Fiche du document numéro 34666

Num
34666
Date
Mercredi 20 novembre 2024
Amj
Auteur
Taille
101077
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 10
Sous titre
Compte rendu de l’audience du lundi 18 novembre 2024
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
La troisième semaine du procès à l’encontre de Monsieur HATEGEKIMANA a commencé ce lundi 18 novembre 2024 par l’audition de Monsieur Jean Baptiste MUHIRWA, présent à la barrière de Rwesero durant le génocide. Monsieur MUHIRWA déclare avoir été appelé à cette barrière où il est resté trois jours. Il explique que les gendarmes se relayaient à cette barrière, et précise y avoir vu l’accusé. Sur la rotation des gendarmes le Président de la Cour relève que le témoin avait précédemment déclaré que les gendarmes ne faisaient que passer pour contrôler le travail des civils. A cela, Monsieur MUHIRWA répond : « je crois que l’on n’a pas bien compris mon témoignage sur ce point, il y avait toujours un gendarme à la barrière, il y avait une rotation, celui qui partait, partait avec des civils pour tuer. BIGUMA faisait des contrôles à la barrière, il contrôlait toute la sous-préfecture ». Il indique qu’une vingtaine de Tutsi étaient enfermés dans la maison d’un dénommé CYUMBATI, sans eau, ni nourriture. Il déclare que le 26 avril, ils ont conduit ces Tutsi ailleurs et qu’ils les ont tués à coups de gourdins et de bâtons. Un gendarme présent aurait utilisé la crosse de son fusil afin de frapper les victimes. Il précise que l’accusé n’était pas présent au moment du meurtre mais que celui-ci est « passé avant pour ordonner ce meurtre, il avait dit qu’il punirait le gendarme de la garde s’il trouvait ces prisonniers vivants ».

Monsieur le Président de la Cour relève que le témoin n’a pas parlé de cela lors de ses deux premiers témoignages, il n’en a parlé que lors de la remise en situation. Interrogé sur le fait de savoir si l’accusé et BIRIKUNZIRA ont donné l’ordre de tuer ces personnes, le témoin indique que l’ordre venait de l’accusé, mais que les deux collaboraient. BIRIKUNZIRA ne venait jamais aux barrières. Il est relevé que le témoin n’a pas reconnu l’accusé lors de la remise en situation. L’accusé explique alors qu’il a des problèmes de vision.

Interrogé sur ses précédentes déclarations où il expliquait que lorsqu’un Tutsi était arrêté par un gendarme il était conduit au camp, il nie avoir tenu de tel propos et confirme ne jamais avoir vu de gendarmes conduire des Tutsi au camp. Le Président de la Cour a procédé à la lecture du témoigne de Monsieur MUSHITSI présent à une barrière à Rwesero. Dans ce témoignage, le témoin a déclaré que l’accusé, qui passait de barrières en barrières, donnait des ordres. Il dit avoir entendu l’accusé dire avoir tué des personnes. Cependant, il n’a pas reconnu l’accusé lorsqu’il lui a été demandé de l’identifier sur des photographies.

La Défense a réagi à cette lecture en soulignant qu’il était problématique de lire les déclarations d’un témoin à charge sans pouvoir l’interroger, et sans pouvoir apporter d’éléments à décharge.

Monsieur Nathaniel NTIGURIRWA, condamné par une juridiction Gacaca pour sa participation au génocide a ensuite témoigné. Il déclare que lorsqu’il se dirigeait vers le marché avec l’escorte du chef Interahamwe KAREGE, il a appris qu’une réunion se tenait au stade. Il n’a pas assisté à la réunion, il est resté en dehors du stade. KAREGE lui aurait dit que durant cette réunion, Augustin NDINLIYAMANA, BIRIKUNZIRA et BIGUMA avaient ordonné que tous les Tutsi soient tués. KAREGE lui aurait aussi dit que BIGUMA avait quelques armes. Le Président de la Cour souligne que le témoin, en 2003, disait avoir vu ces personnes arriver à bord d’une camionnette rouge. Le témoin confirme de nouveau ne pas être allé à la réunion et qu’il conteste avoir déposé un tel témoignage en 2003. Interrogé par l’accusation, il précise avoir entendu le discours depuis l’extérieur du stade, il ne savait pas que c’était BIGUMA qui le prononçait, c’est KAREGE qui lui a ensuite dit que BIGUMA avait prononcé ce discours.

Il ajoute que l’accusé aurait remis une Kalachnikov à la barrière de Kavumu à KAREGE. Le témoin dit avoir vu une personne dans une Toyota rouge remettre l’arme à une vingtaine de mètre de lui. C’est KAREGE qui lui aurait dit qu’il s’agissait de BIGUMA. Il est souligné que le témoin n’a pas reconnu l’accusé sur une photographie montrée lors de sa précédente audition. Il précise à la défense qu’il est difficile pour lui d’identifier quelqu’un qu’il voyait quand il était petit à Nyanza, qui était en uniforme de la gendarmerie, et que lorsqu’il l’a revu à la barrière, il était dans sa voiture.

Le Président de la Cour a ensuite procédé à la lecture de l’attestation de Monsieur KAMONYO jointe à la plainte du CPCR. Selon lui, l’accusé aurait mobilisé des gendarmes et la population afin de tuer et qu’il aurait contrôlé toutes les barrières. Ensuite ses déclarations devant les gendarmes ont été lues. Il revient sur son témoignage précédent, ce qu’il aurait vu de ses propres yeux est que l’accusé contrôlait les barrières entre le 22 avril et le 11 mai. La Défense indique qu’elle aurait souhaité, si le témoin était présent, lui demander si le CPCR lui avait dicté son témoignage.

De plus, il a été procédé à la lecture de l’audition de Monsieur KAMUGA devant le tribunal pénal international pour le Rwanda. Dans cette audition, il est souligné que l’accusé aurait eu un rôle actif dans le contrôle des barrières, et qu’il l’aurait vu avec un mortier de 60.

L’audience de l’après-midi a débuté avec les auditions de deux rescapées du génocide.

Premièrement, Madame Sabine UWASE raconte qu’au moment du génocide, elle avait 16 ans. Son père juge au tribunal de première instance de Nyanza, a été arrêté une première fois en 1990, pour une période de six mois à la prison de Nyanza, puis une deuxième fois pendant presqu’un an, alors qu’il était sorti de Nyanza pour visiter ses parents alors qu’on lui avait demandé de ne pas s’éloigner de la ville. La famille vivait alors dans la peur. La rescapée qualifie la période suivant le crash d’avion du président rwandais de « catastrophe ». Elle explique alors qu’au départ tout le monde avait peur, Hutu comme Tutsi, et passait la nuit dehors.

Le 22 avril, son père conseille de quitter la maison en se dispersant. Puisqu’elle pensait que les personnes âgées allaient être épargnées, elle se rend chez sa grand-mère à Kavumu. La deuxième nuit, elle entend quelqu’un toquer à la porte. C’est son petit frère qui fuit des Interahamwe avec des machettes. Ceux-ci étaient très nombreux et criaient aux habitants de sortir de chez eux. Un des Interahamwe propose de sauver son petit frère de huit ans en lui donnant une machette.

Les autres ont été amenés à la brigade de Nyanza, où elle pense être sauvée. Elle se retrouve enfermée pendant trois jours à la brigade, avec à peu près 200 personnes, sans eau ni nourriture. Les gendarmes viennent les récupérer chaque jour par petits groupes pour aller les tuer au stade de Nyanza. Un jour, alors qu’elle s’était placée près de la porte du cachot, un gendarme entre et lui piétine les pieds. Elle lui demande de l’eau et celui-ci prend pitié d’elle et la sauve en l’habillant en costume de gendarme et en la plaçant dans son bureau alors que tous les autres se font tuer au stade de Nyanza. Il la confie à une femme de soldat dans une maison où les gendarmes se retrouvent souvent et se vantent des meurtres, des viols et des pillages. Après un mois la femme du soldat quitte la maison sans la prévenir. On l’amène à Muhanga. Là, elle croise des enfants de son ancienne école primaire, qui la reconnaissent presque et sont étonnés de la voir vivante alors que tous les Tutsi de Nyanza ont été tués. Elle dit ne pas les connaitre. Elle apprend que son père a été tué au Stade, que ses grands-parents ont été tués chez eux. Elle n’a jamais retrouvé les corps de son petit frère et de sa petite sœur. Sa maison a été entièrement détruite. Elle n’a jamais vu l’accusé pendant le génocide. Aujourd’hui, elle a perdu toute sa famille et elle ne sait que répondre à son enfant de huit ans qui lui demande pourquoi elle n’a pas de famille et pourquoi il ne peut, comme les autres enfants de son âge, passer ses vacances chez ses grands-parents.

Deuxièmement, Madame Yvette NIYONTEZE raconte qu’au moment du génocide, elle n’avait que 10 ans. Avant les événements, elle ignorait totalement la notion d’appartenance ethnique. Ce n’est que peu à peu qu’elle a commencé à en entendre parler à la radio, puis à l’école, où on leur demandait de plus en plus souvent de préciser leur appartenance ethnique. Par exemple, les élèves étaient invités à se répartir dans deux groupes distincts, selon leur origine. Au début, elle se plaçait naturellement dans le groupe le plus nombreux. Mais un jour, le professeur, qui connaissait ses origines, lui demanda de rejoindre l’autre groupe, celui des élèves moins nombreux. C’est ainsi qu’elle apprit qu’elle était Tutsi.

Dès le 20 avril 1994 dans le quartier de Gihisi de Nyanza, les Tutsi allaient passer la nuit chez les Hutus pour se protéger. Les familles partaient en se dispersant. On l’a amenée se cacher chez sa marraine mais les Interahamwe l’y ont trouvée. On l’a ramenée chez ses parents mais ceux-ci avaient fui. Elle est restée seule dans leur maison. Le soir même lors d’une attaque dirigée par des militaires, gendarmes et civils Interahamwe, un gendarme et un militaire sont venus taper à la porte car ils voulaient utiliser leur téléphone. Ils l’ont trouvée dans la maison. Le militaire lui explique vouloir utiliser le téléphone d’abord, puis qu’il reviendrait délibérer sur son sort. Elle explique qu’à ce moment-là, elle ressemblait à un garçonnet car elle portait un short et avait les cheveux courts. Le militaire lui dit alors qu’elle aura plus de chance de mourir ce jour-là si c’est un garçon. Elle dit être une fille. Il lui explique qu’il va essayer de retrouver son père et son frère en premier lieu afin de les tuer, puis qu’il reviendrait la tuer en dernier lieu. Il la confie à un voisin Hutu et lui dit qu’il reviendrait la tuer lorsqu’il en aura envie.

Juste en face de la maison de ce voisin Hutu était érigée une barrière ou des gens venant du centre-ville de Nyanza étaient tués. Pendant deux semaines, elle entend parler les gendarmes qui viennent y faire griller la viande des vaches qu’ils avaient abattues. Elle entend notamment comment les membres de sa famille se font peu à peu tués. A un moment elle entend qu’ils envisagent d’épargner les femmes et les filles. C’était en réalité une politique pour retrouver les survivants et mieux les tuer après. Une « politique de pacification », selon la cour. Dans son cas, tout le monde savait qu’elle était dans cette maison. À un moment, elle entend l’idée selon laquelle il va falloir tuer tous les Tutsi sans en laisser un seul. On la cache alors dans les faux plafonds en roseaux de cette maison, qui lui permettent de se cacher tout en pouvant voir ce qui se passe en contrebas. Des Interahamwe portant des feuilles de bananiers, des machettes et des gourdins, et des gendarmes armés de fusils entrent dans la maison et la fouillent de fond en comble. Ils ne la trouvent pas. Le gendarme qui la cachait lui aurait dit que l’un des gendarmes s’appelait BIGUMA, elle n’a pas pu voir son visage car il n’était pas statique. Elle avait entendu parler de lui, car il « faisait parti de ces personnes devenues célèbres en termes de massacres. On disait que c’était lui qui avait fait ériger la plupart des barrières surtout celles du centre-ville de Nyanza ». De sa famille, seule sa mère a survécu. Son père, sa grande sœur et ses deux frères ont été tués. La photo de sa sœur qu’elle montre à la cour est la seule photo qu’ils avaient d’elle et elle explique que ce génocide a effacé toute trace d’elle. Ce qui lui manque le plus aujourd’hui est la famille. Elle demande justice pour les Tutsi tués pendant le génocide.

Ensuite, l’audition de Callixte MUNYANGENYO a été lue. Le témoin parle de la barrière de Rwesero, il cite plusieurs noms de responsables de la barrière (mais pas celui de l’accusé). Il dit avoir entendu parler de l’accusé mais ne pas le connaître.

Monsieur Jean-Marie Vianney MUNSI a ensuite témoigné. Il déclare avoir connu l’accusé avant le génocide car le témoin était officier dans la gendarmerie nationale. Le témoin explique avoir été commandant au camp Kacyiru à Kigali, il dit avoir occupé à partir du 7 avril 1994 la fonction d’officier S3 chargé de la coordination des combats dans le camp. Il dit ne pas avoir vu l’accusé dans le camp, et précise que le camp était le plus grand de la gendarmerie. Interrogé sur le colonel RUTAYISIRE, il affirme le connaitre. Il dit avoir vu qu’il n’était « pas très à l’aise », mais ne saurait pas expliquer pourquoi il était menacé. Il a appris que l’accusé avait été mis à son service. Il confirme trouver cette mutation surprenante car ils avaient besoin d’officiers sur le terrain. Il indique que les gendarmes, qui se sont mêlés aux miliciens pour tuer, seraient des cas isolés.

Interrogé par les avocats des parties civiles sur sa demande d’asile, il confirme ne pas avoir dissimulé sa qualité de militaire pour obtenir l’asile en France. Il précise aussi que l’école des sous-officiers à Butare formait des militaires et gendarmes. Les gendarmes portaient un béret rouge et les militaire un béret noir.

Enfin, la journée s’est terminée par l’interrogatoire de l’accusé. Ce dernier a été invité à réagir aux différentes auditions. Il conteste les témoignages de Monsieur Jean Baptiste MUHIRWA et de Monsieur Nathaniel NTIGURIRWA. Il soutient ne pas s’être rendu au stade et ne pas avoir distribué d’armes aux civils. Selon lui, les témoins seraient « sous pression ». De même, il conteste les témoignages de Madame Sabine UWASE et de Madame Yvette NIYONTEZE. Interrogé sur son changement de nom avant sa demande d’asile, l’accusé explique que le « Colonel Alphonse » lui avait dit être encore dans l’attente de son statut, et qu’il valait mieux ne pas dire tout dire, ce que l’accusé aurait alors fait pour obtenir son statut.

Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France

Vaïtéa Baillif, Bénévole

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024