Citation
L’audience s’est poursuivie ce mercredi 13 novembre avec l’audition de Monsieur Cyriaque HABYARABATUMA, ancien commandant des gendarmes pendant le génocide dans la préfecture de Butare, condamné à perpétuité. Le témoin soutient s’être opposé aux massacres pendant le génocide. Il précise notamment avoir tenu au côté du Préfet HABYALIMANA, des réunions à la population pour leur dire d’éviter de s’entretuer.
Interrogé sur les bourgmestres GISAGARA et NYAGASAZA, il affirme avoir entendu qu’ils ont été tués par des Interahamwe et des gendarmes. Il aurait notamment entendu dire d’un autre détenu de prison que l’accusé aurait été impliqué dans l’un de ces meurtres. Interrogé sur l’accusé, le témoin affirme le connaître. Il se souvient qu’il était surnommé BIGUMA. Il dit néanmoins avoir menti dans ses précédentes déclarations lorsqu’il affirmait que l’accusé avait la réputation d’être un Hutu extrémiste. Il indique tout d’abord avoir été influencé par des personnes avec qui il a discuté, mais précise ne pas avoir été payé ou ni avoir subi de pression. Néanmoins, plus tard durant l’audition, le témoin indique s’être fondé sur les propos du détenu, qui lui aurait dit que l’accusé aurait participé avec lui au meurtre d’un des bourgmestres, pour affirmer que l’accusé était un extrémiste. Il explique que lorsqu’il affirme avoir menti, c’est parce qu’il n’a pas été témoin de ce qu’il a déclaré et qu’il a simplement répété les paroles du détenu. En outre, il précise qu’il aurait dû avoir connaissance de la mutation de l’accusé car il était tenu au courant de toutes les mutations extérieures. De plus, il s’étonne de cette mutation car la compagnie territoriale de l’accusé est restée à Nyanza. Il ajoute ne pas avoir vu l’accusé au camp de Kacyiru.
Le deuxième témoin de la journée à avoir été entendu est Monsieur Deogratias MAFENE ancien infirmier militaire durant le génocide. Celui-ci étant d’ethnie Tutsi, il explique avoir été tiré dessus par un gendarme durant le génocide. Ce gendarme aurait reçu l’ordre de l’accusé et d’un sous-lieutenant. Il ajoute que les auteurs de l’acte n’ont pas été sanctionnés par le colonel BIRIKUNZIRA car lui-même était un extrémiste. Néanmoins il se contredit plus tard durant l’audition, lorsqu’il dit au Président de la Cour avoir été « fusillé » au mois de juin, alors que l’accusé n’était plus présent. Les ordres auraient émané d’autres gendarmes.
Il affirme que des réunions se tenaient à la gendarmerie en présence d’Interahamwe et des chefs de la gendarmerie. Il indique que l’accusé participait à ces réunions. Il soutient que l’accusé faisait partie de ces gendarmes extrémistes, ils désignaient les personnes qui devaient aller tuer et il sortait lui-même pour aller tuer. Il ajoute que l’accusé aurait tenu des propos anti-Tutsi. Il aurait dit « nous allons finalement les tuer » à l’égard des femmes d’ethnie Tutsi, mariées à des gendarmes, qui étaient dans le camp.
Interrogé sur la mort du bourgmestre NYAGASAZA, il soutient que les gendarmes qui étaient partis avec l’accusé, lui avaient raconté que Monsieur MANIER avait donné l’ordre de tuer le bourgmestre. Il affirme en outre que l’accusé s’est rendu à la colline de Nyamure le jour de l’attaque. Les gendarmes lui ont raconté l’attaque mais ne lui ont rien dit concernant l’accusé.
La seconde partie de la journée a repris par la lecture des déclarations de Monsieur Laurent RUTAYISIRE, qui n’a pas été entendu en raison de son refus catégorique de témoigner. Dans ces déclarations, Monsieur RUTAYISIRE affirme que l’accusé n’a pu commencer ses fonctions à ses côtés le 4 mai, mais possiblement à partir du 10 mai.
L’interrogatoire de personnalité de l’accusé a ensuite repris. Il a tout d’abord été interrogé sur son départ de France vers le Cameroun le 13 novembre 2017. Il explique s’y être rendu afin d’aider sa fille qui avait lancé un commerce là-bas. Il explique avoir modifié sa date de retour car sa femme souhaitait les rejoindre. Interrogé sur la résiliation de son abonnement téléphonique en décembre 2017, il explique l’avoir fait afin de ne pas payer les mois où il n’était pas présent en France.
Monsieur le Président de la Cour relève que sa fille est, après l’arrivée de son père au Cameroun, rentrée en France un mois. L’accusé explique qu’elle devait s’y rendre pour prolonger son passeport et qu’il est quant à lui resté afin de l’aider à contrôler son commerce. En outre, en référence à une écoute téléphonique, l’accusé indique ne pas pouvoir donner de réponse expliquant pourquoi sa femme a menti lorsqu’elle a affirmé qu’il était en France alors qu’il se trouvait au Cameroun à ce moment-là. Il affirme en outre que s’il avait voulu fuir il l’aurait fait avant, sachant depuis 2015 qu’il y avait une plainte à son encontre. Interrogé sur les virements importants réalisés par son épouse à destination de leur fille entre 2017 et 2018, l’accusé soutient que ces virements avaient pour objectif de l’aider à alimenter son commerce. Interrogé par l’accusation sur un scellé ayant été trouvé au domicile de l’accusé, comportant notamment l’inscription « alibi 18 avril », l’accusé indique qu’il ne s’agit pas de son écriture et précise ne pas savoir qui aurait pu écrire ce document.
L’interrogatoire a été interrompu par l’audition de Monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef de l’état-major de la gendarmerie. Il affirme que des infiltrés du FPR incitaient les gendarmes à commettre le génocide. Il soutient aussi que le génocide a été planifié par le FPR. Selon lui, le Préfet de Butare HABYALIMANA aurait travaillé pour le FPR. En outre, il y aurait eu plus de morts Hutu que de morts Tutsi. Concernant Nyanza, il soutient que les gendarmes se sont protégés, ils se seraient organisés pour protéger le camp et leurs familles car ils auraient été menacés par une attaque. Le Président de la Cour souligne que l’accusé n’a jamais parlé d’attaque.
L’interrogatoire de l’accusé a ensuite repris. L’accusé a été interrogé sur sa vie depuis son arrestation en mars 2018. Il précise ses activités en prison et son état de santé. De plus, le Président de la Cour a par la suite résumé la décision du 5 avril 2002 rendue par le tribunal de Butare. Cette décision, rendue en l’absence de l’accusé, le condamne. Concernant cette décision, la défense soulève le principe non bis in idem. À cet égard, Maître PHLIPPART, conseil de parties civiles, rappelle que la chambre d’instruction avait déjà tranché cette question en considérant que les faits jugés étaient différents, et ajoute [qu’]aucune preuve ne montre que la condamnation a été prescrite ou subie. L’Avocat général ajoute qu’il n’y a aucune preuve aussi démontrant que la condamnation est définitive. La décision est mise en délibéré.
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France