Fiche du document numéro 34686

Num
34686
Date
Vendredi 29 novembre 2024
Amj
Auteur
Taille
123342
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 18
Sous titre
Compte rendu de l’audience du jeudi 28 novembre 2024
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce jeudi 28 novembre 2024, l’audience a repris avec l’audition de Monsieur Etienne SAGAHUTU, présent à l’attaque de la colline de Nyabubare. Il explique qu’une arme tirant des obus était installée sur une colline à Munyinya, et que des obus étaient tirés sur la colline de Nyabubare, où il se trouvait. Il précise à l’avocat de la défense qu’il n’était effectivement pas capable de voir l’arme positionnée sur l’autre colline, néanmoins il voyait les obus être tirés de là. Il indique que des gendarmes, qui étaient répartis sur tous les côtés de la colline, ont ensuite lancé des grenades. Il n’a pas vu les gendarmes tirer avec leurs fusils, et ne peut indiquer le nombre qu’ils étaient.

Il précise que le lendemain de l’attaque, Israël DUSINGIZIMANA a demandé aux Hutu de la colline de pourchasser les rescapés de l’attaque. Le témoin explique avoir suivi les autres, sans tuer personne, et précise qu’Israël ne lui a pas demandé personnellement de le faire. Il ajoute que deux jours après l’attaque il a participé à « l’enterrement » des corps sur ordre du conseiller Israël DUSINGIZIMANA. Il précise qu’il y avait des centaines de cadavres, de tout âge. Il explique que c’est le jour de sabbat, qu’il lui a été dit que BIGUMA avant mener l’attaque sur sa colline, tout le monde affirmait cela, dont le conseiller Israël DUSINGIZIMANA. Cependant, il précise qu’il n’a jamais vu BIGUMA.

Monsieur Martin IYAMUREMYE, condamné pour sa participation au génocide, est la deuxième personne à témoigner. Il explique avoir entendu d’Israël DUSINGIZIMANA que BIGUMA avait tué le bourgmestre NYAGASAZA. Il précise néanmoins ne pas le connaître, et ne l’avoir jamais vu. Interrogé par la défense, il affirme être resté cinq jours au cachot de la gendarmerie de Nyanza entre le 28 avril et le 3 mai 1994 et soutient ne pas avoir vu l’accusé lorsqu’il y était. Il indique que Mathieu NDAHIMANA en prison incitait les personnes à reconnaître les faits et à demander pardon pour avoir une clémence. Il était président du groupe Gacaca. Interrogé sur le rôle d’Israël DUSINGIZIMANA dans ce cadre-là, il précise alors que ce dernier secondait Mathieu NDAHIMANA et qu’il était le chef des prisonniers, il portait leur doléance auprès des instances.

Le dernier témoin de la matinée à être entendu est Monsieur Samson MATAZA, condamné pour sa participation au génocide. Ce témoin explique avoir assisté à l’arrestation du bourgmestre NYAGASAZA vers la fin du mois d’avril, un samedi matin aux alentours de 8h-9h. Il indique avoir vu l’arrestation du bourgmestre depuis la terrasse du cabaret où il était assis. Il pouvait voir la rivière de ce cabaret. Il affirme que le bourgmestre était en train de fuir lorsque des gendarmes sont arrivés dans un Pick-up blanc. Il soutient lors de l’audience qu’il y avait deux « militaires ». La Cour souligne toutefois qu’il avait mentionné la présence de quatre militaires en 2017, tandis qu’il n’en a évoqué que trois lors de la reconstitution. Il précise qu’il est possible qu’un autre militaire se trouvait à l’intérieur du véhicule, mais qu’il en avait vu deux à l’extérieur. Il relate que le bourgmestre se serait approché pour saluer ces « gendarmes ou militaires », mais qu’ils l’auraient alors saisi et forcé à monter dans le véhicule. Selon le témoin, ils ne l’auraient pas frappé, mais l’auraient poussé pour le faire entrer. Il ajoute que, juste après cela, Pierre NYAKARASHI est apparu devant le véhicule et a été aussi saisi. Lorsque le véhicule est parti le témoin aurait entendu un gendarme ordonner d’empêcher les Tutsi de s’échapper et de manger leurs vaches. Il précise qu’il n’a pas vu les gendarmes tirer sur les Tutsi qui traversaient, mais qu’ils étaient tout de même armés d’un fusil. Il affirme que, le jour de l’arrestation, le conseiller de secteur avec qui il se trouvait au cabaret a mentionné la présence d’un certain BIGUMA lors de l’arrestation. Il précise qu’en prison, il a ensuite entendu Israël en parler lorsqu’il témoignait sur ce meurtre. Il soutient néanmoins que ce témoignage ne l’a pas influencé. Il affirme qu’avant l’arrivée du bourgmestre ce jour-là, les réfugiés n’avaient pas encore commencé à traverser la rivière, ils auraient commencé à la traverser seulement après l’arrestation de NYAGASAZA. Il ajoute que les Tutsi de chez lui avaient déjà traversé avant le jour de l’arrestation. Il dit être parti vers 11h et que les Tutsi auraient essayé de fuir entre 11h et 12h. Il aurait vu ces personnes lorsqu’il rentrait se diriger vers la rivière et ce n’est qu’après qu’il aurait entendu des tirs. Il affirme qu’il y avait des tirs qui venaient des militaires burundais qui essayaient sûrement « d’empêcher les assaillants de poursuivre les Tutsi », mais que personne ne tirait du côté rwandais.

Concernant l’arrestation de Pierre NYAKARASHI, l’accusation souligne que la fille de ce dernier a déclaré être arrivée sur les lieux en compagnie d’un groupe, dont son père, et qu’elle a été blessée par balle peu après son arrestation. Cependant, le témoin maintient sa version des faits : selon lui, Pierre NYAKARASHI est arrivé seul, les autres personnes seraient arrivées à 11h après son départ, et aucun coup de feu n’aurait été tiré lorsqu’il était présent. L’avocat de la défense évoque un télégramme envoyé par le sous-préfet KAYITANA, dans lequel il écrit que le bourgmestre a été tué par la population pendant qu’il tentait de traverser la rivière. Le témoin a répondu qu’il s’agissait d’un mensonge, qu’il n’avait pas été tué là.

À la suite de cette audition, l’accusé a été invité à réagir aux auditions des témoins concernant le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA et l’attaque de la colline de Nyabubare. L’accusé a alors dit : « Merci Monsieur le Président, pour clore sur ce point, je voudrais vous dire tout simplement concernant toutes ces scènes qui se sont déroulées à Nyabubare, je l’ai dit je n’étais pas là. Tous les témoins que j’ai vu passer c’est comme s’ils témoignaient… qu’ils faisaient les dépositions comme s’ils voulaient que leurs peines soient atténuées. Et puis j’ajouterais que ces témoins, c’est comme s’ils sont sous pression, ils ne sont pas libres de ce qu’ils racontent, on sent qu’il y a quelque chose derrière, il y a de la peur. Il n’y a pas de liberté dans ce qu’ils déclarent. Voilà ce que j’avais à dire. »

Les auditions de l’après-midi ont débuté avec le témoignage de Monsieur Valens BAYINGANA, rescapé et seul survivant de sa famille. Il était présent lors de l’attaque sur la colline de Nyamure. Il explique que lorsqu’il est arrivé sur la colline, le 22 avril, il y avait environ 3 000 personnes réfugiées. Les personnes continuaient d’affluer, le jour de l’attaque ils étaient environ 15 000. Il explique que lorsqu’ils ont enterré les corps, ils ont compté 14 700 têtes et environ 3 000 autres personnes. Il précise que la source d’eau avait été coupée par les Hutu et que les réserves de nourriture ont vite été épuisées. Il ajoute que les jeunes hommes se sont rassemblés afin d’essayer de résister aux attaques à l’aide de pierres. Il y a eu des attaques le 23, 24, 25 et 26 avril. Il indique que les attaquants venaient de secteurs différents, ils étaient armés d’armes traditionnelles et de grenades. Le 27 avril entre 13h et 14h, il a vu monter un véhicule qui transportait des policiers communaux. Leurs vêtements étaient de couleur kaki et leurs bérets jaunes. Il précise au Président de la Cour qu’il y avait aussi deux gendarmes dans ce véhicule, c’est ce dont il aurait parlé dans son audition précédente devant les gendarmes français. Il explique avoir entendu BIMENYANDE responsable du comité de cellule, qui était à quelques mètres plus bas, « demander aux gens de monter pour aller aider les autres, précisant que les gendarmes, militaires arrivaient ». A ce moment, les Tutsi ont compris qu’il y aurait désormais des fusils. Ils sont alors allés dans le bois, ils ont vu un véhicule stationné à l’école primaire. Il ajoute que le véhicule, une Toyota Hilux rouge qui transportait les policiers, s’est garé au même endroit. Concernant le second véhicule, qui avait transporté les gendarmes sur les lieux, il ne peut pas le décrire, car les arbres l’empêchaient de reconnaître le type de véhicule et qu’il ne l’a pas vu monter sur la colline. Il précise qu’ils n’étaient pas moins de sept, et qu’ils se sont scindés pour encercler la colline en même temps que la population, ce qui leur a permis de constituer un « mur », empêchant les Tutsi de fuir. Il explique que l’attaque a commencé lorsqu’un gendarme a fait un pas en avant et a tiré sur un groupe de femmes qui entouraient une femme qui était en train d’accoucher. « Elles sont toutes tombées par terre et c’est à ce moment précis que les fusillades ont commencé ». Il confie que cette scène ne lui quitte jamais l’esprit. Lorsque les tirs ont commencé, ils ont tous couru, « qui n’étaient pas atteints par balles étaient découpés par des machettes ». Il explique quant à lui avoir réussi à fuir en partant du côté opposé de là où se trouvait le gendarme qui avait initié l’attaque, et qu’il a réussi à faire peur avec sa machette des hommes pour passer. Il raconte s’être ensuite caché dans un trou de bananeraie. Il y est resté quelques jours, jusqu’à ce qu’il n’entende plus de balle. Il est ensuite sorti pour se réfugier dans les brousses jusqu’à l’arrivée du FPR. Il dit avoir reconnu des policiers ainsi que le gendarme BIGUMA car il était gendarme à Nyanza, là où il travaillait. Il indique qu’une fois, ce dernier s’est rendu à son domicile, au sujet d’un dénommé SEBIGARA qui avait été tué. Il se serait présenté comme Philippe HATEGEKIMANA. Il précise qu’il aurait appris son surnom BIGUMA durant la collecte d’informations par Mathieu NDAHIMANA. Il affirme que BIGUMA est celui qui a tiré sur le groupe de femmes. Il reconnaît l’accusé durant l’audience. Il soutient qu’il n’a rien contre BIGUMA pour l’accuser de choses qu’il n’aurait pas commises à Nyamure, il précise qu’il ne lui a fait aucun tort avant cela. Il ajoute : « je confirme que tout ce que je vous ai dit sur BIGUMA est la vérité, c’est lui qui a décimé les nôtres. Je n’attends aucun gain, je l’affirme. Je le dis juste pour montrer la vérité, afin que nos enfants et ceux qui viendront après nous ne tombent pas dans le même piège ».

Monsieur le Président de la Cour demande alors à l’accusé s’il se souvient être intervenu pour un meurtre. L’accusé répond : « je vous avais bien déclaré qu’en août 1993, j’avais quitté la brigade et que celui qui était commandant de brigade était le lieutenant, c’est lui qui intervenait sur les affaires criminelles ». Le Président relève que le témoin n’a pas parlé d’août 1993, celui-ci a simplement dit que c’était « juste un peu avant que le génocide ne commence ». Enfin, Maître DUQUE relève qu’il a dit lors d’une première audition avoir appris le nom « BIGUMA par la suite », et que dans une deuxième audition à la question « connaissiez-vous HATEGEKIMANA Philippe alias BIGUMA ? » Le témoin a répondu « Je ne le connaissais, j’ai appris son nom dans la phase de Gacaca, Mathieu a dit que c’était BIGUMA ». Le témoin réaffirme alors les propos tenus devant la Cour selon lesquels il a appris le nom de Philippe HATEGEKIMANA lors de l’enquête pour meurtre et qu’il a appris son surnom plus tard.

La journée s’est terminée avec le témoignage de Madame Julienne NYIRAKURU, rescapée du génocide. Elle raconte qu’au déclenchement du génocide, un voisin, à qui avait été donné une machette afin de tuer son père, est venu avertir ce dernier qu’il fallait fuir. C’est lorsque la situation a empiré et que des personnes ont été tuées, qu’ils ont décidé de fuir. Elle était âgée de 10 ans. Elle explique qu’ils ont marché jusqu’à KAZARUSENYA où il y avait une barrière tenue par de nombreux Interahamwe armés d’outils. Ces Interahamwe ont découpé son père et tué deux de ses frères, c’est pour cela qu’avec ses autres frères et sœurs ils ont décidé de rebrousser chemin jusqu’à Shari où se trouvait la famille de sa mère. Lorsque la situation est devenue grave à cet endroit, leurs tantes les ont amenés à Nyamure. Elle explique que sur la colline, ils essayaient de résister aux attaquants et il y avait des blessés. Elle indique que le jour de l’attaque, il n’y avait pas encore eu d’affrontement sur la colline. Pendant qu’elle et d’autres enfants jouaient à l’école, deux véhicules sont arrivés, une Toyota et une Daihatsu. Voyant descendre des gendarmes munis de fusils, ils se sont approchés. Il y avait beaucoup d'Interahamwe. Elle précise qu’il y en avait un du nom de SEMAHE, qui paraissait être le chef des Interahamwe. Il distribuait les machettes.

Elle affirme qu’un gendarme, qui paraissait être le chef, s’est présenté aux Interahamwe en leur disant « moi, Afande (chef) alias BIGUMA, je voudrais vous dire que vous devez tuer ces chiens de Tutsi, les exterminer tous jusqu’au dernier ». Le Président relève que lors d’une précédente audition elle aurait affirmé que BIGUMA avait dit « moi je ne partirais pas avant d’avoir nettoyé ce lieux ». Elle confirme ces propos, expliquant qu’il a tenu de nombreux propos à ce moment-là. Elle est ensuite remontée plus haut, prévenir sa tante de ce qu’elle avait vu. Les Interahamwe et les gendarmes se sont mis à monter sur la colline, les gendarmes ont tiré des balles et les Interahamwe ont commencé à découper les Tutsi. Lorsqu’ils ont tué sa tante et sa fratrie, elle a décidé de s’allonger à côté de sa tante et de feindre d’être morte. Lorsqu’elle a entendu qu’il n’y avait plus de bruit, elle a essayé de se relever, elle a bu « l’eau de la pluie avec le sang des morts ». Elle indique être repartie vers Shari, où elle a trouvé un de ses oncles qui l’a amenée à KARAMA retrouver d’autres membres de leur famille.

Elle affirme que « la situation à Karama était semblable à celle de Nyamure, puisque beaucoup d’attaques étaient aussi menées. Les Interahamwe attaquaient, ils tuaient les gens, les personnes présentes se défendaient aussi. Cela n’a pas duré longtemps ». Un véhicule qui transportait des gendarmes, armés de fusils, est ensuite arrivé. Elle précise qu’il y avait des gendarmes et des militaires sur les lieux. Elle a reconnu le gendarme qui s’était présenté à Nyamure comme étant BIGUMA, elle en a informé un membre de sa famille. Interrogée par la défense, elle précise qu’un dénommé MBIRINJI est allé voir ce qu’il se passait, et que c’est lui qui aurait informé les autres qu’il y avait des gendarmes dont BIGUMA, elle n’aurait informé qu’une personne. Les mères ont caché les enfants dans une bananeraie, elle entendait les balles. Elle et sa cousine ont été débusquées par des Interahamwe, elles ont alors couru. Elles ont réussi à leur échapper en tombant dans un caniveau.

Elles ont ensuite continué en direction de Songa, où elles se sont retrouvées « prises en sandwich » par des miliciens qui étaient devant et derrière elles. Sa cousine a été tuée. Quant à elle, elle a réussi à se cacher dans la brousse, elle n’en est sortie que trois ou cinq jours plus tard, quand elle a eu faim. Près de la brousse, elle a vu la fosse dans laquelle ils avaient jeté les Tutsi qu’ils venaient de tuer. Elle est allée voir si sa cousine y était encore vivante, mais un Interahamwe est arrivé. Il lui a donné un coup avec le plat de sa machette, et elle est tombée dans la fosse. Elle explique avoir réussi à s’en extirper et avoir ensuite trouvé un homme qui a bien voulu la cacher, cependant dans la nuit il lui a demandé de partir car il aurait dit avoir eu une information selon laquelle le gendarme BIGUMA aurait dit qu’ils allaient venir tuer les Tutsi de Songa. Elle explique alors être partie et s’est retrouvée sur une barrière où un milicien aurait dit qu’il ne fallait pas la tuer car il allait en faire sa femme. Il l’a ensuite confiée à sa femme, elle y est restée jusqu’à l’arrivée du FPR.

Enfin, le conseil de la défense s’étonne de la précision de ses propos, et notamment sur le fait qu’à seulement 10 ans, elle aurait été capable de distinguer les différentes marques de voitures et d’estimer que le gendarme BIGUMA avait entre 30 et 35 ans.

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024