Citation
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS
N° 2309845/4-1
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Association RWANDA AVENIR
Association COLLECTIF DES PARTIES CIVILES
POUR LE RWANDA
et autres
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M. Gaël Raimbault
Rapporteur
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M. Julien Grandillon
Rapporteur public
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Audience du 24 octobre 2024
Décision du 14 novembre 2024
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01-01-03
C
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Paris
(4ème section – 1ère chambre)
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 avril 2023, 15 mars, 7 (deux mémoires) et 18 mai 2024, dans le dernier état de leurs écritures, l’association Rwanda avenir, l’association Collectif des parties civiles pour le Rwanda, Mmes C... B..., D... E..., F... G..., H..., I..., J... K..., L... M..., N... O..., P... et Q..., ainsi que MM. R... S..., T... U..., V... W..., X... Y..., Z... AR…, AB... AC... AD..., AE... AF..., AG... AH..., AI... AH... AJ..., AK... AL... AH..., AM... et AN..., représentés par Me Lewisch, demandent au tribunal de condamner l’Etat à verser la somme de 33 millions d’euros chacune aux associations Rwanda avenir et Collectif des parties civiles pour le Rwanda, et de 21,7 millions d’euros à chacune des personnes physiques requérantes, en réparation des préjudices nés des fautes commises par la France dans sa politique étrangère à l’égard du Rwanda entre 1990 et 1994 et qui ont favorisé le génocide des Tutsis.
Ils soutiennent que :
- le juge administratif est compétent pour se prononcer sur leur requête, la théorie des actes de gouvernement est contraire à la Constitution, notamment au principe de séparation des pouvoirs et à l’ordre public international, en tout état de cause, elle ne couvre que les actes du Président de la République et des personnes participant à la fonction gouvernementale et pas les décisions prises de manière autonome par les autres autorités administratives, notamment le chef d’état-major des armées, les illégalités alléguées ne sont pas relatives à la conduite des relations internationales et ne constituent pas des opérations de guerre ;
- l’Etat a engagé sa responsabilité du fait de fautes lourdes commises par ses préposés dès lors qu’il a apporté aide et soutien au gouvernement rwandais, qu’il n’a pas dénoncé le traité d’assistance militaire conclu le 18 juillet 1975 entre la France et le Rwanda, qui n’est pas consubstantiel à la relation diplomatique entre la France et le Rwanda, qu’il n’a pas cherché à faire cesser le génocide alors en cours et qu’il a apporté son soutien aux membres des forces armées rwandaises durant leur retraite ;
- il a également méconnu la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 ainsi que le principe à valeur constitutionnelle de « non-assistance à un gouvernement génocidaire », ainsi que le décret n° 82-138 du 8 février 1982 ;
- ils ont subi un préjudice moral qui doit être réparé sans que l’écoulement du temps ne puisse y faire obstacle, ainsi que des préjudices corporels, des souffrances, des troubles dans les conditions d’existence, des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les actes dénoncés, à les supposer établis, mettent en cause les rapports du Gouvernement avec un Etat étranger et constituent ainsi des actes de gouvernement, sur le caractère fautif desquels la juridiction administrative est incompétente pour se prononcer ;
- les personnes physiques requérantes n’ont pas lié le contentieux, la réclamation indemnitaire n’ayant été signée qu’au nom des associations Rwanda avenir et Collectif des parties civiles pour le Rwanda ;
- à titre subsidiaire, les actes de guerre ne sont pas susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat.
Deux mémoires ont en outre été enregistrés après la clôture de l’instruction, le premier produit par le ministre des armées et des anciens combattants, le 8 octobre 2024 et le second par les requérants, le 23 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. Raimbault,
- les conclusions de M. Grandillon, rapporteur public,
- et les observations de Me Lewish, pour les requérants.
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 février 2023, les associations Rwanda avenir et Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) ont demandé à la Première ministre de leur verser la somme de 500 millions d’euros en réparation des préjudices nés pour elles des actes commis par la France au Rwanda entre 1990 et 1994 et qui ont facilité, ou n’ont pas empêché, la perpétuation d’un génocide dans ce pays, notamment d’avril à juin 1994. Il n’a pas été répondu à cette réclamation. Par la présente requête, ces associations ainsi que, dans le dernier état des écritures, Mmes C... B..., D..., E..., F... G..., H... I..., J... K..., L... M..., N... O..., P... et Q... et MM. R... S..., T... U..., V... W..., X... Y..., Z... AR…, AB... AC... AD..., AE... AF..., AG... AH..., AI... AH... AJ..., AK... AL..., AH..., AM... et AN..., qui se présentent comme membres du CPCR, demandent la condamnation de l’Etat à verser 33 millions d’euros à chacune des associations et 21,7 millions d’euros à chacune des personnes physiques, en réparation de ces préjudices.
2. Les recours tendant, sur le terrain de la responsabilité pour faute de l’Etat, à la réparation des préjudices qu’une décision ou qu’un acte non détachable de la conduite des relations internationales de la France a pu causer, soulèvent des questions qui ne sont pas susceptibles, par leur nature, d'être portées devant la juridiction administrative.
3. Les requérants demandent l’indemnisation de préjudices nés de diverses décisions et agissements par lesquels les préposés de l’Etat français ont, de 1990 à 1994, apporté aide et soutien au gouvernement rwandais, n’ont pas cherché à faire cesser le génocide qui s’est déroulé notamment entre avril et juin 1994 et ont apporté leur soutien aux membres des forces armées rwandaises durant leur retraite. Il est également reproché à l’Etat français de ne pas avoir dénoncé le traité d’assistance militaire conclu le 18 juillet 1975 entre la France et le Rwanda. Toutefois, l’ensemble de ces décisions et agissements n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France à l’égard de l’Etat rwandais puis également, à compter de juillet 1994, de l’Organisation des nations unies dont le conseil de sécurité lui avait confié un mandat. Il en résulte que la requête tendant, sur le terrain de la responsabilité pour faute de l’Etat, à la réparation des préjudices que ces décisions et actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France ont pu causer, soulèvent des questions qui ne sont pas susceptibles, par leur nature, d’être portées devant la juridiction administrative.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des armées et des anciens combattants est fondé à soutenir que la juridiction administrative est incompétente pour connaître des conclusions indemnitaires présentées au tribunal qui doivent, dès lors, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l’association Rwanda avenir, de l’association Collectif des parties civiles pour le Rwanda, de Mmes C... B..., D... E..., F... G..., H... I..., J... K..., L... M..., N... O..., P... et Q..., ainsi que de MM. R... S..., T... U..., V... W..., X... Y..., Z... AR…, AB..., AC... AD..., AE... AF..., AG... AH..., AI... AH... AJ..., AK... AL... AH..., AM... et AN..., est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à l’association Rwanda avenir, première requérante dénommée, et au ministre des armées et des anciens combattants.
Délibéré après l’audience du 24 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Anne Seulin, présidente,
M. Gaël Raimbault, premier conseiller,
Mme Paule Desmoulière, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
G. Raimbault
La présidente,
A. Seulin
La greffière,
L. Thomas
La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.