU (*).

La 30e commémoration du génocide des Tutsi rwandais est désormais derrière nous : bonne occasion pour y réfléchir un instant. Ce dernier génocide du XXe siècle, qui a provoqué la mort d’un million de personnes en trois mois, entre le 7 avril et le début du mois de juillet 1994, s’est vu évoqué dans notre pays avec une intensité commémorative sans précédent.

Jamais auparavant tant de livres n’avaient paru autour de l’événement (témoignages, romans, ouvrages de sciences sociales…) ; jamais il n’y avait eu autant d’articles, de débats, de documentaires dans les médias. C’est là un premier signe encourageant : le signe d’une progression conjointe de l’intérêt collectif et des connaissances disponibles sur cet événement tragique de notre temps.

Mais sans doute y a-t-il une autre raison de se féliciter. Lors de cette séquence commémorative, la « question française » aura été posée avec une netteté inusitée. Au-delà des fâcheuses hésitations de la communication présidentielle – une phrase « annoncée » le 4 avril (« La France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté »), mais finalement non reprise dans la déclaration officielle du 7 – l’idée semble bien s’être imposée dans le débat public que notre pays avait effectivement rendu possible ce génocide, de surcroît prévisible et susceptible d’être empêché.

Quelle différence avec les propos du Premier ministre Manuel Valls, dix ans plus tôt, au moment de la vingtième commémoration ! Celui-ci, applaudi sur tous les bancs de l’Assemblée lors de son discours de politique générale, avait alors déclaré : « Je n’accepte pas les accusations injustes, indignes, qui pourraient laisser penser que la France ait pu être complice d’un génocide au Rwanda, alors que son honneur c’est toujours de séparer les belligérants. »

Le mur du déni est tombé



Une autre époque. Car depuis cette date, bien des choses se sont passées. Et en particulier, en avril 2019, la nomination d’une commission d’enquête historienne par le Président de la République, et confiée à l’Inspecteur général Vincent Duclert. Deux ans plus tard, son rapport de 1200 pages, nourri du dépouillement des archives de l’État, concluait à la « responsabilité lourde et accablante » de la France.

À la suite de quoi, le 27 mai 2021, Emmanuel Macron prononçait à Kigali un discours de rupture avec l’ancienne position française : « En me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, ce jour, je viens reconnaître l’ampleur de nos responsabilités », disait le président, avant d’ajouter : « Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner. » Ce discours du président de la République peut être rapproché de celui que prononça Jacques Chirac le 16 juillet 1995 au Vel d’Hiv, dans lequel il reconnut la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France pendant l’Occupation.

En 2021, la parole présidentielle a fait tomber le mur du déni officiel, maintenu à grand-peine depuis la fin du génocide de 1994, en instituant à sa place une vérité nouvelle. Cette trentième commémoration montre que de toute évidence, cette vérité s’est imposée peu à peu dans la cité : les défenseurs de la politique suivie par la France entre 1990 et 1994 (mise en œuvre par François Mitterrand et son entourage proche), qui tenaient le haut du pavé il y a peu de temps encore, sont désormais presque inaudibles. Au fond, et quoique non sans mal, n’est-ce pas ainsi qu’une société démocratique parvient à progresser ?

(*) Historien. Dernières publications : La part d’ombre. Le risque oublié de la guerre (Ed. Les belles lettres) et Le choc : Rwanda 1994, le génocide des Tutsi (Gallimard).

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024